Ufano, Diego, Artillerie, ou vraie vraye instruction de l artillerie et de ses appartenances : contenant une declaration de tout ce qui est de l' office du General d icelle, tant en un siege qu en un lieu assiege; Item des batteries, contre-batteries, ponts, mines et galleries, et de toutes fortes de machines requises au train, 1628

Bibliographic information

Author: Ufano, Diego
Title: Artillerie, ou vraie vraye instruction de l artillerie et de ses appartenances : contenant une declaration de tout ce qui est de l' office du General d icelle, tant en un siege qu en un lieu assiege; Item des batteries, contre-batteries, ponts, mines et galleries, et de toutes fortes de machines requises au train
Year: 1628
City: Roven
Publisher: Iean Berthelin
Number of Pages: 144, 6 S. : Ill., 27 Taf.

Permanent URL

Document ID: MPIWG:8ZEP2H2C
Permanent URL: http://echo.mpiwg-berlin.mpg.de/MPIWG:8ZEP2H2C

Copyright information

Copyright: Max Planck Institute for the History of Science (unless stated otherwise)
License: CC-BY-SA (unless stated otherwise)
Table of contents
1. Page: 0
2. ARTILLERIE, OV VRAYE INSTRVCTION DE L’ARTILLERIE ET DE SES APPARTENANCES. Page: 5
3. AROVEN, Chez Iean Berthelin, dans la Court du Palais. M. DC. XXVIII. Page: 5
4. PREFACE AV LECTEVR. Page: 7
5. TRAICTE´ DE L’ARTILLERIE ET VSAGE D’ICELLE FAICT ET PRATIQVE´ ES GVERRES DE FLANDRES. Par DIE GO VFANO VELASCO Capitaine de l’Artillerie au Chaſteau d’Anuers. CHAPITRE I. Auquel est declaré, qui, & d’où a esté le premier inuenteur de la poudre de canon & de l’Artillerie. Page: 9
6. CHAP. II. Auquel eſt declaré en quelle Prouince de P Europe l’Artillerie a premie-rement esté miſe en œuure. Page: 14
7. CHAP. III. Deſcription des premieres pieces qui furent forgées de fer. Page: 14
8. CHAP. IIII. Deſcription de quelques autres pieces de fer. Page: 19
9. CHAP. V. Du commencement & forme des pieces de Bronze. Page: 19
10. CHAP. VI. Deſcription de quelques fontes de la premiere, ſeconde & troiſiéme ſorte, auec l’inſtruction touchant le renforcement ou amoindriſſe-ment d’icelles. Fig. 2. Page: 20
11. I. Table des couleurines ordinaires ou renforcées, en laquelle le premier nombre monξtre le poids; le ſecond, la portée; ſelon la mire commune, qui ſe prend rez les metaux; la troiſiéme, celle qui ſe prend par le niueau de l’ame; & la quatriéme, celle de la plus haute éleuation. Page: 27
12. II. La ſeconde Table monſtrant combien les pieces amoindries ſont außi moindres en la portée. Page: 28
13. Exemple de pratique parfaicte. Page: 28
14. Ayant traitté des pieces legitimes, tant communes qu’amoindries, & renforcées: Ie diray außi quelque choſe des pieces illegitimes & baſtardes, qui ſθnt plus grandes au calibre, mais moindres en longueur que les communes. Page: 28
15. Table des pieces baſtardes renforcées. Page: 30
16. Table des pieces baſtardes amoindries. Page: 30
17. Particuliere declaration des pieces extraordinaires, compriſes au premier genre de l’Artillerie. Page: 31
18. Table des pieces renforcées extraor dinaires. Page: 32
19. Table des pieces amoindries extraordinaires. Page: 32
20. Deſcription des pieces du ſecond genre, à ſçauoir de toutes ſortes de canons-de batterie, grands & petits ſelon leur eſpece. Page: 32
21. Deſcription de quelques pieces notables, qui du paßé ayans eſté envſage, maintenant pour memoire ſont gardées en quelques fameuſes villes & chaſteaux. Page: 39
22. CHAP. VII. Inctruction tres-vtile pour fondre les pieces parfaites, & ſans defaut. Page: 40
23. Legitimes. Page: 44
24. Bactardes. Page: 45
25. Extraor dinaires. Page: 45
26. Renforcées. Page: 45
27. Communes. Page: 45
28. Amoindries. Page: 51
29. Quelques canons de l’Empereur Charles V. qui ſont les meilleurs qui ſe trouuent pour le preſent. Page: 51
30. CHAP. VIII. La raiſon pour laquelle pluſieurs pieces ont esté refonduës pour estre reduites à vne ſeule fonte ou forme bien proportionnée. Page: 53
31. CHAP. IX. Declaration de la fonte moderne à preſent vſitée. Page: 55
32. SECONDE PARTIE EN LAQVELLE PAR VNE AMIABLE CONFERENCE ENTRE VN NOVVEAV General & vn Capitaine bien experimenté, ſont deduites pluſieurs choſes appartenantes tant au train de l’Artillerie qu’à l’office du General. DIALOGVE I. Propoſition des demandes & choſes cy apres à traitter. Page: 57
33. DIALOGVE II. Premiere question de la charge & qualité du Generalde l’ Artillerie. Page: 58
34. DIALOGVE III. Seconde question des prouiſions pour vne armée accompagnée de trente pieces d’artillerie. Page: 65
35. Project de toutes ſortes de munitions deſquelles il faut que les arſenacs ſoient touſiours pourueus aſin que l’occaſion ſe preſentant, de faire marcher l’armée à l’improuiſte, il n’y aye point de defaut des choſes neceſſaires. Boulets. Page: 67
36. Hardes des pionniers, & autres. Page: 67
37. Pour l’Artillerie. Page: 68
38. Note de la prouiſion de l’attelage pour trente pieces d’artillerie, tirées en campagne. Page: 70
39. Du poids des armes & distribution d’iceluy és chariots. Page: 72
40. DIALOGVE IIII. Des offices & perſonnes du train de l’ Artillerie. Page: 74
41. DIALOGVE V. De l’oblig ation de chacun de ces officiers, & premierement de l’office du General, de ce qui y eſt requis, & comment il ſe doit acquitter de ſa charge. Page: 74
42. DIALOGVE VI. De ce qui est requis d’vn General de l’Artillerie au ſiege de quelque place. Page: 88
43. DIALOGVE VII. La deſcription des autres charges appartenantes au train de l’Artillerie, & de l’obligation que chacun y a en la ſienne. Page: 92
44. DIALOGVE VIII. Leſquelles pieces ſeront les plus fortes & vtiles, celles qui ſont en campagne, ou celles qui ſont logées au baut des murailles d’vne ville. Page: 98
45. DIALOGVE IX. Des pieces eſgalles, quelle pouſſera ſon boulet plus loing, celle qui eſt logée au baut d’vne tour, ou celle qui eſt logée au pied d’icelle. Page: 103
46. DIALOGVE X. Comment pour battre vne place il faut loger l’Artillerie. Page: 110
47. DIALOGVE XI. Comment it faut deffendre vne ville aßiegée, & quelle prouiſion y est requiſe des munitions pour ſa deffenſe. Page: 113
48. DIALOGVE XII. Comment ſe doit gouuerner vn General de l’Artillerie, ſe trouuant aßiegé en telle place. Page: 121
49. DIALOGVE XIII. Comment on logera des pieces en batteries ſecrettes. Page: 126
50. DIALOGVE XIIII. Commcnt il faut loger les pieces au defaut de terre. Page: 127
51. DIALOGVE XV. Comment au defaut de tous moyens on doit faire vne batterie de ſacs de laine. Page: 134
52. DIALOGVE XVI. Comment on fait vne batterie des pieces enterrées. Page: 135
53. DIALOGVE XVII. Comment on doit faire vne contrebatterie en vn baſtion, de laquelle ſans aucune crainte d’eſtre deſcouuert on peut demonter toutes les pieces de l’ennemy. Page: 142
54. DIALOGVE XVIII. Comment on doit battre la pointe d’vn bastion, & les deffences qui ſe peuuent faire en iceluy. Page: 143
55. DIALOGVE XIX. Si vn boulet donnant en la poudre, l’allumera. Page: 147
56. DIALOGVE XX. Comment il faut eſleuer le canon & la couleurine, pour voir qui tirera plus loing. Page: 154
57. DIALOGVE XXI. Eſpreuue d’vn canon tirant 24. liures de fer contre une couleurine de 13. liures, faite au chaξteau d’Anuers par le cbaſtelain Auguſtin de Mexia & le maiſtre du camp Ieroſme Monroy, enl’année 1601. Page: 157
58. DIALOGVE XXII. Comment au defaut des cbeuaux, & du moyen de les atteler, on pourroit tranſporter l’ Artillerie auec les pionniers & autres ouuriers. Page: 161
59. DIALOGVE XXIII. Comment il faut remplir un foßé, afin qu’on puiſſe s’approcher de la breſche. Page: 163
60. DIALOGVE XXIIII. Comment on tirera vn nauire noyé auec ſon Artillerie, & tout ce qui e§t dedans l’eau. Page: 164
61. DIALOGVE XXV. De la qualité des pieces, & de l’alliage & temperature des metaux d’icelles. Page: 169
62. DIALOGVE XXVI. Comment les metaux ſont departis en la fonte, afin que la piece ſe tienne droite, ſans ſe renuer ſer ſur ſa bouche, quand on la deſcharge. Page: 171
63. DIALOGVE XXVII. Comment ayant l’ennemy en queuë on fera paſſer vn fleuue à toute vne armée ſans aucun danger. Page: 172
64. CHAPITRE I. De la façon des chandeliers & des blindes, pour la couuerture tant des batteries, que de ceux qui ſont icy. Page: 174
65. CHAP. IIII. La façon des petites & grandes ſanlſices, qui en a eſté Pinue nteur, & le ſeruice quon en a eu au ſiege d’Ostende. Page: 175
66. CHAP. III. Comment il faut conduire vne mine, & faire vne gallerie en vn foßé. Page: 182
67. CHAP. IIII. Comment pour quelque entrepriſe on peut faire vn pont cn vn bateau. Page: 183
68. CHAP. V. Comment en vn grand ſteuue on peut armer ſur des bateaux vn grand pont pour paſſer non ſeulement l’ Infanterie, mais außila Caualerie, voire l’Artil-lerie, auec tout ſon chariage. Page: 187
69. CHAP. VI. Comment & auec quels inſtrumens on peut rompre les treillis & portes, tant de fer que de bois. Fig. 16. γ. Page: 192
70. CHAP. VI. La maniere de charger & attacher vn petard. Fig. 13. β. Page: 193
71. Fin du ſecond Traicté. Page: 193
72. COMPRENANT TOVTES SORTES DE LECONS POVR INFORMER VN Canonnier de pluſieurs choſes neceſſaires à ſa perfection. CHAPITRE I. Comment par raiſons aſſeurées le Canonnier cognoiſtra ſi la piece eſt bien faite, & ſous quelle eſpece elle est compriſe. Page: 197
73. CHAP. II. Comment il faut meſurer vne piece. Page: 205
74. CHAP. III. Comment il faut faire les chargeoirs pour toutes ſortes de pieces. Page: 208
75. CHAP. IIII. Comment on fait les patrons & ſachets pour charger vne piece en haste, & ſans chargeoir. Page: 214
76. CHAP. V. Comment le canonnier entendra la reigle du calibre, pour prendre ſes boulets propres pour la piece, auec le vent requis. Page: 215
77. CHAP. VI. Comment il faut recognoiſtre la poudre. Page: 220
78. CHAP. VII. Comment le fuſt doit eſtre fait & conditionné. Page: 220
79. CHAP. VIII. Deſcription du guindal ou cbeure, & autres instrumens pour le ſeruice des pieces. Page: 229
80. CHAP. IX. Comment on monte la piece ſur ſon fuſt. Page: 230
81. CHAP. X. Comment il faut charger vne piece. Page: 231
82. CHAP. XI. Comment il faut pointer vne piece & amender les coups mauuais. Page: 232
83. CHAP. XII. Comment on prend la mire du niueau de l’ame, & comment il faut entendre ce terme. Fig. 7. β. γ. Page: 233
84. CHAP. XIII. La forme & proportion du quadrant, auec l’inſtruction comment on en doit vſer tant és grandes pieces qu’aux mortiers. Page: 242
85. CHAP. XIV. Comment on doit monter vne piece ſur vne baute & aſpre montagne. Page: 252
86. CHAP. XV Comment le canonnier ſe doit gouuerner pour faire vn coup bien certain. Page: 253
87. CHAP. XVI. Deſcription de quelques machines appartenantes à l’Artillerie, & deſquelles on ſe peut ſeruir auec grand profit en vne armée. Page: 255
88. CHAP. XVII. La maniere de compoſer toutes ſortes de feux artificiels. Page: 256
89. CHAP. XVIII. Autre compoſition pour en remplir des boulets, bombes & ſachets. Page: 257
90. CHAP. XIX. Comment les boulets à feu doiuent eſtre formez & chargez. Page: 257
91. CHAP. XX. Comment les pots de feu & boulets à la main ſont faits. Page: 259
92. CHAP. XXI. Comment ſe trouuant aſſiegé en vn lieu on iette des boulets de feu pour eſclairer la campagne. Page: 266
93. CHAP. XVII. Pour faire des boulets ardans en l’eau. Page: 267
94. CHAP. XXIII. Comment on peut mettre le feu en quelque endroit, ou le ietter ſur l’ennemy aſſaillant. Page: 273
95. CHAP. XXIIII. Comment les meſches pour allumer les boulets, bombes & autres feux artificiels doiuent estre preparées. Page: 273
96. CHAP. XXV. Comment on peut repouſſer l’ennemy ectant proche du pied de la muraille, & de telle façon à couuert qu’on ne le peut endommager d’aucunes armes offenſiues. Page: 274
97. CHAP. XXVI. Compoſition de toutes ſortes de feux artificiels, de ſalues & de ioye. Page: 275
98. CHAP. XXVIII. Deſcription de quelques roues artificielles, & de la maniere de les compoſer. Page: 282
99. CHAP. XXVIII. Comment on fait vn dragon volant, & vne fusée qui s’en va & retourne ſur vne corde. Page: 283
100. CHAP. XXIX. Comment on fera vn Deuideur & un Chaſteau, & vne bombe de feu artificiel de grand contentement. fig. 26. β. Page: 287
101. CHAP. XXX. Comment on fait vne ſpbere de feu, & on garnit des rondaſſes de feu artificiel pour décorer vn tournoy. Page: 288
102. CHAP. XXXI. Examen d’ vn Canonnier pretendant la place d’ vn Connes§table. Page: 289
103. Fin de l’ Artillerie. Page: 296
104. QVELQVES ADVER TISSEMENS DEPENDANS DE L’AR TILLERIE, DESQVELS on ſe peut ſeruir en diuerſes occurrences. PREMIER ADVER TISSEMENT. Comment vn bon Capitaine ayantreceu commandement d’eſcbeller quelque ville ou fortereſſe ſe doit pouruoir. Page: 297
105. SECOND ADVERTISSEMENT. Du ſoing que doit auoir le Lieutenant du General de l’ Artillerie, en cas qu’il fuſt enuoyé, pour demander quelques pieces, comme außi celuy qui les doit conduire, à ſçauoir de ſe pouruoir de tout ce qui y est requis, tantpour le ſeruice deſdites pieces, que de l’armée. Page: 298
106. TROISIESME ADVERTISSEMENT. Pour le General de toute l’armée. Page: 299
107. QVATRIESME ADVERTISSEMENT. Conſider ation du General de l’ Artillerie voulant battre quelque place. Page: 300
108. CINQVIESME ADVERTISSEMENT. Comment vn lieu auantageux doit estre prins & gardé pour vn temps à la legere. Page: 300
109. SIXIESME ADVERTISSEMENT. Du ſoing que doit auoir le Gouuerneur d’vne place, touchant les munitions de guerre. Page: 301
110. FIN. Page: 302
1
[Empty page]
2
[Empty page]
311[Handwritten note 1]
4
[Empty page]
5 1[Figure 1]
ARTILLERIE,
OV

VRAYE
INSTRVCTION
DE
L’ARTILLERIE ET DE
SES
APPARTENANCES.
CONTENANT VNE DECLARATION
de
tout ce qui eſt de l’office du General d’icelle, tant
en
vn ſiege qu’en vn lieu aſsiegé.
Item des batteries,
contre
.
batteries, ponts, mines & galleries, & de
toutes
ſortes de machines requiſes au train.
Auec vn enſeignement de preparer toutes ſortes de feux arti-
ficiels
, tant pour reſiouyr les amis, que pour moleſter &

endommager
&
par eau & par terre les ennemis.
Le tout recueilly de l’experience, és guerres du Pays bas,
&
publié en langue Eſpagnolle.
Par Diego Vfano Capitaine de l’Artillerie
au
Chaſteau d’Anuers.
Et de nouueau traduiten langue Françoiſe, & orné
de
belles &
neceſſaires figures.
2[Figure 2]
AROVEN,
Chez
Iean Berthelin, dans la
Court
du Palais.
M. DC. XXVIII.
622[Handwritten note 2]33[Handwritten note 3]44[Handwritten note 4]55[Handwritten note 5]
7 3[Figure 3]
PREFACE AV LECTEVR.
D’AVTANT (amy Lecteur) qu’en toutes occurrences, les iuge-
mens
des hommes ſont bien diuers, &
que meſmes ſouuentesfois les
eſprits
plus vifs &
delicats, ſont tellement tranſportez, qu’aupara-
uant
de receuoir entiere inſtruction ils ſe plaignent trop toſt de quel-
ques
fautes imaginaires:
Ie n’ay voulu obmettre (deuant d’eſtre re-
pris
, pluſtoſt designorans &
incapables, que de ceux qui entendent
quelque
choſe, de quelques petites &
legeres fautes, qui facilement
peuuent
aduenir) de t’aduertir librement, que s’il eſtoit neceſſaire que l’Autheur de ce
Traicté
fut auſſi adroit à eſcrire, comme il eſt aſſeuré &
experimenté és choſes de guer-
re
, leſquelles il propoſe ſimplement &
ſelon la portée de ſa qualité: on le pourroit bien
accuſer
de temerité, de ce que de main ſi legere, ſi pauure d’eſprit &
de plume, il entre-
prend
d’eſcrire d’vne matiere ſi exquiſe.
Mais comme chacun ſçait, que manier propre-
ment
, dextrement &
courageuſement les armes, & en eſcrire (choſe que nous recom-
mandons
aux hiſtoiriens) auec pluſieurs ornemens de paroles, ſont choſes bien diuer-
ſes
.
Ainſi le prudent Lecteur ne trouuera eſtrange, ſi en cette œuure en laquelle nous
auons
plus égard a la ſimple verité, confermée par l’experience, qu’à quelques orne-
mens
de paroles exquiſes.
S’il ſerencontre quelque petite faute, quinon ſeulement par
moy
, mais auſſi par l’inaduertance des eſcriuains &
tranſlateurs pourroit auoir eſté com-
miſe
:
Ie le prie qu’il ne ſoit trop haſtif à iuger, ains modere le iugement auec diſcretion
requiſe
, conſiderant que ce n’eſt pas ambition &
conuoitiſe de vaine gloire, mais vne
ſincere
intention de ſetuir ſelon mon pouuoir à la poſterité, en matiere pour le preſent
ſi
neceſſaire, qui m’a pouſſé à cette publication, comme celuy qui ayant longuement
manié
l’Artillerie &
appris par longue experience, ſinon le tout, pour le moins vne
bonne
partie de ce quiy eſt requis, &
ce ſous des Generaux, leurs Lieutenants, Canon-
niers
&
autres ſemblables, les plus curieux & diligens qu’on aye cognuiuſques à pre-
ſent
, ne permettra, s’il peut, qu’vne ſcience ſi noble &
vtile demeure cachée en l’ob-
ſcurité
de l’ignorance:
ains trauaillera de tout ſon pouuoir, à ce que pour le bien de
ceux
qui la requierent, &
l’honneur de ceux qui ont eſté ſes Maiſtres, elle volle & ſoit
cognuë
par tout le monde.
Ioint que celuy qui s’en voudra ſeruir, combien qu’il aye acquis de grandes experien-
ces
en ces affaires, ne ſe doit contenter de le lire en haſte:
mais le liſant attentiuement,
dés
le commencement iuſques à la fin, ſans faute aucune s’en réjouyra du fruit, y trou-
uant
non ſeulement la theorie, mais auſſi la practique &
experience, pour s’en ſeruir
auec
honneur quand beſoin en ſera.
Et de faict, cette ſcience eſt de telle condition, que par le moyen d’icelle, tant le
Noble
, que celuy qui eſt de baſſe qualité ſe peut acquerir honneur &
reputation: veu
que
tant plus curieuſement il s’exerçera en icelle, tant plus il ſe fera aimer de ſon Ge-
neral
ou Superieur, qui ne faudra de le fauoriſer &
auançer plus que les autres en toutes
occaſions
, comme celuy qui eſt plus digne &
duquel il ſe peut ſeruir en pluſieurs & di-
uers
affaires, entendant tant ce qui eſt requis és charges &
offices des autres, que ce qu’il
doit
faire en la ſienne propre.
Comme pour exemple: C’eſt de l’office de l’lngenieur,
de
meſurer les diſtances, traçer les trenchées, dreſſer des plates-formes, &
autres ſem-
blables
choſes appartenantes a la deffence &
fortification. Mais ſi auec cela il a auſſi la
cognoiſſance
des appartenantes au Gentil-homme qui a en charge l’Artillerie, a
8PREFACE. de ſi bien placer les pieces, que ſans aucune perte il puiſſe librement offencer l’ennemy, cela ne luy ſera à deshonneur, ains à grand honneur & aduantage. Et comme il en eſt de l’Ingenieur, ainſi en eſt-il auſſi du Gentil-homme, qui ne doit auoir honte de s’enque- rir ſur les poincts de l’Ingenieur, pour en faire ſon proſit auec honneur, l’occaſion ſe preſentant: Voire meſmes le Conneſtable doit faire eſtat de ſçauoir les deſpendances de tous les autres offices, pour ne point eſtre impertinent ou inhabile au ſien propre, comme neceſſairement il aduient ſouuentesfois, & ce non ſans danger à ceux qui eſtans nonchalans ne ſe ſoucient que de ce qui leur eſt impoſé.
A inſi eſt-ce vne choſe bien ſeante, vtile & honorable au Canonnier de ſçauoir non
ſeulement
comment il doit charger, bracquer, dreſſer, donner feu à ſes pieces, mais
auſſi
(ce qui autrement appartient au Conneſtable) qu’il cognoiſſe la qualité d’icelles,
qu’il
ſçache traçer bien proprement &
proportionnellement toutes ſortes de pieces, les
ſçache
deuëment repartir ſelon leurs parties, pour de cognoiſtre proprement la force
&
portée d’icelles, & prendre entiere inſtruction comment il les faut manier, en ſorte
qu’elles
ne luy refuſent rien au beſoing.
Semblablement qu’il ſoit adroit à preparer à
chacune
piece ſa cueiller, auec le manche &
bouton, & trouuer promptement à cha-
cune
ſon boulet entre les autres munitions, le tout auec air competent:
& que de la par-
tition
de la piece il entende bien la bonté ou faute d’icelle, qu’il ne luy donne non plus
de
poudre qu’il luy en faut.
Toutes ces choſes luy reuſſiront en telle ſorte, que ſon Gene-
ral
le tenant pour accomply, ſe fiera en luy en ſes entrepriſes, &
auſſi luy meſme en aura
cet
aduantage, que ſans dépendre d’autruy il ſera aſſeuré des deffences de ſa batterie, &

eſtant
pourueu de bonnes pieces s’acquittera de ſa charge auec honneur.
Finalement ie dis, qu’il ne doit tenir en petite eſtime la ſcience de preparer toutes
ſortes
de feux artificiels, tant pour paſſer le temps, que pour en endommager l’ennemy,
quand
l’occaſion s’en preſentera:
car comme pour dreſſer ſubitement quelques engins
de
guerre, on ne trouue pas touſiours &
en tous lieux des Ingenieurs propres: ainſi en
telles
occurrences, on ne rencontre pas touſiours gens qui ſçachent le maniement de ces
feux
.
Dont le Canonnier pour acquerir tant plus de loüange doit rechercher auec plai-
ſir
cette ſcience, pource que non ſeulement c’eſt vn exercice militaire, mais auſſi parti-
culier
, ce qui eſtant conjoint à ſa profeſſion, monſtre quant &
quant l’habileté & viuaci-
de l’eſprit.
Et principalement ſe doit eſtudier à toutes ſortes d’inuentions de feux de
joye
ou de ſalves bien ordonnées, pour le contentement de ſon General, qui en receuant
ſon
Prince ou quelque autre Seigneur, luy voudroit faire l’honneur de quelque ſalve
royalle
.
Car autrement à la honte tant du Conneſtable que des autres ayans en charge la
poudre
&
l’Artillerie, il luy faudra chercher entre le commun des gens qui en ſçachent
l’ordre
&
l’execution.
Or de toutes ces choſes, le Lecteur diſcret & diligent trouuera entiere information
en
ce Traicté, auquel non ſeulement chacune en particulier eſt deſcrite en ſon lieu &

chapitre
à part, mais auſſi experimentée &
demonſtre par belles figures: & ce ſinon en
grande
parade d’eloquence:
pour le moins en toute ſimplicité & rondeur, de laquelle il
cognoiſtra
l’affection &
deſir que l’Autheur a de ſeruir à vn chacun.
91 4[Figure 4]
TRAICTE´
DE
L’ARTILLERIE
ET
VSAGE D’ICELLE FAICT
ET
PRATIQVE´ ES GVERRES
DE
FLANDRES.
Par DIE GO VFANO VELASCO Capitaine de l’Artillerie
au
Chaſteau d’Anuers.
CHAPITRE I.
Auquel est declaré, qui, & d’où a esté le premier inuenteur de la poudre
de
canon & de l’Artillerie.
M’AYANT offert de deſcrire toutes ſortes de pieces d’artillerie tant
anciennes
que modernes, ne ſera hors de propos pour rendre toute l’œu-
ure
accomplie, que premierement ie declare à ſuffi ſance, par qui, ou &

comment
cette tant horrible inuention fut produite en lumiere, &
en
quel
lieu de l’Europe cette ſi eſpouuentable machine a eſté premiere-
ment
miſe en œuure, ſelon que par les plus autentiques Autheurs tant
anciens
que modernes il eſt approuué &
certifié. Or cette diabolique
inuention
de la poudre de canon fut produite d’vn moine de la nation Germanique,
grand
Philoſophe &
Alchymiſte, duquel le nom par ſa deſauenture demeure caché.
Combien qu’il y en a d’autres qui ſont de diuerſe opinion, diſans que l’inuention & vſage
tant
de l’artillerie que de la poudre a eſté d’ancienneté au grand Royaume de la Chine.

Ce
qui ſe void par vne relation que le Reuerend.
Pere Fr. Andrieux d’Aquirre, Prouin-
cial
de l’Ordre S.
Auguſtin és Iſles Philippines, enuoya au Fr. Pedro de Roxas fils du
Marquis
de Poſſa ſon intime amy, luy racomptant tout au long &
par le menu les mer-
ueilles
&
choſes notables dudit Royaume. En icelle il dit, qu’en l’an de noſtre Sei-
gneur
85.
cette inuention eut ſon commencement en ces quartiers, & qu’en aucunes
Prouinces
maritimes dudit Royaume on trouuoit encores pour le iourd’huy quelques
pieces
d’artillerie fort anciennes de telle façon &
porportion tant de fer que de cuiure,
auec
memoire de l’année de leur fonte &
engraueure du nom, des armes & blaſon du Roy
Vitey
, qui en fut l’inuenteur.
Et qu’on ſçait par monumens des hiſtoires anciennes &
102Premier Traicté ritables que ledit Roy grand nigromancien & enchanteur, apres auoir coniuré par ſes en-
chantemens
le malin eſprit, qu’il luy en montraſt la façon &
l’vſage, fut le premier qui en
vſa
contre les Tartares au Royaume de Pegu &
en la conqueſte des Indes Orientales. Le
meſme
eſt raconté par quelques Portugais qui ont nauigé &
coſtoyé ces quartiers: com-
me
auſsi par le Pere Herrada &
ſes compagnons. Ets’accorde fort bien auec vne lettre du
Capitaine
Artrede au Roy noſtre Sire, l’auiſant &
luy racomptant en grande diligence
toutes
les particularitez de ce grand Royaume, diſans qu’en tous ces quartiers-là, on vſe
de
meſmes armes &
de l’artillerie comme par deçà, & que dés long temps on y trouue
quelques
vieilles piedrieres mal faictes:
que les fontes modernes ſont de meilleure façon
&
eſtoffe que celles de par deçà, & beaucoup plus fortes & durables: qu’en chacune ville
il
y aarſenal, auquel entre autres choſes on prepare la poudre &
fond l’artillerie: Et que
l’artillerie
n’eſt point colloquée es chaſteaux &
fortereſſes comme par deçà, mais ſur les
portes
des villes enuironnées de fortes &
hautes murailles, & des larges & profonds foſ-
ſez
, qu’ils peuuent facilement remplir d’eau des fleuues voiſins, &
ſont eſtimées les prin-
cipales
fortereſſes du Royaume.
Il dit auſsi entre autres, que tout ce Royaume du coſté
des
Tartares eſt enuironné d’vne grande muraille de la longueur de 500.
lieuës, commen-
çant
dés la grande ville de Chioy, entre deux grandes montaignes, &
de tirant de l’Oc-
cident
vers l’Orient, pour l’enfermer entierement.
Et de ceſte muraille on trouue és hi-
ſtoires
, qu’elle a eſté edifiée d’vn Roy nommé Teſineſon, pour ſe defendre à l’encontre
des
Tartares qui luy faiſoient fort cruelle guerre:
mais auec cet auantage que les 400.
lieuës d’icelles ſont ſerrées de nature par hautcs montaignes, & que les autres cent lieuës
en
vne vallée entre deux monts ſont cloſes parart &
grand labeur d’hommes, de bonne &
forte
matiere ayant en largeur ou eſpoiſſeur ſept annes, &
autant en hauteur. Du coſté de
la
mer elle commence en la Prouince de Canton &
s’eſtend par celle de Paguy & Can-
ſay
iuſques à celle de Suan, elle finit.
Auſsi toſt qu’elle fuſt acheuée de baſtir, le Roy
fit
commandement tres-ſeuere à tous ſes Vicerois, en toutes ſesProuinces, villes &
lieux,
que
ſur peine de la vie &
confiſcation des biens, perſonne de quelque eſtat ou condition
qu’il
peuſt eſtre, ne fuſt ſi hardi ſous pretexte quelconque que ce fuſt, de la paſſer, ou per-
mettre
que elle fuſt paſſée des circonuoiſins de dehors pour entrer au Royaume.
Lequel
commandement
eſtant encor pour le iourd’huy gardé en toute rigueur, il ſemble que ce
ſoit
la cauſe que iuſques à ce temps, on n’a veu ny ouy la moindre trace ou memoire
d’artillerie
ny au Royaume de Sophi de Perſe, qui toutesſois eſt ſi proche de celuy de la
Chine
, ne en autres lieux voiſins, voire en toute l’Aſie A frique &
Europe: Eſtant choſe
certaine
que ni leSophi, ni aucune autre nation n’en a rien ſçeu, iuſques à l’année 1330.
en
laquelle
comme dit eſt, vn moine curieux derechercher les effets de nature par le moyen
de
l’Alchimie l’a trouuée.
Toutesfois ie ne vuideray du tout cette queſtion, en laiſſant la
deciſion
d’icelle à autres, qui, peut-eſtre, y auront plus eſtudié que moy:
me contentant
de
ce que les plus aſſeurez autheurs teſmoignent;
à ſçauoir que le premier inuenteur de la
poudre
fut vt moine, qui en certain temps, ſans penſer aux canons &
poudre, ayant en
ſon
mortier vne mixtion de ſoulphre &
nitre ou ſalpetre pour en vſer en quelque ſien
deſſein
, il y tomba par aduenture vne eſtincelle de feu qui l’alluma, &
emporta ſubite-
ment
&
auec grand effort toute la matiere, ce qui, comme choſe nouuelle luy cauſa gran-
de
admiration, l’eſueillant à en rechercher la raiſon, laquelle en fin il trouua naturelle, &

