Voltaire, Elémens de la philosophie de Neuton : mis à la portée de tout le monde, 1738

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Author: Voltaire
Title: Elémens de la philosophie de Neuton : mis à la portée de tout le monde
Year: 1738
City: Amsterdam
Publisher: Ledet
Number of Pages: 3 Bl., 399 S., 7 Taf. : Ill., graph. Darst.

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Table of contents
1. Page: 0
2. ELEMENS DE LA PHILOSOPHIE DE NEUTON. Page: 5
3. ELÉMENS DELA PHILOSOPHIE DE NEUTON, Page: 11
4. Par MR. DE VOLTAIRE. Page: 11
5. A AMSTERDAM, Page: 11
6. M. DCC. XXXVIII. Page: 11
7. A MADAME LA MARQUISE DU CH.** Page: 13
8. AMADAME LA MARQUISE DU CH** AVANT PROPOS. Page: 19
9. CHAPITRE PREMIER. Ce que c’eſt que la Lumiere & comment elle vient à nous. Page: 24
10. CHAPITRE DEUX. La proprietè que la lumiere a de ſe réflecbi@ n’étoit pas véritablement connue. Elle n’eſt point réflechie par les parties ſoli-des des corps, comme on le croioit. Page: 44
11. CHAPITRE TROIS. Page: 55
12. CHAPITRE QUATRE. De la conformation de nos yeux, comment la lumiere entre & agit dans cet organe. Page: 61
13. CHAPITRE CINQ. Des Miroirs, des Teleſcopes: des Raiſons que les Matbématiques donnent des myſtè-res de la viſion; que ces raiſons ne ſont point du tout ſuffiſantes. Page: 78
14. CHAPITRE SIXIEME. Comment nous connaiſſons les diſtances, les grandeurs, les figures, les ſituations. Page: 95
15. CHAPITRE SEPT. De la cauſe qui fait briſer les rayons de la lu-miere en paſſant d’une ſubſtance dans une autre; que cette cauſe eſt une loi générale de la Nature inconnue avant Neuton; que l’in-flexion de la lumiere eſt encore un effet de cette cauſe, &c. Page: 109
16. CHAPITRE HUIT. Suites des merveilles de la réfraction de la lu-miere. Qu’un ſeul rayon de la lumiere contient en ſoi toutes les couleurs poſ-ſibles; ce que c’eſt que la réfran-gibilité. Découvertes nou-velles. Page: 130
17. CHAPITRE NEUV. Où l’on indique la cauſe de la réfrangibilité, & où l’on trouve par cette cauſe, qu’il y a des Corps indiviſibles en Phyſique. Page: 145
18. CHAPITRE DIXIE’ME. Preuves qu’il y a des atomes indiviſibles, & que les parties ſimples de la lumiere ſont de ces atomes. Suite des découvertes. Page: 151
19. CHAPITRE ONZIE’ME. De l’ Arc-en-Ciel; que ce Météore eſt une ſuite néceſſaire des loix de la réfrangibilité. Page: 162
20. CHAPITRE DOUZE. Nouvelles découvertes ſur la cauſe des couleurs qui confirment la doctrine précédente. Dé-monſtration que les couleurs ſont occa-ſionnées par l’épaiſſeur des parties qui compoſent les corps. Page: 181
21. CHAPITRE TREIZE. Suites de ces découvertes; Action mutuelle des Corps ſur la lumiere. Page: 188
22. CHAPITRE QUATORZE. Du rapport des ſept couleurs primitives avec les ſept tons de la Muſique. Page: 197
23. Table des couleurs & des tons de la Muſique. Pag. 182. Page: 202
24. CHAPITRE QUINZE. Premieres idées touchant la peſanteur & les loix de la gravitation: Que la matiere ſubtile, les tourbillons & le plein doivent étre rejettés. Page: 211
25. CHAPITRE SEIZE. Que les tourbillons de Deſcartes & le Plein ſont impoſſibles, & que par conſéquent il y a une autre cauſe de la peſanteur. Page: 220
26. CHAPITRE DIX-SEPT. Ce que c’eſt que le Vuide, & l’Eſpace, ſans lequel il n’y auroit ni peſanteur ni mouvement. Page: 233
27. CHAPITRE DIX-HUIT. Gravitation démontrée par les découvertes de Galilée & de Neuton; que la Lune parcourt ſon Orbite par la force de cette gravitation. Page: 240
28. CHAPITRE DIX-NEUF. Que la gravitation & l’attraction dirigent tou-tes les Planetes dans leurs Cours. Page: 259
29. De’ monstration. Page: 268
30. Demonstration. Page: 269
31. CHAPITRE VINGT. Page: 274
32. CHAPITRE VINGT-UN. Nouvelles preuves de l’attraction. Que les in-égalités du mouvement & de l’Orbite de la Lune ſont néceſſairement les effets de l’attraction. Page: 284
33. Nouvelles preuves & nouveaux effets de la gra-vitation: que ce pouvoir eft dans cbaque partie de la Matiere; Découvertes dépendantes de ce principe. Page: 297
34. CHAPITRE VINGT-TROIS. Théorie de notre Monde Planétaire. Le Soleil. Page: 308
35. Mercure. Page: 314
36. Venus. Page: 317
37. La Terre. Page: 319
38. Digression Sur la Période de 1944000. ans nouvelle-ment découverte. Page: 321
39. Mars. Page: 351
40. Jupiter. Page: 357
41. Saturne. Page: 365
42. CHAP. VINGT-QUATRE. De la Lumiére Zodiacale, des Cometes, & des Fixes. De la Lumiére Zodiacale. Page: 380
43. Des Cometes. Page: 394
44. Des fixes. Page: 408
45. CHAPITRE VINGT-CINQ Des ſecondes inégalités du mouvement des Satellites, & des Phénomênes qui en dépendent. Page: 413
1
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2
T
No
.
122.
311[Handwritten note 1]
422[Handwritten note 2]33[Handwritten note 3]44[Handwritten note 4]
5
ELEMENS
DE
LA
PHILOSOPHIE

DE
NEUTON.
6
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7 1[Figure 1]
8
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9 2[Figure 2]
10
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11
ELÉMENS
DELA
PHILOSOPHIE
DE NEUTON,
Mis à la portée de tout le monde.
Par MR. DE VOLTAIRE.
3[Figure 3]
A AMSTERDAM,
Chez Etienne Ledet & Compagnie.
M. DCC. XXXVIII.
12
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13 4[Figure 4]
A MADAME
LA

MARQUISE
DU CH.**
TU m’appelles à toi vaſte & puiſſant Génie,
Minerve
de la France, immortelle Emilie,
Diſciple
de Neuton, &
de la Vérité,
Tu
pénétres mes ſens des feux de ta
144ELEMENS Je renonce aux lauriers, que long-tems au Théâtre
Chercha
d’un vain plaiſir mon eſprit idolâtre.
De ces triomphes vains mon cœur n’eſt plus touché.
Que
le jaloux Rufus à la terre attaché,
Traîne
au bord du tombeau la fureur inſenſée,
D’enfermer
dans un vers un fauſſe penſée,
Qu’il
arme contre moi ſes languiſſantes mains
Des
traits qu’il deſtinoit au reſte des humains.

Que
quatre fois par mois un ignorant Zoile,
Eleve
en fremiſſant une voix imbécile.

Je
n’entends point leurs cris que la haine à formez.

Je
ne vois point leurs pas dans la fange imprimez.

Le
charme tout-puiſſant de la Philoſophie
Eleve
un eſprit ſage au-deſſus de l’envie.

Tranquille
au haut des Cieux que Neuton s’eſt ſou-
mis
,
Il
ignore en effet s’il a des Ennemis.

Je
ne les connois plus.
Déja de la carriere
L’auguſte
Vérité vient m’ouvrir la barriere.

Déja
ces tourbillons l’un par l’autre preſſez,
Se
mouvant ſans eſpace, &
ſans règle entaſſez,
Ces
fantômes ſavants à mes yeux diſparaiſſent.
155DE NEUTON. Un jour plus pur me luit; les mouvements renaiſ-
ſent
.
L’eſpace qui de Dieu contient l’immenſité,
Voit
rouler dans ſon ſein l’Univers limité,
Cet
Univers ſi vaſte à notre faible vûe,
Et
qui n’eſt qu’un atome, un point dans l’éten-
due
.
Dieu parle, & le Chaos ſe diſſipe à ſa voix;
Vers un centre commun tout gravite à la fois,
Ce
reſſort ſi puiſſant l’ame de la Nature,
Etoit
enſéveli dans une nuit obſcure,
Le
compas de Neuton meſurant l’Univers,
Leve
enfin ce grand voile &
les Cieux ſont ou-
verts
.
Il déploye à mes yeux par une main ſavante,
De
l’Aſtre des Saiſons la robe étincelante.
L’Emeraude, l’azur, le pourpre, le rubis,
Sont
l’immortel tiſſu dont brillent ſes habits.

Chacun
de ſes rayons dans ſa ſubſtance pure,
Porte
en ſoi les couleurs dont ſe peint la Nature,
Et
confondus enſemble, ils éclairent nos
166ELEMENS Ils animent le Monde, ils empliſſent les Cieux.
Confidens du Très Haut, Subſtances éternelles,
Qui
brûlés de ſes feux, qui couvrez de vos aîles
Le
Trône votre Maître eſt aſſis parmi vous,
Parlez
, du grand Neuton n’étiez-vous point ja-
loux
?
La Mer entend ſa voix. Je vois l’humide Em-
pire
,
S’élever
, s’avancer, vers le Ciel qui l’attire,
Mais
un pouvoir central arrête ſes efforts,
La
Mer tombe, s’affaiſſe, &
roule vers ſes bords.
Cometes que l’on craint à l’égal du tonnerre,
Ceſſez
dépouvanter les Peuples de la Terre,
Dans
une ellipſe immenſe achevez votre cours,
Remontez
, deſcendez près de l’Aſtre des jours,
Lancez
vos feux, volez, &
revenant ſans ceſſe,
Des
Mondes épuiſez ranimez la vieilleſſe.
Et toi Sœur du Soleil, Aſtre, qui dans les Cieux,
Des
ſages éblouïs trompois les faibles yeux,
Neuton
de ta carriere a marqué les
177DE NEUTON. Marche, éclaire les nuits; tes bornes ſont preſcri-
tes
.
Terre change de forme, & que la peſanteur,
En
abaiſſant le Pole, éleve l’Equateur.
Pole immobile aux yeux, ſi lent dans votre courſe,
Fuyez
le char glacé de ſept Aſtres de l’Ourſe,
Einbraſſez
dans le cours de vos longs mouve-
ments
,
Deux
cens ſiècles entiers par delà ſix mille ans.
Que ces objets ſont beaux! que notre ame épurée
Vole
à ces vérités dont elle eſt éclairée!
Oui
dans le ſein de Dieu, loin de ce corps mortel,
L’eſprit
ſemble écouter la voix de l’Eternel.
Vous à qui cette voix ſe fait ſi bien entendre
Comment
avez-vous pu, dans un âge encor tendre,
Malgré
les vains plaiſirs ces écueils des beaux
jours
,
Prendre
un vol ſi hardi, ſuivre un ſi vaſte cours,
Marcher
après Neuton dans cette route obſcure
Du
labyrinthe immenſe, ſe perd la Nature?
Puiſſai je auprès de vous, dans ce Temple
188ELEMENS DE NEUTON. Aux regards des Français montrer la Vérité.
Tandis qu’Algaroti, ſûr d’inſtruire & de plaire, Vers le Tibre étonné conduit cette Etrangere,
Que
de nouvelles fleurs il orne ſes atraits,
Le
Compas à la main j’en tracerai les traits,
De
mes crayons groſſiers je peindrai l’Immortelle.
Cherchant à l’embellir je la rendrais moins belle,
Elle
eſt ainſi que vous, noble, ſimple &
ſans fard,
Au-deſſus
de l’éloge, au-deſſus de mon Art.
1 5[Figure 5]
11Mr. Algaroti jeune Vénitien fait imprimer actuelle-
ment
à Veniſe un Traité ſur la lumiere dans lequel il ex-
plique
l’attraction.
19 6[Figure 6]
AMADAME
LA

MARQUISE
DU CH**
AVANT PROPOS.
MADAME,
Cen’eſt point ici une Marquiſe, ni une
Philoſophie
imaginaire.
L’étude ſolide
2010DE LA PHILOSOPHIE vous avez faite de pluſieurs nouvelles vé-
rités
&
le fruit d’un travail reſpectable, ſont
ce
que j’offre au Public pour votre gloire,
pour
celle de votre Sexe, &
pour l’utilité de
quiconque
voudra cultiver ſa raiſon &
jouïr
ſans
peine de vos recherches.
Il ne faut
pas
s’attendre à trouver ici des agrémens.
Toutes les mains ne ſavent pas couvrir de
fleurs
les épines des Sciences;
je dois me
borner
à tâcher de bien concevoir quelques
Vérités
&
à les faire voir avec ordre &
clarté
.
Ce ſeroit à vous de leur préter des
ornemens
.
Ce nom de Nouvelle Philoſophie ne ſe-
roit
que le titre d’un Roman nouveau, s’il
n’annonçoit
que les conjectures d’un Mo-
derne
, oppoſées aux fantaiſies des Anciens.
Une Philoſophie qui ne ſeroit établie que
ſur
des explications hazardées, ne mériteroit
pas
en rigueur le moindre examen.
Car il
y
a un nombre innombrable de manieres
d’arriver
à l’Erreur, il n’y a qu’une ſeule rou-
te
vers la Vérité:
il y a donc l’infini con-
tre
un à parier, qu’un Philoſophe qui ne
s’appuiera
que ſur des Hypothèſes ne dira
que
des chiméres.
Voilà pourquoi tous
2111DE NEUTON. Anciens qui ont raifonné ſur la Phyſique ſans
avoir
le flambeau de l’expérience, n’ont
été
que des aveugles, qui expliquoient la
nature
des couleurs à d’autres aveugles.
Cet Ecrit ne ſera point un cours de Phyſi-
que
complet.
S’il étoit tel, il ſeroit immen-
ſe
;
une ſeule partie de la Phyſique occupe
la
vie de pluſieurs hommes, &
les laiſſe ſou-
vent
mourir dans l’incertitude.
Vous-vous bornez dans cette étude, dont
je
rends compte, à vous faire ſeulement une
idée
nette de ces Reſſorts ſi déliez &
ſi puiſ-
ſants
, de ces Loix primitives de la Nature,
que
Neuton a découvertes;
à examiner
juſqu’où
il s’eſt arrêté.
Nous commence-
rons
, comme lui, par la lumiere:
c’eſt de
tous
les corps qui ſe font ſentir à nous le
plus
délié, le plus approchant de l’infini en
petit
, c’eſt pourtant celui que nous con-
noiſſons
davantage.
On l’a ſuivi dans ſes
mouvemens
, dans ſes effets;
on eſt par-
venu
à l’anatomiſer, à le ſéparer en toutes
ſes
parties poſſibles.
C’eſt celui de tous les
corps
dont la nature intime eſt le plus
2212DE LA PHILOSOPHIE veloppée. C’eſt celui qui nous approche de
plus
près des premiers Reſſorts de la Na-
ture
.
On tâchera de mettre ces Elémens, à la
portée
de ceux qui ne connaiſſent de
Neuton
&
de la Philoſophie que le nom
ſeul
.
La Science de la Nature eſt un bien
qui
appartient à tous les hommes.
Tous
voudroient
avoir connaiſſance de leur bien,
peu
ont le tems ou la patience de le calcu-
ler
;
Neuton a compté pour eux. Il faudra
ici
ſe contenter quelquefois de la ſomme de
ces
calculs.
Tous les jours un homme pu-
blic
, un Miniſtre, ſe forme une idée juſte
du
réſultat des opérations que lui-même n’a
pu
faire;
d’autres yeux ont vu pour lui, d’au-
tres
mains ont travaillé, &
le mettent en
état
par un compte fidèle de porter ſon ju-
gement
.
Tout homme d’eſprit ſera à peu
près
dans le cas de ce Miniſtre.
La Philoſophie de Neuton a ſemblé juſ-
qu’à
préſent à beaucoup de perſonnes auſſi
inintelligible
que celle des Anciens:
mais
l’obſcurité
des Grecs venoit de ce qu’en ef-
fet
ils n’avoient point de lumiere;
& les
2313DE NEUTON. nèbres de Neuton viennent de ce que ſa
lumiere
étoit trop loin de nos yeux.
Il a
trouvé
des vérités:
mais ils les a cherchées
&
placées dans un abîme, il faut y deſcen-
dre
&
les apporter au grand jour.
On trouvera ici toutes celles qui condui-
ſent
à établir la nouvelle proprieté de la
matiere
découverte par Neuton.
On ſera
obligé
de parler de quelques ſingularités,
qui
ſe ſont trouvées ſur la route dans cette
carriere
;
mais on ne s’écartera point
du
but.
Ceux qui voudront s’inſtruire davantage,
liront
les excellentes Phyſiques des Grave-
ſandes
, des Keils, des Muſchenbroeks, des
Pembertons
&
s’approcheront de Neuton
par
degrez.
7[Figure 7]
24 8[Figure 8]
CHAPITRE PREMIER.
Ce que c’eſt que la Lumiere & comment elle
vient
à nous.
LES GRECS & enſuite tous les Peu-
11Défini-
tion
ſin-
guliére

par
les
Péri-
patéti-
ciens
.
ples Barbares, qui ont appris d’eux à
raiſonner
&
à ſe tromper, ont dit de Siè-
cleen
Siècle:
La Lumiere eſt un accident,
&
cet accident eſt l’acte du tranſparent
entant
que tranſparent, les couleurs ſont ce
qui
meut les corps tranſparens.
Les corps
lumineux
&
colorez ont des qualités
2515DE NEUTON. blables à celles qu’ils excitent en nous
par
la grande raiſon que rien ne donne
ce
qu’il n’a pas.
Enfin, la lumiere & les
couleurs
ſont un mêlange du chaud, du
froid
, du ſec, &
de l’humide; car l’humi-
de
, le ſec, le froid, &
le chaud, étant
les
Principes de tout, il faut bien que les
couleurs
en ſoient un compoſé”.
C’eſt cet abſurde galimatias que des
Maîtres
d’ignorance, payez par le Public,
ont
fait reſpecter à la crédulité humaine
pendant
tant d’années:
c’eſt ainſi qu’on a
raiſonné
preſque ſur-tout, juſqu’aux tems
des
Galilées &
des Deſcartes. Long-tems mê-
me
après eux ce Jargon, qui deshonore l’En-
tendement
humain, a ſubſiſté dans pluſieurs
Ecoles
.
J’oſe dire que la Raiſon de l’hom-
me
, ainſi obſcurcie, eſt bien au-deſſous de
ces
connaiſſances ſi bornées, mais ſi ſûres,
que
nous appellons Inſtinct dans les Brutes.
Ainſi nous ne pouvons trop nous féliciter
d’être
nez dans un tems &
chez un Peu-
ple
, l’on commence à ouvrir les yeux,
&
à jouïr du plus bel appanage de l’Humani-
, l’uſage de la Raiſon.
2616DE LA PHILOSOPHIE
Tous les prétendus Philoſophes ayant
donc
deviné au hazard, à travers le voile
qui
couvroit la Nature, Deſcartes eſt ve-
nu
qui a découvert un coin de ce grand
voile
.
Il a dit: la Lumiere eſt une matiere
fine
&
déliée, qui eſt répandue par-tout, &
qui
frappe nos yeux.
Les couleurs ſont les
ſenſations
que Dieu excite en nous, ſelon
les
divers mouvemens qui portent cette
Matiere
à nos organes.
Juſques-là Deſcar-
tes
a eu raiſon, il falloit, ou qu’il s’en tint
, ou qu’en allant plus loin, l’expérience
fût
ſon guide.
Mais il étoit poſſédé de l’en-
11L’Eſprit
Syſté-
matique

a
égaré
Deſear-
tes
.
vie d’établir un Syſtême.
Cette paſſion fit
dans
ce grand Homme ce que font les paſ-
ſions
dans tous les hommes;
elles les en-
traînent
au-delà de leurs Principes.
Il avoit poſé pour premier fondement de
ſa
Philoſophie, qu’il ne falloit rien croi-
re
ſans évidence;
& cependant au mépris
de
ſa propre Règle, il imagine trois Elé-
mens
formez des cubes prétendus qu’il ſup-
poſe
avoir été faits par le Créateur, &
s’ê-
tre
briſez en tournant ſur eux-mêmes, lorſ-
qu’ils
ſortirent des mains de Dieu.
Ces trois
Elémens
imaginaires ſont, comme on ſait:
2717DE NEUTON.
10. La partie la plus épaiſſe de ces cubes,
&
c’eſt cet Elément groſſier dont ſe forme-
11Son
Syſtê-
me
.
rent ſelon lui les corps ſolides des Planetes,
les
Mers, l’Air même.
20. La pouſſiere impalpable que le briſe-
ment
de ces dés avoit produite, &
qui rem-
plit
à l’infini les interſtices de l’Univers in-
fini
dans lequel il ne ſuppoſe aucun vuide.
30. Les milieux de ces prétendus dés bri-
ſés
, attenués également de tous côtés, &
en-
fin
arondis en boules, dont il lui plaît de fai-
re
la lumiere, &
qu’il répand gratuitement
dans
l’Univers.
Plus ce Syſtême étoit ingénieuſement ima-
22Faux giné, plus vous ſentez qu’il étoit indigne
d’un
Philoſophe.
Car, puiſque rien de tout
cela
n’eſt prouvé, autant valloit adopter le
froid
&
le chaud, le ſec & l’humide. Erreur
pour
erreur qu’importe laquelle domine!
Ne
perdons point de tems à combattre cette
création
des cubes &
des trois Elémens, ou
plutôt
ce Chaos.
Contentons-nous de voir ici
ſeulement
les erreurs Philoſophiques dans
leſquelles
l’eſprit Syſtématique a entraîné
le
génie ſublime de Deſcartes;
& ne réfu-
tons
ſur-tout que ces ſortes d’erreurs
2818DE LA PHILOSOPHIE ayant l’air de la vérité. , ſembloient reſpecta-
bles
, &
méritoient d’être relevées.
Selon Deſcartes la lumiere ne vient point
à
nos yeux du Soleil, mais c’eſt une matiere
globuleuſe
répandue par-tout, que le Soleil
pouſſe
, &
qui preſſe nos yeux comme un bâ-
ton
pouſſé par un bout preſſe à l’inſtant à l’au-
tre
bout.
Cela paroiſſoit plauſible, mais cela
n’en
eſt pas moins faux:
cependant Deſcar-
tes
étoit tellement perſuadé de ce Syſtême
que
dans ſa dix-ſeptième Lettre du troiſiè-
me
Tome, il dit &
répète poſitivement:
F’avoue que je ne ſai rien en Pbiloſopbie ſi la
lumiere
du Soleil n’eſt pas transmiſe à nos yeux
en
un inſtant.
En effet, il faut avouer que,
tout
grand génie qu’il étoit, il ſavoit enco-
re
peu de choſe en vraye Philoſophie;
il lui
manquoit
l’expérience du Siècle qui l’a ſui-
vi
.
Ce Siècle eſt autant ſupérieur à Deſcar-
tes
, que Deſcartes l’étoit à l’Antiquité.
10. Si la lumiere étoit toujours répandue,
11Du
mouve-
ment

progreſ-
ſif
de
la
lu-
miere
.
toujours exiſtante dans l’air, nous verrions
clair
la nuit comme le jour, puiſque le Soleil
ſous
l’Hemisphére pouſſeroit toujours les glo-
bules
en tout ſens, &
que l’impreſſion en vien-
droit
également à nos yeux.
2919DE NEUTON.
20. Il eſt démontré que la lumiere émane
du
Soleil, &
on ſait que c’eſt à peu près en
ſept
ou huit minutes de tems qu’elle fait ce
chemin
immenſe, qu’un boulet de Canon
conſervant
ſa vîteſſe ne feroit pas en vingt-
cinq
années.
L’Auteur du Spectacle de la Nature, Ou-
11Erreur
du
Spec-
tacle
de
la
Natu-
re
.
vrage très - eſtimable, eſt tombé ici dans
une
petite mépriſe qu’il corrigera ſans dou-
te
à la premiere Edition de ſon Livre.
Il dit
que
la lumiere vient en ſept minutes
des
Etoiles, ſelon Neuton;
il a pris les Etoiles
pour
le Soleil.
La lumiere émane des Etoi-
les
les plus prochaines en ſix mois, ſelon un
certain
calcul fondé ſur des expériences très-
délicates
&
très - fautives. Ce n’eſt point
Neuton
, c’eſt Hugens &
Hartſoeker, qui
ont
fait cette ſuppoſition.
Il dit encore, pour
prouver
que Dieu créa la lumiere avant le
Soleil
, que la lumiere eſt répandue par toute la
Nature
, &
qu’ elle ſe fait ſentir, quand les Aſtres
lumineux
la pouſſent;
mais il eſt démontré
qu’elle
arrive des Etoiles fixes en un
tems
très-long.
Or, ſi elle fait ce chemin, el-
le
n’étoit donc point répandue auparavant.
Il eſt bon de ſe précautionner contre
3020DE LA PHILOSOPHIE erreurs, que l’on répète tous les jours dans
beaucoup
de Livres qui ſont l’écho les uns
des
autres.
Voici en peu de mots la ſubſtance de la
Démonſtration
ſenſible de Romer, que la
lumiere
employe ſept à huit minutes dans
ſon
chemin du Soleil à la Terre.
On obferve de la Terre en C. ce Satellite de
11Dé-
monſ-
tration

du
mou-
vement

de
la lu-
miere
.
Jupiter, qui s’éclipſe réguliérement une fois
en
quarante-deux heures &
demie. Si la Ter-
re
étoit immobile, l’Obſervateur en C.
verroit
en
trente fois quarante-deux heures &
demie,
trente
émerſions de ce Satellite, mais au
bout
de ce tems, la Terre ſe trouve en D.
alors l’Obſervateur ne voit plus cette émer-
ſion
préciſément au bout de trente fois qua-
rante-deux
heures &
demie, mais il faut a-
jouter
le tems que la lumiere met à ſe mou-
voir
de C.
en D. & ce tems eſt ſenſible-
ment
conſidérable.
Mais cet eſpace C. D.
eſt
encore moins grand que l’eſpace G.
H.
car
C.
D. eſt corde du Cercle, & G. H.
eſt
le Diametre du Cercle.
Ce Cercle eſt
le
grand Orbe que décrit la Terre, le So-
leil
eſt au milieu;
la lumiere en
319[Figure 9]
32
[Empty page]
3321DE NEUTON. du Satellite de Jupiter, traverſe C. D. en
dix
minutes, &
G. H. en 15. ou 16. mi-
nutes
.
Le Soleil eſt entre G. & H. donc
la
lumiere vient du Soleil en 7 ou 8 minutes.
Mr. Broadley, en dernier lieu, a obſervé
par
des expériences réïtérées &
ſûres, que
pluſieurs
Etoiles, vues en différens tems, pa-
roiſſoient
tantôt un peu plus vers le Nord,
tantôt
un peu plus vers le Sud;
il a prouvé
que
cette différence ne pouvoit venir que
du
mouvement annuel de la Terre, &
de la
progreſſion
de la lumiere.
Il a obſervé que
ſi
ces Etoiles ont une parallaxe, cette pa-
rallaxe
n’eſt que d’une ſeconde.
Or cela préſupoſé, voici le raiſonnement
que
je fais:
Un Aſtre, qui n’a qu’une ſe-
conde
de parallaxe annuelle, eſt quatre cens
mille
fois plus loin de nous que le Soleil;
ſi la lumiere nous vient du Soleil en S.
minutes
, comme le croit Mr.
Broadley,
elle
nous viendra donc de ces Etoiles en
6
.
années & plus d’un mois. Mais ce n’eſt
pas
tout.
Ces Etoiles ſont de la premiere
grandeur
, donc les Etoiles de la ſixième
grandeur
, étant ſix fois plus éloignées,
3422DE LA PHILOSOPHIE font parvenir leur lumiere à nous qu’en
plus
de 36.
ans & demi.
3. Les rayons qu’on détourne par un
Priſme
, &
qu’on force de prendre un nou-
veau
chemin, démontrent que la lumiere ſe
meut
effectivement, &
n’eſt pas un amas
de
globules ſimplement preſſe.
40. Si la lumiere étoit un amas de globu-
les
exiſtans dans l’air &
en tous lieux, un
petit
trou qu’on pratique dans une cham-
bre
obſcure devroit l’illuminer toute entié-
re
:
car la lumiere, pouſſée alors en tout ſens
par
ce petit trou, agiroit en tout ſens, com-
me
des boules d’yvoire rangées en rond, ou
en
quarré, s’écarteroient toutes, ſiune ſeu-
le
d’elles étoit fortement preſſée;
mais il
arrive
tout le contraire.
La lumiere reçue
par
un petit orifice, lequel ne laiſſe paſſer
que
peu de rayons, éclaire à peine un de-
mi-pied
de l’endroit qu’elle frappe.
50. La lumiere entre toujours par un
trou
en ligne droite, en quelque ſens
que
l’on puiſſe imaginer, mais ſi des glo-
bules
étoient ſimplement preſſés, il ſe-
roit
impoſſible que cette preſſion ſe fît en
ligne
droite.
Il eſt donc démontré que
Deſcartes
s’eſt trompé &
ſur la nature
3523DE NEUTON. la lumiere & ſur la maniere dont elle nous
eſt
tranſmiſe.
Le Pere Mallebranche, génie plus ſubtil
11Erreur
du
Pere
Malle-
bran-
che
.
que vrai, qui conſulta toujours ſes médita-
tions
, mais non toujours le Nature, adopta
ſans
preuve les trois Elémens de Deſcar-
tes
;
mais il changea beaucoup de choſes à
ce
Château enchanté.
Il imagina ſans autre
preuve
une autre explication de la lumiere.
Des vibrations du Corps lumineux impri-
ment
, ſelon lui, des ſecouſſes à de petits
tourbillons
mous, capables de compreſſion,
&
tout compoſés de matiere ſubtile. Mais
ſi
on avoit demandé à Mallebranche com-
ment
ces petits tourbillons mous auroient
tranſmis
à nos yeux la lumiere, comment
l’action
du Soleil pourroit paſſer en un inſ-
tant
à travers tant de petits corps compri-
més
les uns par les autres, &
dont un très-
petit
nombre ſuffiroit pour amortir cette
action
, comment enfin ſes tourbillons mous,
ne
ſe ſeroient point mêlez en tournant les
uns
ſur les autres, qu’auroit répondu le Pe-
re
Mallebranche?
Sur quel fondement po-
ſoit-il
cet édifice imaginaire?
Faut-il
3624DE LA PHILOSOPHIE des hommes qui ne parloient que de véritê
n’ayent
écrit que des Romans!
Qu’eſt-ce donc enfin que la lumiere? C’eſt
11Déſini-
tion
de
la
lu-
miere
.
le feu lui-même, lequel brûle à une petite diſ-
tance
, lorſque ſes parties ſont moins tenuës,
ou
plus rapides, ou plus réunies;
& qui
éclaire
doucement nos yeux, quand il agit
de
plus loin, quand ſes particules ſont plus fi-
nes
, &
moins rapides, & moins réunies.
Ainſi une bougie allumée brûleroit l’œil
qui
ne ſeroit qu’à quelques lignes d’elle, &

éclaire
l’œil qui en eſt à quelques pouces.
Ainſi les rayons du Soleil, épars dans l’eſpace
de
l’air, illuminent les objets, &
réunis dans
un
verre ardent fondent le plomb &
l’or.
Ce feu eſt dardé en tout ſens du point
rayonnant
:
c’eſt ce qui fait qu’il eſt apper-
çu
de tous les côtez;
il faut donc toujours
le
conſidérer comme des lignes partant d’un
centre
à la circonférence.
Ainſi tout faiſ-
ceau
, tout amas, tout trait de rayons, ve-
nant
du Soleil ou d’un feu quelconque, doit
être
conſidéré comme un cone, dont la baſe
eſt
ſur notre prunelle, &
dont la pointe eſt
dans
le feu qui le darde.
3725DE NEUTON.
Cette matiere de feu s’élance du Soleil
juſqu’à
nous &
juſqu’à Saturne, & c. avec
une
rapidité qui épouvante l’imagination.
Le calcul apprend que, ſi le Soleil eſt à
vingt
quatre mille demi-diametres de la Ter-
re
, il s’enſuit que la lumiere parcourt de cet
Aſtre
à nous, (en nombres ronds) mille mil-
lions
de pieds par ſeconde.
Or un boulet
d’une
livre de bale, pouſſé par une demi-li-
vre
de poudre, ne fait en une ſeconde que
600
.
pieds; ainſi donc la rapidité d’un rayon
du
Soleil eſt, en nombres ronds, ſeize cens
ſoixante
&
ſix mille ſix cens fois plus forte
que
celle d’un boulet de Canon.
Je n’entrerai point ici dans la fameu-
11Voyez
Memoi-
res
de
l’Acadé-
mie

1728
.
ſe diſpute des forces vives;
je renvoye
ſur
cela le Lecteur au Mémoire plein de
ſageſſe
&
de profondeur qu’a donné Mr. de
Mairan
.
J’eſpére que ce Philoſophe & ceux qui
ſont
le plus oppoſés aux forces vives, per-
mettront
qu’on avance en toute rigueur
cette
Propoſition ſuivante:
3826DE LA PHILOSOPHIE
L’effet que produit la force d’un corps
dans
un monvement, du moins uniforme-
ment
accéléré, eſt le produit de ſa maſſe
par
le quarré de ſa viteſſe;
c’eſt-à-dire
qu’un
corps, s’il a dix degrez de vîteſſe,
fera
, toutes choſes égales, cent fois autant
d’impreſſion
, que s’il n’avoit qu’un degré
de
vîteſſe.
Si donc une ſeule particule de lumiere
agit
en raiſon du quarré de ſa vîteſſe, &
ſi
cette
vîteſſe eſt environ ſeize cens mille
par
rapport à celle du boulet, ce quarré ſera
2560000000000
;
il ſera donc vrai que, ſi cet
atome
n’eſt que deux miliaſſes cinq cens
ſoixante
miliards moins gros qu’une livre, il
fera
encore le même effet qu’un boulet de Ca-
non
.
Suppoſez cet atome mille miliards plus
11Extrê-
me
peti-
teſſe
du
corps
de
la
lu-
miere
.
petit encore;
un moment d’émanation de
lumiere
détruiroit tout ce qui vegète ſur la
ſurface
de la Terre.
Concevez qu’elle doit
être
la petiteſſe d’une particule de lumiere,
qui
paſſe ſi librement à-travers d’un verre;
& pour avoir quelque idée de l’infini, con-
cevez
ce que doit être une matiere un mil-
lion
de fois plus ſubtile encore, qui paſſe en-
tre
les pores de l’Or &
de l’Aimant, &
3927DE NEUTON. pénétre les Rochers & les entrailles de la
Terre
.
Le Soleil qui nous darde cette matiere
lumineuſe
en ſept ou huit minutes, &
les
Etoiles
, ces autres Soleils, qui nous l’en-
voyent
en pluſieurs années, en fourniſ-
ſent
éternellement, ſans paraître s’épuiſer, à
peu
près comme le Muſc élance ſans ceſſe
autour
de lui des corps odoriférants, ſans
rien
perdre ſenſiblement de ſon poids.
Enfin, la rapidité avec laquelle le Soleil
darde
ſes rayons eſt en proportion avec
ſa
groſſeur, qui ſurpaſſe environ un million
de
fois celle de la Terre, &
avec la vîteſſe
dont
ce Corps de feu immenſe roule ſur lui-
même
en vingt-cinq jours &
demi.
La force, l’illumination, l’intenſité, la den-
ſité
de toute lumiere, eſt calculée Il ſe trou-
ve
par un calcul ſingulier que cette force eſt
préciſément
en même raiſon, que la for-
ce
avec laquelle les corps tombent, &

avec
laquelle Mr.
Neuton fait voir que tous
les
Globes céleſtes s’attirent.
Cette pro-
portion
eſt ce qu’on appelle la raiſon
4028DE LA PHILOSOPHIE verſe du quarré des diſtances. Il faut ſe fa-
miliariſer
avec cette expreſſion.
Elle ſignifie
une
choſe ſimple &
intelligible: c’eſt qu’un
corps
qui ſera expoſé à quatre pieds d’un
11Propor-
tion

dans
la-
quelle

toute

lumiere

agit
.
feu quelconque, ſera ſeize fois moins é-
clairé
&
moins échauffé, recevra ſeize fois
moins
de rayons que le corps qui ſera à un
pied
;
ſeize eſt le quarré de quatre. Or qua-
tre
eſt la diſtance eſt le corps moins
éclairé
, donc la lumiere envoye à ce corps
diſtant
de quatre pieds, non pas quatre fois
moins
de rayons, mais ſeize fois moins de
rayons
.
Voilà ce qu’on appelle la raiſon in-
verſe
du quarré des diſtances, ce qu’il faut
bien
entendre;
car cette proportion ſera un
des
fondemens de la Nouvelle Philoſophie
que
nous tâchons de rendre familiere.
Nous pouvons en paſſant conclure de la
22Pro-
greſſion

de
la lu-
miere
.
Preuve

de
l’im-
poſſibi-
lité
du
plein
.
célérité avec laquelle la ſubſtance du Soleil
s’échappe
ainſi vers nous en ligne droite,
combien
le plein de Deſcartes eſt chiméri-
que
.
Car 10. comment une ligne droite
pourroit-elle
parvenir à nous, à travers
tant
de millions de couches de matiere
mues
en ligne courbe, &
à travers tant de
mouvemens
divers?
20. Comment un
4129DE NEUTON. ſi délié pourroit-il en ſept ou huit minutes
parcourir
l’eſpace de trente millions de nos
lieues
, qui eſt entre le Soleil &
nous, s’il a-
voit
à pénétrer dans cet eſpace une ma-
tiére
réſiſtante?
Il faudroit que chaque ra-
yon
, dérangeât en un moment trente mil-
lions
de lieues de matiére ſubtile.
Remar-
quez
encore que cette prétendue matiére
ſubtile
réſiſteroit dans le plein abſolu, au-
tant
que la matiére la plus compacte.
Car
une
livre de poudre d’or, preſſée dans une
boëte
, réſiſte autant qu’un morceau d’or
peſant
une livre.
Ainſi un rayon du Soleil
auroit
bien plus d’effort à faire, que s’il avoit
à
percer un cone d’or, dont l’axe ſeroit
trente
millions de lieues.
Il y a plus. L’expérience, ce vrai
Maître
de Philoſophie, nous apprend que
la
lumiere en venant d’un Elément dans un
autre
Elément, d’un milieu dans un autre
milieu
, n’y paſſe pas toute entiere, comme
nous
le dirons:
une grande partie eſt ré-
flechie
, l’air en fait rejaillir plus qu’il n’en
transmet
;
ainſi il ſeroit impoſſible qu’il nous
vint
aucune lumiere des Etoiles, elle ſeroit
toute
abſorbée, toute répercutée,
4230DE LA PHILOSOPHIE qu’un ſeul rayon pût ſeulement venir à
moitié
de notre atmoſphére.
Mais dans
les
Chapitres, nous expliquerons
les
principes de la gravitation, nous ver-
rons
une foule d’arguments, qui prou-
vent
que ce plein prétendu étoit un Ro-
man
.
Arrêtons-nous ici un moment pour voir
combien
la Vérité s’établit lentement chez
les
hommes.
Il y a près de cinquante ans que Romer
avoit
démontré par les obſervations ſur les
Eclipſes
des Satellites de Jupiter, que la lu-
miere
émane du Soleil à la Terre en ſept
minutes
&
demie ou environ, cependant
non-ſeulement
on ſoutient encore le con-
traire
dans pluſieurs Livres de Phyſique;
mais voici comme on parle dans un Recueil
en
trois Volumes, tiré des obſervations de
toutes
les Académies de l’Europe, imprimé
en
1730.
page 35. Volume. 1.
Quelques-uns ont prétendu que d’un
Corps
lumineux, comme le Soleil, il ſe fait
un
écoulement continuel d’une infinité
4331DE NEUTON. petites parties inſenſibles, qui portent
la
lumiere juſqu’a nos yeux;
mais cette
opinion
, qui ſe reſſent encore un peu de la
vieille
Philoſophie, n’eſt pas ſoutenable.
Cette opinion eſt pourtant démontrée de
plus
d’une façon:
& loin de reſſentir la
vieille
Philoſophie, elle y eſt directement
contraire
;
car quoi de plus contraire à des
mots
vuides de ſens, que des meſures, des
calculs
, &
des expériences?
10[Figure 10]
44 11[Figure 11]
CHAPITRE DEUX.
La proprietè que la lumiere a de ſe réflecbi@
n’étoit
pas véritablement connue. Elle n’eſt
point
réflechie par les parties ſoli-
des
des corps, comme on
le
croioit.
AYANT ſu ce que c’eſt que la lumie-
re
, d’où elle nous vient, comment &
en
quel
tems elle arrive à nous;
voyons ſes
proprietés
, &
ſes effets ignorés juſqu’à
nos
jours.
Le premier de ſes effets eſt
qu’elle
ſemble rejaillir de la ſurface ſolide
de
tous les objets, pour en apporter dans nos
yeux
les images.
4533DE NEUTON.
Tous les hommes, tous les Philoſophes, &
les
Deſcartes &
les Mallebranches, & ceux
qui
ſe ſont éloignez le plus des penſées vul-
gaires
, ont également cru qu’en effet ce
ſont
les ſurfaces ſolides des corps qui nous
renvoyent
les rayons.
Plus une ſurface eſt
unie
&
ſolide, plus elle fait, dit-on, re-
jaillir
de lumiere;
plus un corps a de pores
larges
&
droits, plus il transmet de rayons
à
travers ſa ſubſtance.
Ainſi le miroir poli
dont
le fond eſt convert d’une ſurface de
vif
argent, nous renvoye tous les rayons;
ainſi ce même miroir ſans vif argent ayant
des
pores droits &
larges & en grand
nombre
, laiſſe paſſer une grande partie des
rayons
.
Plus un corps a de pores larges
&
droits, plus il eſt diaphane: tel eſt, di-
ſoit-on
, le diamant, telle eſt l’eau elle-mê-
me
;
voilà les idées généralement reçues,
&
que perſonne ne révoquoit en doute.
Cependant toutes ces idées ſont entiére-
ment
fauſſes, tant ce qui eſt vraiſemblable,
eſt
ſouvent ce qui eſt le plus éloigné de la
vérité
.
Les Philoſophes ſe ſont jettez en
cela
dans l’erreur, de la même maniere
4634DE LA PHILOSOPHIE le Vulgaire y eſt tout porté, quand il penſe
que
le Soleil n’eſt pas plus grand qu’il le
paroît
aux yeux.
Voici en quoi conſiſtoit
cette
erreur des Philoſophes.
Il n’y a aucun corps dont nous puiſſions
unir
véritablement la ſurface.
Cependant
beaucoup
de ſurfaces nous paraiſſent unies
&
d’un poli parfait. Pourquoi voyons nous
uni
&
égal ce qui ne l’eſt pas? La ſuperfi-
cie
la plus égale, n’eſt par rapport aux pe-
11Aucun
corps

uni
.
tits corps qui compoſent la lumiere, qu’un
amas
de montagnes, de cavitez &
d’inter-
vales
, de même que la pointe de l’éguille
la
plus fine eſt hériſſée en effet d’émi-
nences
&
d’aſpérités que le Microſcope dé-
couvre
.
Tous les faiſceaux des rayons de lumic-
re
qui tomberoient ſur ces inégalités, ſe ré-
flechiroient
ſelon qu’ils y ſeroient tombez;
donc étant inégalement tombez ils ne ſe ré-
flechiroient
jamais réguliérement, donc on
ne
pourroit jamais ſe voir dans une glace.
La lumiere qui nous apporte notre ima-
ge
de deſſus un miroir, ne vient donc
4735DE NEUTON. certainement des parties ſolides de la ſuper-
ficie
de ce miroir;
elle ne vient point non
11Lumie-
re
non
réfle-
chie
par
les
par-
ties
ſo-
lides
.
plus des parties ſolides de mercure &
d’é-
tain
étendues derriere cette glace.
Ces
parties
ne ſont pas plus planes, pas
plus
unies, que la glace même.
Les
parties
ſolides de l’étain &
du mercure
ſont
incomparablement plus grandes,
plus
larges, que les parties ſolides conſ-
tituantes
de la lumiere;
donc ſi les petites
particules
de lumiere tombent ſur ces groſ-
ſes
parties de mercure, elle s’éparpilleront
de
tous côtés comme des grains de plomb
tombant
ſur des platras.
Quel pouvoir in-
connu
fait donc rejaillir vers nous la lumie-
re
réguliérement?
Il paroît déja que ce ne
ſont
pas les corps qui nous la renvoyent
ainſi
.
Ce qui ſembloit le plus connu le
plus
inconteſtable chez les hommes, de-
vient
un myſtère plus grand que ne l’étoit
autrefois
la peſanteur de l’air.
Examinons
ce
Problême de la Nature, notre étonnement
redoublera
.
On ne peut s’inſtruire ici qu’avec
ſurpriſe
.
Prenez un morceau, un cube de criſtal,
par
exemple;
voici tout ce qui arrive
4836DE LA PHILOSOPHIE rayons du Soleil qui tombent ſur ce corps
ſolide
&
tranſparent.
12[Figure 12]
10. Une petite partie des rayons rebon-
diſſent
à vos yeux de ſa premiere ſurface
A
.
ſans toucher même à cette ſurface,
comme
il ſera plus amplement prouvé.
20. Une partie des rayons eſt reçue dans
la
ſubſtance de ce corps, elle s’y joue, s’y
perd
&
s’y éteint.
30. Une troiſième partie parvient à l’in-
térieur
C.
de la ſurface B. & d’auprès de
cette
ſurface B.
elle retourne en A. & quel-
ques
rayons en viennent à vos yeux.
40. Une quatrième partie paſſe dans l’air.
50. Une cinquième partie qui eſt la plus
conſidérable
revient d’au-delà de la ſurface
ultérieure
B.
dans le criſtal, y repaſſe, &
vient
ſe réflechir à vos yeux.
4937DE NEUTON. ici que ces derniers rayons qui, s’échappant
de
la ſurface ultérieure B.
& ayant trou-
l’air, rejailliſſent de deſſus cet air vers
nous
en rentrant à travers le criſtal.
Cer-
tainement
ils n’ont pas rencontré dans cet
air
des parties ſolides ſur leſquelles ils
ayent
rebondi, car ſi au lieu d’air ils ren-
contrent
de l’eau à cette ſurface B.
peu
reviennent
alors, ils entrent dans cette
eau
, ils la pénétrent en grand nombre.
Or
l’eau
eſt environ huit cens fois plus peſan-
te
, plus ſolide, moins rare que l’air.
Ce-
pendant
ces rayons ne rejailliſſent point de
deſſus
cette eau, &
rejailliſſent de deſſus
cet
air dans ce verre, donc ce n’eſt point
des
parties ſolides des corps que la lumiere
eſt
réflechie.
Voici une obſervation plus ſinguliere &
plus
déciſive:
Expoſez dans une chambre
obſcure
ce criſtal A.
B. aux rayons du So-
leil
de façon, que les traits de lumiere par-
venus
à ſa ſuperficie B.
faſſent un angle de
plus
de 40.
degrez avec la perpendicule.
5038DE LA PHILOSOPHIE 13[Figure 13]11Expé-
riences

déciſi-
ves
.
La plûpart de ces rayons alors ne pénétre
plus
dans l’air, ils rentrent tous dans ce
criſtal
à l’inſtant même qu’ils en ſortent,
ils
reviennent, comme vous voyez, mais
cette
courbure eſt inſenſible.
Certainement ce n’eſt pas la ſurface ſoli-
de
de l’air qui les a repouſſés dans ce verre,
pluſieurs
de ces rayons entroient dans l’air
auparavant
, quand ils tomboient moins o-
bliquement
;
pourquoi donc à une obli-
quité
de 40 degrez dix - neuf minutes, la
plûpart
de ces rayons n’y paſſe-t-elle plus?
trouvent-ils à ce degré plus de réſiſtance,
plus
de matiere dans cet air, qu’ils n’en
trouvent
dans ce criſtal qu’ils avoient pé-
nétré
?
trouvent - ils plus de parties
5139DE NEUTON. dans l’air à quarante degrés & un tiers qu’à
40
?
l’air eſt à peu près deux mille quatre cens
fois
plus rare, moins peſant, moins ſolide,
que
le criſtal, donc ces rayons devoient paſſer
dans
l’air avec deux mille quatre cens fois plus
de
facilité, qu’ils n’ont pénétré l’épaiſſeur du
criſtal
.
Cependant, malgré cette prodigieu-
ſe
apparence de facilité, ils ſont repouſſez;
ils le ſont donc par une force qui eſt ici deux
mille
quatre cens fois plus puiſſante que l’air,
ils
ne ſont donc point repouſſez par l’air;
les
rayons
encore une fois ne ſont donc point
réflechis
à nos yeux par les parties ſolides
de
la matiere.
La lumiere rejaillit ſi peu
deſſus
les parties ſolides des corps, que
c’eſt
en effet du vuide qu’elle rejaillit.
Vous venez de voir que la lumiere tom-
bant
à un angle de 40.
degrez 19. minutes
ſur
du criſtal, rejaillit preſque toute entiere
de
deſſus l’air quelle rencontre à la ſurface
ultérieure
de ce criſtal.
Que la lumiere y
tombe
à un angle moindre d’une ſeule mi-
nute
, il en paſſe encore moins hors de
cette
ſurface dans l’air.
Qu’on ôte l’air,
il
ne paſſera plus de rayons du tout.
C’eſt
une
choſe démontrée.
5240DE LA PHILOSOPHIE
Or quand il y a de l’eau à cette ſurface,
beaucoup
de rayons entrent dans cette eau
au
lieu de rejaillir.
Quand il n’y a que de
l’air
, bien moins de rayons entrent dans cet
air
.
Quand il n’y a plus d’air, aucun rayon
ne
paſſe;
donc c’eſt du vuide en effet que
la
lumiere rejaillit.
Voilà donc des preuves indubitables que
ce
n’eſt point une ſuperficie ſolide qui nous
renvoye
la lumiere:
il y a bien d’autres
preuves
encore de cette nouvelle vérité;
en
voici
une que nous expliquerons à ſa place.
Tout corps opaque réduit en lame mince,
laiſſe
paſſer à travers ſa ſubſtance des rayons
d’une
certaine eſpèce, &
réflechit les autres
rayons
:
or, ſi la lumiere étoit renvoyée par
les
corps, tous les rayons qui tomberoient
ſur
ces lames, ſeroient réflechis ſur ces la-
mes
.
Enfin nous verrons que jamais ſi é-
tonnant
paradoxe n’a été prouvé en plus de
manieres
.
Commençons donc par nous fa-
miliariſer
avec ces Vérités.
10. Cette lumiere qu’on croit réflechie par
la
ſurface ſolide des corps, rejaillit en
5341DE NEUTON. fans avoir touché à cette ſurface.
20. La lumiere n’eſt point renvoyée de
derriere
un miroir par la ſurface ſolide du
vif
argent;
mais elle eſt renvoyée du ſein des
pores
du miroir, &
des pores du vif argent
même
.
30. Il ne faut point, comme on l’a penſé
juſques
à préſent, que les pores de ce vif ar-
gent
ſoient très-petits pour réflechir la lu-
miere
, au contraire il faut qu’ils ſoient
larges
.
Ce ſera encore un nouveau ſujet de ſur-
11Plus les
pores

ſont
pe-
tits
plus
la
lumie-
re
paſſe.
priſe pour ceux qui n’ont pas étudié
cette
Philoſophie, d’entendre dire que
le
ſecret de rendre un corps opaque, eſt
ſouvent
d’élargir ſes pores, &
que le moyen
de
le rendre tranſparent eſt de les étrecir.
L’ordre de la Nature paraitra tout changé:
ce
qui ſembloit devoir faire l’opacité, eſt
préciſément
ce qui opérera la tranſparence;