procedante
de la chaude &
ſeiche qualité du ſoulphre, & de la froide humidité du ſalpe-
tre
.
Et y adioutant apres quelque peu de charbon naturel, aëré, ſec & chaud, propre
pour
receuoir le feu, il a peu à peu produit à ſa perfection ceſte inuention malheureuſe
&
ſi dommageable aux hommes. Et tient-on pour aſſeuré que le meſme moine ayt auſ-
ſi
trouué le canon ou artillerie.
Car voyant cet effect du feu ſi vehement qui ne peut
aucunement
eſtre enfermé;
& ſe trouuant pris, ſe deliure auec grande violence, il en fit
l’eſpreuue
en vn petit tuyau, au quel il enferma quelque peu de ſa poudre, la
115[Figure 5]
126[Figure 6]
13
[Empty page]
143De l’Artillerie. iuſques à vn petit pertuis qu’ily laiſſa pour luy donner le feu; il en eſprouua la force &
l’effect
, lequel puis apres il communiqua à d’autres.
Ce qui ſuffira pour ſcauoir de qui, en
quel
pays ou region la poudre &
artillerie a eſté inuentée.
CHAP. II.
Auquel eſt declaré en quelle Prouince de P Europe l’Artillerie a premie-
rement
esté miſe en œuure.
NOVS auons au chapitre precedent deduit aſſez au long & au clair, & confirmẽ
par
teſmoignages ſuffiſans, quia eſté le premier inuenteur &
de la poudre & de
l’artillerie
:
reſte que nous nous enquerions auſſi, en quel lieu, & de qui elle a
eſté
premierement miſeen œuure;
En quoy nous enſuiurons Paul Interien, & Ligurce,
tous
deux autheurs graues &
dignes defoy. Et quant a Ligurce, il eſcrit en ſes annales de
Gennes
, qu’en l’an de Chriſt 1366.
auquel pour certaines differences qu’ily auoit entre la
Seigneurie
de V eniſe &
de Gennes, les Venitiens ayans aſſiegé vne ville nommée Clau-
dia
foſſa, que les Gennois leur auoient priſe, ily eut en cedit ſiege quelques Alemans, qui
ayans
deux petites pieces d’artillerie de fer, auec certaine prouiſion de poudre &
des bou-
lets
de plomb, les preſenterent, comme choſe rare &
bien propre, à leur intention, à ladite
Seigneurie
de Veniſe, quivoyant le bon effect d’icelles conticles cnnemis (qui tout eſ-
pouuantez
de la violence de ces machines in cognuës, &
ne ſe pouuantreparer contre cet-
te
fureur diabolique, y laiſſerent pluſieurs morts ſur la place) les receut biẽgracieuſement.
Et cecy eſt le plus clair & le plus certain, qui ſelon le peu quei’ay eſtudié, i’ay peutrouuer
quand
à ce point.
Mais quand à la façon, il eſt tout certain, que les premieres pieces ont
eſté
fort mal faites, compoſées auec grande peine, &
non ſans danger miſes en œuure.
Car
ne ſçachant encor rien de la fonte d’icelles, on ſe contentoit de prendre quelques groſ-
ſes
&
fortes tables ou lames de fer, leſquelles on compoſoit & ageançoit enrond, les ſer-
rant
de gros anneaux ou cercles de fer, comme on voit és tonneaux:
& cecy onle char-
geoit
d’vne poudre groſſe &
mal propre comme elle eſtoit dés le commencement de ſon
inuention
a diſcretion:
c’eſtoient les canons & l’artillerie de laquelle on vſoit en pluſieurs
endroits
de l’Europe, iuſques à ce qu’auec le temps l’eſprit humain cherchant touſiours
plus
auant, en a trouué le moyen, &
derafiner la poudre, & de fondre le fer & le cuiure
pour
en faire des pieces de fonte, qui pour lors eſtoient en grand’ eſtime.
Mais conſiderant
que
celles de fer ſe gaſtent facilement, &
celles de cuiure n’eſtre trop fermes & aſſeurées;
on
a trouué en fin vne mixtion de cuiure &
d’eſtain propre pour en faire des pieces dura-
bles
, auſquelles auſsi on a donné des noms ſelon leur naturel &
portéc, comme cy-apres
ſera
monſtré.
CHAP. III.
Deſcription des premieres pieces qui furent forgées de fer.
CES pieces cy ſignées ſont bien les premieres, qui apres l’inuention de la poudre fu-
rent
en diuers endroits de l’Europe miſes en œuure, mais deſquelles les canonniers
de
noſtre temps ne ſe pourront gueres ſeruir.
Toutesfois i’en ay voulu faire mention
&
les tracer, afin que de leur forme tant lourde & impertinente, qui fait auſsi l’v ſage quaſi
du
tout inutil, on puiſſe remarquer combien la fonte de noſtre temps eſt plus propre, &
cet-
te
ſcience plus parfaite.
154Premier Traicté
La premiere qu’on voit en la fig. 1. α. qui par derriere finit en vne vis, par le moyen de
laquelle
en la tournant, on la fichoit en vn gros bois perçé pour luy ſeruir de fuſt, eſtant
plus
eſtroit en la culaſſe qu’en la bouche, monſtre combien ont eſté niais les anciens en
ſemblables
affaires.
Eſtant vne choſe certaine, que le boulet ſerré au fond eſtroittement,
mais
eſmeu par la force dufeu vers la bouche, il a plus d’air, par lequel le feu qui eſt plus
agile
que le boulet, penetre le premier, le coup perdant beaucoup de ſa force en cette lar-
geur
de la bouche, ne peut eſtre ſi vehement qu’il ſeroit, la piece eſtant en la culaſſe &
en
la
bouche d’eſgalle largeur.
Ioint que c’eſt vne choſe fort impertinente, que ſemblables
pieces
ſont plus foibles en la culaſſe elles endurent la plus grande force, contre la prati-
que
&
experience des fontes modernes, qui en ce lieu, & pour ce reſpect, luy donnent
touſiours
plus d’eſpoiſſeur &
de force, pour pouuoir tant mieux & aſſeurément ſupporter
la
violence que la poudre &
le boulety font. Et voilà pourquoy ces pieces ſont de peu de
ſeurté
&
d’effet. Or les anciens ne luy ayans donné nom, nous la nommerons, d’autant
qu’on
s’en pourroit ſeruir aucunement, pour tirer des pierres, vne pierriere à vis.
La ſeconde eſt de meilleure taille, & forme plus commode: & combien que c’eſt auſsi
vne
des anciennes, ſi eſt-ce qu’encores leiourd’huy on s’en pourroit ſeruir, auec profit.
Mais la troiſieſme eſt ſi lourde & impertinente, qu’on n’en pourroit ny abbatre defen-
ces
, ny muraille, ny tuer à l’ennemy homme ny cheual.
Onluy peut bien donner le feu
en
deux endroits à la fois, mais d’vn coſté le boulet ne montera que droitement en haut
pour
apres auoir paſſé la violence du feu tomber le vent &
ſa portée l’enuoyeront,
qui
eſt vne choſe incertaine &
ſort lourde: & de l’autre le boulet ira rampant par ter-
re
, cherchant l’ennemy plus pour l’eſpouuanter que pour l’endommager.
Et faut noter,
qu’elle
a ſa force &
ſa groſſeur maſsiue en chambre au coude; dont auſsi elle eſt gouuer-
née
ſelon le teſmoignage de Fl.
Vegece autheur R omain par deux lumieres, l’vn noté au
lieu
A.
& l’autre B. De ſorte que premierement on peut tiret en front vers l’ennemy, ou
quelque
muraille, &
puis tournant la piece, ſeconder le coup: ou cependant qu’on la char-
ge
, d’vn coſté, tenir, l’autre preſt &
apoſté, pour offenſer (l’occaſion ſe preſentant) l’enne-
my
promptement.
Et eſt ceſtuy-cy le vray vſage de ladite piece, monſtré meſme par la forme d’icelle, &
non
ſelon l’aduis de Louys Collade, qui ne luy admet qu’vne lumiere au bout d’embas,
marqué
de C.
& monſtré par la fumée duquel la poudre & le boulet ou autre charge ſoit
pouſſé
en triangle.
Quiayant autrement aſſez bien eſcrit de l’artillerie, en ſa pratique, ſi a
il
toutesfois failly en cet endroit:
ou bien l’ayant entendu, s’eſt oublié en la deſcription ou
application
, ſi ce n’eſt que le tailleur des formes, qui le deuoit exprimer, aye erré.
Quoy
qu’il
en ſoit, il faut confeſſer que c’eſt vne lourde faute.
Car d’auoir vniqué la lumiere,
comme
on le voit en ſon liure au bas bout, c’eſt la choſe la plus impertinente, &
hors de
raiſon
qu’on pourroit trouuer.
Car encores qu’on y pourroit conduire la poudre & le bou-
let
, ou autre charge comme la choſe le requiert iuſques-là, ſi eſt-ce qu’iceluy eſtant eſmeu
par
la violence du feu, &
cherchant l’iſſuë droitte, ellerencontre, cet angle du coude,
quiluy
donne grand &
manifeſte empeſchement; le canonnier, ou bien vn chacun du
commun
, s’il n’eſt deſpourueu de ſon bon ſens, s’apperçoit bien, non ſeulement que la pie-
ce
ne ſerompe, mais auſsi que ce ſeroit couſt &
peine ſans effet: Ioint qu’il eſt impoſsible
qu’on
puiſſe de la cueiller à charger, conduire la poudre &
le boulet iuſques-là, comme
toutesfois
il ſeroit neceſſaire.
Et telle ſimplicité ſe pourroit bien pardonner aux anciens:
mais qu’en ce temps de perfection, vn ſi grand maiſtre faſſe vne faute ſi lourde & euiden-
te
, cela ne ſe peut rencontrer ſans admiration.
Les anciens la nomment Compago, c’eſt à dire, piece compoſée; à mon auis
elle
ſeroit mieux appellée Codado, c’eſt à dire piece à coude.
La ſeconde nomme-
rent-ils
Abbatemur, ſe pourroit dire garde-pont, pouuant bien ſeruir en telle oc-
currence
.
16
[Empty page]
17 7[Figure 7]
18
[Empty page]
195De l’Artillerie.
CHAP. IIII.
Deſcription
de quelques autres pieces de fer.
LA premiere de ces pieces de la fig. I. β. appellée Bombarde-pierriere (ſe diroit bien
dépe
ſche-chemins) combien qu’elle pourroit bien eſtre de fonte, eſt toutesfois
faite
de fortes planches ou lames de fer, à coups de marteau:
& couſtumierement
eſt
miſe en œuure pour tirer boulets de pierre, ou quantité de cailloux, pieces de briques,
cloux
, pieces de chaiſnes &
autres ſemblables matieres, principalement és breſches,
quand
l’ennemy les veut forcer:
en les trauerſant d’vn coup de telle charge, ce ſeroit pour
l’endommager
grandement.
La piece a en longueur huict calibres, de ſa bouche principa-
le
:
la chambre qui eſt le lieu de l’aſſiette de la poudre, eſt large d’vn tiers dudit calibre, &
longue
quatre fois autant.
Le renfort de metal de ladite chãbre a en groſſeur vn tiers dudit
calibre
, aux tourillons elle a d’eſpoiſſeur la cinquiéme, &
en la culatte ſeulement la ſixié-
me
partie dudit calibre.
Donceſtant de calibre de 120. lb. ſi on la veut charger des ſuſdites
matieres
, il n’y faudra mertre de poudre que 29.
lb. qui les pouſſeroit auant iuſques à 200.
pas en pointe droicte. Et ſi on y veut mettre le boulet (qui doit eſtre ſeul) ily faudra met-
tre
quarante lb.
de poudre, qui en tout ſon mouuement, tant violent que pur, s’auancera
iuſques
à 1500.
pas. Et combien que nouuellement on ait fait de ces pieces tant de bronze
que
de fer, ſi ne ſont elles (à cauſe de leur lourde peſanteur, qui en fait le maniement bien
difficile
) appliquées aux faits de guerre, ſi on n’eſt contraint par gtande neceſſité, comme
quand
, ainſi qu’auons dit cy deſſus, on voudroit defendre l’entrée d’vne breſche, ou bien
l’ennemy
eſtant deſia entré en vne place, ou le rencontrant ſur vn pont, ou en vne ruë
eſtroitte
, qui ſeroit pour le repouſſer, l’ayant chargée des ſuſdites matieres, auec grande
deſtruction
&
perte.
L’autre piece qui eſt comme montée ſur vne eſchelle, eſt bien auſsi de fonte de fer, &
des
anciennes, mais non pas ſi mal accommodée qu’on ne s’en puiſſe fort bien ſeruir en
quelque
neceſsité.
Et n’ayant trouué perſonne qui luy ait donné nom: Ie la nommerois
quãd
elle me ſeroit preſentée eſchelle à mirer, &
ce pour deux raiſons. La premiere, qu’el-
le
eſt, commeauons dit, montée ſur vne eſchelle.
La ſeconde, pource que pour l’apoſter il
faut
prendre la mire en l’éleuant ou abaiſſant ſur le clou de fer ſur lequel, comme ſur vn
eſchelon
, ellerepoſe.
Et me ſemble qu’elle ne peut eſtre ſi antique, en ayant veu vne ail-
leurs
, &
crois qu’on en trouueroit encor vne en DunKerque. La ſigure monſtre tant la
forme
que l’vſage d’icelle.
CHAP. V.
Du
commencement & forme des pieces de Bronze.
LA premiere de ces pieces eſt auſsi vn pierrier de fonte de bronze, en toutes ſes
parties
fait à la maniere &
proportion de celle dontau Chapitre precedent auons
fait
mention, excepté ſeulement qu’elle eſt de deux pieces, &
ſa chambre par le
moyen
d’vne vis, notée B.
y eſt adjointe. Le tuyau iuſques à la chambre eſt de dix cali-
bres
, auec vne groſſeur conuenable, &
a ladite longueur, & a la neceſsité d’vn pierrier,
mais
peu pratiquée.
Comme de fait ie n’en ay veu qu’vne en l’Arſenac de Liſbone, ils
la
nomment, à cauſe de ſon tuyau ouuert des deux coſtez, parafuſo.
Et voit-on bien que
le
maniement, pour luy oſter &
rejoindre la chambre (qui auſsi doit eſtre chargée
206Premier Traicté faciliter l’affaire par cartuches, ou ſachets de toile) apres le coup fait, en eſt aſſez labo-
rieux
&
difficile.
La ſeconde longue & eſtroitte, eſt de telle qualité que i’oſe bien dire, qu’entre toutes
les
pieces des anciens c’eſt la plus propre aux façons de la guerre.
Dont encor pour le iour-
d’huy
elle eſt fort vſitée, principalement és nauires, d’autant que ſa charge eſt ſi libre &

facile
.
Car comme on voit en la figure, encor qu’eſtant de deux pieces, en ſorte que ſa
chambre
notée A.
qui eſt ou de fer ou de bronze, (le plus couſtumier eſt de fer) doit
eſtre
miſe &
enchaſſée en ſon lieu auſsi noté de meſme, le maniement en eſt toutes-
fois
tres-facile.
Car pour chacune piece on peut auoir 30. ou 40. de ces chambres char-
gées
, &
toutes preſtes pour les changer en lieu de celle qui eſt vuidée, il n’y faut
non
plus de temps que pour remettre la piece en ſon lieu, &
affermir la chambre par
le
moyen d’vne cheuille, qui paſſant les deux trous, notée B.
prend auſsi la manche
de
ladite chambre notée du meſme.
De ces pieces on en trouue pluſieurs tant de
bronze
que de fer.
Mais ne ſont pas faites à certaine proportion, comme toutes les au-
tres
:
ſeulement qu’on ait eſgard que ſelon qu’elles ſont longues ou courtes de calibre
petit
ou moyen, les chambres ſoient faites.
Et peut-on bien remercier celuy qui les a
inuentées
&
miſes en œuure le premier, eſtant propre non ſeulement pour les façons
de
guerre, mais auſsi, quant aux chambres, qui font auſsi grand bruit que toute la
piece
, pour les ſaluts &
feux de ioye. Toutesfois fautnoter que pour les ſaluts & autres
ſemblables
paſſetemps elles ne ſoient chargées de poudre fine:
car, comme l’experience
le
monſtre, il en pourroit facilement aduenir du mal, duquel on n’a peur quand elles ſont
enchaſſées
&
affermies en leurs pieces. Elles ont deux noms, eſtant en Caſtille nom-
mées
, pieças de Camera, &
en Portugal appellées, pieças de Braga, de la forme deſdites
chambres
.
CHAP. VI.
Deſcription
de quelques fontes de la premiere, ſeconde & troiſiéme ſorte,
auec
l’inſtruction touchant le renforcement ou amoindriſſe-
ment
d’icelles. Fig. 2.
AYANT ſuffiſamment deſcrit quelques pieces de fer cognuës, deſquelles les an-
ciens
ſe ſont ſeruis iuſques à ce qu’ils ont trouué la maniere de les fondre de
bronze
:
s’enſuit que ie declare auſsi qu’elle a eſté la forme & grandeur de celles
qui
furent les premieres faites, &
de quels noms elles ont eſté nommées. Quand donc aux
noms
, ils les leur ont impoſez ſelon leurs effets, prenans touſiours la ſimilitude des beſtes
les
plus cruelles &
dangereuſes, comme dragons, baſiliques, couleuures, ſerpens, & oy-
ſeaux
de proye, les plus violents qu’ils ſe ſont peu imaginer, comme ſacres, faucons, &

autres
ſemblables.
Or toutes celles cy ſont de la premiere ſorte, y comprenant le mouſ-
quetere
, mouſqueton, mouſquet, arquebuſe, la couleurine commune, moyenne, &
quart
d’icelle
.
En la ſeconde ſorte ſont contez le double canon, appellé réueille-matin ou ruine-mur,
le
canon commun appellé ſiffleur, le demy canon dit treſbuchant, le petit canon dit ienta-
teur
, auec quelques pieces baſtardes, que Dom I ean Maurice de Lara fit faire plus courtes
de
tuyau que les communes, auſquelles les canonniers ont auſsi donné les noms, appel-
lansle
Canſarebuffeur, le moyen canon bruyant, &
le quart berraco, c’eſt à dire verrat,
entre
leſquelles il y a encor quelques autres appellez demy ou moyens canons.
En la troiſiéme eſpece ſont compriſes toutes ſortes de pierriers, bombardes, grands &
petits
mortiers, chambres, petards, &
autres ſemblables pieces nommées touſiours à
21
[Empty page]
228[Figure 8]
239[Figure 9]
2410[Figure 10]
25
[Empty page]
267De l’Artillerie. volonté de leurs maiſtres, & ſelon le lieu de leur fonte, & de leur vſage diuerſement.
Mais eſtant ſi diuerſes tant de noms que de formes, tant cognuës qu’incognuës par
deçà
, qui toutesfois toutes peuuent eſtre comprinſes ſous ces trois eſpeces:
le traitteray
premierement
de celles qui ſont de la premiere, montrant leur vraye forme &
portée
par
l’exemple de trente pieces, dix ordinaires appellées legitimes, dix baſtardes &
dix
extraordinaires
ſelon leurs figures:
en la deduction deſquelles on pourra entendre com-
ment
cette ſcience s’eſt touſiours allée emendant, iuſques à noſtre temps, auquel elle
a
acquis quelque perfection.
Et combien qu’ily en ait pluſieurs encor incogneues en di-
uers
endroits, ſi pourront-elles par ce traitté parriculier eſtre produittes à la cognoiſſan-
ce
de tous;
de ſorte que le courageux gend’arme en pourra choiſir les plus pertinentes
&
propres à ſon deſir, pour en vſer à ſon auantage. Et quant à celles, deſquelles les plus
fameux
Capitaines ſe ſont ſeruis és occaſions de leurs furieuſes guerres pour ruiner les
murailles
des villes &
fortereſſes de leurs ennemis, & les attaquer valeureuſement par
les
grandes breſches, elles ſeront recognuës en la difference des Traictez, de ſorte
que
les premieres ſe verront au premier, les ſecondes au ſecond, &
ainſi en ſuiuant, com-
me
auſſi il eſt monſtré par Louys Collado (Ingenieur de ſa M.
en l’Eſtat de Milan) en ſa
Pratique
Manuele dediée à la Cath.
M. du Roy Philippes II. & l’ay meſme experimen-
ſous Dom Iean de Helmedo chef des canonniers du Chaſteau d’Anuers.
Ie les déduiray
donc
icy par ordre auec la deſcription de leurforce &
couſt, en laiſſant le choix tant plus
facile
à celuy qui en auroit de beſoin.
De celles-cy auſsi, quelques-vnes ſont legitimes ordinaires & parfaites, ou commu-
nes
, les autres baſtardes &
illegitimes d’ample calibre & court tuyau, ou de long tuyau
&
eſtroit calibre, deſquelles la proportion commune n’y eſtant obſeruéc, ſont des ſça-
uans
canonniers appellées extraordinaires.
1. La premiere piece de bronze eſt le dragon, ou double couleurine, tirant 40 lb. de
boulet
de fer, dont pour les {4/5} dudit pois, luy faut 40 lb.
de poudre à canon, ou pour les {3/5}
de
poudre fine 32 lb.
Peſe 120. quintaux. A en longueur 31. calibres de ſameſme bouche.
Sa portée eſt de pointe droite, prenant la mire rez ſes metaux qui eſt la mire commune, de
1364
.
pas communs, de 2 {1/2} pieds, & de pas geometriques à 5. pieds 682. pas ſelon le ni-
ueau
de l’ame, c’eſt a dire le tuyau eſtant également éleué, &
à niueau de la moitié, à ſça-
uoir
de 582.
pas en ligne égale, & pour ſa plus haute éleuation de 8167. pas.
2. Apres celle-cy s’enſuit la couleurine legitime & commune, dite ordinaire, comme
auſsitoutes
lesautres, d’autãt qu’en toutes ſes parties elle reſpond à la proportion requiſe,
tirant
20 lb.
de boulet de fer, auec la poudre tant de canon que ſine ſelon la ſuſdite propor-
tion
&
quantité de quatre ou trois cinquiémes. Peſe 70. quint. De longueur de 32. cali-
bres
, qui font 16.
pieds geometriques, ſa portée en mire commune de 1200. par le niueau
de
l’ame de 600.
& par ſa plus haute éleuation de 7140. pas.
3. La demie couleurine tire 10 lb. de fer, auec {4/5} dudit poids de poudre ſine, la longueur
eſt
de 33.
calibres, quifont 13. pieds. Peſe 41. quintaux, la portée par mire commune eſt
de
900.
par le niueau de l’ame 450. & par éleuation de 5373. pas.
4. Le ſacre ou quart de la couleurine tire peu plus que 5 lb. auec autant de poudre fine,
long
34.
cali. qui font 11 {1/2} pieds. Sa portée par mire commune eſt de 700. par l’ame 350.
& par éleuation de 4139. pas. Peſe 25. quintaux.
5. Le faulconeau ou huitiéme de couleurine tire 2 {1/2} lb. de fer, auec pareil poids de pou-
dre
fine.
A en longueur 35. calibres faiſans 8 {1/12} pieds. Peſe 13. quintaux, la portée par mi-
re
commune eſt de 568.
par l’ame 279. par éleuation 3318. pas.
6. Le Ribadoquin tire 1 lb. 4. onces de fer, ou 1 lb. 14. onces de plomb, auec autant de
poudre
fine.
La longueur eſt de 36. calibres, peſe 7. quintaux. Saportée par mire commu-
neeſt
de 411.
par le niueau de l’ame 206. & par l’éleuation de 2459. pas.
7. L’eſmerillon tire 16. onces de fer, ou 15, onces de plomb, auec autant de poudre fine.
278Premier Traicté La longueur eſt de 37. calib. faiſans 7 {1/2} pieds. Peſe 4 {1/2} quint. La portée en eſt par mire
commune
de 315.
par l’ame de 158. & par le plus haut de ſon éleuation de 1873. pas.
8. Le mouſqueton de poſte tire 5. onces de fer, ou 7. onces de plomb, auec autant de
poudre
fine.
Et long. 38. calib. faiſans 5 {4/5} pieds, peſant 2 {1/2} quint. La portée en eſt par mire
commune
de 292.
par l’ame de 121. & par l’éleuation de 1440. pas.
9. Le mouſquet ordinaire duquel on tire 2 {1/2} onces de fer, ou de plomb 3 {3/2} onces, auec
autant
de poudre fine.
La longueur de 39. calib. faiſans 4 {1/3} pieds, peſant 1. quint. & 30. lb.
Sa portée eſt par mire commune de 185. par l’ame 93. par l’éleuation 1100. pas.
10. L’arquebuſe qui eſt la plus petite piece de bronze, de cette premiere ſorte tire 1 {1/2}
once
de fer, ou de plomb 2 {1/2} auec autant de poudre fine, a en longueur 40.
calib. faiſans 3 {1/2}
pieds
, peſe 81.
lb. s’eſtant par m. c. 142. par l’ame 75. par l’éleuation 845. pas.
Toutes ces pieces ſont nommées extraordinaires, & faut noter premierement, que ſe-
lon
leur proportion, qui ſe prend du calibre de la bouche de chacune, elles ayent touſiours
plus
de force &
de metal en la chambre, qu’en autres endroits.
Secondement, que tant plus qu’elles vont amoindriſſant, plus elles ſoient riches &
groſſes
en metaux, (dont la raiſon en ſera ailleurs de duite) de ſorre que demie couleuri-
ne
ſoit plus renforcée que la couleurine, le quart plus que la demie, &
le faulconneau plus
que
le ſacre.
Tiercement, que ces pieces ſe peuuẽt renforcer ou amoindrir, en ſorte qu’vne couleuri-
ne
amoindrie n’aura que {7/8} de ſon calibre d’époiſſeur en ſa chambre, aux tourillons {3/4} &
au
cul
quelque peu plus {3/8} dudit calibre, laquelle proportion eſt enſuiuie és autres, obſer-
uant
touſiours, que tant plus elles vont décroiſſant, tant plus elles aillent augmentant en
metaux
, comme dit eſt, pour tant mieux pouuoir endurer la force de la poudre &
le fre-
quent
vſage.
Pour le quatriéme, Ne trouuant touſiours la commodité de boulets de fer, on ſe peut
ſeruir
de boulets de plomb, couſtumierement de la moitié plus peſantes, auec autant de
poudre
fine.
Pour le cinquiéme, Qu’encor que les pieces renforcées, & les amoindries, eſtant de
meſme
calibre, tirent les boulets de meſme grandeur, ſi eſt-ce que les amoindries ne pou-
uant
endurer autant de poudre que les renforcées, ne le peuuent auſſi égaler en la portée,
comme
appert par les Tables enſuiuantes, que pour meilleure inſtruction nous auons
bien
voulu adiouſter.
I. Table des couleurines ordinaires ou renforcées, en laquelle le premier nombre monξtre le
poids
; le ſecond, la portée; ſelon la mire commune, qui ſe prend rez les metaux; la troiſiéme,
celle
qui ſe prend par le niueau de l’ame; & la quatriéme, celle de la plus haute éleuation.
11
1
. # A. Le dragon ou couleurine peſe # 140. qx. # 1429. # 714. # 8504. # }
2
. # B. Couleurine legitime # 81 {1/2} # 1260. # 630. # 7497.
3
. # C. Demie couleurine # 46. # 940. # 470. # 5593.
4
. # D. Le Sacre ou quart # 26 {1/2} # 733. # 367. # 4363. # }pas.
5
. # E. Le Faulconneau # 15. # 558. # 279. # 3318.
6
. # F. Ribadoquin # 8 {1/2} # 430. # 215. # 2560.
7
. # G. Eſmerillon # 4 {3/4} # 329. # 165. # 1938.
8
. # H. Mouſqueton de poſte # 3. # 252. # 126. # 1504. # }
9
. # I. Mouſquet # 1 {1/2} # 194. # 97. # 1155.
10
. # L. L’arquebuſe # 92. lb. # 150. # 75. # 892.
289De l’Artillerie.
II. La ſeconde Table monſtrant combien les pieces amoindries
ſont
außi moindres en la portée.
11
1
. # A. Le Dragon # 110. qx. # 1299. # 650. # 7729. # }pas.
2
. # B. La Couleurine legitime # 63. # 1140. # 570. # 6783.
3
. # C. La demie Couleurine # 31 {1/2} # 860. # 434. # 5117.
4
. # D. Le Sacre # 20. # 667. # 334. # 3669.
5
. # E. Le Faulconneau # 11. # 509. # 254. # 3028.
6
. # F. Le Ribadoquin # 6. # 391. # 169. # 2327.
7
. # G. L’Eſmerillon # 3 {2/2} # 300. # 150. # 1784.
8
. # H. Le Mouſqueton # 3. # 231. # 161. # 1784.
9
. # I. Le Mouſquet # 1. # 176. # 88. # 1047.
10
. # L. L’Arquebuſe # 50. lb. # 135. # 68. # 803.
Exemple de pratique parfaicte.
Poſons que le Dragon commun ſelon ſa proportion, & la peſanteur de ſon boulet, à
ſçauoir
des {4/5} ſe charge de 32.
lb. de poudre groſſe: lors l’amoindri n’endurera non plus que
les
{7/16} à ſçauoir 28.
lb. de la meſme poudre: mais le renforcé, pour eſtre riche de metaux
endurera
les {9/19} à ſçauoir de 36.
liures. Et quand à la poudre fine, il faut remarquer, qu’on
en
prenne touſiours {1/4} moins, pour le commun, ily faudra mettre {3/5} c’eſt à dire 24.
lb. pour
le
ramoindri 21.
lb. & pour le renforcé 27. lb.
Ainſi de la Couleurinc commune, qui portant 16. lb. de poudre à canon, ou 12. lb. de
poudre
fine:
l’amoindrie n’en portera que 14. lb. com. ou 10 {1/2} de fine: mais la renforcée
18
.
lb. com. ou 13. lb. de poudre fine.
La demie Couleurine eſtant plus riche en metaux que la Couleurine, aura de poudre
commune
autant que ſon boulet peſe, à ſçauoir 10.
lb. mais de poudre fine, les {4/5} qui ſont 8.
lb. l’amoindrie 9. lb. de p. à canon, ou 7 {1/2} de p. fine: & la’renforcée 11. lb. de commune, ou
8
{4/5} lb.
de fine.
Le Sacre ou quart de Couleurine aura 5. lb. de poudre fine autant que ſon boulet de fer
peſe
, comme auſsi toutes les autres pieces enſuiuantes de cet ordre, combien que les a-
moindries
eſtant, ſelon l’inſtruction precedente, enrichies de metaux, chacune en ſon
rang
, dont auſsi ſont chargées d’autant de poudre fine qu’à la peſanteur de leur boulet:
Mais les communes & renforcées eſtant beaucoup plus riches, en peuuent ſans aucun dan-
ger
en endurer dauantage, à ſçauoir le poids du boulet de plomb.
Ayant traitté des pieces legitimes, tant communes qu’amoindries, & renforcées: Ie diray außi
quelque
choſe des pieces illegitimes & baſtardes, qui ſθnt plus grandes au
calibre
, mais moindres en longueur que les communes.
Quand doncques aux illegitimes, elles ſont auſſi du premier ordre de l’Artillerie tirans
bien
plus de fer, mais point ſi loing que les communes &
legitimes, ayans auſſi leur ſortes
diuerſes
;
les vnes ſont communes, les autres amoindries, & les tierces renſorcées: pour-
ce
que les premieres ont l’eſpoiſſeur de leur calibre en la chambre, les ſecondes moins,
les
tierces plus de metaux.
Ioint qu’elles, s’entreſuiuent auſſi bien que les
2910Premier Traicté en nom & en grandeur, comme il apperten la figure & deſcription adjointe. En laquelle
perſonne
ne ſe trouble que nous leur donnons auſsi le nom de communes, iceluy ſe rap-
portant
ſeulement à celles de ſon eſpece, pour denoter celles qui ont la commune propor-
tion
d’eſpoiſſeur en leurs chambres pour les diſtinguer des amoindries &
renforcées.
1. La premiere de cet ordre eſt le Baſilic ou double couleurine baſtarde, qui n’a que
26
.
calibres de ſa bouche en longueur, qui font 15. pieds communs. Peſe 122. quintaux.
Tire 48. lb. de boulet de fer, auec 39. lb. de poudre commune, ou 30. lb. de poudre fine.
La
portée eſt ſelon la mire commune 1276.
ſelon le niueau de l’ame 638. & en ſa plus
haute
éleuation de 7593.
pas.
2. Le Serpentin ou couleurine baſtarde commune tire 24. lb. de fer, auec autant de
poudre
commune, ou 19 {1/5} lb.
de poudre fine. Peſe 25. quint. Portant à mire commune
1120
.
au niueau de l’ame 560. & au plus haut d’éleuation 6664. pas. A en longueur 27.
calib. qui font 13. pieds geometriques.
3. L’Aſpic commun ou demie couleurine baſtarde tire 12. lb. de fer, auec autant de
poudre
fine.
Eſt longue de 28. calib. faiſans 11 {1/2} pieds. Peſe 40 {1/4} quintaux. Porte en mire
commune
840.
au niueau de l’ame 420. & en l’éleuation 4998. pas.
4. Le Pelican ou quart de couleurine baſtarde tire 6. lb. de poudre
fine
.
De 29. calibres faiſans 9. pieds. Peſe 24. quintaux. La portée en eſt à mire commu-
ne
653.
au niueau 327. & à ſa plus haute éleuation de 3881. pas.
5. Le Faulconneau baſtard tire 3. lb. de fer, auec autant de poudre fine. A 30. calib.
qui font 8. pieds. Peſe 13 {1/2} quint. Porte en mire com. 498. au niueau 249. & en l’éleua-
tion
2963.
pas.
6. Le Ribadoquin baſtard tire 1 {1/2} lb. de fer, auec autant de poudre fine. A 31. calibres
qui
font 6.
pieds & 3. pouces. Peſe 7 {1/2} quint. Porte en mire commune 348. au niueau 174.
& en éleuation 2245. pas.
7. L’Eſmerillon baſtard tire 12. onces de fer ou 18. onces de plomb, auec autant de
poudre
fine.
A 32. calib. faiſans 5 {1/2} pieds. Peſe 4. quintaux. Porte en mire com. 294. au
niueau
147.
& en l’éleuation 1752. pas.
8. Le Mouſqueton baſtard tire 6. onces de fer ou 9. de plomb, auec autant de poudre
fine
.
A 33. calibres, en 4. pieds & 8. pouces. Peſe 2. quint. 12 lb. Porte en mire commu-
ne
226.
au niueau 113. & en l’éleuation 1344. pas.
9. Le Mouſquet baſtard tire 3. onces de fer ou 4 {1/2} de plomb, auec autant de poudre
fine
.
A 34. calib. ou 4. pieds & 8. pouces. Peſe 1. quint. 12. lb. Porte en mire commune
174
.
au niueau 87. & en l’éleuation 1038. pas.
10. L’Arquebuſe moindre piece de cette ſorte des baſtardes tire 1 {1/2} once de fer ou 2 {3/4}
de
plomb, auec autant de poudre fine.
A 35. calib. faiſans 3. pieds 9. pouces. Peſe 64. lb.
Porte en mire commune 134. au niueau 67. & en ſon éleuation 797. pas.
Toutes ces pieces ſont baſtardes communes, au pris deſquelles tant lesamoindries que
les
renforcées enſuiuent la proportion monſtrée en la deſcription des legitimes, leſquel-
les
eſtant de meſme calibre &
tirant leurs boulets de meſme grandeur, n’endurent toutes-
fois
autant de poudre, &
n’eſt leur portée ny le poids égal, comme la Table ſuiuante le
demonſtre
.
3011De l’Artillerie.
Table des pieces baſtardes renforcées.
11
# Quint. # M.c. # Niu.de l’ame. # Eleuation.
A
. Le Baſilic renforcé peſe # 146. # 1318. # 659. # 7843. # }pas.
B
. Le Serpentin # 81. # 1180. # 590. # 7022.
C
. L’Aſpic # 76. # 880. # 440. # 5236.
D
. Le Pelican # 25 {1/2} # 687. # 344. # 4088.
E
. Le Faulcon # 15. # 522. # 261. # 3106.
F
. Le Ribadoquin # 8. # 403. # 202. # 2397.
G
. L’Eſmerillon # 4 {1/3} # 308. # 154. # 1833.
H
. Le Mouſqueton # 2 {1/4} # 237. # 119. # 1410.
I
. Le Mouſquet # 1 {2/5} # 182. # 91. # 1083.
L
. L’Arquebuſe # 58.lb. # 140. # 70. # 833.
Table des pieces baſtardes amoindries.
22
# Quint. # M.c. # Niueau. # Eleuation. # }pas.
A
. Le Baſilic peſe # 105. # 1190. # 595. # 7080.
B
. Le Serpentin # 63. # 1060. # 530. # 6306.
C
. L’Aſpic # 37. # 800. # 400. # 4056.
D
. Le Pelican # 21. # 620. # 310. # 3689.
E
. Le Faulcon # 12. # 423. # 237. # 2814.
F
. Le Ribadoquin # 6 {1/2} # 365. # 183. # 2172.
G
. L’Eſmerillon # 3 {1/2} # 279. # 140. # 1659.
H
. Le Mouſqueton # 2. # 215. # 107. # 1279.
I
. Le Mouſquet # 1. # 165. # 83. # 682.
L
. L’Arquebuſe # 50.lb. # 127. # 64. # 552.
Quand à la troiſiéme & derniere eſpece, à ſçauoir des coleurines extraordinaires, elles
ſont
beaucoup plus longues à moindre calibre, ayant auſsi leurs ſortes de communes ren-
forcées
&
amoindries, comme nous auons veu en la deſcription tant des legitimes que ba-
ſtardes
, qui cõbien que de meſme calibre, longueur &
boulets: toutesfois ſont differentes,
tant
en la charge de la poudre, que de la portée.
Ce qui eſtant aſſez deduit cy deſſus, n’eſt
pas
beſoin d’amuſer dauantage le lecteur, ſeulement i’y adiouſteray les figures &
les noms,
pour
en donner tant meilleure notice ou cognoiſſance.
A. Le dragon volant ou double couleurine extraordinaire. B. Le paſſemur ou coule-
urine
extraordinaire.
C. Le Paſſeuolant ou demie couleurine extraordinaire. D. La Ce-
bratane
ou quart de couleurine extraordinaire.
E. Le Tournoyantou Faulconneau. F. Le
Paſſager
ou Ribadoquin.
G. L’Eſmerillon. H. Le Mouſqueton de poſte. I. Le Mouſquet.
L. L’Arquebuſe.
Or ayant ainſi monſtré les pieces, il y faut auſsi adiouſter (comme i’ay fait és legiti-
mes
&
és baſtardes) le poids & la portée de chacune ſelon ſes trois mires, à ſçauoir la com-
mune
qui ſe prend rez les metaux, celle du niueau de l’ame, &
celle de la plus haute éleua-
tion
, qui ſe fait de 40.
à 50. degrez du quadrant geometrique reparti en 90. poincts. Bien
entendu
que la mire commune eſt le tirage ordinaire au blanc:
quand au niueau de l’ame,
il
ſe prend quand en eſtant toutes les mouldes &
friſées de la culatte de la piece, elle eſt
égalée
ſeulement auec les plus hauts bords du vuide de ſa bouche, en ſorte que le tuyau
ſoit
égal, &
à niueau ſoit égal qui en la mire commune tiroit d’vn degré vers la culatte.
3112Premier Traicté
Particuliere declaration des pieces extraordinaires, compriſes au premier
genre
de l’Artillerie.
1. Le dragon volant, ou double couleurine extraordinaire a 29. calibres faiſans 22:
pieds, peſe 122. quintaux, tire 32. lb. de boulet de fer, auec 27. lb. de poudre commune
ou
22 {4/5} lb.
de poudre fine. Sa portée eſt ſelon la mire commune 1276. par le niueau 638.
&
en ſa plus haute éleuation 7593 pas.
2. Le paſſemur Sirene ou couleurine ext. a 40. calib. ou 18. pieds, peſe 42. quint. tire
16
.
lb. de fer, auec 16. lb. dep. c. ou 12 {4/5} lb. de p. fine, porte en m. c. 1120. au niueau 500.
& en ſon éleuation 6665. pas.
3. Le paſſeuolant ou demie couleurine a 41. calib. faiſans 15. pieds, peſe 41. q. tire
8
.
lb. de fer, auec 9. lb. de p. com. ou 7 {1/4} lb. de poudre fine. Porte en mire commune 840.
au niueau 420. & en haute éleuation 4998. pas.
4. Le Sacre extraordinaire ou quart de couleurine a 42. calibres, ou 12 {1/2} pieds, peſe
23
{1/2} quint.
tire 4. lb. de fer, ou 6. lb. de plomb, auec autant de poudre com. & 4 {1/2} lb. de p.
fine, porte en m. c. 633. au niueau 317. & en l’éleuation 3881. pas.
5. Le Faulconneau ext. a 43. calib. ou 10 {2/3} pieds, peſe 13 {1/2} q. tire 2. lb. de fer, auec au-
tant
de poudre fine, porte en mire c.
498. au niu. 249. en l’éleuation 2963. pas.
6. Le Ribadoquin ou paſſager a 44. calib. ou 8 {1/2} pieds, peſe 7 {2/3} q. tire 1. lb. de fer, ou
1
{1/2} lb.
de plomb, auec 1 {1/2} dep. c. ou 1 {1/4} lb. de p. f. porte en m. c. 384. au niueau 192. & en
l’éleuation
2285.
pas.
7. L’Eſmerillona 45. cal. ou 7 pieds, peſe 4 {1/2} q. tire {1/2} lb. de fer, ou {3/4} de plomb, auec
autant
de poudre fine, porte en mire com.
294. aun. 147. en ſon éleuation 1753. pas.
8. Le Mouſqueton a 46. calib. ou 5 {1/2} pieds, peſe 2 {1/2} q. tire 4. onces de fer ou 6. onces
de
plomb, auec autant de p.
f. porte en m. c. 256. au n. 128. en l’éleuation 1344. pas.
9. Le Mouſquet a 47. calib. ou 4 {4/5} pieds, peſe 1 {1/2} q. tire 2. onces de fer, & 3. onces de
plomb
, auec autant de poudre f.
porte en m. c. 174. au n. 87. en ſon éleuation 1038. pas.
10. L’Arquebuſe a 48. calibres ou 4. pieds, peſe 81. lb. tire 1. once de fer ou 1 {1/2} once
de
plomb, auec autant de poudre f.
porte en m. c. 134. au n. 67. & en l’éleuation 797. pas.
Ces pieces ſont par trop longues excedantes la proportion de leur calibre, dont auſsi
elles
tirent moins de munition, que les communes de l’ordre legitime, pource que le cali-
bre
eſt trop petit pour tant de longueur.
Elles ont auſsi ſelon leur eſpece, commeles legi-
times
&
les baſtardes, leurs degrez, dont les vnes ſont communes, les autres renforcées, &
les
autres amoindries, enſuiuant touſiours en leur endroit la proportion d’icelles, en ſorte
que
les communes ſe rapportent aux communes, les renforcées aux renforcées, &
les
amoindries
aux amoindries de l’vne &
de l’autre ſorte.
Et on ne doit pas trouuer eſtrange que ces pieces extraordinaires, comme auſsi les
baſtardes
en toutes leurs mires &
éleuations n’égalent la portée de celles de l’ordre legiti-
me
, eſquelles les extremitez ſont tellement compoſées &
moderées, qu’elles retiennent
leur
force &
operation entiere: au contraire, les baſtardes & extraordinaires, ou trop
courtes
ou trop longues, ou larges ou eſtroittes de calibre ne peuuent ne faire ny endurer
tel
effort, cõme il appert és deſcriptions &
tables deſſus propoſées. Au reſte toutce qu’eſt
dit
, tant des communes que des baſtardes, ſe trouue auſsi és pieces extraordinaires, qui ſe
rapportent
, comme auons dit, touſiours, &
en toutes leurs proportions, tant d’eſpoiſſeur
des
metaux &
force, qu’aux autres poincts, à icelles. Et ainſi auons-nous la deſcription de
90
.
pieces, deſquelles les 30. ſont exprimées en leurs figures, & les 60. compriſes ſous
icelles
.
Car en chacun ordre nous auons propoſé les figures de dix pieces communes: mais
auec
icelles auons auſsi deduit les dix renforcées &
les dix amoindries, toutes compriſes
ſous
ce premier genre.
A quoy nous adiouterons auſsi la difference qu’il y a en cet ordre
3213De l’Artillerie. extraordinaires, entre les renforcées & amoindries, & les communes que deſſus auons de-
duit
, en ces tables.
Table des pieces renforcées extraor dinaires.
11
# Quint. # m. c. # niueau. # Eleuation. # }pas.
A
. Le drac. vol peſe # 140. porte # 1317. # 658. # 7873.
B
. Le Paſſemur # 81. # 1180. # 590. # 7022.
C
. Le Paſſeuolant # 46. # 880. # 440. # 5236.
D
. Le Sacre # 26. # 687. # 344. # 4018.
E
. Le Faulconneau # 15. # 522. # 261. # 3106.
F
. Le Paſſager ou Ribadoquin 8. # 403. # 202. # 2397.
G
. L’Eſmerillon # 5. # 308. # 154. # 1833.
H
. Le Mouſqueton # 3. # 237: # 118. # 1410.
I
. Le Mouſquet # 1 {1/2} # 182: # 91. # 1088.
L
. L’Aquebuſe # 92. lb. # 140. # 70. # 833.
Table des pieces amoindries extraordinaires.
22
# Quint. # m. c. # niueau. # Eleuation. # }pas.
A
. Le drac. vol peſe # 105. porte # 1190. # 595. # 7080.
B
. Le Paſſemur # 63. # 1060. # 530. # 6307.
C
. Le Paſſeuolant # 37. # 800. # 400. # 4036.
D
. Le Sacre # 21. # 620. # 310. # 3649.
E
. Le Faulconneau # 12. # 473. # 237. # 2814.
F
. Le Ribadoquin # 6 {1/2} # 365. # 183. # 2172.
G
. L’Eſmerillon # 3 {1/2} # 279. # 140. # 1659.
H
. Le Mouſqueton # 2. # 215. # 108. # 1279.
I
. Le Mouſquet # 1. # 195. # 83. # 982.
L
. L’Aquebuſe # 58. lb. # 117. # 64. # 752.
De la difference de ces pieces du premier genre de l’artillerie, le lecteur accord &
prudent
entendra premierement, qu’il y a encor pluſieurs autres pieces, &
peut-eſtre non
iamais
veuës en ces quartiers qui y ſont compriſes:
ſecondement, de combien de pieces on
s’eſt
aidé du premier genre, iuſques à entendre l’ordre &
la maniere de meſnager celles du
ſecond
.
Deſcription des pieces du ſecond genre, à ſçauoir de toutes ſortes de canons-
de
batterie, grands & petits ſelon leur eſpece.
Quand aux canons, c’eſt choſe aſſeurée, que comme nous auons dit en la deduction des
couleurines
, ils peuuẽt eſtre faits de tuyau droit &
eſgal, petits & grands ſelon leur ſorte &
eſpece
.
Car il y a de fonte ancienne, double canons, dits réueille-matin, ou briſe-murs, ti-
rants
96.
lib. de fer, auec {2/5} du meſme poids, à ſçauoir 40. lb. de poudre fine, ayans enlon-
gueur
17.
calibres, qui font 14. pieds geometriques, peſans 128. quintaux, & de portée à
mire
commune 1200.
au niueau 600. & en ſon eſleuation 7140. pas.
1. Mais le canon commun dit ſifflant ou paſſemur tire 48. lb. de fer, auec 24. lb. de
poudre
c.
peſe 72. quintaux. A en lõgueur 18. calibres, faiſans 12. pieds: porte àm. c. 10002.
3314Premier Traicté au niueau 500. & en ſon éleuation 5968. pas.
2. Le demy canon tire 24. lb. de fer, auec 16. lb. de co. ou 12. lb. de poudre f. A 19.
ou 20. calibres, faiſans de dix à 10 {1/2} pieds. Peſe 43. quint. Porte à mire com. 850. au n.
425
.
& éleué 5070. pas.
3. Le quart du canon, dit perſecuteur, tire 12. lb. de fer, auec 10. lb. com. ou 8. lb. p.
f. A 24. calib. faiſans 9. pieds, & 9. lignes. Peſe 27. quint. Porte à m. c. 750. au n. 375.
&
éleué 4480. pas.
4. Le huictieſme du canon tire 6. lb. de fer, auec 6. lb. de p. f. ou 9. lb. de plomb
auec
9.
lb. de p. c. ou 7. lb. de poudre fine peſe 21. quint. A 27. calib. faiſans 8 {1/2} pieds.
Porte en mire com. 640. au niueau 320. & éleué 3600. pas. Et cette eſt la moindre piece
de
cette ſorte vſitée à preſent, combien qu’anciennement, on auoit auſsi des tiers de ca-
nons
, tirants 15.
lb. de fer, auec 12. lb. de poudre, peſans 29. quint. ayans 20. calib. qui fai-
ſoient
9.
pieds, & de portée à mire comm. de 700. au niueau de 350. & éleuez de 4850.
pas
:
mais les deſſuſdits, ſont les plus vſitez, & plus re quis des Seigneurs & Princes. Et
d’autre
part, il y a auſsi des pieces plus grandes &
plus fortes, mais deſquelles à cauſe de
leur
exceſsiue peſanteur, le maniement eſt trop difficile, pour les occaſions des guerres.
De meſme, comme il eſt dit des couleurines, elles peuuent eſtre renforcées & amoin-
dries
, ou en chambre, c’eſt à dire de chambre plus eſtroitte que letuyau, ou encampanées,
c’eſt
à dire de chambre voutée en forme de cloche, ou bien de tuyau eſgal par tout, deſ-
quelles
on voit le pourtrait en la figure 3.
a.
Eſtant renforcées elles ont entour de la chambre iuſques à la lumiere & l’ame vn cali-
bre
entier d’eſpoiſſeur des metaux, les communes n’ont que 8.
& les amoindries que
{3/4} dudit calibre.
1. De ſorte que celuy de 48. lb. eſtant renforcé, peſera 80. quint. tirera 29. lb. de
poudre
fine, &
portera à mire com. 1100. au niueau 550. & en ſon eleuation 6500. pas.
Sans lequel il y a encor vn canon commun de 40. lb. auec 27. lb. de poudre commune, le-
quelrenforcé
peſera 70.
quint. de 18. calibres, & portant à mire commune 1000. au niueau
500
.
& éleué, 5990. pas.
2. Le demy canon de 24. lb. eſtant renforcé, peſe 45. quint. à 20. calib. Et en ſera la
portée
à m.
commune 900. au niueau 450. & eſleué 5037. pas.
3. Le quart de canon de 12. lb. renforcé, peſe 27. quintaux, a 25. calibres. Sa portée
eſt
à mire commune de 750.
au niueau 375. & éleuéde 4440. pas.
1. L’amoindry de 40. lb. n’ayant que les {3/4} de ſon calibre en la chambre, ne peſera
que
ſoixante quintanx, &
celuy de quarante-huict auec la meſme eſpoiſſeur que ſoixante
fix
quintaux.
Et comme les renforcez auec plus de poudre font plus grand effort, ainſi les
amoindris
ſont de moindre portée que les communs.
Et quand aux pieces enchambrées,
combien
qu’elles ſoient bien renforcées en cet endroit, ſi eſt-ce que le maniement en
eſtant
trop long, &
mal preſt aux canonniers, en la charge, celles de tuyau eſgal leur ſont
à
preſent preferées.
Dauantage, il y a entre les canons, comme auſſi entre les pierriers quelques ba-
ſtards
, n’ayans que quinze calibres, &
appellezrebufs, ou rebuffez, deſquels les demys
dits
crepans, ont ſaize calibres, &
les quarts dits verrats dix-ſept calibres, de la fonte de
Don
lean Maurique de Lara, qui les fit faire tant par dehors que par dedans de forme
encampanée
.
Or de cette relation le Lecteur accord & amateur de cette ſcience militaire, enten-
dra
facilement de combien l’antique façon eſt deuancée par la moderne.
Car pour les an-
ciens
en ſi grande diuerſité &
confuſion des pieces, il y falloit beaucoup de peine & labeur
pour
leur approprier leurs munitions:
mais maintenantn’ayans qu’vne ſorte de pieces de
meſme
calibre, deſcendantes toutes du canon commun, iuſques à ſon huictieſme:
tou-
tes
les munitions neceſſaires ſont tres-faciles à trouuer, Choſe bien remarquable
34
[Empty page]
3511[Figure 11]
3612[Figure 12]
3713[Figure 13]
38
[Empty page]
3915De l’Artillerie. ſe contenter de ces quatre calibres, à ſçauoir du canon de 40. lb. du demy de 24. lb. du
quart
de 10.
lb. & du huictieſme de 5. lb. Qui ſuppleans la faute de la premiere ſorte, pour-
ront
ſeruir tant és villes pour ſe défendre, qu’aux camps pour offencer.
Deſcription de quelques pieces notables, qui du paßé ayans eſté envſage,
maintenant
pour memoire ſont gardées en quelques
fameuſes
villes & chaſteaux.
La premiere & plus grande piece de la figure 3. β eſt le Iiro de Dio, gardé au chaſteau
Royal
de S.
Iean en Portugal, mais fait en l’Iſle de Dio és Indes, & mis en œuure en la
conqueſte
d’icelles parties:
dont pour ſa grandeur & beauté, elle fut preſentée au Roy
Don
Sebaſtian.
Elle peut eſtre attribuée à l’ordre baſtard du premier genre de l’Artille-
rie
, eſtant plus longue que le canon de batterie, &
plus courte que la couleurine commu-
ne
de l’ordre legitime n’ayant que 25.
calibres, de ſa bouche faiſans 22. pieds geometri-
ques
.
Son calibre a le diametre de 110. lb. mais n’en tire que 100. liures, auec 80. lb. de
poudre
commune pour les {4/5} dudit poids du boulet, ou 60.
lb. pour les {3/5} ditte de poudre fine.
C’eſt vne piece couleurine de tuyau égal, ayant à l’entour de ſa chambre & de l’ame l’eſ-
poiſſeur
d’vn calibre:
de ſorte que partoute ſa proportion elle ſe rapporte au Baſilic, plus
grande
piece baſtarde de l’ordre commun.
Sa portée eſt à la mire com. 1500. au niueau
750
.
en ſon éleuation de 8880. pas. Peſe ſelon la proportion à raiſon de 182 {1/2} lb. pour cha-
cune
lb.
de boulet 182. quintaux.
Les autres trois pieces de ladite figure, ſont les trois canons baſtards, que, comme
nous
auons dit, Dom Iean Manrique de Lara fit faire, à ſçauoir le Rebuf, qui eſt le canon
entier
, le Crepant qui eſt le demy canon, &
le Verrat qui en eſt le quart.
Ie n’ay doute aucune que le lecteur ne feragrand compte de la difforme grandeur &
peſanteur
de quelques pieces antiques, qui encor ſonten eſtre:
toutesfois i’en remarque-
ray
quelques-vnes, pour monſtrer lesgrands frais de la fonte ancienne, &
combien ils ont
payé
cher leur ignorance.
Ily eut en Malaga vne grande ſerpentine, quià cauſe de ſon orgueil en fut deterrée &
miſe
en Carthagene, apres auoir par ſon grand bruit &
ſecouſſe eſpouuentable fait auorter
pluſieurs
femmes enceintes.
Elle peſe 150. quintaux. Tire 80. lb. de boulet auec 64. lb. de
p
.
com. ou 48. de p. fine. Sa portée eſt ſelon la mire commune de 1295. au niueau de 648.
& en ſon éleuation de 7660. pas.
S. Iuan de Almarſa, canon baſtard, couleuriné & renforcé, qui de Mazalquiuir, fort
d’Oran
, aſſiegé parle Turc, rendit à Barzoque, Canon Turquois, peſe 140.
quintaux, tire
70
.
lb. de boulet, auec 42. lb. de poudre fine, ou 56. lb. de poudre com. La portée eſt à
mire
com.
1350. au niueau 648. & en l’éleuation 7990. pas.
A Milan il ya deux grandes couleurines, l’vneappellée la victoire, l’autre la pimentel-
le
.
L’vne tirant 48. lb. de boulet, & l’autre 45. Celle de 45. peſe ſelon ſa proportion à rai-
ſon
de 2 {2/3} quintaux pour chacune lb.
de boulet 120. quintaux, & celle de 48. lb. ſelon la
meſme
raiſon 128.
quintaux. Ety a-il pluſieurs hommes de credit qui afferment que la pi-
mentelle
en ſa plus haute éleuation a la portée de 9000.
pas communs, en mire commune
1745
.
& au niueau de 739. pas. Et d’autres oſent encor affermer que leſdits 9000. pas,
ſont
pas geometriques de 5.
pieds: choſe impoſſible & hors de toute raiſon; Car entre tou-
tes
les pieces dont pour auiourd’huy on a cognoiſſance, il n’y a nulle qui puiſſe porter deux
lieuës
d’Eſpagne:
les plus fameuſes & renommées ne portant que lieuë & demie.
De la diableſſe, couleurine de Bolducq, on dit, comme auſſi elle en porte le renom
en
ſon blaſon, qu’elle iette ſon boulet iuſques en la ville de Bommal:
Et de la ville de Meçi-
na
, on dit qu’ily a vne couleurine de laquelle le boulet trauerſe tout le Pharez de Meçina.
4016Premier Traicté Choſe du tout impoſſible, icelle eſtenduë eſtant de 12. lieuës eſpagnoles. Mais quand à
celle
de Bolducq, le renom en pourroit bien eſtre veritable;
la diſtance de l’vne à l’autre
ville
eſtant par terre, il faut tournoyer pluſieurs chauſſées &
fleuues, mais le boulet
volanten
ligne droite par l’air, prend le chemin bien de la moitié plus court, faiſant lieuë
&
demie, qui eſt la plus grande portée des plus renommées pieces.
Icy ne faut-il oublier le Baſilic de Malthe, piece grande & belle, de l’ordre des Coule-
urines
baſtardes, de meſme taille &
grandeur que la S. Iuan de Almarſa, ayant 24. calibres
en
longueur, &
autour de la chambre vn calibre d’eſpoiſſeur. Laquelle par l’information
de
Rodolphe Maſi Venitien, ſemble eſtre vn canon Turquois fait en Conſtantinople,
comme
auſſi il eſt ſemé d’arcs, fleſches, &
demies lunes.
Le Triquetraque de Rome, au chaſteau de S. Ange, au bas à l’entrée de la porte, eſt
vne
piece à cinq bouches, deſquelles chacunetire 3.
lb. de boulet, s’allumans ou toutes en-
ſemble
, ou qúand on veut, chacune à part.
La longueur en eſt ſelon l’ordre du Faulcon-
neau
baſtard de 31.
calibres, mais entour de la chambre du diametre de 7. calibres eſpois,
dont
les trois ſont du vuide des tuyaux, &
les 4. des parties maſsiues. Le colauſsia cinq ca-
libres
en diametre, dontles 3.
auſsi ſont pour le vuide, & les deux de corps maſsif. De ſorte
que
chaque ame &
bouche eſt enuironnée en toutes ſes parties de telle eſpoiſſeur, que ale
Faulconneau
baſtard renforcé, deſcrit és pieces du premier genre.
CHAP. VII.
Inctruction tres-vtile pour fondre les pieces parfaites, &
ſans
defaut.
DE ce queìuſques à maintenant a eſté dit, leCanonnier curieux & diligent, prendra
facilement
la cognoiſſance de toutes ſortes de pieces, tant dela vieille, que de la
nouuelle
fonte:
voire au ſsi de celles qui ſe pourront inuenter & fondre à l’adue-
nir
, les referant touſiours à l’vne de ces trois ſortes:
& pourra meſmes iuger de la perfe-
ction
ou defaut d’icelles, pour ſe pouruoir des meilleures, &
ſecourir en temps à celles qui
auront
quelque faute.
Mais quand à l’art ou la ſcience de les fondre parfaites, elle eſt, à
mon
aduis, l’vne des plus excellentes &
neceſſaires qu’on pourroit trouuer. Comme
l’inuention
en eſt non pas de gens communs, comme il en eſt de quelques autres arts, mais
des
plus ſçauants &
experts Mathematiciens de la nation Germanique & propagée des pe-
resſur
les enfans, qui dés le berceau en apprennent le maniement:
dont auſsi, comme
il
me ſemble, il aduient qu’en ce preſent aage tant belliqueux on en trouue ſi peu qui
y
ſoient bien adroits:
& encormoins, qui par quelque excellence en icelle ſe ſoient ac-
quis
quelque ſingulier renom.
Ce qu’on peut remarquer en l’examen des plus fameu-
ſes
officines de fonderie du monde, ſoit en Eſpagne, comme à Burges, S.
Sebaſtian, Me-
laga
, Liſbone &
Barcelone, ſoit en autres lieux dependants de la Couronne d’Eſpagne,
comme
à Naples, en Sicile, à Creme, à Milan &
ailleurs, voire meſme aux pays bas,
tant
renommés des meilleures fontes, comme Malines &
Vtrecht, eſquelles des plus
experts
&
exercitez fondeurs, peut-eſtre, ou par quelque negligence, ou par la grand’,
haſte
des Seigneurs &
generaux, ou autres qui ont la charge de faire fondre les pieces,
ſont
admiſes de bien grandes &
lourdes fautes. Les vnes tortuës de baren inégal, que
l’ame
ſe tient plus d’vn coſté que d’autre:
les autres de poids inégal & mal propre; de
ſorte
qu’eſtant tirées elles tombent ou treſbuchent ſur leur bouche, pource queles Tou-
rillons
n’eſtans au lieu &
au poids pertinent, la piece peſe plus deuers la volée que deuers
la
culaſſe.
Donti’ay veu ſouuentesfois, qu’vn Canõnier le plus expert & adroit qu’on pour-
roit
trouuer, auec toutes ſes diligences, ne peut oncques atteindre le but qu’il deſiroit, &
41
[Empty page]
4214[Figure 14]
43
[Empty page]
4417De l’Artillerie. ſe propoſoit, & auec eſtonnement des aſſiſtans, ſe faiſoit ſoupçonner de peu de ſcience &
pratique
en cet Art.
toutesfois la faute n’eſtoit point au canonnier, mais en ce poids
inégal
de la piece, qui tombanten teſte, rencontroit touſiours autre butte que celle qu’on
auoit
pris à ſa mire.
l’ay veu qu’vne telle piece eſtant plus peſante au deuant qu’au derriere,
&
ſuiuant ſon poids tomboit en bouche, faiſant touſiours le trait ou trop court ou trop
long
, iuſques à ce que le canonnier s’apperçeuant de la faute, poury remedier pendit en la
culaſſe
vne corbeillé remplie de boulets ou autre telle munition, choſe quiluy reüſſit aſſez
heureuſement
.
Il aduient aucunesfois que les pieces ſortent des moules toutes ſpongieu-
ſes
, poreuſes, boſſuës, en ſorte que le boulet n’y peut entrer auec l’art requis.
Et quand la
neceſſité
requiert de les recharger en haſte, n’ayant point le loiſir de les lauer ſelon la cou-
ſtume
d’eau nette ou de vinaigre, &
combien que cela ſe faſſe, ne pouuant toutesfois en
telle
haſte lauer &
baignertoutes ces cauernes, qui gardent encor quelque reſte de feu, le
canonnier
eſten grand danger d’eſtre enuoyé tout chauſſé en Paradis.
Ilya d’autres pieces trop foibles & pauures de metal, de ſorte qu’y mettant (choſe
qui
peut facilement aduenir à ceux qui ne ſontbien experimentez &
diligens à la recher-
che
d’icelles) quelque peu trop de poudre, elles ſont en vn moment, auec grand danger
des
inconueniens, rompuës ou pour le moins euentées, de ſorte que combien que la ne-
ceſſité
fut grande, on ne s’en peut plus ſeruir.
Ily en a d’autres ſi peſantes vers la culaſſe, que pour les adiuſter ily faut vne longue &
forte
perche, qui luy eſtant miſe en bouche, ſoit puis apres tirée de deux ou trois hommes
robuſtes
, pour paruenir à la hauteur de la mire requiſe.
Leſquelles ont bien cét aduantage,
que
comme elles ſont de bien difficile mouuement, auſſi ſont-elles plus aſſeurées que ces
folles
&
legeres deſquelles nous auons parlé cy deſſus: Ioint que leur coup eſt beaucoup
plus
violent, tant pour renuerſer les murailles que pour emboucher l’artillerie de l’enne-
my
, toutesfois le maniement en eſt trop peſant &
difficile.
Or pour obuier à tous ces in conueniens, aux dangers & labeurs exceſſifs des canon-
niers
, &
à la honte des fondeurs, Ie ſerois d’aduis que les fondeurs s’informaſſent des ſça-
uants
canonniers, Conneſtables, Gentils-hommes, qui au hazard de leur vie en ont fait
maintes
eſpreuues.
Le reſte (ce qu’vn bon canonnier doit ſçauoir) de la diuerſité des pieces de l’Artille-
rie
eſt compris en ce qui eſt traitté au Chapitre precedent:
Les referant toutes à cestrois
ſortes
ou genres, à ſçauoir couleurines, canons de batterie, &
canons pierriers, auec leurs
parties
, differences &
dépendances, dequoy feray vn brief recueil.
Eſdites couleurines ſe preſentent trois differences, eſtans ou legitimes, qui en longeur
&
eſpoiſſeur de leurs metaux ſont deuëment proportionnées, ou baſtardes, de tuyau plus
court
, ou extraordinaires, eſquelles le tuyau excede de beaucoup la deuë proportion.
Et
de
chacune de ces ſortes il ya des communes, renforcées, &
des amoindries, & ce en gran-
des
&
petites depuis la double couleurine iuſques à l’arquebuſe, la moindre piece en ſui-
uante
proportion.
Legitimes.
1. La double couleurine legitime a 31. calibres, tire 40. lb. de fer, auec 24. lb. de
poudre
fine.
2. La couleurine a 32. calib. tire 20. lb. auec 12. lb. de poudre fine.
3. La demie couleurine a 33. calib. tire 10. lb. auec 8. lb. de poudre fine.
4. Le Sacre ou quart de couleurine a 34. calib. tire 5. lb. auec 5. lb. de poudre fine.
5. Le Faulconneau ou huictiéme de couleurine a 35. calib. tire 2 {1/2} lb. auec 2 {1/2} lb. de p. f.
6. Le Ribadoquin a 36. calibres, tire 1 {1/4} lb. de fer, ou 1 {3/4} lb. de plomb, auec 1 {3/4} lb. de
poudre
fine.
4518Premier Traicté
7. L’Eſmerillon a 37. calibres, tire 10. onces de fer, ou 15. onces de plomb, auec 15.
onces de poudre fine.
8. Le Mouſquetona 38. calibres, tire 5. onces de fer, ou 7 {1/2} de plomb, auec autant de
poudre
fine.
9. Le Mouſquet a 39. calibres, tire 2 {1/2} onces de fer, ou 3 {1/4} onces de plomb, auecautant
de
poudre fine.
10. L’Arquebuſe a 40. calibres, tire 1 {1/4} once de fer, ou {7/8} de plomb, auec autant de pou-
dre
fine.
Bactardes.
1. Le Baſilic ou double couleurine a 26. calib. tire 28. lb. auec 14. lb. de poudre fine.
2. Le Serpentin a 27. calib. tire 24. lb. auec 14. lb. {1/2} de poudre fine.
3. L’Aſpic ou demie couleurine a 26. calib. tire 12. lb. auec 8. lb. de poudre fine.
4. Le Pelican ou quart de couleurine a 29. calib. tire 6. lb. auec 6. lb. de poudre.
5. Le Faulconneau a 30. calib. tire 3. lb. auec autant de poudre fine.
6. Le Ribadoquin a 31. calib. tire 1 {1/2} lb. auec 1 {1/2} lb. de poudre fine.
7. L’Eſmerillon a 32. calib. tire 12. onces, auec autant de poudre fine.
8. Le Mouſquetona 33. calib. tire 6. onces, auec 6. onces de poudre fine.
9. Le Mouſquet a 34. calib. tire 3. onces, auec 3. onces de poudre fine.
10. L’Arquebuſe a 35. calib. tire 1 {1/2} onces de fer ou 2 {1/4} onces de plomb, auec autant de
poudre
fine.
Extraor dinaires.
1. Le Dragon volant ou double couleurine a 39. calibres, tire 32. lb. auec 19. lb. de
poudre
fine.
2. Le Paſſemur ou couleurine a 40. calibres, tire 16. lb. auec 12. lb. de poudre fine.
3. La demie couleurine a41. calib. tire 8. lb. auec 8. lb. de poudre.
4. Le Sacre a 42. calib. tire 4. lb. auec 4. lb. de poudre fine.
5. Le Faulconneau a 43. calibres, tire 2. lb. de fer, ou 3. lb. de plomb, auec 3. lb. de
poudre
fine.
6. Le Ribadoquin a 44. calibres, tire 1. lb. de fer, ou 1 {1/2} lb. de plomb, auec autant de
poudre
fine.
7. L’Eſmerillon a 45. calib. tire {1/2} lb. auec autant de poudre fine.
8. Le Mouſqueton a 46. calib. tire 4. onces, auec autant de poudre fine.
9. Le Mouſquet a 47. calibres, tire 2. onces, auec autant de poudre fine.
10. L’Arquebuſe a 48. calib. tire 1 {1/2} once de plomb, auec autant de poudre fine.
Renforcées.
Es couleurines renforcées, ſoit en legitimes, baſtardes ou extraordinaires, la chambre
à
l’entour de l’ame aura l’eſpoiſſeur de 1 {1/8} calibre, chacune de ſa propre bouche, és touril-
lons
1.
calib. & au col {9/16} de calibre.
Communes.
Les communes, ſoient legitimes, baſtardes ou extraordinaires, ont en la chambre 1:
calib. aux tourillons {7/8} & au col {1/2} calibres de leur propre bouche.
46
[Empty page]
47 15[Figure 15]
48 16[Figure 16]
49 17[Figure 17]
50
[Empty page]
5119De l’Artillerie.
Amoindries.
Les amoindries ont en chambre {7/8} auxtourillons {1/4} & au col {7/16} de leur calibre.
Et ne s’eſmerueillera le canonnier ſi les moindres pieces ſont touſiours ſelon leur pro-
portion
plus longues &
plus riches de metaux que les grandes, la neceſſité le requerant
ainſi
.
Car quand a la longueur, c’eſt afin qu’elles ne croupiſſent trop en leurs repaires, ains
s’eſtendant
bien auant, elles ſe puiſſent mieux deſboucher par leurs ambraſeures.
Et quand
à
l’eſpoiſſeur, c’eſt qu’eſtant les plus propres &
commodes pour tirer, tant aux gens de
pied
que de cheual, ce qui ſe fait ſouuent &
continuellement, elles puiſſent mieux endu-
rer
la force:
Ioint qu’au defaut de boulets de fer on les charge de plomb auec de la pou@@@
competente
, qui requiert auſſi plus grande force de metaux.
Quelques canons de l’Empereur Charles V. qui ſont les meilleurs qui ſe
trouuent
pour le preſent.
CEs canons ſont aſſeurément faits auec grande conſideration & prudence à raiſon
de
18.
calibres de longueur, du calibre de 45. lb. peſans les communs 70. quintaux,
&
65. lb. Et la groſſeur en chambre de {7/8} aux tourillons de {5/8} & au col de {3/8} dudit
calibre
.
Les renforcez ont 18. calibres de 45. lb. Et à l’entour de la chambre 1. aux tourillons
{11/16} &
au col {7/16} dudit calibre d’eſpoiſſeur. Peſant 80. quint. & 75. lb.
Les amoindries ont auſſi 18. deſdits calibres, & d’eſpoiſſeur {3/4} en chambre, aux touril-
lons
{9/16} &
au col {5/16}. Peſent 60. quint. 55. lb. Faciles à cognoiſtre à ceux leſquels y trouuent
pour
deuiſe plus outre, auec les armoiries Imperiales.
A pres ceux-cy les meilleurs ſeront ceux qui ſe rapporteront de plus prés à la propor-
tion
ſuſdite, combien que maintenant pour euiter les grands fraiz de l’attirail &
des mu-
nitions
, ils ſont faits de moindre calibre.
Comme ceux de Monſieur de la Motte, qui bien
proportionnez
&
riches en metaux tirent 40. lb. de fer, les communes peſans 66. quin-
taux
.
Tels ſont auſſi les glorieux Apoſtres de Don Louys de V elaſco tirans 40. lb. de fer,
en
proportion de longueur, eſpoiſſeur &
perfection quaſi égaux aux ſuſdits Imperiaux.
Et ceux qui quand à ladite proportion ont ſuiuy de plus prés les traces deſdits canons ſont
Monſieur
de la Motte, Don Louys de Velaſco, &
le Comte de Buquoy, a preſent General
de
l’A rtillerie de ces Eſtats, ne tirans toutesfois plus que 40.
lb. & comme du moindre
calibre
.
ainſi auſſi pour euiter leſdits fraiz de moindre poids. De ſorte que les communs ca-
nons
de batterie ont 18.
calibres, la chambre {7/8} les tourillons {5/8} & le col {3/8} dudit calibre d’eſ-
poiſſeur
.
Tirant 40. lb. auec 20. lb. de poudre fine ou 27. de commune. Peſant 63. quint.
quelque
peu de liures plus ou moins.
Les amoindries ont en chambre {3/4} aux tourillons {9/16} & au col {5/16} dudit calibre d’eſpoiſſeur,
tirent
40.
lb. auec 17. lb. de poudre fine, peſent 57. quintaux.
Les renforcées ont auſſi 18. calibres, mais en chambre ont 1. calibre, aux tourillons {5/8} &
au
col {7/16} de calibre d’eſpoiſſeur, tirent 40.
lb. mais auec 23. lb. de poudre. Peſent 69.
quintaux.
Sans leſdites pieces ſe trouuent encor en diuers endroits autres doubles canons ayans
17
.
calib. & tirans 80. lb. auec 70. lb. de poudre fine. Comme auſsi des autres innumera-
bles
ou plus courts ou plus longs, ſelon la volonté de ceux qui les firent fondre.
Ily a auſsi
encor
des demy-canons de 19.
& 20. calibres, qui ſelon mon aduis n’en deuoient auoir
moins
que 22.
& ne tirer plus de 20. lb. ceux de 19. calibres tirent 24. lb. auec 16. de
poudre
com.
ou 12. de poudre fine, peſant 40 {1/2} quint. enſuiuans communément la propor-
tion
deſſus dite en la deſcription des canons de batterie.
5220Premier Traicté
Il y a des quarts de canon de 24. cal. tirans 10. lb. auec 6. de p. fine, auec le renfort des
canons
amoindris, peſans quelque peu plus que 23.
q. Qui ſeront meilleurs ayans 27. ca-
libres
, &
le renfort à la façon des canons renforcez.
Il y a comme on void en la figure des canons en campanez, ayans la chambre prés de la
lumiere
large {2/3} au milieu {5/6} de ſa bouche, &
la bouche quatre fois & demie autant que ſon
commencement
, qui eſt auſſi la largeur du reſte du tuyau, qui dés ladite bouche de ſa
chambre
iuſques a ſa bouche principale eſt égal.
Quelques-vns ſont enchambrez, ayans la chambre longue de 3 {1/2} calibres, & large {5/6}.
Toute la piece eſtant de 18. calibres.
Il y a des canons baſtards encampanez, & par dedans & par dehors à l’endroit de la
chambre
appellez Rebufs, tirans 40.
lb. auec 27. lb. de poudre fine, & peſans les communs
56
.
les renforcez 60. & les amoindris 52. quintaux, n’ayans non plus que 15. calibres, &
ſe
rapportans en l’eſpoiſſeur de leurs metaux en chambre, tourillons &
col, à la proportion
ſuſdite
des canons de batterie.
De cette ſorte il y a auſſi des Crepans ou demi-canons de 16. calibres, tirans 20. lb.
auec 10. lb. de poudre fine, peſans 37. quintaux.
Le quart des meſmes, dits Verrats, ont 17. calib. tirent 12. lb. auec 8. lb. de poudre
fine
, peſans 23.
qx. La figure deſquels ſe void au Chap. vj. auec la piece de Dio.
Aux canons pieniers il n’y a gueres que reparer eſtans tous grands & petits d’vne meſ-
me
forme &
maniere enchambrez, comme la neceſſité le requiert, la chambre n’ayant que
la
moitié du reſte de ſon tuyau de largeur, &
en longueur quatre de ſes propres largeurs aux
tourillons
, ſi elles en ont, ou au defaut il y a quelques endabons ou manches qui en font
l’office
, {1/4} &
au col {1/3} de leur calibre d’eſpoiſſeur. Tous enſemble tirent boulets de pierre,
auec
la moitié de leur poids de poudre commune ou {1/3} de p.
fine. En voulant tirer des bou-
lets
de fer, on prendra {1/4} de leur poids de poudre com.
ou {1/5} de p. fine. Pour les boulets de
pierre
, n’en faut prendre non plus qu’auons dit, de peur que par la force de la poudre ſuper-
fluë
elle ne ſe briſe, &
que le coup en ſoit perdu.
De ceux-cy quelques-vns ſont faits de bronze, communs & non tant renforcez, ayans
la
chambre longue de 3 {1/2} calibres, &
large {2/3} de ſon calibre, & d’eſpoiſſeur de {1/2} aux touril-
lons
de {1/4} &
au col {1/6} dudit calibre, eſtans or̀dinairement longs de 10. ou 12. calibres.
Quelques-vns ſont faits de planches & lames de fer, les autres de fer colé: mais les
forgés
ſont les meilleurs &
plus ſeurs. Ont couſtumierement 8. calibres, n’ayans en
chambre
non plus de {1/4} ou {1/3} de leur calibre de largeur, auec toutesfois autant d’eſpoiſſeur
ou
pour le moins {2/3} d’icelle, &
la longueur de ladite chambre de 4 {1/2} de ſes largeurs. Au mi-
lieu
ou autour des tourillons ils ont {2/3} &
au col {1/6} ou {1/8} de ladite largeur d’eſpoiſſeur. On a de
couſtume
pour tirer aux trauers des breſches, les charger de cailloux, cloux, pieces de
chaiſnes
&
autres ſemblables matieres, ou auec des grandes & inextinguibles boulets de
feu
artificiel, armés de quelques traits de mouſquet ou d’arquebuſe qui ſe chargent à part
auec
{1/5} du poids de la balette, de poudre:
toutes de grand effect pour rembarrer & endom-
mager
l’ennemy aſſaillant.
De cet ordre ſont auſſi des pieces de Braga mentionnées cy deſſus, eſquelles la cham-
bre
, qui eſt vne piece à part, faite de fer ou de bronze en forme de petit mortier, comme
auſſi
on s’en ſert pour faire des ſaluts, eſt enchaſſée &
affermie de cheuilles à coups de mar-
teau
afin qu’elle ne ſoit repouſſée.
Elles ſont de la longueur du Sacre, Faulconneau ou Ri-
badoquin
, ayans en la culaſſe vne queuë ou manche de meſme fonte aſſez longue, afin que
par
le moyen d’icelle le canonnier l’ayant montée ſur les aiz du bateau ( comme couſtu-
mierement
on en vſe ainſi ) &
pris la mire, aſſeure le coup, la tenant ferme ſur ſon eſpau-
le
auec la main gau che, iuſques à ce qu’il luy ait de la droitte donné le feu.
Les bragues ou
chambres
ſoit de fer ou de bronze, n’auront non plus que 5.
de leurs calibres, l’vn pour
ſon
eſpoiſſeur &
force en la lumiere, & les quatreautres pour le tuyau, & les faut
5321De l’Artillerie. vn peu au bout de la boulle pour entrer quelque peu en la piece, & s’y tenir bien ſerrées.
Car ayant tant ſoit peu d’air la poudre exhalant par , le coup perdroit beaucoup de ſa
force
.
Ne les faut remplir de poudre que iuſques à {5/8} du tuyau, y adiouſtant vn peu de
foing
&
la fermans d’vn tappon de bois, & ce afin que le boulet qui eſt au bas de la piece
affermi
d’vn peu de foing ou d’eſtoupes, afin qu’il ne tombe, ſoit tant plus rudement
pouſſé
.
De ce rang ſont auſſi les petits ou grands mortiers deſquels on ſe ſert, non ſeule-
ment
pour endommager l’ennemy, de toutes ſortes de feux artificiels, tant par eau que par
terre
, mais auſsi pour tirer des boulets, ou des cailloux, cloux, ramages de fer, &
de chaiſ-
nes
:
Deſquels l’vſage eſt auſsi fort vtile és villes, non ſeulement pour les effets deſſuſdits,
mais
auſsi, quand l’ennemy ſe ſeroit approché à couuert, de ſi pres de quelque muraille,
ou
du pied de quelque tour pour la miner, &
ietter par terre, qu’on ne le pourroit em-
peſcher
d’ailleurs.
Alors la mettant au pied de dedans ce lieu, & l’adjuſtant en ſorte
que
le boulet eſtant pouſſé en haut, vint à tomber de ſon mouuement naturel au lieu
ſe tiennent les ennemis, on les peut endommager, &
faire quitter leur entrepriſe,
comme
nous monſtrerons en vne figure à part.
Pour ietter feux artificiels il n’y ſaut que
{1/5} ou {1/6} de poudre fine, du poids de ce qu’on veut tirer.
Mais pour vn boulet ſans feu, ou
autre
des ſuſdites matieres il y en faut mettre {1/2} du poids de poudre fine.
Concluant ainſi
cet
aduertiſſement par lequel vn bon canonnier ſe pourroit auſsi faire bon fondeur
d’Artillerie
.
CHAP. VIII.
La raiſon pour laquelle pluſieurs pieces ont esté refonduës pour estre reduites
à
vne ſeule fonte ou forme bien proportionnée.
AY ant bien demonſtré la diuerſité des pieces d’artillerie, tant antiques que moder-
nes
, auec l’vſage commun &
plus profitable d’icelles: Ie n’ay pas encor fait men-
tion
, comme i’eſtois obligé, de ceux qui ont eſté les principaux &
premiers inuen-
teurs
des meilleures fontes:
leſquels toutesfois ie ne veux pas oublier. Quand doncques
aux
meilleures, &
mieux proportionnées pieces d’Artillerie, certainement à mon iuge-
ment
&
à celuy de ceux qui en ſçauront mieux & plus parfaitement iuger, l’Empereur
Charles
V.
d’heureuſe memoire, en doit auoir l’honneur. Ce qui s’eſprouue par pluſieurs
de
ſes pieces, tenuës en diuers endroits, de ceux qui en ont la cognoiſſance en ſinguliere
reputation
.
I’en feray le recit de quelques-vnes.
De fait, au fameux chaſteau d’Anuers ſe garde encor pour le iourd’huy vn canon
de
ſa fonte, qui dés le bout iuſques à ſa bouche a 18.
calibres: & a la chambre à l’endroit de
la
lumiere, l’ayant moy-meſme meſuré d’vne petite cordelette, tout à l’entour, 8 {1/2} deſdits
calibres
, tirant 45.
lb. de fer, auec 22. lb. de poudre fine, & peſant 70. quintaux & 40. lb.
Sans lequel, comme il appert par vn memoire du Sergent Iean de Holmedo, des pieces
qu’il
trouua l’an 160 1.
audit chaſteau, il y en a eu encor d’autres. A ſçauoir vn canon de
meſme
fonte Imperiale, ayant 17 {1/2} calibres de longueur, &
a la chambre 8. calibres d’eſ-
poiſſeur
, tirant 48.
lb. defer, & peſant 70. quintaux.
Item vn autre canon Imperial de 17. calibres, & le refort de 7 {3/4} de calibres, tirant
50
.
lb. de fer, & peſant 69. quint. 80. lb. Sans leſquels deux canons, il y auoit encorquel-
ques
canons renforcez, de la fonte de Don Iean d’Auſtriche, de fort belle taille, &
ſin-
gulierement
propre aux façons de guerre.
Le premier auoit 17. calibres, & de refort 9.
calibres, tirant 40. lb. de boulet, auec 27. lb. de poudre fine, & peſoit 72. quint. Le
5422Premier Traicté auoit auſſi 17 calib. & 9 {1/2} de refort tirant 42. lb. de boulet, & peſant 74. q. 72. lb. Ily auoit
encor
vn autre canon de 17.
calib. & de {5/6} de refort, tirant 41. lb. & peſant 73. q. & 74. lb.
Item deux canons Angloisgaignezà Calais. L’vn ſe nommoit S. Matthieu, ayant 17.
calibres auec {4/5} de refort, tiroit 56. lb. de boulet auec 28. lb. de poudre, & peſoit 65. q. 21. lb.
L’autre
S.
Andrieu, eſtoit de 17 {3/4} calibres auec 7 {1/2} calib. de refort, pouuant auſſi tirer 56. lb.
de
boulet, peſoit 65.
q. 43. lb.
Item vn canon auec les armoiries d’Anuers de 15 {1/2} calib. auec 7 {1/2} calib. de refort, ti-
rant
47.
lb. de boulet auec 20. lb. de poudre fine, peſant 60. quint. 61. lb.
Item vn canon auec les armoiries de Gand de 21. calib. auec 9 {1/2} calib. de refort, tirant
33
.
lb. de boulet, auec 20. lb. de poudre fine, peſant 64. quintaux.
Item vn canon auec les armes d’Anuers, & le Geant, de 18 {1/4} calib. auec 9 {1/2}calib. de re-
fort
, tirant 30.
lb. de boulet: le poids n’y eſtoit adiouſté.
Item vn canon Anglois auec les deſſus & la Roſe, ayant 20. calib. auec 8 {2/7} de reſort,
tiroit
33.
lb. & peſoit 55. q. 59. lb.
Item quelques demy canons. Le premier auec les armes d’Anuers, de 23 {2/2} calib. auec
9
{4/5} calib.
de refort, tirant 20. lb. de boulet auec 16. lb. de poudre fine.
Le ſecond de meſme blaſon, longueur, refort & boulet, mais le poids n’y eſtoit ad-
iouſté
.
Le troiſieſme auoit auſſi les armes d’Anuers, de 22 {1/2} calibres, auec 9 {1/3} de refort, ſans
poids
, tirant 22.
lb. de boulet, auec 17. lb. de poudre.
Le quatrieſme de meſme blaſon, longueur & refort, & boulet, mais ſans poids.
Item deux demy-canons de la fonte de Monſieur de la Motte: L’vn de 18. calib. auec
8
{1/4} de refort, tirant 25.
lb. de boulet auec 16. lb. de poudre, & peſant 43. quintaux, 65. lb.
L’autre de 18 {1/2} calib. auec 8 {1/2} de refort, tirant 24. lb. & peſant 42. quintaux, 60. lb.
Item deux demy-canons François, l’vn de 23. calib. auec 8 {3/4} calib. de refort, tirant 17.
lb. de boulet, auec 14. lb. de poudre, & peſant 41. q. 24. lb.
L’autre eſtoit de meſme longueur, mais auec 8 {2/5} calib. de refort, tirant meſme boulet
&
poudre, peſant 41. q. 50. lb.
Item 2. tiers de canon auec les armoiries du Roy Philippe II. L’vn de 18. calib. auec
9
{1/2} cal.
de refort, tiroit 15. lb. de boulet, auec 12. lb. de poudre fine, peſant 29. quint. 85. lb.
L’autre de 17 {1/2} calib. auec {1/5} de refort, tiroit 15. lb. & peſoit 29. quint. 32. lb.
Item 3. Serpentines, dont deux ſont couleurines baſtardes, & l’autre legitime com-
mune
ayant 34.
calib. auec 9 {3/4} calib. de refort, tiroit 18. lb de boulet, auec 15. lb. de poudre
fine
, peſant 48.
q. 75. lb. L’vne des baſtardes auoir 25 {1/2} calib. auec 9 {1/3} de refort, ſans poids,
tirant
17.
lb. de boulet auec 14. lb. de poudre: l’autre auoit 25. calib. auec 9 {2/3} de reſort, ayant
la
couronne &
la roſe Angloiſe pour deuiſe, tiroit 17. lb. de boulet, & peſoit 45. q. 73. lb.
Item vne couleurine extraordinaire, de 43. calib. auec 10 {1/2} de refort, tirant 13. lb. de
bouletauec
13.
lb. de poudre f. Eſtoit Octogone, ayant vne Sirene pour deuiſe, auec les ar-
mes
d’Anuers, au ſurplus fort gaillarde &
belle, ornée de pluſieurs eſcriteaux, & ſemée de
fueillage
, le poids n’y eſtoit adiouſté.
A l’aduenant de celle-cy il y auoit auſsi vne demie
couleurine
, auec les armes d’Anuers &
vn Saturne pour deuiſe, ayant 12 {1/2} calib. de refort,
qui
tiroit 7.
lb. de boulet, auec 7. lb. de poudre fine, en pouuant bien en durer, ſelon la force
de
ſes metaux 9.
lb. Cette deuoit eſtre miſe au rang des extraordinaires, ayant 43. calib. de
longueur
.
Or pour n’eſtre trop long, ie ne diray rien des moindres pieces qui y eſtoient
enrollées
, car de les vouloir toutes racompter par le menu, ce ſeroit pour ne iamais ache-
uer
:
finiſſant ſeulement ce diſcours, auec les 12. Apoſtres que l’Empereur Charles V. fit
faire
à Malaga, pour la iournée de Tunes &
autres lieux de l’Afrique, Tous eſtoient de 18.
calib. auec 8 {1/2} calib. de refort, de tuyau eſgal, ornez des plus outre, & armoiries Imperiales,
tirans
45.
lb. de boulet auec 23. lb. de p. fine, peſans 70. q. de ſingulierement belle taille,
&
de metaux exquis: de ſorte que dés long temps n’en ont eſté faits de pareils.
5523De l’Artillerie.
De ce diſcours le lecteur curieux entendra facilement, d’où c’eſt que ces pieces auec
leſquelles
ont eſté effectuez tant d’exploits ſi grands &
loüables, ont pris leur origine, pro-
portion
&
raiſons. Qui toutesfois de quelque temps en ça ont eſté reprouuées, non pas
pour
autre occaſion qu’on y ſceut trouuer, que de leur exceſſiue peſanteur:
en eſpoir d’eſ-
pargner
quelque choſe des fraiz de cheuaux, de chariage, de munitions, &
des gens au ma-
niement
:
choſe qui eſtoit bien recompenſée par leur forme, & bons ſeruices qu’on en
auoit
, effectuant mieux &
pluſtoſt ce à quoy elles eſtoient employées, & eſtant de meil-
leure
&
plus facile conſerue.
Ce renommé Capobianco Vicantin, chef de l’artillerie de la ville de Creme, & des
chaſteaux
de ſon reſſort, dit en vn temps que pluſieurs excellents Princes &
Seigneurs de
l’Europe
eſperans retrancher des grands fraiz, &
faciliter leurs deſſeins auoient eſſayé de
ſe
deſtourner de l’ordre &
proportion commune, en la fonte de leur artillerie: mais à
la
fin eſtans, par-l’experience qui leur monſtroit, que ce n’eſtoit pas amoindrir, mais
augmenter
les fraiz, ( car l’Artillerie eſtant plus foible a de moindres effers, il failloit tirer
tant
plus ſouuent, &
employer beaucoup plus de munition, & les pieces auſſi meſme en
danger
de ſe perdre &
rompre, & ſi on employoit peu de gens au maniement, il y en fail-
loit
tant plus à la force des breſches mal faites) contraints de recognoiſtre leur erreur, trou-
uoient
expedient de retourner aux fonderies, refondant leurs pieces ſelon l’ancien
modelle
&
proportion. Ce qui eſt aduenu à Monſieur de la Motte, lequel eſtant Capitaine
&
general de l’artillerie de ces eſtats: eſſaya de ſe deſtourner de la reigle & proportion im-
periale
, faiſant fondre quelques moyens canons de 15.
ou 16. calibres, pauures en me-
taux
&
larges au calibre, eſperant d’eſpargner vne bonne partie des deſſuſditsfraiz: mais
quand
on les vouloit mettre en œuure, ils demeuroient croupiſſants és parapets &
re-
paires
, allumoient les gabions, abbatoient &
defaiſoient les blandes, & offençoient leurs
propres
defences.
Et eſtans de grand calibre, & tirans peude poudre, à cauſe de la foibleſ-
ſe
de leurs metaux, ils faiſoient rien ou peu d’effort:
en ſomme pour dire en vn mot, il y
auoit
grands deſpends &
nul proffit: de ſorte qu’à la fin il ne trouua rien meilleur, que
retourner
à la vieille fonte &
proportion, les faiſant refondre de 18. à 19. calibres, auec 1.
calibre de refort, pour pouuoir tirerauec poudre ſuffiſante 24. lb. de boulet peſants 42. ou
43
.
q. Dont auſsi Don Louys de Velaſco, qui luy a ſuccedé en cette charge, recommande
touſiours
aux fondeurs, d’enſuiure en toute diligence le modelle &
forme imperiale,
comme
la plus pa@faite &
plus pertinente à toutes les façons de la guerre, ſans encor la bel-
le
taille en forme, qui les doit auſsi ſingulierement recommander:
comme la figure 4.
a
le monſtre.
CHAP. IX.
Declaration de la fonte moderne à preſent vſitée.
SOn Excellence eſtant par le tres-Illuſtre Seigneur le Comte de Buquoy à preſent
general
de l’Artillerie de ces eſtats, aduertie de la perfection &
vtilité des pieces fai-
tes
au modelle &
à la proportion Imperiale, voire d’elle-meſme apres l’aduis du tres-
ſage
conſeil de guerre, en prenant tel gouſt &
plaiſir, qu’elle deſira que iamais telle
fonte
ne fuſt miſe en oubly, fit par tous les lieux de ſon domaine publier vn bien ſerieux
commandement
:
que d’oreſenauant on ne fondroit qu’vne ſeule ſorte d’Artillerie: à
ſçauoir
;
Le canon de batterie tirant 40. lb. de boulet auec 20. lb. de poudre fine, ou 27. de pou-
dre
commune, ayant 18.
calibres de longueur, & 8 {1/2} calib. de refort; quieſt la proportion du
canon
commun &
ordinaire, quia d’eſpoiſſeur de ſes metaux à l’entour de la chambre de
5624Premier Traicté de l’Artillerie. aux Tourillons de {5/8} & au col {3/8} calib. peſant 64. quintaux.
Le demy-canon tirant 24. lb. de boulet auec 12. lb. de poudre fine, de 19. calibres,
duquel
le refort reſponde à la rate &
proportion du canon, peſant de 41. à 42. quintaux.
Lequel ſe peut eſtimer de la meilleure & plus belle taille, auec les meſures des metaux
conuenantes
.
Le quart de canon tirant 10. lb. de boulet auec 6. lb. de poudre fine, de 24. calibres
auec
le refort reſpondant à ſa proportion ( combien que ceſtuy-cy deuoit eſtre fondu à la
raiſon
du canon renforcé, afin que tirant, comme il faut continuement &
en grand’ haſte
de
ſemblables pieces, il puiſſe ſans dommage endurer la force ) peſant 23.
quintaux.
Le quint de canon plus proprement l’Octaue, tirant 5. lb. de boulet auec autant de
poudre
fine, de 29.
calib. & peſant 19. quintaux, auec le refort du diametre de ſon calibre.
Mais au lieu de ceſtuy-cy ſont ſuccedez les quarts de couleurines, & autres pieces de camp,
de
23.
calib. & de refort plus gros que couleurines communes & legitimes, tirants 5. lb. de
boulet
, auec autant de p.
f. & peſans de 24. & 25. quintaux. De ſorte que toutes les diffe-
rences
des calibres &
des ſortes redigées en ces quatre, deſquelles les trois ſont dépeintes
en
la figure 4.
β. toute confuſion eſt retranchée; & n’y a plus de danger, qu’on puiſſe faillir,
( comme ſouuent il eſt aduenu auparauant ) en la prouiſion des munitions neceſſaires.