&
ce qui paraiſſoit rendre les corps tranſ-
parens
, ſera ce qui les rendra opaques.
Ce-
pendant
rien n’eſt ſi vrai, &
l’expérience
la
plus groſſiére le démontre.
Un papier ſec, dont les pores ſont
5442DE LA PHILOSOPHIE larges, eſt opaque, nul rayon de lumiere
ne
le traverſe:
étreciſſez ſes pores en l’im-
bibant
, ou d’eau ou d’huile, il devient
tranſparent
;
la même choſe arrive au lin-
ge
, au ſel, &
c.
Il y a donc des principes ignorés qui opé-
rent
ces merveilles, des cauſes qui font re-
jaillir
la lumiere, avant qu’elle ait touché
une
ſurface, qui la renvoyent des pores du
corps
tranſparent, qui la ramenent du mi-
lieu
même du vuide;
nous ſommes invinci-
blement
obligés d’admettre ces faits, quelle
qu’en
puiſſe être la cauſe.
Etudions donc les autres myſtères de la
lumiere
, &
voyons ſi de ces effets ſurpre-
nans
, on remonte juſqu’à quelque Principe
inconteſtable
, qu’il faille admettre auſſi-
bien
que ces effets même.
14[Figure 14]
55 15[Figure 15]
CHAPITRE TROIS.
De la proprieté que la lumiere a de ſe briſer
en
paſſant d’une ſubſtance dans une autre,
&
de prendre un nouveau chemin.
LA SECONDE proprieté des rayons
de
la lumiere qu’il faut bien examiner,
eſt
celle de ſe détourner de leur chemin en
paſſant
du Soleil dans l’air, de l’air dans le
verre
, du verre dans l’eau, &
c. C’eſt cette
nouvelle
direction dans ces différens mi-
lieux
, c’eſt ce briſement de la lumiere
5644DE LA PHILOSOPHIE appelle réfraction, c’eft par cette proprie-
qu’une rame plongée dans l’eau parait
courbée
au Matelot qui la manie;
c’eſt ce
qui
fait que dans une jatte nous ap-
percevrons
, en y jettant de l’eau, l’objet que
nous
n’appercevions pas auparavant en nous
tenant
à la même place.
Enfin c’eſt par le moyen de cette réfrac-
tion
que nos yeux jouïſſent de la vûe.
Les
fecrets
admirables de la réfraction étoient
ignorés
de l’Antiquité, qui cependant l’avoit
ſous
les yeux, &
dont on faiſoit uſage tous
les
jours, ſans qu’il ſoit reſté un ſeul Ecrit,
qui
puiſſe faire croire qu’on en eût deviné
la
raiſon.
Ainſi encore aujourd’hui nous igno-
rons
la cauſe des mouvemens même de no-
tre
corps, &
des penſèes de notre ame;
mais cette ignorance eſt différente. Nous
n’avons
&
nous n’aurons jamais d’Inſtru-
ment
aſſez fin pour voir les premiers reſſorts
de
nous - mêmes;
mais l’induſtrie hurnai-
ne
s’eſt faite de nouveaux yeux, qui Bous
ont
fait appercevoir ſur les effets de la lu-
miere
, preſque tout ce qu’il eſt permis aux
hommes
d’en ſavoir.
5745DE NEUTON.
Il ſaut ſe faire ici une idée nette d’une
11Com-
ment

la
lu-
miere

ſe
bri-
ſe
.
expérience três-commune.
Une pièce d’or
eſt
dans ce baſſin:
votre œil eſt placé au
bord
du baſſin à telle diſtance, que vous
ne
voyez point cette pièce:
16[Figure 16]
Qu’on y verſe de l’eau, vous ne l’apper-
perceviez
point d’abord elle étoit:
main-
tenant
vous la voyez elle n’eſt pas;
qu’eſt-il arrivé?
L’objet A. réflechit un rayon qui vient
frapper
contre le bord du baſſin, &
qui
n’arrivera
jamais à votre œil:
il réflechit
auſſi
ce rayon A.
B. qui paſſe
5846DE LA PHILOSOPHIE votre œil: or à préſent vous recevez ce
rayon
A.
B. C. ce n’eſt point votre œil qui a
changé
de place, c’eſt donc le rayon A.
B. ;
il
s’eſt manifeſtement detourné au bord de
ce
baſſin en paſſant de l’eau dans l’air, ainſi
il
frappe votre œil en C.
17[Figure 17]
Mais vous voyez toujours les objets en li-
gne
droite, donc vous voyez l’objet ſuivant
la
ligne droite C.
D. donc vous voyez l’ob-
jet
au point D.
au - deſſus du lieu il eſt
en
effet.
Si ce rayon ſe briſe en un ſens, quand il
paſſe
de l’eau dans l’air, il doit ſe briſer en
un
ſens contraire, quand il entre de l’air
dans
l’eau.
5947DE NEUTON. 18[Figure 18]
J’élève ſur cette eau une perpendiculaire,
le
rayon A.
qui partant du point lumineux
ſe
briſe au point B.
& s’approche dans l’eau
de
cette perpendiculaire en ſuivant le che-
min
B.
D. & ce même rayon D. B. en paſ-
ſant
de l’eau dans l’air, ſe briſe en allant
vers
A.
, & en s’éloignant de cette même
perpendiculaire
;
la lumiere ſe réfracte donc
ſelon
les milieux qu’elle traverſe.
C’eſt ſur
ce
Principe que la Nature a diſpoſé les hu-
meurs
différentes qui ſont dans nos yeux,
afin
que les traits de lumiere, qui paſſent à
travers
ces humeurs, ſe briſent de façon
qu’ils
ſe réuniſſent après dans un point ſur
notre
rétine:
c’eſt enfin ſur ce Principe
6048DE LA PHILOSOPHIE nous fabriquons les Lunettes dont les ver-
res
éprouvent des réfractions encore plus
grandes
qu’il ne s’en fait dans nos yeux, &

qui
, apportant ainſi plus de rayons réunis,
peuvent
étendre, juſqu’à deux cens fois,
la
force de notre vûe;
de même que l’in-
vention
des leviers a donné une nouvelle
force
à nos bras, qui ſont des leviers natu-
rels
.
Nous allions expliquer la raiſon que
Neuton
a trouvée de cette proprieté de la
lumiere
;
mais vous voulez voir auparavant
comment
cette réfraction agit dans nos
yeux
, &
comment le ſens de la vûe, le
plus
étendu de tous nos Sens, doit ſon exiſ-
tence
à la réfraction.
Quelque connue que
ſoit
cette matiere, il eſt bon de fortifier
par
un nouvel examen les idées que vous en
avez
.
Les perſonnes qui pourront lire ce
petit
Ouvrage, ſeront bien-aiſes de ne point
chercher
ailleurs ce qu’elles deſireroient ſa-
voir
touchant la vûe.
19[Figure 19]
61 20[Figure 20]
CHAPITRE QUATRE.
De la conformation de nos yeux, comment la
lumiere
entre & agit dans cet organe.
POur connaitre l’œil de l’homme en phy-
ſicien
qui ne conſidere que la viſion, il
11Deſcrip-
tion
de
l’œil
.
faut d’abord ſavoir que la premiere enve-
loppe
blanche, le rempart &
l’ornement de
l’œil
, ne tranſmet aucun rayon.
Plus ce
blanc
de l’œil eſt fort &
uni, plus il ré-
flechit
de lumiere;
& lorſque quelque paſ-
ſion
vive porte au viſage de nouveaux
eſprits
, qui viennent encore tendre &
6250DE LA PHILOSOPHIE ler cette tunique, alors des étincelles ſem-
blent
en ſortir.
Au milieu de cette membrane s’éleve un
peu
la cornée, mince, dure &
tranſparen-
te
, telle précifément que le verre de votre
montre
que vous placeriéz en cette façon
ſur
une boule.
21[Figure 21]
Sous cette cornée, eſt l’iris, autre membrane,
qui
, colorée par elle-même, répand ſes cou-
leurs
ſur cette cornée transparente qui la cou-
vre
;
c’eſt cette iris tantôt brune, tantôt bleue,
qui
rend les yeux bleus ou noirs.
Elle eſt
percée
dans ſon milieu, qui ainſi paroît tou-
jours
noir;
& ce milieu eſt la prunelle de
l’œil
.
C’eſt par cette ouverture que ſont
introduits
les rayons de la lumiere:
elle s’a-
grandit
par un mouvement involontaire
dans
les endroits obſcurs, pour recevoir
6351DE NEUTON. de rayons; elle ſe reſſerre enſuite, lorſqu’u-
ne
grande clarté l’offenſe.
Les rayons admis par cette prunelle ont
déja
ſouffert une réfraction aſſez forte en
paſſant
à travers la cornée dont elle eſt cou-
verte
.
Imaginez cette cornée comme le ver-
re
de votre montre, il eſt convexe en de-
hors
, &
concave en dedans: tous les
rayons
obliques ſe ſont briſés dans l’épaiſ-
ſeur
de ce verre;
mais enſuite ſa concavité
rétablit
ce que ſa convéxité a briſé.
La
méme
choſe arrive dans notre cornée.
Les
rayons
ainſi rompus &
briſés, trouvent a-
près
avoir franchi la cornée, une hu-
meur
transparente dans laquelle ils paſſent.
Cette eau eſt nommée l’humeur aqueuſe.
Les
Anatomiſtes ne s’accordent point en-
core
entr’eux ſur la forme de ce petit ré-
ſervoir
.
Mais, quelle que ſoit ſa figu-
re
, la Nature ſemble avoir placé cette
humeur
claire &
limpide, pour opérer des
réfractions
, pour transmettre purement la
lumiere
, pour que le criſtallin, qui eſt der-
riere
, puiſſe s’avancer ſans effort, &
changer
librement
de figure, pour que l’humidité
néceſſaire
s’entretienne, &
c.
6452DE LA PHILOSOPHIE
Enfin, les rayons étant ſortis de cette eau
trouvent
une eſpèce de diamant liquide,
taillé
en lentille, &
enchaſſé dans une
membrane
déliée &
diaphane elle-même.
Ce diamant eſt le criſtallin, c’eſt lui
qui
rompt tous les rayons obliques, c’eſt
un
principal organe de la réfraction &

de
la vûe;
parfaitement ſemblable en cela
à
un Verre lenticulaire de Lunette.
Soit
ce
criſtallin ou ce Verre lenticulaire.
22[Figure 22]
Le rayon perpendiculaire A. le pénétre,
ſans
ſe détourner;
mais les rayons
6553DE NEUTON. B. A. C. ſe détournent dans l’épaiſſeur du
Verre
en s’approchant des perpendiculai-
res
, qu’on tireroit ſur les endroits ils tom-
bent
.
Enſuite quand ils ſortent du Verre
pour
paſſer dans l’air, ils ſe briſent encore en
s’éloignant
du perpendicule;
ce nouveau
briſement
eſt préciſément ce qui les fait
converger
en D.
foyer du Verre lenticu-
laire
.
Or la rétine, cette membrane legére, cet-
te
expanſion du nerf optique, qui tapiſſe
le
fond de notre œil, eſt le foyer du criſtal-
lin
:
c’eſt à cette rétine que les rayons abou-
tiſſent
:
mais avant d’y parvenir, ils ren-
contrent
encore un nouveau milieu qu’ils
traverſent
;
ce nouveau milieu eſt l’humeur
vitrée
, moins ſolide que le criſtallin, moins
fluide
que l’humeur aqueuſe.
C’eſt dans cette humeur vitrée que les
rayons
ont le tems de s’aſſembler, avant de
venir
faire leur derniere réunion ſur les
points
du fond de notre œil.
Figurez-vous
donc
ſous cette lentille du criſtallin, cette
humeur
vitrée ſur laquelle le criſtallin s’ap-
puye
;
cette humeur tient le criſtallin
6654DE LA PHILOSOPHIE ſa concavité, & eſt arondie vers la rétine.
Les rayons en s’échapant de cette der-
niere
humeur achevent donc de converger.
Chaque faiſceau de rayons parti d’un point
de
l’objet vient fraper un point de notre
rétine
.
Une figure, chaque partie de l’œil
ſe
voit ſous ſon propre nom, expliquera
mieux
tout cet artifice, que ne pourroient
faire
des lignes, des A.
& des B. La ſtruc-
ture
des yeux ainſi développée, on peut con-
naitre
aiſément pourquoi on à ſi ſouvent
beſoin
du ſecours d’un Verre, &
quel eſt
l’uſage
des Lunettes.
Souvent un œil ſera trop plat, ſoit par
11Oeil
presbi-
te
.
la conformation de ſa cornée, ſoit par ſon
criſtallin
, que l’âge ou la maladie aura deſſe-
ché
;
alors les réfractions ſeront plus fai-
bles
&
en moindre quantité, les rayons ne
ſe
raſſembleront plus ſur la rétine.
Conſi-
dérez
cet œil trop plat que l’on nomme œil
de
presbite.
Ne regardons, pour plus de facilité,
6723[Figure 23]
68
[Empty page]
69
[Empty page]
7024[Figure 24]
7155DE NEUTON. trois faiſceaux, trois cones des rayons, qui
de
l’objet tombent ſur cet œil, ils ſe réuni-
ront
aux points A.
A. A. par delà la rétine,
il
verra les objets confus.
La Nature a fourni un ſecours contre
cet
inconvénient, par la force qu’elle a
donnée
aux muſcles de l’œil d’allonger, ou
d’aplatir
l’œil, de l’approcher ou de le re-
culer
de la rétine.
Ainſi dans cet œil de
Vieillard
, ou dans cet œil malade, le criſtal-
lin
a la faculté de s’avancer un peu, &
d’aller
en
D.
D. : alors l’eſpace entre le criſtallin &
le
fond de la rétine deviennent plus grands,
les
rayons ont le tems de venir ſe réunir ſur
la
rétine, au lieu d’aller au-delà;
mais lorſ-
que
cette force eſt perdue, l’induſtrie hu-
maine
y ſupplée, un verre lenticulaire eſt
mis
entre l’objet &
l’œil affaibli. L’effet de
ce
verre eſt de rapprocher les rayons qu’il
a
reçus, l’œil les reçoit donc &
plus raſſem-
blés
&
en plus grand nombre: ils vien-
nent
aboutir à un point de la rétine comme
il
le faut;
alors la vûe eſt nette & diſ-
tincte
.
Regardez cet autre œil, qui a une
7256DE LA PHIL OSOPHIE die contraire, il eſt trop rond: les rayons ſe
réuniſſent
trop tôt, comme vous le voyez
au
point B.
ils ſe croiſent trop vîte, ils ſe
ſéparent
en B.
& vont faire une tache ſur
la
rétine.
C’eſt-là ce qu’on appelle un œil
11Oeil
myope
.
myope.
Cet inconvénient diminue à me-
ſure
que l’âge en amene d’autres, qui ſont
la
ſéchereſſe &
la faibleſſe: elles aplatiſ-
ſent
inſenſiblement cet œil trop rond;
&
voilà
pourquoi on dit que les vûes courtes
durent
plus long-tems.
Ce n’eſt pas qu’en
effet
elles durent plus que les autres, mais
c’eſt
qu’à un certain âge, l’œil deſſeché s’a-
platit
:
alors celui qui étoit obligé aupara-
vant
d’approcher ſon Livre à trois ou qua-
tre
pouces de ſon œil, peut lire quelquefois
à
un pied de diſtance:
mais auſſi ſa vûe de-
vient
bien-tôt trouble &
confuſe, il ne
peut
voir les objets éloignés;
telle eſt no-
tre
condition, qu’un défaut ne ſe répare
presque
jamais que par un autre.
Or, tandis que cet œil eſt trop rond, il lui
faut
un Verre qui empêche les rayons de ſe
réunir
ſi vîte.
Ce Verre fera le contraire du
premier
, au lieu d’être convexe des deux cô-
tés
, il ſera un peu concave des deux
7325[Figure 25]
74
[Empty page]
7557DE NEUTON. tés, & les rayons divergeront dans celui-
ci
, au lieu qu’ils convergeroient dans l’au-
tre
.
Ils viendront par conſéquent ſe réu-
nir
plus loin, qu’ils ne faiſoient auparavant
dans
l’œil, &
alors cet œil jouïra d’une
vûe
parfaite.
On proportionne la convéxité
&
la concavité des Verres aux défauts de
nos
yeux:
c’eſt ce qui fait que les mêmes
Lunettes
qui rendent la vûe nette à un
Vieillard
, ne ſeront d’aucun ſecours à un
autre
;
car il n’y a ni deux maladies, ni
deux
hommes, ni deux choſes au monde
égales
.
L’Antiquité ne connaiſſoit point ces Lu-
nettes
.
Cependant elle connaiſſoit les Mi-
roirs
ardents;
une vérité découverte n’eſt
pas
toujours une raiſon pour qu’on décou-
vre
les autres véritéz qui y tiennent.
L’at-
traction
de.
l’Aimant étoit connue, & ſa
direction
échapoit aux yeux.
La démons-
tration
de la circulation du ſang étoit dans
la
ſaignée même que pratiquoient tous les
Médecins
Grecs, &
cependant perſonne
ne
ſe doutoit que le ſang circulât.
Il y a grande apparence que c’eſt du
7658DE LA PHIL OSOPHIE de Roger Bacon au XIII. Siècle que l’on
trouva
ces lunettes appellées beſicles, &

les
loupes qui donnent de nouveaux yeux
aux
Vieillards;
car il eſt le premier qui en
parle
.
Vous venez de voir les effets que la ré-
fraction
fait dans vos yeux, ſoit que les
rayons
arrivent ſans ſecours intermédiaire,
ſoit
qu’ils ayent traverſé des criſtaux:
vous
concevez
que ſans cette réfraction opérée
dans
nos yeux, &
ſans cette réflexion des
rayons
de deſſus les ſurfaces des corps vers
nous
, les organes de la vûe nous ſeroient
inutiles
.
Les moyens que la Nature employe
pour
faire cette réfraction, les loix qu’el-
le
ſuit, ſont des myſtères que nous allons
déveloper
.
Il faut auparavant achever ce
que
nous avons à dire touchant la vûe, il
faut
ſatisfaire à ces queſtions ſi naturelles:
Pourquoi nous voyons les objets au - delà
d’un
Miroir, &
non ſur le Miroir même?
Pourquoi
un Miroir concave rend l’objet
plus
grand?
Pourquoi le Miroir convexe
rend
l’objet plus petit?
Pourquoi les Teleſ-
copes
rapprochent &
agrandiſſent les cho-
ſes
?
Par quel artifice la Nature nous
7759DE NEUTON. connaitre les grandeurs, les diſtances, les
ſituations
?
Quelle eſt enfin la véritable rai-
ſon
, qui fait que nous voyons les objets tels
qu’ils
ſont, quoique dans nos yeux ils ſe
peignent
renverſez?
Il n’y a rien qui ne
mérite
la curioſité de tout Etre penſant;
mais nous ne nous étendrions pas ſur ces
ſujets
que tant d’illuſtres Ecrivains ont
traités
, &
nous renverrions à eux, ſi nous
n’avions
pas à faire connaitre quelques vé-
rités
aſſez nouvelles, &
curieuſes pour un
petit
nombre de Lecteurs.
26[Figure 26]
78 27[Figure 27]
CHAPITRE CINQ.
Des Miroirs, des Teleſcopes: des Raiſons que
les
Matbématiques donnent des myſtè-
res
de la viſion; que ces raiſons ne
ſont
point du tout ſuffiſantes.
LES RAYONS qu’une Puiſſance, juſ-
qu’à
nos jours inconnue, fait rejailli@
à
vos yeux de deſſus la ſurface d’un Miroir,
ſans
toucher à cette ſurface, &
des pores de
ce
Miroir, ſans toucher aux parties ſolides;
ces rayons, dis-je, retournent à vos
7961DE NEUTON. dans le même ſens qu’ils ſont arrivés à ce
Miroir
.
Si c’eſt votre viſage que vous re-
gardez
, les rayons partis de votre viſage
parallèlement
&
en perpendiculaire ſur le
Miroir
, y retournent de même qu’une bal-
le
qui rebondit perpendiculairement ſur le
plancher
.
Si vous regardez dans ce Miroir M. un
11Miroir
plan
.
objet qui eſt à côté de vous comme A.
il
arrive
aux rayons partis de cet objet la mê-
me
choſe qu’à une balle, qui rebondiroit
en
B.
eſt votre œil. C’eſt ce qu’on ap-
pelle
l’angle d’incidence égal à l’angle de
réflexion
.
28[Figure 28]
8062DE LA PHIL OSOPHIE 29[Figure 29]
La ligne A. C. eſt la ligne d’incidence, la
ligne
C.
B. eſt la ligne de réflexion. On
ſait
aſſez, &
le ſeul énoncé le démontre,
que
ces lignes forment des angles égaux ſur
la
ſurface de la glace;
maintenant pour-
quoi
ne vois-je l’objet ni en A.
il eſt,
ni
dans C.
dont viennent à mes yeux les
rayons
, mais en D.
derriere le Miroir
même
?
La Géométrie vous dira: c’eſt que
8163DE NEUTON. d’incidence eſt égal à l’angle de réflexion:
c’eſt que votre œil en B. rapporte l’objet
en
D.
; c’eſt que les objets ne peuvent agir
ſur
vous qu’en ligne droite, &
que la ligne
droite
continuée dans votre œil B.
juſques
derriere
le miroir en D.
eſt auſſi longue que
la
ligne A C.
& la ligne C B. priſes en-
ſemble
.
Enfin elle vous dira encore: vous ne
voyez
jamais les objets que du point les
rayons
commencent à diverger.
Soit ce
Miroir
M.
I.
30[Figure 30]
8264DE LA PHILOSOPHIE 31[Figure 31]
Les faiſceaux de rayons qui partent
de
chaque point de l’objet A, commen-
cent
à diverger dès l’inſtant qu’ils par-
tent
de l’objet;
ils arrivent ſur la ſur-
face
du Miroir:
chacun de ces rayons
11Miroir
plan
.
tombe, s’écarte, &
ſe réflechit vers l’œil.
Cet œil les rapporte aux points D. D. au
bout
des lignes droites, ces mêmes rayons
ſe
rencontreroient;
mais en ſe rencontrant
aux
points D.
D. ces rayons feroient la mê-
me
choſe qu’aux points A.
A. ils
8365DE NEUTON. ceroient à diverger; donc vous voyez l’ob-
jet
A.
A. aux points D. D.
Ces angles & ces lignes ſervent, ſans
doute
, à vous donner une intelligence de
cet
artifice de la Nature;
mais il s’en faut
beaucoup
qu’elles puiſſent vous apprendre
la
raiſon Phyſique efficiente, pourquoi votre
ame
rapporte ſans héſiter l’objet au-delà du
Miroir
à la même diſtance qu’il eſt au deçà.
Ces lignes vous repréſentent ce qui arrive,
mais
elles ne vous apprennent point pour-
quoi
cela arrive.
Si vous voulez ſavoir comment un Miroir
convexe
diminue les objets, &
comment un
Miroir
concave les augmente, ces lignes
d’incidence
&
de réflexion vous en rendront
la
même raiſon.
On vous dit: Ce cone de rayons qui di-
11Miroir
con-
vexe
.
verge du point A.
& qui tombe ſur ce Mi-
roir
convexe, y fait des angles d’incidence
égaux
aux angles de réflexion, dont les li-
gnes
vont dans notre œil.
Or ces angles
ſont
plus petits que s’ils étoient tombés ſur
une
ſurface plane, donc s’ils ſont
8466DE LA PHILOSOPHIE paſſer en B. ils y convergeront bien plutôt,
donc
l’objet qui ſeroit en B.
B. ſeroit plus
petit
.
32[Figure 32]
Or votre œil rapporte l’objet en B. B.
aux points d’où les rayons commence-
roient
à diverger, donc l’objet doit vous pa-
raitre
plus petit, comme il l’eſt en effet dans
cette
figure.
Par la même raiſon qu’il pa-
rait
plus petit, il vous parait plus près,
puiſqu’en
effet les points aboutiroient les
rayons
B.
B. ſont plus près du Miroir que
ne
le ſont les rayons A.
A.
8567DE NEUTON. 33[Figure 33]
Par la raiſon des contraires, vous devez
voir
les objets plus grands &
plus éloignés
dans
un Miroir concave, en plaçant l’ob-
jet
aſſez près du Miroir.
Car les cones des rayons A. A. venant
à
diverger ſur le Miroir aux points ces
rayons
tombent, s’ils ſe réflechiſſoient à
travers
ce Miroir, ils ne ſe réuniroient qu’en
B
.
B. donc c’eſt en B. B. que vous
8668DE LA PHILOSOPHIE voyez. Or B. B. eſt plus grand & plus
éloigné
du Miroir que n’eſt A.
A. donc
vous
verrez l’objet plus grand, &
plus loin.
Voilà en général ce qui ſe paſſe dans les
rayons
réflechis à vos yeux, &
ce ſeul Prin-
cipe
, que l’angle d’incidence eſt toujours
égal
à l’angle de réflexion, eſt le premier
fondement
de tous les myſtères de la Catop-
trique
.
MAINTENANT il s’agit de ſavoir,
comment
les lunettes augmentent ces gran-
deurs
&
raprochent ces diſtances. Enfin
pourquoi
les objets ſe peignant renverſés
dans
vos yeux, vous les voyez cependant
comme
ils ſont.
A l’égard des grandeurs & des diſtan-
ces
, voici ce que les Mathématiques vous
en
apprendront.
Plus un objet fera dans
votre
œil un grand angle, plus l’objet vous
paraitra
grand:
rien n’eſt plus ſimple.
11Expli-
cations

géomé-
triques

de
la vi-
ſion
.
Cette ligne H.
K. que vous voyez, à cent
pas
, trace un angle dans l’œil A.
(figure
premiere
);
à deux cens pas, elle trace un
angle
la moitié plus petit dans l’œil B.
87
[Empty page]
8834[Figure 34]
8969DE NEUTON. (figure ſeconde). Or l’angle qui ſe forme
dans
votre rétine &
dont votre rétine eſt
la
baze, eſt comme l’angle dont l’objet eſt
la
baze.
Ce ſont des angles oppoſez au ſom-
met
:
donc par les premieres notions des E-
lémens
de la Géométrie ils ſont égaux;
donc
ſi
l’angle formé dans l’œil A.
eſt double de
l’angle
formé dans l’œil B.
, cet objet paraitra
une
fois plus grand à l’œil A.
qu’à l’œil B.
Maintenant pour que l’œil étant en B.
voye l’objet auſſi grand, que le voit l’œil en
A
.
, il faut faire en ſorte que cet œil B. re-
çoive
un angle auſſi grand que celui de l’œil
A
.
qui eſt une fois plus près. Les verres
d’un
téleſcope feront cet effet.
Ne mettons ici qu’un ſeul verre pour plus
de
facilité, &
faiſons abſtraction des autres
effets
de pluſieurs verres.
L’objet H. K.
(troiſième figure) envoye ſes rayons à
ce
verre.
Ils ſe réuniſſent à quelque diſtance
du
verre.
Concevons un verre taillé de
ſorte
, que ces rayons ſe croiſent pour aller
former
dans l’œil en C.
un angle auſſi grand
que
celui de l’œil en A.
alors l’œil, nous
dit-on
, juge par cet angle.
Il voit
9070DE LA PHILOSOPHIE alors l’objet de la même grandeur, que le
voit
l’œil en A.
Mais en A. il le voit à
cent
pas de diſtance:
donc en C. recevant
le
même angle, il le verra encore à cent
pas
de diſtance.
Tout l’effet des verres de
lunettes
multipliez, &
des téleſcopes divers,
&
des microſcopes qui agrandiſſent les ob-
jets
, conſiſte donc à faire voir les choſes
ſous
un plus grand angle.
L’objet A. B.
eſt vu par le moyen de ce verre ſous l’an-
gle
D, C, D.
qui eſt bien plus grand que
l’angle
A, C, B.
35[Figure 35]
Vous demandez encore aux règles d’op-
tique
, pourquoi vous voyez les objets
9171DE NEUTON. leur ſituation, quoiqu’ils ſe peignent ren-
verſez
ſur notre rétine?
Le rayon qui part de la tête de cet hom-
me
A.
, vient au point inférieur de votre
rétine
A.
ſes pieds B. ſont vus par les rayons
B
.
B. au point ſupérieur de votre rétine B.
Ainſi cet homme eſt peint reellement la tê-
te
en bas &
les pieds en haut au fond de
vos
yeux.
Pourquoi donc ne voyez-vous
pas
cet homme renverſé, mais droit, &
tel
qu’il
eſt?
36[Figure 36]
Pour réſoudre cette queſtion, on ſe ſert de
la
comparaiſon de l’aveugle, qui tient dans
ſes
mains deux bâtons croiſez avec leſquels
il
devine très-bien la poſition des objets.
9272DE LA PHILOSOPHIE 37[Figure 37]
Car le point A. , qui eſt à gauche, é-
tant
ſenti par la main droite à l’aide du bâ-
ton
, il le juge auſſi-tôt à gauche;
& le point
B
.
que ſa main gauche a ſenti par l’entre-
miſe
de l’autre bâton, il le juge à droite
ſans
ſe tromper.
Tous les Maîtres d’optique nous diſent
donc
, que la partie inférieure de l’œil rap-
portetout
d’un coup ſa ſenſation à la partie
ſupérieure
A.
de l’objet, & que la partie
ſupérieure
de la rétine rapporte auſſi natu-
rellement
la ſenſation à la partie inférieure
B
.
; ainſi on voit l’objet dans ſa ſituation
véritable
.
9373DE NEUTON.
Quand vous aurez connu parfaitement
11Nul rap-
port
im-
médiat

entre
les
règles

d’opti-
que
&
nos
ſen-
ſations
.
tous ces angles, &
toutes ces lignes Mathé-
matiques
, par leſquelles on ſuit le chemin
de
la lumiere juſqu’au fond de l’œil, ne
croyez
pas pour cela ſavoir comment vous
appercevez
les grandeurs, les diſtances, les
ſituations
des choſes.
Les proportions géo-
métriques
de ces angles &
de ces lignes ſont
juſtes
, il eſt vrai;
mais il n’y a pas plus de
rapport
entr’elles &
nos ſenſations, qu’en-
tre
le ſon que nous entendons &
la gran-
deur
, la diſtance, la ſituation de la choſe
entendue
.
Par le ſon, mon oreille eſt frap-
pée
;
j’entends des tons & rien de plus. Par
la
vûe, mon œil eſt ébranlé;
je vois des
couleurs
&
rien de plus. Non-ſeulement
les
proportions de ces angles, &
de ces li-
gnes
, ne peuvent en aucune maniere être
la
cauſe immédiate du jugement que je for-
me
des objets;
mais en pluſieurs cas ces
proportions
ne s’accordent point du tout
avec
la façon dont nous voyons les objets.
Par exemple, un homme vu à quatre pas,
22Exem-
ple
en
preuve
.
&
à huit pas, eſt vu de même grandeur.
Cependant l’image de cet homme, à
9474DE LA PHILOSOPHIE pas, eſt préciſément double dans votre œil,
de
celle qu’il y trace à quatre pas.
Les an-
gles
ſont différens, &
vous voyez l’objet
toujours
également grand;
donc il eſt évi-
dent
par ce ſeul exemple, choiſi entre plu-
ſieurs
, que ces angles &
ces lignes ne ſont
point
du tout la cauſe immédiate de la ma-
niere
dont nous voyons.
Avant donc de continuer les recherches
que
nous avons commencées ſur la lumiere,
&
ſur les loix mécaniques de la Nature,
vous
m’ordonnez de dire ici comment les
idées
des diſtances, des grandeurs, des ſi-
tuations
, des objets, ſont reçues dans notre
ame
.
Cet examen nous fournira quelque
choſe
de nouveau &
de vrai, c’eſt la ſeule
excuſe
d’un Livre.
38[Figure 38]
95 39[Figure 39]
CHAPITRE SIXIEME.
Comment nous connaiſſons les diſtances, les
grandeurs
, les figures, les ſituations.
CCOMMENÇONS par la diſtance.
11Les an-
gles
, ni
les
li-
gnes
op-
tiques
,
ne
peu-
vent

nous

faire

connai-
tre
les
diſtan-
ces
.
Il eſt clair qu’elle ne peut être apper-
çue
immédiatement par elle-méme;
car la
diſtance
n’eſt qu’une ligne de l’objet à nous.
Cette ligne ſe termine à un point, nous ne
ſentons
donc que ce point;
& ſoit que l’ob-
jet
exiſte à mille lieues, ou qu’il ſoit à un
pied
, ce point eſt toujours le même.
9676DE LA PHILOSOPHIE
Nous n’avons donc aucun moyen im-
médiat
, pour appercevoir tout d’un coup la
diſtance
, comme nous en avons, pour ſen-
tir
par l’attouchement, ſi un corps eſt dur
ou
mou;
par le goût, s’il eſt doux ou amer;
par l’ouïe, ſi de deux ſons l’un eſt grave
&
l’autre aigu. Il faut donc que l’idée de
la
diſtance nous vienne par le moyen d’une
autre
idée intermédiaire:
mais il faut au
moins
que j’apperçoive cette intermédiaire;

car
une idée que je n’aurai point, ne ſer-
vira
certainement pas à m’en faire avoir
une
autre.
Je dis qu’une telle maiſon eſt à
un
mille d’une telle riviére;
mais ſi je ne
ſai
pas eſt cette riviére, je ne fai cer-
tainement
pas eſt cette maiſon.
Un corps
cède
aiſément à l’impreſſion de ma main;
je
conclus
immédiatement ſa molleſſe.
Un au-
tre
réſiſte, je fens immédiatement ſa dure-
;
il faudroit donc que je ſentiſſe les angles
formés
dans mon œil, pour en conclure im-
médiatement
les diſtances des objets.
Mais
perſonne
ne s’aviſe de ſonger à ces angles
quand
il regarde un objet.
La plûpart des
hommes
ne ſavent pas même ſi ces angles
exiſtent
:
donc il eſt évident que ces
9777DE NEUTON. gles ne peuvent être la cauſe immédiate de
ce
que vous connaiſſez les diſtances.
Celui qui, pour la premiere fois de ſa vie,
11Exem-
ple
en
preu-
ve
.
entendroit le bruit du Canon, ou le ſon d’un
Concert
, ne pourroit juger ſi on tire ce ca-
non
, ou ſi on exécute ce concert à une
lieue
, ou à trente pas.
Il n’y a que l’ex-
périence
qui puiſſe l’accoutumer à juger de
la
diſtance qui eſt entre lui &
l’endroit d’où
part
ce bruit.
Les vibrations, les ondula-
tions
de l’air, portent un ſon à ſes oreilles,
ou
plutôt à ſon ame;
mais ce bruit n’aver-
tit
pas plus ſon ame de l’endroit le bruit
commence
, qu’il ne lui apprend la forme
du
canon ou des inſtrumens de Muſique.
C’eſt la même choſe préciſément par rap-
port
aux rayons de lumiere qui partent d’un
objet
, ils ne nous apprennent point du tout
eſt cet objet.
Ils ne nous font pas connaitre davanta-
22Ces li-
gnes
op-
tiques

ne
font
connai-
tre
ni les
gran-
deurs
ni
les
figu-
res
.
ge les grandeurs ni même les figures.
Je vois de loin une eſpèce de petite Tout.
J’avance, j’apperçois, & je touche un
9878DE LA PHILOSOPHIE Bâtiment quadrangulaire. Certainement ce
que
je vois &
ce que je touche, n’eſt pas
ce
que je voiois.
Ce petit objet rond qui
étoit
dans mes yeux, n’eſt point ce grand
Bâtiment
quarré.
Autre choſe eſt donc l’objet meſurable
&
tangible, autre choſe eſt l’objet viſible.
J’entends de ma chambre le bruit d’un ca-
11Exem-
ple
en
preu-
ve
.
roſſe:
j’ouvre la fenêtre & je le vois; je
deſcends
&
j’entre dedans. Or ce caroſſe
que
j’ai entendu, ce caroſſe que j’ai vu, ce
caroſſe
que j’ai touché, ſont trois objets ab-
ſolument
divers de trois de mes ſens, qui
n’ont
aucun rapport immédiat les uns avec
les
autres.
Il y a bien plus: il eſt démontré, com-
me
je l’ai dit, qu’il ſe forme dans mon
œil
un angle une fois plus grand, quand je
vois
un homme à quatre pieds de moi,
que
quand je vois le même homme à deux
pieds
de moi.
Cependant je vois toujours
cet
homme de la même grandeur:
comment
mon
ſentiment contredit - il ainſi le méca-
niſme
de mes organes?
L’objet eſt réelle-
ment
une fois plus petit dans mes yeux, &
9979DE NEUTON. je le vois une fois plus grand. C’eſt en
vain
qu’on veut expliquer ce myſtère par
le
chemin, ou par la forme que prend le criſ-
tallin
dans nos yeux.
Quelque ſuppoſition
que
l’on faſſe, l’angle ſous lequel je vois un
homme
à quatre pieds de moi, eſt toujours
double
de l’angle ſous lequel je le vois à
deux
pieds;
& la Géométrie ne réſoudra
jamais
ce Problême.
Ces lignes & ces angles géométriques ne
11Ni la ſi-
tuation

des
ob-
jets
.
ſont pas plus réellement la cauſe de ce que
nous
voyons les objets à leur place, que
de
ce que nous les voyons de telles gran-
deurs
, &
à telle diſtance.
L’ame ne conſidere pas ſi telle partie
va
ſe peindre au bas de l’œil, elle ne
rapporte
rien à des lignes qu’elle ne voit
point
.
L’œil ſe baiſſe ſeulement, pour voir
ce
qui eſt près de la terre, &
ſe relève pour
voir
ce qui eſt au-deſſus de la terre.
Tout celane pouvoit être éclairci, & mis
hors
de toute conteſtation, que par quel-
qu’aveugle
- , à qui on auroit donné le
ſens
de la vûe.
Car ſi cet aveugle, au
10080DE LA PHILOSOPHIE ment qu’il eût ouvert les yeux, eût jugé
des
diſtances, des grandeurs &
des ſitua-
tions
, il eut été vrai que les angles optiques,
formez
tout d’un coup dans ſa rétine, euſ-
ſent
été les cauſes immédiates de ſes ſenti-
mens
.
Auſſi le Docteur Barclay aſſûroit a-
près
Mr.
Loke (& allant même en cela plus
loin
que Loke) que ni ſituation, ni gran-
deur
, ni diſtance, ni figure, ne ſeroit au-
cunement
diſcernée par cet aveugle, dont
les
yeux recevroient tout d’un coup la lu-
miere
.
Mais trouver l’aveugle, dont dépen-
11Preuve
par
l’ex-
périen-
ce
de
l’aveu-
gle-né

guéri

par
Chi-
ſelden
.
doit la déciſion indubitable de cette queſ-
tion
?
Enfin en 1729. Mr. Chiſelden, un
de
ces fameux Chirurgiens, qui joignent l’ad-
dreſſe
de la main aux plus grandes lumieres
de
l’eſprit, ayant imaginé qu’on pouvoit
donner
la vûe à un aveugle-né, en lui ab-
baiſſant
ce qu’on appelle des cataractes, qu’il
ſoupçonnoit
formées dans ſes yeux, preſ-
qu’au
moment de ſa naiſſance, il propoſa
l’opération
.
L’aveugle eut de la peine à y
conſentir
.
Il ne concevoit pas trop, que
le
ſens de la vûe pût beaucoup augmenter
ſes
plaiſirs.
Sans l’envie qu’on lui
10181DE NEUTON. d’apprendre à lire & à écrire, il n’eût point
deſiré
de voir.
Il vérifioit par cette indif-
férence
, qu’il eſt impoſſible d’être malbeureúx,
par
la privation des biens dont on n’a pas d’i-
dée
:
vérité bien importante. Quoi qu’il en
ſoit
, l’opération fut faite &
réuſſit. Ce
jeune
homme d’environ quatorze ans, vit
la
lumiere pour la premiere fois.
Son
expérience
confirma tout ce que Loke &

Barclay
avoient ſi bien prévu.
Il ne diſtin-
gua
de long-tems ni grandeur, ni diſtance,
ni
ſituation, ni méme figure.
Un objet
d’un
pouce, mis devant ſon œil, &
qui lui
cachoit
une maiſon, lui paraiſſoit auſſi
grand
que la maiſon.
Tout ce qu’il
voioit
, lui ſembloit d’abord être ſur ſes
yeux
, &
les toucher comme les objets du
tact
touchent la peau.
Il ne pouvoit diſ-
tinguer
ce qu’il avoit jugé rond à l’aide de
ſes
mains, d’avec ce qu’il avoit jugé angu-
laire
, ni diſcerner avec ſes yeux, ſi ce
que
ſes mains avoient ſenti être en haut
ou
en bas, étoit en effet en haut ou en
bas
.
Il étoit ſi loin de connaitre les gran-
deurs
, qu’après avoir enfin conçu par la
vûe
, que ſa maiſon étoit plus grande que
ſa
chambre, il ne concevoit pas
10282DE LA PHILOSOPHIE la vûe pouvoit donner cette idée. Ce ne
fut
qu’au bout de deux mois d’expérience,
qu’il
put appercevoir que les tableaux re-
préſentoient
des corps ſolides:
& lorſqu’a-
près
ce long tatonnement d’un ſens nouveau
en
lui, il eut ſenti que des corps, &
non
des
ſurfaces ſeules, étoient peints dans les
tableaux
;
il y porta la main, & fut étonné
de
ne point trouver avec ſes mains ces
corps
ſolides, dont il commençoit à apper-
cevoir
les repréſentations.
Il demandoit
quel
étoit le trompeur, du ſens du toucher,
ou
du ſens de la vûe.
Ce fut donc une déciſion irrévocable,
que
la maniere dont nous voyons les cho-
ſes
, n’eſt point du tout la ſuite immédia-
te
des angles formés dans nos yeux;
car
ces
angles Mathématiques étoient dans les
yeux
de cet homme, comme dans les nô-
tres
, &
ne lui ſervoient de rien ſans les ſe-
cours
de l’expérience &
des autres ſens.
Comment nous repréſentons-nous donc
les
grandeurs &
les diſtances? De la même
façon
dont nous imaginons les paſſions des
hommes
, par les couleurs qu’elles
10383DE NEUTON. ſur leurs viſages, & par l’altération qu’elles
portent
dans leurs traits.
Il n’y a perſon-
11Com-
ment

nous

connaiſ-
ſons
les
diſtan-
ces
&
les
gran-
deurs
.
ne, qui ne liſe tout d’un coup ſur le front
d’un
autre, la honte, ou la colére.
C’eſt la
Langue
que la Nature parle à tous les yeux;
mais l’expérience ſeule apprend ce langa-
ge
.
Auſſi l’expérience ſeule nous apprend,
que
quand un objet eſt trop loin, nous le
voyons
confuſément &
faiblement. Delà
nous
formons des idées, qui enſuite accom-
pagnent
toujours la ſenſation de la vûe.

Ainſi
tout homme qui, à dix pas, aura vu
ſon
cheval haut de cinq pieds, s’il voit,
quelques
minutes après, ce cheval comme
un
mouton, ſon ame, par un jugement
involontaire
, conclud à l’inſtant que ce che-
val
eſt très-loin.
Il eſt bien vrai que, quand je vois mon
cheval
gros comme un mouton, il ſe for-
me
alors dans mon œil une peinture plus pe-
tite
, un angle plus aigu;
mais c’eſt-là ce
qui
accompagne, non ce qui cauſe mon
ſentiment
.
De même il ſe fait un autre é-
branlement
dans mon cerveau, quand je
vois
un homme rougir de honte, que quand
je
le vois rougir de colére;
mais ces
10484DE LA PHILOSOPHIE rentes impreſſions ne m’apprendroient rien
de
ce qui ſe paſſe dans l’ame de cet hom-
me
, ſans l’expérience dont la voix ſeule ſe
fait
entendre.
Loin que cet angle ſoit la cauſe immé-
diate
de ce que je juge qu’un grand che-
val
eſt très-loin, quand je vois ce cheval
fort
petit;
il arrive au contraire, à tous les
momens
, que je vois ce même cheval éga-
lement
grand, à dix pas, à vingt, à trente
pas
, quoique l’angle à dix pas ſoit double,
triple
, quadruple.
Je regarde de fort loin, par un petit
11Exem-
ple
.
trou, un homme poſté ſur un toit, le loin-
tain
&
le peu de rayons m’empêchent d’a-
bord
de diſtinguer ſi c’eſt un homme:
l’ob-
jet
me parait très - petit, je crois voir une
ſtatue
de deux pieds tout au plus:
l’ob-
jet
ſe remue, je juge que c’eſt un hom-
me
, &
dès ce même inſtant cet homme
me
parait de la grandeur ordinaire;
d’où
viennent
ces deux jugemens ſi différens?
Quand j’ai cru voir une ſtatue, je l’ai
imaginée
de deux pieds, parce que je
10585DE NEUTON. voiois ſous un tel angle: nulle expérien-
ce
ne plioit mon ame à démentir les traits
imprimés
dans ma rétine;
mais dès que j’ai
jugé
que c’étoit un homme, la liaiſon miſe
par
l’expérience, dans mon cerveau, entre
l’idée
d’un homme &
l’idée de la hauteur
de
cinq à ſix pieds, me force, ſans que j’y
penſe
, à imaginer, par un jugement ſoudain,
que
je vois un homme de telle hauteur,
&
à voir une telle hauteur en effet.
Il faut abſolument conclure de tout ce-
11Nous
appre-
nons
à
voir

comme

à
lire.
ci, que les diſtances, les grandeurs, les
ſituations
, ne ſont pas, à proprement par-
ler
, des choſes viſibles, c’eſt-à-dire, ne
ſont
pas les objets propres &
immédiats de
la
vûe.
L’objet propre & immédiat de la
vûe
, n’eſt autre choſe que la lumiere colo-
rée
:
tout le reſte, nous ne le ſentons qu’à
la
longue &
par expérience. Nous appre-
nons
à voir, préciſément comme nous ap-
prenons
à parler &
à lire. La différence
eſt
, que l’art de voir eſt plus facile, &
que la
Nature
eſt également à tous notre Maî-
tre
.
Les jugemens ſoudains, preſque
10686DE LA PHILOSOPHIE mes, que toutes nos ames, à un certain â-
11La vûe
ne
peut
faire

connai-
tre
l’é-
tendue
.
ge, portent des diſtances, des grandeurs,
des
ſituations, nous font penſer, qu’il n’y
a
qu’à ouvrir les yeux, pour voir de la ma-
niere
dont nous voyons.
On ſe trompe;
il y faut le ſecours des autres ſens. Si les
hommes
n’avoient que le ſens de la vûe, ils
n’auroient
aucun moyen pour connaitre l’é-
tendue
, en longueur, largeur, &
profondeur;
&
un pur Eſprit ne pourroit jamais la con-
naitre
, à moins que Dieu ne la lui revelât.

Il
eſt très-difficile de ſéparer dans notre en-
tendement
l’extenſion d’un objet d’avec les
couleurs
de cet objet.
Nous ne voyons
jamais
rien que d’étendu, &
de-là nous
ſommes
tout portez à croire, que nous
voyons
en effet l’étendue.
Nous ne pou-
vons
guère diſtinguer dans notre ame ce
jaune
que nous voyons dans un Louïs d’or,
d’avec
ce Louïs d’or dont nous voyons le jau-
ne
.
C’eſt comme, lorſque nous entendons
prononcer
ce mot Louïs d’or, nous ne pou-
vons
nous empêcher d’attacher, malgré
nous
, l’idée de cette monnoye au ſon que
nous
entendons prononcer.
Si tous les hommes parloient la
10787DE NEUTON. Langue, nous ſerions toujours prêts à croi-
re
, qu’il y auroit une connexion néceſſai-
re
entre les mots &
les idées. Or tous les
hommes
ont ici le même langage, en fait
d’imagination
.
La Nature leur dit à tous:
Quand vous aurez vu des couleurs pendant
un
certain tems, votre imagination vous
repréſentera
à tous, de la même façon, les
corps
auxquels ces couleurs ſemblent atta-
chées
.
Ce jugement prompt & involontai-
re
que vous ſormerez, vous ſera utile dans
le
cours de votre vie;
car s’il falloit atten-
dre
pour eſtimer les diſtances, les grandeurs,
les
ſituations, de tout ce qui vous environ-
ne
, que vous euſſiez examiné des angles &

des
rayons viſuels;
vous ſeriez morts avant
de
ſavoir, ſi les choſes dont vous avez be-
ſoin
, ſont à dix pas de vous, ou à cent mil-
lions
des lieues, &
ſi elles ſont de la groſſeur
d’un
ciron, ou d’une montagne.
Il vaudroit
beaucoup
mieux pour vous être nés aveu-
gles
.
Nous avons donc très-grand tort quand
nous
diſons que nos Sens nous trompent.
Chacun de nos ſens fait la fonction à laquel-
le
la Nature l’a deſtiné.
Ils s’aident
10888DE LA PHILOSOPHIE tuellement pour envoyer à notre ame, par
les
mains de l’expérience, la meſure des
connaiſſances
que notre état comporte.
Nous demandons à nos Sens, ce qu’ils ne
ſont
point faits pour nous donner.
Nous
voudrions
que nos yeux nous fiſſent con-
naitre
la ſolidité, la grandeur, la diſtance,
&
c. : mais il faut que le toucher s’accorde
en
cela avec la vûe, &
que l’expérience
les
ſeconde.
Si le Pere Mallebranche avoit
enviſagé
la Nature par ce côté, il eût at-
tribué
moins d’erreurs à nos Sens qui ſont
les
ſeules ſources de toutes nos idées.
Il eſt tems de reprendre le fil des dé-
couvertes
de Neuton, &
de rentrer dans
l’examen
Phyſique &
Mathématique des
choſes
.
40[Figure 40]
109 41[Figure 41]
CHAPITRE SEPT.
De la cauſe qui fait briſer les rayons de la lu-
miere
en paſſant d’une ſubſtance dans une
autre
; que cette cauſe eſt une loi générale de
la
Nature inconnue avant Neuton; que l’in-
flexion
de la lumiere eſt encore un effet de
cette
cauſe, &c.
NOUS avons déja vu l’artifice preſque
incompréhenſible
de la réflexion de
la
lumiere, que l’impulſion connue ne peut
cauſer
.
Celui de la réfraction dont
11090DE LA PHILOSOPHIE allons reprendre l’examen n’eſt pas moins
ſurprenant
.
Commençons par nous bien affermir
11Ce que
c’eſt

que
ré-
fraction
.
dans une idée nette de la choſe qu’il faut
expliquer
.
Souvenons - nous bien, que
quand
la lumiere tombe d’une ſubſtance
plus
rare, plus legére comme l’air, dans
une
ſubſtance plus peſante, plus denſe
comme
l’eau, &
qui ſemble lui devoir réſiſ-
ter
davantage, la lumiere alors quitte ſon
chemin
&
ſe briſe en s’approchant d’une
perpendicule
, qu’on éleveroit ſur la ſurfa-
ce
de cette eau.
Mr. Le Clerc, dans ſa Phyſique, a dit tout
le
contraire faute d’attention.
En ſon Li-
vre
cinq, chapitre huit:
Plus la réſiſtan-
ce
des corps eſt grande, dit-il, plus la
lumiere
qui tombe dans eux s’éloigne de
la
perpendicule.
Ainſi le rayon s’éloi-
gne
de la perpendicule en paſſant de l’air
dans
l’eau”.
Ce n’eſt pas la ſeule mépriſe
qui
ſoit dans le Clerc, &
un homme qui au-
roit
le malheur d’étudier la Phyſique dans
les
Ecrits de cet Auteur, n’auroit guère
que
des idées fauſſes ou confuſes.
11191DE NEUTON.
Pour avoir une idée bien nette de cette
vérité
, regardez ce rayon qui tombe de
l’air
dans ce criſtal.
42[Figure 42]
Vous ſavez comme il ſe briſe. Ce rayon
A
E.
fait un angle avec cette perpendiculaire
B
E.
en tombant ſur la ſurface de ce criſtal.
Ce même rayon réſracté dans ce criſtal,
fait
un autre angle avec cette même per-
pendiculaire
qui régle ſa réfraction.
Il fal-
lut
méſurer cette incidence &
ce briſement
de
la lumiere.
Snellius trouva le premier
la
proportion conſtante, ſuivant laquelle
les
rayons ſe rompent dans ces
11292DE LA PHILOSOPHIE milieux. On en fit l’honneur à Deſcartes.
On attribue toujours au Philoſophe le plus
accrédité
les découvertes qu’il rend publi-
ques
:
il profite des travaux obſcurs d’au-
trui
, &
il augmente ſa gloire de leurs re-
cherches
.
La découverte de Snellius étoit
alors
un Chef-d’œuvre de ſagacité.
Cette
proportion
découverte par Snellius eſt très-
aiſée
à entendre.
43[Figure 43]
Plus la ligne A. B. que vous voyez, eſt
grande
, plus la ligne C.
D. ſera grande
11Ce que
c’eſt
que
ſinus
de
réfrac-
tion
.
auſſi.
Cette ligne A. B. eſt ce qu’on ap-
pelle
ſinus d’incidence.
Cette ligne C. D.
eſt le ſinus de la réfraction. Ce n’eſt
11393DE NEUTON. lci le lieu d’expliquer en général ce que
c’eſt
qu’un ſinus.
Ceux qui ont étudié la
Géométrie
le ſavent aſſez.
Les autres
pourroient
être un peu embaraſſez de la
définition
.
Il ſuffit de bien ſavoir que ces
deux
ſinus, de quelque grandeur qu’ils
ſoient
, ſont toujours en proportion dans
un
milieu donné.
Or cette proportion eſt
différente
, quand la réfraction ſe fait dans
un
milieu différent.
La lumiere qui tombe obliquement de
l’air
dans du criſtal, s’y briſe de façon, que
le
ſinus de réfraction C.
D. eſt au ſinus d’in-
cidence
A.
B. comme 2. à 3. ce qui ne veut
dire
autre choſe, ſinon que cette ligne A.
B. eſt un tiers plus grande dans l’air, en ce
cas
, que la ligne C.
D. dans ce criſtal.
Dans l’eau cette proportion eſt de 3. à 4.
Ainſi il eſt palpable que le criſtal réfracte,
briſe
la lumiere d’un neuvième plus forte-
ment
que l’eau.
Il faut donc ſavoir que
danstous
les cas, &
dans toutes les obliqui-
tés
d’incidence poſſibles, le criſtal ſera plus
refringent
que l’eau d’un neuvième.
Il s’a-
git
de ſavoir non - ſeulement la cauſe
11494DE LA PHILOSOPHIE la réfraction, mais la cauſe de ces réfrac-
tions
différentes.
Deſcartes a trouvé, à ſon ordinaire, des
11Idée de
Deſcar-
tes
in-
génieu-
ſe
, mais
fauſſe
.
raiſons ingénieuſes &
plauſibles de cette
proprieté
de la lumiere;
mais , comme en
tout
le reſte, mettant ſon eſprit à la place
des
choſes, il a donné des conjectures pour
des
vérités.
Il a feint que la lumiere, en
paſſant
de l’air dans un milieu nouveau, plus
épais
, plus compact, y paſſe plus libre-
ment
, y eſt moins retardée dans ſa ten-
dance
prétendue au mouvement, &
moins re-
tardée
, diſoit-il, moins troublée dans un mi-
lieu
denſe, comme le verre, que dans un milieu
moins
épais, comme l’eau.
Nous avons déja
vu
combien il s’abuſe en aſſûrant que la
lumiere
n’a qu’une tendance au mouvement.
Nous avons vu que les rayons ſe meuvent
en
effet, puiſqu’ils changent de place à nos
yeux
dans leurs réfractions.
Mais ſon er-
reur
ici eſt encore aſſez importante:
il ſe
trompe
en croyant que les corps les plus
22Le
corps
le
plus
ſo-
lide

n’eſt
pas
le
plus
réfrac-
tant
.
ſolides ſont toujours ceux qui briſent le plus
la
lumiere, &
qui lui ouvrent en la briſant
un
chemin plus facile.
Il n’eſt pas vrai que
tous
les corps ſolides réfractent,
11595DE NEUTON. plus la lumiere abſolument, que les corps
fluides
;
car quoiqu’en effet l’eau opére une
réfraction
moins forte, abſolument parlant,
que
le verre;
cependant par rapport à fa
denſité
, elle opére une réfraction plus for-
te
.
Il eſt bien vrai que la lumiere ſe briſe
environ
un neuvième davantage dans le
verre
, que dans l’eau;
mais ſi la réfraction
ſuivoit
le rapport de la denſité, elle devroit,
dans
le verre, aller fort au delà d’un neu-
vième
.
Imaginez deux hommes, dont l’un
aura
quatre fois plus de force, que l’autre.
Si le plus fort ne porte qu’un poids une fois
plus
peſant, il ſera vrai de dire que par rap-
port
à ſa force, il n’a pas, à beaucoup près,
tant
porté que l’autre;
car il devroit por-
11Preuve. ter quatre fois davantage.
L’ambre opére une réfraction bien plus
forte
que le criſtal, par rapport à ſa denſité.
Peut-on dire cependant que l’ambre ouvri-
ra
un chemin plus facile à la lumiere, que
le
criſtal?
C’eſt donc une ſuppoſition fauſ-
ſe
:
que la lumiere ſe briſe vers la perpendicu-
laire
, quand elie trouve un corps tranſparent
plus
ſolide qui lui réſiſte moins, parce qu’il eſt
plus
ſolide.
11696DE LA PHILOSOPHIE
Remarquez que toute expérience & tout
calcul
ruïne preſque toutes les idées de Deſ-
cartes
, quand ce grand Philoſophe ne les
fonde
que ſur des hypothèſes.
Ce ſont
des
perſpectives brillantes &
trompeu-
ſes
qui diminuent à meſure qu’on en
approche
.
Tous les autres Philoſophes ont
cherché
des ſolutions de ce Problême de la
Nature
;
mais l’expérience a renverſé auſſi
leurs
conjectures.
Barrow enſeignoit, après le Pere Deſ-
11Mépriſe
des
au-
tres

grands

Géomé-
tres
à ce
ſujet
.
challes, que la réfraction de la lumiere,
en
approchant de la perpendicule, ſe fai-
ſoit
par la réſiſtance du milieu;
que plus un
milieu
réſiſtoit au cours de la lumiere, plus
cette
réfraction devoit être forte.
Cette idée étoit le contraire de celle de
Deſcartes
;
elle prouvoit ſeulement qu’on
va
à l’erreur par différens chemins.
Ils n’a-
voient
qu’à voir les expériences;
ils n’a-
voient
qu’à meſurer les réfractions qui ſe
font
dans l’eſprit de vin, beaucoup plus
grandes
que dans l’eau;
ils n’avoient qu’à
conſiderer
qu’aſſûrément l’eſprit de vin
11797DE NEUTON. réſiſte pas plus que l’eau, & que cependant
il
opére une réfraction une fois plus forte,
ils
auroient corrigé cette petite erreur.
Auſſi le Pere Deſchalles avoue qu’il doute
fort
de ſon explication.
Enfin Neuton ſeul a trouvé la véritable
11Grande
décou-
verte
de
Neuton
.
raiſon qu’on cherchoit.
Sa découverte mé-
rite
aſſûrément l’attention de tous les Siè-
cles
.
Car il ne s’agit pas ici ſeulement
d’une
proprieté particuliere à la lumiere,
quoique
ce fût déja beaucoup;
nous ver-
rons
que cette proprieté appartient à tous
les
corps de la Nature.
Conſiderez que les rayons de la lumiere
ſont
en mouvement, que s’ils ſe détour-
nent
en changeant leur courſe, ce doit être
par
quelque loi primitive, &
qu’il ne doit
arriver
à la lumiere, que ce qui arriveroit à
tous
les corps de même petiteſſe que la lu-
miere
, toutes choſes d’ailleurs égales.
Qu’une balle de plomb A. ſoit pouſſée
obliquement
de l’air dans l’eau, il lui arri-
vera
d’abord le contraire de ce qui eſt arri-
à ce rayon de lumiere;
car ce
11898DE LA PHILOSOPHIE délié paſſe dans des pores, & cette balle,
dont
la ſuperficie eſt large, rencontre la
ſuperficie
de l’eau qui la ſoutient.
44[Figure 44]
Cette balle s’éloigne donc d’abord de la
perpendiculaire
B.
; mais lorſqu’elle a perdu
tout
ce mouvement oblique qu’on lui avoit
imprimé
, elle eſt abandonnée à elle-même,
elle
tombe alors, à peu près ſuivant une per-
pendiculaire
, qu’on élèveroit du point
elle
commence à deſcendre.
Or Neuton a
découvert
&
a prouvé qu’il y a dans la Na-
ture
une force, qui fait tendre tous les
corps
, en ligne perpendiculaire, les uns vers
11Attrac-
tion
.
les autres en proportion directe de leur
maſſe
.
Donc cette force (telle qu’elle
11999DE NEUTON. doit agir dans l’eau ſur ce rayon; & la
maſſe
du rayon étant incomparablement
moindre
que celle de l’eau, ce rayon doit
ſenſiblement
être mu vers elle.
Regardez donc ce rayon de lumiere qui
deſcend
perpendiculairement de l’air ſur la
ſurface
de ce criſtal.
45[Figure 45]
Comme cette ligne deſcend perpendiculai-
11L’at-
traction

agit
en
perpen-
dicule
,
& accé-
lere
la
chûte

des

rayons
.
rement, le pouvoir de l’attraction, tel
qu’il
ſoit, agiſſant en ligne droite, le rayon
ne
ſe détourne point de ſon chemin;
mais
il
arrive plus promptement, qu’il n’auroit
fait
en B.
, & c’eſt encore une vérité ap-
perçue
par Neuton.
120100DE LA PHILOSOPHIE
Avant lui on croioit que ce rayon de lu-
miere
étoit retardé dans ſon cours en en-
trant
dans l’eau.
Au contraire, il y entre
avec
accélération.
Pourquoi? Parce qu’il
y
eſt porté, &
par ſon propre mouvement,
&
par celui de l’attraction que l’eau, ou le
verre
, lui imprime.
Ce rayon arrive donc
en
B.
par cette force accélératrice plus
promptement
qu’il n’eût franchi l’air.
Mais ſi nous conſiderons dans même
baſſin
d’eau, ou dans cette même maſſe de
verre
, ce rayon oblique qui tombe deſſus,
qu’arrive-t-il
?
Il conſerve ſon mouvement
d’obliquité
en ligne droite, &
il en ac-
quiert
un nouveau en ligne perpendicu-
laire
.
Que cette attraction, que cette ten-
dance
, que cette eſpèce de gravitation
exiſte
, nous n’en pouvons douter:
car nous
avons
vu la lumiere attirée par le verre, y
rentrer
ſans toucher à rien;
or cette force
agit
néceſſairement en ligne perpendicu-
laire
, la ligne perpendiculaire étant le plus
court
chemin.
121101DE NEUTON.
Puiſque cette force exiſte, elle eſt dans
toutes
les parties de la matiere.
Les parties
de
la ſuperficie d’un corps quelconque, é-
prouvent
donc ce pouvoir, avant qu’il pé-
nétre
l’intérieur de la ſubſtance, avant qu’il
parvienne
au centre il eſt dirigé.
Ainſi
dès
que ce rayon eſt arrivé près de la ſu-
perficie
du criſtal, ou de l’eau, il prend
déja
un peu en cette maniere le chemin de
la
perpendicule.
46[Figure 46]
Il ſe briſe déja un peu en C. avant d’en-
11Lumie-
re
briſée
avant

d’entrer

dans
les
corps
.
trer:
plus il entre, plus il ſe briſe; c’eſt
que
plus les corps ſont proches, plus ils
s’attirent
, &
que celui qui a le plus
122102DE LA PHILOSOPHIE maſſe détermine vers lui, celui qui en a
moins
.
Ainſi il arrive à ce rayon de lu-
miere
la même choſe qu’à tout corps, qui
a
un mouvement compoſé de deux direc-
tions
différentes;
il n’obéït à aucune, &
tient
un chemin qui participe des deux.
Ainſi ce rayon netombe pas tout-à-fait per-
pendiculairement
, &
ne ſuit pas ſa pre-
miere
ligne droite oblique, en traverſant
cette
eau, ou ce verre;
mais il ſuit une ligne
qui
participe des deux côtés, &
qui deſ-
cend
d’autant plus vîte, que l’attraction de
cette
eau, ou de ce criſtal, eſt plus forte.

Donc
loin que l’eau rompe les rayons de
lumiere
, en leur réſiſtant, comme on le
croioit
, elle les rompt en effet, parce
qu’elle
ne réſiſte pas, &
, au contraire, par-
ce
qu’elle les attire.
Il faut donc dire que
les
rayons ſe briſent vers la perpendiculai-
re
, non pas quand ils paſſent d’un milieu
plus
facile dans un milieu plus réſiſtant,
mais
quand ils paſſent d’un milieu moins atti-
ant
dans un milieu plus attirant.
Obſervez
qu’il
ne faut jamais entendre par ce mot
attirant
, que le point vers lequel ſe dirige
une
force reconnue, une proprieté incon-
teſtable
de la matiere.
123103DE NEUTON.
Vous ſavez que beaucoup de gens, au-
tant
attachés à la Philoſophie, ou plutôt
au
nom de Deſcartes, qu’ils l’étoient au-
paravant
au nom d’Ariſtote, ſe ſont ſou-
levés
contre l’attraction.
Les uns n’ont pas
voulu
l’étudier, les autres l’ont mépriſee, &

l’ont
inſultée après l’avoir à peine exami-
née
;
mais je prie le Lecteur de faire les trois
réflexions
ſuivantes.
10. Qu’entendons-nous par attraction?
11Il faut
exami-
ner

l’attrac-
tion
a-
vant
de
ſe
révol-
ter
con-
tre
ce
mot
.
Rien autre choſe qu’une force par laquelle
un
corps s’approche d’un autre, ſans que l’on
voye
, ſans que l’on connaiſſe, aucune autre
force
qui le pouſſe.
20. Cette propriété de la matiere eſt é-
tablie
par les meilleurs Philoſophes en An-
gleterre
, en Allemagne, en Hollande, &

même
dans pluſieurs Univerſitez d’Italie,
des
Loix un peu rigoureuſes ferment quel-
quefois
l’accez à la Vérité.
Le conſen-
tement
de tant de ſavans hommes n’eſt pas
une
preuve, ſans doute;
mais c’eſt une rai-
ſon
puiſſante pour examiner au moins ſi
cette
force exiſte ou non.
30. L’on devroit ſonger que l’on ne
124104DE LA PHILOSOPHIE nait pas plus la cauſe de l’impulſion, que
de
l’attraction.
On n’a pas même plus d’i-
dée
de l’une de ces forces que de l’autre;
car il n’y a perſonne qui puiſſe concevoir
pourquoi
un corps a le pouvoir d’en re-
muer
un autre de ſa place.
Nous ne con-
cevons
pas non plus, il eſt vrai, comment
un
corps en attire un autre, comment les
parties
de la matiere gravitent mutuelle-
ment
.
Auſſi ne dit-on pas que Neuton ſe
ſoit
vanté de connaitre la raiſon de cette
attraction
.
Il a prouvé ſimplement qu’elle
exiſte
:
il a vu dans la matiere un phénomê-
ne
conſtant, une propriété univerſelle.
Si
un
homme trouvoit un nouveau métal dans
la
terre, ce métal exiſteroit-il moins, parce
que
l’on ne connaitrait pas les premiers
Principes
dont il ſeroit formé?
Que le Lec-
teur
qui jettera les yeux ſur cet Ouvrage ait
recours
à la diſcuſſion métaphyſique ſur l’at-
traction
, faite par Mr.
de Maupertuis, dans
le
plus petit &
dans le meilleur Livre qu’on
ait
écrit peut-être en Français, en fait de
Philoſophie
.
On y verra à travers la reſer-
ve
avec laquelle l’Auteur s’eſt expliqué,
ce
qu’il penſe, &
ce qu’on doit penſer de
cette
attraction, dont le nom a tout effarou-
ché
.
125105DE NEUTON.
Nous avons vu dans le ſecond chapitre,
que
les rayons réflechis d’un Miroir ne ſau-
roient
venir à nous de ſa ſurface.
Nous
avons
expérimenté que les rayons transmis
dans
du verre à un certain angle, revien-
nent
au lieu de paſſer dans l’air;
que, s’il y
a
du vuide derriere ce verre, les rayons
qui
étoient transmis auparavant reviennent
de
ce vuide à nous.
Certainement il n’y
a
point-là d’impulſion connue.
Il faut de
toute
néceſſité admettre un autre pouvoir;
il faut bien auſſi avouer, qu’il y a dans la
réfraction
quelque choſe qu’on n’entendoit
pas
juſqu’à préſent.
Or qu’elle ſera cette puiſſance qui rom-
pra
ce rayon de lumiere dans ce baſſin d’eau?
Il eſt démontré (comme nous le dirons au
chapitre
ſuivant) que, ce qu’on avoit cru
juſqu’à
préſent un ſimple rayon de lumiere,
eſt
un faiſceau de pluſieurs rayons, qui ſe ré-
fractent
tous différemment.
Si de ces traits
de
lumiere contenus dans ce rayon, l’un ſe
ré@racte
, par exemple, à quatre meſures de
la
perpendiculaire, l’autre ſe rompra à trois
meſures
.
Il eſt démontré que les plus
126106DE LA PHILOSOPHIE frangibles, c’eſt-à-dire, par exemple, ceux
qui
en ſe briſant au ſortir d’un verre, &
en
11Preuves
de
l’at-
traction
.
prenant dans l’air une nouvelle direction,
s’approchent
moins de la perpendiculaire
de
ce verre, ſont auſſi ceux qui ſe reflechiſ-
ſent
le plus aiſément, le plus vîte.
Il y a
donc
déja bien de l’apparence, que ce ſe-
ra
la même loi qui fera réflechir la lumiere,
&
qui la fera réfracter.
Enfin, ſi nous trouvons encore quelque
nouvelle
propriété de la lumiere, qui paraiſ-
ſe
devoir ſon origine à la force de l’attrac-
tion
, ne devrons-nous pas conclure que tant
d’effets
appartiennent à la même cauſe?
Voici cette nouvelle propriété qui fut dé-
couverte
par le Pere Grimaldi Jéſuite vers
l’an
1660.
& ſur laquelle Neuton a pouſſé
l’examen
juſqu’au point de meſurer l’om-
bre
d’un cheveu à des diſtances différen-
tes
.
Cette propriété eſt l’inflexion de la lu-
miere
.
Non-ſeulement les rayons ſe briſent
en
paſſant dans le milieu dont la maſſe les
attire
;
mais d’autres rayons, qui paſſ@nt
dans
l’air auprès des bords de ce corps at-
tirant
, s’approchent ſenſiblement de ce
127107DE NEUTON.& ſe détournent viſiblement de leur che-
11In-
flexion

de
la lu-
miere

auprès

des

corps

qui
l’at-
tirent
.
min.
Mettez dans un endroit obſcur cette
lame
d’acier, ou de verre aminci, qui finit en
pointe
:
expoſez-la auprès d’un petit trou
par
lequel la lumiere paſſe;
que cette lumie-
re
vienne raſer la pointe de ce métal.
47[Figure 47]
Vous verrez les rayons ſe courber auprès
en
telle maniere, que le rayon qui s’appro-
chera
le plus de cette pointe, ſe courbera
davantage
, &
que celui qui en ſera plus é-
loigné
, ſe courbera moins à proportion.
N’eſt-
il
pas de la plus grande vraiſemblance, que
le
même pouvoir qui briſe ces rayons, quand
ils
ſont dans ce milieu, les force à ſe dé-
tourner
, quand ils ſont près de ce milieu?
Voilà donc la réfraction, la tranſparence,
la
réflexion, aſſujeties à de nouvelles loix.
128108DE LA PHILOSOPHIE Voilà une inflexion de la lumiere, qui dé-
pend
évidemment de l’attraction.
C’eſt un
nouvel
Univers qui ſe préſente aux yeux de
ceux
qui veulent voir.
Nous montrerons bien-tôt qu’il y a une
attraction
évidente entre le Soleil &
les Pla-
netes
, une tendance mutuelle de tous les
corps
les uns vers les autres.
Mais nous
avertiſſons
ici d’avance, que cette attraction,
qui
fait graviter les Planetes ſur notre So-
leil
, n’agit point du tout dans les mêmes
rapports
que l’attraction des petits corps
qui
ſe touchent.
Il faudra que l’on ſonge
bien
, que ces rapports changent au point
de
contact.
Qu’on ne croye point que la
lumiere
eſt infléchie vers le criſtal &
dans
le
criſtal, ſuivant le même rapport, par
exemple
, que Mars eſt attiré par le Soleil.
Tous les corps, comme nous le verrons,
ſont
attirez en raiſon inverſe du quarré de
leurs
diſtances;
mais au point de contact,
ils
le ſont en raiſon inverſe des cubes de leurs
diſtances
, &
beaucoup plus encore. Ainſi
l’attraction
eſt bien plus forte, &
la for-
ce
s’en diſſipe bien plus vîte;
& cette
attraction
des corps qui ſe touchent,
129109DE NEUTON. mente encore à meſure que les corps ſont
petits
.
Ainſi des particules de lumiere
attirées
par les petites maſſes du verre, ſont
bien
loin de ſuivre les loix du Syſtême pla-
nétaire
.
Deux atomes, & deux Planetes
telles
que Jupiter &
Saturne, obéïſſent à l’at-
traction
, mais à différentes loix de l’at-
traction
.
C’eſt ce que nous nous reſervons
d’expliquer
dans l’avant dernier Chapitre,
&
ce que nous avons cru néceſſaire d’indi-
quer
ici pour lever toute équivoque.
48[Figure 48]
130 49[Figure 49]
CHAPITRE HUIT.
Suites des merveilles de la réfraction de la lu-
miere
. Qu’un ſeul rayon de la lumiere
contient
en ſoi toutes les couleurs poſ-
ſibles
; ce que c’eſt que la réfran-
gibilité
. Découvertes nou-
velles
.
SI vous demandez aux Philoſophes ce qui
11Imagi-
nation

de
Def-
cartes

ſur
les
cou-
leurs
.
produit les couleurs, Deſcartes vous
répondra
que les globules de ſes Elémens ſont
déterminez
à tournoyer ſur eux-mêmes outre
leur
tendance au mouvement en ligne droite, &

que
ce ſont les différens tournoyemens qui
131111DE NEUTON. es différentes couleurs. Mais, en vérité, ſes
Elémens
, ſes globules, ſon tournoyement,
ont-ils
même beſoin de la pierre de touche
de
l’expérience pour que le faux s’en faſſe
ſentir
?
Une foule de démonſtrations a-
néantit
ces chiméres.
Voici les plus ſim-
ples
&
les plus ſenſibles.
Rangez des boules les unes contre les au-
tres
:
ſuppoſez les pouſſées en tout ſens, &
tournant
toutes ſur elles-mêmes en tout ſens;
par le ſeul enoncé, il eſt impoſſible, que ces
boules
contigues puiſſent avancer en lignes
droites
réguliérement.
De plus, comment
verriez-vous
ſur une muraille ce point bleu,
&
ce point verd?
50[Figure 50]
132112DE LA PHILOSOPHIE
Les voilà marquez ſur cette muraille; il
faut
qu’ils ſe croiſent en l’air au point A.
avant d’arriver à vos yeux. Puisqu’ils ſe
croiſent
, leur prétendu tournoyement doit
changer
au point d’interſection.
Les tour-
noyemens
qui faiſoient le bleu &
le verd ne
ſubſiſtent
donc plus les mêmes:
il n’y au-
roit
donc plus alors de point verd, ni de
point
bleu.
Un Jéſuite Flamand fit cette
objection
à Deſcartes.
Celui-ci en ſentit
toute
la force, mais que croiriez-vous qu’il
répondit
?
Que ces boules ne tournoyent
pas
à la vérité, mais qu’elles ont une tendan-
ce
au tournoyement.
Voilà ce que Deſcartes
dit
dans ſes Lettres.
L’acte du tranſparent en-
tant
que tranſparent, eſt-il plus intelligi-
ble
?
Vous me direz, ſans doute, que cette dif-
ficulté
eſt égale dans tous les Syſtêmes.
Vous me direz que ces rayons, qui partent
de
ce point bleu &
de ce point verd, ſe eroi-
ſent
néceſſairement, quelque opinion qu’on
embraſſe
touchant les couleurs;
que cette
interſection
des rayons devroit toujours em-
pêcher
la viſion, qu’en un mot, il eſt
133113DE NEUTON. jours incompréhenſible que des rayons qui
ſe
croiſent, arrivent à nos yeux dans leur
ordre
;
mais ce ſcrupule ſera bien-tôt levé,
ſi
vous conſiderez que toute partie de ma-
tiere
a plus de pores incomparablement que
de
ſubſtance.
Un rayon du Soleil, qui a
plus
de trente millions de lieues en longueur,
n’a
pas probablement un pied de matiere
ſolide
miſe bout à bout.
Il ſeroit donc
très
- poſſible qu’un rayon paſſât à travers
d’un
autre en cette maniere, ſans rien dé-
ranger
.
51[Figure 51]
Mais ce n’eſt pas ſeulement ainſi qu’ils
paſſent
, c’eſt l’un par-deſſus l’autre comme
deux
bâtons.
Mais direz-vous, des rayons
émanez
d’un centre n’aboutiroient pas pré-
ciſément
, &
en rigueur Mathématique,
à
la même ligne de circonférence.
Cela
134114DE LA PHILOSOPHIE vrai. Il s’en faudra toujours un infiniment
petit
.
Mais deux hommes ne verroient pas
les
mêmes points du même objet.
Cela eſt
encore
vrai.
De mille millions de perſonnes
qui
regarderont une ſuperficie, il n’y en
aura
pas deux qui verront les mêmes
points
.
Il faut avouer que dans le plein de Deſ-
cartes
, cette interſection de rayons eſt im-
poſſible
;
mais tout eſt également impoſſi-
ble
dans le plein, &
il n’y a aucun mouve-
ment
, tel qu’il ſoit, qui ne ſuppoſe &
ne
prouve
le vuide.
Mallebranche vient à ſon tour & vous
dit
:
Il eſt vrai que Deſcartes s’eſt trompé.
Son tournoyement de globules, n’eſt pas ſou-
tenable
;
mais ce ne ſont pas des globules de
lumiere
, ce ſont des petits tourbillons tour-
noyans
de matiere ſubtile, capables de com-
11Erreur
de
Mal-
lebran-
che
.
preſſion, qui ſont la cauſe des couleurs;
&
les
couleurs conſiſtent comme les ſons dans des
vibrations
de preſſion.
Et il ajoute: Il me
parait
impoſſible de découvrir par aucun moyen
les
rapports exacts de ces vibrations, c’eſt-
à-dire
, des couleurs.
Vous
135115DE NEUTON. qu’il parloit ainſi dans l’Académie des Scien-
ces
en 1699.
& que l’on avoit déja décou-
vert
ces proportions en 1675;
non pas pro-
portions
de vibration de petits tourbillons
qui
n’exiſtent point, mais proportions de
la
réfrangibilité des rayons qui font les cou-
leurs
, comme nous le dirons bien-tôt.
Ce
qu’il
croioit impoſſible étoit déja démon-
tré
, &
, qui plus eſt, démontré aux yeux,
reconnu
vrai par les ſens, ce qui auroit
bien
déplu au Pere Mallebranche.
D’autres Philoſophes ſentant le faible de
ces
ſuppoſitions, vous diſent au moins
avec
plus de vraiſemblance:
Les couleurs
viennent
du plus ou du moins de rayons réflechis
des
corps colorez.
Le blanc eſt celui qui en
réflechit
davantage;
le noir eſt celui qui en
réflechit
le moins.
Les couleurs les plus bril-
lantes
ſeront donc celles qui vous apporteront
plus
de rayons.
Le rouge, par exemple, qui
fatigue
un peu la vûe, doit être compoſé de
plus
de rayons, que le verd qui la repoſe da-
vantage
.
Cette Hypothèſe parait d’abord
plus
ſenſée;
mais elle n’eſt qu’une conjec-
ture
(d’ailleurs très-incomplette &
erro-
née
), &
une conjecture n’eſt qu’une
136116DE LA PHILOSOPHIE de plus pour chercher, & non pas une rai-
ſon
pour croire.
Addreſſez-vous enfin à Neuton. Il vous
11Expé-
rience

& dé-
monſ-
tration

de
Neu-
ton
.
dira ne m’en croyez pas:
n’en croyez que
vos
yeux &
les Mathématiques: mettez-
vous
dans une chambre tout-à-fait obſcu-
re
, le jour n’entre que par un trou ex-
trêmement
petit;
le rayon de la lumiere
viendra
ſur du papier vous donner la cou-
leur
de la blancheur.
Expoſez transverſalement à un rayon de
lumiere
ce priſme de verre;
enſuite met-
tez
à une diſtance d’environ ſeize ou dix-
ſept
pieds une feuille de papier P.
vis-à-vis
ce
priſme.
52[Figure 52]
137117DE NEUTON.
Vous ſavez déja que la lumiere ſe briſe
en
entrant de l’air dans ce priſme;
vous
ſavez
qu’elle ſe briſe, en ſens contraire, en
ſortant
de ce priſme dans l’air.
Si elle ne
ſe
briſoit pas ainſi, elle iroit de ce trou
tomber
ſur le plancher de la chambre Z.
Mais comme il faut que la lumiere, en s’é-
chappant
, s’éloigne de la ligne Z.
cette lu-
miere
ira donc frapper le papier.
C’eſt-là
que
ſe voit tout le ſecret de la lumiere &

des
couleurs.
Ce rayon qui eſt tombé ſur
ce
priſme n’eſt pas, comme on croioit, un
ſimple
rayon;
c’eſt un faiſceau de ſept prin-
cipaux
faiſceaux de rayons, dont chacun
porte
en ſoi une couleur primitive, primor-
diale
, qui lui eſt propre.
Des mêlanges de
ces
ſept rayons naiſſent toutes les couleurs
de
la Nature;
& les ſept réunis enſemble,
réflechis
enſemble de deſſus un objet, for-
ment
la blancheur.
Approfondiſſez cet artifice admirable.
Nous avions déja inſinué que les rayons
de
la lumiere ne ſe réfractent pas, ne ſe
briſent
pas tous également;
ce qui ſe paſſe
ici
en eſt aux yeux une démonſtration évi-
dente
.
Ces ſept rayons de lumiere
138118DE LA PHILOSOPHIE pez du corps de ce rayon, qui s’eſt anato-
miſé
au ſortir du priſme, viennent ſe placer,
chacun
dans leur ordre, ſur ce papier blanc,
chaque
rayon occupant une ovale.
Le rayon
qui
a le moins de force pour ſuivre ſon che
min
, le moins de roideur, le moins de ma-
tiere
, s’écarte plus dans l’air de la perpen-
diculaire
du priſme.
Celui qui eſt le plus
fort
, le plus denſe, le plus vigoureux, s’en
écarte
le moins.
Voyez-vous ces ſept ra-
yons
qui viennent ſe briſer les uns au-deſſus
des
autres?
53[Figure 53]
139119DE NEUTON.
Chacun d’eux peint ſur ce papier la cou-
leur
primitive qu’il porte en lui-même.
Le
premier
rayon, qui s’ecarte le moins de cet-
te
perpendicule du priſme, eſt couleur de
feu
;
le ſecond orangé; le troiſième jaune;
le quatrième verd; le cinquième bleu; le
ſixième
indigo.
Enfin celui qui s’écarte
davantage
de la perpendicule, &
qui s’éleve
le
dernier au-deſſus des autres, eſt le vio-
let
.
Un ſeul faiſceau de lumiere, qui aupara-
11Anato-
mie
de
la
lu-
miere
.
vant faiſoit la couleur blanche, eſt donc un
compoſé
de ſept faiſceaux qui ont chacun
leur
couleur.
L’aſſemblage de ſept rayons
primordiaux
fait donc le blanc.
Si vous en doutez encore, prenez un des
verres
lenticulaires de lunette, qui raſſem-
blent
tous les rayons à leur foyer:
expoſez
ce
verre au trou par lequel entre la lumie-
re
;
vous ne verrez jamais à ce foyer qu’un
rond
de blancheur.
Expoſez ce même ver-
re
au point, il pourra raſſembler tous
les
ſept rayons partis-du priſme:
140120DE LA PHILOSOPHIE 54[Figure 54]
Il réunit, comme vous le voyez, ces ſept
rayons
dans ſon foyer.
La couleur de ces
ſept
rayons réunis eſt blanche;
donc il eſt
démontré
que la couleur de tous les rayons
réunis
eſt la blancheur.
Le noir par con-
ſéquent
ſera le corps, qui ne réflechira point
de
rayons.
Car, lorſqu’à l’aide du priſme vous avez
ſéparé
un de ces rayons primitifs, expoſez-
le
à un miroir, à un verre ardent, à un
autre
priſme, jamais il ne changera de cou-
leur
, jamais il ne ſe ſéparera en d’autres
11Cou-
leurs

dans
les
ravons

primi-
tifs
.
rayons.
Porter en ſoi une telle couleur eſt
ſon
eſſence, rien ne peut plus l’altérer;
&
pour
ſurabondance de preuve, prenez
141121DE NEUTON. fils de ſoye de différentes couleurs; expo-
ſez
un fil de ſoye bleue, par exemple, au
rayon
rouge, cette ſoye deviendra rouge.
Mettez la au rayon jaune, elle deviendra
jaune
:
ainſi du reſte. Enfin ni réfraction,
ni
réflexion, ni aucun moyen imaginable,
ne
peut changer ce rayon primitif, ſemblable
à
l’or que le creuſet a éprouvé, &
encore
plus
inaltérable.
Cette propriété de la lumiere, cette iné-
galité
dans les réfractions de ſes rayons, eſt
appellée
par Neuton réfrangibilité.
On
s’eſt
d’abord révolté contre le fait, &
on l’a
nié
long-tems, parce que Mr.
Mariote avoit
manqué
en France les expériences de Neu-
ton
.
On aima mieux dire que Neuton s’é-
11Vaines
objec-
tions

contre

ces
dé-
couver-
tes
.
toit vanté d’avoir vu ce qu’il n’avoit point
vu
, que de penſer que Mariote ne s’y étoit
pas
bien pris pour voir, &
qu’il n’avoit pas
été
aſſez heureux dans le choix des priſmes
qu’il
employa.
Enſuite méme, lorſque ces
expériences
ont été bien faites, &
que la
vérité
s’eſt montrée à nos yeux, le pré-
jugé
a ſubſiſté encore au point, que dans
pluſieurs
Journaux &
dans pluſieurs Livres
faits
depuis l’année 1730.
on nie
142122DE LA PHILOSOPHIE ment ces mêmes expériences, que cepen-
dant
on fait dans toute l’Europe.
C’eſt
ainſi
qu’après la découverte de la circula-
tion
du ſang, on ſoutenoit encore des
Thèſes
contre cette vérité, &
qu’on vou-
loit
même rendre ridicules ceux qui expli-
quoient
la découverte nouvelle en les appe-
lant
Circulateurs.
Enfin, quand on a été obligé de céder à
l’évidence
, on ne s’eſt pas rendu encore:
on
a
vu le fait, &
on a chicané ſur l’expreſ-
ſion
:
on s’eſt révolté contre le terme de
réſrangibilité
, auſſi-bien que contre celui
d’attraction
, de gravitation.
Eh qu’im-
porte
le terme, pourvû qu’il indique une vé-
rité
?
Quand Chriſtofle Colomb découvrit
l’iſle
Hiſpaniola, ne pouvoit-il pas lui im-
poſer
le nom qu’il vouloit?
Et n’appartient-
il
pas aux Inventeurs de nommer ce qu’ils
créent
, ou ce qu’ils découvrent?
On s’eſt
récrié
, on a écrit, contre des mots que Neu-
ton
employe avec la précaution la plus ſagc
pour
prévenir des erreurs.
Il appelle ces rayons, rouges, jaunes, & c.
11Criti-
ques
en-
core
plus
vaines
.
des rayons rubrifiques, jaunifiques,
143123DE NEUTON. dire, excitant la ſenſation de rouge, de
jaune
.
Il vouloit par-là fermer la bouche
à
quiconque auroit l’ignorance, ou la mau-
vaiſe
foi, de lui imputer qu’il croioit comme
Ariſtote
, que les couleurs ſont dans les
choſes
mêmes, dans ces rayons jaunes &

rouges
, &
non dans notre ame. Il avoit rai-
ſon
de craindre cette accuſation.
J’ai trou-
des hommes, d’ailleurs reſpectables, qui
m’ont
aſſûré que Neuton étoit Péripatéti-
cien
, qu’il penſoit que les rayons ſont co-
lorez
en effet eux-mêmes, comme on pen-
ſoit
autreſois que le feu étoit chaud;
mais
ces
mêmes Critiques m’ont aſſûré auſſi que
Neuton
étoit Athée.
Il eſt vrai qu’ils n’a-
voient
pas lu ſon Livre, mais ils en avoient
entendu
parler à des gens qui avoient écrit
contre
ſes expériences, ſans les avoir vues.
Ce qu’on écrivit d’abord de plus doux
contre
Neuton, c’eſt que ſon Syſtême eſt
une
Hypothèſe;
mais qu’eſt-ce qu’une hypo-
thèſe
?
Une ſuppoſition. En vérité, peut-
on
appeller du nom de ſuppoſition, des ſaits
tant
de fois démontrez?
Eſt-ce par amour
propre
qu’on veut abſolument avoir l’hon-
neur
d’écrire contre un grand Homme?
144124DE LA PHILOSOPHIE
Mais ne devroit-on pas être plus flatté d’en
être
le Diſciple, que l’Adverſaire?
Eſt-ce
parce
qu’on eſt en France qu’on rougit de
recevoir
la vérité des mains d’un Anglais?
Ce ſentiment ſeroit bien indigne d’un Phi-
loſophe
.
Il n’y a, pour quiconque penſe,
ni
Français, ni Anglais:
celui qui nous inſ-
truit
eſt notre compatriote.
55[Figure 55]
145 56[Figure 56]
CHAPITRE NEUV.
l’on indique la cauſe de la réfrangibilité, &
l’on trouve par cette cauſe, qu’il y a des
Corps
indiviſibles en Phyſique.
CETTE réfrangibilité, que nous ve-
nons
de voir, étant attachée à la ré-
fraction
, doit avoir ſa ſource dans le méme
principe
.
La même cauſe doit préſider au
jeu
de tous ces reſſorts:
c’eſt-là l’ordre de
la
Nature.
Tous les Végétaux ſe nourriſ-
ſent
par les mêmes loix;
tous les Animaux
ont
les mêmes principes de vie.
146126DE LA PHILOSOPHIE choſe qui arrive aux corps en mouvement,
les
loix du mouvement ſont invariables.
Nous avons déja vu que la réflection, la
réfraction
, l’inflexion de la lumiere, ſont
les
effets d’un pouvoir qui n’eſt point l’im-
pulſion
(au moins connue):
ce même pou-
voir
ſe fait ſentir dans la réfrangibilité;
ces
rayons
, qui s’écartent à des diſtances diffé-
rentes
, nous avertiſſent que le milieu, dans
lequel
ils paſſent, agit ſur eux inégalement.

Un
faiſceau de rayons eſt attiré dans le
verre
, mais ce faiſceau de rayons eſt com-
poſé
de maſſes inégales.
Ces maſſes obéïſ-
ſent
donc inégalement à ce pouvoir par le-
quel
le milieu agit ſur elles.
Le trait de
lumiere
le plus ſolide, le plus compact, doit
réſiſter
le plus à ce pouvoir, doit être moins
11Diffé-
rences

entreles

rayons

de
la lu-
miere
.
détourné de ſa route, doit être le moins
réfrangible
.
C’eſt ce que l’expérience con-
firme
dans tous les milieux, &
dans tous les
cas
.
Le rayon rouge eſt toujours celui qui
ſe
détourne le moins de ſon chemin;
le
rayon
violet eſt toujours celui qui s’en dé-
tourne
le plus.
Auſſi le rayon rouge a-t-il
le
plus de ſubſtance, eſt-il le plus dur, le plus
brillant
, &
fatigue-t-il la vûe davantage. Le
violet
qui de tous les rayons colorez
147127DE NEUTON. le plus la vûe eſt le plus réfrangible, & par
conſequent
eſt compoſé de parties plus fi-
nes
&
moins gravitantes; & ne croyez pas
que
ce ſoit ici une ſimple conjecture, &

qu’on
devine au hazard, que la lumiere a
de
la peſanteur, &
qu’un rayon peſe plus
qu’un
autre.
Des expériences, faites par les mains les
11La lu-
miere

eſt
pe-
ſante
.
plus exercées &
les plus habiles, nous ap-
prennent
que pluſieurs corps acquiérent du
poids
après avoir été long-tems imbibez de
lumiere
.
Les particules de feu qui ont
pénétré
leur ſubſtance l’ont augmentée.
Mais quand on révoqueroit en doute ces ex-
périences
, le feu eſt une matiere;
donc
il
peſe, &
la lumiere n’eſt autre choſe que
du
feu.
Il eſt évident qu’un rayon blanc peſe
tous
les rayons qui le compoſent.
Or ſup-
poſez
, un moment, que ces rayons s’écar-
tent
tous également l’un de l’autre, alors il
eſt
évident, en ce cas, que le rayon rouge,
étant
ſept fois moins réfrangible que le
rayon
violet, doit avoir ſept fois plus de
maſſe
, &
ſept fois plus de poids, que le
148128DE LA PHILOSOPHIE violet. Ainſi le rayon rouge peſant com-
me
ſept;
l’orangé ſuppoſé ici, comme ſix: le
jaune
ſuppoſé, comme cinq:
le verd, com-
me
quatre:
le bleu, comme trois: le pour-
pre
indigo, comme deux, &
le violet, comme
un
:
la ſomme de tous ces poids étant
vingt-huit
, &
le blanc étant l’aſſemblage de
tous
ces poids, il eſt démontré qu’un rayon
blanc
, dans la ſuppoſition de ce calcul, peſe
vingt-huit
fois autant qu’un rayon violet;
& ,
quel
que ſoit le calcul, il eſt évident que le
rayon
blanc peſe beaucoup plus qu’aucun
autre
rayon, puiſqu’il les peſe tous enſem-
ble
.
Nous avons déja vu quelle doit être la
petiteſſe
prodigieuſe de ces rayons de lu-
miere
, contenant en eux toutes les couleurs,
qui
viennent du Soleil pénétrer un pore
de
diamant.
Une foule de rayons paſſe
dans
ce pore, &
vient ſe réunir près de la
ſurface
intérieure d’une facette.
De cette
foule
de traits de lumiere qui occupe un ſi
petit
eſpace, il n’y en a aucun qui ne con-
tienne
ſept traits primordiaux.
Chacun de
ces
traits eſt encore lui-même un faiſceau
de
traits teints de ſa couleur.
La
149129DE NEUTON. rouge eſt un aſſemblage d’un très-grand nom-
bre
de rayons rouges.
Le violet eſt un aſ-
ſemblage
de rayons violets.
Si donc ce
faiſceau
violet peſe vingt-huit fois moins
qu’un
faiſceau blanc, que ſera-ce qu’un ſeul
des
traits de ce faiſceau?
Conſidérons un de ces traits ſimples, qui
différe
d’un autre trait:
par exemple, le
plus
mince trait rouge différe en tout
du
plus mince trait violet.
Il faut que ſes
11Atomes
dont
la
lumiere

eſt
com-
poſée
.
parties ſolides ſoient autant d’atomes par-
faitement
durs, leſquels compoſent ſon ê-
tre
.
En effet, ſi les corps n’étoient pas com-
poſés
de parties ſolides, dures, indiviſibles,
de
véritables atomes:
comment les eſpèces
des
corps pourroient-elles reſter éternelle-
ment
les mêmes?
Qui mettroit entre elles
une
différence ſi conſtante?
Ne faut-il pas
que
les parties qui font leur eſſence, ſoient
aſſez
dures, aſſez ſolides, aſſez unes, pour
être
toujours ce qu’elles ſont?
Car com-
ment
eſt-ce que dans le germe d’un grain
22Les
princi-
pes
des
corps

ſont
des
atomes
.
de bled ſeroient contenus tant de grains de
bled
, &
rien autre choſe, ſi la configuration
des
petites parties n’étoit pas toujours la
même
, ſi elle n’étoit pas toujours
150130DE LA PHILOSOPHIE indiviſible: ce qui ne veut dire autre choſe
que
toujours indiviſée?
Dans l’œuf d’une
mouche
ſe trouvent des mouches à l’infi-
ni
;
mais ſi ces petites parties qui contien-
nent
tant de mouches n’étoient pas parfai-
tement
dures, elles ſe briſeroient certaine-
ment
l’une contre l’autre, par le mouve-
ment
rapide tout eſt dans la Nature.
Elles ſe briſeroient d’autant plus, que les
petits
corps ont plus de ſurface par rapport
à
leur groſſeur.
Cependant cet inconvé-
nient
n’arrive point:
l’œuf d’une mouche
produit
toujours les mouches qu’il conte-
noit
;
chaque ſemence, depuis l’Or juſ-
ques
au grain de moutarde, reſte éternelle-
ment
la même.
Donc il eſt à croire que
chaque
ſemence des choſes eſt compoſée
d’atomes
toujours indiviſés, qui font la
ſubſtance
de chaque choſe:
mais ce n’eſt
pas
aſſez d’indiquer cette grande Vérité à
laquelle
l’obſervation des rayons de la lu-
miere
nous a conduits:
il la faut démon-
trer
:
il faut prouver en rigueur qu’il y a
néceſſairement
des atomes phyſiquement
indiviſibles
;
& c’eſt ce que nous allons fai-
re
voir dans le Chapitre ſuivant.
151 57[Figure 57]
CHAPITRE DIXIE’ME.
Preuves qu’il y a des atomes indiviſibles, & que
les
parties ſimples de la lumiere ſont de ces
atomes
. Suite des découvertes.
VOUS avez déja compris quelle eſt l’ex-
treme
poroſité de tous les corps.
L’eau
mème
qui n’eſt que dix-neuf fois moins pe-
ſante
que l’or, paſſe pourtant entre les po-
res
de l’or même, le plus ſolide des Métaux.
Il n’y a aucun corps qui n’ait incompara-
blement
plus de pores que de matiere:
152132DE LA PHILOSOPHIE ſuppoſons un cube qui même, ſi l’on veut,
ait
autant de matiere apparente que de po-
res
:
par cette ſuppoſition il n’aura donc
réellement
que la moitié de la matiere qu’il
parait
avoir;
mais chaque partie de ce corps
étant
dans le même cas, &
perdant ainſi la
moitié
d’elle-même, ce cube ne ſera donc
par
cette deuxième opération que le quart
de
lui-même;
il n’y aura donc dans lui que
le
quart de la matiere qui ſemble y être.
Diviſez ainſi chaque partie de chaque par-
tie
;
reſtera le huitième de matiere. Con-
11Preuve
qu’il
y
a
des
atomes
.
tinuez toujours cette progreſſion juſqu’à
l’infini
, &
faites paſſer votre diviſion par
tous
les ordres d’infini;
la fin de la progreſ-
ſion
des pores ſera donc l’infini, &
la fin de
la
diminution de la matiere ſera zero.
Donc
ſi
l’on pouvoit phyſiquement diviſer la ma-
tiere
à l’infini, il ſe trouveroit qu’il n’y au-
roit
que des pores &
point de matiere. Donc
la
matiere, telle qu’elle eſt, n’eſt pas réelle-
ment
phyſiquement diviſible à l’infini:
Donc il eſt démontré qu’il y a des atomes
indiviſibles
, c’eſt-à-dire, des atomes qui
ne
ſeront jamais diviſés, tant que durera la
conſtitution
préſente du Monde.
153133DE NEUTON.
Préſentons cette démonſtration d’une ma-
niere
encore plus palpable.
Je ſuis arrivé
par
ma diviſion aux deux derniers pores:
il
y
a entre eux un corps, ou non:
s’il n’y
en
a point, il n’y avoit donc point de ma-
tiere
;
s’il y en a, ce corps eſt donc ſans
pores
.
Je dis qu’il eſt ſans pores; puiſque
je
ſuis arrivé aux derniers pores, cette par-
ticule
de matiere eſt donc réellement indi-
viſible
.
Au reſte, que cette propoſition ne vous
paraiſſe
point contradictoire à la démonſtra-
tion
géométrique, qui vous prouve qu’une
ligne
eſt diviſible à l’infini.
Ces deux propoſitions qui ſemblent ſe
11La divi-
ſibilité

de
la
matiere

n’empê-
che

point

qu’il
n’y
alt
des
atomes
.
détruire l’une l’autre, s’accordent très-bien
enſemble
.
La Géométrie a pour objet les
idées
de notre eſprit.
Une ligne géométri-
que
eſt une ligne en idée, toujours diviſi-
ble
en idée, comme une unité numérique
eſt
toujours réductible en autant d’unités
qu’il
me plaira d’en concevoir.
Je puis
diviſer
l’unité d’un pied, en cent milles
milliaſſes
d’autres unités;
mais enſuite
154134DE LA PHILOSOPHIE pourrai toujours conſiderer ce pied comme
une
unité .
Les points ſans ligne, les lignes ſans ſur-
faces
, les ſurfaces ſans ſolides, l’infini 1.
,
l’infini
2.
, l’infini 3. , ſont en effet les ob-
jets
de propoſitions certaines de la Géomé-
trie
;
mais il eſt également certain que la
Nature
ne peut produire des ſurfaces, des
lignes
, des points ſans ſolides.
De mê-
me
il eſt indubitable qu’une ligne en Géo-
métrie
eſt diviſible à l’infini;
& il eſt indu-
bitable
qu’il y a dans la Nature des corps
indiviſibles
, c’eſt-à-dire, des corps indivi-
ſés
, des corps qui reſteront tels, tant que
la
conſtitution préſente des choſes ſubſiſ-
tera
.
Tenons
1
11Mr. de Maleſieu, dans la Géométrie de Mr. le
Duc
de Bourgogne, n’a pas fait aſſez d’attention à
cette
vérité, p. 117. Il trouve de la contradiction
il
n’y en a point. Il demande, comme une queſtion
inſoluble
, ſi un pied de matiere eſt une ſubſtance ou
pluſieurs
? C’eſt une ſubſtance certainement, quand on
le
conſidére comme un pied cube. Ce ſont dix ſept
cens
vingt-huit ſubſtances, quand on le diviſe en
pouces
.
155135DE NEUTON.
Tenons donc pour certain qu’il y a des
atomes
.
Chaque partie conſtituante d’un
rayon
ſimple coloré, peut être conſidérée
comme
un atome;
chacun de ces atomes eſt
peſant
, c’eſt ſa différente attraction qui fait
ſa
différente réfrangibilité.
Songeons que
ces
atomes les plus réfrangibles ſont auſſi
les
plus réflexibles, &
qu’enfin puiſqu’ils
ſont
réfrangibles à raiſon de leur attraction
vers
le milieu le plus agiſſant, il faut bien
qu’ils
réflechiſſent auſſi en raiſon de cette
attraction
.
Maintenant il eſt aiſé de connai-
tre
que le rayon violet, par exemple, qui
eſt
le plus réfrangible, eſt toujours le premier
qui
ſe réflechit en ſortant du priſme qui a
reçu
tous les rayons.
Mr. Neuton a fait
cette
expérience à l’aide de quatre priſmes
avec
une fagacité &
une induſtrie dignes de
l’inventeur
de tant de vérités.
Je donnerai ici la plus ſimple de ces ex-
périences
.
156136DE LA PHILOSOPHIE 58[Figure 58]
Ce priſme a envoyé ſur ce papier ces ſept
11Expé-
rience

impor-
tante
.
couleurs:
tournez ce priſme ſur lui-même
dans
le ſens A, B, C.
vous aurez bien-tôt
cet
angle ſelon lequel toute lumiere ſe ré-
flechira
de dedans ce priſme au dehors, au
lieu
de paſſer ſur ce papier;
ſi tôt que vous
commencez
à approcher de cet angle, voila
tout
d’un coup le rayon violet qui ſe déta-
che
de ce papier, &
que vous voyez ſe
porter
au Plat-fond de la chambre.
Après
le
violet, vient le pourpre;
après le
157137DE NEUTON. pre, le bleu; enfin le rouge quitte le der-
nier
ce papier il eſt peint, pour venir à
ſon
tour ſe réflechir ſur le Plat-fond.
Donc
tout
rayon eſt plus réflexible à meſure qu’il
eſt
plus réfrangible;
donc la même cauſe
opére
la réflexion &
la réfrangibilité.
Or la partie ſolide du verre ne fait ni
cette
réfrangibilité, ni cette réflexion;
donc
encore
une fois ces proprietés ont leur naiſ-
ſance
dans une autre cauſe que dans l’impul-
ſion
connue ſur la Terre.
Il n’y a rien à dire
contre
ces expériences, il faut s’y ſoumet-
tre
, quelque rebelle que l’on ſoit à l’évi-
dence
.
On pourroit tirer des expériences même
de
Neuton de quoi faire quelques difficul-
tés
contre les loix qu’il établit.
On pourroit
lui
dire, par exemple:
Vous nous avez
11Objec-
tion
.
prouvé que l’impulſion d’aucun corps con-
nu
ne peut opérer le briſement de la lumie-
re
, ni ſa réflexion, puiſqu’elle ſe briſe dans
des
pores &
ſe réflechit dans du vuide: Vous
nous
avez dit qu’il y a un pouvoir dans la
Nature
qui fait tendre tous les corps les uns
vers
les autres, &
en attendant que
158138DE LA PHILOSOPHIE nous montriez, comme vous nous l’avez
promis
, les loix de ce pouvoir, nous con-
cevons
qu’en effet ſa puiſſance doit agir ſur
toute
la matiere, &
que le plus petit des
corps
imaginables doit être ſoumis à cette
puiſſance
de même que le plus grand de tous
les
corps poſſibles:
Vous nous avez dit qu’u-
ne
des loix de ce pouvoir eſt d’agir ſur tous
les
corps, ſelon leurs maſſes, &
nous
avouons
que cela eſt bien vraiſemblable;
mais par vos propres expériences ne démen-
tez-vous
pas ce Syſtême?
L’eau a beaucoup
plus
de maſſe que l’eſprit de vin, que l’eſprit
de
térébenthine:
cependant elle attire moins
un
rayon de lumiere, la réfraction ſe fait
moindre
dans l’eau que dans l’eſprit de vin;

donc
ce pouvoir de gravitation, d’attrac-
tion
, n’agit pas comme vous le dites, ſelon
la
maſſe.
Cette objection loin d’ébranler la vérité
11Répon-
ſe
.
Pour-
quoi
les
fluides

moins

peſants

que

l’eau
at-
tirent

plus
la
lumiere
.
des découvertes nouvelles, la confirme en
effet
.
Pour la réſoudre clairement, conſi-
dérons
que tous les corps tendent vers le
centre
de la Terre, que tous tombent dans l’air
avec
une force proportionnée à leur maſſe;
mais queſi outre cette force on leur en
159139DE NEUTON. plique encore une autre, ils iront plus vîte
qu’ils
n’auroient été par leur propre poids.
Tel eſt le cas des rayons de la lumiere en-
trant
dans des corps déja remplis de parti-
cules
inflammables, leſquelles ne ſont que
la
lumiere elle-même retenue dans leurs po-
res
.
Ces atomes de feu qui réſident en effet
dans
certains corps ſulphureux &
tranſpa-
rens
, augmentent la réfraction de la lumie-
re
vers la ligne perpendiculaire, comme
une
nouvelle force qui lui eſt appliquée:
il
arrive
alors ce qui arrive à un flambeau
qui
vient d’etre éteint, &
qui fume encore;
il ſe rallume dés qu’il eſt à une certaine diſ-
tance
d’un autre flambeau allumé.
Il eſt tout naturel que les rayons de lu-
miere
entrent aiſément dans l’eſprit ſulphu-
reux
de térébenthine, comme la flamme dans
la
méche fumante d’un flambeau éteint;
or
une
nouvelle cauſe jointe à la réfraction
augmente
néceſſairement la réfraction.
De plus, la réaction eſt toujours égale á
l’action
:
les corps ſulphureux ſont ceux ſur
leſquels
le feu, qui n’eſt que la
160140DE LA PHILOSOPHIE agit davantage; donc ils doivent agir auſſi
plus
que les autres corps ſur la lumiere, la
briſer
, la réfracter davantage.
Remarquons ſur-tout ici que cette attrac-
11L’at-
traction

n’entre

pas
dans
tous
les
effets
de
la
lumie-
re
.
tion inhérente dans la matiere ne s’étend
pas
à tout, n’opére pas tous les effets.
Le
myſtère
de la lumiere réflechie du milieu
des
pores, &
de deſſus les ſurſaces, ſans tou-
cher
aux ſurfaces, a des profondeurs que
les
loix de l’attraction ne peuvent ſonder:
il n’y a qu’un Charlatan, qui ſe vante d’a-
voir
un remede univerſel, &
ce ſeroit être
Charlatan
en Philoſophie que de rapporter
tout
, ſans preuve, à la même cauſe;
cette
même
force d’eſprit qui a fait découvrir à
Neuton
le pouvoir de l’attraction, lui a fait
avouer
que ce pouvoir eſt bien loin d’être
l’unique
Agent de la Nature.
Il eſt bien vrai que le rayon le plus ré-
frangible
étant le plus réflexible, c’eſt une
preuve
évidente que la même puiſſance
opére
la réflexion, la réſraction, &
l’accélé-
ration
de la chûte des rayons dans ce verre,
&
c. ; mais enfin la force de l’attraction ſem-
ble
n’avoir rien de commun avec
161141DE NEUTON. phénomênes. Il y a ſur-tout des vibrations
de
rayons, des jets alternatifs de la lumie-
miere
allant &
venant ſur les corps, que
la
gravitation n’expliqueroit pas;
mais ces
nouvelles
difficultés, c’eſt Neuton lui-
même
qui les a créées.
Non - ſeulement il
a
découvert des myſtères que la gravitation
développe
;
mais il en a trouvé qu’elle ne
développe
pas.
Ces jets alternatifs de la
réflexion
de la lumiere ſont un de ces Se-
crets
de la Nature, dont il eſt bien étonnant
que
les yeux humains ayent pu s’apperce-
voir
.
Nous parlerons de cette ſingularité en ſon
lieu
dans le Chapitre treizième;
continuons
à
voir les effets de la réſrangibilité.
L’Arc-
en-Ciel
eſt un de ces effets, &
le plus
conſidérable
, nous allons l’expliquer dans le
Chapitre
qui ſuit.
59[Figure 59]
162 60[Figure 60]
CHAPITRE ONZIE’ME.
De l’ Arc-en-Ciel; que ce Météore eſt une ſuite
néceſſaire
des loix de la réfrangibilité.
L’Arc-en-Ciel, ou l’Iris, eſt une ſuite
11Méca-
niſme

de

l’Arc-
en
Ciel
inconnu

à
toute
l’Anti-
quité
.
néceſſaire des proprietés de la lumiere
que
nous venons d’obſerver.
Nous n’avons
rien
, dans les Ecrits des Grecs, ni des Ro-
mains
, ni des Arabes, qui puiſſe faire penſer
qu’ils
connuſſent les raiſons de ce phénomê-
ne
.
Lucrèce n’en dit rien, & par tou@es
les
abſurdités qu’il débite au nom
163143DE NEUTON. ſur la lumiere & ſur la viſion, il parait que
ſon
Siècle, ſi poli d’ailleurs, étoit plongé
dans
une profonde ignorance en fait de
Phyſique
.
On ſavoit qu’il faut qu’une nuée
épaiſſe
ſe réſolvant en pluye, ſoit expoſée
aux
rayons du Soleil, &
que nos yeux ſe
trouvent
entre l’Aſtre &
la nuée pour voir
ce
qu’on appelloit l’Iris, mille trahit varios
adverſo
ſole colores, mais voilà tout ce qu’on
ſavoit
;
perſonne n’imaginoit ni pourquoi
une
nuée donne des couleurs, ni comment
la
nature &
l’ordre de ces couleurs ſont dé-
terminés
, ni pourquoi il y a deux Arcs-en
Ciel
l’un ſur l’autre, ni pourquoi on voit
toujours
ce phénomêne ſous la figure d’un
demi-cercle
.
Albert qu’on a ſurnommé le Grand, parce
11Igno-
rance

d’Al-
bert
le
Grand
.
qu’il vivoit dans un Siècle les hommes
étoient
bien petits, imagina que les cou-
leurs
de l’Arc-en-Ciel venoient d’une roſée
qui
eſt entre nous &
la nuée, & que ces
couleurs
reçues ſur la nuée, nous étoient
envoyées
par elle.
Vous remarquerez en-
core
que cet Albert le Grand, croioit avec
toute
l’Ecole que la lumiere étoit un ac-
cident
.
164144DE LA PHILOSOPHIE
Enfin le célèbre Antonio de Dominis Ar-
11L’Ar-
chevê-
que
An-
tonio
de
Domi-
nis
eſt
le
pre-
mier
qui
ait
ex-
pliqué

l’Arc-
en-Ciel
.
cheveque de Spalatro en Dalmatie, chaſſé
de
ſon Evêché par l’Inquiſition, écrivit
vers
l’an 1590.
ſon petit Traité De radiis
Lucis
&
de Iride, qui ne fut imprimé à Ve-
niſe
que vingt ans après.
Il fut le premier
qui
fit voir que les rayons du Soleil réflechis
de
l’intérieur même des goûtes de pluye,
formoient
cette peinture qui parait en Arc,
&
qui ſembloit un miracle inexplicable; il
rendit
le miracle naturel, ou plutôt il l’ex-
pliqua
par de nouveaux prodiges de la Na-
ture
.
Sa découverte étoit d’autant plus ſingu-
liére
, qu’il n’avoit d’ailleurs que des no-
tions
très-fauſſes de la maniere dont ſe fait
la
viſion.
Il aſſûre dans ſon Livre que les
images
des objets ſont dans la prunelle, &

qu’il
ne ſe fait point de réfraction dans nos
yeux
:
choſe aſſez ſinguliére pour un bon
Philoſophe
! Il avoit découvert les réſrac-
tions
alors inconnues dans les goûtes de
l’Arc-en-Ciel
, &
il nioit celles qui ſe font
dans
les humeurs de l’œil, qui commen-
çoient
à être démontrées;
mais laiſſons
165145DE NEUTON. erreurs pour examiner la vérité qu’il a trou-
vée
.
Il vit avec une ſagacité alors bien peu
commune
, que chaque rangée, chaque ban-
de
de goûtes de pluye qui forme l’Arc-en-
Ciel
, devoit renvoyer des rayons de lumie-
re
ſous différens angles:
il vit que la diffé-
rence
de ces angles devoit faire celle des
couleurs
:
il ſut meſurer la grandeur de ces
11Son ex-
périen-
ce
.
angles:
il prit une boule d’un cryſtal bien
tranſparent
qu’il remplit d’eau;
il la ſuſpen-
dit
à une certaine hauteur expoſée aux
rayons
du Soleil.
Deſcartes qui a ſuivi Antonio de Dominis,
22Imitée
par
Deſ-
cartes
.
qui l’a rectifié &
ſurpaſſé en quelque choſe,
&
qui peut-être auroit du le citer, fit auſſi la
même
expérience.
Quand cette boule eſt
ſuſpendue
à telle hauteur que le rayon de
lumiere
, qui donne du Soleil ſur la boule,
fait
ainſi avec le rayon allant de la boule à
l’œil
un angle de quarante-deux degrez
deux
ou trois minutes, cette boule donne
toujours
une couleur rouge.
166146DE LA PHILOSOPHIE 61[Figure 61]
Quand cette boule eſt ſuſpendue un peu
plus
bas, &
que ces angles ſont plus petits,
les
autres couleurs de l’Arc-en-Ciel paraiſ-
ſent
ſucceſſivement de façon, que le plus
grand
angle, en ce cas, fait le rouge, &
que
le
plus petit angle de 40 degrez 17 minu-
tes
forme le violet.
C’eſt-là le fondement
de
la connaiſſance de l’Arc-en-Ciel;
mais
ce
n’en eſt encore que le fondement.
La réfrangibilité ſeule rend raiſon de ce
11La ré-
frangi-
bilité

unique

raiſon

de

l’Arc-
en-
Ciel.
phénomêne ſi ordinaire, ſi peu connu, &

dont
très-peu de Commençans ont une idée
nette
;
tâchons de rendre la choſe ſenſible
à
tout le monde.
Suſpendons une boule
de
cryſtal pleine d’eau, expoſée au Soleil:
plaçons-nous entre le Soleil & elle;
167147DE NEUTON. quoi cette boule m’envoye-t-elle des cou-
leurs
?
& pourquoi certaines couleurs? Des
maſſes
de lumiere, des millions de faiſ-
ceaux
, tombent du Soleil ſur cette boule:
dans chacun de ces faiſceaux il y a des traits
primitifs
, des rayons homogênes, pluſieurs
rouges
, pluſieurs jaunes, pluſieurs verds,
&
c. tous ſe briſent à leur incidence dans la
boule
, chacun d’eux ſe briſe différemment
&
ſelon l’eſpèce dont il eſt, & ſelon l’en-
droit
dans lequel il entre.
Vous ſavez déja que les rayons rouges ſont
les
moins réfrangibles;
les rayons rouges d’un
certain
faiſceau déterminé iront done ſe
réunir
dans un certain point déterminé au
fond
de la boule, tandis que les rayons bleus
&
pourpres du même faiſceau iront ailleurs.
Ces rayons rouges ſortiront auſſi de la boule
en
un endroit, &
les verds, les bleus, les pour-
pres
en un autre endroit.
Ce n’eſt pas aſſez.
Il
faut examiner les points, tombent ces
rayons
rouges en entrant dans cette boule
&
en ſortant pour venir à votre œil.
Pour donner à ceci tout le degré de clarté
néceſſaire
, concevons cette boule
168148DE LA PHILOSOPHIE qu’elle eſt en effet, un aſſemblage d’une in-
finité
de ſurfaces planes;
car le cercle étant
compoſé
d’une infinité de courbes, la boule
n’eſt
qu’une infinité de ſurfaces.
62[Figure 62]
Des rayons rouges A, B, C. viennent
parallèles
du Soleil ſur ces trois petites ſur-
faces
.
N’eſt-il pas vrai que chacun ſe bri-
ſe
ſelon ſon degré d’incidence?
N’eſt-il pas
manifeſte
que le rayon rouge A.
tombe
169149DE NEUTON. obliquement ſur ſa petite ſurface, que le
rayon
rouge B.
ne tombe ſur la ſienne? Ainſi
tous
deux viennent au point R.
par diffé-
rens
chemins.
Le rayon rouge C. tombant ſur ſa petite
ſurface
encore moins obliquement ſe rompt
bien
moins, &
arrive auſſi au point R. en
ne
ſe briſant que très-peu.
J’ai donc déja trois rayons rouges, c’eſt-
11Explica-
tion
de
ce
phé-
nomê-
ne
.
à-dire, trois faiſceaux de rayons rouges,
qui
aboutiſſent au même point R.
A ce point R. chacun fait un angle de
réflexion
égal à ſon angle d’incidence, cha-
cun
ſe briſe à ſon émergence de la boule,
en
s’éloignant de la perpendiculaire de la
nouvelle
petite ſurface qu’il rencontre, de
même
que chacun s’eſt rompu à ſon inci-
dence
en s’approchant de ſa perpendicule;
donc tous reviennent parallèles, donctous
entrent
dans l’œil, ſelon l’ouverture de l’an-
gle
propre aux rayons rouges.
S’il y a une quantité ſuffiſante de ces traits
homogênes
rouges pour ébranler le nerf
170150DE LA PHILOSOPHIE tique, il eſt inconteſtable que vous ne de-
vez
avoir que la ſenſation de rouge.
Ce ſont ces rayons A, B, C. qu’on nom-
me
rayons viſibles, rayons efficaces de cette
goûte
;
car chaque goûte a ſes rayons viſi-
bles
.
Il y a des milliers d’autres rayons rouges,
qui
, venant ſur d’autres petites ſurfaces de
la
boule, plus haut &
plus bas, n’aboutiſſent
point
en R, ou qui, tombés en ces mêmes
ſurfaces
à une autre obliquité, n’aboutiſſent
point
non plus en R.
; ceux-là ſont perdus
pour
vous, ils viendront à un autre œil
placé
plus haut, ou plus bas.
Des milliers de rayons orangés, verds,
bleus
, violets, ſont venus à la vérité avec
les
rouges viſibles ſur ces ſurfaces A, B,
C
.
; mais vous ne pourrez les recevoir.
Vous en ſavez la raiſon, c’eſt qu’ils ſont
tous
plus réfrangibles que les rouges:
c’eſt
qu’en
entrant tous au même point, chacun
prend
dans la boule un chemin différent;

tous
rompus davantage, ils viennent au-
deſſous
du point R.
, ils ſe rompent
171151DE NEUTON. plus que les rouges en ſortant de la boule.
Ce même pouvoir qui les approchoit plus
du
perpendicule de chaque ſurface dans
l’intérieur
de la boule, les en écarte donc
davantage
à leur retour dans l’air:
ils re-
viennent
donc tous au-deſſous de votre œil;

mais
baiſſez la boule, vous rendez l’angle
plus
petit.
Que cet angle ſoit de quaran-
te
degrez environ dix - ſept minutes, vous
ne
recevez que les objets violets.
Il n’y a perſonne qui ſur ce principe ne
conçoive
très - aiſément l’artifice de l’Arc-
en-Ciel
;
imaginez pluſieurs rangées, plu-
ſieurs
bandes de goûtes de pluye, chaque
goûte
fait préciſément le même effet que
cette
boule.
Jettez les yeux ſur cet Arc, & , pour évi-
ter
la confuſion, ne conſiderez que trois
rangées
de goûtes de pluye, trois bandes
colorées
.
172152DE LA PHILOSOPHIE 63[Figure 63]
Il eſt viſible que l’angle P, O, L. eſt
plus
petit que l’angle V, O, L.
, & que
l’angle
R, O, L.
eſt le plus grand des trois.
Ce plus grand angle des trois eſt donc celui
des
rayons primitifs rouges:
cet autre mi-
toyen
eſt celui des primitifs verds;
ce plus
petit
P, O, L.
eſt celui des primitifs pour-
pres
.
Donc vous devez voir l’Iris rouge
dans
ſon bord extérieur, verte dans ſon mi-
lieu
, pourpre &
violette dans ſa bande in-
térieure
.
Remarquez ſeulement que la
173153DE NEUTON. niére couche violette eſt toujours teinte de
la
couleur blanchâtre de la nuée dans la-
quelle
elle ſe perd.
Vous concevez donc aiſément que vous
ne
voyez ces goûtes que ſous les rayons
efficaces
parvenus à vos yeux après une
reflexion
&
deux réfractions, & parvenus
ſous
des angles déterminés.
Que votre œil
change
de place, qu’au lieu d’être en O.
il
ſoit
en T.
ce ne ſont plus les mêmes rayons
que
vous voyez:
la bande qui vous donnoit
du
rouge vous donne alors de l’orangé, ou
du
verd, ainſi du reſte;
& à chaque mouve-
ment
de tête vous voyez une Iris nouvelle.
Ce premier Arc-en-Ciel bien conçu, vous
aurez
aiſément l’intelligence du ſecond que
l’on
voit d’ordinaire qui embraſſe ce pre-
mier
, &
qu’on appelle le faux Arc-en-Ciel,
parce
que ſes couleurs ſont moins vives, &

qu’elles
ſont dans un ordre renverſé.
Pour que vous puiſſiez voir deux Arcs-en-
11Les
deux