Fruict
tres-digne &
tres-loüable de la fidelité, diligence, experience, prudence & heroï-
que
magnanimité de ſon A lteſſe.
conclurray ce premier traicté de ſuffiſante in ſtru-
ction
, quelles ſont les pieces d’Artillerie, les meilleures, plus fortes, &
aux façons de guer-
re
plus pertinentes:
de laquelle tant Fondeurs que les diligents Canonniers pourront fai-
re
leur profit.
18[Figure 18]Fin de la premiere partie.
5725 19[Figure 19]
SECONDE PARTIE EN
LAQVELLE
PAR VNE AMIABLE
CONFERENCE
ENTRE VN NOVVEAV
General
& vn Capitaine bien experimenté, ſont deduites
pluſieurs
choſes appartenantes tant au train de
l’Artillerie
qu’à l’office du General.
DIALOGVE I.
Propoſition
des demandes & choſes cy apres à traitter.
GENERAL. Monſieur le Capitaine, la cauſe principale qui m’a fait venir
en
ce pays, &
y ſejourner quelque temps eſt l’excellence de ſabeauté, &
le
deſir que i’auois d’y contempler à loiſir ſes belles &
ingenieuſes forte-
reſſes
, de qui l’artiſte conſtruction ſurpaſſe de beaucoup l’eſtime que i’en
ay
entendu faire parmy le monde, &
principalement la fameuſe ville
d’Anuers
baſtie en ſi bonne &
conuenable aſsiette, a l’abord d’vne ſi pro-
fonde
riuiere, la longueur &
profondeur de ſes foſſez, la force de ſes
murailles
, ſa magniſicence, ſontraſic &
ſon imprenable citadelle munie de tant de diuer-
ſes
pieces d’artillerie.
Tandis que par vne ſi fauorable rencontre ie iouys de voſtre preſen-
ce
en vn lieu tant agreable, ie vous prie de me donner inſtruction, comme perſonnage ſin-
gulierement
expert en ſemblables affaires, de l’office &
deuoir d’vn General d’Artillerie,
tant
en temps de paix que de guerre, auec vne deſcription de toutes les autres charges &

prouiſions
dependantes d’iceluy.
Cap. Tres-illuſtre Seigneur, ie deſire ſatisfaire entierement à voſtre deſir, & bien que
mon
pouuoir ſoit petit ie feray neantmoins mon poſſible de vous faire part de tout ce qu’en
cette
matiere i’ay veu &
experimenté, tandis qu’au maniement de l’artillerie i’ay ſuiuy ce
camp
tant heureux.
Et pour faciliter cette entrepriſe ie deſirerois entendre quels rangs &
quelles
charges voſtre Seigneurie a ſouſtenuë iuſques à preſent és guerres.
Gen. I’ay ſerui quelques années au Roy noſtre Seigneur en Italie, eſtant Capitaine de
l’infanterie
Eſpagnole.
De là ie ſuis paſſé en Piémont, auec quelques lances: & de en
Hõgrie
auec vn tiers d’Italiens, au ſeruice de la Maieſté Imperiale, iuſques à ce que la paix
fut
faite.
Et maintenant le Roy mon Seigneur ſe reſſouuenant de mes longs & bons ſer-
uices
m’a fait appeller, pour m employer en quelque honorable charge de ſon armée.
En
laquelle
ie ne deſirerois autre choſe que d’eſtre fait General de l’artillerie, à laquelle i’ay
dedié
toutes mes affections &
deuotions.
Cap. Puis donc que V. S. illuſtre a cette affection & deſſein, à mon aduis ſi elle
5826Second Traicté uient à ſon deſſein, il luy ſeroit ſingulierement proſitable de bien remarquer le diſcours
auquel
elle meſme m’ayant induit, ie luy vay faire en toute fidelité, meſine la viſitant tous
les
iours en ſon logis, &
m’eſtimant heureux d’eſtre employé en ſon ſeruice. Et confeſſant
volontiers
que ie ne le pourray faire auec l’elegance requiſe, ie taſcheray de la recompen-
ſer
par la diligence &
vn ſoin tres-exact, traitant de poinct en poinct le peu que i’entends
de
cette ſcience, ſelon ce que par l’experience &
maniement de l’arrillerie i’en ay appris.
Gen. le vous en remercie infiniement de l’offre tant liberal, m’obligeant à foy de che-
ualier
de le recognoiſtre, &
vous recompenſer la peine que pour l’amour de moy vous y
prendrez
.
Et par ainſi eſperant de ſejourner icy pour le moins vn couple de mois, entre au-
tres
honneſtes recreations, nous paſſerons vne partie du temps en la deduction de cette
matiere
.
DIALOGVE II.
Premiere
question de la charge & qualité du Generalde l’ Artillerie.
GEneral. Treſbien venu Monſieur le Capitaine, nous eſtans rencontrez de ſi bon
matin
, i’eſpere que nous aurons bien du temps pour diſcourir ſur noſtre matiere.
Cap. Dieu vous donne le bon iour illuſtriſſime Seigneur. Le deſir que i’ay de
vous
ſeruir me fait leuer ſi matin.
Gen. Bien doncques, pour paruenir à noſtre deſſein, ie deſirerois ſçauoir quelle eſt la
charge
d’vn General d’artillerie, &
en quoy ſe maintient ſon authorité.
Cap. De cecy, tres-illuſtre Seigneur, vous découuriray-ie tout ce que i’ay appris &
pratiqué
en ces Eſtats:
Quand à la charge à part ſoy, e’le eſt telle, que iamais on ne la ſçau-
roit
eſtimer ſelon qu’elle merite:
Eſtant non ſeuleme @tvtile, mais auſſi de tres-grande im-
portance
, dont elle doit eſtre preferée à toutes autres, excepté celle du General ou ſouue-
rain
Maiſtre du camp.
Mais en ces Eſtats on a touſiours obſerué cet ordre, que celuy qui
pretend
d’eſtre chef de la caualerie, ou de Mareſchal de camp, paſſe premierement par les
degrez
de la charge de l’artillerie.
Etafin que V. S. en ſçache les dependances, ie les luy
vay
declarer par ordre.
Premierement, toute la prouiſion de l’artillerie, toutes ſor-
tes
d’armes;
comme mouſquets, arquebuſes, poudre, boulets, les appareils des pion-
niers
, chariots, cheuaux limonniers, &
leurs conducteurs, & autres choſes ſemblables dé-
pendent
de luy.
Secondement, giſt en iceluy toute la proſperité de l’armée, laquelle il doit
aduancer
ſelon tout ſon pouuoir par le moyen de l’artillerie, &
autres machines dependan-
tes
d’icelle.
En laquelle il ne fera pas de faute, eſtant bien expert de la force & vſage d’icel-
le
, &
doüé d’vn eſprit vif & ſubtil, auec vne prudence telle qu’il ſe ſçache ſi bien couurir
de
deffences, qu’offenſant librement l’ennemy, il ne puiſſe eſtre endommagé de luy.
Gen. Pour vray, à mon aduis, c’eſt vne charge bien honorable, & de grande conſe-
quence
à laquelle ie deſirerois m’appliquer en eſperance (auec l’aide de Dieu, &
la bonne
adreſſe
d’vn ſemblable à vous, auec le peu d’experience que i’ay acquiſe és guerres, &