Arcs-
en-Ciel
.
Ciel, il ſuffit que la nuée ſoit aſſez étendue
&
aſſez épaiſſe. Cet Arc, qui ſe peint ſur
le
premier &
qui l’embraſſe, eſt formé
174154DE LA PHILOSOPHIE même par des rayons que le Soleil darde
dans
ces goûtes de pluye, qui s’y rompent,
qui
s’y réflechiſſent de façon, que chaque
rangée
des goûtes vous envoye auſſi des
rayons
primitifs;
cette goûte un rayon
rouge
, cette autre goûte un rayon violet.
Mais tout ſe fait dans ce grand Arc d’une
maniere
oppoſée à ce qui ſe paſſe dans le
petit
;
pourquoi cela? C’eſt que votre œil
qui
reçoit les rayons efficaces du petit Arc
venus
du Soleil dans la partie ſupérieure des
goûtes
, reçoit au contraire les rayons du
grandArc
venus par la partie baſſe des goûtes.
64[Figure 64]
175155DE NEUTON.
Vous appercevez que les goûtes d’eau du
petit
Arc reçoivent les rayons du Soleil par
la
partie ſupérieure, par le haut de chaque
goûte
;
les goûtes du grand Arc - en - Ciel
au
contraire reçoivent les rayons qui par-
viennent
par leur partie baſſe.
Rien ne
vous
ſera, je crois, plus facile que de con-
cevoir
comment les rayons ſe réflechiſſent
deux
fois dans les goûtes de ce grand Arc-
en
- Ciel, &
comment ces rayons deux fois
réfractés
, &
deux fois réflechis, vous don-
nent
une Iris dans un ordre oppoſé à la pre-
miere
, &
plus affaiblie de couleur. Vous
venez
de voir que les rayons entrent ainſi
dans
la petite partie baſſe des goûtes d’eau
de
cette Iris extérieure.
65[Figure 65]
176156DE LA PHILOSOPHIE
Une maſſe de rayons ſe préſente à la
ſurface
de la goûte en G.
une partie de
ces
rayons ſe réfracte en dedans, &
une
autre
s’éparpille en dehors;
voilà déja une
perte
de rayons pour l’œil.
La partie réfrac-
tée
parvient en H.
une moitie de cette par-
tie
s’échappe dans l’air en ſortant de la goû-
te
, &
eſt encore perdue pour vous. Le peu
qui
s’eſt conſervé dans la goûte, s’en va en
K
.
une partie s’échappe encore: troiſiè-
me
diminution.
Ce qui en eſt reſté en K. s’en
va
en M.
& à cette émergence en M. , une
partie
s’éparpille encore:
quatrième dimi-
nution
;
& ce qui en reſte parvient enfin
dans
la ligne M, N.
Voilà donc dans cette
goûte
autant de réfractions que dans les
goûtes
du petit Arc;
mais il y a comme
vous
voyez deux réflexions au lieu d’une
dans
ce grand Arc.
Il ſe perd donc le dou-
ble
de la lumiere dans ce grand Arc la
lumiere
ſe réflechit deux fois, &
il s’en
perd
la moitié moins dans le petit Arc in-
térieur
, les goûtes n’éprouvent qu’une
réflexion
.
Il eſt donc démontré que l’Arc-
en-Ciel
extérieur doit toujours être de moi-
tié
plus faible en couleur que le petit
177157DE NEUTON. intérieur. Il eſt auſſi démontré par ce dou-
ble
chemin que font les rayons, qu’ils doi-
vent
parvenir à vos yeux dans un ſens op-
poſé
à celui du premier Arc, car votre œil
eſt
placé en O.
Dans cette place O. il reçoit les rayons
les
moins réfrangibles de la premiere bande
extérieure
du petit Arc, &
il doit recevoir
les
plus réfrangibles de la premiere bande
extérieure
de ce ſecond Arc;
ces plus ré-
frangibles
ſont les violets.
Voici done les deux
Arcs-en-Ciel
ici dans leur ordre, en ne met-
tant
que trois couleurs pour éviter la con-
fuſion
.
66[Figure 66]
178158DE LA PHILOSOPHIE
Il ne reſte plus qu’à voir pourquoi ces cou-
11Cephé-
nomêne

vu
tou-
jours
en
demi-
cercle
.
leurs ſont toujours apperçues ſous une figure
circulaire
.
Conſidérez cette ligne O, Z. qui
paſſe
par votre œil.
Soient conçues ſe
mouvoir
ces deux boules toujours à égale
diſtance
de votre œil, elles décriront des
baſes
de cones, dont la pointe ſera tou-
jours
dans votre œil.
67[Figure 67]
Concevez que le rayon de cette goûte
d’eau
R.
venant à votre œil O. tourne au-
tour
de cette ligne O, Z.
comme autour
d’unaxe
, faiſant toujours, par exemple, un
angle
avec votre œil de 42 degrez deux
minutes
;
il eſt clair que cette goûte décrira
un
cercle qui vous paraitra rouge.
179159DE NEUTON. cette autre goûte V. ſoit conçue tourner de
même
, faiſant toujours un autre angle de
quarante
degrez dix-ſept minutes, elle for-
mera
un cercle violet;
toutes les goûtes qui
ſeront
dans ce plan formeront donc un cer-
cle
violet, &
les goûtes qui ſont dans le
plan
de la goûte R.
feront un cercle rouge.
Vous verrez donc cette Iris comme un cer-
cle
, mais vous ne voyez pas tout un cer-
cle
;
parce que la Terre le coupe, vous ne
voyez
qu’un Arc, une portion de cercle.
La plûpart de ces vérités ne purent encore
être
apperçues ni par Antonio de Dominis,
ni
par Deſcartes:
ils ne pouvoient ſavoir
pourquoi
ces différens angles donnoient dif-
férentes
couleurs;
mais c’étoit beaucoup
d’avoir
trouvél’Art.
Les fineſſes de l’Art ſont
rarement
dues aux premiers inventeurs.
Ne
pouvant
donc deviner que les couleurs dé-
pendoient
de la réfrangibilité des rayons,
que
chaque rayon contenoit en ſoi une cou-
leur
primitive, que la différente attraction de
ces
rayons faiſoit leur réfrangibilité, &
opé-
roit
ces écartemens qui font les différens
angles
, Deſcartes s’abandonna à ſon eſprit
d’invention
pour expliquer les couleurs
180160DE LA PHILOSOPHIE l’Arc-en-Ciel. Il y employa le tournoye-
ment
imaginaire de ces globules &
cette
tendance
au tournoyement;
preuve de génie,
mais
preuve d’erreur.
C’eſt ainſi que pour
expliquer
la ſyſtole &
la diaſtole du cœur, il
imagina
un mouvement &
une conforma-
tion
dans ce viſcère, dont tous les Anato-
miſtes
ont reconnu la fauſſeté.
Deſcartes
auroit
été le plus grand Philoſophe de la
Terre
, s’il eût moins inventé.
68[Figure 68]
181 69[Figure 69]
CHAPITRE DOUZE.
Nouvelles découvertes ſur la cauſe des couleurs
qui
confirment la doctrine précédente. Dé-
monſtration
que les couleurs ſont occa-
ſionnées
par l’épaiſſeur des parties
qui
compoſent les corps.
PAr tout ce qui a été dit juſqu’à préſent
il
réſulte donc, que toutes les couleurs
nous
viennent du mêlange des ſept couleurs
primordiales
que l’Arc-en-Ciel &
le priſme
nous
font voir diſtinctement.
182162DE LA PHILOSOPHIE
Les corps les plus propres à réflechir des
rayons
rouges, &
dont les parties abſor-
bent
ou laiſſent paſſer les autres rayons, ſe-
ront
rouges, &
ainſi du reſte. Cela ne
veut
pas dire que les parties de ces corps
réflechiſſent
en effet les rayons rouges;
mais
qu’il
y a un pouvoir, une force juſqu’ici in-
connue
, qui réflechit ces rayons d’auprès
des
ſurfaces &
du ſein des pores des corps.
Les couleurs ſont donc dans les rayons
du
Soleil, &
rejailliſſent à nous d’auprès
des
ſurfaces, &
des pores & du vuide.
Cherchons à préfent en quoi conſiſte le pou-
11Con-
naiſſan-
ce
plus
appro-
fondie

de
la
forma-
tion
des
cou-
leurs
.
voir apparent des corps de nous réflechir
ces
couleurs, ce qui fait que l’écarlate pa-
rait
rouge, que les Prés ſont verds, qu’un
Ciel
pur eſt bleu;
car dire que cela vient de
la
différence de leurs parties, c’eſt dire une
choſe
vague qui n’apprend rien du tout.
Un divertiſſement d’enfant, qui ſemble
n’avoir
rien en ſoi que de mépriſable, don-
na
à Mr.
Neuton la premiere idée de ces
nouvelles
vérités que nous allons expliquer.
183163DE NEUTON. Tout doit être pour un Philoſophe un ſujet
11Gran-
des
vé-
rités
ti-
rées

d’une

expé-
rience

commu-
ne
.
de méditation, &
rien n’eſt petit à ſes yeux.
Il s’apperçut que dans ces bouteilles Sa
von
que font les Enfants, les couleurs chan-
gent
de moment en moment, en comptant
du
haut de la boule à meſure que l’épaiſſeur
de
cette boule diminue, juſqu’à ce qu’en-
fin
la peſanteur de l’eau &
du ſavon qui
tombe
toujours au fond, rompe l’équilibre
de
cette ſphére legére, &
la faſſe évanouïr.
Il
en préſuma que les couleurs pourroient
bien
dépendre de l’épaiſſeur des parties qui
compoſent
les ſurfaces des corps, &
pour
s’en
aſſûrer il fit les expériences ſuivantes.
Que deux cryſtaux ſe touchent en un
22Expé-
rience

de
Neu-
ton
.
point:
il n’importe qu’ils ſoient tous deux
convexes
;
il ſuffit que le premier le ſoit, &
qu’il
ſoit poſé ſur l’autre en cette façon.
70[Figure 70]
Qu’on mette de l’eau entre ces deux ver-
res
pour rendre plus ſenſible l’expérience
qui
ſe fait auſſi dans l’air:
qu’on preſſe
184164DE LA PHILOSOPHIE peu ces verres l’un contre l’autre, une
petite
tache noire tranſparente parait au
point
du contact des deux verres:
de ce
point
entouré d’un peu d’eau ſe forment
des
anneaux colorés dans le même ordre &

de
la même maniere que dans la bouteille
de
ſavon:
enfin en meſurant le diamétre
de
ces anneaux &
la convéxité du verre,
11Les
cou-
leurs

dépen-
dent
de
l’épaiſ-
ſeur
des
parties

des

corps
,
ſans
que
ces
par-
ties
ré-
fléchiſ-
ſent
el-
les-mê-
mes
la
lumiere
.
Neuton détermina les différentes épaiſſeurs
des
parties d’eau qui donnoient ces diffé-
rentes
couleurs;
il calcula l’épaiſſeur néceſ-
ſaire
à l’eau pour réflechir les rayons blancs:
Cette épaiſſeur eſt d’environ quatre parties
d’un
pouce diviſé en un million, c’eſt-à-
dire
, quatre millionêmes d’un pouce;
le
bleu
azur &
les couleurs tirant ſur le violet
dépendent
d’une épaiſſeur beaucoup moin-
dre
.
Ainſi les vapeurs les plus petites qui
s’élevent
de la Terre, &
qui colorent l’air
ſans
nuages, étant d’une très-mince ſurface,
produiſent
ce bleu céleſte qui charme la
vûe
.
D’autres expériences auſſi fines ont en-
core
appuyé cette découverte, que c’eſt
à
l’épaiſſeur des ſurfaces que ſont attachées
les
couleurs.
185165DE NEUTON.
Le même corps qui étoit verd, quand il
étoit
un peu épais, eſt devenu bleu, quand
il
a été rendu aſſez mince pour ne réflechir
que
les rayons bleus, &
pour laiſſer paſſer
les
autres.
Ces vérités d’une recherche ſi
délicate
, &
qui ſembloient ſe dérober à la
vûe
humaine, méritent bien d’être ſuivies
de
près;
cette partie de la Philoſophie eſt
un
Microſcope avec lequel notre eſprit dé-
couvre
des grandeurs infiniment petites.
Tous les corps ſont tranſparens, il n’y a
11Tous
les

corps

ſont

trans-
parens
.
qu’à les rendre aſſez minces, pour que les
rayons
ne trouvant qu’une lame, qu’une
feuille
à traverſer, paſſent à travers cette
lame
.
Ainſi quand l’Or en feuilles eſt ex-
poſé
à un trou dans une chambre obſcure,
il
renvoye par ſa ſurface des rayons jaunes
qui
ne peuvent ſe tranſmettre à travers ſa
ſubſtance
, &
il tranſmet dans la chambre
obſcure
des rayons verds, de ſorte que l’Or
produit
alors une couleur verte;
nouvelle
confirmation
que les couleurs dépendent
des
différentes épaiſſeurs.
Une preuve encore plus forte, c’eſt
186166DE LA PHILOSOPHIE dans l’expérience de ce verre convexe-plan,
11Preuve
que
les
cou-
leurs

dépen-
dent

des
é-
paiſ-
ſeurs
.
touchant en un point ce verre convexe, l’eau
n’eſt
pas le ſeul élément qui dans des épaiſ-
ſeurs
diverſes donne diverſes couleurs:
l’air
fait
le méme effet, ſeulement les anneaux
colorés
qu’il produit entre les deux verres,
ont
plus de diamétre que ceux de l’eau.
Il y a donc une proportion ſecrete éta-
blie
par la Nature entre la force des parties
conſtituantes
de tous les corps &
les rayons
primitifs
qui colorent les corps;
les lames
les
plus minces donneront les couleurs les
plus
faibles, &
pour donner le noir il fau-
dra
juſtement la même épaiſſeur, ou plutôt
la
même ténuité, la même mincité, qu’en a
la
petite partie ſupérieure de la boule de
ſavon
, dans laquelle on appercevoit un pe-
tit
point noir, ou bien la même ténuité qu’en
a
le point de contact du verre convexe &

du
verre plat, lequel contact produit auſſi
une
tache noire.
22Sans
que
les
parties

ſolides

ren-
voyent

en
effet
la
lu-
miere
.
Mais encore une fois qu’on ne croye pas
que
les corps renvoyent la lumiere par leurs
parties
ſolides, ſur ce que les couleurs dé-
pendent
de l’épaiſſeur des parties:
il y
187167DE NEUTON. un pouvoir attaché à cette épaiſſeur, un
pouvoir
qui agit auprès de la ſurface;
mais
ce
n’eſt point du tout la ſurface ſolide qui
repouſſe
, qui réflechit.
Cette vérité ſera
encore
plus viſiblement démontrée dans le
chapitre
ſuivant qu’elle n’a été prouvée juſ-
qu’ici
.
Il me ſemble que le Lecteur doit
être
venu au point rien ne doit plus le
ſurprendre
;
mais ce qu’il vient de voir me-
ne
encore plus loin qu’on ne penſe, &
tant
de
ſingularités ne ſont, pour ainſi dire, que
les
frontiéres d’un Nouveau Monde.
71[Figure 71]
188 72[Figure 72]
CHAPITRE TREIZE.
Suites de ces découvertes; Action mutuelle des
Corps
ſur la lumiere.
LA réfléxion de la lumiere, ſon infléxion,
ſa
réfraction, ſa réfrangibilité, étant
connues
, l’origine des couleurs étant dé-
couverte
, &
l’épaiſſeur même des corps
néceſſaire
pour occaſionner certaines cou-
leurs
étant déterminée:
il nous reſte enco-
re
à examiner deux propriétés de la lumie-
re
non moins étonnantes &
non moins nou-
velles
.
La premiere de ces propriétés
189169DE NEUTON. ce pouvoir même qui agit près des ſurfaces,
c’eſt
une action mutuelle de la lumiere ſur
les
corps, &
des corps ſur la lumiere.
La ſeconde eſt un rapport qui ſe trouve
entre
les couleurs &
les tons de la Muſique,
entre
les Objets de la vûe &
ceux de l’ouïe;
nous allons rendre compte de ces deux eſpè-
ces
de miracles, &
c’eſt par-là que nous fi-
nirons
cette petite introduction à l’Optique
de
Neuton.
Vous avez vu que ces deux cryſtaux ſe
touchant
en un point, produiſent des an-
neaux
de couleurs différentes, rouges,
bleus
, verds, blancs, &
c. Faites cette même
épreuve
dans une chambre obſcure, vous
avez
fait l’expérience du priſme expoſé à la
lumiere
qui lui vient par un trou.
Vous
vous
ſouvenez que dans cette expérience
du
priſme vous avez vu la décompoſition
de
la lumiere &
l’anatomie de ſes rayons:
vous placiez une feuille de papier blanc vis-
à-vis
ce priſme:
ce papier recevoit les ſept
couleurs
primitives, chacune dans leur or-
11Expé-
rience

très-fin-
guliére
.
dre:
maintenant expoſez vos deux verres à
tel
rayon coloré qu’il vous plaira,
190170DE LA PHILOSOPHIE de ce papier, vous y verrez toujours entre
ces
verres ſe former des anneaux colorés;
mais tous ces anneaux alors ſont de la cou-
leur
des rayons qui vous viennent du pa-
pier
.
Expoſez vos verres à la lumiere des
rayons
rouges, vous n’aurez entre vos ver-
res
que des anneaux rouges;

73[Figure 73] Mais ce qui doit ſurprendre, c’eſt qu’entre
chacun
de ces anneaux rouges il y a un an-
neau
tout noir.
Pour conſtater encore plus
ce
fait &
les ſingularités qui y ſont atta-
tachées
, préſentez vos deux verres, non
plus
au papier, mais au priſme, de façon
que
l’un des rayons qui s’échappent de
191171DE NEUTON. priſme, un rouge, par exemple, vienne à
tomber
ſur ces verres, il ne ſe forme en-
core
que des anneaux rouges entre les an-
neaux
noirs;
mettez derriére vos verres la
feuille
de papier blanc, chaque anneau noir
produit
ſur cette feuille de papier un an-
neau
rouge, &
chaque anneau rouge, étant
réflechi
vers vous, produit du noir ſur le
papier
.
74[Figure 74]
Il réſulte de cette expérience que l’air
ou
l’eau qui eſt entre vos verres, réflechit
en
un endroit la lumiere &
en un autre en-
droit
la laiſſe paſſer, la tranſmet.
J’avoue
que
je ne peux aſſez admirer ici cette pro-
fondeur
de recherche, cette ſagacité plus
qu’humaine
, avec laquelle Neuton à
192172DE LA PHILOSOPHIE ſuivi ces vérités ſi imperceptibles; il a re-
connu
par les meſures &
par le calcul ces
étranges
proportions-ci.
Au point de contact des deux verres, il
ne
ſe réflechit à vos yeux aucune lumiere:
immédiatement après ce contact, la pre-
miere
petite lame d’air ou d’eau, qui touche
à
ce point noir, vous réflechit des rayons:

la
ſeconde lame eſt deux fois épaiſſe comme
la
premiere, &
ne réflechit rien: la troiſiè-
me
lame eſt triple en épaiſſeur de la pre-
miere
, &
réflechit: la quatrième lame eſt
quatre
fois plus épaiſſe, &
ne réflechit point:
la
cinquième eſt cinq fois plus épaiſſe, &

tranſmet
;
& la ſixième ſix fois plus épaiſſe,
ne
tranſmet rien.
De ſorte que les anneaux noirs vont en
cette
progreſſion 0, 2, 4, 6, 8.
& les anneaux
lumineux
&
colorés en cette progreſ-
ſion
, 1, 3, 5, 7, 9.
Ce qui ſe paſſe dans cette expérience ar-
11Conſé-
quences

de
ces
expé-
riences
.
rive de même dans tous les corps, qui tous
réflechiſſent
une partie de la lumiere &
en
reçoivent
dans leurs ſubſtances une
193173DE NEUTON. partie. C’eſt donc encore une proprieté
démontrée
à l’eſprit &
aux yeux, que les
ſurſaces
ſolides ne ſont point ce qui réfle-
chit
les rayons.
Car ſi les ſurfaces ſolides
réflechiſſoient
en effet;
10. le point les
deux
verres ſe touchent réflechiroit &
ne
ſeroit
point obſcur.
20. Chaque partie ſo-
lide
qui vous donneroit une ſeule eſpèce de
rayons
devroit auſſi vous renvoyer toutes
les
eſpèces de rayons.
30. Les parties ſo-
lides
ne tranſmettroient point la lumiere en
un
endroit &
ne la réflechiroient pas en
un
autre endroit, car étant toutes ſolides
toutes
réflechiroient.
40. Si les parties ſo-
lides
réflechiſſoient la lumiere, il ſeroit im-
poſſible
de ſe voir dans un miroir, comme
nous
l’avons dit, puiſque le miroir étant
ſillonné
&
raboteux, il ne pourroit ren-
voyer
la lumiere d’une maniere réguliére.
Il eſt donc indubitable qu’il y a un pouvoir
agiſſant
ſur les corps ſans toucher aux corps,
&
que ce pouvoir agit entre les corps &
la
lumiere.
Enfin loin que la lumiere rebon-
diſſe
ſur les corps mêmes &
revienne à
nous
, il faut croire que la plus grande par-
tie
des rayons qui va choquer des parties
ſolides
y reſte, s’y perd, s’y éteint.
194174DE LA PHILOSOPHIE
Ce pouvoir qui agit aux ſurfaces, agit d’u-
ne
ſurface à l’autre:
c’eſt principalement
de
la derniere ſurface ultérieure du corps
tranſparent
que les rayons rejailliſſent;
nous
l’avons
déja prouvé.
C’eſt, par exemple,
de
ce point B.
plus que de ce point A. que
la
lumiere eſt réflechie.
75[Figure 75]
Il faut donc admettre un pouvoir lequel
agit
ſur les rayons de lumiere de-deſſus l’u-
ne
de ces ſurfaces à l’autre, un pouvoir qui
tranſmet
&
qui réflechit alternativement les
11Action
mutuel-
le
des
corps

ſur
la
lumiere
.
rayons.
Ce jeu de la lumiere & des corps n’é-
toit
pas ſeulement ſoupçonné avant Neu-
ton
, il a compté pluſieurs milliers de ces
vibrations
alternatives, de ces jets tranſ-
mis
&
réflechis. Cette action des corps ſur
la
lumiere, &
de la lumiere ſur les
195175DE NEUTON. laiſſe encore bien des incertitudes dans la
maniere
de l’expliquer.
Celui qui a découvert ce myſtère n’a pu,
dans
le cours de ſa longue vie, faire aſſez
d’expériences
pour aſſigner la cauſe certai-
ne
de ces effets.
Mais quand par ſes dé-
couvertes
il ne nous auroit appris que des
nouvelles
proprietés de la matiere, ne ſe-
roit-ce
pas déja un aſſez grand ſervice ren-
du
à la Philoſophie?
Il a conjecturé que
11Conjec-
tures
de
Neuton
.
la lumiere émane du Soleil &
des Corps lu-
mineux
par accès, par vibrations;
que de
ces
vibrations du Corps lumineux, la pre-
miere
opére une réflexion, la ſeconde une
tranſmiſſion
, &
ainſi de ſuite à l’infini. Il
avoit
auſſi préparé des expériences, qui
conduiſoient
à faire voir en quoi ce jeu de
la
Nature tient au grand principe de l’at-
traction
;
mais il n’a pas eu le tems d’ache-
ver
ſes expériences.
Il avoit conjecturé
22Mais il
faut
ſe
défier

de
toute
conjec-
ture
.
encore qu’il y a dans la Nature une ma-
tiere
très-élaſtique &
très-rare, qui devient
d’autant
moins rare qu’elle eſt plus éloi-
gnée
des corps opaques:
que les traits de
lumiere
excitent des vibrations dans cette
matiere
élaſtique:
& il faut avouer,
196176DE LA PHIL OSOPHIE cette hypothèſe rendroit raiſon de preſque
tous
les myſtères de la lumiere, &
ſur-tout
de
l’attraction &
de la gravitation des
corps
;
mais une hypothèſe, quand même
elle
rendroit raiſon preſque de tout, ne
doit
point être admiſe.
Il ne ſuffit pas qu’un
Syſtême
ſoit poſſible pour mériter d’être
cru
, il faut qu’il ſoit prouvé:
ſi les Tour-
billons
de Deſcartes pouvoient ſe ſoutenir
contre
toutes les difficultés dont on les ac-
cable
, il faudroit encore les rejetter, parce
qu’ils
ne ſeroient que poſſibles;
ainſi nous
ne
ferons aucun fondement réel ſur les con-
jectures
de Neuton même.
Si j’en parle, c’eſt plutôt pour faire con-
naitre
l’hiſtoire de ſes penſées, que pour
tirer
la moindre induction de ſes idées que
je
regarde comme les rêves d’un grand
Homme
;
il ne s’y arrête en aucune manie-
re
, il s’eſt contenté des faits, ſans rien oſer
déterminer
ſur les cauſes.
Paſſons à l’autre
découverte
, ſur le rapport qui exiſte entre
les
raïons de la lumiere &
les tons de la
Muſique
.
197 76[Figure 76]
CHAPITRE QUATORZE.
Du rapport des ſept couleurs primitives avec
les
ſept tons de la Muſique.
VOus ſavez que très - long - tems avant
Deſcartes
on s’étoit apperçu, qu’un
priſme
expoſé au Soleil donne les cou-
leurs
de l’Arc-en-Ciel:
on avoit vu ſouvent
ces
couleurs ſe peindre ſur un linge, ou ſur
un
papier blanc, dans un ordre qui eſt tou-
jours
le même:
bien-tôt on alla,
198178DE LA PHILOSOPHIE rience en expérience, juſqu’à meſurer l’eſpa-
ce
qu’occupe chacune de ces couleurs;
enfin
on
s’eſt apperçu que ces eſpaces ſont entre
eux
les mêmes que ceux des longueurs d’u-
ne
corde, qui donne les ſept tons de la Mu-
ſique
.
J’avois toujours entendu dire, que c’é-
toit
dans Kirker, que Neuton avoit puiſé
cette
découverte de l’analogie de la lumie-
re
&
du ſon. Kirker en effet dans ſon Ars
11Choſe
très-re-
marqua-
ble
dans
Kirker
.
Magna Lucis &
Umbræ, & dans d’autres Li-
vres
encore, appelle le Son le Singe de la
lumiere
.
Quelques perſonnes en inſé-
roient
, que Kirker avoit connu ces rap-
ports
;
mais il eſt bon, de peur de mépri-
ſe
, de mettre ici ſous les yeux ce que dit
Kirker
, page 146.
& ſuivantes. Ceux,
dit-il
, qui ont une voix haute &
forte
tiennent
de la nature de l’Ane:
ils ſont
indiſcrets
&
pétulans, comme on ſait
que
ſont les Anes;
& cette voix reſſem-
ble
à la couleur noire.
Ceux dont la
voix
eſt grave d’abord, &
enſuite aigue,
tiennent
du Bœuf;
ils ſont, comme lui,
triſtes
&
coléres, & leur voix répond
au
bleu céleſte”.
199179DE NEUTON.
Il a grand ſoin de fortifier ces belles dé-
couvertes
du témoignage d’Ariſtote.
C’eſt-
tout ce que nous apprend le Pere Kir-
ker
, d’ailleurs l’un des plus grands Mathé-
maticiens
&
des plus ſavans hommes de
ſon
tems;
& c’eſt ainſi, à-peu-près, que
tous
ceux qui n’étoient que Savans, rai-
ſonnoient
alors.
Voyons comment Neuton
a
raiſonné.
Il y a, comme vous ſavez, dans un
11Manie-
re
de
connai-
tre
les
propor-
tions

des
cou-
leurs

primiti-
ves
de la
lumiere
.
ſeul rayon de lumiere ſept principaux
rayons
, qui ont chacun leur réfrangibili-
:
chacun de ces rayons a ſon ſinus,
chacun
de ces ſinus a ſa proportion avec
le
ſinus commun d’incidence;
obſervez
ce
qui ſe paſſe dans ces ſept traits pri-
mordiaux
, qui s’échappent en s’écartant
dans
l’air.
Il ne s’agit pas ici de conſidérer que
dans
ce verre même tous ces traits ſont
écartés
, &
que chacun de ces traits y
prend
un ſinus différent:
il faut regarder
cet
aſſemblage de rayons dans le verre
comme
un ſeul rayon, qui n’a que ce
200180DE LA PHILOSOPHIE nus commun A, B. : mais à l’émergence
de
ce cryſtal chacun de ces traits s’écar-
tant
ſenſiblement prend chacun ſon ſinus
différent
;
celui du rouge, (rayon le moins
réfrangible
,) eſt cette ligne C, B.
celui
du
violet, (rayon le plus réfrangible,) eſt
cette
ligne C, B, D.
77[Figure 77]
Ces proportions poſées, voions quel eſt
ce
rapport, auſſi exact que ſingulier, entre
les
couleurs &
la Muſique. Que le ſinus
d’incidence
du faiſceau blanc de rayons,
ſoit
au ſinus d’émergence du rayon rouge,
comme
cette ligne A, B, eſt à la ligne
A
, B, C.
201
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202
Table des couleurs & des tons de la Muſique. Pag. 182.
11
A
# C # H # G # F # E # B # D
# Rouge # Oran \\ ge # Jaune # Verd # Bleu # Pourpre # Violet
# se jouë \\ de ce de: \\ mi-cercle \\ en C # de C \\ en H # de H \\ en G # de G \\ en F # de F \\ en E # de E \\ en B # de B \\ en D
# 45 # 27 # 48 # 60 # 60 # 40 # 80
{1/2} # {9/16} # {3/4} # {1/3} # {3/4} # {5/6} # {8/9} # 1
re
# ut # si # la # sol # fa # mi # re
# la plus \\ grande \\ refran: \\ gibilité \\ durouge \\ répond \\ à # celle \\ de \\ range \\ à # celle \\ dujaune \\ à # celle du \\ verd \\ à # celle du \\ bleu \\ à # celle \\ du \\ pourpre \\ à # celle du \\ violet \\ à
# ut # si # la # sol # fa # mi # re
203
[Empty page]
204181DE NEUTON.
Sinus donné dans le verre
78[Figure 78]
Sinus donné dans l’air
79[Figure 79]
Que ce même ſinus A, B, d’incidence
commune
ſoit au ſinus de réfraction du
rayon
violet, comme la ligne A, B, eſt
à
la ligne A, B, C, D.
80[Figure 80] 81[Figure 81]
Vous voyez que le point C eſt le terme
de
la plus petite refrangibilitè, &
D le ter-
me
de la plus grande;
la petite ligne C,
D
, contient donc tous les degrés de ré-
frangibilité
des ſept rayons.
Doublez main-
tenant
C, D, ci-deſſus, en ſorte que I, en
devienne
le milieu, comme ci-deſſous.
82[Figure 82]
Alors la longueur depuis A en C fait
205182DE LA PHILOSOPHIE rouge: la longúeur de A en H, fait l’oran-
:
de A en G, le jaune: de A en F, le
verd
:
de A en E, le bleu: de A en B, le
pourpre
;
de A en D, le violet. Or ces
eſpaces
ſont tels que chaque rayon peut
bien
être réfracté, un peu plus ou moins,
dans
chacun de ces eſpaces, mais jamais il
ne
ſortira de cet eſpace qui lui eſt preſcrit:
le rayon violet ſe jouera toujours entre B &
D
:
le rayon rouge entre C & I, ainſi du
reſte
;
le tout en telle proportion que ſi
vous
diviſez cette longueur depuis I juſqu’a
D
, en trois cens ſoixante parties, chaque
rayon
aura pour ſoi les dimenſions que vous
voyez
dans la grande figure ci-jointe.
Ces proportions ſont préciſément les mê-
11Analo-
gie
des
tons
de
la
Muſi-
que
&
des
cou-
leurs
.
mes que celles des tons de la Muſique:
la
longueur
de la corde qui étant pincée ſera
Re
, eſt à la corde, qui donnera l’octave de
Re
, comme la ligne A, I, qui donne le rouge
en
I, eſt à la ligne A, D, qui donne le
violet
en D;
ainſi les eſpaces qui marquent
les
couleurs, dans cette figure, marquent
auſſi
les tons de la Muſique.
La plus grande réfrangibilité du violet ré-
pond
à Re:
la plus grande réfrangibilité
206183DE NEUTON. pourpre répond à Mi: celle du bleu répond
à
Fa:
celle du verd à Sol: celle du jaune
à
La:
celle de l’orangé à Si: celle du rou-
ge
à l’Ut;
& enfin la plus petite réfrangibi-
lité
du rouge ſe rapporte à Re, qui eſt l’oc-
tave
ſupérieure.
Le ton le plus grave ré-
pond
ainſi au violet, &
le ton le plus aigu
répond
au rouge.
On peut ſe former une
idée
complette de toutes ces proprietés, en
jettant
les yeux ſur la Table que j’ai dreſ-
ſée
, &
que vous devez trouver à côté.
Il y a encore un autre rapport entre les
ſons
&
les couleurs, c’eſt que les rayons
les
plus diſtants (les violets &
les rouges)
viennent
à nos yeux en même-tems, &
que
les
ſons les plus diſtants (les plus graves &
les
plus
aigus) viennent auſſi à nos oreilles en
même-tems
.
Cela ne veut pas dire, que
nous
voyons &
que nous entendons en mê-
me-tems
à la même diſtance;
car la lumie-
re
ſe fait ſentir ſix cens mille fois plus vîte,
au
moins, que le ſon;
mais cela veut dire,
que
les rayons bleus, par exemple, ne vien-
nent
pas du Soleil à nos yeux, plutôt que
les
rayons rouges, de même que le ſon
207184DE LA PHILOSOPHIE la note Si, ne vient pas à nos oreilles, plu-
tôt
que le ſon de la note Re.
Cette analogie ſecrete entre la lumiere
&
le ſon, donne lieu de ſoupçonner, que
toutes
les choſes de la Nature ont des
rapports
cachés, que peut-être on décou-
vrira
quelque jour.
Il eſt déja certain qu’il
y
a un rapport entre le Toucher &
la Vûe,
puiſque
les couleurs dépendent de la confi-
guration
des parties;
on prétend méme qu’il
y
a eu des Aveugles nés, qui diſtinguoient
au
toucher la différence du noir, du blanc,
&
de quelques autres couleurs.
Un Philoſophe ingénieux a voulu pouſſer
ce
rapport des Sens &
de la lumiere peut-
être
plus loin qu’il ne ſemble permis aux hom-
mes
d’aller.
Il a imaginé un Claveſſin ocu-
11Idée
d’un

Claveſ-
ſin
ocu-
laire
.
laire, qui doit faire paraitre ſucceſſivement
des
couleurs harmoniques, comme nos Cla-
veſſins
nous font entendre des ſons:
il y a
travaillé
de ſes mains, il prétend enfin qu’on
joueroit
des airs aux yeux.
On ne peut
que
remercier un homme qui cherche à
donner
aux autres de nouveaux Arts &

de
nouveaux plaiſirs.
Il y a eu des
208185DE NEUTON. le Public l’auroit récompenſé. Il eſt à
ſouhaiter
ſans doute, que cette invention
ne
ſoit pas, comme tant d’autres, un ef-
fort
ingénieux &
inutile: ce paſſage rapide
de
pluſieurs couleurs devant les yeux ſem-
ble
peut-être devoir étonner, éblouïr, &

fatiguer
la vûe;
nos yeux veulent peut-être
du
repos, pour jouïr de l’agrément des
couleurs
.
Ce n’eſt pas aſſez de nous pro-
poſer
un plaiſir, il faut que la Nature nous
ait
rendus capables de recevoir ce plaiſir:
c’eſt à l’expérience ſeule à juſtiſier cette
invention
.
En attendant il me parait que
tout
eſprit équitable ne peut que louer l’ef-
fort
&
le génie de celui qui cherche à agran-
dir
la carriére des Arts &
de la Nature.
Nous ne pouſſerons pas plus loin cette
Introduction
ſur la lumiere, peut-être en
avons
nous trop dit dans de ſimples Elé-
11Toute
cette

Théorie

de
la lu-
miere
a
rapport

avec
la
Théorie

de
l’U-
nivers
.
mens;
mais la plûpart de ces vérités ſont
nouvelles
pour bien des Lecteurs.
Avant que
de
paſſer à l’autre partie de la Philoſophie,
ſouvenons-nous
, que la Théorie de la lu-
miere
a quelque choſe de commun avec
la
Théorie de l’Univers dans laquelle nous
allons
entrer.
Cette Théorie eſt, qu’il
209186DE LA PHILOSOPHIE a une eſpèce d’attraction marquée entre les
corps
&
la lumiere, comme nous en allons
obſerver
une entre tous les Globes de no-
tre
Univers:
ces attractions ſe manifeſtent
par
différens effets;
mais enfin c’eſt tou-
jours
une tendance des corps, ſans qu’il pa-
raiſſe
aucune impulſion.
Parmi tant de proprietés de la matiere
telle
que ces accès de tranſmiffion &
de ré-
flexion
des traits de lumiere, cette répul-
fion
que la lumiere éprouve dans le vuide,
dans
les pores des corps, &
fur les ſurfa-
ces
des corps;
parmi ces proprietés, dis-je,
il
faut ſur-tout faire attention à ce pouvoir
par
lequel les rayons ſont réflechis &
rom-
pus
, à cette force par laquelle les corps
agiſſent
ſur la lumiere &
la lumiere ſur
eux
, ſans même les toucher.
Ces décou-
vertes
doivent au moins ſervir à nous ren-
dre
extrêmement circonſpects dans nos dé-
11La ma-
tiere
a
plus
de
proprie-
tés

qu’on

ne
pen-
fe
.
ciſions ſur la nature &
l’eſſence des cho-
ſes
.
Songeons que nous ne connaiſſons rien
du
tout que par l’expérience.
Sans le tou-
cher
nous n’aurions point d’idée de l’éten-
due
des corps:
ſans les yeux, nous n’au-
rions
pu deviner la lumiere:
ſi nous
210187DE NEUTON. vions jamais éprouvé de mouvement, nous
n’aurions
jamais cru la matiere mobile;
un
très-petit
nombre de ſens que Dieu nous a
donnés
, ſert à nous découvrir un très-petit
nombre
de proprietés de la matiere.
Le
raiſonnement
ſupplée aux ſens qui nous man-
quent
, &
nous apprend encore que la ma-
tiere
a d’autres attributs, comme l’attrac-
tion
, la gravitation;
elle en a probable-
ment
beaucoup d’autres qui tiennent à ſa
nature
, &
dont peut-être un jour la Philo-
ſophie
donnera quelques idées aux hom-
mes
.
83[Figure 83]
211 84[Figure 84]
CHAPITRE QUINZE.
Premieres idées touchant la peſanteur & les
loix
de la gravitation: Que la matiere
ſubtile
, les tourbillons & le plein
doivent
étre rejettés.
UN Lecteur ſage qui aura vu avec at-
tention
ces merveilles de la lumiere,
convaincu
par l’expérience qu’aucune im-
pulſion
connue ne les opére, ſera ſans dou-
te
impatient d’obſerver cette puiſſance nou-
velle
dont nous avons parlé ſous le nom
d’attraction
, qui doit agir ſur tous les
212189DE NEUTON. tres corps plus’ ſenſiblement que ſur celui de
la
lumiere.
Que les noms encore une fois
ne
nous effarouchent point;
examinons ſim-
plement
les faits.
Je me ſervirai toujours indifféremment
des
termes d’attraction &
de gravitation en
11Attrac-
tion
.
parlant des corps, ſoit qu’il tendent ſenſi-
blement
les uns vers les autres, ſoit qu’ils
tournent
dans des orbes immenſes, autour
d’un
contre commun, ſoit qu’ils tombent
ſur
la Terre, ſoit qu’ils s’uniſſent pour com-
poſer
des corps ſolides, ſoit qu’ils s’aron-
diſſent
en goutes pour former des liquides.
Entrons en matiere.
Tous les corps connus peſent, & il y a
long-tems
que la legéreté ſpécifique a été
comptée
parmi les erreurs reconnues d’A-
riſtote
&
de ſes Sectateurs.
Depuis que la fameuſe Machine pneu-
matique
fut inventée, on a été plus à por-
tée
de connoître la peſanteur des corps, car
lorſqu’ils
tombent dans l’air, les parties de
l’air
retardent ſenſiblement la chûte de ceux
qui
ont beaucoup de ſurface &
peu de vo-
lume
;
mais dans cette Machine
213190DE LA PHILOSOPHIE d’air, les corps abandonnés à la force, tel-
le
qu’elle ſoit, qui les précipite ſans obſta-
cle
, tombent ſelon tout leur poids.
La Machine pneumatique inventée par
Ottoguerike
, fut bien - tôt perfectionnée
par
Boyle;
on fit enſuite des récipiens de
verre
beaucoup plus longs, qui furent-
entiérement
purgés d’air.
Dans un de ces
11Expé-
rience

qui
dé-
montre

le
vuide
& les
effets
de
la
gravi-
tation
.
longs récipiens compoſé de quatre tubes,
le
tout enſemble aïant huit pieds de hauteur,
on
ſuſpendit en haut, par un reſſort, des piè-
ces
d’or, des morceaux de papier, des plu-
mes
;
il s’agiſſoit de ſavoir ce qui arrive-
roit
, quand on détendroit le reſſort.
Les bons
Philoſophes
prévoioient, que tout cela tom-
beroit
en même-tems:
le plus grand nom-
bre
aſſûroit que les corps les plus maſſifs
tomberoient
bien plus vîte que les autres;
ce grand nombre, qui ſe trompe preſque
toujours
, fut bien étonné, quand il vit dans
toutes
les expériences, l’or, le plomb, le
papier
&
la plume tomber également vîte,
&
arriver au fond du récipient en même-
tems
.
Ceux qui tenoient encore pour le
214191DE NEUTON. de Deſcartes, & pour les prétendus effets
de
la matiere ſubtile, ne pouvoient rendre
aucune
bonne raiſon de ce fait;
car les faits
étoient
leurs écuëils.
Si tout étoit plein,
quand
on leur accorderoit qu’il pût y avoir
alors
du mouvement, (ce qui eſt abſolu-
ment
impoſſible) au moins cette préten-
due
matiere ſubtile rempliroit éxactement
tout
le récipient:
elle y ſeroit en auſſi grande
quantité
que de l’eau, ou du mercure, qu’on
y
auroit mis:
elle s’oppoſeroit au moins à
cette
deſcente ſi rapide des corps:
elle ré-
ſiſteroit
à ce large morceau de papier, ſe-
lon
la ſurface de ce papier, &
laiſſeroit tom-
ber
la balle d’or ou de plomb beaucoup plus
vîte
, mais cette chûte ſe fait au même
inſtant
;
donc il n’y a rien dans le réci-
pient
qui réſiſte;
donc cette prétendue ma-
tiere
ſubtile ne peut faire aucun effet
ſenſible
dans ce récipient;
donc il y a
une
autre force qui fait la peſanteur.
En vain diroit-on qu’il eſt poſſible qu’il
reſte
une matiere ſubtile dans ce réci-
pient
, puiſque la lumiere le pénétre;
il y
a
bien de la différence.
La lumiere qui
eſt
dans ce Vaſe de verre, n’en
215192DE LA PHILOSOPHIE certainement pas la cent-millième partie;
mais ſelon les Cartéſiens, il faut que leur
matiere
imaginaire rempliſſe bien plus éxac-
tement
le récipent, que ſi je le ſuppoſois
rempli
d’or, car il y a beaucoup de vuide
dans
l’or, &
ils n’en admettent point dans
leur
matiere ſubtile.
Or par cette expérience la pièce d’or,
11La pe-
ſanteur

agit
en
raiſon

des
maſ-
ſes
.
qui peſe cent-mille fois plus que le morceau
de
papier, eſt deſcendue auſſi vîte que le
papier
;
donc la force, qui l’a fait deſcen-
dre
, a agi cent mille fois plus ſur lui que
ſur
le papier;
de même qu’il faudra cent
fois
plus de force à mon bras pour remuer
cent
livres, que pour remuer une livre;
donc cette puiſſance qui opére la gravita-
tion
, agit en raiſon directe de la maſſe des
corps
.
Elle agit en effet tellement ſelon la
maſſe
des corps, non ſelon les ſurfaces, qu’u-
ne
livre d’or réduite en poudre peſera pré-
ciſément
comme cette me livre en feuil-
le
.
La figure des corps ne change ici en
rien
leur gravité;
ce pouvoir de gravita-
tion
agit donc ſur la nature interne des
corps
, &
non en raiſon des ſuperficies.
216193DE NEUTON.
Ce pouvoir ne réſide point dans la pré-
11D’où
vient
ce
pouvoir

de
pe-
ſanteur
.
tendue matiere ſubtile, dont nous parle-
rons
au Chapitre 16.
, cette matiere ſeroit
un
fluide.
Tout fluide agit ſur les ſolides
en
raiſon de leurs ſuperficies;
ainſi le Vaiſ-
ſeau
préſentant moins de ſurface par ſa
proue
, fend la Mer qui réſiſteroit à ſes
flancs
.
Or quand la ſuperficie d’un corps
eſt
le quarré de ſon diametre, la ſolidité
de
ce corps eſt le cube de ce même dia-
metre
:
le même pouvoir ne peut agir à
la
fois en raiſon du cube &
du quarré;
donc la peſanteur, la gravitation n’eſt
point
l’effet de ce fluide.
De plus, il
eſt
impoſſible que cette prétendue matie-
re
ſubtile ait d’un côté aſſez de force,
pour
précipiter un corps de 54000 pieds
de
haut en une minute, (car telle eſt la
chûte
des corps) &
que de l’autre elle ſoit
aſſez
impuiſſante, pour ne pouvoir empê-
cher
le pendule du bois le plus leger de
remonter
de vibration en vibration dans
la
Machine pneumatique, dont cette ma-
tiere
imaginaire eſt ſuppoſée remplir exac-
tement
tout l’eſpace.
217194DE LA PHILOSOPHIE
Je ne craindrai donc point d’affirmer
que
, ſi l’on découvroit jamais une im-
pulſion
, qui fût la cauſe de la peſanteur
des
corps vers un centre, en un mot la
cauſe
de la gravitation, de l’attraction,
cette
impulſion ſeroit d’une toute autre
nature
qu’eſt celle que nous connoiſſons.
Voilà donc une premiere vérité déja
indiquée
ailleurs, &
prouvée ici: il y a
un
pouvoir qui fait graviter tous les corps
en
raiſon directe de leur maſſe.
Si l’on cherche actuellement pourquoi
11Pour-
quoi
un
corps

peſe

plus

qu’un

autre
.
un corps eſt plus peſant qu’un autre, on
en
trouvera aiſément l’unique raiſon:
on
jugera
que ce corps doit avoir plus de
maſſe
, plus de matiere ſous une même
étendue
;
ainſi l’or peſe plus que le bois,
parce
qu’il y a dans l’or bien plus de ma-
tiere
&
moins de vuide que dans le bois.
Deſcartes & ſes Sectateurs ſoutiennent
22Le Syſ-
tême
de
Deſcar-
tes
ne
peut
en
rendre

raiſon
qu’un corps eſt plus peſant qu’un autre
ſans
avoir plus de matiere:
non contents
de
cette idée, ils la ſoutiennent par
218195DE NEUTON. autre auſſi peu vraie: ils admettent un grand
tourbillon
de matiere ſubtile autour de notre
Globe
;
& c’eſt ce grand tourbillon, diſent-
ils
, qui en circulant chaſſe tous les corps vers
le
centre de la Terre, &
leur fait éprouver
ce
que nous appellons peſanteur.
Il eſt vrai qu’ils n’ont donné aucune preu-
ve
de cette aſſertion:
il n’y a pas la moin-
dre
expérience, pas la moindre analogie
dans
les choſes que nous connoiſſons un peu,
qui
puiſſe fonder une préſomption legére
en
faveur de ce tourbillon de matiere ſub-
tile
;
ainſi de cela ſeul que ce Syſtême eſt
une
pure hipothèſe, il doit être rejetté.
C’eſt
cependant
par cela ſeul qu’il a été accrédi-
.
On concevoit ce tourbillon ſans effort,
on
donnoit une explication vague des cho-
ſes
en prononçant ce mot de matiere ſub-
tile
;
& quand les Philoſophes ſentoient les
contradictions
&
les abſurdités attachées à
ce
Roman Philoſophique, ils ſongeoient à
le
corriger plutôt qu’à l’abandonner.
Hugens & tant d’autres y ont fait mille
corrections
, dont ils avouoient eux-mêmes
l’inſuffiſance
;
mais que mettrons-nous à
219196DE LA PHILOSOPHIE place des tourbillons & de la matiere ſubti-
le
?
Ce raiſonnement trop ordinaire eſt ce-
lui
qui affermit le plus les hommes dans l’er-
reur
&
dans le mauvais parti. Il faut aban-
donner
ce que l’on voit faux &
inſoutena-
ble
, auſſi-bien quand on n’a rien à lui ſub-
ſtituer
, que quand on auroit les démonſtra-
tions
d’Euclide à mettre à la place.
Une
erreur
n’eſt ni plus ni moins erreur, ſoit
qu’on
la remplace ou non par des vérités;
devrois-je admettre l’horreur du vuide dans
une
pompe, parce que je ne ſaurois pas
encore
par quel méchaniſme l’eau monte
dans
cette pompe?
Commençons donc, avant que d’aller
plus
loin, par prouver que les tourbillons
de
matiere ſubtile n’exiſtent pas:
que le Plein
n’eſt
pas moins chimérique;
qu’ainſi tout
ce
Syſtême, fondé ſur ces imaginations, n’eſt
qu’un
Roman ingénieux ſans vraiſemblan-
ce
.
Voyons ce que c’eſt que ces tourbil-
lons
imaginaires, &
examinons enſuite ſi
le
Plein eſt poſſible.
220 85[Figure 85]
CHAPITRE SEIZE.
Que les tourbillons de Deſcartes & le Plein ſont
impoſſibles
, & que par conſéquent il y a
une
autre cauſe de la peſanteur.
DESCARTES ſuppoſe un amas im-
menſe
de particules inſenſibles, qui
emporte
la Terre d’un mouvement rapide
d’Occident
en Orient, &
qui d’un Pole à
l’autre
ſe meut parallèlement à l’Equateur;
ce tourbillon qui s’étend au-delà de la
221198DE LA PHILOSOPHIE ne, & qui entraîne la Lune dans ſon cours,
eſt
lui-même enchaſſé dans un autre tour-
billon
plus vaſte encore, qui touche à un
autre
tourbillon ſans ſe confondre avec lui,
&
c.
10. Si cela étoit, le tourbillon qui eſt
11Preuve
de
l’im-
poſſibi-
lité
des
tourbil-
lons
.
ſuppoſé ſe mouvoir autour de la Terre d’Oc-
cident
en Orient, devroit chaſſer les corps
ſur
la Terre d’Occident en Orient:
or les
corps
en tombant décrivent tous une ligne,
qui
étant prolongée paſſeroit, à-peu-près,
par
le centre de la Terre;
donc ce tour-
billon
n’exiſte pas.
20. Si les cercles de ce prétendu tour-
billon
ſe meuvent &
agiſſent parallèlement
à
l’Equateur, tous les corps devroient tom-
ber
chacun perpendiculairement ſous le cer-
cle
de cette matiere ſubtile auquel il ré-
pond
:
un corps en A. près du Pole P. de-
vroit
, ſelon Deſcartes, tomber en R.
222199DE NEUTON. 86[Figure 86]
Mais il tombe à-peu-près ſelon la ligne
A
, B.
ce qui fait une différence d’environ
1400
lieues;
car on peut compter 1400
lieues
communes de France du point R à
l’Equateur
de la Terre B.
; donc ce tour-
billon
n’éxiſte pas.
30. Si ce tourbillon de matiere autour de
la
Terre, &
ces autres prétendus tourbil-
lons
autour de Jupiter &
de Saturne, & c.
éxiſtoient, tous ces tourbillons immenſes
de
matiere ſubtile, roulant ſi rapidement
dans
des directions différentes, ne pour-
roient
jamais laiſſer venir à nous, en ligne
droite
, un rayon de lumiere dardé
223200DE LA PHILOSOPHIE Etoile. Il eſt prouvé que ces rayons arri-
vent
en très - peu de tems par rapport au
chemin
immenſe qu’ils font;
donc ces tour-
billons
n’éxiſtent pas.
40. Si ces tourbillons emportoient les Pla-
netes
d’Occident en Orient, les Cometes,
qui
traverſent en tout ſens ces eſpaces d’O-
rient
en Occident &
du Nord au Sud, ne
les
pourroient jamais traverſer.
Et quand
on
ſuppoſeroit que les Cometes n’ont point
été
en effet du Nord au Sud, ni d’Orient en
Occident
, on ne gagneroit rien par cette
évaſion
, car on ſait que quand une Come-
te
ſe trouve dans la région de Mars, de
Jupiter
, de Saturne, elle va incompara-
blement
plus vîte que Mars, que Jupiter,
que
Saturne;
donc elle ne peut-être em-
portée
, par la même couche du fluide qui
eſt
ſuppoſé emporter ces Planetes;
donc
ces
tourbillons n’éxiſtent pas.
50. Ces prétendus tourbillons ſeroient ou
auſſi
denſes, auſſi maſſifs que les Planetes,
ou
bien ils ſeroient plus denſes, ou enfin
moins
denſes.
Dans le premier cas, la
matiere
prétendue, qui entoure la Lune &

la
Terre, étant ſuppoſée denſe comme un
égal
volume de Terre, nous
224201DE NEUTON. pour lever un pied cubique de Marbre,
p
r exemple, la même réſiſtance que ſi
nous
avions à lever une colomne de Mar-
bre
d’un pied de baſe, qui auroit pour ſa
longueur
la diſtance de la Terre à la Lune.
Dans le deuxième cas, la matiere fluide
étant
plus grave que la Terre, notre Glo-
be
nageroit ſur ce fluide, comme un Vaiſ-
ſeau
nage ſu@ l’Eau, &
ne pourroit être
plongé
, comme on le prétend, dans cette
matiere
ſubtile.
Dans le troiſième cas, le
fluide
étant moins denſe, moins peſant que
la
Terre, ce fluide ne pourroit jamais la
ſoutenir
, par la raiſon que l’Eau ne peut
ſoutenir
le fer, ni rien de ce qui peſe plus
qu’elle
;
donc ces tourbillons n’éxiſtent pas.
60. Si ces fluides imaginaires éxiſtoient,
tout
l’ordre des Aſtres ſeroit interverti:
le Soleil qui tourne ſur lui-même, perdroit
bien-tôt
de ſon mouvement à force de ren-
contrer
ce fluide;
& aucune des Planetes
ne
ſuivroit la route qu’elle tient, n’auroit le
mouvement
qu’elle a, n’auroit bien-tôt au-
cun
mouvement.
70. Les Planetes emportées dans ces tour-
billons
ſuppoſés ne pourroient ſe mouvoir
que
circulairement, puiſque ces
225202DE LA PHILOSOPHIE lons, à égales diſtances du centre, ſe-
roient
également denſes;
mais les Planetes
ſe
meuvent dans des Ellipſes;
donc elles
ne
peuvent être portées par des tourbillons;
donc, & c.
80. La Terre a ſon Orbite qu’elle par-
court
entre celui de Venus &
celui de
Mars
:
tous ces Orbites ſont elliptiques, &
ont
le Soleil pour centre:
or quand Mars,
&
Venus & la Terre ſont plus près l’un de
l’autre
, alors la matiere du torrent préten-
du
, qui emporte la Terre, ſeroit beaucoup
plus
reſſerrée:
cette matiere ſubtile devroit
précipiter
ſon cours, comme un Fleuve
rétreci
dans ſes bords, ou coulant ſous les
arches
d’un Pont:
alors ce fluide devroit
emporter
la Terre d’une rapidité bien plus
grande
qu’en toute autre poſition;
mais
au
contraire c’eſt dans ce tems-là même
que
le mouvement de la Terre eſt plus
ralenti
.
226203DE NEUTON. 87[Figure 87]
Quand Mars paroît dans le Signe des Poif-
ſons
, Mars, la Terre &
Venus ſont à-peu-
près
dans cette proximité que vous voyez:
alors le Soleil paroît retarder de quelque
minutes
, c’eſt-à-dire que c’eſt la Terre qui
retarde
;
il eſt donc démontré impoſſible
qu’il
y ait un torrent de matiere qui em-
porte
les Planetes;
donc ce tourbillon n’é-
xiſte
pas.
90. Parmi des démonſtrations plus re-
cherchées
, qui anéantiſſent les tourbillons,
nous
choiſirons celle-ci.
Par une des
227204DE LA PHIL OSOPHIE des loix de Kepler, toute Planete décrit
des
aires égales en tems égaux:
par une
autre
loi non moins ſûre, chaque Planete
fait
ſa révolution autour du Soleil en telle
ſorte
, que ſi, par exemple, ſa moyenne
diſtance
au Soleil eſt 10.
prenez le cube de
ce
nombre, ce qui fera 1000.
, & le tems
de
la révolution de cette Planete autour du
Soleil
ſera proportionné à la racine quar-
rée
de ce nombre 1000.
Or s’il y avoit des
couches
de matiere qui portaſſent des Pla-
netes
, ces couches ne pourroient ſuivre
ces
loix;
car il faudroit que les vîteſſes de
ces
torrents fuſſent à la fois proportionelles
à
leur diſtances au Soleil, &
aux racines
quarrées
de ces diſtances;
ce qui eſt incom-
patible
.
Pour comble enſin, tout le monde voit
ce
qui arriveroit à deux fluides circulant
l’un
vis-à-vis de l’autre.
Ils ſe conſondroient
néceſſairement
&
formeroient le Chaos au
lieu
de le débrouiller.
Cela ſeul auroit
jetté
ſur le Syſtême Cartéſien un ridicule
qui
l’eût accablé, ſi le goût de la nouveauté,
&
le peu d’uſage l’on étoit alors d’exa-
miner
, n’avoient prévalu.
228205DE NEUTON.
Il faut prouver à préſent que le Plein,
dans
lequel ces tourbillons ſont ſuppoſés ſe
mouvoir
, eſt auſſi impoſſible que ces tour-
billons
.
10. Un ſeul rayon de lumiere, qui ne Preuve
11Preuve
contre

le
Plein.
peſe pas, à beaucoup près, la cent - milliè-
me
partie d’un grain, auroit à déranger
tout
l’Univers, ſi elle avoit à s’ouvrir un
chemin
juſqu’à nous à travers un eſpace
immenſe
, dont chaque point réſiſteroit par
lui-même
, &
par toute la ligne dont il ſe-
roit
preſſé.
20. Soient ces deux corps durs A, B: (nous
avons
déja prouvé qu’il faut qu’il y ait des
corps
durs) ils ſe touchent par une ſurface,
&
ſont ſuppoſés entourés d’un fluidé qui les
preſſe
de tous côtés:
or, quand on les ſé-
pare
, il eſt clair que la prétendue matie-
re
ſubtile arrive plutôt au point A, on
les
ſépare, qu’au point B;
229206DE LA PHILOSOPHIE 88[Figure 88]
Donc il y a un moment B ſera vui-
de
;
donc même dans le Syſtême de la ma-
tiere
ſubtile, il y a du vuide, c’eſt-à-dire
de
l’eſpace.
30. S’il n’y avoit point de vuide & d’eſpa-
ce
, il n’y auroit point de mouvement, mê-
me
dans le Syſtême de Deſcartes.
Il ſup-
poſe
que Dieu créa l’Univers plein &
con-
ſiſtant
en petits cubes:
ſoit donc un nom-
bre
donné de cubes repréſentant l’Uni-
vers
, ſans qu’il y ait entre eux le moindre
intervalle
:
il eſt évident qu’il faut qu’un
d’eux
ſorte de la place qu’il occupoit, car
ſi
chacun reſte dans ſa place, il n’y a point
de
mouvement, puiſque le mouvement con-
ſiſte
à ſortir de ſa place, à paſſer d’un point
de
l’eſpace dans un autre point de l’eſpace;
or qui ne voit que l’un de ces cubes
230207DE NEUTON. peut quitter ſa place ſans la laiſſer vuide á
l’inſtant
qu’il en ſort, car il eſt clair que
ce
cube en tournant ſur lui-même doit pré-
ſenter
ſon angle au cube qui le touche, a-
vant
que l’angle ſoit briſé?
donc alors il y
a
de l’eſpace entre ces deux cubes;
donc
dans
le Syſtême de Deſcartes même, il ne
peut
y avoir de mouvement ſans vuide.
40. Si tout étoit plein, comme le veut
Deſcartes
, nous éprouverions nous-mêmes
en
marchant une réſiſtance infinie, au lieu
que
nous n’éprouvons que celle des fluides
dans
leſquelles nous ſommes, par exemple,
celle
de l’eau qui nous réſiſte 860.
fois plus
que
celle de l’air, celle du mercure qui ré-
ſiſte
environ 14000.
fois plus que l’air; or les
réſiſtances
des fluides ſont comme les quar-
rés
des vîteſſes;
c’eſt-à-dire, ſi un homme
parcourt
dans une tierce un pied d’eſpace
du
mercure qui lui réſiſte 14000.
fois plus
que
l’air, ſi cet homme dans la ſeconde
tierce
a le double de cette vîteſſe, ce mer-
cure
lui réſiſtera dans la ſeconde tierce com-
me
le quarré de 2.
multiplié par 14000. ,
réſiſtance
56000.
fois plus forte que celle de
l’air
qui réſiſte alors à nos mouvemens;
donc
ſi
tout étoit plein, il ſeroit abſolument
231208DE LA PHILOSOPHIE poſſible de faire un pas, de reſpirer,
&
c.
50. On a voulu éluder la force de cette
démonſtration
;
mais on ne peut répondre
à
une démonſtration que par une erreur.
On prétend que ce torrent infini de matie-
re
ſubtile pénétrant tous les pores des corps,
ne
peut en arrêter le mouvement.
On ne
fait
pas réflexion que tout mobile, qui ſe
meut
dans un fluide, éprouve d’autant plus
de
réſiſtance, qu’il oppoſe plus de ſurface
à
ce fluide:
or plus un corps a de trous
plus
il a de ſurface:
ainſi la prétendue
matiere
ſubtile en choquant tout l’intérieur
d’un
corps, s’oppoſeroit bien davantage au
mouvement
de ce corps, qu’en ne touchant
que
ſa ſuperficie extérieure;
& cela eſt en-
core
démontré en rigueur.
60. Dans le Plein tous les corps ſeroient
également
peſants;
il eſt impoſſible de con-
cevoir
qu’un corps peſe ſur moi, me preſſe,
que
par ſa maſſe une livre de poudre d’or
peſe
autant ſur ma main, qu’un morceau d’or
d’une
livre.
En vain les Cartéſiens répon-
dent
que la matiere ſubtile pénétrant les in-
terſtices
des corps ne peſe point, &
qu’il
ne
faut compter pour peſant que ce qui
232209DE NEUTON. point matiere ſubtile: cette opinion de
Deſcartes
n’eſt chez lui qu’une pure contra-
diction
, car ſelon lui cette prétendue ma-
tieré
ſubtile fait ſeule la peſanteur des corps,
en
les repouſſant vers la Terre;
donc elle
peſe
elle-même ſur ces corps;
donc, ſi elle
peſe
, il n’y a pas plus de raiſon pourquoi
un
corps ſera plus peſant qu’un autre, puiſ-
que
tout étant plein, tout aura également
de
maſſe, ſoit ſolide, ſoit fluide;
donc le
Plein
eſt une chimére;
donc il y a du vui-
de
;
donc rien ne ſe peut faire dans la Na-
ture
ſans vuide;
donc la peſanteur n’eſt pas
l’effet
d’un prétendu tourbillon imaginé dans
le
Plein.
89[Figure 89]
233 90[Figure 90]
CHAPITRE DIX-SEPT.
Ce que c’eſt que le Vuide, & l’Eſpace, ſans lequel
il
n’y auroit ni peſanteur ni mouvement.
CEUX qui ne peuvent concevoir le Vui-
11Diffi-
culté

contre

le
Vai-
de
.
de, objectent que ce Vuide ne ſeroit
rien
, que le rien ne peut avoir des pro-
prietés
, &
qu’ainſi il ne ſe pourroit rien
opérer
dans le Vuide.
On répond qu’il n’eſt pas vrai que le
22Répon-
ſe
,
Vuide ſoit rien;
il eſt le lieu des corps, il eſt
l’eſpace
, il a des proprietés, il eſt
234211DENEUTON. en longueur, largueur & profondeur, il eſt
pénétrable
, il eſt inſéparable, &
c. Il eſt
vrai
que je ne peux pas me faire dans le
cerveau
une image de l’Eſpace étendu, com-
me
je m’en fais une du Corps étendu;
mais
je
me ſuis démontré que cet Eſpace éxiſte.
Je ne puis en Géométrie me repréſenter une
infinité
de cercles paſſant entre un cercle &

une
tangente;
mais je me ſuis démontré
cependant
que la choſe eſt vraie en Géo-
métrie
, &
cela ſuffit. Je ne puis conce-
voir
ce que c’eſt qui penſe en moi, je ſuis
cependant
convaincu que quelque choſe
penſe
en moi.
De même je me démontre
l’impoſſibilité
du Plein &
la néceſſité du
Vuide
, ſans avoir une image du Vuide;
car
je
n’ai d’image que de ce qui eſt corporel,
&
l’Eſpace n’eſt point corporel. Autre cho-
ſe
eſt ſe repréſenter une image, autre cho-
ſe
eſt concevoir une vérité;
je conçois
très-bien
l’Eſpace, &
les Philoſophes Epi-
curiens
, qui n’avoient guère raiſon qu’en
cela
, le concevoient très-bien.
Il n’y avoit d’autre réponſe à cet Argu-
ment
que de dire que la Matiere eſt infi-
nie
;
c’eſt ce que pluſieurs Philoſophes
235212DELA PHILOSOPHIE aſſûré, & ce que Deſcartes a renouvellé
après
eux.
Mais ſurquoi imagine-t-on que la Matie-
11La Ma-
tiére

n’eſt
pas
infinie
.
re eſt infinie?
Sur une autre ſuppoſition que
l’on
s’eſt plû de faire.
On dit: l’Etendue
&
la Matiere ſont la même choſe: on ne
peut
concevoir que l’Etendue ſoit finie;
donc il faut admettre la Matiere infinie.
Cela prouve combien on s’égare, quand
on
ne raiſonne que ſur des ſuppoſitions.
Il
eſt
faux que l’Etendue &
la Matiere ſoient
la
même choſe:
toute matiere eſt étendue;
mais toute étendue n’eſt pas matiere. Deſ-
cartes
en avançant que l’Etendue ne peut-
être
que de la matiere, diſoit une choſe bien
peu
Philoſophique, car nous ne ſavons point
du
tout ce que c’eſt que Matiere;
nous en
connoiſſons
ſeulement quelques proprietés,
&
perſonne ne peut nier qu’il ne ſoit poſſi-
ble
qu’il éxiſte des millions d’autres ſubſtan-
ces
étendues, différentes de ce que nous
appellons
Matiere;
or ces ſubſtances
ſeront-elles
, ſinon dans l’Eſpace?
Outre cette faute, Deſcartes ſe
236213DE NEUTON. diſoit encore, car il admettoit un Dieu; or
eſt Dieu?
Il n’eſt pas dans un point ma-
thématique
, il eſt immenſe;
qu’eſt-ce que
ſon
immenſité, ſinon l’Eſpace immenſe?
A l’égard de l’in finité prétendue de la Ma-
tiere
, cette idée eſt auſſi peu fondée que
les
tourbillons.
Nous avons vu que le
Vuide
eſt d’une néceſſité abſolue dans l’or-
dre
des choſes, &
qu’ainſi la Matiere ne rem-
pliſſant
point tout l’Eſpace, elle n’eſt point
infinie
;
mais, qu’entend-on par une Matiere
infinie
?
car le mot d’indéfinie, dont Deſcar-
11Diſcuſ-
ſion
de
cette