aſſeuré
qu’vn valeureux ſoldat s’y peut employer ſans aucun ſcrupule) d’en rapporter hon-
neur
&
reputation.
Cap. C’eſt vne choſe certaine qu’il en eſt ainſi, non ſeulement à raiſon de ce que i’ay
deſia
dit, mais auſſi de ce que i’y adiouſteray encor.
A ſçauoir, que quand vn camp marche,
ſoit
pour exploiter quelque entrepriſe, ou pour ſe loger en quelque lieu, le General de l’ar-
tillerie
a touſiours vne partie à ſa charge.
Et quand le General n’y eſt preſent, il comman-
de
à toute l’armée.
Ce que i’ay veu eſtre pratiqué en la perſonne du Conte Charles de
Mansfelt
, de M.
de la Motte, du Conte de Boſſu, du Conte de Barras, de Don Louys de
Velaſco
, &
du Conte de Buquoy, General à preſent. Et veritablement nul ne deuoit
59
[Empty page]
6020[Figure 20]
6121[Figure 21]
6222[Figure 22]
63
[Empty page]
64
[Empty page]
6527De l’Artillerie. admis à plus haute charge ſans eſtre paſſé par cette-cy, comme celle qui ſingulierement
eſueille
les eſprits, pour ſe pouuoir ſeruir de toutes occurrences.
Gen. Cecy, Seigneur Capitaine, me plaiſt grandement, meſmes oyant que des per-
ſonnages
ſi excellens, &
deſquels la renommée eſt ſi bien cognuë par tout le monde, s’y
ſont
employez:
Eſperant auſsi quand à moy, auec l’aide de Dieu, & faueur de la Maieſté
Imperiale
de l’obtenir, dont ie vous prie de m’eſclaircir plus amplement ſur tout ce qui
en
deſpend.
Cap. Tres-illuſtre Seigneur, i’accompliray tres-volontiers ce que me commandez,
vous
priant me declarer ce que deſirez ſçauoir en premier lieu.
Gen. Allons-nous-en diſner, apres nous rechercherons à l’aiſe ce qui eſt requis pour
mettre
vne armée en campagne.
DIALOGVE III.
Seconde question des prouiſions pour vne armée accompagnée
de
trente pieces d’artillerie.
GEn. Commençons maintenant à traitter des prouiſions pour vne armée de 40.
mil hommes, à ſçauoir de 34. mille pietons, & 6. mille de caualerie, ayant à ſa
ſuite
30.
pieces d’artillerie.
Cap. Monſeigneur, ie croy que les 30. pieces ſeront baſtantes pour marcher contre vn
ennemy
quoy que puiſſant, ou pour gaigner vne ville ou ſort, quoy qu’inexpugnable.
Ce-
pendant
deuant que de marcher, il faut entrer en conſeil de guerre, auquel le General de
l’artillerie
s’eſtant informé de la volonté &
deſſein de ſon Prince ou General, accompagné
d’autres
officiers d’Eſtat:
comme ſont le Pouruoyeur, le Threſorier, le Pagador, & le Mai-
ſtre
d’Hoſtel, peſe &
examine de bien prés, & auec grande diligence tout ce qui ſera requis
pour
effectuer telle entrepriſe:
remonſtrant quelle prouiſion il faudra faire d’artillerie, de
poudre
, boulets, &
autres munitions neceſſaires. Dequoy il fera vn memoire, s’adreſſant
au
Chef ou General d’armée, le priant que pour l’auancement de l’affaire, il donne ordre
que
tant à l’argent, qu’aux gens requis il n’y aye point de defaut.
Cependant, il faut depeſ-
cher
des commiſſaires capables, les vns pour acheter les armes, les autres pour faire proui-
ſion
de poudre &
boulets: les autres pour faire amas des harnois des pionniers: les autres
pour
faire leuée de cheuaux tant limonniers que pour l’vſage neceſſaire du chariage, fai-
ſant
accord auec les conducteurs d’iceux de la ſolde qu’on leur donnera par mois, tant
pour
chacun cheual limonnier, que pour vn chariot à trois cheuaux:
& leur baillant in-
continent
apres les auoir obligez, vne partie d’icelle pour ſe pouruoir de toutes choſes ne-
ceſſaires
, en ſorte qu’au beſoin iln’y ait point de defaut en leur attelage.
Ettous ces com-
miſſaires
doiuent eſtre gens honorables &
de credit: Le General eſtant obligé & tenu
de
donner bon ordre à l’aſſeurance de leur payement &
bon acquartillage. Apresil doit
monſtrer
les lieux d’où l’artillerie ſera tirée, ayant le ſoucy que les pieces ſoyent bonnes,
viſitées
de bons &
experts Conneſtables, & pourueuës ou accompagnées de gens com-
petens
.
Gen. Ma foy c’eſt vne belle ordonnance, qui eſt obſeruée en ces quartiers. Mais paſ-
ſons
outre s’il vous plaiſt, nous informant de l’vſage ou application de l’artillerie, me ſem-
blant
auoir peu fait d’en donner à ſi grande armée 30.
pieces.
Cap. Tres-illuſtre Seigneur, Pour grand que ſoit vn bataillon, trente pieces
eſtant
bien placées aux angles de ſon front, luy ſuffiront.
Et ne ſe faut par trop ap-
puyer
ſur l’artillerie, aduenant ſouuent, que ou par ſtratagemes, ou ſubites rencontres
de
l’ennemy, on ne s’en peut ſeruir.
Et pour l’aſsiette d’vne place, quoy que forte &
6628Second Traicté bien gardée, les trente pieces ſeront ſuffiſantes, encor qu’on fuſt contraint de faire deux
batteries
generales, chacune de trois camerades en ſix deffenſes.
Et n’eſt pas beſoin de
charger
l’armée de ſi grand &
laborieux train: joint que pour ſi grand nombre de cheuaux
ſuperſlus
le fourrage pourroit venir à defaillir, choſe à laquelle le prudent General doit
touſiours
auoir l’œil ouuert.
Gen. Toutesfois i’ay ſouuent ouy debattre, & auec bonnes raiſons, entre ſoldats bien
experimentez
, que pour faire marcher vne armée en iuſte &
conuenable proportion, il
luy
failloit bailler pour chaque millier d’hommes vne piece d’artillerie, de ſorte que pour
leſdits
quarante mille hommes, il luy en faudroit donner quarante pieces.
Cap. Il eſt vray qu’on en diſpute ainſi: Mais i’oſe bien aſſeurer V. S. qu’on n’y peut
mettre
reigle ny ordre precis.
Et peux bien dire que ie me ſuis ſouuent trouué les mil-
liers
d’hommes ſurmontoyent les pieces d’artillerie, &
d’autre part les pieces d’artille-
rie
ſurmontoyent de beaucoup le nombre des milliers de gensd’armes:
ce poinct n’ayant
autre
loy, ſinon celle de l’opportunité &
de la neceſſité.
Gen. Puis doncques qu’il ſe faut contenter de trente pieces, quelles ſeront les plus
propres
?
Cap. Les plus propres ſeront les canons de batterie, les demis & quarts de canons,
comme
ceux deſquels on ſe peut ſeruir en toutes occaſions, tant en campagne qu’en l’aſ-
ſiette
de quelque fort:
ſe pourront doncques repartir en cette maniere, qu’il y ait 9. canons,
8
.
demy canons, & 6. quart de canon, auec 7. pieces de camp. Dont les canons ſeruiront
quand
on ſera contraint d’aſſieger quelque place, eſquels outre l’effroy qu’on en donnera
aux
aſſiegez, on aura auſſi cet aduantage qu’on ne craindra quelque defaut des boulets.
Gen. De cecy i’en voudrois bien ſçauoir la raiſon. Cap. Les pieces de l’ennemy à
peine
ſeront plus grandes que celles cy, de ſorte que les boulets ſeront auſſi à l’aduenant.
Gen. Mais à quelle raiſon & compte pourroit eſtre qu’vne puiſſante armée ſortiroit ſans
ſuſſiſante
prouiſion de boulets?
Cap. Cecy peut aduenir facilement, les eſmarmouſches & autres occaſions de faire
ioüer
l’artillerie ſe preſentent ſi ſouuent, que poudre &
boulets viennent à defaillir: com-
me
i’en ay veu l’experience de l’euenement à des Generaux bien curieux &
diligens en
leurs
prouiſions.
C’eſt pourquoy l’Empereur Charles V. d’heureuſe memoire, és guerres
qu’il
eut contre les Roys de France, commanda à ſes Generaux qu’és fontes de leur artille-
rie
ils prinſent les calibres plus grands que les ennemis, aſin que luy ſe pouuant ſeruir des
boulets
de l’ennemy, l’ennemy ne ſe peuſt ſeruir des ſiens.
Dont enſuiuit qu’en peu de
temps
les François ayans diſette de boulets, l’Empereur en iouyſſoit en abondance.
Gen. C’eſtoit vn ſtratageme de ſinguliere prudence, dont l’iſſuë auſſi fut heureuſe.
Mais pourſuiuons à la recherche des prouiſions neceſſaires pour noſtre armée.
Cap. La neceſſité requiert, comme auſſi on eſt accouſtumé par deçà, deuant que de
faire
marcher l’armée, on face prouiſion de toutes les munitions requiſes, les repartiſſant
en
deux ou trois magazins ou arſenacs, les plus commodes &
plus prés du chemin par le-
quel
l’armée doit paſſer.
Gen. Pourquoy empeſcher tant de places? Ne ſeroit-il pas mieux de les auoir enſem-
ble
en vn lieu, pour s’en ſeruir au beſoin, qu’eſtant ainſi eſparſes, ſe pourroit offrir l’in-
commodité
d’eſtre empeſché d’en vſer?
Cap. Quoy qu’il en ſoit, tres-illuſtre Seigneur, ie ſerois touſiours d’aduis de les depar-
tir
.
Car s’il y peut aduenir quelque incommodité, certes le danger de les tenir vnies eſt
beaucoup
plus grand.
Et peut aduenir facilement qu’on ſe trouuerroit defourni non ſeule-
ment
d’vne partie, mais de toute la prouiſion faite.
V. S. aura bien entendu, comme n’a-
gueres
le foudre tombant à Naples ſur le tant renommé chaſteau de Santlino, emporta
toute
la poudre:
comme auſsi en vn autre lieu de Lombardie, & à Linghen en Friſe.
Exemples deſquels on ſe doit ſeruir pour recognoiſtrele danger. Et qu’aduint-ilau Roy
6729De l’Artillerie. France Henry de Bourbon és guerres menées contre ces eſtats: ayant amaſſé toutes ſes mu-
nitions
en la ville d’Amiens, lieu, comme il ſembloit aſſez commode pour tel eſſet:
A ſça-
uoir
que par ſtratageme des noſtres, il perdit &
la ville & toutes les prouiſions qu’il y auoit
faites
.
Gen. Ie deſirerois bien ſçauoir comment cela ſe ſit deuant que paſſer plus auant.
Cap. Son Alteſſe eſtant aduertie par les Gouuerneurs des frontieres d’Artois & de
Henegau
que le Roy de France auoit fait ſon arſenac pour la guerre prochaine, en la ville
d’Amiens
:
mais qu’il y auoit peu de ſoldats pour la garde & défenſe, & que les bourgeois
trop
aſſeurez n’auoient gueres de ſoing de garder les portes:
ſit commandement au Gou-
uerneur
de Dorlan, Hernan Rollo, de s’acheminer auec ſes garniſons vers ladite ville, &

aupres
d’icelles, s’eſtans mis en embuſches en vn cloiſtre, enuoye de bon matin quel-
ques
ſoldats déguiſez en villageois, auec vn chariot de foing, lequel ils mettroient deſ-
ſous
le treillis ou les barres de la porte pour en empeſcher la cloſture, &
iceux accompa-
gnez
d’vn qui portaſt vn ſac remply de noix, pour diuertir les gardes, iuſques à ce qu’ils au-
roient
effectué leur deſſein auec le chariot, &
par ainſi faire l’eſpreuue, ſi ſans bruit on ſe
pourroit
ſaiſir de ladite ville:
Ce qui en ſin ſe ſit ſi à point, qu’ils en paruindrent à bout.
Le porte-noix marche deuant iuſques aux portes; fort las il decharge ſon ſac pour
repoſer
vn peu;
cependant voicy le foing & les villageois conducteurs entrent au lieu
deſtiné
:
l’autre les veut ſuiure, mais ſe voulant recharger de la ſomme, le lourdaut laiſſe
tomber
ſon ſac à terre, les noix, auec grand bruit &
riſée des aſſiſtans, s’eſpanchent, les
gardes
en veulent cueillir leur part:
cependant ceux qui eſtoient au cloiſtre s’approchent,
les
villageois ſe découurent, &
manient ſi bien les mains qu’ils emportent la porte & la
ville
, auec toutes les prouiſions du Roy.
Gen. C’eſtoient certes de braues & vaillants ſoldats dignes de tout honneur. Mais
les
magazins ou arſenacs eſtans dreſſez;
entendons au reſte des choſes qu’il y faut mettre à
reſerue
pour l’vſage de l’artillerie.
Project de toutes ſortes de munitions deſquelles il faut que les arſenacs ſoient touſiours pourueus
aſin
que l’occaſion ſe preſentant, de faire marcher l’armée à l’improuiſte,
il
n’y aye point de defaut des choſes neceſſaires.
Boulets.
11
De
canon # 5000.
De
demy-canon # 12000.
De
quart de canon # 14000.
De
quart de couleurine # 16000.
De
poudre # 4000. quintaux.
Des
meſches # 5000. quintaux.
Du
plomb # 2000. quintaux.
Des
mouſquets # 2000.
Arquebuſes
# 2000.
Des
hautbergeois ou curaces tant lege- \\ res, que doubles auec leurs morions # 2700.
Des
piſtoles & carabines pour les Riſtres # 1500.
Des
lances # 500.
Hardes des pionniers, &
autres
.
22
Des
palles de fer # 6000.
Des
hoyeaux # 4000.
Des
picqs # 1000.
Des
ſarpes & petites coignées à la main. # 1000.
Des
coignées à deux mains # 1000.
Des
petites corbeilles pour porter la terre és \\ tranchées # 1000.
Des
ſacs de toile pour le meſme # 2600.
Des
broüettes pour le meſme # 500.
Des
charettes ou tombereaux à vn cheual \\ pour le meſme # 1000.
Des
ſelles auec leurs appartenances pour les \\ cheuaux limonniers # 500.
6830Second Traicté11
Toutes
ſortes de cordages # 1000. q.
## Toutes ſortes de fer & clauaçon 1000. quin- \\ taux.
## 6 Ponts artiſiciels auec leurs chariots.
## Quelques tonneaux auec du bitume, poix, \\ eſtouppes, & autres choſes ſemblables \\ pour les feux artiſiciels.
## 50. Lampions, auec quantité ſuſſiſante des \\ anneaux empoiſez.
100
. Lanternes, chandelles # 2000. lb.
## Bonne quantité de peaux de bœuf & de \\ veaux, pour lauer & rafraiſchir l’artille- \\ rie, & couurir la poudre aux façons de \\ guerre.
Pour l’Artillerie.
22
3
. # Fuſts de canon.
6
. # Fuſts de demy canon.
4
. # Fuſts de quart de canon.
8
. # Chariots longs pour chargerles canons.
12
. # Auantreſnes, qui ſont les parties de \\ deuant d’vn chariot, ſur leſquelles on re- \\ poſe la culatte du fuſt de l’artillerie au \\ chariage.
## Bonne quantité de rouës, axes ou eſſieux, ti- \\ mons & autres harnois de chariage.
4
. # Guindaux auec leurs appartenances.
4
. # Martinets. 6. cordes a la main.
## Vn cabeſtran auec ſes cordes & pales.
## Bonne quantité de tables de pin pour aſſeu- \\ rer & fourrer les mines.
## Quelque prouiſion de maſſues, marteaux & \\ coings.
## Quelque quantité de toutes ſortes de for- \\ mes ou moules pour faire balles de mouſ- \\ quets & d’arquebuſes.
## Deux grands mortiers de bronze.
## Six petards.
## Des cueillers, nettoyeurs & autres ſem- \\ blables ſeruices de l’artillerie, ſelon ſa \\ qualité & quantité.
Gen. Veritablement il faut de grands appreſts & fraiz pour la guerre. Mais faiſons
maintenant
vn recueil de ce qu’vn General auroit à pourueoir, tant pour la neceſſité de
nos
trente pieces, que de toute l’armée, en ce qui eſt de ſa charge.
Cap. Selon que la traitte ſeroit longue faudroit faire la prouiſion des munitions,
auec
vn nombre competent de chariots &
cheuaux pour leur chariage: & ne ſçachant ce-
cy
, on n’en ſçauroit auſſi faire le compte iuſte.
Toutesfois pour en pouuoir reſoudre quel-
que
partie:
Ie ſerois d’aduis, qu’il ſuſſiroit, pour le commencement, auec le conſente-
ment
du chef de l’entrepriſe, &
de ſon conſeil de guerre, qu’on ſiſt la prouiſion ſeulement
pour
15.
iours: pour leſquels (ſous correction toutesfois) il y faudroit les choſes ſui-
uantes
.
Poſons (pour exemple) que leſdites 30. pieces ſoient departies ainſi, que les 9. ſoient
canons
, les 8.
demys-canons, les 6. quarts de canons, & 7. quarts de couleurine, qui ſont
les
pieces ordinaires de campagne:
Et qu’il ſe preſentaſt que durant ces 15. iours, chaque
canon
tiraſt 8.
le demy-canon 10. le quart 12. & la piece de campagne 14. coups: Et que
dauantage
il faudroit battre vne ville en vn ou deux endroits, ou bien battrebien inſtam-
ment
deux chaſteaux à la fois, pour oſter le ſecours à l’ennemy, &
empeſcher ſes repara-
tions
:
Il ſuſſiroit ſi pour le commencement on auoit la prouiſion pour quatre iours, pour
30
.
coups à chacun canon, ſe pouuant pourueoir du reſte de ce qu’il faudroit, des magazins
ou
arſenacs prochains.
Laquelle prouiſion, à mon aduis ſeroit baſtante pour de premier
abord
dreſſer vn ſiege, &
le deffendre, iuſques à ce que toutes les autres munitions ne-
ceſſaires
y fuſſent amenées.
Et ce, pour eſpargner de la peine & des fraiz, principalement
s’il
y auoit defaut de gens ou d’argent, &
que le Prince ou chef de l’entrepriſe, ne fut trop
riche
&
puiſſant. Mais quand de cecy il n’y auroit point de ſoupçon: I’eſtimerois eſtre
plus
expedient, que tout du commencement on y amenaſt la prouiſion entiere, tant des
munitions
que des victuailles pour ſix mois, qui eſt le temps plus long, que nature meſme
permet
eſtre en campagne;
ſingulierement aux pays froids, eſquels deuant le premier de
May
, on ne peut marcher, par faute de fourrages &
autres neceſſitez: n’y demeurer que iuſ-
quesen
Octobre, à cauſe du froid, &
abondance d’humiditez.
6931de l’Artillerie.
Or pour retourner à noſtre propos de la prouiſion pour 15. iours: Il faudroit auoir,
pour
chaque canon à raiſon de huit coups par iour, 120.
boulets, & pour les neuf par iour il
en
faudroit auoir mille &
huictante, qui peſeront 43200. lb. Et de poudre fine, à raiſon de
20
.
lb. pour chaque coup, 21600. lb.
Pour 10. coups à chaque demy-canon, il faudroit auoir 150. boulets, & pour les huit,
1200
.
qui peſeront 28800. lb.
Pour 12. coups à chaque quart de canon, 180. boulets, & pour les ſix 1080. qui pe-
ſeront
10800.
lb.
Pour 14. coups à chaque quart de couleurine, ou piece de campagne, il y fau-
dra
auoir 210.
boulets, & pour les ſept 1470. qui peſeront ſept mille trois cens cin-
quante
lb.
De la poudre, à raiſon de 20. lb. pour chaſque coup de canon 12. lb. pour demy-ca-
non
:
6. lb. pour quart de canon: & 5. lb. pour la piece de camp. Il en faudra pour ledit temps
de
15.
iours 49830. lb. Sans laquelle pour la mouſquetterie & l’arquebuſerie, pour le
moins
il en faudra auoir encor 4000.
lb. laquelle cependant qu’il n’y aura point de com-
bat
, ſera comme en depoſt, pour la ſuruenante neceſsité.
Et ſi d’autre part à cauſe
de
pluſieurs attaques, courſes &
eſcarmouches, il en faloit dauantage: ayant la
campagne
ouuerte &
libre, on en pourroit tous les iours auecgardes ſuffiſantes apporter
aſſez
.
Pour leſdits mouſquetaires & arquebuſiers, il faut auoir 600. quintaux de cordes ou
meſches
, ſont 60000.
lb. & en balles de plomb pour leſdits 40000. lb.
Item 500. mouſquets empacquetez en corbeilles, peſent 8500. lb.
400. arquebuſes empacquetées ſemblablement, peſent 4200. lb.
1500. picques, peſent 9000. lb.
200. piſtolets peſent 2600. lb.
300. lances peſent 1500. lb.
1000. hoyeaux peſent 5000. lb.
300. picques peſent 1500. lb.
100. coignées peſent 500. lb.
1000. ſerpes ou petites coignées peſent 4100. lb.
300. petites corbeilles peſent 1200. lb.
1600. ſacs de toile pour les tranchées peſent 1200. lb.
2500. palles de fer peſent 1250.
12. Eſchelles peſent 300. lb.
De ſorte que tout ce poids monte à 353680. lb. qui font la charge de 295. chariots,
à
raiſon de 1200.
lb. ou 12. quintaux pour chariot.
Dauantage, pour 200. ſelles & couſsins de cheuaux limonniers, 600. paires d’eſtri-
uieres
, 200.
paires de cordes d’attelage, 100. quintaux de fer & clauaçon, quelques ancres,
cordes
à la main, guindaux, tonneaux de bitume &
poix, chandelles & graiſſe, & autres
manutes
, il faut auoir encor 16.
chariots, pour les tentes 5. chariots, & pour le reſte du ba-
gage
40.
chariots: de ſorte que la ſomme ſemontera à 356. chariots.
Gen. Cette prouiſion & ordre du train me plaiſt ſingulierement. Mais dites-moy
Monſieur
le Capitaine, faiſant la prouiſion pour 15.
iours, eſquels il faudroit tirer conti-
nuellement
, pourquoy ne comptez-vous que ſi peu de boulets &
poudre, ſçachant toutes-
fois
que s’il y auoit de l’eſcarmouche, ou à l’impourueuë il faudroit forcer quelque ville
ou
chaſteau, il en faudroit beaucoup dauantage?
Et s’il ſe preſentoit que tout à l’entrée il
faluſt
ordonner vne batterie, Ie ſuis aſſeuré que pour faire la breſche comme il appar-
tient
, toute cette prouiſion n’y ſuffiroit.
Cap. Pourroit bien eſtre, ſi telle place battuë depuis le matin iuſques au ſoir ne viẽt
(ce que toutesfois ie ne doubterois) à ſe rendre, Ioinct qu’ayant compté pour
7032Second Traicté canon 120. boulets, pour le demy 150. & pour le quart 180. & pour le quart de couleurine
210
.
pour les 15. iours ſuſdits: Il ne s’en ſuit pourtant que tous tireront continuellement,
n’ayant
pas touſiours la meſme occaſion.
Et aduiendra que l’vne ne fera que 12. l’autre 20.
l’vne plus, l’autre moins de coups: voire quelques-vnes n’en feront nul: comme auſſi l’occa-
ſion
de tirer ne ſe preſente pas touſiours.
Et poſez qu’il ſe preſentaſt vne bien rude & fu-
rieuſe
bataille:
elle ne pourra durer trois iours, voire deux. Et que s’il ſe preſentoit
l’occaſion
de tirer continuellement (comme il aduint en la iournée de Ratiſbonne, de
l’Empereur
Charles V.
contre le Duc de Saxe & de Landgraue de Heſſe, en laquelle de
chaque
part furent tirez 3000.
boulets) il y auroit non ſeulement 3000. mais auſsi les {3/5} da-
nantage
, à ſçauoir 4830.
boulets, eſquels on trouueroit pluſtoſt du ſurplus que du de-
faut
:
Et l’ennemy tirant auſsi de ſon coſté; ce nombre ſera accreu de beaucoup, pourueu
que
(comme il faut auoir ſingulier eſgard) nos pieces ſoient de plus grand calibre, que cel-
les
de l’ennemy:
de ſorte que luy ne ſe pouuant ſeruir de nos boulets, nous luy puiſsions
renuoyer
les ſiens.
Mais quand à la poudre, y ayant apparence de ſemblable euenement, Ie ne voudrois
empeſcher
qu’on n’en fit plus liberale prouiſion:
eſtimant que pour tirer continuellement
les
15.
iours entiers: il y auroit aſſez, & ſuffi ſamment de 1000. quint. Me remettant toutes-
fois
(comme deſſus) à l’aduis du chef, &
de ſon conſeil de guerre; & concluant ainſi que
V
.
S. deſiroit de ſçauoir quand à ce poinct.
Gen. Mais quel ordre & prouiſion y faut-il pour les attelages, qui pourroient venir
à
defaillir?
Cap. Il aduient ſouuent, tant au chemin, qu’au fait de la guerre, que les montai-
gnes
defaillent, dont auſsi il y faut pouruoir auec grande diſcretion:
à ſçauoir d’en faire
prouiſion
d’vn tiers, en ſorte que pour 30.
canons ou demy canons montez il y ait touſiours
10
.
fuſts preſts pour en vſer ſi la neceſsité le requeroit. Ie dis canons ou demy-canons: car
pour
les quarts &
pieces de camp, eſtant entiers & bien faits, il n’y a point de danger de
defaut
.
Et ce que i’ay dit d’vn tiers, s’entend des lieux eſquels on a quelque fleuue à comman-
dement
, qui donne la commodité de conduire à baſteau ou plattes, tout ce qu’on deman-
de
, qui eſtant mis à bord, auec peu de peine &
chariage eſt tranſporté au camp, & on
s’en
voudroit ſeruir, de ſorte que l’armée n’en eſt tant chargée, comme quand du commen-
cement
il faudroit apporter toutes les prouiſions par terre.
Gen. Auſsi ie l’entends ainſi, Mais quand l’eau defaudroit, quelle prouiſion ſe-
roit
requiſe.
Cap. Puis que V. S. Illuſtre prend plaiſir de l’entendre, ie vous deduiray tout ce
que
i’en ay veu &
appris, notamment és frontieres de la France, eſtans deſtituez de la
commodité
des fleuues nauiguables, nous ne pouuions ſoulager l’armée de la charge du
chariage
.
Gen. Ie pous prie de m’en faire part: Eſtant requis qu’auec grande prudence & in-
duſtrie
on ſe prepare à tous euenements.
Note de la prouiſion de l’attelage pour trente pieces d’artillerie,
tirées
en campagne.
CAPITAINE. Pour 9. can. 8. demy-can. 6. quarts, & 7. pieces de camp, ſuffira pour
ſuppléer
tout defaut qui pourroit ſuruenir, ou au chemin, ou au beſoin de la guerre,
la
ſuiuante prouiſion.
A ſçauoir pour les 9. canons trois fuſts, & autrement pour les
8
.
demy-canons. Et pour les 6. quarts & le reſte deux auec cinq chariots bas de charge,
auec
quelques leuiers de fer, ou pieds de chevre.
7133De l’Artillerie.
Item 20. rouës pour leſdits fuſts, 8. grandes & 8. petites rouës pour les chariots
longs
, 12.
auantreins, 10. axes de toutes ſortes, auec prouiſion ſuffiſante de fers & de
cloux
pour les rouës ſuſdites.
Et peut eſtre qu’en vne iournée on auroit de beſoing de beaucoup dauantage: mais
auſſi
aduient-il, que de ce qu’auons dit on en ait de ſurplus:
cependant le bon & curieux
General
doit eſtre zelateur de ſon honneur en cet endroit, d’auoir touſiours l’œil ſur ce
que
en ſon entrepriſe luy pourroit cauſer quelque faute, &
principalement quand à l’at-
telage
de l’Artillerie il vaut mieux d’en auoir de ſurplus, conſiderant que quel que petit
defaut
mettroit ſouuent toute vne armée en danger, ou pour le moins la contraindroit de
quitter
quelque bonne occaſion.
Gen. Ma foy, comme i’entends il s’en faut beaucoup qu’on ne ſoit bien pourueu &
équipé
de toutes pieces.
Mais quand à ces chariots longs, ne ſeroit-il pas mieux que les pie-
ces
allaſſent, principalement en lieu plein, montées ſur leurs fuſts, aſin que l’ennemy ſe
preſentant
ſubitement pour attaquer ou ſurprendre le train, on luy puiſſe faire la ſalve, en
ſorte
qu’il fut contraint de ſe tenir bien loing?
Cap. Iamais V. S. illuſtre ne pourroit aſſez remarquer l’vtilité & commodité de
ces
chariots au tranſport ou remuëment de l’Artillerie, eſtant non ſeulement tres-propres
à
cet affaire, mais auſſi tres-commodes en autres occaſions:
Comme pour mener des
ponts
, des nefs &
autres ſemblables choſes de grande charge. Et eſtant beſoing de faire
vn
pont à la haſte d’arbres &
ſarments, les plus grands arbres peuuent eſtre apportez faci-
lement
en ces chariots.
De ſorte que i’oſerois bien aſſeurer qu’il n’y a inuention ny machi-
ne
plus propre au train de l’Artillerie, que celle-cy.
Ioint que (comme il aduient ordinai-
rement
és lieux pleins) l’ennemy enuironnant vn camp le voudroit attaquer en pluſieurs
endroits
, ces chariots auec leurs groſſes perches entre les autres chariots vuides ſerui-
ront
pour faire ſubit vn bon retranchement au lieu qu’on deſireroit, en ſorte que
l’ennemy
, principalement de ſa cauallerie, ne le pourroit endommager aucune-
ment
.
Dauantage, il faut auſſi conſiderer qu’vne groſſe piece d’Artillerie ſe conduit beau-
coup
plus facilement ſur vn tel chariot, qui a les rouës hautes &
déliées, que ſur ſon fuſt,
ayant
les rouës peſantes, groſſes &
courtes, principalement s’il eſt queſtion de paſſer par
lieux
humides, fangeux &
ſablonneux. Et de fait auſſi n’eſt-il pas ſi peſant. Car le canon
en
tel chariot ne peſe que 7544.
lb. pour leſquelles attelant 23. cheuaux, il y aura pour
chacun
328.
lb. & ſur ſon fuſt il peſera 8600. lb. deſquelles pour leſdits 23. cheuaux, il
y
aura pour chacun 374.
c’eſt à dire 45. lb. dauantage.
Et comme cecy eſt digne de conſideration, ainſi ne doit eſtre meſpriſé : que ſi on
rencontroit
vn chemin difficile &
bourbeux, on ſe pourroit depeſtrer plus facilement
auec
ces chariots qui ont la rouë ſubtile &
haute, & le corps entier, qu’auec le fuſt qui a la
rouë
baſſe &
peſante, & auec cela, combien que ioint ſur l’auantrain, d’vn corps diuiſé de
mouuement
bien difficile &
contraire.
Et quand à la ſubite attaque de l’ennemy, il eſt bien vray que le canon marchant mon-
ſur ſon ſuſt, pourroit eſtre pluſtoſt &
promptement repouſſé: mais cecy ſe peut auſſi
bien
faire auec les communes pieces de campagne touſiours preſtes &
plus maniables.
Ioint que quand on marche auec prudence, il n’aduiendra iamais qu’on ſoit aſſailli ſi ſubi-
tement
qu’on n’aye du temps aſſez, les guindaux &
autres outils eſtans preſts pour monter
l’Artillerie
, &
la placer aux angles du bataillon, en ſorte que ſans intereſſer les amis, elle
offenſe
librement les aſſaillans ennemis.
Car le camp marchant comme il appartient, &
en
ordre conuenable, il y a touſiours en l’auantgarde des pietons &
cheuaux, auec leſquels
neceſſairement
l’ennemy ſe rencontre.
Et faiſant ſes approches des coſtez, ce qui aduient rarement, il y a de meſme & en l’arrie-
regarde
, gens à ſuffiſance pour couurir l’Artillerie, de ſorte que (les petites pieces de
7234Second Traicté ioüant cependant) pour ordonner la grande Artillerie ſelon que l’occaſion le requerra, il
y
aura, comme dit eſt, &
temps & commodité à ſuffi ſance.
Il faut auſſi notter ce poinct, que le canon, en tel endroit, s’il n’eſt chargé de cailloux,
cloux
, limailles de fer, de chaines briſées, ou autres ſemblables matieres, ne fera non plus
d’effect
que les pieces de camp.
Et que V. S. s’aſſeure, que le canon ſe reſerue pour les bat-
teries
&
mines des murs & forts, la menuë Artillerie eſtant ſuffiſante, comme auſſi plus
maniable
és autres occurrences.
Gen. Ce beau diſcours, duquel auec vn ordre ſi propre & conuenable des prouiſions
neceſſaires
:
i’entends auſſi la grande experience que vous auez acquiſe és guerres paſſées,
m’a
ſingulierement contenté:
& en particulier la commodité du chariot, duquel il faut que
ie
confeſſe qu’on ne s’en ſçauroit paſſer au train de l’Artillerie.
Cap. Ce pourtrait fig. 5. δ monſtre non ſeulement ſa forme & fabrique, mais auſſi
combien
il eſt propre, tant pour la charge des grandes pieces, que pour autres vſages.
Gen. I’en voy bien la commodité. Toutesfois en eſtant deſtitué, i’eſtimerois que
les
charpentiers, s’il y aduient quelque defaut aux outils de l’Artillerie, comme des ti-
mons
, roües, eſsieuls, fuſts, ou autres telles pieces, ayant du bois aſſez par le chemin, en
pourroient
fournir a ſuffi ſance.
Cap. Bien difficilement. Car le bois pour eſtre fort & durable, doit eſtre couppé &
preparé
en ſa ſaiſon.
Toutesfois la neceſſité n’a point de loy, & ne pouuant plus il s’en
faudroit
contenter &
ſeruir pour deux ou trois iours: m’aſſeurant ou pour le moins crai-
gnant
, qu’il y auroit de la ſaute au beſoing.
Gen. Certes c’eſt vne methode tres-accomplie de tout ce qui eſt requis pour l’attela-
ge
de l’Artillerie.
Toutesfois ie vous prie m’eſclaircir encor ce poinct, à ſçauoir quel bois
ſera
le plus propre pour ſemblables affaires.
Cap. Il faut que let tout ſe face de bon bois, fort & dur, comme oliuiers, cheſnes ou
noyers
, ou autres ſemblables:
Combien qu’en Eſpagne, principalement à Melaga, la pluſ-
part
ſe fait de poupuliers, conduits de Rome de deſſous Granade ſur le rio Chenil par cha-
riots
à cet effect.
Du poids des armes & distribution d’iceluy és chariots.
Gen. Eſtans venus ſur le propos des armes, & du departiment du poids d’icel-
les
:
ie vous prie dites-moy, combien peſera le mouſquet & les autres armes à l’adue-
nant
.
Cap. Le mouſquet auec tous ſes appreſts, de flaſcons & fourchette, peſera enuiron
de
15.
lb. vn arquebuſe 10. lb. vne picque 6. lb. Les paelles, hoyeaux & picques, l’vn par-
my
l’autre, enuiron 5.
lb. vne ſerpe 4. lb.
Gen. Ainſi faudroit-il bien auoir 267. chariots.
Cap. Oüy, mais ſans ceux du bagage, entre lequel touſiours ſe charge quelque ſerui-
ce
pour l’Artillerie.
Gen. Combien donc y faudroit-il atteler de cheuaux, tant aux chariots qu’à l’Ar-
tillerie
.
Cap. Pour vn train tel que nous auons poſé de 30. pieces d’Artillerie, il faudroit auoir
neceſſairement
1524.
cheuaux, les 588. limonniers pour conduire l’Artillerie, & les 936.
pour les autres chariots. Et s’il eſt queſtion de ponts, batteaux, & autres ſemblables pro-
uiſions
, il en faudroit auoir encor dix dauantage.
Gen. Combien y faut-il de cheuaux pour traiſner vne piece?
Cap. Pour le canon il en faut pour le moins 23. Pour le demy 15. ou 17. & pour
le
quart 9.
Mais par deçà, ſelon l’occaſion des chemins, en augmentans le nombre, &
7335De l’Artillerie. pour le canon, nous attelons 30. cheuaux, pour le demy 23. & pour le quart 13. Bien
entendu
toutesfois, qu’au canon les 7.
qui ſurmontent le nombre de 23. ſe reſeruent
ſi
la piece va en ſon ſuſt, pour tirer le chariot:
& ſi en chariot, pour tirer le fuſt, & ainſi
des
autres pieces:
de ſorte que nous employons 100. cheuaux plus qu’auons dit de l’ordi-
naire
.
Gen. Ie deſirerois bien ſçauoir le poids du demy canon, monté en ſon fuſt.
Cap. La piece nuë peſe 41. quintaux, & auec ſon fuſt bien ferré 50. quintaux.
Et eſtant attelé de 15. cheuaux, comme on void en la figure 5. ε il en viendra à chacun
3
{1/3} quintaux, qui eſt le plus qu’on en ſçauroit donner par toute l’Europe:
combien qu’en
ces
pays moittes &
fangeux on en attelle 17. pour amoindrir la charge & le trauail des
cheuaux
.
Gen. Et combien de cheuaux ſont donnez à vn autre chariot?
Cap. Trois.
Gen. Et combien de poids pour vn chacun cheual?
Cap. Pour vn chariot on luy donne de charge or dinaire 15. quintaux, ſans le poids du
chariot
meſme, qui ne viendra à moins de 4.
quintaux. De ſorte que pour chacun cheual
il
y aura enuiron 5 {1/2} quintaux.
Gen. De cette façon il y aura plus de charge tirant le chariot, que pour vn limon-
nier
.
Cap. C’eſt bien raiſon: le chariot ayant rouës plus legeres qu’vn fuſt, & les attela-
ges
plus courts &
faciles. Ioint qu’il importe de beaucoup que l’Artillerie marche plus le-
gerement
&
promptement que les chariots.
Gen. Cette raiſon eſt bonne & me contente fort bien: mais dites-moy comment
le
reſte des chariots du bagage ſont-il departis?
Cap. N’ayant le ſoing d’autres charges de l’armée, qui ne ſont du train de l’artillerie,
(comme ſouuent il eſt aduenu par deçà qu’il a faillu faire leuée de chariots pour autres
eſtats
&
perſonnes, qui autrement ſe deuoient pouruoir à part) nous en deduirons ſeule-
ment
ce qui nous attouche.
A ſçauoir.
11
## Pour le General de l’Artillerie 6. cha- \\ riots.
Pour
deux Lieutenans, à chacun deux \\ ſont # 4.
Pour
le Conteur # 2.
Pour
le Threſorier # 2.
Pour
le Maiſtre d’hoſtel # 1.
Pour
le Commiſſaire des monſtres # 1.
Pour
trois Gentils-hommes 1. dont y en \\ ayant 15. illeur faut # 5.
Aux
charpentiers pour les guindaux & au- \\ tres inſtrumens # 2.
Pour
le Preuoſt # 1.
Au
Mareſchal de camp # 1.
22
Pour
les fers & appreſts des mareſchaux # 2.
Pour
les maiſtres de la charetterie # 1.
Pour
les charpentiers extraordinaires # 1.
Pour
les Ingenieux des feux # 1.
Pour
les Ingenieux des forts # 1.
Pour
les Docteur & Chirurgiens # 1.
Pour
l’Apoticaire & ſes drogues # 1.
Pour
les mineurs # 1.
Pour
les pionniers # 1.
Pour
les mariniers & calfattes # 1.
Pour
les tentes & la chapelle # 5.
Qui
ſonttous enſemble quarante & vn cha- \\ riots.
Et voilà le compte qu’on a de couſtume de faire au train de ſa Majeſté, qui toutesfois
ſe
reſtreint en temps de neceſſité.
Gen. A ce compte-là, il faudroit faire leuée de 306. chariots.
Cap. Selon l’opportunité de la iournée. En lieu il y auroit vn fleuue nauigable,
on
ſe pourroit paſſer de moins:
mais ſi non, on n’en pourroit auoir moins.
Gen. En outre, vne arméene ſe pourroit elle bien paſſer d’vn pont.
7436Second Traicté
Cap. Ouy bien ſi on eſtoit pourueu de plattes & batteaux: des plattes pour paſſer l’ar-
tillerie
, cheuaux &
chariots, & batteaux pour les pietons: mais cependant c’eſt vn affaire
qui
va fort à la longue.
Dont ie iuge le plus conuenable que pour le moins il y ait vn au
train
.
Et pourrois bien racompter des exemples, pour les auoir veuës reüſſir fort heureu-
ſement
, &
au contraire le defaut a fait quitter & perdre mainte bonne occaſion. Et voicy,
tres-illuſtre
Seigneur, ce qui eſtoità dire de la prouiſion neceſſaire pour le train de l’artil-
lerie
, concluant auec la ſigure qui monſtre comment il fautatteler vne piece, &
admone-
ſtant
le General d’eſtre ſingulierement curieux, que pour l’equipage de ſon train rien ne
defaille
, y allant de ſon honneur &
de la proſperité de toute vne armée.
DIALOGVE IIII.
Des offices & perſonnes du train de l’ Artillerie.
GEn. I’ay entendu tout ce qui eſt neceſſaire en l’Artillerie: mais des offices & of-
ſiciers
de ce train, n’en ayant iuſques à preſent fait aucune mention, ie vous prie
de
m’en donner quelque petite inſtruction.
Cap. Cela ſe peut faire bien aiſément. Premierement le General, deux Lieutenants
pour
le ſecourir, le Treſorier, le maiſtre d’Hoſtel, auec ſes officiers &
aides, ſelon l’occur-
rence
de laneceſſité, &
vn Commiſſaire des monſtres. Ceux-cy ſont les premieres offices,
dont
les perſonnes ſont nommées du Prince &
du chef meſme. Et doiuent eſtre perſon-
nes
non ſeulement experimentées &
honorables, mais auſſi de credit, ayant à manier tous
les
fraiz du train.
Les ſuiuants ſont nommez & éleuz de l’adueu du General, à ſçauoir 15. Gentils-hom-
mes
, qui ſoient auſſi bien experimẽtez en l’Artillerie, 12.
Conducteurs, 4. Conneſtables,
80
.
canonniers, 30. faquins ou portefaix, 2. ſerruriers ou forgerons, 2. mareſchaux, 4.
charpentiers ordinaires, auſquels tous ſont adiouſtez leurs aides: 50. mineurs auec leur
chef
, 2.
charettiers, 2. cuueliers, 30. charpentiers extraordinaires, auec leur ſuperieur &
maiſtre
, 100.
mariniers, principalement s’il y a des ſleuues, 2. Ingenieux des ſeux artifi-
ciels
, 6.
petardiers, 2. Ingenieurs des fortifications, 1. Preuoſtauec ſon Lieutenant & hal-
lebardiers
, 1.
Mareſchal des logis, 1. Docteur, 2. Chirurgiens, 2. Barbiers, 1. Apotiquai-
re
, vnou deux mille pionniers, 2.
tendeurs auec leur maiſtre, & 1. Chapelain. Qui tous
enſemble
ſont officiers ſineceſſaires qu’on ne s’en peut paſſer.
Gen. C’eſt aſſez pour le preſent eſtant deſia tard, & temps de nous retirer. Demain,
s’il
vous plaiſt, nous traitterons de l’obligation de chacun en particulier, tant du General,
que
du moindre de ſon commandement.
DIALOGVE V.
De l’oblig ation de chacun de ces officiers, & premierement de l’office du General,
de
ce qui y eſt requis, & comment il ſe doit acquitter
de
ſa charge.
CAp. Comme, tres-illuſtre Seigneur, il vous pleuſt me commander hier, me voi-
cy
pour pourſuiure noſtre propos entamé.
Gen. Ce n’eſt pas ſeulement bien fait, mais auſſi m’en obligez grandement. Ie
vous
prie doncques de m’eſclaircir ce poinct touchant l’obligation de chacun des officiers
7523[Figure 23]
7624[Figure 24]
77
[Empty page]
78
[Empty page]
7925[Figure 25]
8026[Figure 26]
8127[Figure 27]
82
[Empty page]
8337De l’Artillerie. en particulier. Et aſin de tenir bon ordre, commencez de la perſonne & charge du Ge-
neral
.
Cap. Ily abeaucoup de choſes concernantes la charge du General de l’Artillerie:
eſquelles auſſi meſmes il eſt requis, qu’il ſoit d’vn naturel doux & bien conditionné,
amiable
&
bening enuers tous ceux auſquels il a affaire: & principalement és combats &
batteries
, qu’il ſe monſtre magnanime &
liberal enuers ſes gentils-hommes & canonniers,
loüant
&
recompenſant les coups bien addreſſez, pour leur donner courage & deſir de fai-
retouſiours
mieux.
Qu’il ſoit auſſi ennemy capital des blaſphemateurs, yurongnes, detra-
cteurs
&
autres ſemblables canailles, puniſſant auec rigueur, ſoit de paroles ou de fait, ceux
qui
ſeront ſurpris en telle malice:
Qu’il admoneſte tous ſes Commiſſaires d’auoir ſoing &
veiller
ſur leurs gens qui ſont au logis, ou au fourrage, ſe contentans de leur ordinaire,
qu’ils
ne facent tort à perſonne, ne moleſtent les payſans;
& que celuy qui ſeroit ſurpris
en
ſemblable affaire, ſoit puny.
Aux Chef & Commiſſaires des pionniers, qu’il recommande de tenir la main de
prés
ſur leur ſuitte, qu’en couppant le bois, fagots &
autres ſemblables neceſſitez, ils n’en-
dommagent
les arbres vtiles ou fruictiers:
& eſtant enuoyez deuant le camp, pour dreſſer
&
accommoder les chemins, ils eſpargnent autant qu’il ſera poſſible, leſdits arbres, puniſ-
ſant
ceux qui ne voudroient obeyr.
Et ſi quelque dommage eſt fait par les ſoldats, con-
traindre
les Maiſtres de camp, Capitaines &
Sergents majors à la reparation d’iceluy: Et
combien
que ce fuſt en terre d’ennemy, ils ne ſeroient point receuables en leur excuſe,
pouuant
aduenir qu’apres peu de temps ils ſeroient faits amis;
auec conſideration qu’en-
dommageant
les arbres fruictiers, ils intereſſent non ſeulement quelques particuliers, mais
toute
la republique, &
le camp meſme, qui marchant à la ſaiſon par ce chemin, pourroit
iouyr
de leurs fruicts.
Dauantage, qu’il face remonſtrance à ſes Lieutenants de prendre garde, à ce que
ceux
qui leur ſont commis, ſoient Gentils-hommes, canonniers, ou autres officiers, ſe
contentent
en leurs quartiers, de ce quileur ſera ordonné, ſans cauſer quelque eſmeute,
&
les quartiers ſe faiſans, qu’autant que faire ſe peut, les iardins & champs ſemez ſoient
exempts
.
Toutes leſquelles choſes, combien que de petite apparence, ſont de telle impor-
tance
, que le General en ayant le ſoing, commeil appartient, ſe fera aimer, eſtimer &
ho-
norer
de toute vne armée.
Gen. Ce ſont, en verité, des poincts bien dignes de conſideration, tant pour la
deſcharge
de la conſcience, que pour le ſidelle ſeruice du Prince, eſquels le General,
à
bon droict s’acquiert de l’honneur &
reputation. Mais ie deſire auſſi ſçauoir les obli-
gations
particulieres du General és occaſions de la guerre, &
comment il s’en doit
acquitter
.
Cap. Premierement quand l’armée marche, qu’il regarde que ſon train ſoit touſ-
iours
le plus ſerré &
recueilly qu’il eſt poſſible: l’arriere-garde ſe reſſentant de la commo-
dité
, &
toute l’armée en eſtant plus à ſon aiſe: car c’eſt grande peine & trauail pour les ſol-
dats
quand ils ſont contraints de marcher trop larges &
eſpars.
Gen. Eſtans tombez en propos de cecy, ie vous prie de me dire quel ordre il faut
tenir
au marcher de l’infanterie, caualerie, chariots, munitions, victuailles, &
l’artillerie
auec
toutes ſe dépendances.
Cap. En cecy Tres. Illuſtre Seigneur, i’eſſayeray de tout mon pouuoir, de vous
donner
tout le contentement poſsible.
Ie dis doncques, que noſtre armée de 40000. hom-
mes
, marchant en rang de bataille (comme il eſt requis, &
dirons cy apres) repartie en trois
troupes
:
il faut que l’Artillerie, auec tout ſon train, ſoit repartie en deux, à ſçauoir en l’auan-
garde
&
l’arrieregarde. D’ordonner la caualerie eſt de l’office du Collonel general, ſon
Lieutenant
, ou de ſes Commiſſaires.
Les gens de pied auſsi ſont rangez du Maiſtre de
camp
, ou Capitaine general.
De meſme en eſt-il de l’Artillerie, de laquelle le train eſt
8438Second Traicté commandé à ſon General. Et aſin que V. S. Illuſtre l’entende mieux, ie monſtreray ſelon
le
peu d’experience que i’en ay acquiſe, en quel ordre cette armée marchera le plus propre-
ment
&
conuenablement.
Poſons que l’armée marche, auec ſoupçon, & aduis d’eſtre attaquée tant en l’arriere
qu’en
l’auantgarde.
Lors il ſera beſoing qu’à la poincte, deuant l’infanterie, marchent 500.
cheuaux de guerre, departis en vne ou deux trouppes, ou comme la neceſſité le demande-
ra
, deſcouurans de tous coſtez la campagne, les chemins dangereux, &
boſſages, par leſ-
quels
l’armée doit paſſer.
Apres ces cheuaux marcheront, tant pour la couuerture d’iceux que pour la deffenſe
de
l’Artillerie de l’auantgarde, 2000.
pietons departis ſemblablement en vn ou deux ba-
taillons
en bon ordre, bien munis de leurs aiſles &
defenſes neceſſaires.
Apres ceux-cy marche l’Artillerie: A raiſon, que des trente pieces ſuſdites, marchant
(auec leur conducteur, vn ou deux chariots de paelles, &
autant de hoyeaux, vn chariot
auec
des coignées, vn auec ſerpes, auec raiſonnable quantité de pionniers, ou mariniers, ou
autres
telles gens libres, voire que ce fuſſent que des pages, qui ſe vouluſſent appliquerau
labeur
, de faire les couuertures &
deffenſes d’icelles, ou de couper les bocages, appla-
nir
les voyes pour l’Artillerie) pour le moins en l’auantgarde, quatre pieces de camp,
montées
ſur leurs fuſts, &
pourueuës de tous leurs outils, de chargeurs, eſtanpeurs, cordes
&
leuiers, accompagnez d’vn chariot de poudre, vn de boulets & refouloirs, & d’vn Lieu-
tenant
bien experimenté:
quelques gentils-hommes d’Artillerie, vn conneſtable, & vn
conducteur
.
Ceſdites pieces ſont enſuiuies, de trois quarts de canon, montez auſsi ſur leurs fuſts,
auec
vn chariot de poudre, vn autre de boulets &
morceaux. Apres s’enſuiuent à paires
quatre
demy-canons montez, ouſur leurs fuſts, ou ſur les chariots, auec leurs cheures &