Vérité
.
tes s’eſt ſervi, ou revient au méme, ou ne
ſignifie
rien.
Entend-on que la Matiere eſt
infinie
eſſentiellement par ſa nature?
En ce
cas
elle eſt donc Dieu?
Entend - on que
Dieu
l’a créée infinie?
D’oú le ſauroit-on?
Entend on que l’Etendue & la Matiere ſont
la
même choſe?
C’eſt un argument dont on
a
prouvé aſſez la fauſſeté.
L’éxiſtence de la Matiere infinie eſt, au
fond
, une contradiction dans les termes.
Mais
dira-t-on
, vous admettez un Eſpace immen-
ſe
, infini;
pourquoi n’en ferez-vous pas
autant
de la Matiere?
Voici la différence:
237214DE LA PHILOSOPHIE L’Eſpace éxiſte néceſſairement, parce que
Dieu
éxiſte néceſſairement;
il eſt im-
menſe
, il eſt comme la durée, un mode,
une
proprieté infinie d’un Etre néceſſaire,
infini
.
La Matiere n’eſt rien de tout cela:
elle n’éxiſte point néceſſairement: & ſi cette
ſubſtance
étoit infinie, elle ſeroit ou une
proprieté
eſſentielle de Dieu, ou Dieu mê-
me
:
or elle n’eſt ni l’un ni l’autre; elle n’eſt
donc
pas infinie &
ne ſauroit l’être.
Je conclurai ce Chapitre par une remar-
11Remar-
que
ſin-
guliére
.
que qui me paroît mériter beaucoup d’at-
tention
.
Deſcartes admettoit un Dieu
Créateur
&
Cauſe de tout: mais il nioit la
poſſibilité
du Vuide:
Epicure nioit qu’il y
eût
un Dieu Créateur &
Cauſe de tout, &
il
admettoit le Vuide;
or c’étoit Deſcartes
qui
par ſes principes devoit nier un Dieu
Créateur
, &
c’étoit Epicure qui devoit l’ad-
mettre
.
En voici la preuve évidente.
Si le Vuide étoit impoſſible, ſi la Matiere
étoit
infinie, ſi l’Etendue &
la Matiree é-
toient
la même choſe, il faudroit que la
Matiere
fût néceſſaire:
or ſi la Matiere étoit
néceſſaire
, elle éxiſteroit par elle-même d’une
néceſſité
abſolue, inhérente dans ſa
238215DE NEUTON. primordiale, antécédente à tout; donc elle
ſeroit
Dieu;
donc celui qui admet l’impoſſi-
bilité
du Vuide, doit, s’il raiſonne conſé-
quemment
, ne point admettre d’autre Dieu
que
la Matiere.
Au contraire, s’il y a du vuide, la Ma-
tiere
n’eſt donc point un Etre néceſſaire,
éxiſtant
par lui-même, &
c. ; donc elle a été
créée
;
donc il y a un Dieu; donc c’étoit
à
Epicure à croire un Dieu, &
c’étoit à Deſ-
cartes
à le nier.
Pourquoi donc au con-
traire
Deſcartes a-t il toujours parlé de l’éxiſ-
tence
d’un Etre Créateur &
Conſervateur,
&
Epicure l’a - t - il rejetté? C’eſt que les
hommes
dans leurs ſentimens, comme dans
leur
conduite, ſuivent rarement leurs prin-
cipes
, &
que leurs Syſtêmes ainſi que leurs
vies
ſont des contradictions.
Nous voyons de tout ce qui précéde que
11Conclu-
ſion
.
la Matiere eſt finie, qu’il y a du vuide,
c’eſt-à-dire
, de l’eſpace, &
même incom-
parablement
plus d’eſpace que de matiere
dans
notre Monde;
car il y a beau-
coup
plus de pores que de ſolides.
Nous
concluons
que le Plein eſt impoſſible,
239216DE LA PHILOSOPHIE les tourbillons de matiere ſubtile le ſont pa-
reillement
;
qu’ainſi la cauſe que Deſcartes
aſſignoit
à la peſanteur &
au mouvement
eſt
une chimére.
Nous venons de nous appercevoir par
l’expérience
dans la Machine pneuma-
tique
qu’il faut qu’il y ait une force qui
faſſe
deſcendre les corps vers le cen-
tre
de la Terre, c’eſt - à - dire, qui leur
donne
la peſanteur, &
que cette force doit
agir
en raiſon de la maſſe des corps;
il faut
maintenant
voir quels ſont les effets de cette
force
, car ſi nous en découvrons les effets,
il
eſt évident qu’elle éxiſte.
N’allons donc
point
d’abord imaginer des Cauſes &
faire
des
Hypothèſes:
c’eſt le ſûr moyen de s’é-
garer
:
ſuivons pas à pas, ce qui ſe paſſe
réellement
dans la Nature;
nous ſommes
des
Voyageurs arrivés à l’Embouchure d’un
Fleuve
, il faut le remonter avant que d’i-
maginer
eſt ſa ſource.
240 91[Figure 91]
CHAPITRE DIX-HUIT.
Gravitation démontrée par les découvertes de
Galilée
& de Neuton; que la Lune parcourt
ſon
Orbite par la force de cette gravitation.
GALILE’E le reſtaurateur de la Raiſon
11Loix de
la
chûte
des

corps

trou-
vées
pat
Galilée
.
en Italie, découvrit cette importante
propoſition
, que les Corps graves qui deſ-
cendent
ſur la Terre (faiſant abſtraction
de
la petite réſiſtance de l’air) ont un
mouvement
accéléré dans une proportion
dont
je vais tâcher de donner une idée net-
te
.
241218DE LA PHILOSOPHIE
Un Corps abandonné à lui-même du haut
d’une
Tour, parcourt, dans la premiere ſe-
conde
de tems, un eſpace qui s’eſt trou-
être de 15 pieds de Paris, ſelon les dé-
couvertes
d’Hugens inventeur en Mathé-
matiques
.
On croyoit avant Galilée que
ce
Corps pendant deux ſecondes auroit par-
couru
ſeulement deux fois le même eſpace,
&
qu’ainſi il feroit 150 pieds en dix ſecon-
des
, &
neuf cens pieds en une minute: c’é-
toit
l’opinion générale, &
même fort
vraiſemblable
à qui n’examine pas de près;
cependant il eſt vrai qu’en une minute ce
corps
auroit fait un chemin de cinquante-
quatre
mille pieds, &
deux cens ſeize
mille
pieds en deux minutes.
Voici comment ce progrés, qui étonne
d’abord
l’imagination, s’opére néceſſairement
&
avec ſimplicité. Un Corps eſt précipité
par
ſon propre poids:
cette force quel-
conque
qui l’anime à deſcendre de quinze
pieds
dans la premiere ſeconde, agit éga-
lement
à tous les inſtans, car rien n’ayant
changé
, il faut qu’elle ſoit toujours la mê-
me
;
ainſi à la deuxième ſeconde le
242219DE NEUTON. aurala force qu’il a acquiſe à chaque inſtant
de
la premie@e ſeconde, &
la force qu’il é-
prouve
chaque inſtant de la deuxième.
Or
par
la force qui l’animoit à la premiere ſe-
conde
il parcouroit quinze pieds, il a donc
encore
cette force quand il deſcend la deu-
xième
ſeconde.
Il a outre cela la force de
quinze
autres pieds qu’il acquéroit à meſu-
re
qu’il deſcendoit dans cette premiere ſe-
conde
, cela fait trente:
il faut (rien n’a-
yant
changé) que dans le tems de cette
deuxième
ſeconde, il ait encore la force de
parcourir
quinze pieds, cela fait quarante-
cinq
;
par la même raiſon le Corps parcourra
ſoixante-quinze
pieds dans la troiſième ſe-
conde
, &
ainſi du reſte.
De il ſuit 10. que le mobile acquiert en
tems
égaux infiniment petits des degrés in-
finiment
petits de vîteſſe, leſquels accélé-
rent
ſon mouvement vers le centre de la
Terre
, tant qu’il ne trouve pas de réſiſ-
tance
.
20. Que les vîteſſes qu’il acquiert ſont
comme
les tems qu’il employe à deſcen-
dre
.
30. Que les eſpaces qu’il parcourt
243220DE LA PHILOSOPHIE comme les quarrés de ces tems ou de ces
vîteſſes
.
40. Que la progreſſion des eſpaces par-
courus
par ce mobile ſont comme les nom-
bres
impairs 1, 3, 5, 7.
Cette connoiſ-
ſance
néceſſaire de ce Phénomêne qui arri-
ve
autour de nous à tous les inſtans, va être
rendue
ſenſible à ceux même qui ſeroient
d’abord
un peu embarraſſés de tous ces rap-
ports
;
il ne faut qu’un peu d’attention en
jettant
les yeux ſur cette petite table que
chaque
Lecteur peut augmenter à fon gré.
244221DE NEUTON.11
Tems
\\ dans \\ les \\ quels le \\ mobile \\ tombe. # Eſpa- \\ ces \\ qu’il \\ par- \\ court \\ en \\ chaque \\ tems. # Eſpaces parcourus \\ ſont comme les \\ quarrés des tems. # Nombres \\ impairs, \\ qui mar- \\ quent la \\ progreſ- \\ ſion du \\ mouve- \\ ment, & \\ les eſpa- \\ ces par- \\ courus.
I
re. Se \\ conde, \\ une vî- \\ teſſe: # Le \\ Corps \\ deſ- \\ cend \\ de 15 \\ pieds: # Le quarré d’un eſt \\ un, le corps par- \\ court 15. pieds. # Une fois \\ quinze,
2m
e. \\ Secon- \\ de, \\ deux \\ vîteſ- \\ ſes: # Le \\ Corps \\ par- \\ court \\ 45. \\ pieds: # Le quarré de deux \\ ſecondes, ou de \\ deux vîteſſes eſt \\ quatre: quatre fois \\ quinze font 60; \\ donc le corps a \\ parcouru 60. pieds, \\ c’eſt-à dire, 15. \\ dans la premiere \\ ſeconde, & 45. dans \\ la deuxième. # Trois \\ fois \\ quinze ; \\ ainſi la \\ progreſ- \\ ſion eſt \\ d’un à 3. \\ dans cette \\ ſeconde.
3m
e. \\ Se- \\ conde, \\ trois \\ vîteſ- \\ ſes. # Le \\ Corps \\ par- \\ court \\ 75. \\ pieds. # Le quarté de 3. \\ ſecondes eſt neuf: \\ or neuf fois 15. \\ font 135; donc le \\ corps a parcouru \\ dans les trois ſe- \\ condes 135. pieds. # Cinq fois \\ 15. pieds; \\ ainſi la \\ progreſ- \\ ſion eſt \\ viſible \\ ment ſe- \\ lon les \\ nombres \\ impairs \\ 1. 3. 5. & 91
245222DE LA PHILOSOPHIE
Il eſt clair d’abord qu’à chaque inſtant in-
finiment
petit, le mobile re(ç)oit un mouve-
ment
accéléré, puiſque, par l’énoncé même
de
la propoſition &
par l’expérience, ce
mouvement
augmente continuellement.
Par
cette
petite Table un coup d’œil démontre-
ra
, qu’au bout d’une minute le mobile aura
parcouru
cinquante-quatre mille pieds, car
54000
.
pieds font le quarré de ſoixante ſe-
condes
, multiplié par quinze;
or quinze
multiplié
par le quarré de ſoixante, qui eſt
3600
.
donne cinquante-quatre mille.
De ces Expériences il naiſſoit une nou-
velle
conjecture, à la vérité bien fondée,
mais
qui requéroit pourtant une démon-
ſtration
particuliére.
Car, voyant qu’un
corps
, par une peſanteur toujours égale,
faiſoit
ſoixante fois autant de chemin au
bout
de 60 minutes, qu’il en faiſoit pen-
dant
la premiére minute, on préſuma que la
peſanteur
elle-même devoit varier en raiſon
quelconque
des diſtances du centre de la
Terre
.
Cela fit auſſi ſoup(ç)onner deſlors à quel-
que
s grands Génies, qui cherchoient
246223DE NEUTON. route nouvelle, & entr’autres au fameux
Bacon
Chancelier d’Angleterre, qu’il y avoit
une
gravitation, une attraction des Corps
au
centre de la Terre, &
de ce centre aux
Corps
.
Il propoſoit dans ſon excellent Li-
vre
Novum Scientiarum Organum, qu’on fît
des
expériences avec des Pendules ſur les
plus
hautes Tours &
aux profondeurs les
plus
grandes;
car, diſoit-il, ſi les mêmes
Pendules
font de plus rapides vibrations au
ſond
d’un Puits que ſur une Tour, il faut
conclure
que la peſanteur, qui eſt le princi-
pe
de ces vibrations, ſera beaucoup plus
forte
au centre de la Terre, dont ce Puits
eſt
plus proche.
Il eſſaya auſſi de faire deſ-
cendre
des mobiles de différentes éléva-
tions
, &
d’obſerver s’ils deſcendroient de
moins
de quinze pieds dans la premiére ſe-
conde
;
mais il ne parut jamais de variation
dans
ces expériences, les hauteurs &
les
profondeurs
on les faiſoit étant trop pe-
tites
.
On reſtoit donc dans l’incertitude, & l’i-
dée
de cette force agiſſant du centre de la
Terre
demeuroit un ſoup(ç)on vague.
247224DE LA PHILOSOPHIE
Deſeartes en eut connoiſſance: il en par-
le
même en traitant de la peſanteur;
mais
les
expériences qui devoient éclaircir cette
grande
queſtion manquoient encore.
Le
Syſtéme
des tourbillons entraînoit ce Génie
ſublime
&
vaſte: il vouloit en créant ſon
Univers
, donner la direction de tout à ſa
Matiere
ſubtile:
il en fit la diſpenſatrice de
tout
mouvement &
de toute peſanteur; pe-
tit
à petit l’Europe adopta ſon Syſtême fau-
te
de mieux.
Enfin en 1672. Mr. Richer dans un Voya-
11Expé-
rience

faite

par
des
Acadé-
miciens
,
laquelle

conduit

à
cette
décou

verte
.
ge à la Cayenne près de la Ligne, entrepris
par
ordre de Louïs XIV.
ſous les auſpices
de
Colbert le Pere de tous les Arts:
Richer,
dis-je
, parmi beaucoup d’obſervations, trou-
va
que le Pendule de ſon Horloge ne faiſoit
plus
ſes oſcillations, ſes vibrations auſſi fré-
quentes
que dans la Latitude de Paris, &

qu’il
falloit abſolument racourcir le Pendu-
le
d’une ligne &
de plus d’un quart.
La Phyſique & la Géométrie n’étoient
pas
alors, à beaucoup près, ſi cultivées qu’el-
les
le ſont aujourd’hui.
Quel homme
248225DE NEUTON. pu croire que de cette remarque ſi petite
en
apparence, &
que d’une ligne de plus
ou
de moins, puſſent ſortir les plus grandes
vérités
Phyſiques?
On trouva d’abord, qu’il
falloit
néceſſairement que la peſanteur fût
moindre
ſous l’Equateur, que dans notre La-
titude
, puiſque la ſeule peſanteur fait l’oſ-
cillation
d’un pendule.
On vit par conſéquent que, puiſque la
peſanteur
des Corps étoit d’autant moins
forte
, que ces Corps ſont plus éloignés du
centre
de la Terre, il falloit abſolument
que
la Région de l’Equateur fût beaucoup
11La Ter-
re
plus
haute
à
propor-
tion
à
l’Equa-
teur

qu’au

Pole
.
plus élevée que la nôtre, plus éloignée du
centre
, &
qu’ainſi la Terre ne pouvoit être
une
Sphére.
Beaucoup de Philoſophes fi-
rent
à propos de ces découvertes ce que
font
tous les hommes, à qui il faut changer
d’opinion
;
ils combattirent la Vérité nou-
velle
.
Une partie des Docteurs juſqu’au
XV
.
Siècle avoit cru la Terre plate, plus
longue
d’Orient en Occident que du Mi-
di
au Septentrion, &
couverte du Ciel
comme
d’une Tente en demi-voute.
Leur
opinion
leur paroiſſoit d’autant plus ſûre
qu’ils
la croyoient fondée ſur la Bible.
249226DE LA PHILOSOPHIE de tems avant la découverte de l’Amérique,
un
Evêque d’Avila traitoit l’opinion de la
rondeur
de la Terre, d’impieté, &
d’ab-
ſurdité
.
Enfin la Raiſon & le Voyage de
Chriſtophe
Colomb rendirent à la Terre ſon
ancienne
forme ſphérique, que les Chaldéens
&
les Egyptiens lui avoient donnée. Alors
on
paſſa d’une extrémité à l’autre;
on crut
la
Terre une Sphére parfaite, comme on
croyoit
que les Etoiles faiſoient leur révo-
lution
dans un vrai cercle.
Cependant du moment que l’on commen-
ça
à bien ſavoir que notre Globe tourne ſur
lui-même
en vingt-quatre heures, on auroit
du
juger de cela ſeul, qu’une forme entiére-
ment
ronde ne peut lui appartenir.
On n’a-
voit
qu’à conſiderer que le mouvement de
rotation
en vingt-quatre heures doit élever
les
Eaux de la Mer:
que ces Eaux éle-
vêes
plus que le reſte du Globe devroient à
tout
moment retomber ſur les Terres de la
Région
de l’Equateur &
les inonder: or
elles
n’y retombent pas;
donc la Terre ſo-
lide
y doit être élevée comme les Eaux.
Ce
raiſonnement
ſi ſimple, ſi naturel, étoit écha-
aux plus grands Génies;
preuve
250227DE NEUTON. du préjugé qui n’avoit pas même permis ce
leger
examen.
On conteſta encore l’expé-
rience
même de Richer:
on prétendit que
nos
Pendules ne faiſoient leurs vibrations ſi
promptes
vers l’Equateur, que parce que
la
chaleur allongeoit ce métal:
on vit que
la
chaleur du plus brûlant Eté l’allonge d’u.
ne ligne ſur trente pieds de longueur; & il
s’agiſſoit
ici d’une ligne &
un quart, d’une
ligne
&
demie, ou meme de deux lignes ſur
une
verge de fer longue de 3 pieds 8 li-
gnes
.
Quelques années après, Mrs. Deshayes,
Varin
, Feuillée, Couplet, repétérent vers
l’Equateur
la même expérience du Pendu-
le
;
il le fallut toujours racourcir, quoique
la
chaleur fût très-ſouvent moins grande
ſous
la Ligne même, qu’à quinze ou vingt
degrès
de la Ligne Equinoxiale.
Cette ex-
périence
vient d’être confirmée de nouveau
par
les Académiciens qui ſont à préſent au
Pérou
;
& on apprend dans le moment que
vers
Quito, dans un tems il geloit, il
a
fallu racourcir le Pendule à ſecondes d’en-
viron
deux lignes.
251228DE LA PHILOSOPHIE
Tandis qu’on trouvoit ainſi de nouvelles
vérités
ſous la Ligne, Mr.
Picart par les
mêmes
ordres avoit donné en 1669 une me-
ſure
de la Terre, en traçant une petite par-
tie
de la Méridienne de la France.
Elle
ne
donnoit pas à la vérité une meſure auſſi
exacte
de notre Globe qu’on l’auroit eue, ſi
l’on
en avoit meſuré des degrés en France, &

vers
l’Equateur &
vers le Cercle Polaire;
mais cette différence ſera trop petite pour
être
comptée dans les choſes dont nous al-
lons
parler.
Ces découvertes étoient néceſſaires pour
fonder
la Théorie de Neuton.
On ſe croit
obligé
ici de rapporter ſur ces découvertes
&
ſur cette Théorie une Anecdote qui ne
ſera
pas ſans utilité dans l’Hiſtoire de l’Eſ-
prit
humain, &
qui ſervira à faire connoî-
tre
combien l’exactitude eſt néceſſaire dans
les
Sciences &
combien Neuton cherchoit
ſincérement
la Vérité.
Il avoit jetté dès l’année 1666 les fonde-
11Anec-
dote

ſur
ces
décou-
vertes
.
mens de ſon admirable Syſtême de la gra-
vitation
;
mais il falloit pour que ce
252229DE NEUTON. me ſe trouvât vrai dans toutes ſes parties, &
ſur-tout
pour tirer du mouvement de la Lu-
ne
les concluſions que nous allons voir;
il
falloit
, dis-je, que les degrés de Latitude
fuſſent
chacun environ de vingt-cinq lieues
communes
de France, &
de près de ſoixan-
te
&
dix milles d’Angleterre.
Dès l’année 1636: Norwood Mathéma-
ticien
Anglais avoit fait, par pure curioſité,
depuis
Londres juſqu’à Yorck, vers le Nord
d’Angleterre
, les mêmes opérations que
les
bienfaits du Miniſtère de France firent
entreprendre
depuis par Picart en 1669,
vers
le Nord de Paris, dans un moindre
eſpace
de terrain.
Les degrés de Norwood ſe trouvoient, à
très-peu
de choſe près, de 70 milles d’An-
gleterre
, &
de 25 lieues communes de Fran-
ce
;
c’étoit préciſément la meſure que Neu-
ton
avoit devinée par ſa Théorie, &
qui pou-
voit
ſeule la juſtifier.
Mais ce qui paroîtra étonnant, c’eſt qu’en
1666
, &
même pluſieurs années après,
Neuton
ne ſavoit rien des meſures de
253230DE LA PHILOSOPHIE wood, priſes plus de 30 ans auparavant.
Les malheurs qui avoient affligé l’Angleter-
re
, avoient été auſſi funeſtes aux Sciences
qu’à
l’Etat.
La découverte de Norwood é-
toit
enſévelie dans l’oubli;
on s’en tenoit à
la
meſure fautive des Pilotes, qui par leur
eſtime
vague comptoient 60 milles ſeule-
ment
pour un degré de Latitude.
Neuton
retiré
à la Campagne pendant la peſte de
1666
, n’étant point à portée d’être inſtruit
des
meſures de Norwood, s’en tenoit à
cette
fauſſe meſure des 60 milles.
Ce fut par cette fauſſe meſure qu’il re-
chercha
, comme nous l’allons dire, ſi le
même
pouvoir qui fait graviter ici les corps
vers
le centre de la Terre, retient la Lune
dans
ſon Orbite.
Il ſe trouva aſſez loin des
concluſions
, il ſeroit parvenu avec une
meſure
plus exacte de la Terre, &
il eut la
bonne
foi d’abandonner ſa recherche.
Il la reprit quelques années après, ſur les
meſures
de Picart, &
il s’y confirma enco-
re
davantage en 1683.
par les meſures plus
exactes
de Caſſini, la Hire, Chazelles &
Va-
rin
, qui encouragés par Colbert
254231DE NEUTON. rent un plus grand terrain que Picart.
Ces Académiciens pouſſérent la Méri-
dienne
juſqu’en Auvergne;
mais Colbert
étant
mort, Louvois, qui lui ſuccéda dans
le
Département del’Académie, &
non dans
ſon
goût pour les Sciences, interrompit un
peu
ce grand travail.
Ce ne fut guère que vers ce tems-là que
Neuton
eut connoiſſance des opérations de
Norwood
;
il vit avec étonnement que ces
meſures
étoient les mêmes que celles de
Picart
&
de Caſſini, à cela près, que le de-
gré
meſuré par Norwood ſurpaſſoit celui de
Picart
de 240 toiſes, &
ne ſurpaſſoit ce-
lui
de Caſſini que de huit.
Neuton attri-
buoit
ce petit excédant de huit toiſes par
degré
à la figure de la Terre, qu’il croyoit
être
celle d’un Sphéroïde applati vers les
Poles
;
& il jugeoit que Norwood en tirant
ſa
Méridienne dans des Régions plus Sep-
tentrionales
que la nôtre, avoit du trouver
ſes
degrés plus grands que ceux de Caſſini,
puiſqu’il
ſuppoſoit la courbe du terrain me-
ſurée
par Norwood plus longue.
Quoi qu’il
on
ſoit, voici la ſublime Théorie qu’il
255232DE LA PHILOSOPHIE de ces meſures, & des découvertes du grand
Galilée
.
La peſanteur ſur notre Globe eſt en rai-
11Théo-
rie
tirée
de
ces
décou-
vertes
.
ſon réciproque des quarrés des diſtances des
corps
peſants du centre de la Terre;
ainſi
plus
ces diſtances augmentent, plus la pe-
ſanteur
diminue.
La force qui fait la peſanteur ne dépend
point
des tourbillons de Matiere ſubtile,
dont
l’exiſtence eſt démontrée fauſſe.
Cette force, telle qu’elle ſoit, agit ſur
tous
les corps, non ſelon leurs ſurfaces;
mais
ſelon
leurs maſſes.
Si elle agit à une diſtan-
ce
, elle doit agir à toutes les diſtances;
ſi
elle
agit en raiſon inverſe du quarré de ces
diſtances
, elle doit toujours agir ſuivant
cette
proportion ſur les corps connus, quand
ils
ne ſont pas au point de contact, je veux
dire
, le plus près qu’il eſt poſſible d’être,
ſans
être unis.
Si, ſuivant cette proportion, cette force
fait
parcourir ſur notre Globe 54000 pieds
en
60 ſecondes, un corps qui ſera
256233DE NEUTON. à ſoixante rayons du centre de la Terre,
devra
en 60 ſecondes tomber ſeulement de
quinze
pieds de Paris ou environ.
La Lune dans ſon moyen mouvement eſt
11La mê-
me
cau-
ſe
qui
fait

tomber

les

corps

ſur
la
Terre
,
dirige
la
Lune

autour

de
la
Terre
.
éloignée du centre de la Terre d’environ
ſoixante
rayons du Globe de la Terre:
or
par
les meſures priſes en France on connoît
combien
de pieds contient l’Orbite que dé-
crit
la Lune;
on ſait par-là que dans ſon
moyen
mouvement elle décrit 187961
pieds
de Paris en une minute.
92[Figure 92]
La Lune dans ſon moyen mouvement,
eſt
tombée de A, en B, elle a donc
257234DE LA PHIL OSOPHIE à la force de projectile, qui la pouſſe dans la
tangente
A, C, &
à la force, qui la feroit
deſcendre
ſuivant la ligne A, D.
égale à B,
C
:
ôtez la force qui la dirige de A, en C,
reſtera
une force qui pourra être évaluée
par
la ligne C, B:
cette ligne C, B. eſt
égale
à la ligne A, D;
mais il eſt dé-
montré
que la courbe A, B.
valant
187961
.
pieds, la ligne A, D. ou C,
B
.
en vaudra ſeulement quinze; donc
que
la Lune ſoit tombée en B, ou en D,
c’eſt
ici la méme choſe, elle auroit par-
couru
15.
pieds en une minute de C, en
B
;
donc elle auroit parcouru 15. pieds
auſſi
de A, en D.
en une minute. Mais
en
parcourant cet eſpace en une minute,
elle
fait préciſément 3600 fois moins de
chemin
qu’un mobile n’en feroit ici ſur la
Terre
:
3600. eſt juſte le quarré de ſa diſ-
tance
;
donc la gravitation qui agit ici ſur
tous
les corps, agit auſſi entre la Terre &

la
Lune préciſément dans ce rapport de
la
raiſon inverſe du quarré des diſtances.
Mais ſi cette puiſſance qui anime les
corps
, dirige la Lune dans ſon Orbite, el-
le
doit auſſi diriger la Terre dans le
258235DE NEUTON.& l’effet qu’elle opére ſur la Planete de
la
Lune, elle doit l’opérer ſur la Planete
de
la Terre.
Car ce pouvoir eſt par-tout
le
même:
toutes les autres Planetes doi-
vent
lui être ſoumiſes, le Soleil doit auſſi
éprouver
ſa loi:
& s’il n’y a aucun mou-
vement
des Planetes les unes à l’égard des
autres
, qui ne ſoit l’effet néceſſaire de
cette
puiſſance, il faut avouer alors que
toute
la Nature la démontre;
c’eſt ce que
nous
allons obſerver plus amplement.
93[Figure 93]
259 94[Figure 94]
CHAPITRE DIX-NEUF.
Que la gravitation & l’attraction dirigent tou-
tes
les Planetes dans leurs Cours.
PReſque toute la Théorie de la peſanteur
11Com-
menton

doit
en-
tendre
,
la
Théo-
rie
de
la
pe-
ſanteur

chez

Deſcar-
tes
.
chez Deſcartes eſt fondée ſur cette loi
de
la Nature, que tout corps qui ſe meut en
ligne
courbe, tend à s’éloigner de ſon cen-
tre
en une ligne droite, qui toucheroit la
courbe
en un point.
Telle eſt la fronde
qui
en s’échapant de la main au point B,
ſuivroit
cette ligne B, C.
260237DE NEUTON. 95[Figure 95]
Tous les corps en tournant avec la Terre
font
ainſi un effort pour s’éloigner du cen-
tre
;
mais la Matiere ſubtile faiſant un bien
plus
grand effort repouſſe, diſoit-on, tous
les
autres corps.
Il eſt aiſé de voir que ce n’étoit point à
la
Matiere ſubtile à faire ce plus grand ef-
fort
, &
à s’éloigner du centre du tourbil-
lon
prétendu, plutôt que les autres corps;
au contraire c’étoit ſa nature (ſuppoſé qu’el-
éxiſtât
) d’aller au centre de ſon mouve-
ment
, &
de laiſſer aller à la
261238DE LA PHIL OSOPHIE tous les corps qui auroient eu plus de maſ-
ſe
.
C’eſt en effet ce qui arrive ſur une ta-
ble
qui tourne en rond, lorſque dans un tu-
be
pratiqué dans cette table, on a mêlé plu-
ſieurs
poudres &
pluſieurs liqueurs de pe-
ſanteurs
ſpécifiques différentes;
tout ce qui
a
plus de maſſe s’éloigne du centre, tout ce
qui
a moins de maſſe s’en approche.
Telle
eſt
la loi de la Nature;
& lorſque Deſcartes
a
fait circuler à la circonférence ſa préten-
due
Matiere ſubtile, il a commencé par vio-
ler
cette loi des forces centrifuges, qu’il po-
ſoit
pour ſon premier principe.
Il a eu
beau
imaginer que Dieu avoit créé des
dés
tournans les uns ſur les autres:
que la
raclure
de ces dés qui faiſoit ſa Matiere
ſubtile
, s’échapant de tous les côtés, acqué-
roit
par-là plus de vîteſſe:
que le centre
d’un
tourbillon s’encroutoit, &
c. ; il s’en
falloit
bien que ces imaginations rectifiaſ-
ſent
cette erreur.
Sans perdre plus de tems à combattre ces
Etres
de raiſon, ſuivons les loix de la Mé-
canique
qui opére dans la Nature.
Un
corps
qui ſe meut circulairement, prend en
cette
maniere, à chaque point de la
262239DE NEUTON. qu’il décrit, une direction qui l’éloigneroit
du
Cercle, en lui faiſant ſuivre une ligne
droite
.
96[Figure 96]
Cela eſt vrai. Mais il faut prendre garde
que
ce corps ne s’éloigneroit ainſi du cen-
tre
, que par cet autre grand Principe:
que
tout
corps étant indifférent de lui-même au
repos
&
au mouvement, & ayant cette iner-
tie
qui eſt un attribut de la Matiere, ſuit
néceſſairement
la ligne dans laquelle il eſt mu.
Or tout corps qui tourne autour d’un cen-
tre
, ſuit à chaque inſtant une ligne droite
infiniment
petite, qui deviendroit une droi-
te
infiniment longue, s’il ne
263240DE LA PHILOSOPHIE point d’obſtacle. Le réſultat de ce princi-
pe
, réduit à ſa juſte valeur, n’eſt donc au-
tre
choſe, ſinon qu’un corps qui ſuit une
ligne
droite, ſuivra toujours une ligne droi-
te
;
donc il faut une autre force pour lui
faire
décrire une courbe;
donc cette autre
force
, par laquelle il décrit la courbe le fe-
roit
tomber au centre à chaque inſtant, en
cas
que ce mouvement de projectile en li-
gne
droite ceſſat.
A la vérité de moment
en
moment ce corps iroit en A, en B, en
C
.
s’il s’échapoit;
97[Figure 97]
Mais auſſi de moment en moment il re-
tomberoit
de A, de B, de C.
au centre;
264241DE NEUTON. parce que ſon mouvement eſt compoſé de
deux
ſortes de mouvemens, du mouvement de
projectile
en ligne droite, &
du mouvement
imprimé
auſſi en ligne droite par la force
centripète
, force par laquelle il iroit au cen-
11Ce que
c’eſt
que
la
force
centri-
fuge
, &
la
force
centri-
pète
.
tre.
Ainſi de cela même que le corps décriroit
ces
tangentes A, B, C.
il eſt démontré qu’il
y
a un pouvoir qui le retire de ces tangen-
tes
à l’inſtant même qu’il les commence.
Il
faut
donc abſolument conſiderer tout corps
ſe
mouvant dans une courbe, comme mu
par
deux puiſſances, dont l’une eſt celle
qui
lui feroit parcourir des tangentes, &

qu’on
nomme la force centrifuge, ou plu-
tôt
la force d’inertie, d’inactivité, par la-
quelle
un corps ſuit toujours une droite s’il
n’en
eſt empêché;
& l’autre force qui reti-
re
le corps vers le centre, laquelle on
nomme
la force contripète, &
qui eſt la vé-
ritable
force.
265242DE LA PHILOSOPHIE
C’eſt ainſi qu’un corps mu ſelon la ligne
horiſontale
G, E.
& ſelon la ligne perpen-
diculaire
G, F.
obéït à chaque inſtant à ces
deux
puiſſances en parcourant la diagonale
G
, H.
98[Figure 98]
De l’établiſſement de cette force centri-
pète
, il réſulte d’abord cette démonſtra-
tion
, que tout mobile qui ſe meut dans un
cercle
, ou dans une ellipſe, ou dans une
courbe
quelconque, ſe meut autour d’un
centre
auquel il tend.
Il ſuit encore que ce mobile, quelques
portions
de courbe qu’il parcoure, décrira
dans
ſes plus grands arcs &
dans ſes plus
petits
arcs, des aires égales en tems égaux.
266243DE NEUTON. Si, par exemple, un mobile en une minu-
te
borde l’eſpace A, C, B.
qui contiendra
cent
milles d’aire, il doit border en deux
minutes
un autre eſpace B, C, D.
de deux
cens
milles.
99[Figure 99]
Cette Loi inviolablement obſervée par
toutes
les Planetes, &
inconnue à toute
l’Antiquité
, fut découverte il y a près
de
150.
ans par Kepler, qui a mérité le
nom
de Législateur en Aſtronomie, mal-
gré
ſes erreurs Philoſophiques.
Il ne pou-
voit
ſavoir encore la raiſon de cette rè-
gle
à laquelle les corps céleſtes ſont aſſu-
jettis
.
L’extrême ſagacité de Kepler trou-
va
l’effet dont le génie de Neuton a trou-
la cauſe.
267244DE LA PHILOSOPHIE
Je vais donner ici la ſubſtance de la
Démonſtration
de Neuton:
elle ſera aiſé-
ment
compriſe par tout Lecteur attentif;
car les hommes ont une Géométrie natu-
relle
dans l’eſprit, qui leur fait ſaiſir les
rapports
, quand ils ne ſont pas trop com-
pliqués
.
On trouvera la Démonſtration
plus
étendue en Notes.
100[Figure 100]
Que le corps A. ſoit mu en B. en un eſpa-
ce
de tems très-petit:
au bout d’un pareil eſpa-
ce
, un mouvement également continué (car
il
n’y a ici nulle accélération) le feroit ve-
nir
en C;
mais en B. il trouve une force qui
le
pouſſe dans la ligne B, H, S.
; il ne ſuit
donc
ni ce chemin B, H, S.
ni ce chemin
A
, B, C;
tirez ce parallélogramme C, D.
268245DE NEUTON B, H. alors le mobile étant mu par la force
De’ monstration.
Que tout mobile attiré par une force centripète
décrit
dans une ligne courbe des aires éga.
les en tems égaux (1).
101[Figure 101]
(1) Tout corps ſe meut d’un mouvement uniforme,
quand
il n’y a point de force accélératrice;
donc le
corps
A.
mu en ligne droite dans le premier tems de
A
, en B.
ira en pareil tems de B, en C. de C, en Z.
Ces eſpaces conçus égaux, la force centripète dans
le
ſecond tems donne à ce corps en B.
un mouve-
ment
quelconque, &
le corps au lieu d’aller en C. va
en
H.
; quelle direction a-t-il eue différente de B, C. ?
Tirez
les 4.
lignes C, H. G, B. C, B. G, H. le
mobile
a ſuivi la diagonale B, H.
de ce parallélo-
gramme
.
Or les 2. côtés B, C. B, G. du parallélogramme
ſont
dans le même plan que le triangle A, B, S.
donc
les
forces ſont dirigées vers G, S.
& vers la droite A,
B
, C, Z.
269246DE LA PHILOSOPHIE B, C. & par la force B, H. s’en va ſelon
Les triangles S, H, B. S, C, B. ſont égaux, puiſ-
qu’ils
ſont ſur la même baſe S, B.
& entre les parallel-
les
H, C.
G, B; mais S, B, A. S, H, B. ſont égaux,
ayant
même baſe &
même hauteur; donc S, B, A. S,
H
, B.
ſont auſſi égaux.
Il faut en dire autant des triangles S, T, H. S, D, H;
donc tous ces triangles ſont égaux. Diminuez la hau-
teur
à l’infini, le corps à chaque moment infiniment petit
décrira
la courbe, de laquelle toutes les lignes tendent
au
point S.
; donc dans tous les cas les aires de ces
triangles
ſont proportionelles aux tems.
Demonstration.
Que tout corps dans une courbe décrivant des
triangles
égaux autour d’un point, eſt mu par
la
force contripète autour de ce point (2).
102[Figure 102]
(2) Que cette courbe ſoit divifée en parties égales
A
, B.
B, H. H, F. infiniment petites, décrites en tems
égaux
;
ſoit conçue la force agir aux points B, H, F.
270247DE NEUTON.
la diagonale B, D. Or cette ligne B, D.
& cette ligne B, A. conçues infiniment
petites
ſont les naiſſances d’une courbe, &
c. ;
donc
ce corps ſe doit mouvoir dans une
courbe
.
Il doit border des eſpaces égaux en tems
11Cette
démonſ-
tration

prouve

que
le
Soleil
eſt
le
centre
del’Uni-
vers
&
non
la
Terre
.
égaux, car l’eſpace du triangle S, B, A.
eſt
égal
à l’eſpace du triangle S, B, D.
: ces trian-
gles
ſont égaux;
donc ces aires ſont égales;
donc tout corps qui parcourt des aires éga-
les
en tems égaux dans une courbe, fait ſa
révolution
autour du centre des forces au-
quel
il tend;
done les Planetes tendent
vers
le Soleil, tournent autour du Soleil, &
ſoit A, B. prolongée en C. ſoit B, H. prolongée en
T
.
le triangle S, A, B. ſera égal au triangle S, B, H.
car A, B. eſt égal à B, C; donc S, B, H. eſt égal à S,
B
, C;
donc la force en B, G. eſt parallelle à C, H; mais
cette
ligne B, G.
parallelle à C, H. eſt la ligne B, G, S.
tendante
au centre.
Le corps en H. eſt dirigé par la
force
centripète ſelon une ligne parallelle à F, T.
de
même
qu’au point B.
il étoit dirigé par cette même
force
dans une ligne parallelle à C, H.
Or la ligne paral-
lelle
à C, H.
tend en S. ; donc la ligne parallelle à F,
T
.
tendra auſſi en S. ; donc toutes les lignes ainſi tirées
tendront
au point S.
Concevez maintenant en S. des triangles ſemblables
à
ceux ci-deſſus;
plus ces triangles ci-deſſus ſeront pe-
tits
, plus les triangles en S.
approcheront d’un point
Phyſique
, lequel point S.
ſera le centre des forces.
271248DE LA PHILOSOPHIE
non autour de la Terre. Car en prenant la
Terre
pour centre, leurs aires ſont inéga-
les
par rapport aux tems, &
en prenant le
Soleil
pour centre, ces aires ſe trouvent
toujours
proportionnelles aux tems;
ſi vous
en
exceptez les petits dérangemens cauſés
par
la gravitation même des Planétes.
Pour bien entendre encore ce que c’eſt
que
ces aires proportionnelles aux tems, &

pour
voir d’un coup d’œil l’avantage que
vous
tirez de cette connoiſſance, regardez
la
Terre emportée dans ſon ellipſe autour
du
Soleil S.
ſon centre. Quand elle va de B,
en
D.
elle ballaye un auſſi grand eſpace que
quand
elle parcourt ce grand arc H.
K: le
Secteur
H, K.
regagne en largeur ce que le
Secteur
B, S, D.
a en longueur. Pour faire
l’aire
de ces Secteurs égale en tems égaux,
il
faut que le corps vers H, K.
aille plus vîte
que
vers B, D.
Ainſi la Terre & toute Pla-
néte
ſe meut plus vîte dans ſon périhélie,
qui
eſt la courbe la plus voiſine du Soleil S,
que
dans ſon aphélie, qui eſt la courbe la
plus
éloignée de ce même foyer S.
272249DE NEUTON. 103[Figure 103]
On connoît donc quel eſt le centre d’une
Planéte
, &
quelle figure elle décrit dans
ſon
orbite par les aires qu’elle parcourt;
on connoît que toute Planéte, lorſqu’elle
eſt
plus éloignée du centre de ſon mouve-
11C’eſt
pour
les
raiſons

précé-
dentes

que

nous

avons

plus

d’Eté

que

d’Hy-
ver
.
ment, gravite moins vers ce centre.
Ainſi
la
Terre étant plus près du Soleil d’un tren-
tième
, c’eſt-à-dire, d’un million de lieues,
pendant
notre Hyver que pendant notre
Eté
, eſt plus attirée auſſi en Hyver;
ainſi
elle
va plus vîte alors par la raiſon de ſa
courbe
;
ainſi nous avons huit jours & demi
d’Eté
plus que d’Hyver, &
le Soleil paroît
dans
les Signes Septentrionaux huit jours
&
demi de plus que dans les Méridionaux.
273250DE LA PHILOSOPHIE Puis donc que toute Planéte ſuit, par rap-
port
au Soleil, ſon centre, cette Loi de
gravitation
que la Lune éprouve par rap-
port
à la Terre, &
à laquelle tous les corps
ſont
ſoumis en tombant ſur la Terre, il eſt
démontré
que cette gravitation, cette at-
traction
, agit ſur tous les corps que nous
connoiſſons
.
Mais une autre puiſſante Démonſtration
de
cette Vérité, eſt la Loi que ſuivent reſ-
pectivement
toutes les Planétes dans leurs
cours
&
dans leurs diſtances; c’eſt ce qu’il
faut
bien examiner.
104[Figure 104]
274 105[Figure 105]
CHAPITRE VINGT.
Démonſtration des loix de la gravitation, tirée
des
règles de Kepler;
qu’une de ces loix
de
Kepler démontrẽ le mouvement
de
la Terre.
KEPLER trouva encore cette admira-
11Grande
règle
de
Kepler
.
ble règle, dont je vais donner un
exemple
avant que de donner la définition,
pour
rendre la choſe plus ſenſible &
plus
aiſée
.
275252DE LA PHILOSOPHIE
Jupiter a 4. Satellites qui tournent au-
tour
de lui:
le plus proche eſt éloigné de
2
.
Diamétres de Jupiter & 5. ſixièmes, &
il
fait ſon tour en 42.
heures: le dernier
tourne
autour de Jupiter en 402.
heures;
je veux ſavoir à quelle diſtance ce dernier
Satellite
eſt du centre de Jupiter.
Pour y
parvenir
, je fais cette règle.
Comme le
quarré
de 42.
heures, révolution du ier.
Satellite
, eſt au quarré de 402.
heures, ré-
volution
du dernier;
ainſi le cube de deux
Diamétres
&
{5/6} eſt à un 4e. terme. Ce 4e.
terme
étant trouvé, j’en extrais la racine
cube
, cette racine cube ſe trouve 12.
{2/3}. ;
ainſi
je dis que le 4e.
Satellite eſt éloigné
du
centre de Jupiter de 12.
Diamétres de
Jupiter
&
{2/3}.
Je fais la même règle pour toutes les Pla-
nétes
qui tournent autour du Soleil.
Je
dis
:
Venus tourne en 224. jours, & la
Terre
en 365;
la Terre eſt à 30000000.
de lieues du Soleil, à combien de lieues
ſera
Venus?
Je dis: comme le quarré
de
l’année de la Terre eſt au quarré de l’an-
née
de Venus, ainſi le cube de la
276253DE NEUTON. moyenne de la Terre eſt à un 4e. ter-
me
dont la racine cubique ſera environ
21700000
.
de lieues, qui font la diſtance
moyenne
de Venus au Soleil;
j’en dis
autant
de la Terre &
de Saturne, & c.
Cette loi eſt donc, que le quarré d’une
révolution
d’une Planete eſt toujours au
quarré
des révolutions des autres Planetes,
comme
le cube de ſa diſtance eſt aux cubes
des
diſtances des autres, au centre commun.
Kepler qui trouva cette proportion, étoit
11Raiſonas
indi-
gnes

d’un

Philoſo-
phe

données

par

Kepler

de
cette
loi
ad-
mirable
.
bien loin d’en trouver la raiſon.
Moins bon
Philoſophe
qu’ Aſtronome admirable, il dit
(au 4e.
Liv. de ſon Epitome) que le So-
leil
a une ame, non pas une ame intelligen-
te
animum, mais une ame végétante, agiſ-
ſante
, animam:
qu’en tournant ſur lui-mê-
me
il attire à ſoi les Planetes;
mais que
les
Planetes ne tombent pas dans le Soleil,
parce
qu’elles font auſſi une révolution ſur
leur
axe.
En faiſant cette révolution, dit-
il
, elles préſentent au Soleil tantôt un côté
ami
, tantôt un côté ennemi:
le côté ami
eſt
attiré, &
le côté ennemi eſt
277254DE LA PHILOSOPHIE ce qui produit le cours annuel des Planetes
dans
des Ellipſes.
Il faut avouer pour l’humiliation de la
Philoſophie
, que c’eſt de ce raiſonnement
ſi
peu Philoſophique, qu’il avoit conclu
que
le Soleil devoit tourner ſur ſon axe:
l’erreur le couduiſit par hazard à la vérité;
il
devina la rotation du Soleil ſur lui-même
plus
de 15.
ans avant que les yeux de Ga-
lilée
la reconnuſſent à l’aide des Teleſco-
pes
.
Kepler ajoute dans ſon même Epitome
p
.
495. que la maſſe du Soleil, la maſſe de
tout
l’Ether, &
la maſſe des Sphéres des
Etoiles
fixes ſont parfaitement égales;
&
que
ce ſont les 3.
Symboles de la Très-Sain-
te
Trinité.
Le Lecteur qui en liſant ces Elémens,
aura
vu de ſi grandes réveries, à côté de
ſi
ſublimes vérités, dans un auſſi grand
homme
que Kepler, dans un auſſi profond
Mathématicien
que Kirker, ne doit point
en
être ſurpris:
on peut être un Génie en
fait
de calcul &
d’obſervations, & ſe
278255DE NEUTON. vir mal quelquefois de ſa raiſon pour le
reſte
;
il y a tels Eſprits qui ont beſoin de
s’appuyer
ſur la Géométrie, &
qui tombent
quand
ils veulent marcher ſeuls.
Il n’eſt
donc
pas étonnant que Kepler, en décou-
vrant
ces loix de l’Aſtronomie, n’ait pas
connu
la raiſon de ces loix.
Cette raiſon eſt, que la force centripète
11Raiſon
vérita-
ble
de
cette
loi
trouvée

par

Neuton
.
eſt préciſément en proportion inverſe du
quarré
de la diſtance du centre de mouve-
ment
, vers lequel ces forces ſont dirigées;
c’eſt ce qu’il faut ſuivre attentivement. Il
faut
bien entendre, qu’en un mot cette loi
de
la gravitation eſt telle, que tout corps
qui
approche 3.
fois plus du centre de ſon
mouvement
, gravite 9.
fois davantage: que
s’il
s’éloigne 3.
fois plus, il gravitera 9.
fois
moins;
& que s’il s’éloigne 100. fois
plus
, il gravitera 10000.
fois moins.
Un corps ſe mouvant circulairement au-
tour
d’un centre, peſe donc en raiſon in-
verſe
du quarré de ſa diſtance actuelle au
centre
, comme auſſi en raiſon directe de ſa
maſſe
;
or il eſt démontré que c’eſt la gra-
vitation
qui le fait tourner autour de
279256DE LA PHILOSOPHIE centre, puiſque ſans cette gravitation, il
s’en
éloigneroit en décrivant une tangente.
Cette gravitation agira donc plus fortement
ſur
un mobile, qui tournera plus vîte autour
de
ce centre;
& plus ce mobile ſera éloi-
gné
, plus il tournera lentement, car alors
il
peſera bien moins.
C’eſt par cette raiſon que la Terre, quoi-
que
1170.
fois plus petite que Jupiter, ne
peſe
pourtant ſur le Soleil que 8.
fois moins
que
Jupiter;
& cela en raiſon directe des
maſſes
, &
en raiſon inverſe des quarrés des
diſtances
de ces Planetes au Soleil.
Voilà donc cette loi de la gravitation en
11Récapi-
tulation

des

preuves

de
la
gravita-
tion
.
raiſon du quarré des diſtances, démontrée
10. Par l’Orbite que décrit la Lune, &
par
ſon éloignement de la Terre, ſon cen-
tre
:
20. Par le chemin de chaque Planete au-
tour
du Soleil dans une Ellipſe;
30. Par la comparaiſon des diſtances &
des
révolutions de toutes les Planetes au-
tour
de leur centre commun.
280257DE NEUTON.
Il ne ſera pas inutile de remarquer que
11Ces dé-
couver-
tes
de
Kepler