leuiers
:
& finalement cinq canons auec toutes leurs appartenances, & quatre chariots de
poudre
, &
huict chariots de boulets & morceaux ou tappons, accompagnez auſsi de leurs
gentils-hommes
, canonniers &
conducteur.
Apres ladite Artillerie, marchant en leurstroupes & bandes bien ordonnées 3000.
cheuaux legers eſtans enſuiuis de 10000. pietons, & apresiceux de toutes les munitions
appartenantes
à la moitié de l’armée, à ſçauoir, ponts, planches, poudre, boulets, cordes,
paelles
, hoyeaux, picques, pinces, coins de bois &
de fer, ſerpes, haches, ſcies, & en ſomme
tous
les inſtruments de charpenterie &
ferrerie, & tout ce que l’Artillerie de l’auantgar-
de
requiert.
Apres cecy s’enſuiuent les victuailles de la moitié de l’armée, auec l’hoſpital,
enſuiuis
des chariots du Prince &
des autres Generaux. Et apres s’enſuiuent les bagages
des
particuliers, de ceux qui marchent en l’auantgarde, &
vne partie de ceux qui marchent
au
milieu.
Apres mar chent en leurs bataillons bien ordonnez 12000. pietons, ayans en queuë
vne
autre troupe de chariots, du bagage, en partie de ceux de milieu &
tant celuy de
ceux
de l’arrieregarde, enſuiuis du reſte des victuailles, tant des ſoldats que du Prince, &

des
ambaſſadeurs.
Apres s’enſuiuent toutes les munitions & machines, ſeruantes à la deffence de l’ar-
rieregarde
, l’Artillerie, ponts &
batteaux. Apres derechef 8000. pietons faiſans le gros en
bataillon
de l’arrieregarde.
Apres s’enſuiuent en ordre conuenable, deſcrit en l’auant garde, 4. canons, 4. demy
canons
.
3. quarts de canons montez en leurs fuſts, & finalement 3. pieces de campagne
auec
toutes leurs appartenances, tant de poudre, de boulets &
inſtruments, que des per-
ſonnes
ſuffiſantes.
Apres marchent 2000. pietons, ſeruants auſsi de deffenſe & couuerture tant de
l’artillerie
que de toute l’arrieregarde:
enſuiuis pour ſerrer l’armée de 500. bons che-
uaux
, auec charge de bien deſcouurir cette partie de campagne, qu’elle ne ſoit
8539De l’Artillerie. l’improuiſte aſſaillie.
L’armée donc marchant en tel ordre, l’ennemy la trouuera auſsi bien en l’arriere
qu’en
l’auantgarde, &
au fond bien munie, & l’Artillerie prompte pour ſecourir en tous
endroits
.
Et eſtant touſiours departie en cette ſorte (encor que l’armée fuſt diuiſée en
deux
, ou meſme demeuraſt en vn corps, comprenant le bagage au milieu) on doit s’aſſeu-
rer
d’vne bonne &
heureuſe iſſuë.
Gen. C’eſt certes vn ordre bien conuenable & vtile, l’armée auec tout ſon eſqui-
page
&
bagagey eſtant gardée, les cheuaux & pietons bien ordonnez, & le tout deffen-
du
de l’Artillerie.
En Hongrie il y a en cet endroit grand deſordre, toute l’armée marchant
comme
vn bataillon ou vne troupe, perſonne ne ſçachant à peine le rang auquel il ſe doit
tenir
:
choſe, que ſi elle eſtoit attaquée à l’improuiſte, ne pourroit que cauſer grand dan-
ger
.
Parquoy i’eſtime que ce que vous m’en auez dit, eſt digne d’eſtre bien remarqué,
voire
apris (comme moy-meſme ie l’eſſayeray) par cœur, afin que la neceſsité le reque-
rant
ſans beaucoup diſputer, on ſe puiſſe reſoudre:
mais ie vous prie dites moy auſsi, quel
ordre
il faudroit tenir quand l’occaſion le requerant, l’artillerie marcheroit à part?
Cap. Alors certainement les Lieutenants ſeroient les plus empeſchez. Car l’Ar-
tillerie
marchant à part en ſon corps, iouyt de pluſieurs particuliers priuileges, dontnous
en
deduirons l’ordre.
Le premier rang de l’auantgarde eſt couſtumierement des pionniers & laboureurs,
marchans
ſous leurs chefs &
Commiſſaires, auec cette aſſeurance que perſonne ne les
oſera
empeſcher ou deuancer, &
fuſt-ce meſme du bagage du General ou Prince qui eſt le
premier
priuilege.
L’autre: Quand l’Artillerie marche, que nul autre chariot ne ſe peut
meſler
parmy ſon train, ſi ce n’eſt le chariot du Threſorier, chargé de l’argent, dont toute
l’armée
doit receuoir ſon payement, qui combien qu’il a ſon lieu propre en Cour, ſiioüiſt-
il
deuant tous les autres de cet auantage.
Et oſe-ie bien aſſeurer V. S. que ſouuent i’ay veu
le
General faire paſſer ſa cuiſine &
ſa garderobe, en mulets & ſommiers, pour ne donner
point
mauuais exemple en cet endroit.
Apres leſdits pionniers marchent quelques chariots de paelles, hoyeaux, & autres
ſemblables
outils d’iceux, puis s’enſuit l’Artillerie:
premierement les pieces de camp,
montées
en leurs fuſts &
chargées à point de bataille.
Apres les quarts de canon, auſsi montez & chargez. Apres les demy-canons, ou ſur
leurs
fuſts ou ſur leurs chariots, ſuiuis des canons &
leurs deux cheures, deſquels l’vn va
deuant
&
l’autre apres leſdits canons. Et voicy l’auantgarde.
En l’arrieregarde il faut tenir le meſme ordre. Apres les canons s’enſuiuent tous les
appreſts
de l’Artillerie, enſuiuis de ponts, batteaux &
tentes, de la chappelle, de la reſer-
ue
des munitions, &
principalement de la poudre & celles du General. Combien qu’à
ceux-cy
on donne aucunefois vn lieu plus commode, aſin qu’ils ſoient les premiers aux
quartiers
pour dreſſer leurs tentes deuant que les chariots de poudre y viennent, principa-
lement
en temps de pluye.
Apres s’enſuiuent tous les appreſts des feux artificiels, eſchelles, planches, chaiſnes,
cloux
, corbeilles &
ſacs de terre pour les trenchées. Apres les reſtes des appreſts des pion-
niers
, enſuiuis des balles, des mouſquets &
arquebuſes, auec le plomb à l’aduenant, & au-
tres
munitions, comme lances, picques, hautbergeons, mouſquets, arquebuſes, auec leurs
appartenances
.
Et ſinalement les boulets de l’Artillerie, qui deuoient bien marcher incon-
tinent
apres l’Artillerie, mais les ſuſdites munitions, pour eſchapper des mains des gen-
darmes
, ſont gardées en leur place.
Et en cet ordre l’Artillerie peut marcher ſans aucun danger: toutesfois à l’aduis
du
Maiſtre d’Hoſtel, &
ſelon le conſeil de l’occaſion qui ne doit en nulle maniere eſtre
negligé
.
Apres marchent tous les autres chariots du General, ſes Lieutenants,
8640Second Traicté mes, & autres officiers neceſſaires du train de l’Artillerie. Auec cette intelligence toutes-
fois
que le Maiſtre d’hoſtel de l’Artillerie pour ſon bagage &
ſes munitions pourra choiſir
le
lieu à ſa volonté, ſans aucune redite.
Apres marchent les officieux, comme ſerruriers, mareſchaux, charpentiers, &
finalement
le preuoſt de l’Artillerie auec le reſte du bagage, &
des victuailles du
train
.
Mais ſe rencontrant en vne campagne large & capable, ce train, autrement aſſez
long
, pourroit eſtre racourcy, eſtant party en trois:
de ſorte que l’auantgarde prit le coſté
dextre
, le bataillon du milieu, le ſeneſtre, eſgallant le front auec celuy de l’auant-garde, &

l’arrieregarde
, comprenant les pieces de l’Artillerie auec leurs appreſts, marche entre
deux
:
dont le train marchant plus ſerré & plus court, ſera auſſi plus fort; comme la figure
6
.
a le monſtre en ces lettres A, B, C. Et ladite largeur de campagne ceſſant, l’auantgar-
de
reprendra ſa place ſans aucun deſordre ou difficulté, &
chacun ſe retrouuera en ſon
rang
.
Dauantage, s’il aduenoit que ledit train de l’Artillerie marchant, il y eut quelqu’au-
tre
chariot, de quiconque ce fuſt, qui le vouluſt deuancer, meſme en grande haſte, pour
donner
tant moins d’empeſchement, lors le General de ſon authorité;
luy commandera
de
s’arreſter, eſtant des priuileges de ce train, a cauſe de ſa peſanteur &
de ſon vtilité, com-
me
du principal &
premier inſtrument de guerre, d’auoir touſiours, ſans aucune contradi-
ction
le premier rang.
Ioint que les meilleurs quartiers & logis luy ſont deubs, auſquels il
eſt
logé deuant tous autres.
Ou il ne faut oublier, que ceux du ſeruice dudit train ioüiſ-
ſent
des meſmes priuileges.
V oicy Tres- Illuſtre Seigneur ce que deſiriez ſçauoir de l’or-
dre
auquel le train de l’Artillerie doit marcher à par ſoy.
Gen. I’en ſuis tres-content, & m’aſſeure qu’il eſt de grande importance. Cepen-
dant
ie deſirerois auſſi bien de ſçauoir comment l’Artillerie, tout ſon attelage &
train
eſtant
paruenu en ſon lieu, doit eſtre logé.
Cap. Cecy combien qu’il ſoit des dépendances du General de l’armée, qui en don-
ne
commandement au General de l’Artillerie, ou a ſes Lieutenants:
il faut toutesfois que
le
General de l’Artillerie ſoit diligent d’auoir eſgard;
premierement qu’elle ſoit logée de
bonne
heure, pour auoir le temps de choiſirtoutes les commoditez neceſſaires.
Et puis, s’il
eſt
poſſible, qu’elle ſoit logée ên telle ſorte, qu’elle commande &
deſcouure tout le camp,
dont
cette vtilité en reſultera, a ſçauoir, pour le premier, que toutes lesaduenuës luy ſeront
découuertes
;
pour le ſecond, que le camp en ſera mieux deffendu, le pouuant flanquer de
tous
coſtez;
& pour le troiſieme, que l’ennemy le voulant aſſaillir, elle ſe puiſſe deffendre
de
ſon auantage.
Mais quand au logis, il y faut obſeruer cet ordre dépeint en la figure 6. β.
Premierement qu’entre le retranchement fait de quelques chaiſnes de munitions, & les
chariots
enſerrez, il y ait autant de place, que l’infanterie ordonnée à ſa garde &
deffence y
puiſſe
, la neceſſité le requerant, eſcarmoucher:
qui auſſi pour cet effet tiendra les lieux no-
tez
A, B, C, D.
ayant pour le moins vingt ou vingtcinq pas de largeur. Pour le ſecond, que
les
pieces d’aduis, deſquelles il y a touſiours trois ou quatre, regardant toutes les aduenuës
de
l’ennemy, ſoient touſiours chargées &
preſtes à point de guerre. Pour la troiſiéme, que
les
charlots de la poudre ſoient logez au milieu, &
comme le centre le reſte du chariage,
comme
on voit és lettres F, G, H, I.
Gen. La place eſt fort bien traictée, & m’aſſeure que n’eſtant ainſi garnie & pour-
ueuë
auec grand ſoing &
diligence, ſi l’ennemy la venoit attaquer il iroit beaucoup de
l’honneur
&
reputation du General. Mais comment faudra-il loger l’Artillerie, afin qu’à
l’heure
du combat l’ennemy en ſoit plus griefuement offencé?
Cap. Ie ne doute aucunement que V. S. eſtant bien expert tant és guerres de Sa-
uoye
qu’en celles d’Hongrie, ne le ſçache beaucoup mieux que ie ne luy en pourrois dire,
donten
faiſant longs recits, ſemblera que le diſciple vueille enſeigner ſon maiſtre.
8741De l’Artillerie.
Gen. Quoy qu’il en ſoit, c’eſt touſiours la couſtume qu’en ſemblables affaires on
ſe
rapporte aux aduis des plus vieux &
plus experimentez ſoldats, & principalement de
ceux
qui ont ſerui par deçà.
Etquand à moy ie ne me peux vanter de grande experience,
qui
ayant eu aſſez de beſongne en la conduite de mes eſcadrons, ie n’ay eu le loiſir de
m’enquerir
de l’Artillerie.
Mais maintenant arriuant que ie reçoiue la charge, ie vous
prie
de me dire, comme perſonnage bien experimenté, ce qui a eſté en vſage en ces
quartiers
.
Cap. Il y a eu ſi peu de batailles par deçà, que, pour dire le vray, ie ne vous pourrois
gueres
donner de reſolution ſur ce poinct.
Toutesfois ie vous en diray ce que i’ay veu en
deux
, eſquelles ie me ſuis trouué.
En l’vne les pieces furent logées au front desbandes: &
à
l’autre, à trauers de deux en deux, &
trois en trois, aux coſtez & fonds des manches de la
mouſquetterie
&
arquebuſerie, couuertes des aiſles de la cauallerie. Mais quand à moy
i’eſtimerois
touſiours eſtre plus expedient qu’on logeaſt quelques pieces en front, qui
puiſſent
endommager l’ennemy de tous coſtez.
Cherchant touſiours pour cet effect quel-
que
lieu auantageux, ſans ſe mettre toutesfois en danger de perdre les pieces.
Etcombien
qu’on
ne peuſt auoir tel auantage, ſi ne ſerontles pieces de front de moindre ſeruice, &
au
choc
auquel il faut qu’elles ioüent, noseſcadrons n’en ſeront aucunement offenſez, com-
me
il aduint en l’vne deſdites batailles.
Gen. Et pourtant eſtimoy-ie eſtre plus expedient que l’Artillerie fut logée aux
deux
coſtez &
fonds du bataillon, laiſſant ainſi la place d’armes libre & ſans aucun em-
peſchement
.
Cap. Ie ne peux croire, tres-illuſtre Seigneur, que cela fuſt expedient: car l’enne-
my
s’apperçeuant que le front ſeroit ſans Artillerie, il prendroit tant plus de courage de
l’aſſaillir
&
l’enfoncer. Dont ie tiens pour le plus conuenable que l’Artillerie, comme on
peut
voir en la figure δ, ſoit departie, en ſorte que quelques pieces ſe tiennent au front, &