& de
Neuton

ſervent

à
dé-
montrer

que
c’eſt
la
Terre
qui

tourne

autour

du
So-
leil
.
cette même règle de Kepler, qui ſert à con-
firmer
la découverte de Neuton touchant
la
gravitation, confirme auſſi le Syſtême de
Copernic
ſur le mouvement de la Terre.
On peut dire que Kepler par cette ſeule
règle
a démontré ce qu’on avoit trouvé a-
vant
lui, &
a ouvert le chemin aux vérités
qu’on
devoit découvrir un jour.
Car d’un
côté
il eſt démontré que ſi la loi des for-
ces
centripètes n’avoit pas lieu, la règle
de
Kepler ſeroit impoſſible;
de l’autre il eſt
démontré
que ſuivant cette même règle, ſi
le
Soleil tournoit autour de la Terre, il
faudroit
dire:
Comme la révolution de la
Lune
autour de la Terre en un mois, eſt à
la
révolution prétendue du Soleil autour de
la
Terre en un an, ainſi la racine quar-
rée
du cube de la diſtance de la Lune à la
Terre
, eſt à la racine quarrée du cube de la
diſtance
du Soleil à la Terre.
Par ce cal-
cul
on trouveroit que le Soleil n’eſt qu’à
510000
.
lieues de nous; mais il eſt prouvé
qu’il
en eſt au moins à environ 30.
millions
de
lieues;
ainſi donc le mouvement de la
Terre
a été démontré en rigueur par
281258DE LA PHILOSOPHIE ler. Voici encore une démonſtration bien
ſimple
tirée des mêmes théorêmes.
Si la Terre étoit le centre du mouvement
11Dé-
monſ-
tration

du
mou-
vement

de
la
Terre

tirée
des
mêmes

loix
.
du Soleil, comme elle l’eſt du mouvement
de
la Lune, la révolution du Soleil ſeroit
de
475.
ans, au lieu d’une année; car l’é-
loignement
moyen le Soleil eſt de la
Terre
, eſt à l’éloignement moyen la
Lune
eſt de la Terre, comme 337.
eſt à
un
:
or le cube de la diſtance de la Lune
eſt
1.
, le cube de la diſtance du Soleil
38272753
:
achevez la règle, & dites:
Comme le cube 1. eſt à ce nombre cubé
38272753
.
ainſi le quarré de 28. qui eſt la
révolution
périodique de la Lune eſt à un
4
e.
nombre: vous trouverez que le Soleil
mettroit
475.
ans au lieu d’une année à
tourner
autour de la Terre;
il eſt donc dé-
montré
que c’eſt la Terre qui tourne.
Il ſemble d’autant plus à propos de pla-
cer
ici ces Démonſtrations, qu’il y a en-
core
des hommes deſtinez à inſtruire les au-
tres
en Italie, en Eſpagne, &
même en
France
, qui doutent, ou qui affectent de
douter
du mouvement de la Terre.
282259DE NEUTON.
Il eſt donc prouvé par la loi de Kepler
&
par celle de Neuton, que chaque Pla-
nete
gravite vers le Soleil, centre de l’Or-
bite
qu’elles décrivent:
ces loix s’accom-
pliſſent
dans Jupiter par rapport à Jupiter,
leur
centre:
dans les Lunes de Saturne par
rapport
à Saturne, dans la nôtre par rap-
port
à nous:
toutes ces Planetes ſecondai-
res
qui roulent autour de leur Planete cen-
trale
gravitent auſſi avec leur Planete cen-
trale
vers le Soleil;
ainſi la Lune entraînée
autour
de la Terre par la force centripète,
eſt
en même tems attirée par le Soleil au-
tour
duquel elle fait auſſi ſa révolution.
Il
n’y
a aucune varieté dans le cours de la
Lune
, dans ſes diſtances de la Terre, dans
la
figure de ſon Orbite, tantôt aprochante
de
l’ellipſe, tantôt du cercle, &
c. qui ne
ſoit
une ſuite de la gravitation en raiſon
des
changemens de ſa diſtance à la Terre,
&
de ſa diſtance au Soleil.
Si elle ne parcourt pas exactement dans
ſon
Orbite des aires égales en tems égaux;
Mr. Neuton a calculé tous les cas cette
inégalité
ſe trouve:
tous dépendent de
283260DE LA PHILOSOPHIE traction du Soleil; il attire ces 2. Globes
en
raiſon directe de leurs maſſes, &
en
raiſon
inverſe du quarré de leurs diſtances.
Nous allons voir que la moindre variation
de
la Lune eſt un effet néceſſaire de ces
pouvoirs
combinez.
106[Figure 106]
284 107[Figure 107]
CHAPITRE VINGT-UN.
Nouvelles preuves de l’attraction. Que les in-
égalités
du mouvement & de l’Orbite de
la
Lune ſont néceſſairement les
effets
de l’attraction.
LA Lune n’a qu’un ſeul mouvement égal,
c’eſt
ſa rotation autour d’elle-même
ſur
ſon axe, &
c’eſt le ſeul dont nous ne
nous
appercevons pas:
c’eſt ce mouvement
qui
nous préſente toujours à - peu - près le
même
diſque de la Lune;
de ſorte
285262DE LA PHILOSOPHIE tournant réellement ſur elle-même, elle pa-
roît
ne point tourner du tout, &
avoir ſeu-
lement
un petit mouvement de balancement,
de
libration, qu’elle n’a point, &
que tou-
te
l’Antiquité lui attribuoit.
Tous ſes autres mouvemens autour de la
Terre
ſont inégaux, &
doivent l’être ſi la
règle
de la gravitation eſt vraye.
La Lune
dans
ſon cours d’un mois eſt néceſſairement
plus
près du Soleil dans un certain point,
&
dans un certain tems de ſon cours: or
dans
ce point &
dans ce tems ſa maſſe
demeure
la même:
ſa diſtance étant ſeule-
ment
changée, l’attraction du Soleil doit
changer
en raiſon reverſée du quarré de
cette
diſtance:
le cours de la Lune doit
donc
changer, elle doit donc aller plus vîte
en
certains tems que l’attraction ſeule de la
Terre
ne la feroit aller;
or par l’attraction
de
la Terre elle doit parcourir des aires é-
gales
en tems égaux, comme vous l’avez
déja
obſervé au Chapitre 19.
On ne peut s’empêcher d’admirer avec
quelle
ſagacité Neuton a démêlé toutes ces
inégalités
, réglé la marche de cette
286263DE NEUTON. te, qui s’étoit dérobée à toutes les recher-
ches
des Aſtronomes;
c’eſt-là ſur-tout qu’on
peut
dire:
Nec propius fas eſt mortali attingere Divos.
Entre les exemples qu’on peut choiſir, pre-
11Exem-
ple
en
preuve
.
nons celui-ci:
Soit A. la Lune: A, B, N, Q.
l’Orbite de la Lune: S. le Soleil; B. l’en-
droit
la Lune ſe trouve dans ſon dernier
quartier
.
2
22 On a laiſſé ce blanc, & renvoyé la ſuite du Tex-
te
avec la Figure aux pages ſuivantes, pour la commo-
dité
du Lecteur.
287264DE LA PHILOSOPHIE
Elle eſt alors manifeſtement à la même
diſtance
du Soleil qu’eſt la Terre.
La
différence
de l’obliquité de la ligne de
direction
de la Lune au Soleil étant comp-
tée
pour rien, la gravitation de la Terre
&
de la Lune vers le Soleil eſt donc la mê-
me
.
Cependant la Terre avance dans ſa
route
annuelle de T.
en V. & la Lune dans
ſon
cours d’un mois avance en Z.
: or en Z.
il eſt manifeſte qu’elle eſt plus attirée par le
Soleil
S.
dont elle ſe trouve plus proche
que
la Terre;
ſon mouvement ſera donc
accéléré
de Z.
vers N. ; l’Orbite qu’elle
décrit
ſera donc changée, mais comment
ſera
- t - elle changée?
En s’aplatiſſant un
peu
, en devenant plus approchante d’une
droite
depuis Z.
vers N. ; ainſi donc de
moment
en moment la gravitation change
le
cours &
la forme de l’Ellipſe, dans la-
quelle
ſe meut cette Planete.
Par la même raiſon la Lune doit retar-
der
ſon cours, &
changer encore la figure
de
l’Orbite qu’elle décrit, lorſqu’elle re-
paſſe
de la conjonction N.
à ſon premier
quartier
Q;
car puiſque de ſon
288108[Figure 108]
289
[Empty page]
290265DE NEUTON. quartier elle accéléroit ſon cours en apla-
tiſſant
ſa courbe vers ſa conjonction N.
elle doit retarder ce même cours en remon-
tant
de la conjonction vers ſon premier
quartier
.
Mais lorſque la Lune remonte de ce pre-
mier
quartier vers ſon plein A.
elle eſt alors
plus
loin du Soleil qui l’attire d’autant
moins
, elle gravite plus vers la Terre.
Alors la Lune accélérant ſon mouvement,
la
courbe qu’elle décrit s’applatit encore un
peu
comme dans la conjonction;
& c’eſt-là
l’unique
raiſon pour laquelle la Lune eſt
plus
loin de nous dans ſes quartiers, que
dans
ſa conjonction &
dans ſon oppoſition.
La
courbe qu’elle décrit eſt une eſpèce d’o-
vale
approchant du cercle à - peu - près en
cette
maniere.
291266DE LA PHILOSOPHIE 109[Figure 109]
Ainſi donc le Soleil, dont elle s’approche,
ou
s’éloigne à chaque inſtant, doit à cha-
que
inſtant varier le cours de cette Planete.
Elle a ſon apogée & ſon périgée, ſa
11Inégali-
tés
du
cours
de
la
Lune,
toutes

cauſées

par
l’at-
traction
.
plus grande &
ſa plus petite diſtance de la
Terre
;
mais les points, les places de cet
apogée
&
de ce périgée, doivent changer.
Elle a ſes nœuds, c’eſt-à-dire, les points
l’Orbite qu’elle parcourt, rencontre
préciſément
l’Orbite de la Terre;
mais ces
nœuds
, ces points d’interſection, doivent
toujours
changer auſſi.
Elle a ſon Equateur incliné à
292267DE NEUTON. de la Terre; mais cet Equateur, tantôt plus
tantôt
moins attiré, doit changer ſon incli-
naiſon
.
Elle ſuit la Terre malgré toutes ces va-
rietés
:
elle l’accompagne dans ſa courſe an-
nuelle
;
mais la Terre dans cette courſe ſe
trouve
d’un million de lieues plus voiſine
du
Soleil en Hyver qu’en Eté.
Qu’arrive-
t-il
alors indépendemment de toutes ces au-
tres
variations ?
L’attraction de la Terre
agit
plus pleinement ſur la Lune en Eté:
a-
lors
la Lune acheve ſon cours d’un mois un
peu
plus vîte;
mais en Hyver au contraire,
la
Terre elle-même plus attirée par le So-
leil
, &
allant plus rapidement qu’en Eté,
laiſſe
ralentir le cours de la Lune, &
les
mois
d’Hyver de la Lune ſont un peu plus
longs
que ſes mois d’Eté.
Ce peu que nous
en
diſons ſuffira pour donner une idée gé-
nérale
de ces changemens.
Si quelqu’un faiſoit ici la difficulté que
j’ai
entendu propoſer quelquefois, com-
ment
la Lune étant plus attirée par la So-
leil
, ne tombe pas alors dans cet Aſtre?
Il
n’a
d’abord qu’à conſiderer que la force
293268DE LA PHILOSOPHIE gravitation qui dirige la Lune autour de la
Terre
eſt ſeulement diminuée ici par l’ac-
tion
du Soleil;
nous verrons de plus à l’ar-
ticle
des Cometes, pourquoi un corps qui ſe
meut
en une Ellipſe &
qui s’approche de
ſon
foyer ne tombe point cependant dans
ce
foyer.
De ces inégalités du cours de la Lune,
11Déduc-
tion
de
ces
vé-
rités
.
cauſées par l’attraction, vous conclurez a-
vec
raiſon, que deux Planetes quelconques,
aſſez
voiſines, aſſez groſſes pour agir l’une
ſur
l’autre ſenſiblement, ne pourront ja-
mais
tourner dans des cercles autour du
Soleil
, ni même dans des Ellipſes abſolu-
ment
réguliéres.
Ainſi les courbes que décri-
vent
Jupiter &
Saturne, éprouvent, par
exemple
, des variations ſenſibles, quand
ces
Aftres ſont en conjonction:
quand, é-
tant
le plus près l’un de l’autre qu’il eſt poſ-
ſible
, &
le plus loin du Soleil, leur action
mutuelle
augmente, &
celle du Soleil fur
eux
diminue.
Cette gravitation augmentée & affoiblie
22La gra-
vitation

n’eſt
ſelon les diſtances, affignoit donc
294269DE NEUTON. rement une figure elliplique irréguliére au
11point
l’effet

du
cours
des
Af-
tres
,
mais

leur

cours
eſt
l’effet

de
la
gravita-
tion
.
chemin de la plûpart des Planetes;
ainſi la
loi
de la gravitation n’eſt point l’effet du
cours
des Aſtres, mais l’orbite qu’ils décri-
vent
eſt l’effet de la gravitation.
Si cette
gravitation
n’étoit pas comme elle eſt en
raiſon
inverſe des quarrés des diſtances,
l’Univers
ne pourroit ſubſiſter dans l’ordre
il eſt.
Si les Satellites de Jupiter & de Saturne
font
leur révolution dans des courbes qui
ſont
plus approchantes du cercle, c’eſt qu’é-
tant
très - proches des groſſes Planetes qui
ſont
leur centre, &
très - loin du Soleil,
l’action
du Soleil ne peut changer le cours
de
ces Satellites, comme elle change le
cours
de notre Lune;
il eſt donc prouvé
que
la gravitation, dont le nom ſeul ſem-
bloit
un ſi étrange paradoxe, eſt une loi
néceſſaire
dans la conſtitution du Monde;
tant ce qui eſt peu vraiſemblable eſt vrai
quelquefois
.
Souvenons-nous ici combien il ſembloit
abſurde
autrefois que la figure de la
295270DE LA PHILOSOPHIE ne fût pas ſphérique, & cependant il eſt
prouvé
, comme nous l’avons vu, que la
Terre
ne peut avoir une forme entiére-
ment
ſphérique;
il en eſt ainſi de la gravi-
tation
.
Il n’y a pas à préſent de bon Phyſicien
qui
ne reconnoiſſe &
la règle de Kepler, &
la
néceſſité d’admettre une gravitation telle
que
Neuton l’a prouvée;
mais il y a enco-
re
des Philoſophes attachés à leurs tourbil-
lons
de Matiere ſubtile, qui voudroient
concilier
ces tourbillons imaginaires avec
ces
Vérités démontrées.
Nous avons déja vu combien ces tour-
11Cette
gravita-
tion
,
cette
at-
traction
,
peut
ê.
tre
un
premier

Principe

établi

dans
la
Nature
.
billons ſont inadmiſſibles;
mais cette gra-
vitation
même ne fournit-elle pas une nou-
velle
démonſtration contr’eux?
Car ſuppoſé
que
ces tourbillons exiſtaſſent, ils ne pour-
roient
tourner autour d’un centre que par
les
loix de cette gravitation même;
il fau-
droit
donc recourir à cette gravitation,
comme
à la cauſe de ces tourbillons, &

non
pas aux tourbillons prétendus, comme
à
la cauſe de la gravitation.
296371DE NEUTON.
Si étant forcé enfin d’abandonner ces
tourbillons
imaginaires, on ſe réduit à dire,
que
cette gravitation, cette attraction,
dépend
de quelqu’autre cauſe connue, de
quelqu’autre
proprieté ſecrette de la Ma-
tiere
:
ou cette autre proprieté ſera elle-
même
l’effet d’une autre proprieté, ou bien
ſera
une cauſe primordiale, un premier
principe
établi par l’Auteur de la Nature;
or pourquoi l’attraction de la Matiere ne
ſera-t-elle
pas elle-même ce premier prin-
cipe
?
110[Figure 110]
297272CHAPITRE VINGT-DEUX. 111[Figure 111]
Nouvelles preuves & nouveaux effets de la gra-
vitation
: que ce pouvoir eft dans cbaque
partie
de la Matiere; Découvertes
dépendantes
de ce principe.
REcueillons de toutes ces notions que la
force
centripète, l’attraction, la gra-
vitation
, eſt le Principe indubitable &
du
cours
des Planetes, &
de la chûte de
tous
les corps, &
de cette peſanteur que
nous
éprouvons dans les corps.
Cette for-
ce
centripète, cette attraction, n’eſt &
298273DE NEUTON. ne peut être le ſimple pouvoir d’un corps
d’en
appeller un autre à lui:
nous la con-
ſidèrons
ici comme une force dont ré-
ſulte
le mouvement autour d’un centre;
cette force fait graviter le Soleil vers le
centre
des Planetes, comme les Planetes
gravitent
vers le Soleil, &
attire la Ter-
re
vers la Lune, comme la Lune vers la
Terre
.
Une des loix primitives du mouvement
eſt
encore une nouvelle Démonſtration
de
cette Vérité:
cette loi eſt que la réac-
tion
eſt égale à l’action;
ainſi ſi le So-
leil
gravite ſur les Planetes, les Planetes
gravitent
ſur lui, &
nous verrons au com-
mencement
du Chapitre ſuivant en quel-
le
maniere cette grande loi s’opére.
Or cette gravitation agiſſant néceſſaire-
ment
en raiſon directe de la maſſe, &
le So-
leil
étant environ 760 fois plus gros que
toutes
les Planetes miſes enſemble, (ſans
compter
les Satellites de Jupiter, &
l’an-
neau
&
les Lunes de Saturne) il faut que
le
Soleil ſoit leur centre de gravitation;
299274DE LA PHILOSOPHIE ainſi il faut qu’elles tournent toutes au-
tour
du Soleil.
Remarquons ſoigneuſement que, quand
11Remar-
que
gé-
nérale

& im-
portan-
te
ſur le
principe

de
l’at-
traction
.
nous diſons que le pouvoir de gravitation
agit
en raiſon directe des maſſes, nous enten-
dons
toujours que ce pouvoir de la gravi-
tation
agit d’autant plus ſur un corps, que
ce
corps a plus de parties, &
nous l’avons
démontré
en faiſant voir qu’un brin de pail-
le
deſcend auſſi vîte dans la Machine pur-
gée
d’air, qu’une livre d’or.
Nous avons
dit
(en faiſant abſtraction de la petite ré-
ſiſtance
de l’air) qu’une balle de plomb,
par
exemple, tombe de 15.
pieds ſur la Ter-
re
en une ſeconde:
nous avons démontré
que
cette même balle tomberoit de 15.
pieds
en
une minute, ſi elle étoit à 60.
rayons de
la
Terre comme eſt la Lune;
donc le pou-
voir
de la Terre ſur la Lune eſt au pouvoir
qu’elle
auroit ſur une balle de plomb trans-
portée
à l’élévation de la Lune, comme le
corps
ſolide de la Lune ſeroit avec le corps
ſolide
de cette petite balle.
C’eſt en cet-
te
proportion que le Soleil agit ſur toutes
les
Planetes;
il attire Jupiter & Saturne, &
les
Satellites de Jupiter &
de Saturne,
300275DE NEUTON. raiſon directe de la matiere ſolide, qui eſt
dans
les Satellites de Jupiter &
de Saturne,
&
de celle qui eſt dans Saturne & dans Ju-
piter
.
De-là il découle une Vérité inconteſta-
ble
, que cette gravitation n’eſt pas ſeule-
ment
dans la maſſe totale de chaque Plane-
te
, mais dans chaque partie de cette maſ-
ſe
;
& qu’ainſi il n’y a pas un atome de ma-
tiere
dans l’Univers, qui ne ſoit revêtu de
cette
proprieté.
Nous choiſirons ici la maniere la plus
11La gra-
vita-
tion
,
l’attrac-
tion
, eſt
dans

toutes

les
par-
ties
de
la
ma-
tiere

égale-
ment
.
ſimple dont Neuton a démontré que cette
gravitation
eſt également dans chaque ato-
me
.
Si toutes les parties d’un Globe n’a-
voient
pas également cette proprieté:
s’il
y
en avoit de plus foibles &
de plus fortes,
la
Planete en tournant ſur elle-même préſen-
teroit
néceſſairement des côtés plus foibles,
&
enſuite des côtés plus forts à pareille diſ-
tance
;
ainſi les mêmes corps dans toutes
les
occaſions poſſibles éprouvent tantôt un
degré
de gravitation, tantôt un autre à pa-
reille
diſtance;
la loi de la raiſon inverſe
des
quarrés des diſtances &
la loi de
301276DE LA PHIL OSOPHIE ſeroient toujours interverties; or elles ne
le
ſont pas;
donc il n’y a dans toutes les
Planetes
aucune partie moins gravitante
qu’une
autre.
En voici encore une Démonſtration. S’il
y
avoit des corps en qui cette proprieté fût
différente
, il y auroit des corps qui tom-
beroient
plus lentement &
d’autres plus vî-
te
dans la Machine du vuide:
or tous les
corps
tombent dans le même-tems, tous les
pendules
mêmes font dans l’air de pareilles
vibrations
à égale longueur:
les pendules
d’or
, d’argent, de fer, de bois d’Erable, de
verre
, font leurs vibrations en tems égaux;
donc tous les corps ont cette proprieté de
la
gravitation préciſément dans le même de-
gré
, c’eſt-à-dire, préciſément comme leurs
maſſes
;
de ſorte que la gravitation agit com-
me
100.
ſur 100. atomes, & comme 10. ſur
10
.
atomes.
De Vérité en Vérité on s’éleve inſenſi-
blement
à des connoiſſances qui ſembloient
être
hors de la ſphére de l’Eſprit humain.
302277DE NEUTON
Neuton a oſé calculer à l’aide des ſeules
11Calcul
hardi
&
admira-
ble
de
Neuton
.
loix de la gravitation, quelle doit être la
peſanteur
des corps dans d’autres Globes
que
le nôtre:
ce que doit peſer dans la Lu-
ne
, dans Saturne, dans le Soleil, le même
corps
que nous appellons ici une livre;
&
comme
ces différentes peſanteurs dépen-
dent
directement de la maſſe des Globes,
il
a fallu calculer quelle doit être la maſſe
de
ces Aſtres.
Qu’on diſe après cela que
la
gravitation, l’attraction, eſt une qualité
occulte
:
qu’on oſe appeller de ce nom une
loi
univerſelle, qui conduit à de ſi étonnan-
tes
découvertes.
Il n’eſt rien de plus aiſé que de connoî-
tre
la groſſeur d’un Aſtre quelconque, dès
qu’on
connoît ſon diametre;
car le produit
de
la circonférence du grand Cercle par le
diametre
donne la ſurface de l’Aſtre, &
le
tiers
du produit de cette ſurface par lerayon
fait
la groſſeur.
Mais en connoiſſant cette groſſeur, on
ne
connoît point du tout la maſſe, c’eſt-à-
dire
, la quantité de la matiere que
303278DE LA PHILOSOPHIE contient; on ne le peut ſavoir que par cette
admirable
découverte des loix de la gravi-
tation
.
10. Luand on dit denſité, quantité de ma-
11Com-
ment
on
peut

connol
-
tre
la
quanti-
de
matiere

d’un
Aſ-
tre
, &
ce
que
les
-
mes

corps

peſent

ſur
les
divers

Aſtres
.
tiere, dans un Globe quelconque, on entend que
la
matiere de ce Globe eſt homogène;
par exem-
ple
, que tout pied cubique de cette matiere eſt
également
peſant.
20. Tout Globe attire en raiſon directe de ſa
maſſe
;
ainſi toutes choſes égales, un Globe qui
aura
10.
fois plus de maſſe, attirera 10. fois
davantage
qu’un corps 10.
fois moins maſſiſ
n’attirera
à pareille diſtance.
30. Il faut abſolument conſiderer la groſſeur,
la
circonférence de ce Globe quelconque;
car plus
la
circonférence eſt grande, plus la diſtance au
centre
augmente, &
il attire en raiſon renver-
ſée
du quarré de cette diſtance.
Exemple, ſi le
diametre
de la Planete A.
eſt 4. fois plus grand
que
celui de la Planete B.
toutes deux ayant
également
de matiere, la Planete A.
attirera
les
corps à ſa ſuperficie 16.
fois moins que la
Planete
B.
& ce qui peſera une livre ſur la
Planete
A.
peſera 16. livres ſur la Plane-
te
B.
40. Il faut ſavoir ſur - tout en combien
304279DE NEUTON. tems les mobiles attirés par ce Globe duquel
on
cherche la denſité, font leur révolution au-
tour
de ce Globe;
car, comme nous l’avons
vu
au Chapitre 19.
tout corps circulant au-
tour
d’un autre, gravite d’autant plus qu’il
tourne
plus vîte;
or il ne gravite davantage
que
par l’une de ces deux raiſons, ou parce
qu’il
s’approche plus du centre qui l’attire,
ou
parce que ce centre attirant contient plus
de
matiere.
Si donc je veux ſavoir la den-
ſité
du Soleil par rapport à la denſité de no-
tre
Terre, je dois comparer le tems de la ré-
volution
d’une Planete comme Venus autour
du
Soleil, avec le cours de la Lune autour
de
notre Terre, &
la diſtance de Venus au
Soleil
avec la diſtance de la Lune à la Terre.
50. Voici comme je procéde. La quantité
de
matiere du Soleil, par rapport à celle de
la
Terre, eſt comme le cube de la diſtance
de
Venus au centre du Soleil eſt au cube de
la
diſtance de la Lune au centre de la Ter-
re
(prenant la diſtance de Venus au Soleil 257.
fois plus grande que celle de la Lune à la Ter-
re
), &
auſſi en raiſon réciproque du quar-
du tems périodique de Venus autour du Soleil,
au
quarré du tems périodique de la Lune autour
de
la Terre.
305280DE LA PHILOSOPHIE
Cette opération faite, en ſuppoſant toujours
que
le Soleil eſt à la Terre en groſſeur comme un
million
à l’unité, &
en comptant rondement,
vous
trouverez que le Soleil, plus gros que la
Terre
un million de fois, n’a que 250000.
fois ou environ plus de matiere.
Cela ſuppoſé, je veux ſavoir quelle propor-
tion
ſe trouve entre la force de la gravitation à
la
ſurface du Soleil, &
cette même force à la
ſurface
de la Terre;
je veux ſavoir en un mot
combien
peſe ſur le Soleil ce qui peſe ici une li-
vre
.
Pour y parvenir, je dis: La force de cette
gravitation
dépend directement de la denſité des
Globes
attirants, &
de la diſiance du centre de
ces
Globes aux corps peſants ſur ces Globes:
or
les
corps peſants ſe trouvants à la ſuperficie du
Globe
, leur diſtance eſt préciſément le rayon du
Globe
;
mais le rayon du Globe de la Terre eſt
à
celui du Soleil comme 1.
eſt à 100. & la den-
ſité
reſpective de la Terre eſt à celle du Soleil
comme
4.
eſt à 1. Dites donc: comme 100,
rayon
du Soleil multiplié par un, eſt à 4, den-
ſité
de la Terre multipliée par 1.
ainſi eſt
306281DE NEUTON. peſanteur des corps ſur la ſurface du Soleil à la
peſanteur
des même corps ſur la ſurface de la
Terre
:
ce rapport de 100. à 4. réduit aux plus
petits
termes, eſt comme 25.
à 1. ; donc une
livre
peſe 25.
livres ſur la ſurface du Soleil, ce
que
je cherchois.
J’ai ſuppoſé ici les denſités reſpectives de la
Terre
&
du Soleil comme 4. & 1. , mais ce
n’eſt
pas tout-à-fait 4;
auſſi la peſanteur des
corps
ſur la ſurface du Soleil eſt à celle des
corps
ſur la Terre environ comme 27.
, & non
pas
comme 25.
à 1.
On ne peut avoir les mêmes notions de
toutes
les Planetes, car celles qui n’ont
point
de Lunes, point de Satellites, man-
quant
de Planetes de comparaiſon, ne peu-
vent
être ſoumiſes à nos recherches;
ainſi
nous
ne ſavons point le rapport de gravi-
tation
qui eſt entre Mercure, Mars, Ve-
nus
&
nous, mais nous ſavons celui des
autres
Planetes.
Je vais donner une petite Théorie de tout
notre
Monde Planétaire, tel que les décou-
vertes
de Neuton ſervent à le faire
307282DE LA PHILOSOPHIE tre; ceux qui voudront ſe rendre une rai-
ſon
plus approfondie de ces calculs, liront
Neuton
lui-même, ou Grégory, ou Mr.
de Graveſande. Il faut ſeulement avertir
qu’en
ſuivant les proportions découvertes
par
Neuton, nous nous ſommes attachés
au
calcul Aſtronomique de l’Obſervatoire
de
Paris.
Quel que ſoit le calcul, les pro-
portions
&
les preuves ſont les mêmes.
112[Figure 112]
308 113[Figure 113]
CHAPITRE VINGT-TROIS.
Théorie de notre Monde Planétaire.
Le Soleil.
LE Soleil eſt au centre de notre Monde
Planétaire
&
doit y être néceſſaire-
ment
.
Ce n’eſt pas que le point du milieu
du
Soleil ſoit préciſément le centre de l’U-
nivers
;
mais ce point central vers lequel
notre
Univers gravite, eſt néceſſairement
dans
le corps de cet Aſtre, &
toutes les
Planetes
, ayant reçu unefois le
309284DE LA PHILOSOPHIE de projectile, doivent toutes tourner au-
tour
de ce point, qui eſt dans le Soleil.
En
voici
la preuve.
Soient ces deux Globes A. & B. le plus
grand
repréſentant le Soleil, le plus petit
repréſentant
une Planete quelquonque.
S’ils
ſont
abandonnés l’un &
l’autre à la loi de
la
gravitation, &
libres de tout autre mou-
vement
, ils ſeront attirés en raiſon directe
de
leurs maſſes:
ils ſeront déterminés en
ligne
perpendiculaire l’un vers l’autre;
&
A
.
plus gros un million de fois que B. for-
cera
B.
à ſe jetter vers lui un million de
fois
plus vîte que le Globe A.
n’ira vers B.
114[Figure 114]
310285DE NEUTON.
Mais qu’ils ayent l’un & l’autre un mou-
vement
de projectile en raiſon de leurs
maſſes
, la Planete en B, C.
le Soleil en A,
D
.
: alors la Planete obéït à 2. mouvemens:
11Dé-
monſ-
tration

du
mou-
vement

de
la
Terre

autour

du
So-
leil

tirée
de
la
gravi-
tation
.
elle ſuit la ligne B, C.
& gravite en même-
tems
vers le Soleil ſuivant la ligne B, A;
elle parcourera donc la ligne courbe B, F.
le
Soleil de même ſuivra la ligne A, E;
&
gravitant
l’un vers l’autre, ils tourneront au-
tour
d’un centre commun.
Mais le Soleil
ſurpaſſant
un million de fois la Terre en
groſſeur
, &
la courbe A, E. qu’il décrira
étant
un million de fois plus petite que celle
que
décrit la Terre, ce centre commun eſt
néceſſairement
preſqu’au milieu du So-
leil
.
Il eſt démontré encore par-là que la Ter-
re
&
les Planetes tournent autour de cet Aſ-
tre
;
& cette démonſtration eſt d’autant plus
belle
&
plus puiſſante, qu’elle eſt indépen-
dante
de toute obſervation, &
fondée
ſur
la Mécanique primordiale du Mon-
de
.
311286DE LA PHILOSOPHIE
Si l’on fait le Diametre du Soleil égal à
11Groſ-
ſeur
du
Soleil
.
cent Diametres de la Terre, &
ſi par con-
ſéquent
il ſurpaſſe un million de fois la Ter-
re
en groſſeur, il eſt 760.
fois plus gros que
toutes
les Planetes enſemble, en ne comp-
tant
ni les Satellites de Jupiter ni l’Anneau
de
Saturne.
Il gravite vers les Planetes &
les
fait graviter toutes vers lui;
c’eſt cette
gravitation
qui les fait circuler en les reti-
rant
de la tangente, &
l’attraction que le
Soleil
exerce ſur elles, ſurpaſſe celles qu’el-
les
exercent ſur lui, autant qu’il les ſurpaſſe
en
quantité de matiere.
Ne perdez jamais
de
vûe que cette attraction réciproque n’eſt
autre
choſe que la loi des mobiles gravitants
tous
&
tournants tous vers un centre com-
mun
.
Le Soleil tourne donc ſur ce centre com-
22Il tour-
ne
ſur
lui
mê-
me
au-
tour
du
centre

com

mun
du
Monde

plané-
taire
.
mun, c’eſt-à-dire ſur lui-même en 25.
jours
&
{1/2}. ſon point de milieu eſt toujours un peu
éloigné
de ce centre commun de gravité, &

le
corps du Soleil s’en éloigne à proportion
que
pluſieurs Planetes en conjonction l’atti-
rent
vers elles;
mais quand toutes les Pla-
netes
ſe trouveroient d’un côté &
le
312287DE NEUTON. d’un autre, le centre commun de gravité
du
Monde Planétaire ſortiroit à peine du
Soleil
, &
leurs forces réunies pourroient
à
peine déranger &
remuer le Soleil d’un
Diametre
entier.
Il change donc réellement de place à tout
11Il chan-
ge
tou-
jours
de
place
.
moment, à meſure qu’il eſt plus ou moins
attiré
par les Planetes:
& ce petit appro-
chement
du Soleil rétablit le dérangement
que
les Planetes opérent les unes ſur les au-
tres
;
ainſi le dérangement continuel de
cet
Aſtre entretient l’ordre de la Natu-
re
.
Quoiqu’il ſurpaſſe un million de fois la
Terre
en groſſeur, il n’a pas un mil-
lion
plus de matiere, comme on l’a déja
dit
.
S’il étoit en effet un million de fois plus
ſolide
, plus plein que la Terre, l’ordre du
Monde
ne ſeroit pas tel qu’il eſt;
car les ré-
volutions
des Planetes &
leurs diſtances à
leur
centre dépendent de leur gravitation,
&
leur gravitation dépend en raiſon
313288DE LA PHILOSOPHIE de la quantité de la matiere du Globe
eſt
leur centre;
donc ſi le Soleil ſurpaſſoit à
un
tel excès notre Terre &
notre Lune en
matiere
ſolide, ces Planetes ſeroient beau-
coup
plus attirées, &
leurs Ellipſes très-
dérangées
.
En ſecond lieu la matiere du Soleil ne
peut-être
comme ſa groſſeur;
car ce Globe
étant
tout en feu, la rarefaction eſt néceſ-
11Sa den-
ſité
.
ſairement fort grande, &
la matiere eſt d’au-
tant
moindre que la rarefaction eſt plus
forte
.
Par les loix de la gravitation il paroît que
le
Soleil n’a que 250000.
fois plus de matie-
re
que la Terre;
or le Soleil un million plus
gros
n’étant que le quart d’un million plus
matériel
, la Terre un million de fois plus pe-
tite
aura donc à proportion 4.
fois plus de
matiere
que le Soleil, &
ſera quatre fois
plus
denſe.
Le même corps en ce cas, qui peſe ſur
la
ſurſace de la Terre comme une livre, pe-
ſeroit
ſur la ſurface du Soleil comme 25.
314289DE NEUTON. livres; mais cette proportion eſt de 27. à
l’unité
, parce que la Terre n’eſt pas en ef-
fet
4.
fois plus denſe.
Le même corps qui tombe ici de 15. pieds
11En
quelle

propor-
tion
les
corps

tombent

ſur
le
Soleil
.
dans la 1ere.
ſeconde, tombera d’environ
413
.
pieds ſur la ſurface du Soleil, toutes
choſes
d’ailleurs égales.
Le Soleil perd toujours, ſelon Neuton,
un
peu de ſa ſubſtance, &
ſeroit dans la
ſuite
des ſiècles réduit à rien, ſi les Come-
tes
, qui tombent de tems en tems dans ſa
Sphére
, ne ſervoient à réparer ſes pertes;
car tout s’altére & tout ſe répare dans l’U-
nivers
.
Mercure.
Depuis le Soleil juſqu’à onze à douze mil-
lions
de nos lieues ou environ, il ne paroît
aucun
Globe.
A 11. ou 12. millions de nos lieues du So-
leil
eſt Mercure dans ſa moyenne diſtance.
C’eſt la plus excentrique de toutes les Pla-
netes
:
elle tourne dans une Ellipſe qui
315290DE LA PHILOSOPHIE met dans ſon périhélie près d’un tiers plus
près
que dans ſon aphélie;
telle eſt à-peu-
près
la courbe qu’elle décrit.
115[Figure 115]
Mercure eſt à-peu-près 27. fois plus pe-
tit
que la Terre;
il tourne autour du Soleil
en
88.
jours, ce qui fait ſon année.
Sa révolution ſur lui-même qui fait ſon
11Idée de
Neuton

ſur
la
denſité

du
corps
de
Mer-
cure
.
jour eſt inconnue;
on ne peut aſſigner ni
ſa
peſanteur, ni ſa denſité.
On ſait ſeule-
ment
que ſi Mercure eſt préciſément une
Terre
comme la nôtre, il faut que la ma-
tiere
de ce Globe ſoit environ 8.
fois plus
denſe
que la nôtre, pour que tout n’y ſoit
pas
dans un degré d’efferveſcence qui tue-
roit
en un inſtant des Animaux de notre
eſpèce
, &
qui feroit évaporer toute
316291DE NEUTON. re de la conſiſtence de eaux de notre Glo-
be
.
Voici la preuve de cette aſſertion. Mer-
cure
reçoit environ 7.
fois plus de lumiere
que
nous, à raiſon du quarré des diſtances,
parce
qu’il eſt environ 2.
fois {2/3} plus près du
centre
de la lumiere &
de la chaleur; donc
il
eſt 7.
fois plus étouffé, toutes choſes éga-
les
.
Or ſur notre Terre la grande chaleur
de
l’Eté étant augmentée environ 7.
à 8.
fois, fait incontinent bouillir l’eau à gros
bouillons
;
donc il faudroit que tout fût en-
viron
7.
fois plus denſe qu’il n’eſt, pour ré-
ſiſter
à 7.
ou 8. fois plus de chaleur que le
plus
brûlant Eté n’en donne dans nos Cli-
mats
;
donc Mercure doit être au moins 7.
fois
plus denſe que notre Terre, pour que
les
mêmes choſes qui ſont dans notre Ter-
re
puiſſent ſubſiſter dans le Globe de Mer-
cure
, toutes choſes égales.
Au reſte, ſi
Mercure
reçoit environ 7.
fois plus de
rayons
que notre Globe, parce qu’il eſt en-
viron
2.
fois {2/3} plus près du Soleil, par la
même
raiſon le Soleil paroît, de Mercure,
environ
7.
fois plus grand, que de notre
Terre
.
317292DE LA PHILOSOPHIE
Venus.
Après Mercure eſt Venus à 21. ou 22. mil-
lions
de lieues du Soleil dans ſa diſtance mo-
yenne
;
elle eſt groſſe comme la Terre, ſon
année
eſt de 224.
jours. On ne ſait pas
encore
ce que c’eſt que ſon jour, c’eſt-à-
dire
, ſa révolution ſur elle-même.
De très-
grands
Aſtronomes croyent ce jour de 23.
heures, d’autres le croyent de 25. de nos
jours
.
On n’a pas pu encore faire des ob-
ſervations
aſſez ſûres pour ſavoir de quel
côté
eſt l’erreur;
mais cette erreur, en tout
cas
, ne peut-etre qu’une mépriſe des yeux,
une
erreur d’obſervation, &
non de raiſon-
nement
.
L’Ellipſe que Venus parcourt dans ſon
année
eſt moins excentrique que celle de
Mercure
;
on peut ſe former quelqu’idée
du
chemin de ces 2.
Planetes autour du So-
leil
par cette figure.
318293DE NEUTON. 116[Figure 116]
Il n’eſt pas hors de propos de remarquer ici
11Prédic-
tion
de
Coper-
nic
ſur
les
Pha-
ſes
de
Venus
.
que Venus &
Mercure ont par rapport à
nous
des Phaſes différentes ainſi que la Lu-
ne
.
On reprochoit autrefois à Copernic,
que
dans ſon Syſtême ces Phaſes devoient
paroître
, &
on concluoit que ſon Syſtême
étoit
faux, parce qu’on ne les appercevoit
pas
.
Si Venus & Mercure, lui diſoit-on,
tournent
autour du Soleil, &
que nous tour-
nions
dans un plus grand cercle, nous de-
vons
voir Mercure &
Venus, tantôt pleins
tantôt
en croiſſant, &
c. ; mais c’eſt ce que
nous
ne voyons jamais.
C’eſt pourtant ce
qui
arrive, leur diſoit Copernic, &
c’eſt-
ce
que vous verrez, ſi vous trouvez jamais
un
moyen de perfectionner votre vûe.
L’in-
vention
des Teleſcopes &
les obſervations
de
Galilée ſervirent bien-tôt à accomplir
319294DE LA PHILOSOPHIE prédiction de Copernic. Au reſte, on ne
peut
rien aſſigner ſur la maſſe de Venus &

ſur
la peſanteur des corps dans cette Pla-
nete
.
La Terre.
Après Venus eſt notre Terre placée à
30
.
millions de lieues du Soleil, ou environ,
au
moins dans ſa moyenne diſtance.
Elle eſt à-peu-près un million de fois plus
petite
que le Soleil:
elle gravite vers lui,
&
tourne autour de lui dans une Ellipſe en
365
.
jours, 5. heures & 48. minutes; &
fait
au moins 180.
millions de lieues par an.
L’Ellipſe qu’elle parcourt eſt très-dérangée
par
l’action de la Lune ſur elle, &
tandis
que
le centre commun de la Terre &
de la
Lune
décrit une Ellipſe véritable, la Ter-
re
décrit en effet cette courbe à chaque
Lunaiſon
.
320295DE NEUTON. 117[Figure 117]
Son mouvement de rotation ſur ſon axe
11Quelle
eſt
la
cauſe

de
la
rotation

journa-
liére
de
la
Ter-
re
.
d’Occident en Orient conſtitue ſon jour de
23
.
heures, 56. minutes. Ce mouvement
n’eſt
point l’effet de la gravitation.
Il pa-
roît
ſur-tout impoſſible de recourir ici à cet-
te
raiſon ſuffiſante dont parle le grand Phi-
loſophe
Leibnitz.
Il faut abſolument avouer
que
les Planetes &
le Soleil pouvoient tour-
ner
d’Orient en Occident;
donc il faut con-
venir
que cette rotation d’Occident en O-
rient
eſt l’effet de la volonté libre du Créa-
teur
, &
que cette volonté libre eſt l’uni-
que
raiſon ſuffiſante de cette rotation.
La Terre a un autre mouvement que ſes
Poles
achevent en 25920.
années: c’eſt la
gravitation
vers le Soleil &
vers la Lune
qui
cauſe évidemment ce mouvement;
ce
que
nous prouverons dans le Chapitre ſui-
vant
.
321296DE LA PHILOSOPHIE
La Terre éprouve encore une révolution
beaucoup
plus étrange, dont la cauſe eſt plus
cachée
, dont la longueur étonne l’imagina-
tion
, &
qui ſembleroit promettre au Gen-
re
Humain une durée que l’on n’oſeroit
concevoir
.
Cette période eſt ſelon toutes
les
apparences d’un million neuf cens qua-
rante-quatre
mille ans.
C’eſt ici le lieu
d’inſérer
ce qu’on ſait de cette étonnante
découverte
avant que de finir le Chapitre de
la
Terre.
Digression
Sur la Période de 1944000. ans nouvelle-
ment
découverte.
L’Egypte & une partie de l’Aſie, d’où
nous
ſont venues toutes les Sciences qui
ſemblent
circuler dans l’Univers, conſer-
voient
autrefois une Tradition immémoria-
le
, vague, incertaine, mais qui ne pou-
voit
être ſans fondement.
On diſoit qu’il
s’étoit
fait des changemens prodigieux dans
notre
Globe, &
dans le Ciel par rapport à
notre
Globe.
La ſeule inſpection de la
322297DE NEUTON. re donnoit un grand poids à cette opi-
nion
.
On voit que les Eaux ont ſucceſſivement
couvert
&
abandonné les lits qui les con-
tiennent
;
des Végétaux, des Poiſſons des
Indes
, trouvés dans les pétrifications de no-
notre
Europe, des Coquillages entaſſés ſur
des
Montagnes, rendent aſſez témoignage à
cette
ancienne Vérité.
Ovide en expoſant la Philoſophie de Pi-
thagore
, &
en faiſant parler ce Philoſo-
phe
inſtruit par les Sages de l’Aſie, parloit
au
nom de tous les Philoſophes d’Orient,
lorſqu’il
diſoit:
Nil equidem durare diu ſub imagine eâdem
Crediderim
;
ſic ad ferrum veniſtis ab auro
Sæcula
, ſic toties verſa eſt fortuna locorum.
Vidi ego quod fuerat quondam ſolidiſſima Tellus
Eſſe
Fretum:
vidi factas ex Æquore Terras:
Et
procul à pelago Concbæ jacuere marinæ:

Quodque
fuit Campus Vallem decurſus aquarum
Fecit
;
& eluvie Mons eſt deductus in Æquor,
Eque
paludoſa ſiccis bumus aret arenis.
On peut rendre ainſi le ſens de ces Vers.
323298DE LA PHILOSOPHIE
Le Tems qui donne à tout le mouvement &
l’être
,
Produit, acroît, détruit, fait mourir, fait
renaître
,
Change tout dans les Cieux, ſur la Terre &
dans
l’Air;
L’Age d’Or à ſon tour ſuivra l’Age de Fer:
Flore embellit des Champs l’aridité ſauvage:
La Mer change ſon lit, ſon flux & ſon riva-
ge
:
Le limon qui nous porte eſt du ſein des
Eaux
:
Le Caucaſe eſt ſemé du débris des Vaiſſeaux:
Bien-tôt la main du Tems applanit les Mon-
tagnes
,
Il creuſe les Vallons, il étend les Campa-
gnes
;
Tandis que l’Eternel, le Souverain des tems,
Eſt ſeul inébranlable en ces grands change-
mens
.
Voilà quelle étoit l’opinion de l’Orient,
&
ce n’eſt pas lui faire tort de la rappor-
ter
en vers, ancien langage de la Philoſo-
phie
.
A ces témoignages que la Nature donne
de
tant de révolutions qui ont changé la fa-
ce
de la Terre, ſe joignoit cette idée des
anciens
Egyptiens, Peuple autrefois
324299DE NEUTON. metre & Aſtronome, avant que la Super-
ſtition
&
la Molleſſe en euſſent fait un Peu-
ple
mépriſable.
Cette idée étoit que le So-
leil
s’étoit levé pendant des Siècles à l’Oc-
cident
;
il eſt vrai que c’étoit une Tradi-
tion
auſſi obſcure que les Hiéroglyphes.
Hérodote, qu’on peut regarder comme un
Auteur
trop récent, &
par conſéquent de
trop
peu de poids à l’égard de telles Anti-
quités
, rapporte au Livre d’Euterpe que,
ſelon
les Prêtres Egyptiens, le Soleil dans
l’eſpace
de onze mille trois cens quarante ans,
(&
les années des Egyptiens étoient de
365
.
jours) s’étoit levé deux fois il ſe
couche
, &
s’étoit couché deux fois il
ſe
leve, ſans qu’il y eût eu le moindre chan-
gement
en Egypte, malgré cette variation
du
cours du Soleil.
Ou les Prêtres qui avoient raconté cet
Evénement
à Hérodote, s’étoient bien mal
expliqués
, ou Hérodote les avoit bien mal
entendus
.
Car que le Soleil eût changé ſon
cours
, c’étoit une Tradition qui pouvoit
être
probable pour des Philoſophes;
mais
qu’en
onze mille &
quelques années, les
Points
cardinaux euſſent changé deux
325300DE LA PHILOSOPHIE cela étoit impoſſible. Ces deux révolutions,
comme
nous l’allons voir, ne pourroient s’o-
pérer
qu’en près de quatre millions d’années.
La révolution entiére des Poles de l’Eclip-
tique
ou de l’Equateur s’acheve en près de
1944000
.
années, & cette révolution de
l’Ecliptique
&
de l’Equateur peut ſeule, à
l’aide
du mouvement journalier de la Terre,
tourner
notre Globe ſucceſſivement à l’O-
rient
, au Midi, à l’Occident, au Septen-
trion
.
Ainſi ce n’eſt que dans une Période
de
deux fois 1944000.
années que notre
Globe
peut voir deux fois le Soleil ſe coucher
à
l’Occident, &
non pas en 110. Siècles
ſeulement
, ſelon le rapport vague des Prê-
tres
de Thèbes, &
d’Hérodote, le Pere de
l’Hiſtoire
&
du menſonge.
Il eſt encore impoſſible que ce change-
ment
ſe fût fait ſans que l’Egypte s’en fût
reſſentie
;
car ſi la Terre en tournant jour-
nellement
ſur elle-même eût ſucceſſivement
fourni
ſon année d’Occident en Orient, puis
du
Nord au Sud, d’Orient en Occident,
du
Sud au Nord en ſe relevant ſur ſon axe,
on
voit clairement que l’Egypte eût changé
de
poſition comme tous les Climats de
326301DE NEUTON. Terre. Les pluyes qui tombent aujour-
d’hui
depuis ſi long-tems du Tropique du
Capricorne
, &
qui fertiliſent l’Egypte en
groſſiſſant
le Nil, auroient ceſſé.
Le ter-
rain
de l’Egypte ſe fût trouvé dans une Zo-
ne
glaciale, le Nil &
l’Egypte auroient
diſparu
.
Platon, Diogène de Laërce & Plutarque
ne
parlent pas plus intelligiblement de cette
révolution
;
mais enfin ils en parlent, ils
ſont
des témoins qui reſtent encore d’une
Tradition
preſque perdue.
Voici quelque choſe de plus frappant &
de
plus circonſtancié.
Les Philoſophes de
Babylone
comptoient, au tems de l’entrée
d’Aléxandre
dans leur Ville, quatre cens
trente
mille ans depuis leurs premiéres Ob-
ſervations
Aſtronomiques, l’Année Baby-
lonienne
n’étant que de 360.
jours; mais
cette
Epoque de 403000.
ans a été regar-
dée
comme un Monument de la vanité d’u-
ne
Nation vaincue, qui vouloit, ſelon la
coutume
de tous les Peuples &
de tous les
Particuliers
, regagner par ſon antiquité la
gloire
qu’elle perdoit par ſa foibleſſe.
327302DE LA PHILOSOPHIE
Enfin les Sciences ayant été apportées
parmi
nous, &
s’étant peu-à-peu cultivées,
le
Chevalier de Louville, diſtingué parmi
la
foule de ceux qui ont fait honneur au
Siècle
de Louïs XIV.
alla exprès à Marſeil-
le
en 1714.
pour voir ſi l’obliquité de l’E-
cliptique
y paroiſſoit la même qu’elle avoit
été
obſervée &
fixée par Pitheas, il y avoit
plus
de 2000.
ans. Il trouva cette obliquité
de
l’Ecliptique, c’eſt-à-dire, l’angle formé
par
l’axe de l’Equateur &
par l’axe de l’E-
cliptique
, moindre de 20.
minutes que Pi-
theas
ne l’avoit trouvé.
Quel rapport de cet
angle
diminué de 20.
minutes avec l’opi-
nion
de l’ancienne Egypte?
avecles 403000.
ans dont ſe vantoit Babylone? avec une Pé-
riode
du Monde de près de deux millions
d’années
, &
méme, ſelon l’Obſervation du
Chevalier
de Louville, de plus de deux mil-
lions
?
Il faut voir l’uſage qu’il en fit, &
comment
il en doit réſulter un jour une Aſ-
tronomie
toute nouvelle.
Si l’angle que l’axe de l’Equateur fait a-
vec
l’axe de l’Ecliptique eſt plus petit au-
jourd’hui
de 20.
minutes, qu’il ne l’étoit il y
328303DE NEUTON. 2000. ans, l’axe de la Terre en ſe rele-
vant
ſur le Plan de l’Ecliptique, s’en ap-
proche
d’un degré entier en 6000.
ans.
Que cet angle, P. E. ſoit, par exemple, d’en-
viron
23.
degrés & {1/2} aujourd’hui, & qu’il dé-
croiſſe
toujours juſqu’ à ce qu’il devienne nul,
&
qu’il recommence enſuite pour accroître
&
décroître encore, il arrivera certainement
que
dans 23.
fois & {1/2}. ſix mille ans, c’eſt-
à-dire
, dans 141000.
années, notre Eclip-
tique
&
notre Equateur coïncideront dans
tous
leurs points:
le Soleil ſera dans l’Equa-
teur
, ou du-moins s’en éloignera très-peu
pendant
pluſieurs Siècles;
les Jours, les
Nuits
, les Saiſons ſeront égaux ſur toute
la
Terre.
Il ſe trouve ſelon le calcul de
l’Aſtronome
Français, calcul un peu réfor-
depuis, que l’axe de l’Ecliptique avoit
été
perpendiculaire à celui de l’Equateur,
il
y a environ 399000.
de nos années, ſup-
poſé
que le Monde eût exiſté alors.
Otez
de
ce nombre le tems qui s’eſt écoulé de-
puis
l’entrée triomphante d’Aléxandre dans
Babylone
, on verra avec étonnement que
ce
calcul ſe rapporte aſſez juſte avec les
403000
.
années de 360. jours que
329304DE LA PHILOSOPHIE toient les Babyloniens: on verra qu’ils com-
mençoient
ce compte préciſément au point
le Pole de la Terre avoit regardé le Bé-
lier
, &
la Terre dans ſa courſe annuelle
avoit
été du Midi au Nord;
enfin le So-
leil
ſe levoit &
ſe couchoit aux Régions
du
Ciel ſont aujourd’hui les Poles.
Il y a quelque apparence que les Aſtro-
nomes
Chaldéens avoient fait la même opé-
ration
, &
par conſéquent le même raiſon-
nement
que le Philoſophe Français:
ils a-
voient
meſuré l’obliquité de l’Ecliptique,
ils
l’avoient trouvée décroiſſante:
& remon-
tant
par leurs calculs juſqu’ à un Point Car-
dinal
, ils avoient compté du point l’E-
cliptique
&
l’Equateur avoient fait un angle
de
90.
degrés; point qu’on pourroit conſi-
dérer
comme le commencement, ou la fin,
ou
la moitié, ou le quart de cette Période
énorme
.
Par-là l’Enigme des Egyptiens étoit dé-
brouillée
, le compte des Chaldéens juſtifié,
le
rapport d’Hérodote éclairci, &
l’Univers
flatté
d’un long avenir, dont la durée plaît à
l’imagination
des hommes;
quoique
330305DE NEUTON. comparaiſon faſſe encore paroître notre vie
plus
courte.
On s’oppoſa beaucoup à cette découver-
te
du Chevalier de Louville, &
parce qu’el-
le
étoit bien étrange, &
parce qu’elle ne
ſembloit
pas encore aſſez conſtatée.
Un A-
cadémicien
avoit, dans un Voyage en Egyp-
te
, meſuré une Pyramide:
il en avoit trouvé
les
4.
faces expoſées aux 4. Points Cardi-
naux
;
donc les Meridiens, diſoit-on, n’a-
voient
pas changé depuis tant de Siècles;
donc l’obliquité de l’Ecliptique, qui par ſa
diminution
eût du changer tous les Méri-
diens
, n’avoit pas en effet diminué.
Mais
ces
Pyramides n’étoient point une Barriére
invincible
à ces découvertes nouvelles;
car
étoit-on
bien ſûr que les Architectes de la
Pyramide
ne ſe fuſſent pas trompés de quel-
ques
minutes?
La plus inſenſible aberration,
en
poſant une pierre, eût ſuffi ſeule pour
opérer
cette erreur.
D’ailleurs, l’Académi-
cien
n’avoit-il pas négligé cette petite dif-
férence
, qui peut ſe trouver entre les Points
le Soleil doit marquer les Equinoxes &

les
Solſtices ſur cette Pyramide, ſuppoſé
que
rien n’ait changé, &
les Points
331306DE LA PHILOSOPHIE les marque en effet? N’auroit il pas pu ſe
tromper
dans les fables de l’Egypte il
opéroit
par pure curioſité, puiſque Ticho-
Brahé
lui-méme s’étoit trompé de 18.
minu-
tes
dans la poſition de la Méridienne d’U-
ranibourg
, de ſa Ville du Ciel, il rappor-
toit
toutes ſes Obſervations;
mais Ticho-
Brahé
s’étoit-il en effet trompé de 18.
minu-
tes
, comme on le prétend?
Ne ſe pouvoit-
il
pas encore, que cette différence trouvée
entre
la vraye Méridienne d’Uranibourg
&
celle de Ticho-Brahé, vint en partie du
changement
même du Ciel, &
en partie des
erreurs
preſqu’inévitables, commiſes &
par
Ticho-Brahé
&
par ceux qui l’ont corrigé?
Mais auſſi le Chevalier de Louville s’étoit
pu
tromper lui-même, &
avoir vu un dé-
croiſſement
d’obliquité qui n’exiſte point.
Pitheas ſur-tout étoit vraiſemblablement la
ſource
de toutes ces erreurs:
il avoit obſer-
comme la plûpart des Anciens avec peu
d’exactitude
:
il étoit donc de la prudence,
aveclaquelle
on procéde aujourd’hui en Phy-
ſique
, d’attendre de nouveaux éclairciſſe-
mens
;
ainſi le petit nombre qui peut juger de
ce
grand différend demeura dans le ſilence.
332307DE NEUTON.
Enfin, en 1734. M. Godin (l’un des Phi-
loſophes
que l’amour de la Vérité vient de
conduire
au Pérou) reprit le fil de ces dé-
couvertes
:
il ne s’agit plus ici de l’examen
d’une
Pyramide ſur laquelle il reſtera tou-
jours
des difficultés;
il faut partir de la fa-
meuſe
Méridienne tracée en 1655.
par Do-
minique
Caſſini dans l’Egliſe de St.
Pétrone,
avec
une préciſion dont on eſt plus ſûr que
de
celle des Architectes des Pyramides.
L’o-
bliquité
de l’Ecliptique qui en réſultoit eſt
de
23.
d. 29’. 15". mais on ne peut plus
douter
par les dernieres Obſervations, que
cet
angle de l’Ecliptique &
de l’Equateur
ne
ſoit à préſent de 23.
d. 28’. 20". à-peu-
près
, à moins que les réfractions, qui en-
trent
dans la détermination de la hauteur
du
Pole faite par l’Etoile Polaire, &
par
conſéquent
auſſi dans celle de l’élévation de
l’Equateur
&
de l’obliquité de l’Ecliptique,
ne
ſoient un peu changées depuis ce tems:
changement qu’on commence à ſoupçonner
par
la différence des élévations du Pole,
trouvées
dans les mêmes Villes après quel-
que
eſpace de tems, comme dans celles de
Londres
, d’Amſterdam &
de Coppenhague;
333308DE LA PHILOSOPHIE quoique ces Obſervations ne ſuffiſent pas
encore
pour nous aſſûrer entiérement, que
de
ſiècle en ſiècle l’air ſe trouve tantôt
plus
, tantôt moins tranſparent.
Il eſt vrai
qu’on
a découvert depuis peu, &
démontré
infailliblement
, que les réfractions de deux
endroits
, meme à très-peu de diſtance l’un
de
l’autre, peuvent différer quelqueſois au
delà
de l’opinion ;
ce qui oblige à préſent
un
Obſervateur exact de bien déterminer,
avant
toutes choſes, les réfractions de ſon
Horizon
, s’il veut que ſes obſervations
ſoient
accréditées;
mais l’on ſait auſſi que,
ſelon
l’expérience de Mr.
Huygens, en laiſ-
ſant
une Lunette dans une ſituation con-
ſtante
, &
dirigée vers la pointe de quel-
que
Clocher élevé, depuis midi juſqu’au
ſoir
, l’on y verra cette pointe toujours plus
élevée
ſur le déclin du jour, qu’à midi, &

que
par conſéquent l’air peut changer de
tranſparence
.
Cependant comme tout cela ne
contribue
rien à un changement, tel que ce-
lui
qu’on pourroit ſoupçonner de ſe mêler au
Phénomêne
de cette queſtion, on auroit
tort
d’admettre un fait auſſi douteux,
qu’on
n’en a point encore de preuves con-
vaincantes
, ni de raiſons Phyſiques.
334309DE NEUTON.
A l’égard des Pyramides d’Egypte, & de
la
conſtance des Méridiens, qui ſemble
contraire
à cette mobilité des Poles de l’E-
quateur
, il eſt à propos de remarquer en-
core
, qu’en ſuppoſant la figure de la Terre,
non
pas ſphéroïde, comme elle l’eſt vérita-
blement
, mais exactement ſphérique, ce
mouvement
du Plan de l’Equateur &
de ſes
Poles
, ſe peut concevoir de deux manieres.
Car, ou la plûpart des Places, ſituées à préſent
ſous
l’Equateur, auront après quelques ſiè-
cles
une Latitude Méridionale ou Septen-
trionale
, l’Equateur les ayant quittées pour
s’approcher
del’Ecliptique, (auquel cas tous
les
Méridiens ſeront dérangés, &
deux Vil-
les
quelconques, ſans avoir changé de pla-
ce
, de diſtance, ni de leur premiére ſitua-
tion
ſur la Terre, auront pourtant changé
de
Rumb, l’une à l’égard de l’autre);
ou l’E-
quateur
n’abandonnera jamais les Places, qui
ont
été de tout tems ſituées ſous lui, mais
ſon
Plan tournera avec elles autour de l’E-
cliptique
, ſans qu’il ſe faſſe jamais aucun
changement
dans les Méridiens, leur con-
ſtance
ne prouvant pas la même choſe con-
tre
le mouvement de l’Equateur que
335310DE LA PHILOSOPHIE la premiére ſuppoſition. Au contraire re-
prenant
la figure ſphéroïde de la Terre, qui
eſt
la véritable, il eſt clair que ſes parties
ſolides
ſe ſoutenant &
ne ſe pouvant pas
quitter
les unes les autres, les plus éloignées
du
Centre de la Terre demeureront toujours
dans
le même éloignement, &
que par con-
ſéquent
la circonſérence de l’Equateur, qui
les
a une fois environnées, ne les quittera
jamais
;
de ſorte que le Plan de l’Equateur,
tant
mobile qu’immobile, ne ſauroit jamais
apporter
aucun dérangement aux Méridiens.
On voit par-là que, quoique les Architectes
Egyptiens
ayent eu ordre d’aſſeoir les Py-
ramides
parallèement aux quatre Points
Cardinaux
du Monde, &
qu’ils ayent exé-
cuté
cet ordre avec la derniere exactitude,
cela
n’empêche pas que l’angle de l’inter-
ſection
de l’Equateur &
de l’Ecliptique ne
puiſſe
toujours varier autant que l’on vou-
dra
.
Rien ne fait plus de plaiſir que de voir
rétablir
le crédit des Vérités les plus reſpec-
tables
par leur ancienneté, après avoir été
miſes
en conteſtation dans des Siècles auſſi
circonſpects
&
auſſi peu crédules qu’eſt
336311DE NEUTON. nôtre; mais il faut avouer néanmoins, que
ſi
les Egyptiens &
les Babyloniens ont été
les
premiers à découvrir le décroiſſement
de
cette obliquité, ils l’ont découvert par
des
raiſonnemens bien moins fondés, que ne
ſont
ceux par leſquels nous leur attribuons
cette
découverte.
Hérodote publia ſon Hif
toire
environ cent ans après qu’Anaximan-
dre
de Milet eut trouvé, le premier, le
moyen
de meſurer l’obliquité de l’Eclipti-
que
:
& cette invention ayant paſſé peu a-
près
en Egypte par les Voyages de Cléoſtra-
te
, d’Harpale &
d’Eudoxe, les Egyp-
tiens
, qui ne manquérent pas de trouver
cette
obliquité plus petite que ne l’avoit
trouvée
Anaximandre, s’en prévalurent
pour
en faire honneur à leur Nation;
com-
me
ſi la diminution &
par conſéquent la
meſure
de l’obliquité de l’Ecliptique avoient
été
connues chez eux pendant des milliers
d’années
, dans le tems que cette derniére
venoit
ſeulement d’être découverte parmi
les
Grecs.
Nous avons dit ci-deſſus à-peu-
près
la même choſe des Babyloniens, qui
également
jaloux des Egyptiens &
des
Grecs
, ont remonté, par un pareil calcul,
juſqu’à
une antiquite
337312DE LA PHILOSOPHIE plus abſurde que n’eſt celle des Egyptiens.
Mais, ſoit que ce mouvement de l’Equa-
teur
exiſte, ſoit qu’il n’exiſte pas, il eſt
toujours
certain, qu’il ne peut-etre produit
par
aucun méchaniſme de ceux qui ſont
tombés
dans la penſée du ſavant Newton.
Le mouvement qui reſſemble plus naturel-
lement
à celui de l’axe de la Terre, eſt la
variation
de l’inclinaiſon de l’Orbe de la
Lune
, qui eſt de 5.
deg. 18. ou 19. min.
quand
les Nœuds de la Lune ſe trouvent en
conjonction
, ou en oppoſition avec le So-
leil
, &
de 5. deg. ſeulement, quand ces
mêmes
Nœuds ſont dans les Quadratures.

Il
eſt vrai que, par une analogie naturelle,
ce
grand Philoſophe attribue à l’axe de la
Terre
un petit mouvement alternatif, par
lequel
l’angle de l’interſection de l’Eclip-
tique
&
de l’Equinoxiale ſe trouvant
dans
les Equinoxes, par exemple, de 23.

deg
.
29. min. s’étrecit en approchant des
Solſtices
, &
s’élargit derechef depuis les
Solſtices
juſqu’aux Equinoxes;
de ſorte
qu’aux
Solſtices, cet angle, dans ſa plus
petite
dimenſion, eſt de 23.
deg. 29. min.
moins
quelques ſecondes.
338313DE NEUTON.
Mais ces alternatives de diminution &
d’accroiſſement
ne produiſent point de mou-
vement
circulaire du Plan de l’Equinoxiale,
d’un
Pole de l’Ecliptique à l’autre.
Il faut
donc
, que cette circulation dépende de
quelqu’autre
raiſon inconnue juſqu’à préſent,
qu’il
faut tâcher de découvrir, au cas que
ce
Phénomêne ſoit réel.
Pour que la diminution de cet angle é-
gale
toujours ſon accroiſſement, il faut que
le
centre abſolu de peſanteur de toute la
maſſe
de la Terre ſoit le même que le
centre
géométrique de ſa figure ſphéroïde;
mais il ſe peut bien faire que cela ne ſoit
pas
.
Car, ſi la Terre eſt tant ſoit peu plus
matérielle
du côté Boréal de l’Equateur,
que
du côté Méridional, &
qu’il arrive au
dedans
de cette Planete, ou à ſa ſurface,
quelque
changement, qui diminue la quan-
tité
de matiére dans un endroit &
qui l’aug-
mente
dans un autre, il eſt évident, que
la
ſurface extérieure de la Terre &
le cen-
tre
commun de la peſanteur de toute ſa
maſſe
changeront de poſition, l’un à l’égard
de
l’autre;
& comme le centre
339314DE LA PHILOSOPHIE de ſa ſurſace ſphéroïde extérieure demeure
toujours
le même, il eſt néceſſaire que ce cen-
tre
change auſſi de poſition, à l’égard de celui
de
peſanteur, dès que quelque raiſon conſtan-
te
, ou non conſtante, ôte quelque peu de
matiere
en quelqu’endroit, pour le porter
ailleurs
.
Or les deux centres, ſavoir le géo-
métrique
de la figure ovale de la Terre &

celui
de ſa peſanteur générale, doivent né-
ceſſairement
être dans le même axe de ſon
tournoyement
, ſi ce tournoyement doit ê-
tre
égal &
uniforme pendant 24. heures,
ſans
s’accélérer &
ſe retarder par repriſes;
ce qui ſeroit contraire à l’expérience.
Pour effectuer donc ce mouvement du
Plan
de l’Equateur, il ſuffit qu’il y ait, au-
dedans
de la Terre, une matiere, qui en
circulant
continuellement, mais lentement,
déplace
toujours le centre commun de pe-
ſanteur
, par rapport à la ſurface de la Ter-
re
, parce que l’axe du tournoyement ſuivra
toujours
le même chemin de ce centre.
Si cette matiere ne circulepas, mais qu’elle
ait
un mouvement irrégulier &
très petit,
le
Plan de l’Equateur changera auſſi de
340315DE NEUTON. tion avec l’Ecliptique, mais ſans règle cer-
taine
, &
pourra être tantôt plus près, tan-
tôt
plus loin d’elle;
ce qui ſeroit peut-être
plus
vraiſemblable qu’une circulation par-
faite
.
Mais tout ce raiſonnement n’aura
lieu
que lorſqu’il ſera démontré d’une ma-
niere
tout-à-fait inconteſtable, que l’appro-
chement
de l’Equateur &
de l’Ecliptique,
dont
les plus habiles Obſervateurs préten-
dent
s’appercevoir aujourd’hui, eſt réel:
&
qu’il
n’y a point d’illuſion, ni de la part des
réfractions
, ni des Inſtrumens, dans une af-
faire
qui eſt encore ſi delicate, &
ſi peu
ſenſible
dans les obſervations modernes,
il
ne s’agit encore que de quelques ſecondes
de
diminution;
de ſorte que ce ne ſera
qu’après
pluſieurs Siècles d’obſervations
continuées
, que l’on pourra dire, avec une
pleine
certitude, ſi l’obliquité eſt variable,
ou
comment elle l’eſt.
Le moyen le plus court & le plus ſûr de
terminer
cette queſtion, ſeroit de meſurer
exactement
l’élévation du Pole des ruïnes
de
l’ancienne Ville de Syène en Egypte.
L’on ſait, au rapport de Strabon dans le
dernier
Livre de ſa Géographie, que
341316DE LA PHILOSOPHIE Ville étoit ſituée préciſément ſous le Tro-
pique
de Cancer, &
qu’il y avoit un Puits
très-profond
, dans lequel on ne voyoit ja-
mais
l’image du Soleil, qu’au point de Mi-
di
, aux Solſtices d’Eté, le Soleil donnant
verticalement
ſur la ſurface Horizontale de
l’eau
, au bas du Puits.
Strabon ajoute au
même
endroit, qu’en partant de la Gréce,
cette
Ville étoit la premiére que l’on ren-
controit
, les Gnomons, ou des Colomnes
érigées
verticalement n’euſſent point d’om-
bre
Méridienne une fois dans l’année, ſavoir
au
Solſtice d’Eté;
de ſorte que voilà deux
preuves
différentes, qui nous aſſûrent que
du
tems de Strabon, ou quelque tems avant
lui
, le Tropique du Cancer a paſſé par le
point
vertical de cette Ville.
Or ſi en meſurant à préſent la Latitude de
l’endroit
, a été autrefois cette Place, on y
trouvoit
le Pole Septentrional élevé de 23.
deg. 49. min. ou davantage, ce ſeroit . une
preuve
indubitable que Mr.
le Chevalier de
Louville
avoit trouvé la vérité, &
que l’obli-
quité
de l’Ecliptique étoit diminuée de 20.

min
.
pendant près de 18. ſiècles. Je dis de 23.
deg
.
49. min. ou davantage, car la Tour
342317DE NEUTON. Syène étant déja renommée, à cauſe de la
propriété
dont nous venons de parler, du
tems
du Prophête Ezéchiel, qui en fait men-
tion
au Chap.
29. de ſa Prophétie, il eſt appa-
rent
que ſi l’obliquité de l’Ecliptique étoit
variable
, elle auroit encore diminué de 5.
à 6. minutes, dans la même proportion,
depuis
le tems de ce Prophête juſqu’à celui
de
Strabon, pendant plus de cinq Siècles,
ſans
compter ce qu’il pourroit y avoir de
diminution
depuis la fondation de cette
Tour
juſqu’au tems de ce Prophête.
Mais ſi au contraire on n’y trouvoit le Pole
élevé
que de 23.
deg. & demi, ou environ, il
faudroit
conclure, ſans héſiter, que, pen-
dant
toute cette ſuite de Siècles, l’obliquité
en
queſtion a été conſtamment la même,
ou
que ſa diminution n’a rien eu de conſi-
dérable
;
& que l’eſpace compris entre l’E-
quinoxiale
&
l’Ecliptique ne s’eſt que peu,
ou
point rétreci.
Toute la difficulté ne
conſiſteroit
qu’à bien découvrir la ſituation
de
cette ancienne Ville au voiſinage du Nil
&
de l’Iſle Eléphantine. Ce ſeroit le moyen
de
prévenir les ſoins de la Poſtérité, &
de
ſe
faire un mérite auprès d’elle, en lui
343318DE LA PHILOSOPHIE ſentant des Démonſtrations achevées d’une
vérité
, dont l’éclairciſſement pourra lui
coûter
pluſieurs ſiècles.
Le dénombrement que nous avons entre-
pris
de faire ici des principales particulari-
tés
qui regardent la Terre, par rapport au
rang
qu’elle tient parmi les Planetes, nous
engage
à examiner les preuves de ſa figure
ſphéroïde
que nous avons ſuppoſée vérita-
ble
, &
de faire voir l’impoſſibilité du chan-
gement
des Méridiens.
Nous en avons dé-
ja
donné une idée générale au Chapitre
XVIII
.
lorſque, par rapport à l’étendue &
aux
divers degrés de la peſanteur, nous a-
vons
fait mention de l’inondation des Eaux
vers
les Régions de l’Equateur, qui devoit
réſulter
néceſſairement du tournoyement de
la
Terre autour de ſon axe, ſi elle étoit
exactement
ſphérique.
Mais comme ce n’é-
toit
pas le lieu de prouver que cette dif-
férence
étoit aſſez ſenſible pour pouvoir
être
meſurée, nous allons faire voir ici ce
qui
en eſt.
Les preuves, dont nous nous ſervirons,
ſont
tirées en partio des raiſonnemens
344319DE NEUTON. Phyſique, & en partie de l’Expérience mê-
me
.
Les raiſonnemens de Phyſique, qui
nous
prouvent la néceſſité de cette figure,
ne
ſuppoſent pour tout Principe, que le
mouvement
journalier de la Terre, de 23.
heures 56. minutes. Si la Terre eſt exacte-
ment
ſphérique, la vîteſſe du tournoyement
de
tous les Corps peſants ſous l’Equateur
diminuera
leur peſanteur, ou la vîteſſe de
leur
chûte, à meſure qu’elle différera moins
de
celle qu’il faudroit pour faire circuler
tous
les corps peſants ſous l’Equateur, ſans
pouvoir
jamais tomber, ou s’approcher du
centre
de la Terre;
ou pour faire que tout
ce
qu’ily a de corps ſous l’Equateur, fuſſent
autant
de Satellites, qui tournaſſent par
leur
mouvement journalier dans la circon-
férence
de l’Equateur, comme fait la Lune
dans
ſon Orbite.
Or en diſant par une Rè-
gle
de Trois:
Comme le cube de la diſtance
de
la Lune, de 60.
ſémi-diametres de la
Terre
, eſt au cube d’un ſeul de ces ſémi-dia-
metres
, de même le quarré de 39343 minutes,
qui
font un mois périodique de la Lune, eſt
au
quarré des minutes de la révolution des
Satellites
, ou des corps peſants, dans la
circonférence
de l’Equateur terreſtre,
345320DE LA PHILOSOPHIE l’on vouloit que la force centrifuge contre-
balançât
exactement la peſanteur.
On trou-
ve
pour le réſultat de ce calcul 84.
{2/5} de mi-
nutes
de révolution;
de ſorte que ſi le jour
des
Etoiles étoit de 84 {2/5} de minutes, au lieu
qu’il
eſt de 23.
heures 56. min. qui eſt 17.
fois plus grand, il n’y auroit ſous l’Equa-
teur
, ni chûte, ni poids des corps.
On trouve le même nombre de 84 {2/5} de
minutes
, ſans ſe ſervir de la Lune, en ſui-
vant
le Théorême de Mr.
Huygens, par
lequel
il a trouvé qu’un corps, pour tour-
ner
circulairement, d’une force centrifuge
égale
à ſon propre poids, doit faire tout le
tour
du Cercle en autant de tems, qu’un
Pendule
, de la longueur du rayon du mê-
me
Cercle, employeroit à faire deux vibra-
tions
.
Or pour faire l’application de ce
Théorême
au Cercle de l’Equateur, &
au
ſémi-diametre
de la Terre, il faut ſeule-
ment
dire:
Comme 3. pieds, & {17/288} d’un
pied
, longueur du Pendule d’une ſeconde,
ſont
au quarré d’une ſeconde, ainſi 19615800
pieds
du ſémi-diametre de la Terre, ſelon
la
meſure de Mr.
Picart, ſont à 6412430,
qui
eſt le quarré de 2532.
ſecondes, ou
346321DE NEUTON. 42. min. 12. ſecondes. Un Pendule de la
longueur
du ſémi-diametre de la Terre, fe-
roit
donc chaque vibration en 42.
min. 12.
ſecondes; & par conſéquent pour égaler la
peſanteur
à la force centrifuge de la rota-
tion
journaliére ſous l’Equateur, il faudroit
que
cette rotation s’achevât en 84.
min. 24.
ſecondes
.
Mais, comme elle ſe trouve 17. fois
plus
lente, il eſt évident qu’en ſuppoſant
la
ſurface de la Terre exactement ſphé-
rique
, la peſanteur ſous l’Equateur excéde
ſa
diminution, ou la force centrifuge, 17.
fois 17 fois, c’eſt-à-dire 289. fois, & par-
la vîteſſe de la chûte des corps, ſous l’E-
quateur
, ſeroit à celle de leur chûte ſous les
Poles
, comme 288 ſont à 289;
& un Pen-
dule
d’une ſeconde, qui feroit ſous le Pole
86400
.
vibrations pendant un jour Solaire,
n’en
feroit ſous l’Equateur qu’environ
86250
.
tout de même que le Pendule d’une
ſeconde
de Paris, étant tranſporté ſous l’E-
quateur
, &
y faiſant ſes chûtes curvilignes,
ou
ſes vibrations un peu plus lentes qu’ici,
retarderoit
par jour de 2.
min. 5. ſecondes,
ou
environ.
347322DE LA PHILOSOPHIE
L’expérience de Mr. Richer faite dans
l’Iſle
de Caïenne, celle de Mr.
Halley dans
l’Iſle
de Ste.
Hélène, & celles de ceux dont
on
peut voir les noms à la page 227.
de cet-
te
Edition, ayant vérifié, à quelques cir-
conſtances
près, cette diminution de la pe-
ſanteur
ſous l’Equateur, qui eſt une conſé-
quence
néceſſaire &
indubitable du mouve-
ment
journalier de la Terre;
il nous reſte à
voir
le dérangement que cauſeroient ſur ſa
ſurface
les forces centrifuges de ce même
mouvement
ſous les Cercles parallèles de l’E-
quateur
, ſi la Terre étoit exactement
ſphérique
.
Tout le monde ſait qu’une Balance exac-
te
étant ſuſpendue par ſon milieu, &
de-
meurant
en repos, les Baſſins, ou des Poids
égaux
ſuſpendus par des cordelettes à ſes
deux
extrémités, font prendre à ces cor-
delettes
, ou plutôt à leurs milieux, des ſi-
tuations
perpendiculaires à leurs Horizons,
&
qui tendent directement au centre de la
Terre
.
Mais ſi l’on donne à cette Balance
un
mouvement circulaire, dont le centre
ſoit
le point de ſuſpenſion de la
348323DE NEUTON. on verra d’abord que les Baſſins, ou les
poids
, s’éloigneront de la perpendiculaire,
à
proportion de la vîteſſe du mouvement
circulaire
;
de ſorte que les cordelettes ne
ſuivront
plus la direction ordinaire de la pe-
ſanteur
vers le centre de la Terre.
Figurons-nous à préſent une grande Balan-
ce
curviligne, dont le milieu ſoit ſuſpendu
à
l’un des Poles de la Terre, &
dont les deux
extrémités
s’étendent juſqu’à égale élévation
du
même Pole, de part &
d’autre; il eſt
évident
que ſi la figure ſphérique de la Ter-
re
(qui eſt-ce que nous examinons) tourne
autour
de ſon axe, &
qu’elle emporte en
même
tems cette Balance curviligne, par
un
mouvement circulaire autour du même
axe
, les poids qui étant en repos devroient
converger
vers le centre de la Terre, s’é-
loigneront
un peu de cette convergence &

des
perpendiculaires, de part &
d’autre.
Ainſi le Sinus du petit angle de déviation,
compris
entre la perpendiculaire &
la nou-
velle
direction du poids, ſera bien près de
{1/289} du produit du Sinus, &
du Co-Sinus de
l’élévation
du Pole, diviſé par le rayon.
349324DE LA PHILOSOPHIE
On voit clairement que ſans imaginer
cette
Balance curviligne, ce raiſonnement
peut
également s’appliquer à toutes les li-
gnes
à plomb, qui ſe trouvent ſur la ſurface
de
la Terre.
C’eſt de cette maniére qu’on
trouve
qu’à Paris, &
en cent autres en-
droits
de même Latitude, qu’un Pendule
en
repos ne tendroit pas perpendiculaire-
ment
à l’Horizon, mais feroit avec la per-
pendiculaire
un angle de près de ſix minu-
tes
, ce qui ſeroit aſſez ſenſible, ſi la Terre
étoit
exactement ſphérique;
cependant com-
me
en nul endroit du Monde on ne trouve
aucune
déviation, c’eſt une preuve ſuffiſante
que
la face de la Terre eſt telle, qu’il faut
qu’elle
ſoit, pour que la direction de la pe-
ſanteur
ſoit perpendiculaire, ce qui ne ſe
peut
que dans une figure ſphéroïde.
Cette figure ſphéroïde produit encore un
autre
changement à l’égard de la peſanteur,
mais
de peu de conſéquence.
L’on ſait que,
ſans
conſidérer la diminution de la peſanteur,
dont
nous venons de parler, la peſanteur
elle-même
varie encore ſelon la diverſité
des
diſtances du centre de la Terre, quand
même
il n’y auroit point de rotation.
350325DE NEUTON. ce qui fait que les expériences des Pendules
tranſportés
en différens Climats, ne répon-
dent
pas dans la derniére préciſion au cal-
cul
que nous avons donné ci-deſſus, quoi-
qu’elles
prouvent toutes en général que la
peſanteur
différe ſenſiblement, &
qu’elle
eſt
toujours moins forte vers l’Equateur,
que
vers les Poles.
C’eſt auſſi ce qui parta-
ge
les ſentimens des plus grands Géomé-
tres
ſur la proportion de l’axe de la rota-
tion
de la Terre au diametre de ſon Equa-
teur
.
Mr. Huygens & après lui Jaques
Herman
dans ſon excellent Ouvrage de
la
Phoronomie, ont déterminé cette pro-
portion
, comme de 577.
à 578. ; mais
Neuton
nous la donne de 229.
à 230, en-
viron
triple de la précédente.
La différen-
ce
de ces meſures ne provient que de ce
que
Mr.
Huygens n’a conſidéré la peſanteur
que
comme une force qui pouſſe les corps
vers
un ſeul centre;
au lieu que Neuton l’a
conſidérée
comme une force par laquelle
tous
les corps &
toutes les particules de la
Terre
, juſqu’aux plus petites, ſont tirées
les
unes vers les autres.
351326DE LA PHILOSOPHIE
Mars.
La quatrième Planete de notre Syſtême
eſt
Mars.
Sa moyenne diſtance du Soleil
eſt
de 46.
millions de lieues. De toutes les
Planetes
ſupérieures, c’eſt celle qui a la
plus
grande excentricité, auſſi n’en con-
noît-on
point parmi tous les Corps céleſtes,
dont
la grandeur apparente ſoit plus varia-
ble
;
de ſorte que ſa plus grande Phaſe ex-
céde
juſqu’à 7.
fois la plus petite. Au mois
d’Août
1719.
Mars étant oppoſé au Soleil,
à
2 ou 3 degrés ſeulement de diſtance de
ſon
périhélie, l’on ſe ſouvient encore que
pluſieurs
perſonnes, qui n’avoient aucune
teinture
d’Aſtronomie, furent étonnées de
le
voir, &
le prirent pour une Comete, ou
un
nouvel Aſtre, qui venoit de naître
dans
le Ciel, comme on a fait de Vénus
l’année
derniere, lorſqu’au mois de Mai
ayant
atteint ſa plus grande hauteur Méri-
dienne
au commencement du Cancer, &

étant
encore aſſez loin du Soleil pour n’être
point
éclipſée par ſon éclat, elle lança ſes
rayons
par le chemin le plus court de la
partie
Boréale de l’Atmoſphére.
352327DE NEUTON.
Comme la grande excentricité de Mars
rend
ſon mouvement apparent fort inégal,
c’eſt
de lui principalement que Kepler s’eſt
fervi
, pour examiner &
vérifier la découver-
te
qu’il avoit faite de l’égalité des aires par-
courues
par chaque Planete en particulier,
en
tems égaux;
& c’eſt auſſi par lui, qu’il
a
reconnu &
prouvé la néceſſité qu’il y a-
voit
de n’admettre par tout le Ciel que des
excentricités
plus petites, environ de la
moitié
de celles qui avoient été établies
par
les Anciens.
De toutes les Planetes, Mars eſt encore
celle
qui a la plus grande Atmoſphére, à
proportion
de ſon noyau, du moins à ce
qu’on
en connoît juſqu’à préſent;
ce qui ſe
prouve
par le changement de couleur d’une
Fixe
obſervée par Mr.
Römer, en appro-
chant
&
en quittant le diſque de Mars, la-
quelle
pâlit ſenſiblement à l’approche de ce
diſque
, étant encore éloignée de lui des
deux
tiers du diametre du même diſque, &

qui
étant ſortie de derriére le corps opaque
de
Mars, ne recouvra la vivacité naturelle
&
ordinaire de ſa lumiére qu’à la
353328DE LIA PHILOSOPHIE ce des deux tiers du même diametre.
Sans l’Etoile de Mars nous ignorerions
tout-à-fait
l’éloignement &
la véritable
grandeur
des Corps céleſtes;
& c’eſt le cé-
lèbre
Mr.
Caſſini le Pere, qui s’eſt aviſé le
premier
, de ſe ſervir des diſtances appa-
rentes
de cette Planete d’avec les Fixes
prochaines
, lorſqu’elle eſt oppoſée au So-
leil
, pour trouver la véritable dimenſion
de
notre Syſtême.
Sa parallaxe horizonta-
le
, qui dans cette ſituation eſt aſſez grande
pour
être obſervée &
calculée ſans qu’il y
ait
à craindre aucune erreur trop ſenſible,
ſavoir
de 26 à 27.
ſecondes dans ſon péri-
hélie
, nous donne le moyen de calculer les
parallaxes
horizontales du Soleil &
des au-
tres
Planetes, qui ne peuvent être obſervées
par
elles-mêmes, à cauſe de leur petiteſſe.
Par les taches de Mars, que nous repréſen-
tons
ici de la maniere, dont elles ont apparu
en
1719.
l’on a découvert & l’on s’eſt con-
vaincu
, qu’il tourne autour d’un axe toujours
parallèle
à lui-même, (comme celui de la
Terre
) en 24 heures, 40 minutes;
354329DE NEUTON. 118[Figure 118]
Ou que 36 révolutions de Mars autour
de
ſon axe égalent 37 révolutions de la Ter-
re
autour du ſien.
Les taches de cette Planete ſemblent ê-
11Remar-
ques
ſur
les
ta-
ches
de
Mars
.
tre plus variables que celles de toutes les
autres
.
Les bandes obſcures qu’on a ob-
ſervées
en 1704.
1717. & 1719. ne convien-
nent
point entr’elles, ni par rapport à leur
ſituation
, ni par rapport à leur figure.
En
1704
.
& 1717. on a vu une bande obſcure
occupant
plus d’un hémiſphére de Mars, a-
vec
cette différence qu’en 1704.
elle avoit
au
milieu une pointe, qui ne s’y
355330DE LA PHILOSOPHIE point en 1717. & qu’en 1717. elle étoit
plus
éloignée de l’équateur de Mars, &

plus
près de ſon pole Méridional qu’en
1704
.
En 1719. on a trouvé une bande
coudée
, formée ſeulement après le mois de
Juillet
, dont la partie la plus Méridionale,
par
rapport à nos yeux, s’étendoit oblique-
ment
ſur la moitié de l’hémiſphére de Mars,
&
égaloit environ un quart de Cercle, pre-
nant
ſon commencement entre le pole Méri-
dional
&
l’équateur de Mars, & finiſſant
entre
ſon équateur &
ſon pole Septentrio-
nal
, les deux parties de cette bande, en
ſe
joignant, faiſoient un angle, comme
cela
ſe voit Figure 2.
Le 13. de Juillet d’au-
paravant
on n’avoit obſervé qu’une ſeule
bande
obſcure rectiligne, telle qu’on la voit
Figure
1.
Outre ces bandes obſcures, on avoit dé-
couvert
des taches conſuſes de figure fort
irréguliére
, comme dans les Fig.
3. & . 4. qui
n’étoient
auſſi que temporaires, &
qui n’a-
voient
preſque rien de commun avec celles
qu’on
avoit obſervées auparavant, que leur
inconſtance
.
356331DE NEUTON.
Mais les taches les plus conſidérables
de
cette Planete ſont celles, qui s’ob-
ſervent
proche de ſes deux poles, dont
cependant
on n’en voit jamais qu’une à la
fois
, &
qui ſont ordinairement plus claires
que
le reſte du corps.
Il y a près de 70
ans
, que ces taches-là ſont connues, &

qu’on
en voit preſque toujours l’une ou
l’autre
, ce qui prouve qu’elles ſont per-
manentes
, &
que les viciſſitudes d’appari-
tion
&
d’occultation qu’elles ſubiſſent, pro-
cédent
ſeulement de quelque changement
de
l’atmoſphére de Mars, ſemblable à ce-
lui
de la nôtre, cauſé en partie par la dif-
férente
conſtitution de l’air en Eté &
en
Hyver
, &
en partie par la différente quan-
tité
de pluye, &
de beau tems en diffé-
rens
endroits du même Climat.
C’eſt ainſi
que
depuis le 17.
Mai juſqu’au mois de No-
vembre
1719.
le Pole, qui eſt à notre é-
gard
le Méridional, ſe trouvant éclairé par
le
Soleil, &
par conſéquent l’Eté y régnant,
&
l’Atmoſphére y étant rareſiée autant qu’el-
le
l’a pu être, la lumiere éclatante de cette
Zone
déliée a pu ſrapper notre vûe, dans
le
tems que celle du Pole oppoſé, qui avoit
paru
aux Obſervateurs en 1704 &
1717.
357332DE LA PHILOSOPHIE vec le même éclat que la derniére, ſe dé-
roboit
alors à nos yeux à la faveur des
nuages
&
des vapeurs congelées, qui y
changeoient
l’Atmoſphére, &
la rendoient
moins
tranſparente.
La différence de la
clarté
de cette Zone, dont une moitié con-
ſerva
conſtamment le même degré de lu-
miére
, &
dont l’autre au contraire diminua,
diſparut
, puis reparut, ne reſſemble pas
mal
à la différence tems qu’il fait aux
Andes
du Pérou, il ne pleut jamais, &

à
Borneo il pleut preſque tous les jours.
Il ſe peut qu’il y ait encore d’autres raiſons
qui
puiſſent produire cet effet;
mais il eſt
toujours
conſtant que cette diverſité d’ap-
parences
vient de la diverſe conſtitution
de
l’Atmoſphére.
Jupiter.
Jupiter la plus grande de toutes les Pla-
netes
de notre Syſtême, parcourt en 4331
jours
, ou 12 ans, en comptant rondement,
une
Orbite, dont le demi-diametre, en ſa
moyenne
quantité, ou la diſtance moyen-
ne
du Soleil, eſt de 156.
millions de lieues.
Son diametre eſt dix fois plus grand
358333DE NEUTON. celui de la Terre. La peſanteur des corps
qui
tendent vers le centre de cette Planete,
ou
l’eſpace qu’ils parcourent en tombant di-
rectement
ſur elle, ſe peut calculer.
Pour cet effet, l’on cherche premiére-
11Maniére
de
calcu-
ler
la pe-
ſanteur

des

corps

quitom-
bent
ſur
la
ſurfa-
ce
de Ju-
piter
.
ment le tems périodique d’un Satellite
qui
raſeroit la ſurface de Jupiter, ce qui
ſe
trouve par cette règle:
Comme le cube
de
25 {1/3} de demi-diametres de Jupiter, (qui
font
la diſtance du quatrième Satellite), eſt
au
quarré de ſon tems périodique, qui eſt
de
16 {2/3} de jours;
ainſi le cube d’un ſeul ſémi-
diametre
de Jupiter eſt au quarré du tems
périodique
qu’on cherche.
On trouve par-
qu’un tel Satellite acheveroit ſa période
autour
de Jupiter, près de ſa ſurface, en
193
à 194 minutes.
Comme toutes ſortes de peſanteurs ſont
en
raiſon directe des rayons des cercles que
décrivent
les corps peſants, ſans tomber,
&
en raiſon inverſe des quarrés des tems
périodiques
, on détermine la quantité de la
peſanteur
de ces corps ſur Jupiter de cette
maniére
:
Comme 1 ſémi-diametre de la Ter-
re
eſt à 10 {1/2} des mêmes ſémi-diametres,
359334DE LA PHILOSOPHIE ſont la meſure de celui de Jupiter; ainſi
15
{1/12} de pieds de chûte ſur la Terre, pendant
la
premiére ſeconde, ſont à 158 {3/8} de pieds de
chûte
ſur Jupiter pendant la premiére ſe-
conde
, ſi les tems périodiques des Satelli-
tes
aux ſurfaces de Jupiter &
de la Terre
ſont
égaux.
Mais ayant trouvé ci-deſſus
que
le tems périodique d’un Satellite de la
Terre
, auprès de ſa ſurſace, eſt de 84 {2/5} de
minutes
, il en faut venir à cette derniére rè-
gle
:
Comme le quarré de 193 {1/2} de minutes
eſt
au quarré de 84 {2/5} de minutes;
ainſi 158@
de
pieds de chûte, (ſi les deux périodes ſont
égales
) ſont à 30 pieds de chûte véritable
ſur
Jupiter.
Le pendule à ſecondes ſera
donc
en Jupiter de 7 pieds &
{1/2}.
Ccs mêmes conſidérations nous font auſſi
voir
que le diametre polaire, ou l’axe de
rotation
de Jupiter, eſt plus petit que ce-
lui
de ſon équateur, &
que cette différen-
ce
doit être bien plus ſenſible ſur la ſurface
de
Jupiter, que ſur celle de la Terre.
La ré-
volution
journaliére de Jupiter eſt de 9 heu-
res
56 minutes;
& la révolution du plus bas
Satellite
, qui pourroit être autour de lui,
ayant
été trouvée de 194 minutes, qui
360335DE NEUTON. quaſi que le tiers de ſa révolution journa-
liére
, ſa peſanteur reſtante, c’eſt-à-dire,
diminuée
par les forces centrifuges ſous l’é-
quinoxiale
de Jupiter, ſera à la peſanteur
primitive
(en ſuppoſant la figure de Jupiter
exactement
ſphérique) comme 8 ſont à 9.
C’eſt
ce
qui donne la proportion du petit axe au
grand
, à peu de choſe près, comme 17 ſont à
18
, en dreſſant le calcul ſelon les principes de
Mrs
.
Huygens & Herman, & comme 7 à 8,
en
ſuivant ceux de Neuton, fondés ſur la
gravitation
mutuelle de toutes les parties in-
térieures
de la Planete.
Le ſentiment de
Neuton
ſemble être appuyé par les Obſer-
vations
de Mr.
Caſſini, le Pere, rapportées
à
la fin de la XIX.
Propoſition du III. Li-
vre
de ſa Philoſophie, il eſt dit, que
le
diametre de Jupiter d’Orient en Occi-
dent
eſt viſiblement plus grand que celui
du
Sud au Nord.
Les bandes obſcures de Jupiter, cou-
chées
le long de ſon diſque, &
toujours pa-
rallèles
, à-peu-près, à ſon équateur, ſont
repréſentées
par les deux Figures ſuivantes.
361336DE LA PHILOSOPHIE 119[Figure 119]
Cet équateur ne fait avec l’orbite de Ju-
piter
qu’une obliquité de 2.
deg. 55. min.
au lieu que la nôtre eſt de 23. deg. & demi.
Ces
bandes ſemblent n’être que des exha-
laiſons
, qui, en s’élevant &
ſe joignant en-
ſemble
, prennent une figure circulaire.
Il
eſt
vrai qu’elles ne ſe produiſent jamais
toutes
entiéres à la fois, témoin ſur-
tout
cette bande Méridionale, qui renaît
quaſi
de ſix en ſix ans, &
qui nous ramene
toujours
une tache noire, ſituée à ſon
bord
Septentrional, comme cela eſt arrivé
aux
années 1665.
1677. 1713. au mois
de
Septembre, &
aux années 1672. &
1708
.
au mois d’Avril. En comparant les
anciennes
Obſervations avec celles qui ont
été
faites en dernier lieu, on remarque que
ces
bandes, qui avoient d’abord paru
362337DE NEUTON. des changemens tout-à-fait bizarres, & ne
ſuivre
aucune règle, ne laiſſent pas d’avoir
des
retours aſſez réguliers, qui nous met-
tront
peut-être un jour en état de prédire
leurs
apparences avec la même certitude
qu’on
peut calculer les Eclipſes.
La bande dont nous venons de parler,
11Remar-
que
ſur
la
tache
noire
de
Jupiter
.
accompagnée de la tache noire, ſe préſente
ordinairement
, quand Jupiter eſt aux der-
niers
degrés de la Vierge &
des Poiſſons,
vers
le tems qu’il a été en oppoſition avec
cet
aſtre.
Ce qu’il y a de plus particulier,
c’eſt
que ces apparences ſuivent plutôt le
vrai
mouvement de Jupiter que le moyen;
car on voit bien que depuis l’oppoſition de
cette
Planete avec le Soleil au Signe des
Poiſſons
juſqu’à celle qui ſe fait au Signe de
la
Vierge, il ſe paſſe 6 ans &
demi, & 5
ſeulement
&
demi de celle ci au retour de
la
premiére, le tout faiſant enſemble 12
années
, pendant leſquelles s’acheve la révo-
lution
de Jupiter.
Ceci fait voir que, ſi l’on
pouvoit
marquer tous les changemens qui
ſurviennent
à ces bandes, &
qui ſont ſans
doute
affectés à certains Signes du Zodia-
que
, auſſi-bien que le Phénomêne de la
363338DE LA PHILOSOPHIE che noire, on auroit lieu d’eſpérer, quo
l’ordre
de leur retour ſe pourroit prédire,
comme
celui de cette tache.
C’eſt principalement à cette même tache
que
nous ſommes redevables de la con-
noiſſance
que nous avons de la révolution
journaliére
de Jupiter, dont la vîteſſe nous
ſurprendroit
, ſans doute, par rapport à la
grandeur
de ſon corps, ſi Mr.
de Mai-
ran
n’en avoit pas démontré la poſſibilité,
dans
un ſavant Mémoire inſéré dans ceux
de
l’Académie de l’Année 1729.
il dé-
montre
que la différence qu’il y a entre
le
poids de la partie inférieure d’une Pla-
nete
, qui eſt tournée vers le Soleil, &
ce-
lui
de la ſupérieure qui ne l’eſt pas, eſt ca-
pable
de produire ſa rotation d’Occident en
Orient
.
Cetre tache eſt auſſi connue aux Aſtro-
nomes
, que la ſituation d’une célèbre Vil-
le
aux Géographes;
& on en a déterminé
la
Latitude Méridionale ſur la ſurface de Ju-
piter
d’environ 16.
degrés, commel’on déter-
mine
celle de quelque Place remarquable ſur
la
Terre.
Il eſt vrai qu’en obſervant ſes
364339DE NEUTON. volutions au milieu de ſon parallèle expoſé
vers
nous, on a trouvé qu’elles n’étoient pas
tout-à-fait
les mêmes, &
qu’elles différoient
de
quelques ſecondes, quoiqu’il ſoit très na-
turel
de les ſuppoſer toujours égales entr’el-
les
, comme ſont celles de la Terre;
mais
cela
n’eſt pas de conſéquence, &
dans une
recherche
de cette nature, bien loin de blâ-
mer
les Aſtronomes, on doit admirer leur
ſagacité
, &
leur ſavoir bon gré de ne diffé-
rer
entr’eux qu’en ſecondes.
Les Statellites de Jupiter, & ſur-tout le
11Pour-
quoi
les
Satelli-
tes
de
Jupiter

ſem-
blent

quel-
quefois

moins

grands
.
quatrième, étant tournés vers nous, ont des
taches
obſcures, qui les font paroître quelque-
fois
bien plus petits qu’ils ne ſont ordinaire-
ment
;
ce qui fait que le quatrième diſparoît
quelquefois
entiérement, lorſqu’il eſt bien
éloigné
du corps &
de l’ombre de Jupiter.
Mais on n’a point encore déterminé, ſi
ces
taches naiſſent ſubitement, ou ſi c’eſt
le
tournoyement des Satellites autour d’eux-
mêmes
, qui nous montre ces taches dans
un
terns, &
nous les cache dans un autre;
quoiqu’il
y ait bien à parier pour ce tour-
noyement
, à cauſe des circonſtances pé-
riodiques
qu’on prétend avoir
365340DE LA PHILOSOPHIE dans le quatrième Satellite. Il ſe pourroit
auſſi
, que les ombres memes des Satellites
fiſſent
entr’eux de petites Eclipſes, dont
on
ne pourroit s’appercevoir que par la di-
minution
de leur éclat;
mais c’eſt ce qui
n’a
point encore été examiné.
Saturne.
Saturne parcourt ſon orbe autour du So-
leil
en 29 ans &
demi. Si, en comptant
rondement
, la diſtance moyenne de la
Terre
au Soleil eſt, comme nous l’avons dit
par-tout
ailleurs, de trente millions de nos
lieues
, il s’enſuit par la même raiſon, que
la
diſtance médiocre de Saturne à cet Aſtre
eſt
de 285.
à 286. millions des mêmes
lieues
.
C’eſt la derniére Planete, & la plus
éloignée
du Soleil qui nous ſoit connue;
du
moins
n’a-t-on point encore découvert au-
delà
aucun corps dans de Ciel, qui ait une or-
bite
conſtante, &
qui tourne circulaire-
ment
.
Il eſt vrai que les Cometes font
leurs
cours dans des Régions bien plus éloi-
gnées
que ne fait Saturne;
mais comme
leur
excentricité eſt beaucoup plus grande
que
celles des Planetes ordinaires, elles
366341DE NEUTON. font point partie du Syſtême planétaire que
nous
conſidérons dans ce Chapitre.
Car
quand
même on en ſuppoſeroit quelqu’une
qui
feroit réguliérement ſa révolution autour
du
Soleil, par exemple, à 600.
millions de
lieues
de diſtance du Centre univerſel de
notre
Syſtême, de quoi lui ſerviroit la lu-
miére
&
la chaleur de cet Aſtre, dans une
diſtance
il ne paroîtroit pas plus grand
que
ne nous paroiſſent Jupiter &
Venus?
J’ai ſuppoſé 600 millions de lieues de diſ-
tance
moyenne de ce prétendu corps au
Soleil
, parce que ſi cette diſtance étoit
moindre
, les Planetes ſe tireroient &
s’em-
barraſſeroient
trop par leurs gravitations
réciproques
.
Le diametre de Saturne eſt près de 10. fois
11Calcul
de
la pe-
ſanteur

des

corpsqui

tombent

ſur
la ſur-
face
de
Saturne
.
plus grand que celui de la Terre.
Par ce moyen
on
peut calculer la proportion de la peſan-
teur
ſur Saturne à celle que nous éprou-
vons
ſur notre Terre.
Son dernier Satelli-
te
étant éloigné de lui de 53 à 54.
de ſes ſé-
mi-diametres
, c’eſt-à-dire, le rayon de ſon
orbite
étant 53 ou 54.
fois plus grand que
le
ſémi-diametre de Saturne, ſa révolution
doit
ſe faire en 79.
jours 22, heures,
367342DE LA PHIL OSOPHIE font 1918. heures. Je dis donc que com-
me
157464, cube de 54 ſémi-diame-
tres
de Saturne, eſt à l’unité, ou au cube
d’un
ſeul ſémi-diametre du même Satur-
ne
, ainſi 3678724, quarré de 1918.
heu-
res
, eſt à 23 {2/5}, à-peu-près;
d’où tirant la
racine
quarrée, l’on trouve pourle tems pé-
riodique
de cette révolution 4 heures &
{5/6},
ou
4 heures 50 minutes.
Donc un corps
qui
feroit le tour de la ſurface de Saturne,
ſans
baiſſer jamais par ſa peſanteur, le fe-
roit
, comme nous venons de voir, en 4
heures
50 minutes.
Pour trouver, à-préſent, de combien de
pieds
les corps peſants tombent ſur Saturne
pendant
la premiére ſeconde de tems, je
dis
que, comme 1.
ſémi-diametre de la Ter-
re
, diviſé par le quarré de 84.
min. & {2/5},
que
nous avons trouvées page 320, eſt à
9
{1/2} ſémi-diametres de la Terre, ou à un
ſeul
ſémi-diametre de Saturne, diviſé par
le
quarré de 290.
minutes, que nous ve-
nons
de trouver;
ainſi 15. pieds parcourus
par
la chûte d’une ſeconde de tems vers la
Terre
, ſont à 12.
pieds de chûte vers Sa-
turne
pendant la premiére ſeconde, &
368343DE NEUTON. quelque peu davantage. Mais cette peſan-
teur
des corps vers le centre de Saturne
ſouffre
une diminution conſidérable par leur
gravitation
, en ſens contraire, vers la cavité
de
ſon anneau, comme nous l’allons mon-
trer
dans la ſuite.
Les Figures ſuivantes nous repréſentent
les
différentes configurations de Satur-
ne
:
1. Sa phaſe ronde avec une ſeu-
le
bande obſcure au milieu, cauſée par
l’ombre
de l’anneau, &
par ſa partie ob-
ſcure
, qui ne reçoit point de rayons du So-
leil
:
2. Cette même phaſe ronde avec d’autres
bandes
encore, telles qu’on les a vues en
1715
:
3. La phaſe de ſon anneau, qui
ſe
perd de vûe, &
qui reparoît après avoir
été
quelque tems inviſible;
& 4. Cet anneau
dans
ſa plus grande largeur, avec des ban-
des
qui environnent le diſque de Saturne,
comme
cela s’eſt vu en 1696.
369344DE LA PHILOSOPHIE 120[Figure 120]
Le diametre extérieur de l’anneau de Sa-
turne
, pris d’un bout à l’autre, eſt au diametre
de
cette Planete, comme 9 ſont à 4, ſelon la
meſure
de Mr.
Huygens, ou comme 11
ſont
à 5, ſelon celle de Mr.
Caſſini. Le dia-
metre
intérieur, compris entre les deux ca-
vités
oppoſées, eſt à celui de Saturne com-
me
6 {1/2} ſont à 4;
car depuis le corps de Saturne
juſqu’à
la cavité de ſon anneau, il y a au-
tant
d’eſpace, que depuis cette cavité juſ-
qu’à
ſa circonférence extérieure.
Si Sa-
turne
lui-même a 30000 lieues de diame-
tre
, il y aura depuis ſa ſurface, juſqu’à
la
cavité en queſtion, 9375 lieues, &
de-
juſqu’au bout, auſſi 9375, au lieu deſ-
quelles
on en compte ordinairement 8000.
de largeur.
370345DE NEUTON.
La quatrième Figure nous repréſente
cet
anneau dans ſa plus grande ouverture,
lorſque
ſa largeur de B, en C, ou de D en
F
, nous paroît la moitié de ſa longueur A,
E
.
C’eſt par cette proportion de longueur
&
de largeur que l’on a calculé l’angle que
fait
cet anneau avec l’orbite de ſa Planete,
ſavoir
de 30 à 31 degrés.
Il eſt à remar-
quer
qu’au milieu de ſa largeur apparen-
te
, on obſerve une ligne obſcure,
telle
qu’on la voit marquée par la ligne
pointillée
.
La couleur de ſa partie intérieu-
re
, qui eſt plus près du corps de la Plane-
te
, paroît plus vive &
plus lumineuſe, que
celle
de ſa partie extérieure, &
la ligne
noire
, dont nous venons de parler, en fait
la
ſéparation.
Ainſi toutes les fois que cet
anneau
diſparoît, c’eſt ſa partie extérieure
qui
ſe perd la premiére;
car l’autre ne diſ-
paroît
que quelques jours après.
Dans les années 1714 & 1715, l’on
a
vu cet anneau diſparoître &
reparoître
deux
fois, on a obſervé que ſa partie O-
rientale
ſe perdoit de vûe un jour ou deux
plutôt
que ſa partie Occidentale, &
que
371346DE LA PHIL OSOPHIE même partie Occidentale ſe découvroit au
contraire
un jour ou deux plutôt que ſa par-
tie
Orientale.
En 1671. Mr. Caſſini, le Pere,
avoit
déja obſervé quelque choſe de ſembla-
ble
;
ce qui lui fit juger avec raiſon que les
parties
de cet anneau, qui ſont du même cô-
, par exemple, A, B, &
D, E, de la
troiſième
Figure, ne ſont pas dans le même
plan
, &
que par conſéquent il eſt plus
mince
ou plus pointu par ſes extrémités A
&
E, que vers la cavité intérieure B, C,
ou
D, F.
Il y a deux cauſes différentes, qui nous
11Raiſons
de
la
diſpari-
tion
de
l’an-
neau
de
Saturne
.
font perdre cet anneau de vûe.
La pre-
miére
eſt que ſon plan venant à paſ-
ſer
par le centre du Soleil, ſes deux côtés
ne
reçoivent ſes rayons que fort oblique-
ment
de part &
d’autre; ce qui fait que ſa
lumiére
devient trop foible pour frapper
nos
yeux.
Cela arrive lorſque Saturne, à
l’égard
du Soleil, eſt au 19 degré 45 min.
des Poiſſons ou de la Vierge. Quand il
n’y
a point d’autre cauſe qui produit la
phaſe
ronde de Saturne, que celle-là, el-
elle
ne dure guères au delà d’un mois, com-
me
on le prouve par les Obſervations des
372347DE NEUTON. nées 1685 & 1701. Vers la fin de la cette
phaſe
, on s’apperçoit plus clairement de
l’ombre
de l’anneau ſur le corps de Saturne,
qui
paroît un peu au-deſſus ou au-deſlous du
milieu
de ſon diſque, comme cela ſe voit Fig.
1.
La ſeconde cauſe qui nous rend l’anneau
inviſible
, eſt la coïncidence de ſa partie
éclairée
avec le rayon viſuel, qui paſſe
du
côté de celle qui ne l’eſt pas.
Cette
apparence
a des termes moins limités que
celle
dont il a été parlé ci-devant;
cependant
on
eſt toujours aſſûré de la voir deux fois,
quand
Saturne, apperçu du Soleil au 19 de-
gré
45 min.
des Poiſſons ou de la Vierge,
eſt
retrograde par rapport à nous.
Sa La-
titude
étant obſervée de la Terre, ne
peut
différer chaque fois que de fort peu de
choſe
;
mais ce peu de choſe ne laiſſe pas
d’être
aſſez ſenſible, pour avancer ou pro-
roger
ces termes.
En 1671, il y eut plus
de
ſix mois entre les deux diſparitions des
anſes
, à compter depuis la fin du mois de
Mai
juſqu’au 8 de Décembre.
Le lieu de
Saturne
, etant vu du Soleil, ſe trouvoit la
premiére
fois au 13 degré des Poiſſons, &

la
ſeconde au commencement du vingtième.
373348DE LA PHIL OSOPHIE En 1714. le 12 Octobre, jour auquel les anſes
diſparurent
, Saturne ſe voyoit du Soleil au
commencement
du 17e degré de la Vierge,
&
le 22e. de Mars. En 1715. jour moyen de
la
ſeconde diſparition, il étoit déja à 21 de-
grés
&
demi du même Signe à l’égard du
Soleil
;
mais le tems qui s’écoula entre ces
deux
diſparitions, n’eſt que de 5 mois &

quelques
jours.
Ainſi les phaſes rondes
vers
le commencement de Juillet 1744, &

au
mois de Mars 1760.
ne ſe redoubleront
point
;
& il faudra par conſéquent laiſſer à
la
Poſtérité l’obſervation du retour de ce
Phénomêne
.
Bien des gens ſont curieux de ſavoir ſi
cet
anneau eſt un corps continu ou ſolide,
ou
ſi ce ne ſont que des Satellites, qui ſont
ſi
près les uns des autres, que notre vûe ne
peutles
diſtinguer.
La derniére de ces deux
conjectures
me paroît plus vraiſemblable.
Car ſi l’on m’objecte que le mouvement de
tous
ces Satellites, dans une orbite commu-
ne
, ne pourroit ſe faire, ſans qu’ils ſe cho-
quaſſent
les uns les autres, s’il y avoit tant
ſoit
peu d’excentricité;
il me ſuffira de répon-
dre
que ce mouvement n’eſt point du
374349DE NEUTON. excentrique. Si l’on dit auſſi que les Satel-
lites
ſupérieurs ne pourroient pas achever
leurs
périodes en même tems que les infé-
rieurs
, parce que la peſanteur, ou la force
centripète
de leur mouvement circulaire,
diminue
en raiſon quarrée de leur éloigne-
ment
du centre de Saturne:
je réponds
encore
, qu’à la vérité cette différence
de
leurs periodes eſt telle que l’on pré-
tend
;
mais que la reſſemblance exacte de
tous
les Satellites d’un même ordre nous
ſait
regarder cet aſſemblage de Satellites
ſéparez
comme un corps continu.
Il reſte pourtant encore une petite dif-
ficulté
à lever.
Cette orbite, dira-t-on,
loin
de pouvoir être exactement circulaire,
eſt
elliptique, ſon grand axe étant tou-
jours
perpendiculaire à une ligne tirée du
centre
du Soleil à celui de Saturne;
parce
que
tous les Satellites ne ſont que des Lu-
nes
, qui pour cette raiſon doivent obéïr aux
mêmes
loix de la gravitation que la nôtre.
Or comme l’orbite de la Lune doit un peu
s’applatir
dans les conjonctions, de même que
dans
les oppoſitions, &
avoir plus de cour-
bure
aux quadratures, ainſi que nous
375350DE LA PHIL OSOPHIE prouvé au Chapitre XXII. il s’enſuit néceſ-
ſairement
que le même changement arrivera
dans
celle des autres Satellites.
La choſe
dépend
donc uniquement de la différence
de
la gravitation de Saturne ſur le Soleil,
&
de celle de ſes Satellites ſur lui-même;
& c’eſt de cette différence que nous don-
nerons
la meſure au Chap.
XXV.
Les bandes de Saturne, dont le parallè-
liſme
avec ſon anneau fait voir, que ce qui
les
cauſe eſt élevé au-deſſus de la ſurſace
de
cette Planete à une aſſez grande diſ-
tance
, pour que leur courbure ne ſoit que
peu
ou point ſenſible, prouvent indubita-
blement
, que Saturne eſt environné d’une
Atmoſphére
beaucoup plus vaſte que la
nôtre
.
Mais en ſuppoſant, comme ci-
deſſus
, que cet anneau n’eſt compoſé, que
d’une
infinité de Satellites, il ne ſera pas
néceſſaire
de l’étendre juſque-là.
Cepen-
dant
quelque vaſte que ſoit cette At-
moſphére
, il ſaut qu’elle ſoit incompara-
blement
plus tranſparente que la nôtre,
puiſque
les Fixes que l’on voit quelque-
fois
entre les anſes &
le corps de Saturne,
n’y
ſouffrent jamais ni réfraction, ni
376351DE NEUTON. gement de figure, comme dans les autres
Atmoſphéres
.
C’eſt une choſe fort remarquable, que
parmi
les 5 Satellites de Saturne, il y en a
quatre
, qui font leurs révolutions dans le
plan
même de ſon anneau, &
que le cinquiè-
me
eſt le ſeul, qui ſuive une route particu-
liére
.
Ce dernier n’a que 15 à 16 degrés
d’inclinaiſon
de ſon orbite à celle de Satur-
ne
, au lieu que les 4 autres circulent
dans
un plan incliné à celui de leur Planete
principale
de 30 deg.
ou davantage. Auſſi
ſes
nœuds ſont-ils un peu différens de ceux
des
autres.
Ceux-ci ont les mêmes nœuds,
que
l’anneau, ſavoir au 19 degré 45 min.
des Poiſſons & de la Vierge; mais le der-
nier
coupe l’orbite de Saturne environ
quinze
degrés plutôt, ſavoir au quatriè-
me
, ou au cinquième degré des mêmes Si-
gnes
.
Avant que de quitter Saturne, il faut
11Ralen-
tiſſe-
ment
du
mouve-
ment
de
Saturne
.
remarquer une autre particularité de ſon
mouvement
qu’on n’a point encore ob-
ſervée
à l’égard des autres Planetes.
Tou-
tes
les plus anciennes Obſervations
377352DE LA PHILOSOPHIE comparées entr’elles, ainſi qu’avec les mo-
dernes
, nous donnent ſon moyen mouve-
ment
annuel de 12 degrés 13 minutes, &