quelques
vnes aux coſtez.
Leſquelles eſtant diſtantes de 50. ou 100. pas, au choc & à la
rencontre
de l’ennemy, les noſtres ne ſont en danger d’eſtre offenſez.
Ioint qu’il faut
qu’elles
ſoient touſiours attelées de leurs crochets, tant pour eſtre plus facilement tour-
nées
à l’auantage de nos eſcadrons, que pour ioüer de diuers coſtez, choſe qui importe
beaucoup
pour la victoire.
Cepen dant il aduient bien rarement qu’en vne bataille on aye lieu & commodité
pour
loger l’Artillerie à ſouhait, eſtant ſouuent contraint de ſe conformer à l’occaſion qui
ſe
preſente, ſoit de boſcage ou de collines, ou autres lieux inégaux, auſquels on ne peut
donner
autre reigle, ſinon qu’auec grande prudence on cherche touſiours d’en auoir l’a-
uantage
ſur l’ennemy, ſans eſtre offencé du ſoleil, de la pouſſiere, du vent, fumée, &
au-
tres
ſemblables choſes de peu d’eſtime, mais de grande importance.
Or pour retourner à
noſtre
propos, V.
S. eſtimant que les pieces ſeroient mieux logées aux coſtez: Iamais ie
nel’oſeroy
approuuer.
Car les eſcadrons ſe rencontrant, les noſtres, comme nous auons
dit
cy deſſus, en ſeroient plus offencez que les ennemis:
Ioint encor vn plus grand danger
qui
en pourroit reſulter, a ſçauoir que les aiſles de noſtre cauallerie ſe voulans auancer, elles
ſeroient
grandement troublées de ces pieces, qui leur ioüeroient ainſi aux coſtez ſans en-
cor
l’offence qu’ils en pourroient receuoir;
dequoy il ſe faut garder bien ſoigneuſement.
Et voicy auſſi ce que d’experience ie peux dire ſur ce poinct, aduertiſſant tout bon Capi-
taine
qu’ayant des pieces legeres à charge, illes aduance courageuſement pour endomma-
ger
l’ennemy.
Gen. Toutes ces raiſons & aduertiſſemens m’ont fort bien contenté: mais
oyons
auſſi dauantage, comment c’eſt qu’en telle occurrence ſe doit comporter le Ge-
neral
.
Cap. Certes alors il faut monſtrer & l’art & la prudence, qui principalement
conſiſte
en ce, que le General &
ſes Lieutenans tiennent tout le train en bon ordre, au lieu
8842Second Traicté& poinct, qui par le ſouuerain Maiſtre du camp leur a eſté aſſigné: que l’Artillerie ſoit bien
departie
, &
pourueuë de Gentils-hommes, Conneſtables, & canonniers ſuffiſans: & & fina-
lement
, que tout le camp ſoit bien pourueu de munitions neceſſaires;
les arquebuſiers, de
poudre
, balles &
meſches; les corſelets de lances & autres à l’aduenant, le General y ayant
l’œil
par tout.
Qu’il s’approche auſſi du General, pour entendre de luy comment & il
veut
que la bataille ſoit dreſſée, pour ſe ſaiſir de bonne heure de tous ſes auantages.
Et
l’ennemy
ſe preſentant, qu’il s’approche autant qu’il eſt poſſible de la cauallerie d’iceluy,
taſchant
auec les pieces requiſes &
quantité de pionniers (pourueu auſſi de gardes ſuffi-
ſantes
, leſquelles il doit demander auec grande inſtance au Maiſtre de camp) d’occuper le
lieu
le plus auantageux qui luy ſera poſſible.
Et voicy tout ce qu’en telle occurrence peut
eſtre
deſiré d’vn General de l’Artillerie.
Gen. Tout ce diſcours eſt tres-bon & tres-profitable, dont me reſioüis d’en auoir
donné
occaſion par mes demandes.
Apres nous entendrons ce qu’il doit faire au ſiege
d’vne
ville ou fortereſſe.
DIALOGVE VI.
De ce qui est requis d’vn General de l’Artillerie au ſiege de
quelque
place.
CAp. S’il eſt queſtion d’aſſieger quelque place: Le General taſchera en toute dili-
gence
s’informer par le moyen des eſpions, ſi par de dans l’ennemy ſe trouue armé
de
grandes ou petites pieces d’Artillerie, en petit ou grand nombre, auec ſuffi ſance
ou
defaut des prouiſions, tant pour la deffence que pour les victuailles, auec certaine
deſignation
des murs &
fortifications, des bouleuarts & baſtions, des lieux plus forts &
plus
foibles, s’il y a des mines &
contremines, pour en faire les appreſts, & l’attaquer és
lieux
conuenables.
Puis eſtant venu au lieu meſme, il doit en toute prudence & ſeureté
poſſible
, accompagné d’vn de ſes Lieutenans &
d’vn Ingenieur recognoiſtre tout à l’enui-
ron
la campagne, cherchant le lieu plus commode pour y loger la nuict ſuyuante, auec
quelques
pieces, deſquelles il puiſſe à l’aube du iour eſueiller &
ſaluër les aſſiegez, tant
pour
les eſpouuanter, que pour donner courage aux aſsiegeans.
Il doit auſsi procurer qu’il
ait
ſon quartier en lieu commode, en ſorte que l’ennemy ne puiſſe aiſément deſcouurir ſes
pieces
.
Et au defaut, qu’il choiſiſſe le lieu plus propre, & y éleue auec de la terre & des fa-
gots
vne eſpaule à l’eſprenue du canon, ſe ſeruant de ſes pionniers &
autres laboureurs qui
s’y
trouueront.
Leſquels, afin qu’ils ne s’empeſchent l’vn l’autre, il ſçaura commodément
departir
les vns aux fagots ou ramage:
les autres aux gabions: les autres à autres telles ma-
tieres
requiſes:
les autres pour porter ou mener le ſdites matieres en leurs lieux: les autres
en
fin pour les mettre en œuure.
Au temps paſſé, deuant que loger l’Artillerie on ſouloit faire approcher l’Infanterie
par
des trenchées iuſques aux bords des foſſez du lieu aſsiegé:
Mais depuis peu d’années en
ça
, d’vne maniere plus belliqueuſe, on a obſerué cecy, à ſçauoir que la premiere nuict de
deuant
le ſiege, on plante au lieu plus offenſif pour les aſsiegez quelques pieces d’Artille-
rie
.
Qui eſt vne regle plus ſeure & de plus grand effect, tant pour eſpouuanter l’ennemy,
pourluy
oſter la commodité &
le temps de ſe fortifier, que pour deffendre les aſsigeans &
leur
donner courage:
Comme nouuellement on vid au ſiege de RinbercK, l’ennemy
faiſant
bien courageuſement vne grande ſaillie:
mais l’Artillerie eſtant deſia ainſi plantée,
au
quartier du Conte de Buquoy, au coſté d’Orſoy, il en fut puiſſamment rembarré.
Gen. Or ſus Monſieur le Capit. ie ſuis bien d’aduis qu’il ſoit de grande
8943De l’Artillerie. que l’ennemy ſoit ainſi eſpouuanté tout au commencement, quand couſtumlerement il ſe
veut
monſtrer le plus courageux.
Mais dites-moy, s’il vous plaiſt, quel ordre & meſure eſt
obſeruée
par deça és batteries leurs eſpaules, &
és planches ou plate forme.
Cap. Cecy eſt de la charge des Lieutenans & Gentils-hommes d’Artillerie, deſ-
quels
chacun ayant ſa piece, donne ordre aux charpentiers, comment ils doiuent preparer
les
planches &
les autres appreſts pour leſdites choſes.
Gen. Ne me ſçauriez-vous donner quelque plus claire inſtruction, touchant la
meſure
&
proportion des planches pour ladite plate forme?
Cap. Pour le canon, il faut que la premiere planche, ioignant la barbe de l’ambra-
zeure
, ſoit de 9.
pieds: la ſeconde de 9 {1/2} & les autres enſuiuantes touſiours accreuës ainſi
de
demy pied, iuſques à la vingtiéme:
chacune ayant pied & demy de largeur, & quatre
doigts
d’eſpoiſſeur, faiſant la plate forme pourle recul de la piece de 30.
pieds. Et la der-
niere
planche ayant 19 {1/2} pieds de longueur, fera la plate forme à chacun coſté 5 {1/4} pieds plus
large
ſur ſafin qu’au commencement.
L’éleuée ne doit eſtre plus que de pied & demy, plu-
ſtoſt
moins que dauantage, en ſorte que la queuë du fuſt repoſant doucement fur icelle,
apres
le coup &
recul, la piece eſtant rechargée, on la puiſſe auec peu de gens & de peine
remettre
en ſon lieu.
Il y a bien quelques canonniers qui luy donnent plus d’éleuation
pour
ſaciliter tant plus la remiſe de leur piece.
Mais c’eſt vne choſe dangereuſe: car outre
ce
que le coup ſera touſiours court, elle retombe ſans aide à ſon ambrazeure, dont pour la
charger
il la faut retirer auec grand labeur, &
la tenir par arreſts & leuiers: & s’il y a des
pieces
à l’encontre, l’ennemy tirant par les trauers des ambrazeures, c’eſt aux deſpens des
canonniers
, &
de ceux qui ſont occupez au maniement de la piece, qui y peuuent demeu-
rer
pour les gages.
De ſorte qu’il ſe faut donner bien de garde qu’elles n’ayent plus d’éle-
uation
, eſtant comme nous auons dit, &
appert par la figure 1. δ entre les lettres B. & C.
larges par derriere de 19 {1/2} pieds, & longues de 30. pieds.
Pour le demy-canon, il faut auoir 18. planches qui ayent pied & demy de largeur, &
3
.
doigts d’eſpoiſſeur. La premiere doit auoir 8. pieds, les autres croiſſant touſiours de
demy
pied iuſques à la dixhuitiéme, qui vient à 16 {1/2} pieds, comme on void és lettres de D.
& E. faiſant toute la plate forme longue de 27. pieds. Et ne luy faut donner pour ſa leuée
qu’vn
pied &
trois doigts, qui eſt aſſez pour rompre la violence du recul de la piece. Bien
entendu
toutes fois que cecy s’obſerue quand le demy-canon eſt ſeul, ou au coſté &
défen-
ces
.
Autrcment en vne batterie commune, tant pour le canon que le demy, il faut retenir
la
meſure du canon.
Gen. Pourquoy donnez-vous plus de leuée au canon qu’au demy? Il me ſemble
qu’il
faudroit pluſtoſt faire le contraire, à ſçauoir d’éleuer dauantage la plate forme du de-
my-canon
, qui eſtant plus leger feroit auſſi le recul plus violent.
Cap. Le canon eſtant fort lourd & peſant, & n’ayant d’ordinaire que trois canon-
niers
qui le manient, il faut que la plate forme ſoit (ce qui ſe fait mettant de la terre ſous ſa
derniere
planche) éleuée en ladite hauteur, afin que (comme nous auons dit) la pie-
ce
rechargée, ſoit tant plus aiſément remiſe en ſon lieu.
Mais le demy canon eſtant
de
plus legere main, peut auoir la plate forme plus égalle, faiſant auſſi les coups plus
aſſeurez
.
Gen. Pourquoy donc fait-on la plate forme plus longue pour le recul du canon, que
pour
le demy, veu qu’il ſemble que chacune piece eſtant chargée ſelon ſa portée &
pro-
portion
, le recul en ſera égal?
Cap. Pas de beaucoup, tres-illuſtre Seigneur, car combien que cecy ſoit tres-veri-
table
qu’il y aye quelque égalité de la poudre à la groſſeur &
peſanteur des pieces, ſi eſt-ce
que
le canon en tirant plus grande quantité, combien que plus peſant que le demy, fait tou-
ſiours
ſon recul plus violent.
De ſorte qu’en voulant yſer ſur vne plate forme de demy
canon
, il y faudroit adiouſter encor deux planches.
9044Second Traicté
Gen. Voyons auſſi quelle largeur ou eſpoiſſeur ſe donne aux eſpaules, afin que
les
pieces ſoient bien couuertes?
Cap. Pour l’eſpaule il luy faut donner pour le moins 11. pieds de hauteur, & 23.
d’eſpoiſſeur, qui eſt l’eſpoiſſeur neceſſaire pour eſtre à l’eſpreuue du canon.
Gen. Cela me ſemble eſtre beaucoup. Mais de quelle largeur doiuent eſtre les te-
nailles
ou ambrazeures, aſin que les pieces s’y puiſſent loger, &
y ioü er à leur aiſe, & en
ſorte
que leur ſouffle ne les endommage?
Cap. Pour le canon on y donne par dedans 3. pieds, & par dehors 12. pieds d’ou-
uerture
ou de largeur.
Mais pour le demy-canon, c’eſt aſſez de 2 {1/2} pieds par dedans, & 9. par
dehors
.
Gen. Comment, és ambrazeuresy tient-on conte & difference ſi preciſe?
Cap. Il eſt facile à iuger, que le canon iettant flamme plus grande, & ſouffle plus
violent
que le demy-canon, demande auſſi l’ouuerture de l’ambrazeure plus large, qui au-
trement
ſeroit en danger d’eſtre deffaite &
ruinée par la grande force que la piece y fait. Et
d’autrepart
l’eſpaule eſtant aucunement affoiblie par ladite largeur, on s’en doit abſtenir
autant
qu’on peut.
C’eſt pourquoy, en quelque lieu que i’aye eſté, i’ay touſiours eu le
ſoing
qu’on me fiſt pour le canon la tenaille de demy pied plus large par dedans, &
de trois
pieds
par dehors plus qu’au demy-canon.
Gen. La piece ne ioüeroit-elle pas mieux par ſon ambrazeure, ſi l’eſpaule à laquel-
le
vous donnez 23.
pieds auoit moindre eſpoiſſeur.
Cap. Ie dis qu’ouy, adiouſtant encor cecy, à ſçauoir que le coup en ſeroit auſſi plus
droit
:
mais en grand danger de l’Artillerie ennemie, qui perçant l’eſpaule luy oſteroit
bien
toſt le jeu.
De ſorte que ſans reſpect de l’aiſe ſuſdit, il faut neceſſairement que l’eſpau-
le
, pour bien couurir la piece, ſoit de ladite eſpoiſſeur.
Gen. Il eſt vray, & à la fin pour choiſir prudemment, il ſaut touſiours balancer le
profit
d’vne choſe auec le danger qui en pourroit reſulter.
Mais cependant par cette gran-
de
eſpoiſſeur de l’eſpaule, les ambrazeures eſtant neceſſairement de meſme profondeur,
toute
la veuë eſt oſtée à la piece, de ſorte qu’elle ne peut deſcouurir &
tirer en ligne droi-
te
, ſans donner d’vn coſté ou d’autre.
Cap. Quand on fait vne batterie generale, on l’oppoſe touſiours en ligne droite
aux
murs de l’ennemy, à 100.
ou 150. pas de diſtance. En laquelle diſtance vn pied de
l’ambrazeure
, deſcouure cent pieds du pan de ladite muraille.
De ſorte que l’ambrazeure
eſtant
par dedans de 3.
ou 2 {1/2} pieds, & par dehors de 12. ou 9. pieds, deſcouurira audit pan
12
.
ou 9. cens pieds pour les pouuoir enſoncer.
Gen. Monſieur le Capitaine, il y a encor deux choſes que ie deſire ſçauoir: La pre-
miere
, quel coup ſera plus aſſeuré, la piece eſtant leuée en vne plate forme non éleuée, ains
égalle
&
au niueau, ou éleuée quelque peu par derriere? L’autre, quand il faut battre quel-
que
lieu, comment les pieces ſeront mieux logées &
gardées, par eſpaules ou par ga-
bions
?
Cap. Quand au premier, nous l’auons deſia deduit, & affermé que tant moins la
plate
forme eſt éleuée, tant eſt le coup plus droit:
dont auſſi elle ne doit eſtre plus éleuée,
que
ce que la neceſsité demande, tant pour rompre la force du recul de la piece, que pour
la
remettre aiſément en ſon lieu.
Mais quand à Pautre: Il eſt bien vray, que les gabions
font
de moindres fraiz, &
plus prompts à l’vſage, quand l’ennemy n’autoit que des peti-
tes
piec̀es.
Mais quand il y a du ſoupçon qu’il y ait des grandes pieces, il vaut touſiours
mieux
, nonobſtant qu’il y aye plus de fraiz &
de peine, d’éleuer des eſpaules. Ioint que
ſi
nous meſmes voulions vſer des grandes pieces, nous ſerions touſiours en danger,
quãd
aux gabions, de les allumer par les flammes, ou de les renuerſer par le ſouffle d’icelles.
Gen. I’auois encor oublié de demander cecy, á ſçauoir combien en vne batterie
bien
ordonnée, les ambrazeures doiuent eſtre éloignées l’vne de l’autre?
9145De l’Artillerie.
Cap. Pour donner lieu competent tant à la piece qu’à ceux qui la doiuent gouuer-
ner
, charger, nettoyer, rafraiſchir, &
luy faire autres tels ſeruices neceſſaires, on ne peut
demander
moins de 20.
pieds, de ſorte que dés la rouëd’vne piece, iuſques à celle de ſa
voiſine
, il y faut 15.
pieds de diſtance, qui eſt la moindre qu’on doit auoir: on la peut
eſlargir
quand le compris de la batterie le permet.
Or au fait des ambrazeures, il faut auſsi
remarquer
cecy, à ſçauoir que du coſté interieur elles ſoient autant éleuées par deſſus la
plate
forme, qu’ellesy ont de largeur, &
que par dehors elles deſcendent autant en talus:
aſin que la piece pouuant ioüer du haut en bas deſcouure non ſeulement tant mieux la
campagne
, mais auſsi les aduenuës de l’ennemy, s’il s’auançoit de vouloir donner l’aſſaut à
la
batterie meſme.
Et voye les ſecrets des ambrazeures, cõbien qu’ils ne ſoient dépendans
du
General, ains laiſſez a la charge de ſes Lieutenans, Gentils-hommes, Conneſtables &

Canonniers
.
Gen. Ie m’en contente, mais la batterie dreſsée, & toutes les prouiſions preſtes,
quel
ſoing en reſte-il au General?
Cap. Alors le General doit auec grand ſoin & diligence viſiter toutes les trenchées,
&
pourueoir en tous endroits qu’il n’y ait faute derien, tant entre l’infanterie & caualerie,
qu’entre
ceux qui manient l’Artillerie.
Et combien qu’il tiennela poudre chere en autres
endroits
, icy il la doit expoſer &
bailler liberalement.
Quand on commence à battre, il ne doit ſeulement donner courage à ſes gens, &
principalement
aux canonniers &
pionniers, leur faiſant donner double ſoulagement:
mais auſsi procurer qu’il n’y ait defaut d’eau & de vinaigre, pour le rafraiſchiſſement des
pieces
eſchauffées.
Cependant qu’on bat, ſelon ſon ordre, à toute outrance, il ſe doit prudemment choi-
ſir
vn lieu, duquel il puiſſe voir &
remarquer tous les coups & les effets qu’ils font aux dé-
fenſes
des ennemis, pour faire promptement remedier au defaut qu’il y pourroit reco-
gnoiſtre
.
Auſsi s’ily auoit en quelque trenchée des amis aduancez, il faut qu’il face deffence
préciſe
, qu’ils neſoient endommagez:
Comme auſsi àl’aſſaut de la breſche, que les ca-
nonniers
neioüent de leurs machines, ſans ſon commandement exprés.
Ayant veu quel-
quesfois
, qu’iceux trompez par quelque mot proferé à la volée, ont grandement intereſſé
les
amis aſſaillans en forçans la breſche:
A quoy il faut obuier en grande diligence, les ad-
uertiſſant
quand il faut ceſſer, ou commencer de ioüer.
La breſche eſtant forcée, & le lieu gaigné, qu’il mette peine d’eſtre le premier qui
annon
ce le bon heur de la victoire au General, qui le receura bien amiablement.
Apres, accompagné de ſes Lieutenans & du maiſtre d’Hoſtel, il entrera luy meſme
par
la breſche, la viſitant bien curieuſement, s’il y a des mines:
& s’ily en a, qu’il eſteigne
le
feu de bonne heure, &
en oſte la poudre, la liurant au maiſtre d’Hoſtel à bon compte
auec
toutes les autres munitions &
armes quis’y trouueront.
Puis il viſitera les pieces d’Artillerie, remarquant celles qui auront eſté endommagées
des
ſiennes, pour en faire rapport au Prince, &
ſoliciter que ſes Gentils hommes, Conne-
ſtables
&
canonniers ſoient recompenſez de leur diligence.
En fin, s’il eſt queſtion que l’armée paſſe auant, il procurera que les chemins, s’ils ſont
diſſiciles
, ſoient par les pionniers &
laboureurs accommodez. Et s’il faut paſſer quelque
fleuue
, faire auancer les ponts, platines, mariniers, charpentiers, &
autres à cela requis,
que
le pont de bonne heure ſoit éleué, &
n’eſtant point long aſſez, qu’ils y pouruoyent di-
ligemment
:
faiſant meſme pour cet effet paſſer de l’autre coſté ſuffiſante quantité de char-
pentiers
, auec garde competente, tant de gens, que de petites pieces d’Artillerie, pour
reſiſter
aux courſes &
aſſauts de l’ennemy, qui les y voudroit empeſcher. Et voicy tres-il-
luſtre
Seigneur ce qui, ſans autres memoires trop longs à deduire, eſt requis d’vn Gene-
ral
de l’Artillerie.
9246Second Traicté
Gen. Certes Monſieur le Capit. ie ſuis tres-ioyeux de l’auoir entendu, eſtant autre-
ment
peu expert de ces choſes, dont ie vous en remercie bien affectueu ſement de la tant
belle
&
claire inſtruction. Mais voyons auſsi les autres charges, afin qu’en particulier io
ſçache
ce qui eſt l’obligation de chacun en icelles.
DIALOGVE VII.
La deſcription des autres charges appartenantes au train de l’Artillerie, & de
l’obligation
que chacun y a en la ſienne.
CAp. Apres le General s’enſuit l’office du Lieutenant, comme celuy, auquel en
l’abſence
du General, tout le train eſt recommandé:
ou meſme eſtant iceluy pre-
ſent
, le doit ſecourir au poſſible:
outre ce que la diſtribution de toutes les muni-
tions
, &
des gardes dépend de luy.
Et premierement, le quartier eſtant fait, qu’il s’approche de bon matin au General,
s’enquerant
de ce qu’il y aura à faire au quartier, ſelon l’inſtruction que le Mareſchal de
camp
aura apportée du Maiſtre du camp.
Et que ſelon icelle il diſtribuë les labeurs eſgale-
ment
, en ſorte qu’vn quartier n’en ſoit plus chargé que l’autre.
Au ſiege il faut qu’enuers le ſoir il ſe trouue és tentes des munitions, à la diſtribu-
tion
d’icélles, &
de ce qui ſera requis pour les trenchées & autres couuertures des pieces
de
l’Artillerie.
Et icelle eſtant faite, qu’il s’enqueſte ſoigneuſement du Maiſtre d’hoſtel du
reſte
qui demeure entre ſes mains, pour en donner, viſitant le General &
en eſtant re-
quis
, aduis &
compte ſuffiſant.
De nuict, il doit faire la ronde aux trenchées & batteries, s’enquerant des Gentils-
hommes
, s’ily a defaut de quelqué choſe, concernant les munitions &
fortifications ou
couuertures
de leurs pieces:
& s’ily en auoit, donner ordre qu’a l’inſtantily aye prouiſion
ſuffiſante
.
Et eſtant de retour en ſon logis, & y trouuant quelque nouueau aduis, ne point
dilayer
, ains procurer qu’il ſoit effectué incontient.
Quand l’armée marche, qu’il ſetrou-
ue
touſiours aupres du train, ſa preſence ſera de ſingulier effet, que chacun luy porte
honneur
, &
qu’en l’attelage il empeſche le deſordre, & face que l’vn n’empeſche l’autre,
comme
cela pourroit arriuer par ſon abſence.
Son train eſtant en bon ordre & arriué à la place des armes, qu’il repartiſſe les pieces
entre
les Gentils-hommes &
les chariots, entre les conducteurs: faiſant aucunesfois vne
ronde
à tout le train, pour voir ſi chaque choſe eſt en ſon proprelieu, &
y conſtitue les
gardes
, tant pour l’Artillerie, que pour la perſonne du General.
Dauantage, quand il eſt queſtion de fondre des nouuelles pieces, il faut qu’il viſite
bien
diligemment toutes les formes &
moules d’icelles, ſi elles ſont bien ſeches, & faites
à
la raiſon &
proportion accordée. Et quand on metles metaux au feu, qu’il regarde, que la
mixtion
ne ſoit autre que l’accordée, &
qu’elle eſt requiſe pour la meilleure paſte & allia-
ge
.
Et combien que cecy ſoit recommandé au Maiſtre d’hoſtel, y aſsiſtant, & en ayant le
ſoin
:
ſi eſt-ce que le Lieutenant du General nes’en doit abſenter, eſtant celuy qui les doit
manier
&
ſeruir auec icelles, & auquel il importe beaucoup de ſçauoir la perfection ou de-
faut
de ſes pieces.
Les pieces eſtant fonduës, qu’il prenne garde que leur baren ſoit droit & eſgal, ne
s’accoſtant
plus d’vne part que d’autre:
& les face viſiter de quelques vieux & experts
Conneſtables
;
qu’il n’y ait par dedans (comme il aduient les moules n’eſtans aſſez ſecs)
quelques
cauernes ou creuaſſes:
Eſtant telles pieces fort dangereuſes pour ceux qui les
doiuent
manier.
Dequoy ie vous racompteray vn exemple quei’en ay veu moy meſme. Il
y
auoit vn canonnier qui ayant tiré de ſa piece, &
apres l’auoir, comme il luy ſembloit,
9347De l’Artillerie. nettoyée, ſans s’apperceuoir du feu qui demeura caché en telle cauerne, la voulant rechar-
ger
haſtiuement, y mit la cueiller auec la poudre, &
la tournant, elle print le feu, qui ſubite-
ment
emporta &
dépeſcha le pauure canonnier. Or le Conneſtable la voyant, pen ſoit que
cela
eſtoit aduenu par non chalance:
prend le nettoyeur & nettoye la piece auec grande
diligence
, iuſques à la troiſieſme fois:
& apres l’auoir nettoyée à ſuffiſance, la charge, mais
auec
meſme euenement que le canonier.
De ſorte qu’il y a grande occaſion de ſe donner
de
garde de ſemblables pieces, d’autant que pour petite que la faute ſemble eſtre au com-
mencement
, elle ſe va touſiours augmentant, iuſques à finir par quelque deſaſtre.
Quand il faut éſprouuer les nouuelles pieces, qu’il prenne bien garde qu’il n’y ait
quelque
accord entre les canonniers &
les fondeurs, de prendre moins de poudre qu’il
leur
en faut:
ains qu’elles ſoient chargées de deuë quantité, ſelon la portée des metaux,
&
ſelon le marché & accord fait la deſſus. En quoy auſſi on tient touſiours tel reſpect
au
Lieutenant, que s’il eſt poſſible, iamais on n’eſſayera ou eſprouuera les pieces en ſon
abſence
.
Qu’il ſe trouue auſſi preſent en toutes les viſites que le General fera és garniſons des
villes
&
chaſteaux, pour voir comment l’Artillerie & toutes les autres munitionsy ſont
gouuernées
.
Et voicy auſſi, ſans encor quelques autres minutes, la charge du Lieutenant
du
General, de laquelle il ſe doit acquiter, auec grande fidelité &
diligence, dont apres le
General
, dépend tout l’heur &
bonne addreſſe dudit train.
Gen. C’eſt en verité vne charge de grande conſequence, qui demande vn perſon-
nage
bien accort &
experimenté, pour ſeruir promptement en toutes occurrences. Voyõs
auſsi
les autres, auec ce qui en dépend.
Cap. Apres la charge de Lieutenant ſuit celle des Gentils-hommes de l’Artillerie.
Orceux-cy, l’armée & le train de l’Artillerie marchant, ſe trouuent touſiours aupres de
leurs
pieces, leſquelles eſtant arriuées en leur quartier, ils les gardent chacun à ſon tour,
ſelon
le commandement du Lieutenant, ou de ſon ſuppoſt.
Au iour de la bataille, que
chacun
y aſſiſte auec deux ou trois pieces, ſolicitant en diligence de haſter les coups, &