33
à 36 ſecondes, au plus.
Mais les
modernes
ſeules, comparées les unes
avec
les autres, donnent ce même mou-
vement
diminué de quelques ſecondes,
ſavoir
de 12 degrés 13 min.
& 20 à 29 ſe-
condes
par an.
On a encore obſervé d’au-
tres
petites inégalitez dans le mouvement
de
Saturne depuis Tycho-Brahé;
mais
qui
ne laiſſent pas de s’accorder toutes à
nous
faire voir, que ſon moyen mouve-
ment
eſt moins prompt à préſent, que du
tems
des Chaldéens &
des Egyptiens. Mr.
Caſſini a prouvé cela inconteſtablement, en
comparant
les obſervations modernes, ainſi
que
celles de Ptolomée, avec une ob-
ſervation
fort ancienne faite le 1.
Mars
de
l’année 4485 de la Période Julienne,
dans
un Mémoire préſenté à l’Académie le
10
.
Janvier 1728.
Quoique Neuton ait prouvé que, lorſ-
que
Jupiter eſt le plus près de Saturne
qu’il
eſt poſſible, il dérange ſenſiblement le
mouvement
de cette Planete, néanmoins
378353DE NEUTON. ralentiſſement du mouvement de celui-ci
eſt
trop ſenſible, &
d’une nature trop dif-
férente
de ce qu’elle devroit être, pour en
accuſer
ſeulement Jupiter.
En effet, s’il n’y
avoit
pas d’autres corps qui y contribuaſſent,
comment
ſe pourroit-il faire que, dans les
plus
grandes proximités de ces Planetes, le
mouvement
de Saturne fût tantôt accéléré,
&
tantôt retardé, comme le démontrent les
obſervations
rapportées par Mr.
Caſſini?
Je crois donc que le ralentiſſement
du
mouvement qu’éprouve Saturne beau-
coup
plus ſenſiblement que toutes les
autres
Planetes, eſt cauſé par l’attraction
de
pluſieurs Cometes, qui font leurs traver-
ſes
dans les immenſes Régions de l’Univers
au-delà
de lui.
Leur nombre & leur gran-
deur
ſont aſſez conſidérables pour pouvoir
être
ſenſible à l’égard de la peſanteur de Sa-
turne
ſur le Soleil, qui n’eſt que la 9ome.
partie de l’attraction de la Terre vers le
centre
de notre Syſtême.
Auſſi les in-
égalités
de ce ralentiſſement s’expliquent-
elles
bien plus commodément par les diffé-
rentes
proximités des Cometes, que
379354DE LA PHILOSOPHIE toute autre cauſe; & ſi les Planetes infé-
rieures
ſe ſentent moins que Saturne de
leur
approchement, c’eſt parce que la force
attractive
du Soleil eſt bien plus forte que
celle
des Cometes dans les Régions infé-
rieures
, que dans celle de Saturne, comme
nous
l’avons déja dit.
121[Figure 121]
380
CHAP. VINGT-QUATRE.
De la Lumiére Zodiacale, des Cometes,
& des Fixes.
De la Lumiére Zodiacale.
LA principale raiſon qui nous engage
à
faire ici mention de la Lumiére Zo-
diacale
, eſt que certaines Hypothèſes,
par
leſquelles on explique ce Phénomê-
ne
, ſemblent contraires aux Démonſtra-
tions
de Neuton ſur le mouvement des
corps
dans des milieux réſiſtans;
& c’eſt
ce
qu’il faut tâcher d’éclaircir.
381356DE LA PHILOSOPHIE
La lumiére zodiacale eſt une clarté ſem-
blable
à celle de la Voye Lactée, &
quelque-
fois
meme plus claire, qui s’étend preſque
le
long du Zodiaque à 50, 60, 70, 80,
90
, &
quelquefois à 100 degrés & davan-
tage
du lieu du Soleil, de part &
d’au-
tre
.
Ainſi ſes pointes & une grande par-
tie
de ſon arc lumineux, quand elle n’eſt
pas
enveloppée, ou mélée de notre cré-
puſcule
, paroiſſent avoir un mouvement
annuel
&
journalier autour de la Terre, pa-
reil
à celui que le Vulgaire attribue au
Soleil
.
Selon les ſavantes remarques de Mr.
de Mairan, tirées des Obſervation de Mrs.
Caſſini
, Eimmart, Kirch &
d’autres, c’eſt
ſur
la fin de l’Hyver, &
au commencement
du
Printems, que le ſoir eſt plus propre
dans
nos Climats pour bien obſerver cette
Lumiére
;
& le matin vers la fin de l’Eté
&
le commencement de l’Automne. Cette
différence
eſt un effet de la différente po-
ſition
de l’Ecliptique ſur l’Horizon, qui
fait
tomber la pointe de la lumiére en
queſtion
, quelquefois plus haut, quelque-
fois
plus bas.
382357DE NEUTON.
L’angle de ſa pointe, les deux côtés
ſe
réuniſſent, eſt fort inégal.
On l’a vu
quelquefois
de 20 degrés, &
quelquefois
de
huit ſeulement.
Mr. de Mairan rappor-
te
encore des obſervations de Mr.
Caſſini,
qui
l’avoit trouvée d’une figure irré-
guliére
, &
courbée comme une faucille; il
en
rapporte auſſi de Mr.
Fatio de Duilliers,
les deux côtés ont eu des points qu’on
appelle
en Géométrie points de rebrouſſe-
ment
, ou d’inflexion contraire, ſembla-
bles
à ceux de deux conchoïdes ſur une
même
aſymptote.
Une connoiſſance des plus eſſentiel-
les
de ce Phénomêne, dont nous ſom-
mes
redevables à la grande ſagacité
de
Mr.
de Mairan, eſt que la ſection
du
milieu de cette lumiére, ou de
la
matiére qui la réfléchit vers nous, eſt
la
même que le plan de l’équateur du So-
leil
, ayant tous deux les mémes nœuds a-
vec
notre Ecliptique, &
faiſant avec elle
un
angle de 7 degrés &
demi. Cela
prouve
fort vraiſemblablement, que cette
matiére
appartient naturellement au Soleil;
383358DE LA PHILOSOPHIE auſſi n’eſt-ce pas ſans raiſon, qu’on lui a
donné
le nom d’Atmoſphére Solaire, quoi-
qu’il
ne faille pas la confondre avec celle
qui
l’environne de plus près, &
dans la-
quelle
nagent les taches Solaires, qui font
avec
elle leur révolution périodique en 25
jours
&
demi.
La Figure de cette Atmoſphére ex-
térieure
eſt une Sphéroïde fort platte,
dont
le grand diametre eſt ſouvent 5,
ou
8 à 9 fois plus grand, que celui
qu’on
imagine d’un Pole à l’autre.
Son é-
tendue
eſt en différens tems ſi inégale,
que
ſa pointe ſupérieure eſt quelquefois
bien
au-deſſous de l’orbite de la Terre, &

va
quelquefois bien au - delà.
C’eſt ce
qui
a porté, Mr.
de Mairan à croire, que
cette
Sphéroïde étoit fort excentrique, &

que
ſes apſides avoient un mouvement bien
plus
prompt, &
peut-être moins régulier,
que
celles des orbites planétaires.
Il fau-
droit
donc que l’aphélie de cette Sphéroï-
de
s’étendît juſqu’entre les orbites de Mars
&
de la Terre, & que ſon périhélie ſe ter-
minât
au-deſſus de l’orbite de Vénus, ſans
atteindre
celle de la Terre.
384359DE NEUTON.
Sur cela on auroit raiſon de demander
comment
il ſe peut faire, que la Terre &

la
Lune, qui entrent toutes deux dans cet-
te
Atmoſphére Solaire, ne ſentent pas la
réſiſtance
d’une matiére, qui doit néceſſai-
rement
avoir quelque denſité?
Pourquoi la
vîteſſe
de leur mouvement ne ſe ralentit
point
?
Et pourquoi enfin l’orbite de la
Terre
ne devient pas plus petite de ſiècle
en
ſiècle, comme cela devroit arriver in-
failliblement
, ſi ce mouvement ſe faiſoit
dans
un milieu réſiſtant?
C’eſt une vérité inconteſtable, & dé-
montrée
par Neuton dans la IV.
Section
du
Livre II.
de ſa Philoſophie, que la den-
ſité
du milieu étant poſée en raiſon inverſe
des
diſtances du centre du mouvement, &

la
peſanteur en double raiſon inverſe de ces
mêmes
diſtances, le mouvement circulaire
doit
ſe changer en celui de ſpirale;
& que
cette
ſpirale eſt préciſément celle que
Deſcartes
&
le R. P. Merſène ont connue
les
premiers;
je veux dire, celle qui coupe
tous
les rayons partans d’un ſeul centre,
ſous
un angle toujours égal.
Donc, ſi
385360DE LA PHILOSOPHIE moſphére Solaire enveloppe la Terre & la
Lune
, les années doivent toujours devenir
plus
courtes, parce que l’Orbite devient
plus
étroite:
la vîteſſe de mouvement an-
nuel
&
journalier diminuera toujours: le
diametre
apparent du Soleil nous paroîtra
toujours
plus grand;
& la chaleur augmentera
à
la fin juſqu’à faire périr tout ce qu’il y a
de
vivant ſur la Terre.
Voici la maniére, dont je crois pouvoir
réſoudre
cette difficulté.
Toutes les par-
ties
les plus petites de cette Atmoſphére
ſont
autant de petites Planetes, qui tour-
nent
autour du Soleil, à peu près de la même
maniére
&
dans le même ſens, que les gran-
des
qu’on a connues juſqu’ici ſous ce nom.
Cela fait qu’elles ont elles-mêmes par-tout
des
vîteſſes fort peu différentes de celles de
la
Terre dans les mêmes diſtances du Soleil.
On voit bien qu’un amas de particules,
qui
tournent avec la même rapidité qu’un
corps
d’une grandeur conſidérable, qui en
eſt
environné, ne peut faire aucune réſiſ-
tance
au mouvement que ce corps fait
dans
le même ſens.
On voit auſſi que,
386361DE NEUTON. les vîteſſes de cet aſſemblage de petites Pla-
netes
réſiſtent quelquefois un peu à une
plus
grande qui ſe trouve parmi elles, les
vîteſſes
du côté oppoſé, qui doivent être
plus
grandes, lui font bien-tôt regagner,
ce
qu’elle en avoit perdu auparavant.
C’eſt particuliérement au célèbre Fatio
de
Duilliers que nous avons l’obligation de
cette
idée.
Quoique ce grand Géométre
n’ait
pas prévu l’inconvénient, qui naîtroit
de
la réſiſtance de cette matiére par rap-
port
au mouvement de la Terre, de la Lu-
ne
, de Vénus &
de Mercure; il eſt cepen-
dant
le premier, qui nous ait averti, que
cette
lumiére pourroit bien être un amas
ſphéroïde
de petites Planetes, comme la
Voye
Lactée n’eſt qu’un nombre infini de
Fixes
ſi petites, qu’on ne peut les apper-
cevoir
.
Mais, quoi, dira-t-on, vous avez
11Premié-
re
Ob-
jection

contre

le
ſenti-
ment
de
Mr
. de
Duil-
liers
.
détruit au Chapitre XVI.
les Tourbillons
de
Deſcartes, &
maintenant vous en
établiſſez
un autre entiérement contraire à
vos
principes?
Cette Atmoſphére, qui,
387362DE LA PHILOSOPHIE lon vous, doit tourner inceſſamment autour
du
Soleil, &
dont le mouvement s’étend
juſqu’au-delà
de l’orbite de la Terre, n’eſt-
elle
pas un nouveau Tourbillon, par lequel
vous
prétendez remplacer celui que vous
vous
êtes tant efforcé d’anéantir en faveur
de
la Philoſophie de Neuton?
Et, tourbillon
pour
tourbillon, pourquoi ne pas adopter
plutôt
celui de Deſcartes?
A cela je réponds, que les Tourbil-
lons
de Deſcartes ſont bien différens du
mouvement
circulaire ou elliptique des pe-
tites
Planetes de cette Atmoſphére, au quel
je
conſens qu’on donne, ſi l’on veut, le
nom
de Tourbillon, pourvû que l’on m’ac-
corde
que celui-ci ne reſſemble point à ceux
de
Deſcartes.
Il n’eſt pas néceſſaire de ré-
péter
tous les inconvéniens des Tourbil-
lons
que nous avons examinés dans les
Chapitres
précédens;
nous nous contente-
rons
de parler d’une ſeule choſe en quoi ils
différent
de celui dont il s’agit.
En effet,
pour
que les Tourbillons de Deſcartes ayent
aſſez
de force pour emporter les Plane-
tes
, qui y nagent, il eſt néceſſaire qu’el-
les
n’ayent jamais ni plus, ni moins
388363DE NEUTON. matiére, que la partie du Tourbillon qui
les
met en mouvement, ce qui eſt contrai-
re
à l’expérience.
Car leur mouvement
dans
leurs aphélies eſt plus lent, que dans
leurs
périhélies, &
cependant la quantité
de
matiére, qu’elles contiennent, eſt tou-
jours
égale.
Ce qui les fait tourner, n’eſt
donc
point une force qui leur eſt imprimée
par
une matiére étrangere, autrement cet-
te
même matiére étant plus vaſte dans
leurs
aphélies, &
plus reſſerrée dans leurs
périhélies
, produiroit un effet tout-à-fait
contraire
.
Mais notre Tourbillon ne doit
pas
ſe prendre pour un premier reſſort du
mouvement
planétaire, puiſque nous conſi-
dérons
la peſanteur ou l’attraction vers le
Soleil
, comme ſa cauſe véritable &
primiti-
ve
.
En effet, nous ne le poſons que pour
ne
pas retarder le mouvement de la Terre
&
des Planetes inférieures, ce qui eſt bien
différent
de leur imprimer du mouvement,
comme
devroient faire ceux de Deſcartes.
On pourroit faire une objection bien plus
11Secon-
de
Ob-
jection
.
réelle ſur la nature du mouvement circulai-
re
ou curviligne, cauſé par quelque corps
central
vers lequel tous les autres ſont
389364DE LA PHILOSOPHIE rés. On ne doute point que le centre des
forces
ne doive toujours être dans le même
plan
ſe fait le mouvement;
car c’eſt
une
ſuite néceſſaire des Démonſtrations,
par
leſquelles nous avons prouvé au Chap.
XIX. l’égalité des aires décrites en tems é-
gaux
.
Comment donc, dira-t on, ſe peut-il
faire
que deux corps ou pluſieurs, dont la
circulation
ſe commence dans des plans dif-
férens
, mais à égale diſtance du Soleil, ne
ſe
choquent pas quelque part, avant que d’a-
chever
ſeulement leur premiére révolution;

puiſqu’il
eſt impoſſible que deux plans circu-
laires
différens &
qui ont pourtant le même
centre
, ne ſe coupent pas en deux points de
leurs
périphéries?
Néanmoins nous ne voyons
pas
que cela arrive à la matiére qui produit
la
lumiére zodiacale, puiſqu’un choc com-
me
celui-là, la réduiroit bien-tôt en une
ſeule
maſſe, &
en feroit une nouvelle Plane
te
, ſelon les théorêmes du mouvement cauſé
par
la percuſſion, démontré ſi clairement
par
Mrs.
Mariotte, Huygens & Herman.
Quoique
certains petillements de cette lu-
miére
, obſervés par Mrs.
Caſſini & de
Duilliers
, prouvent aſſez viſiblement que
le
choc des corpuſcules qui compoſent
390365DE NEUTON. te matiére, eſt quelque choſe de fort com-
mun
, cela ne l’empêche pas de ſubſiſter tou-
jours
, &
d’avoir ſes viciſſitudes de diminu-
tion
&
d’accroiſſement. Mais un choc dans
l’interſection
de deux, ou de pluſieurs Plans,
tel
que celui dont nous venons de parler
ligne
7 &
ſuiv. p. 364, n’a jamais été re-
marqué
, &
ne le ſera certainement jamais.
Pour réſoudre cette difficulté, il faut
voir
ce qui arriveroit, s’il y avoit une ſe-
conde
Terre de la même figure &
de la mê-
me
grandeur que la nôtre, &
ſi ces deux
Terres
ſe touchoient tellement aux deux
Poles
de leur orbite commune, que le Pole
Méridional
de l’une fût appliqué immédia-
tement
au Pole Septentrional de l’autre.
Il
eſt
clair que le centre de l’une ou de l’autre
décriroit
une orbite particuliére, dont le
plan
non-ſeulement ne paſſeroit pas par le
centre
du Soleil;
mais en ſeroit même éloi-
gné
du demi-diametre de chacune des deux.
Je dis plus. Si au lieu de ces deux Ter-
res
j’en ſuppoſe quatre, ſix, huit, ou da-
vantage
, il en faudra néceſſairement reve-
nir
au même raiſonnement;
& la
391366DE LA PHILOSOPHIE cation de ces corps de part & d’autre ne
produira
que la multiplication des centres
particuliers
des orbites particuliéres.
Mais
le
centre commun de gravité de toutes ces
Terres
jointes enſemble, ſitué au point du
contact
des deux Poles du milieu, décrira
pareillement
une orbite qui tiendra le mi-
lieu
de toutes les autres, &
paſſera imman-
quablement
par le centre du Soleil.
Pour revenir aux petits corpuſcules qui
compoſent
cette Atmoſphére, figurons-
nous
que tous ceux qui ſont à la même diſ-
tance
du Soleil ſe touchent;
il n’y a pas
de
doute qu’ils ne s’accompagnaſſent éter-
nellement
, comme feroit une rangée de
pluſieurs
Terres, qui auroient toutes des ré-
volutions
égales autour du Soleil.
Il eſt vrai
qu’un
autre ordre ſupérieur ou inférieur de
ces
corpuſcules feroit une révolution par-
ticuliére
dans un tems périodique différent
de
celui de la précédente;
mais ce ſeroit
toujours
de compagnie, &
ſans que les cor-
puſcules
d’une même rangée ſe quittaſſent
jamais
.
Il importe peu que des rangées diffé-
rentes
ſupérieures &
inférieures ſe tou-
chent
, ou ne ſe touchent pas, pourvû
392367DE NEUTON. n’y ait ni inégalité, ni friction, qui puiſſe
en
retarder le mouvement.
Voici encore une objection qu’on pour-
11Troiſiè-
me
Ob-
jection
.
roit faire contre le mouvement de l’Atmoſ-
phére
Solaire, tel que nous l’imaginons.
Le tems périodique des taches du Soleil &
par
conſéquent de la partie la plus baſſe de
cette
Atmoſphére, avec laquelle ces taches
font
viſiblement leur révolution, eſt de 25
jours
&
demi, que l’on compte depuis qu’u-
ne
partie de cette Atmoſphére a été ſous
une
Fixe quelconque, juſqu’à ſon retour
ſous
la même Fixe.
Comparons maintenant le tems périodi-
que
du ſédiment de l’Atmoſphére Solaire a-
vec
celui qu’employent ſes parties ſituées à
une
élévation égale à celle de la Terre.
Pour cet effet nous commencerons par éta-
blir
que toutes les Planetes, tant grandes
que
petites, font leurs révolutions dans la
même
Région du Ciel en tems égaux;
car
il
n’y a perſonne qui puiſſe le nier, ſans
contredire
l’expérience même, qui prouve
que
la diſproportion des maſſes de Jupiter,
de
Mars &
de Mercure, ne dérange rien
à
la proportion de leurs tems périodiques.
393368DE LA PHILOSOPHIE
Les corpuſcules planétaires de cette At-
moſphére
étant à une diſtance égale à celle
de
notre Terre feront donc leur révolution
en
une année;
mais pour bien expliquer la
choſe
il faut avoir recours à cette Règle de
Kepler
:
Comme le cube de 213 ſémi-dia-
metres
du Soleil, qui font la diſtance
moyenne
de la Terre à cet Aſtre, eſt au
quarré
de 525949 minutes, ou d’une an-
née
, de même le cube d’un ſeul ſémi-dia-
metre
du Soleil eſt au quarré de 169 à 170
minutes
.
Le ſond ou le ſédiment de l’At-
moſphére
Solaire devroit donc tourner en
169
ou 170 minutes;
mais l’expérience
nous
apprend qu’il fait ſa révolution en 25
jours
&
demi, comme on l’a vu ci-deſſus,
ce
qui fait une diſproportion trop ſenſible.
Pour faire voir que cette objection a plus
de
brillant que de ſolide, il nous ſuffira de
dire
que l’Atmoſphére Solaire eſt ſéparée en
deux
parties différentes par un vuide aſſez
grand
, pour que la partie ſupérieure n’ait
aucune
communication avec l’inférieure.
Or comme cette ſéparation fait que l’At-
moſphére
inférieure peut ſuivre le
394369DE NEUTON. ment du Soleil autour de ſon axe, & avoir
le
même tems périodique, elle nous met
en
droit de ſoutenir que la partie ſupérieure,
pour
ne pas tomber ſur l’inférieure, a be-
ſoin
d’un mouvement planétaire, dont les
forces
centrifuges contrebalancent les cen-
tripètes
.
On ne peut donc s’empêcher de
nous
accorder que cette Atmoſphére ſupé-
rieure
doit avoir différens degrés de vîteſſe
dans
ſes différentes parties, autrement les
plus
baſſes tomberoient toujours vers le So-
leil
, &
les plus hautes pourroient s’élever
même
au-delà de Saturne.
Des Cometes.
Neuton eſt le premier qui nous ait donné
la
véritable idée du mouvement des Come-
tes
.
Cependant Mr. Caſſini, le Pere, a-
voit
deja trouvé avant lui le moyen de pré-
dire
leur ſituation apparente, lorſqu’elles
ne
ſont pas trop près du Soleil.
Car, quoi-
qu’il
ſût très-bien que leur mouvement eſt
curviligne
, il ne laiſſa pas d’en ſuppoſer la
courbure
ſi peu ſenſible, qu’on pouvoit la
regarder
comme une ligne droite;
& à l’ai-
de
de cette ſuppoſition il parvint à un
395370DE LA PHILOSOPHIE cul qui ne différe que peu ou point de celui
de
Neuton, puiſque plus des ſegmens égaux
d’une
Parabole s’éloignent de ſon ſommet,
plus
ils approchent d’une ligne droite.
Quand Neuton a inventé l’Hypothèſe du
mouvement
parabolique des Cometes, pour
en
rendre le calcul plus Géométrique &

moins
embarraſſant, il n’a pas cru pour ce-
la
que les courbes de leurs trajets ſoient de
véritables
Paraboles.
Au contraire, dans
la
XLII.
Propoſition du III. Livre de ſa Phi-
loſophie
il nous enſeigne le moyen de
trouver
par approximation les grands axes
de
leurs orbites elliptiques, avec cette reſ-
triction
néanmoins que ces orbites ſont
d’une
figure ſi oblongue que nous ne ſau-
rions
les voir toutes entiéres.
Nous ne
voyons
donc les Cometes que lorſqu’elles
ſont
près de leurs périhélies, parce que
tout
le reſte de leur cours ſe fait dans des
Régions
ſi éloignées, que notre vûe ne peut
porter
juſque-là.
Ce que nous voyons
d’une
orbite Cométique n’eſt ſouvent pas
la
centième partie de ce que nous n’en
voyons
point.
Car comme les Cometes ne
commencent
à paroître ordinairement
396371DE NEUTON. quand elles ſont à une diſtance du Soleil plus
petite
que celle de Jupiter, &
plus grande que
celle
de Mars;
lorſqu’elles paſſent dans les
Régions
ſupérieures &
qu’elles ſe trouvent
à
une diſtance du Soleil égale à celle de Ju-
piter
, leur lumiére eſt ſi foible qu’à peine
peut-elle
être apperçue.
Comme la Parabole n’eſt qu’une Ellipſe,
dont
le centre eſt infiniment éloigné de ſon
foyer
, on s’en ſert, ſuivant les règles de
Neuton
, au lieu de l’Ellipſe, quand on ne ſait
pas
préciſément la meſure des deux axes,
pourvû
que le grand axe excéde du moins
20
fois le petit.
Autrement ce ſeroit non-
ſeulement
une faute conſidérable de pro-
longer
le mouvement parabolique au-delà
des
diſtances les Cometes ſont viſibles;
mais l’on ſe priveroit encore par-là de l’eſ-
pérance
de les revoir jamais.
Ainſi le mouvement des Cometes autour
du
Soleil reſſemble tellement à celui des
Planetes
ordinaires, que quoique les pre-
miéres
approchent beaucoup plus près de
cet
Aſtre que les autres, elles ne ſont pas
expoſées
à tomber ſur lui, lorſque la
397372DE LA PHILOSOPHIE be de leur mouvement devient perpendicu-
laire
à ſa diſtance.
Car la force centripète
11Pour
quoi
les
Come-
tes
& les
Planetes

ne
tom-
bent

point

ſur
le
Soleil

dans

leurs
pé-
rihélies
.
étant plus petite que la troiſième propor-
tionnelle
à la diſtance du Soleil &
à la vî-
teſſe
du périhélie, la Planete ou la Comete
n’eſt
pas plutôt parvenue à ſa plus grande
proximité
du Soleil, qu’elle commence à
s’en
éloigner.
L’Atmoſphére, la durée, la queue & le
retour
d’une Comete eſt ce qu’il y a de plus
remarquable
.
L’Atmoſphére d’une Comete différe de
celle
d’une Planete ordinaire en ce que ſon
noyau
eſt beaucoup plus petit.
Il y en a
qui
ont 15 fois plus de diametre que les
corps
des Cometes.
Auſſi une même At-
moſphére
n’eſt-elle pas toujours d’une égale
extenſion
, qu’elle diminue &
s’aggran-
dit
par repriſes.
On ne ſait pas bien encore ſi ces diminu-
tions
&
ces accroiſſemens ſe font réguliére-
ment
aux mêmes diſtances du Soleil &
du
périhélie
.
Car ſelon les Obſervations d’He-
velius
, alleguées par Neuton, ces Atmoſphé-
res
diminuent à meſure qu’elles
398373DE NEUTON. du Soleil, & augmentent à meſure qu’el-
les
s’en éloignent.
Au contraire Mr.
de Mairan aſſûre, qu’elles groſſiſſent à
l’approche
du Soleil par les parties de l’Atmo-
ſphére
Solaire qu’elles emportent avec elles
en
paſſant.
L’un & l’autre de ces ſentimens
paroiſſent
fondés ſur ce que les Atmoſphé-
res
des Cometes peuvent diminuer juſqu’á
la
rencontre de celle du Soleil, dans la-
quelle
elles puiſent de nouvelles matiéres.

De
plus ces Atmoſphéres contenant un air
ſemblable
au nôtre, elles doivent toujours
occuper
plus d’eſpace en deſcendant vers
le
Soleil qu’en remontant;
parce que cet
air
ſe rarefie extrêmement lorſqu’elles deſ-
cendent
, &
ſe condenſe de même, lorſ-
qu’elles
remontent.
La durée des Cometes ſe prouve, ſelon
le
raiſonnement de Neuton, par les degrés
de
chaleur exceſſifs qu’elles ſubiſſent dans
leurs
périhélies.
Ce Philoſophe a calculé
que
la Comete de l’année 1680, qui paſſa
au-deſſus
de la ſurface du Soleil juſqu’à un
ſixième
de ſon diametre, dut ſentir une
chaleur
2000 fois plus grande que celle d’un
fer
rouge.
D’où il a conclu que ce
399374DE LA PHILOSOPHIE devoit être bien compacte & auſſi ancien que
le
monde, puiſqu’il fut ſi près du Soleil &

qu’il
réſiſta ſi long-tems à ſes rayons, ſans
s’évaporer
.
Comme le ſentiment de Neuton eſt une
eſpèce
de Paradoxe pour ceux qui ne ſont
pas
bien au fait de ces matiéres, il eſt bon
de
voir ſurquoi il eſt appuyé.
La ligne
compriſe
entre le centre du Soleil &
la
Comete
en queſtion dans ſon périhélie, é-
toit
au rayon de l’orbite de la Terre comme
600
ſont à 100000.
La chaleur qui ſe fait
ſentir
à la Terre fut donc alors à celle
de
la Comete comme 360000 ſont à
10000000000
, ou comme 1 eſt à 28000.
Or comme la plus grande chaleur de l’Eté
n’eſt
à celle de l’eau bouillante que comme
1
eſt à 3 {1/2};
& que cette derniére eſt encore
quatre
fois moindre que celle d’un fer rou-
ge
, il a trouvé que cette chaleur eſt à celle
de
la Comete comme 14 ſont à 28000, ou
comme
1 eſt à 2000.
Si une balle de fer rougie au feu perd ſa
chaleur
en une heure, &
que le tems qu’il
faut
pour refroidir des Sphéres
400375DE NEUTON. ſoit comme leurs diametres & leurs degrés
de
chaleur, il faudra 108 millions d’années
pour
refroidir le corps de cette Comete,
s’il
eſt égal à notre Terre.
Cette réflexion nous découvre & nous
11Pour-
quoi
les
Orbites

des
Co-
metes

ſont
ſi
excen-
triques
.
fait également admirer la ſageſſe du Créa-
teur
.
Rien ne pourroit ſubſiſter dans les
Cometes
, ſi elles n’avoient pas une chaleur
ſuffiſante
pour la conſervation de leur ma-
tiére
.
La Nature, afin de leur en donner
autant
qu’elles en avoient beſoin, même
dans
les Régions les plus reculées, un
mouvement
circulaire, ou peu excentrique,
les
auroit privés de la chaleur du Soleil, a
augmenté
ſi conſidérablement leurs excen-
tricités
, que l’embraſement qu’elles ſouffrent
pendant
très-peu de tems, fait qu’elles jouïſ-
ſent
d’une chaleur tempérée pendant le
reſte
de leur révolution.
Mais ſi d’un autre
côté
il y a des Créatures animées dans les
Cometes
, comme Mr.
Huygens a prouvé
qu’il
y en a dans les Planetes, il faut abſo-
lument
qu’elles ſe retirent dans les cavités
intérieures
de ces Cometes, pour ſe garantir
de
cet incendie général qui ſe fait à leurs
ſurfaces
extérieures.
401376DE LA PHILOSOPHIE
A conſidérer la figure irréguliére de quel-
ques
Cometes, on juge qu’elles ne tour-
nent
point autour de leur axe;
parce qu’el-
les
ne ſauroient avoir cette rotation ſans a-
voir
en même tems une figure ſphérique,
ou
ſphéroïde, &
un ſeul noyau enfermé
dans
leur atmoſphére.
Mais on en a vu
quelques-unes
, qui n’étoient ni exactement
ſphériques
, ni ſphéroïdes:
d’autres qui pa-
roiſſoient
un amas de pluſieurs noyaux de
figures
&
de grandeurs différentes; ce qui
ne
convient nullement à un mouvement
journalier
, &
rend la poſition de leur axe
extrêmement
variable.
Outre cela leurs
queues
, qui ſont très-inégales, &
qui chan-
gent
preſqu’à tous momens, devoient ou
retarder
ſenſiblement, ou arrêter tout-à-
fait
le tournoyement dont eſt queſtion, ce
qu’on
n’a point encore remarqué.
Mais ſi les Cometes ne tournent point au-
tour
d’elles-mêmes, il faut qu’avant &
a-
près
leur embraſement la même partie ſoit
preſque
toujours expoſée au Soleil;
& qu’il
n’y
ait par conſéquent qu’une moitié de
leurs
Sphéres qui ſoit habitable,
402377DE NEUTON. voit toujours le Soleil, & que l’autre eſt
enſévelie
dans une nuit de pluſieurs années,
ou
de pluſieurs ſiècles;
ce qui n’empêche
pourtant
pas que cet hémiſphére n’ait autant
de
chaleur que celui qui eſt éclairé.
Pour ex-
pliquer
cette eſpèce de Paradoxe nous ajou-
terons
à ce qui a été dit page 375, que la
chaleur
qu’elles peuvent recevoir du Soleil
dans
leurs aphélies n’eſt pas la 10000 me.
partie de celle qui ſe ſent aux Poles de la
Terre
, &
que celle qui reſte après qu’elles
ont
paſſé leurs périhélies doit être égale par
toute
leur ſurface.
La fumée qui ſort des Cometes, & qui
ſe
diſperſe dans les Régions du Ciel qu’elles
traverſent
, compoſe leurs queues.
Elles com-
mencent
à ſe former un peu avant que les
Cometes
arrivent à leurs périhélies, &
dès
que
la chaleur du Soleil eſt aſſez forte pour
enflammer
les matiéres combuſtibles de
leurs
ſurfaces, &
pour que la fumée faſſe
brêche
à leurs atmoſphéres.
Il eſt pour-
tant
vrai que cet incendie commence un
peu
avant qu’on en voye la fumée;
mais
nous
ne conſidérons ici que le moment
403378DE LA PHILOSOPHIE nous commençons à appercevoir leurs
queues
.
Elles ne ſont jamais plus longues que
quand
les Cometes ſortent de leurs périhé-
lies
, après quoi elles diminuent toujours,
lors
même qu’elles s’approchent de la Ter-
re
.
C’eſt par ces degrés d’augmentation &
de
diminution que le ſavant Neuton a connu
que
les queues des Cometes n’étoient que
des
fumées.
Cela ſe confirme encore par
leur
direction qui s’étend toujours vers les
parties
oppoſées au Soleil.
On ne ſauroit
donner
une comparaiſon plus ſenſible de la
choſe
, que celle qu’en a donné ce Philoſo-
phe
, quoiqu’elle ait beſoin d’être un peu
plus
circonſtanciée.
Figurons-nous donc une torche allumée
dont
le lumignon ſoit renverſé, &
qui par
un
mouvement projectile tourne autour de la
Terre
;
toute ſa fumée montera en haut, &
tendra
à s’éloigner du centre de la Terre
malgré
ce renverſement.
De plus cette
fumée
ſe courbera tellement vers les Ré-
gions
contraires à la direction du mouve-
ment
de la torche, que la partie
404379DE NEUTON. ſemblera ſe mouvoir moins vîte que l’infé-
rieure
.
Et ce qu’il y a encore de plus re-
marquable
, c’eſt que la fumée paroîtra plus
large
en haut qu’en bas, comme on le voit
par
celle qui au ſortir des cheminées occupe
toujours
plus d’eſpace qu’elle n’en occupoit
auparavant
.
Tout cela quadre parfaite-
ment
avec les Phénomênes de ces queues.
La partie embraſée d’une Comete, qui eſt
tournée
vers le Soleil, pouſſe ſa fumée à l’op-
poſite
de cet Aſtre.
Cette fumée a toujours quelque courbu-
re
à ſon extrémité, qui eſt d’autant plus
reclinée
, c’eſt-à-dire, panchée en arrié,
re
, que la queue eſt plus longue;
& la
même
extrémité ſe trouve auſſi plus large
que
celle qui adhére au corps de la Come-
te
.
Cette comparaiſon eſt ſi juſte qu’el-
le
ne laiſſe aucun lieu de douter que la
queue
des Cometes ne ſoit une véritable
fumée
que cauſe leur embraſement à l’ap-
proche
du Soleil.
Voici une autre cauſe que Mr. de Mai-
ran
aſſigne fort ingénieuſement à la queue
des
Cometes, &
que nous allons tâcher
405380DE LA PHILOSOPHIE concilier, autant qu’il eſt poſſible, avec celle
que
Neuton vient de nous fournir.
Il re-
marque
que les Cometes en paſſant par
l’Atmoſphére
Solaire en ramaſſent non-ſeu-
lement
des parties qui font corps avec elles,
eomme
il a été dit page 373;
mais encore
d’autres
qui ne peuvent d’abord ſuivre la
Comete
, &
s’en détachent pour former
derriére
elle une eſpèce de Cone.
Cette fi-
gure
, ſelon ce grand Philoſophe, pouſſée
par
la matiére céleſte, prend une route con-
traire
à celle de la Comete, comme la che-
velure
d’une tête, que l’on porteroit contre
le
vent, prendroit une direction contraire à
cette
tête.
Cette comparaiſon n’eſt bonne que pour
les
queues naiſſantes des Cometes, qui n’ont
pas
encore atteint leurs périhélies.
Car les
amas
coniques de l’Atmoſphére Solaire que
les
Cometes traînent après elles &
le com-
mencement
de leurs fumées étant deux
cauſes
différentes, qui ne laiſſent pas de
produire
les mêmes apparences, les uns &

les
autres doivent faire les mêmes effets ſur
notre
vûe.
Mais au-delà de leurs périhélies
la
matiére céleſte dirige vers le Soleil
406381DE NEUTON. qui s’accroche aux Cometes. Ainſi l’on ne
doit
pas s’étonner ſi leurs fumées s’obſer-
vent
beaucoup plus facilement que ce petit
amas
de matiére qu’elles emportent avec
elles
.
La révolution périodique des Cometes
fait
aujourd’hui le principal objet de l’at-
tention
de pluſieurs Philoſophes.
Le re-
tour
de celle qui parut en 1682 pourroit ſe
prédire
, ſelon Neuton, pour l’année 1757,
ou
1758.
Il y a tout lieu de croire que c’eſt
la
même qui fut vue en 1607;
car il ſe
trouve
ſi peu de différence entre la vîteſ-
ſe
, les nœuds &
l’inclinaiſon de l’une &
de
l’autre, qu’on peut la regarder comme
un
pur effet de l’attraction des Planetes &

des
autres Cometes.
Mr. Caſſini a trouvé que preſque tous ces
Corps
paſſagers ont une route différente de
celle
des Planetes.
On a ignoré juſqu’ici
de
quelle conſéquence ſont ce nouveau Zo-
diaque
&
ce retour périodique des Come-
tes
, pour la conſervation du Genre Humain.
Imaginez-vous, par exemple, que ce ſont des
Corps
fortuits, qui ſe trouvent par
407382DE LA PHILOSOPHIE dans notre Ecliptique; quel deſaſtre ne ſeroit-
ce
pas pour notre Terre, ſi malheureuſement
elle
venoit à ſe trouver au même point?
L’idée de deux bombes qui créveroient en
ſe
choquant en l’air, eſt infiniment au-deſ-
ſous
de celle qu’on en doit avoir.
Heu-
reuſement
pour nous, on a découvert que
la
plûpart des Cometes dans les nœuds de
leurs
orbites ſont bien moins éloignées du
Soleil
, que ne ſont notre Terre, Venus &

Mercure
.
C’eſt ce qui fait toute notre ſû-
reté
, &
qui nous fait connoître combien
nous
avons de graces à rendre à Dieu pour
un
ſi grand bienfait.
Les Cometes par leurs retours inopinés
produiſent
quelquefois des Phénoménes
tout-à-fait
ſurprenans, quand on en ignore
la
cauſe.
Telle eſt, ſelon Whiſton, l’é-
clipſe
extraordinaire de Soleil dont parle
Hérodote
, &
qui arriva au Printems de
l’année
4334 de la Période Julienne, lorſ-
que
Xerxès partit de Sardes, Capitale de
la
Lydie, il avoit paſſé l’Hyver.
Telle
eſt
auſſi ſelon Wolff, celle de Lune, qui ar-
riva
dans le XV me.
Siècle, puiſque ce célèbre
Mathématicien
dans ſes Elémens de
408383DE NEUTON. que dit, après George Phranza, que ce Phé-
nomêne
n’a pu arriver naturellement, la
Lune
étant alors dans une de ſes quadratu-
res
.
Enfin, il en eſt de même de celui dont
Grégoire
Abulpharache, Auteur Arabe,
fait
mention dans ſon Hiſtoire des Dynaſ-
ties
Orientales, il marque, que ſous
l’Empereur
Héraclius le Soleil parut par
tout
le Monde, pendant trois jours, rouge
comme
du ſang;
ce qui toutefois a pu ar-
river
par l’interpoſition de la queue d’une
Comete
.
Des fixes.
Comme le Syſtême de Neuton paroît ſe
11Contra-
diction

appa-
rente
du
Syſtême

de
Neu-
ton
à l’é-
gard
des
Fixes
.
contredire à l’égard des Fixes, qui, ſelon lui,
ſe
tirent les unes les autres, &
demeurent
pourtant
immobiles, il faut commencer par
éclaircir
ſon ſentiment, &
faire voir qu’il
n’implique
aucune contradiction.
La diſtance qu’il y a d’une Fixe à l’autre
eſt
ſi immenſe, que leur chûte ne feroit pas
ſeulement
une lieue en un an.
C’eſt ce qu’on
va
voir par le calcul ſuivant.
. Selon nos
ſupputations
pages 280 &
281. les corps
409384DE LA PHILOSOPHIE ſants, en comptant rondement, tombent ſur
la
ſurface du Soleil de 1260000 pieds, tout
au
moins, pendant la premiére minute.
.
Selon Huygens les Fixes les plus proches du
Soleil
en ſont éloignées de 28000 ſémi-dia-
metres
de l’orbite de la Terre, ou environ,
c’eſt-à-dire
, de plus de 5600000 ſémi-
diametres
Solaires, dont le quarré eſt
31360000000000
.
Donc la Fixe la plus
proche
de cet Aſtre s’avance vers lui de
{1260000/31360000000000} d’un pied, pendant la premiére
minute
.
Mais ſi au lieu de cette fraction
l’on
compte {1/25000000} d’un pied, l’on trou-
vera
pour la premiére année 11000 pieds,
à
peu de choſe près, eu égard à la ſomme
totale
.
Neuton a démontrè dans la XII. Propo-
ſition
du III.
Livre de ſa Philoſophie, que
le
centre commun de gravité de notre Syſ-
tême
Planétaire ſeroit eloigné de celui du
Soleil
même, d’un de ſes ſémi-diametres,
c’eſt-à-dire
, de 4000000000 pieds, ou à
peu
près, ſi toutes les Planetes étoient d’un
côté
&
cet aſtre de l’autre. Quelle diſpro-
portion
donc entre le dérangement du
410385DE NEUTON. leil, cauſé par les Planetes qui l’environ-
nent
, &
celui qui vient de l’attraction de
la
Fixe qui en eſt plus près;
j’entends,
entre
11000 &
4000000000 pieds?
Or comme le Soleil ſe trouve tantôt
d’un
côté du centre univerſel de ſon pro-
pre
Syſtême, tantôt de l’autre, &
que la
même
choſe arrive à chaque Fixe à l’égard
des
Planetes inconnues qui l’environnent,
l’on
voit clairement que ces corps lumineux
s’attirent
réciproquement par des forces
beaucoup
plus foibles que celles qui les éloi-
gnent
quelquefois les uns des autres.
Ces
viciſſitudes
d’approchement &
d’éloigne-
ment
ſont donc ce qui retient toujours les
Fixes
dans leur aſſiette naturelle, ſans
qu’elles
puiſſent jamais tomber les unes ſur
les
autres.
Comme quelques Fixes, qui, ſelon les ob-
ſervations
de Montanaro, ont diſparu de-
puis
quelques années, n’ont pas empêché
celles
qui ſont reſtées, d’être ſtables, il
faut
voir quelles peuvent être les cauſes de
leur
diſparition.
Le célèbre Wolff en ſpé-
cifie
trois dans ſa Phyſique.
. Elles
411386DE LA PHILOSOPHIE vent, ſelon lui, acquérir du mouvement
&
par-là ſe dérober à nôtre vûe: . En
retombant
dans le Chaos elles peuvent cré-
ver
&
s’évaporer entiérement; Et 30. elles
peuvent
ou perdre tout-à-fait leur lumiére,
ou
en perdre du moins aſſez pour nous de-
venir
inviſibles.
La premiére de ces cauſes paroît d’autant
moins
vraiſemblable, que l’attraction de
la
Fixe, qui diſparoîtroit, deviendroit plus
forte
&
précipiteroit, les unes ſur les au-
tres
, toutes celles qui l’environneroient.
La ſeconde n’eſt pas plus recevable,
que
cette prétendue diſſolution changeroit
la
gravitation réciproque des Etoiles les
plus
voiſines de celle qui s’évanouïroit, &

qu’elles
n’auroient plus rien qui les tien-
droit
en équilibre.
Ainſi nous adopterons
la
troiſième, parce qu’en ſuppoſant la ſta-
bilité
de la Fixe, elle conſerve toute ſa
force
attractive.
Il faut faire le même jugement des re-
tours
périodiques d’apparition &
de diſpa-
rition
des Etoiles, qu’on a obſervées dans
les
Conſtellations de la Baleine, du
412387DE NEUTON.& de l’Hydre. Car quoique la partie qui
nous
regarde ſoit plus ou moins lumineuſe,
&
que nous les perdions quelquefois tout-
à-fait
de vûe, elles ne quittent pas pour
cela
leurs places, &
leur attraction ne laiſſe
pas
de tenir l’Univers en équilibre.
Il s’enſuit de tout ce raiſonnement, que
la
gravitation réciproque de deux Fixes ne
diminue
pas préciſément en raiſon inverſe
des
quarrés des diſtances, ſur-tout aux en-
virons
du centre commun de leur peſan-
teur
.
Il s’enſuit auſſi que la loi de la gra-
vitation
peut varier, comme on le peut
voir
ſur la fin du Chapitre VII.
il eſt parlé
des
différentes ſortes d’attraction.
L’action
de
l’Aiman ſur le Fer en raiſon inverſe des
cubes
de ſes diſtances, &
celle des corps
tranſparens
ſur les rayons, ou les atomes de
la
lumiére, nous prouvent la réalité auſſi-
bien
que la poſſibilité de la choſe.
413388 122[Figure 122]
CHAPITRE VINGT-CINQ
Des ſecondes inégalités du mouvement des
Satellites
, & des Phénomênes qui
en
dépendent.
APrès avoir rapporté au Chapitre XXI.
diverſes particularités du mouvement
de
la Lune, pour établir la néceſſité de l’at-
traction
, il nous reſte à faire voir dans ce-
lui-ci
que la Théorie de ces inégalités, cau-
ſées
par ce méchaniſme, eſt entiérement
conforme
aux Obſervations.
Neuton aſſigne trois cauſes à ces
414389DE NEUTON. d’irrégularités. Il prétend: . Que la for-
ce
qui tire la Lune vers la Terre, eſt moin-
dre
que celle qui tire ces deux Planetes
vers
le Soleil:
. Qu’en conſidérant les
orbites
comme exactement circulaires, la
force
qui tire la Terre vers le Soleil eſt tou-
jours
égale, au lieu que celle qui tire la Lu-
ne
vers cet Aſtre eſt plus grande dans ſa
Conjonction
que dans ſon Oppoſition;
Ec
.
Que les lignes d’attraction, qui tendent
vers
le Soleil ſe reſſerrent à meſure qu’elles
en
approchent, &
augmentent toujours la
gravitation
de la Lune vers la Terre, ſur-
tout
lorſque cette Planete eſt dans ſes Qua-
dratures
.
Si l’on ſuppoſe, par exemple, que la
Lune
ſoit en Conjonction avec le Soleil,
on
verra que, par ſa ſeule gravitation vers
la
Terre, elle décrira en 10 heures 20
min
.
un petit are de 100 parties, dont 1000
compoſent
le rayon de ſon orbite, &
336000
font
ſa diſtance du Soleil.
Or ſi pendant
ce
tems-là la Lune parcourt 100 parties de
ſon
rayon, il faut que (ſuivant la règle du
mouvement
circulaire dont nous avons fait
mention
page 372 lignes 3 &
4) comme
415390DE LA PHILOSOPHIE parties de ce dit rayon ſont à 100 (corde
qui
différe très-peu de l’arc en queſtion,)
de
même le nombre de 100 ſoit à 10, chûte
(uniforme) de la Lune vers la Terre.
Mais ſi
l’on
veut déterminer les chûtes de la Terre
&
de la Lune vers le Soleil, il faut ſe con-
former
aux règles données pages 268 &
269,
en
diſant par cette opération abregée:
.
Comme 1. (diſtance de la Lune à la Terre)
diviſé
par le quarré d’un mois périodique, eſt
à
337 diviſés par le quarré d’une année, ainſi
10
(chûte de la Lune vers la Terre) ſont à
19
, chûte de la Terre vers le Soleil;
. Com-
me
le quarré de 336000 eſt au quarré de
337000
, ainſi 19 (chûte de la Terre vers le
Soleil
) ſont à 19 {19/168}, chûte de la Lune vers
cet
Aſtre.
Il y a donc {19/168} d’une ſeule par-
tie
du rayon de la Lune, qu’il faut ôter de
10
parties du même rayon, pour trouver ſa
véritable
chûte vers la Terre, qui ſera ſeu-
lement
de 9 {149/168}, au lieu qu’elle ſeroit de 10,
ſans
l’action particuliére du Soleil ſur ce Sa-
tellite
.
Par la même raiſon, la diſtance de
la
Lune à la Terre, qui étoit de 1000 par-
ties
, ſe trouvera de 1000 {19/168};
ce qui con-
tribuera
encore plus à la dimunition de ſa
peſanteur
.
416391DE NEUTON.
Tandis que la Lune eſt encore ſi peu é-
loignée
de ſa Conjonction, la force qui la
pouſſe
vers la ligne des Syzygies n’a rien
de
conſidérable;
mais elle augmente à me-
ſure
que cette Planete approche de ſon
Quartier
.
Lorsqu’au contraire elle y eſt
parvenue
, cette ſeconde force, qui agit en
même
ſens que ſa peſanteur vers la Terre,
la
pouſſe toujours vers notre Globe, juſ-
qu’à
ce qu’étant dans ſon Oppoſition elle
ne
s’en trouve plus éloignée que de 1000
parties
.
Par le mêlange de ces deux forces, l’éloi-
gnement
de la Lune à la Terre, dans ſes
Quadratures
, ſera de 1023 à 1024 parties,
en
continuant le calcul que nous avons é-
bauché
ci-deſſus, &
en ſe ſouvenant de
l’obliquité
naiſſante de la configuration de
ce
Satellite avec le Soleil.
Au reſte nous
n’admettons
point encore ici d’excentrici-
, autrement l’orbite ſeroit toujours ova-
le
, quoique de largeur &
de figure diffé-
rentes
, ſelon la capacité de l’angle compris
entre
les deux lignes des apſides &
des
conjonctions
.
Car en ſuppoſant cet angle
Zero
, l’excentricité devient plus
417392DE LA PHILOSOPHIE que s’il étoit de 90 degrés, puisque le
grand
axe au premier cas eſt de 2000 &

au
ſecond de 2047.
Il eſt vrai que nos di-
menſions
ne ſont pas les mêmes que celles
de
Neuton;
mais comme ce grand Hom-
me
reconnoît, ſur la fin de ſa Préface, que
ſa
Théorie Lunaire a ſes imperfections,
nous
avons cru qu’il ſuffiſoit de nous atta-
cher
à ſes Principes, ſans nous aſſujettir
à
ſes meſures.
Quant aux Satellites qui compoſent l’an-
neau
de Saturne, on trouvera, par un pa-
reil
calcul, que le grand axe de leur Or-
bite
eſt au petit comme 1000 ſont à
1000
{1/94}, &
que par conſéquent cette même
Orbite
eſt 2250 fois moins ovale que celle
de
la Lune.
Mais pour raſſûrer ceux qui pour-
roient
douter que notre calcul ſoit con-
forme
aux Obſervations, revenons aux
excentricités
, que nous n’avons fait
qu’indiquer
ci-devant, &
faiſons voir, par
une
nouvelle ſupputation, qu’elles s’accor-
dent
avec les diametres apparens &
les
mouvemens
horaires de la Lune.
418393DE NEUTON.
Lorsque les Apſides tombent dans les
Syzygies
, la plus grande excentricité de
l’Orbite
étant, ſelon les plus fameux Aſtro-
nomes
, à la diſtance médiocre de la Lune
comme
67 ſont à 1000, on conçoit bien
que
l’Apogée eſt éloigné de 1067 de la
Terre
, &
le Périgée de 933. Par la même
raiſon
, quand les apſides ſont aux quadratu-
res
, l’excentricité en queſtion n’étant que
de
44, &
la diſtance médiocre de 1024,
celle
de l’Apogée à la Terre doit être de
1068
, &
celle du Périgée de 980.
Or le diametre apparent de la Lune dans
ſon
Apogée eſt, (à compter rondement) de
29
min.
40 ſec. & ne varie jamais qu’entre
1067
&
1068. Au contraire il varie tou-
jours
dans ſon Périgée depuis 34 min.
juſ-
qu’à
32 {1/2}, c’eſt à-dire en raiſon inverſe de
933
à 980.
Donc les diſtances de l’Apogée
&
du Périgée ſont préciſément, ſuivant no-
tre
calcul, en raiſon inverſe des diametres
apparens
, qu’on a trouvés juſqu’ici par les
Obſervations
.
Le mouvement horaire ne prouve
419394DE LA PHILOSOPHIE moins l’exactitude de ces rapports. Car
tant
que les aires décrites ſont égales, ces
mouvemens
ſont par-tout en raiſon inverſe
des
quarrés des diſtances.
Ainſi comme le
quarré
de 933 eſt à 29 min.
20 ſec. (horai-
re
de l’Apogée) de même le quarré de 1067
eſt
, ſelon les Obſervations, à 38 minutes,
horaire
du Périgée dans les Syzygies.
Et
ſi
le quarré de 980 donne 29 min.
20 ſec. ,
celui
de 1067 en donnera, conformément
aux
Obſervations, 35 d’horaire du Périgée
dans
les Quadratures.
On voit auſſi que, par les mêmes loix de
la
gravitation vers le Soleil, la Lune qui
n’eſt
pas dans l’Ecliptique, s’en doit appro-
cher
juſqu’aux Syzygies;
parce que, ſelon
l’angle
de ſon orbite avec la nôtre, ſa Lati-
tude
devient toujours moindre qu’elle ne
devroit
être.
Cet angle diminue donc à
chaque
inſtant, &
au lieu que dans les
Quadratures
, près des nœuds, il étoit de 5
degrés
18 min.
il n’eſt que de 5 degrés dans
les
Conjonctions comme dans les Oppo-
ſitions
;
ce qui rend la ſurface de l’orbite
curviligne
.
Si au contraire les nœuds ſe
trouvent
dans les Syzygies, l’action du
420395DE NEUTON. leil ne diminue point les Latitudes, l’angle
en
queſtion demeure toujours le même, &

l’orbite
devient une ſurface plane.
Quant
à
leur mouvement, il eſt alors d’une extrê-
me
lenteur, parce que l’action du Soleil,
qui
eſt, pendant un tems aſſez conſidérable,
preſque
parallèle à la diſtance de la Lune
&
de la Terre, ne ſe ralentit guère; mais
il
n’en eſt pas de même des Quadratures,
ils rétrogradent conſidérablement.
Car
la
Lune les rencontre chaque mois environ
trois
heures plutôt, ſur-tout au milieu de
ſon
Croiſſant auſſi-bien que de ſon Decours,
la différence de ſa gravitation &
de cel-
le
de la Terre vers le Soleil augmente &

diminue
plus vîte que par-tout ailleurs.
La préceſſion des Equinoxes eſt encore
11Mouve-
ment

des
Po-
les
de la
Terre
,
p
. 295.
auſſi-bien que la rétrogradation des nœuds
un
effet de ces inégalités, quoique beau-
coup
plus lente, parce que la quantité de la
matiére
terreſtre, qui eſt ſous l’Equateur,
différe
très-peu de celle des Méridiens, &

que
ce petit excédant, ſous l’Equinoxiale,
tient
la place d’un Satellite, ou d’un anneau
tel
que celui de Saturne.
421396DE LA PHILOSOPHIE
Ii y a quelques autres cauſes qui rendent
le
mouvement des Satellites un peu irrégu-
lier
, mais dont l’effet n’eſt guére conſidé-
rable
que par rapport à eux.
On a remar-
qué
que l’Apogée du premier &
du quatriè-
me
Satellites de Jupiter eſt conſtamment le
même
que celui de cette Planete, &
que
ce
n’eſt qu’après pluſieurs révolutions de
celle-ci
que l’orbite du troiſième ſe retrou-
ve
à la même inclinaiſon.
Auſſi les nœuds
de
ces quatre petites Etoiles n’ont-ils point
varié
, du moins depuis plus de cent ans
qu’il
y a qu’on les obſerve.
En un mot,
toutes
ces inégalités n’approchent pas de
celles
de la Lune, ſans parler de ſa rota-
tion
, qui différe conſidérablement de celle
qu’on
a cru appercevoir dans les autres Sa-
tellites
.
Après avoir parcouru tous ces différens
mouvemens
, nous ne pouvons guère nous
diſpenſer
d’en indiquer la cauſe.
Elle n’eſt
pas
ſi obſcure que bien des gens pourroient
ſe
l’imaginer.
La voici en peu de mots:
le nombre & la proximité des Satellites
font
que leur attraction réciproque l’em-
porte
beaucoup ſur l’action du Soleil.
422397DE NEUTON. il eſt aiſé de juger que l’anneau de Satur-
ne
doit extrêmement déranger les Satelli-
tes
qui font leurs revolutions autour de lui,
ſur-tout
les plus petits &
les plus excentri-
ques
.
On conçoit pareillement que l’attrac-
tion
de cet anneau doit retarder conſidéra-
blement
la chûte des corps ſur la ſurface de
Saturne
.
Enfin, l’exemple du flux & du re-
flux
de la Mer ne nous permet pas de dou-
ter
de cette vérité.
Car il s’enſuit de tout ce
qui
a été dit au Chapitre XVIII.
, que la
peſanteur
du centre de la Terre vers la Lu-
ne
eſt toujours la même;
au lieu que les
eaux
qui ſe trouvent entre ce centre &

cette
Planete, y ſont attirées avec plus de
vîteſſe
, que lorſque le tournoyement jour-
nalier
de la Terre les a fait paſſer au point
diamétralement
oppoſé.
Voilà ce que nous avions à dire des princi-
paux
effets de l’Attraction Neutonienne, telle
que
ce fameux Mathématicien l’a imaginée,
en
la regardant comme la cauſe unique de la
réfraction
de la Lumiére, &
comme le premier
reſſort
du Méchaniſme de l’Univers.
Il eſt
vrai
qu’en qualité de Philoſophe, il lui
423398DE LA PHILOSOPHIE ſigne un empire bien plus vaſte dans la Na-
ture
, en réduiſant ſous ſes loix toutes les
opérations
de la chaleur, le mêlange des
Mixtes
, leur décompoſition, &
l’électri-
cité
qu’on remarque dans l’ambre, le dia-
mant
, la cire d’Eſpagne &
autres corps de
cette
nature;
mais nous n’entrerons point
dans
ce détail, parce qu’il nous meneroit
trop
loin, &
qu’il n’a aucun rapport à la
Géométrie
, que nous n’avons point perdu
de
vûe dans tout cet Ouvrage.
Nous
le
finirons donc ſans parler de la dou-
ble
réfraction du Cryſtal d’Iſlande, de la
diminution
de la denſité &
de l’élaſticité de
l’air
, de la ténacité des milieux viſqueux,
dans
leſquels peut ſe mouvoir un corps
quelconque
, ni de pluſieurs autres matiéres
ſemblables
.
C’eſt par la même raiſon, que
nous
n’avons touché que legérement cer-
taines
choſes, comme la préceſſion des E-
quinoxes
&
le retour périodique des Ma-
rées
;
Phénomênes il faut qu’il y ait en-
core
quelqu’autre cauſe mixte, qui a été
inconnue
juſqu’ici.
Car ſi l’on ignore ce
qui
fait l’égalité du mouvement des points
Equinoxiaux
de Jupiter &
des nœuds de
424399DE NEUTON. Satellites, l’on ne ſait pas plus pourquoi le
flux
&
le reflux de la Mer ſuivent plutôt
le
moyen que le vrai mouvement de la
Lune
.
Du moins faut-il convenir, que la
concurrence
des actions du Soleil &
d’un
Satellite
ſur la Planete principale dans les
Sizygies
, ou leur différence dans les Qua-
dratures
, ne ſauroit rendre raiſon de ces
deux
expériences.
123[Figure 123]
425ERRATA.
Le Lecteur eſt prié de corriger les en-
droits
marqués ci-deſſous, ſans quoi il ne
pourroit
pas quelquefois trouver le ſens de
l’Auteur
.
11
Page
. # Ligne. # Faute. # Correction.
4
# 6 # un fauſſe # une fauſſe
23
# 5 # le Nature, # la Nature,
29
# 6 # yon, # point de virgule.
46
# 2 # A, B, C. # A, B.
53
# 1 # B, A, C. # B & C.
73
# dern. # huit # quatre
74
# 2 # quatre # huit
78
# 20 # à deux # à huit
79
# 8 # deux pieds # huit pieds;
105
# 15 # Or qu’elle # Or quelle
128
# dern. # La rayon # Le rayon
148
# 3 # de courbes # de droites infiniment \\ petites
182
# # Dans la Planche \\ au-deſſus de Si, {3/4} \\ & au-deſſus de La, {1/3} # {3/5} \\ {2/3}
192
# 4 # récipent # récipient
198
# 15 # ſe meuvent & agiſſent # ſe mouvoient & agiſ-ſoient
237
# 10 # qu’el # qu’elle
246
# 4 # S, B, A. S, H, B. # S, B, A. S, C, B.
259
# 5 # dans Jupiter # dans les Satellites de \\ Jupiter
267
# 23 # la Soleil # le Soleil
269
# 1 # elliplique # elliptique
281
# 11 # 27 # 24
289
# 1 # 27 # 24
289
# 3 # plus denſe # Après denſe ajoutez une \\ virgule & ces mots: & \\ que le diametre du \\ Soleil ſurpaſſe ſeu- \\ lement 97 fois & de- \\ mi celui de la Terre.
289
# 6 # 413 # 350
295
# dern. # Chap. ſuivant. # Chap. XXV.
426
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