prenant
garde qu’ils ſoient bien employez.
Non pas toutes fois qu’ils ſe meſlent de pointer
ou
de tirer (combien qu’ils en doiuent auoir bonne intelligence, pour pouuoir corriger les
fautes
qui y pourroient eſtre commiſes) cela eſtant proprement de l’office des canonniers,
qui
ſe deſpitent grandement quand quelqu’vny veut mettre la main;
s’efforçans, comme
i’en
ay veu quelques exemples, de ioüer de quelque mauuais tour à ceux qui s’y veulent
auancer
, ou de charger la piece moins qu’il eſt requis, &
faire perdre le coup, ou de la char-
ger
trop:
de ſorte que la piece creuant, emporte quelques-vns des aſsiſtans, ou pour le
moins
eſt renduë inutile.
Quand l’armée s’approche de quelque ville ou fortereſſe, & que le General s’auance
pour
recognoiſtre la place, &
choiſir la commodité de la batterie, le Gentil-homme le doit
accompagner
, &
ſelon le danger du lieu, armé de toutes pieces, ſe mettre deuant, & ſans
permettre
qu’il y ſoit au cunement engagé, s’informer courageuſement de tout ce qu’il y a,
tant
des deffences de l’ennemy, que du moyen de lesoſter par ſa batterie.
Et finalement que
ſelon
l’ordonnance dudit General, il procure auec les pionniers &
autres laboureurs, que
les
eſpaules &
autres deffences ſoient en haſte & deuëment erigées.
C’eſt auſsi au Gentil-homme d’éueiller les canonniers à tirer auec grande inſtance
&
force; & ſi c’eſt pour abbatre quelque de ffence, que les coups ſe facent en temps &
par
bon ordre, en ſorte que nul ne ſe perde, ains que tous ayent leurs effects au poſsible.
Apres la place gaignée, s’il y a ordonnance du General, qu’ils accompagnent leurs
pieces
iuſques à leur logis ou quartier ordinaire.
Et en ſomme, qu’en toutes choſes qui leur
ſont
recommandées, ils ſe monſtrent prompts, diligents &
loyaux.
Le General auſsi pour cette charge choiſira touſiours des perſonnages qui ayent bon
renom
, ſoient de bonne diſpoſition, &
grandement propres au labeur.
9448Second Traicté
Gen. Ie ſuis bien d’aduis que cette-cy ſoit vne charge importante, à laquelle ne
doiuent
eſtre admis &
appliquez que braues ſoldats & perſonnages bien experimentez.
Mais quel eſt l’office enſuiuant?
Cap. Apres les Gentils-hommes s’enſuiuent les conducteurs, ayans en charge les
chariots
pour les entretenir en bon ordre ſelon le preſcript du Lieutenant du General.
De meſme, qu’ils facent apporter toutes les munitions neceſſaires, accompagnans
les
chariots.
Auſsi qu’vn chacun ſe trouue en la batterie en ſon lieu, pour y executer
ce
que du Gentil-homme luy eſt commandé.
Or pour cette charge le General taſ-
chera
touſiours de choiſir auſsi des gens forts &
robuſtes, pour pouuoir ſupporter le
trauail
.
Apres s’enſuiuent les Conneſtables, obligez, premierement qu’en la batterie ils
tracent
les ambrazeures.
Puis eſtans de retour en leurs quartiers, qu’ils viſitent diligem-
ment
toutes leurs pieces, auec leurs appreſts, les nettoyant bien:
& conduites en batterie,
ils
les deliurent aux canonniers, auec toute la prouiſion neceſſaire de coings, leuiers, cueil-
lers
, morceaux, boulets, poudre, cordes de retenuë, &
autres telles neceſsitez.
Auſsi ſe doit-il trouuer preſent en la fabrique des plateformes, afin qu’elles ſoient fai-
tes
comme il appartient:
Ioinct que s’il aduient que les canonniers rompent ou gaſtent
leurs
cueillers, &
les autres outils de l’Artillerie, illeur en fourniſſe d’autres. A quoy luy
ſeruira
de beaucoup, ſi luy meſme en ſçait preparer.
Illes pouruoira auſsi de coings & le-
uiers
, &
d’autres telles neceſsitez, en ſorte que rien n’y manque.
Il aſsiſtera auſsi és batteries generales a toutes pieces, aduertiſſant le Lieutenant &
les
Gentils-hommes quand il ſera temps de les rafraiſchir.
Apres la bataille tous les boulets eſtant aſſemblez, il les calibrera tous auec grande
diligence
, &
les mettra ſelon leur grandeur en diuers monceaux, pour oſter toute occa-
ſion
de deſordre &
empeſchement qui pourroit arriuer de la negligence en cet endroit:
Commei’ay veu ſouuent de grands deſordres qui en ſont prouenus. A ſçauoir vn boulet
eſtant
pris pour vn autre, ou trop petit ou trop grand:
le petit, ſi on n’y remedie fait le coup
trop
court:
& le grand, entre bien au commencement du tuy eau, mais au milieu s’entaſſe,
en
telle ſorte qu’on ne le peut ny auancer ny reculer, iuſques a ce qu’ayant, auec perte de
beaucoup
de temps &
mainte bonne occaſion verſé quelque quantité d’eau par la lumiere
pour
eſteindre la force de la poudre, &
y mettre quelque peu de nouuelle poudre, laquelle
allumée
, pouſſe le boulet doucement iuſques à la bouche de la piece.
Auſsi regardera-il que ſes canonniers ſoient touſiours accompagnez de leurſuſil,
&
armez d’vn cimeterre ou autre eſpée courte & large, ayans le boute-feu en main,
&
pourueus de toutes ſortes d’eſguilles, de telle longueur qu’on s’en puiſſe ſeruir aux
plus
grandes pieces, d’vn compas, ligne, niueau, &
vne cordelette ſubtile pour
meſurer
l’eſpoiſſeur des reforts des pieces;
& ſingulierement de bons flaccons rem-
plis
de poudre bonne &
fine, pour en donner aux lumieres, s’il n’y en auoit aux
tonneaux
.
Quand on fond des nouuelles pieces, il les viſitera auec grand ſoing, pour voir
ſi
elles ont quelque faute, pour en aduertir ſon General, qu’il n’en ſoit trompé.
Auſsi
ſera-il
touſiours tout ainſi que le canonnier pourueu de ſon baſton à feu, &
de ſes eſguil-
les
, vne pointuë d’vne pointe de diamant, pour en pouuoir percer la lumiere, que rien
n’y
demeure caché, vne comme vne vis ou barre, pour barrener &
eſleuer quelque
peu
la poudre qui eſt au dedans de la piece, vne en forme de palette, pour en tirer ce
qui
demeureroit attaché aux coſtez de la lumiere, &
finalement vne qui ait vn petit cro-
chet
, pour en pouuoir meſurer ſubitement l’eſpoiſſeur des metaux de la piece à l’endroit
de
la lumiere.
Semblab lement aura-il ſon quadrant departy en 90. degrez pour pointer &
mirer
les pieces, leur donnant leur iuſte eſleuation ſelon la diſtance ou lieu auquel il faut
tirer
.
9549De l’Artillerie.
Dauantageil doit auoir la ſcience de la compoſition de la poudre, pour en faire toutes
ſortes
de feux artificiels, tant pour la guerre que pour les ſalues &
paſſetemps. Et diligem-
ment
inſtruire ſes canonniers, de charger bien &
gaillardement ſes pieces, taſchant de les
y
rendre autant adroits que ſa propre perſonne:
comme de fait, d’vn bon canonnier, on
prend
couſtumierement l’eſpreuue d’vn bon Conneſtable.
Quant aux canonniers il n’eſt beſoing d’en faire long recit, chacun ſçachant quelle
eſt
leur charge:
admoneſtant ſeulement le Lieutenant qui les reçoit à ſa ſolde, de les exa-
miner
ſoigneuſement pour voir ce qu’ils en ſçauent.
Les ouuriers communs auecleur chef, auront touſiours les cordes à la main, preſtes
pour
s’en ſeruir, quand il ſau dra mettre les pieces en batterie, ou les en oſter.
Et deuant
que
l’armée &
les pieces marchent, il faut qu’ils engraiſſent bien les axes tant des fuſts que
des
chariots, de peur que de leur peſanteur ils ne ſoient non ſeulement retardez, mais auſſi
que
le feu n’y prenne.
S’il eſt queſtion de monter ou demonter les pieces de leurs fuſts, c’eſt à ceux à qui le
maniement
deſdites cordes appartient.
En la charge ou deſcharge des munitions, ils ſont tenus d’y aſſiſter iuſques à la fin,
dont
auſſi ils ſe doiuent ordinairement trouuer és tentes des munitions.
Ils ſont auſſi obligez de ſeruir és batteries, non ſeulement pour y apporter les muni-
tions
:
mais auſſi pour aider à l’entour de l’Artillerie.
Le Capitaine prend ſes ordres, le Lieutenant les departit apres il cognoit eſtre de
beſoing
.
Dontil faut qu’il ſoit de bonne miſe, de bon iugement, ſçachant lire & eſcrire,
à
cauſe du ſoing auquel il eſt obligé, &
d’autant que le maiſtre d’Hoſtel ne peut eſtre par
tout
, &
ſe doit ſouuent repoſer en ſa diligence & loyauté, & rendre bon compte de tout
ce
qui eſt paſſé par ſes mains.
Les tonnelliers ſe doiuent auſſi ordinairement trouuer aupres des tentes des muni-
tions
, pouruoyans &
radobans les tonneaux de la poudre, qu’elle ne ſoit reſpanduë. Et
és
batteries ils ſont tenus d’ouurir &
refermer leſdits tonneaux. Il faut auſſi que ceux-cy
ſoient
gens cognus, &
debon credit, de ſorte que ſans danger on leur puiſſe recomman-
der
la poudre.
Les autres artiſans communs, à ſçauoir les mareſchaux, ſerruriers, & charpentiers,
tous
enſemble de grande neceſsité en l’armée, &
principalement au train de l’Artillerie,
ont
auſsi leurs propres obligations.
Les mareſchaux, de ferrer & marquer les cheuaux, &
pouuoir
quand on les paſſe à la monſtre de choiſit ceux qui ſont propres au labeur.
Les ſer-
ruriers
pour fournir toutes ſortes d’autres ferremens.
Les charpentiers ſe tiennent touſiours aupres de l’Artillerie, pour monter & demon-
ter
, ſelon l’exigence, les pieces auec leurs cheures:
& s’embourbans au chemin, pour les
en
tiret &
leuer de leurs inſtrumens plus propres, les accompagnans iuſques à la batterie,
ils trouueront auſsi de la beſongne:
à ſçauoir aux plates-formes & autres telles œuures
de
charpenterie.
Les charetiers preparent les axes & rouës tant des fuſts que des chariots, & ſi meſme
les
fuſts ſont rompus, ils les radobent, s’il eſt poſsible, pour s’en pouuoir ſeruir au be-
ſoin
.
Ils couppent & preparent le bois ſelon leur neceſsité, ayans pour cet effet, auſsi bien
que
les autres, leurs inſtrumens à la main, par ordre du General qui leury fournit des cha-
riots
.
Durant la iournée on fait leuée d’autres charpentiers extraordinaires, pour ſecourir
les
ſuſdits tant au fait de l’Artillerie qu’en autres occurrences.
Ils ont leur maiſtre & ſupe-
rieur
, qui eſt auſsi Ingenieur, s’entendant de baſtir &
éleuer des ponts, & fourrer les mi-
nes
&
autres ſemblables choſes.
Quant aux mineurs, il eſt aſſez cogneu quelle eſt leur charge & ouurage.
Les mariniers ſont obligez de ſeruir aux ponts, & ſi l’armée doit paſſer
9650Second Traicté riuiere, de ſeruir de leurs plattes & bateaux: outre ce que és batteries ils ſont auſsitenus
d’aſsiſter
à l’Artillerie, en ce quileur eſt commandé.
Les calefats ſe trouuent touſiours aupres des bateaux, pour les refaire s’ils ſont en-
dommagez
, ayans touſiours leurs inſtrumens preſts.
Les Maiſtres de feux artificiels, auec leur Ingenieur, doiuent touſiours eſtre preſts
pour
endommager &
moleſter les ennemis, leur iettant toutes ſortes de feux, & compo-
ſitions
ſelon leur artiſice.
Aux petardiers eſt recommandé de ne perdre, l’occaſion ſe preſentant, & tenir les
petards
tous preſts, pour rompre portes, ponts-leuis, murailles, &
autres repaires & def-
fences
de l’ennemy, qui empeſchaſſent le deſſein de l’armée.
Au Preuoſt appartient, d’aider à tirer le train de ſon quartier en campagne; qu’il mette
ordre
entre les viuandiers, ſuiuant ledit train;
que leurs chariots chacun eſtant logé en ſon
lieu
, n’occupent pas trop de place d’armes, &
ſingulierement qu’ils ne ſoient meſlez entre
les
chariots des munitions.
Item qu’ily mette la taxe iuſte ſur les viandes ſelon le temps &
lieu
, &
qu’elles vallent és villes prochaines. Item qu’il face pouruoir de bons conuoys &
gardes
leſdits viuandiers en leurs entrées &
ſorties, qu’ils neſoient détrouſſez, & que l’ar-
mée
ne demeure en diſette.
Item qu’auec grande diligence il face la ronde au quartier, & y
rencontrant
quelque malfaicteur, il s’en ſaiſiſſe, &
eſtant du corps de l’armée, le deliure
au
Preuoſt general:
Et s’il eſt du train, en aduertiſſe ſon General, auec le procedé de ſon
forfaict
, pour en faire la deuë iuſtice, ou autre punition conuenable.
Auſsi eſt-il obligé de
ſe
trouuer preſent au depart dudit train, afin qu’il n’y ait des differens ou débats ſur qui
prendra
l’auant ou l’arriere-garde:
Attendant ſi quelque choſe luy ſeroit commandée,
tant
par les Lieutenans du General, que du General meſme.
L’ayde du Mareſchal de camp, a vne charge fort laborieuſe & penible. Il eſt
obligé
d’apprendre tous les ſoirs le mot du guet ou l’ordre, &
autres inſtructions du Maiſtre
du
camp general, &
le donner à ſon General & ſes Lieutenans. Item de departir les muni-
tions
des viures.
Item de s’enquerir de L’ayde du Mareſchal de camp general de ſon quar-
tier
.
Item s’il faut que le train marche, qu’il prenne les guides, les demandant à leur chef,
choiſiſſant
touſiours les plus experts &
habiles pour la conduite de l’Artillerie, ſelon le
chemin
qu’elle aura à faire.
Item qu’il marque le quartier pour tout le train, traçant la pla-
ce
des armes, &
puis logeant vn chacun en particulier, depuis la perſonne du General, iuſ-
ques
au moindre dudit train.
Item que quãt au fourrage & prouiſions à luy commiſes, il en
face
diſtribution égalle au contentement de chacun, ayant toutefois eſgard au temps, lieu
abondance
&
defaut d’iceluy. En ſomme il eſt obligé à tant de choſes, que pour n’ennuyer
V
.
S. par vn trop long recit, i’obmettray le reſte: vous aſſeurant que c’eſt le plus penible
office
qui ſoit en tout cedit train.
Les Ingenieux des fortifications ſont obligez de traçer les tranchées à la façon plus
ſeure
&
conuenable qu’ils entendent, donnant auſsi ordre qu’elles ſoient faites comme il
appartient
.
Item de montrer les lieux & façons des plattes-formes, baſtions, caualliers,
demies-lunes
, &
autres retranchemens propres, tant pour la deffence des amis, que pour
offencer
les ennemis.
Item qu’ils remarquent bien les diſtances des lieux, la largeur, la
profondeur
des fleuues &
foſſez, la hauteur, longueur, & eſpoiſſeur des murailles & leurs
courtines
:
ſans autres particularitez dépendantes de leurſcience, en laquelle on ſe fie de
beaucoup
.
Les pionniers, laboureurs, & autres telles gens de loüage, couppent les bois & fagots
pour
l’vſage des gabions &
autres telles neceſsitez: trauaillent au remuëment de la terre,
aux
tranchées, font les eſpaules, parapels, &
autres telles pieces de leur labeur tant pour
deffendre
que pour offencer:
Ioint que quand l’Artillerie marche, ils l’accompagnent tou-
ſiours
.
Et afin que V. S. ne s’eſmerueille que i’en ay demandé ſi grand nombre, à ſçauoir
vnou
deux mille pour ledit train de l’Artillerie, ie vous eſcriray quelque peu plus au
9751De l’Artillerie. cepoinct, deſcriuant l’vſage & l’vtilité d’iceux. Or ne conſiſte-elle pas ſeulement en ce,
que
partelle multitude, la neceſſité le demandant, les fortifications &
tranchées ſe font
bien
ſubitement, mais auſſi qu’on s’en peut ſeruir en autres occaſions.
Dont ne ſont cou-
ſtumierement
du tout nuds, mais en partie armez;
les vns de leurs eſpieux & pertuiſanes,
les
autres de piſtolets ou carrabines, les autres d’eſpées ou glaiues courts &
larges, pour
pouuoir
manier, l’opportunité ſe preſentant, (à quoy ils ne ſe font gueres prier) les
mains
non ſeulement en garde &
deffence des trenchées, amis auſſi de l’Artillerie meſme.
Ioint qu’ils eſpargnent, eſtant ainſi mis en œuure, vne bonne partie de la peine des ſoldats,
qui
ſouuentefois bien las &
maltraitez ſont poſez à la garde de ladite Artillerie, & meſme
comme
ſans profit, &
auſſi auec grand danger. Caril aduient ſouuent qu’vne compagnie
qui
a cheminé tout le iour en l’arriere-garde, eſchet en garde de l’Artillerie, auquel ils ne
peuuent
arriuer deuant la minuict, bien las &
mal traitez, & qui quelquesfois demeurent
du
tout en arriere.
En la place deſquels ceux-cy s’employent volontiers. Ioint que le Ge-
neral
en pourroit tirer ſeruice en autres affaires d’importance, comme de s’approcher des
embuſcades
des trenchées des fondemens, des murailles pour les miner, &
autres ſembla-
bles
:
& principalement le General les loüant, ce ſeroit pour les faire oublier tout danger.
Ce
ſeroit auſſi vn moyen aſſeuré d’euiter maint larcin, qui ſe fait pour l’occaſion du chan-
gement
des gardes, eſtant choſe commune à tous quartiers, de quelque nation qu’ils ſoient,
qu’au
lieu de faire la garde aux munitions, ils dreſſent des embuſches pour emporter diſſi-
mulément
quelques bribes:
l’vniettantl’ œil ſur la poudre, l’autre ſur les balles, l’autre ſur
les
cordes ou meſches, l’autre ſur quelqu’autre choſe propre à ſa boutique.
Et ſi le maiſtre
d’Hoſtel
s’en apperçeuant ſe plaint au Capitaine:
Pour toute reſponce, on luy dit que c’eſt
pour
s’en ſeruir vaillamment au beſoing.
Reſponſe mal à propos pour ſon compte, qui luy
en
eſt demandé bien eſtroittement.
Dont encor ie ſuis & demeureray de cet aduis, que
pour
les raiſons ſuſdites on aye touſiours ledit nombre de telles gens au train de l’Artille-
rie
, y adiouſtant encor cecy, que la neceſſité le requerant, ils feroient auſſi bien l’office de
bons
ſoldats:
perſonne ne conſentant volontiers qu’on le tuë.
Les tendeurs ſontobligez à ce que le train venu en ſon quartier, incontinent ils ar-
ment
&
éleuent les tentes principales, à ſçauoir de lachapelle, des munitions, & apres cel-
le
du General, ſes Lieutenans &
autres officiers.
Or combien que iuſques à preſent on n’ait eu couſtume en l’armée de ſa Majeſté d’y
auoir
des maiſtres arquebuſiers, &
forgerons de cuiraſſes: ſi ſerois-ie d’aduis qu’à l’adue-
nir
il y en eut pour le moins deux ou trois au train de l’Artillerie.
Caril aduient ſouuent
aux
ſoldats que les ſerpentins de leurs arquebuſes, les bouches &
tuyaux de leurs flaccons
ſe
rompent, qui eſtans deſtituez de la commodité de les refaire, ne peuuent ſi prompte-
ment
ſeruir au beſoing, lequel ils doiuent attendre à chaque moment.
Auſsi à l’vn ſe dé-
fait
quelque clou en ſon halecret, à l’autre défaut quelque iointure de ſon heaume, &
ne
trouuant
quile reface, il ſera rendu inutile.
De fait on ſe peut ſeruir de ceux-cy, non ſeu-
lement
en ladite occaſion, mais auſsi en l’eſſay deſdites armes, leſquelles le General pour-
ra
bien faire eſprouuer, mais non iuger de leur force &
valeur, qui ſe cognoit en l’alliage
&
trempe de leurs metaux. Eticy conclurray par lerecit des perſonnes, & des offices du
train
de l’Artillerie, &
de l’obligation de chacun en particulier. Cy apres nous verrons
les
batteries, &
la façon d’icelles.
9852Second Traicté
DIALOGVE VIII.
Leſquelles pieces ſeront les plus fortes & vtiles, celles qui ſont en campagne,
ou
celles qui ſont logées au baut des murailles
d’vne
ville.
GEn. Ayant fait hier mention des batteries & des dépendances d’icelles, vous
m’auez
fait naiſtre le deſir de ſçauoir de vous, comme homme bien experimenté
en
ſemblables affaires, quand ily a des pieces égalles en batterie &
contrebatte-
rie
, leſquelles courent plus grand danger, celles qui ſont logées au haut des murailles
d’vne
ville, ou celles qui ſont logées plus bas en la campagne?
faiſant le compte qu’elles
ſont
égalles, ayant auſſi les deffences égalles.
Cap. Ce que ſur cecy ie vous peux reſpondre, eſt ce que i’ay moy-meſme experi-
menté
:
à ſçauoir que celles de la ville, eſtant logées plus haut que celles de la campagne,
ſont
auſſi en plus grand &
euident danger.
Gen. Celaſeroit bien au contraire, que le plus bas ſurmonteroit le plus haut. Et de
ma
part ie le tiendrois pluſtoſt auec celles d’enhaut, en conſideration, que d’enhaut on
peut
mieux deſcouurir toute la campagne, &
eſt le coup beaucoup plus vehement.
Cap. Pourmoy, quant àl’Artillerie, quand la batterie de campagne eſt bien garnie
de
ſes eſpaules &
ambrazeures, ie m’attendrois plus aux pieces logées en icelle, qu’a cel-
les
qui ſont logées aux remparts de la ville:
comme on void fig. 9. β.
Gen. Ie le croy bien: car n’eſtant enclos, vous vous pourriez aider & pourueoir de
toutes
neceſſitez:
choſe niée aux aſsiegez.
Cap. Non pas pour cela, mais pource que l’experience m’aſſeure que les pieces
d’en
bas, ioüiſſent de plus grand auantage que celles d’enhaut.
Gen. Ie vous prie donc de m’en deduire les raiſons.
Cap. Ie ſuis content de les vous monſtrer ſi claires, que ſerez meſme preſt à rece-
uoir
mon opinion.
Or la raiſon en eſt, que les pieces d’en bas, faiſans touſiours leur poin-
tage
vers le bas de la barbe des pieces d’enhaut, &
donnans en l’ambrazeure, combien
qu’elles
n’embouchent pas proprement leurs pieces contraires, elles ne faillent toutesfois
de
briſer les fuſts, les axes, &
les roües d’icelles, les rendant ainſi inhabiles pour quelque
temps
.
Ce que i’ay ſouuentremarqué, eſtantentré és places priſes, que la pluſpart de l’Ar-
tillerie
d’icelles eſtoit demontée par cemoyen.
Cecy ne peut aduenir aux pieces logées en
bas
, deſquelles les fuſts &
axes ſont la pluſpart couuerts du metal deſdites pieces, deſorte
que
le boulet venant d’enhaut ne les peut ſi facilement intereſſer:
ains donnant ſur la pie-
ce
, elle fait ſa bricole &
bond, ou tout droit auant, ſans endommager perſonne, ou d’vn
coſté
, ou bien rarement clle briſe l’vne desroües, (dommage qui m’eſt aduenu quelques
fois
) mais qui en changeant incontinent de roüe eſt facile à remedier.
Etquand au mouue-
ment
du boulet, ie ſuis aſſeuré que celle d’en bas a plus grande force &
vigueur que celle
d’enhaut
:
celle-cy reſultant plus facilement & ſans aucun ou peu d’effect, mais celle-là
trouuant
ſa reſiſtancey contrebutte plus roide &
fermement.
Gen. Mais celles d’enhaut ne découurent-elles pas bien celles d’en bas, apres auoir
fait
auecla violente deſcharge leur recul?
Certes pour le moins, alors non ſeulement les
picces
, mais auſsi tous ceux qui ſont occupez au ſeruice d’icelles ſont à deſcouuert &
en
extrême
danger d’eſtre aſſommez d’enhaut:
celles d’enhaut, eſtant tant ſoit peu re-
culées
de leurs ambrazeures, ſont en ſeureté, auec tous leurs aſsiſtans.
Cap. Il eſt vray qu’alors il y a du danger, mais auquel on peut remedier, en éle-
uant
les eſpaules, en ſorte qu’on puiſſe eſtre couuert ſous icelles, &
que l’ennemy
9928[Figure 28]
100
[Empty page]
101
[Empty page]
10253Del’Artillerie. puiſſe deſcouurir dauantage de l’interieur de la batterie, que l’ouuerture de l’embrazeure
luy
permet.
Gen. Mais ſi lors l’ennemy donne par ladite ambrazeure, il ne peut faillir que le bou-
let
bricolant ne briſe le fuſt, &
tous ceux qui ſont à l’entour.
Cap. Le danger n’eſt pas ſi grand que vous penſez. Car le boulet qui vient d’en-
haut
, &
principalement celuy qui donne par l’ambrazeure, tombant en terre molle & eſ-
meuë
s’y cache, ou pour le moins y perd la plus grande partie de ſa vigueur:
mais celuy qui
va
à mont, emporte par ſa violence tout ce qu’il rencontre, tant de l’ambrazeure que de
la
courtine &
muraille. Et ſi le canonnier eſt diligent pour gaigner la main à ſon ennemy,
en
ſorte qu’il mire la piece &
prend la mire, attendant que l’ennemy vienne à remettre ſa
piece
à l’ambrazeure, &
luy donne le feu incontinent: ſans faute il la luy embouſchera, en
ſorte
que venant à l’ambrazeure, comme il faut neceſſairement qu’il le face, s’il veut tirer,
il
perdra toute l’aſſeurance qu’il auoit en la chargeant.
Parquoy V. S. confeſſera auec moy, que les pieces d’enbas, ont plus d’auantage que
celles
d’en haut:
Et encor qu’elles faillent d’embouſcher leurs contraires, ſi ne faillent-el-
les
de faire grand dommage aux fuſts, axes, rouës &
murailles emportées de leur violen-
ce
.
Et quand à leurs axes, comme nous auons dit cy-deſſus, couuerts, ils ne peuuent en au-
cune
maniere eſtre endommagez.
Dont ie vous en racompteray vne hiſtoire aſſez re-
marquable
.
Au ſiege d’Oſtende, la chauſſée du Comte de Buquoy, eſtoit vn peu plus baſſe
que
celle de la ville.
Oril aduient, que ne pouuant de nuict, on eſtoit contraint d’ſleuer
de
iour vn petit fort:
mais l’ennemy par la continuation du ieu de ſon Artillerie taſchant
d’en
empeſcher le trauail, on fut forcé de la luy oſter.
Dont le Seigneur Marquis de Spinola
voyant
de combien d’importance la choſe eſtoit, me fit commandement de loger en ladite
chauſſée
des pieces ſuffiſantes pour cet effet:
mais n’y pouuant loger que neuf, contre dix
ou
douze de l’ennemy:
toutesfois en heure & demie de temps, ie luy oſtay toutes ſes am-
brazeures
&
deffences: celles de l’ennemy ne faiſant autre effet és miennes que donnant
ſur
le haut de leurs metaux, elles leur oſterent quelques dauphins &
quelques friſes qui ne
ſeruoient
que d’ornement d’icelles.
Gen. Leſquelles donc ſont de plus grande violence & de meilleur pointage, celles
qui
viennent de haut en bas, ou celles qui vont contre mur?
Cap. Ie m’eſbahis bien grandement que V. S. ne s’eſt encor apperçeuë, que ſelon
le
naturel du feu, quitend touſiours en haut, toutes les armes de feu ont plus grand effect
encontre
mont, qu’enbas.
C’eſt de , quela mire commune, comme nous auons dit &
monſtré
ſouuent au premier traicté, eſt de plus grande portée que celle du niueau de l’ame,
à
ſçauoir de ce que le boulet eſt par la nature du feu pouſſé plus rudement, comme il ap-
pert
en la figure cy adiointe;
A laquelle i’adiouſteray encor cecy, afin que V. S. quitte plu-
ſtoſt
ſa premiere opinion.
A Amiens le Lieutenant du General de l’Artillerie, Chriſtoual
de
Lechuga, auoit dreſſé quelques pieces en contrebatterie, eſperant d’en deffaire &
de-
monter
l’Artillerie ennemie auſsi toſt qu’elle ſe monſtreroit.
Mais il ne dura gueres, per-
dant
auſsi toſt qu’on le commença à battre toutes ſes ambrazeures.
Gen. Cecy peut-eſtre luy aduint ou pour n’auoir pas bien logé ſes pieces, ou à faute
de
place requiſe.
Cap. Quand à la faute de place, i’en ſuis bien d’aduis, mais quand à l’autre, à
ſçauoir
de n’auoir aſſez proprement logé les pieces, ie ne l’oſerois dire d’vn ſi vieux &
ſi
experimenté
Gendarme, &
notamment en ce poinct de l’Artillerie: Et cet exempleauec
celuy
de deſſus au ſiege d’Oſtende, me confirme de plus en plus à mon premier pro-
pos
, de tenir les places d’enbas plus auantagées que celles d’en haut.
Et V. S. n’y pou-
uant
conſentir, nous en remettrons la recherche à d’autres plus experimentez, que ie
ne
ſuis.
10354Second Traicté
Gen. Ieme trouue du tout ſatisfait, quand à ce poinct, de vos raiſons, confeſſant
que
iuſques à preſent i’ay eſté bien abuſé.
Mais puis qu’il eſt heure de diſner, nous nous
contenterons
de ce que nous auons traicté pour cette fois:
& apres diſner nous verrons
vne
autre queſtion, à ſçauoir quelle piece fait plus de portée, celle qui eſt logée au haut de
quelque
tour, ou celle qui ſe tient au pied d’icelle.
Cap. En celaie taſcheray ſelon tout mon pouuoir de vous ſatisfaire, ſinon entiere-
rement
, pour le moins en partie.
DIALOGVE IX.
Des pieces eſgalles, quelle pouſſera ſon boulet plus loing, celle qui eſt logée au baut
d’vne
tour, ou celle qui eſt logée au pied d’icelle.
GEn. Seigneur Capitaine, ie deſire fort d’eſtre deueloppé de ce doute, dont i’ay
fait
mention deuant diſner, des deux pieces eſgalles, (ou bien ſe ſeruant d’vne
meſme
piece) l’vne logée en vne haute tour, &
l’autre au pied d’icelle; de laquel-
le
la portée ſera plus loingtaine.
Cap. De choſe ne veuë ny experimentée ie n’en ſçaurois donner ſi parfaite & en-
tiere
reſolution.
Gen. Pour le moins dites moy ce qu’il vous en ſemble.
Cap. Puis que V. S. ainſi le deſire, il me ſemble que celle qui eſt logée au haut
doit
pouſſer ſon boulet beaucoup plus loing que celle d’enbas.
Gen. Pourquoy cela? I’eſtimerois auſſi icy le contraire, car le boulet d’en haut, ſe
trouuant
pluſtoſt en l’air, qui le retient &
empeſche ſelon l’experience, ſon cours ne peut
faire
ſa volée ſi longue que celle d’enbas, qui eſtantà l’abry du vent &
de l’air, ne ſent pas
ſi
toſt l’empeſchement.
Cap. Il eſt bien vray, que l’air & le vent donne quelque empeſchement au boulet,
mais
cependant celle d’enbas n’eſt pas exempte, ains plus empeſchée en ce que pour mon-
ter
ſeulement a la hauteur de l’autre piece, elle conſomme vne bonne partie de ſa force;
&
puis
amoindrie de force, montant plus haut, elle ſent auſſi plus de retenuë que l’autre, qui
auec
toute ſa vigueur, a auſſi la hauteur de ladite tour à ſon auantage.
Gen. Mais quelles raiſons y a-il icy qui ſoient aucunement apparentes?
Cap. Les raiſons en ſont certaines & naturelles: En ce que, pour tirer au plus loing,
il
faut tellement eſleuer la piece, qu’elle eſgalle le quarante &
cinquieſme degré de ſon ho-
rizon
, qui reuient iuſques au ſixieſme poinct du quadrant, auquel elle aura ledit horizon
plus
proche que celle qui eſt au pied en bas.
Gen. Voire c’eſtoit pourcela, que i’eſtimoy qu’elle feroit le coup plus court, le
boulet
ſe mettant autant pluſtoſtà repos, qu’elle ſe trouue plus prés dudit horizon.
Cap. Il eſt vray que la piece eſtant eſleuée par deſſus ledit ſixieſme poinct du qua-
drant
, le boulet montant beaucoup plus haut en l’air, fait auſſi ſon voyage plus court.
Tou-
tesfois
auſsi icy la piece d’enhaut retient touſiours ſonditauantage par deſſus celle d’enbas,
lequel
elle demonſtre, en ce, que ſelon la meſure de ladite hauteur elle iettera touſiours
ſon
boulet plus loing, que celle du pied, comme il appert par la figure 7.
a.
Gen. Quelle difference de mouuements a le boulet, dés ſa premiere ſortie de ſa
piece
iuſques a ſon repos.
Cap. Il y a trois mouuements diuers. Le premier a ſon commencement inconti-
nent
dés la ſortie de la bouche de la piece, comprenant en vne ligne droite toute la force
&
vigueur d’icelle: dont il eſt appelé mouuement violent. L’autre commence
104
[Empty page]
10529[Figure 29]
106
[Empty page]
107
[Empty page]
10830[Figure 30]
109
[Empty page]
11055De l’Artillerie. apres la droiture la ligne ſe va courbant en vn arc. Lequel d’autant qu’il participe encor
de
la violence, mais en decadence eſt appelé motus mixtus, ou mouuement meſlé.
Mais
le
troiſieſme, qui commence dés la derniere pointe de ſon arc, le boulet de ſon mouue-
ment
naturel, cherchant ſelon ſa propre peſanteur, ſon centre &
repos, en ligne droite &
perpendiculaire
, eſt appelé mouuement pur &
naturel. Tous trois monſtrez en ladite figu-
re
dés le commencement du violent, iuſques à la fin du naturel.
Mais quand à l’autre que-
ſtion
, n’en ayant ny experience ny addreſſe de quelque autheur qui en ait eſcrit, ſinon ce
que
Nicolas Tarthalia en deduit.
Ien’en pourrois auſsi donner plus entiere reſolution, re-
commandant
&
remettant le reſte aux eſprits plus curieux & vifs, inſques à ce que l’expe-
rience
nous en enſeigne plus clairement.
Gen. Ie ſuis auſsi d’opinion que la deduction en ſera bien difficile, d’autant qu’il n’y
en
a aucune experience.
Ne doutant toutesfois qu’on n’en aye fait quelque eſpreuue: car
ily
a long-temps que i’en ay ouy diſputer, les vns ſe tenans forts pour l’auantage du boulet
d’enbas
(qui m’ont auſsi attiré a leur party ) &
les autres y contrediſans opiniaſtrement &
conſtamment
.
Cap. Si ainſi eſtoit que l’auantage fuſt du boulet d’enbas, dequoy ſeruiroient les
plattes
formes &
autres leuées de l’Artillerie, qui ſe font auec ſi grand trauail?
Gen. I’eſtime que cela ſe fait, non pas pour l’auantage de la plus longue portée,
mais
pour tant plus librement commander &
deſcouurir toute la campagne, auec tous les
deſſeins
&
aduenuës de l´ennemy.
Cap. Au ſurplus i’ay entendu d’vn qui longuement auoit pratiqué l’Artillerie,
qu’au
ſiege de certaine ville, eſtant contraint de loger l’Artillerie quelque peu plus loing
d’icelle
qu’on fait couſtumierement, on luy commanda d’eſſayer ſi d’vn demy-canon il
pourroit
mettre le boulet en ladite ville.
Et voyant qu’il ne pouuoit atteindre que les rem-
pars
, il s’aduiſa d’eſleuer en haſte la platte forme, ſur laquelle ſa piece auoit eſté logée de ſix
pieds
:
& la y remettant & retournant à l’eſſay, il trouua que ſon boulet penetra enuiron de
800
.
pas dauantage en la ville, qu’il n’auoit fait auparauant: dontil appert que tant plus la
piece
eſt eſleuée, d’autant eſt ſa portée plus lointaine.
Gen. Il faut que ie confeſſe d’auoir auſsi erré en ce poinct, combien que la choſe
meſme
eſt de plus de curioſité que d’vtilité au fait de la guerre.
DIALOGVE X.
Comment pour battre vne place il faut loger l’Artillerie.
GEn. Les fraiz de la guerre eſtans ſi grands, il y a bien de la raiſon qu’on regarde de
les
bien meſnager.
Dont puis que les plus grands ſe font es batteries, ie vous prie
de
me monſtrer quel ordre il y faut tenir, en ſorte que ſans manquer de bon effet,
on
n’y employe toutesfois trop de munitions.
Cap. Bien mal pourroit-on reſoudre ce poinct, n’ayant point entiere cognoiſſance
de
l’aſsiette &
poſition du lieu, qui eſt la choſe principale qu’on y doit conſiderer, & qui de
tout
le reſte enſeigne comment on s’y doit comporter.
Gen. Iele croy bien, cependant ſelon l’experience qu’en auez, ie n’ay nul doute
que
ne me puiſsiez dire à peu prés, ce qui y ſeroit requis.
Cap. Vne place peut eſtre attaquée en pluſieurs endroits: tantoſt on l’aſſaut d’vn
coſté
, &
fait la batterie de l’autre: tantoſt on la bat au bouleuart ou baſtions, tantoſt aux
courtines
, ayant touſiours ce but, de paruenir le pluſtoſt qu il eſt poſsible à la fin de l’entre-
priſe
, qui eſt la victoire &
la maiſtriſe du lieu battu. Quant à moy, ayant à battre vne gran-
de
ville &
bien peuplée, i’aymerois mieux la battre en courtine, qu’au baſtion au
11156Second Traicté ſingulierement, quand, comme il aduient en grandes places, les baſtions eſtans bien eſloi-
gnez
les vns des autres, monſtre le pan de la courtine bien ouuert.
Gen. Pourquoy pluſtoſt aux courtines qu’aux baſtins?
Cap. Pource que touſiours les baſtions ſont plus forts & mieux pourueus que les
courtines
:
& eſtans comme la principale force du lieu, mieux guarnis tant de terraſſes que
de
murailles, &
y faut plus de´ temps, de peine & de couſt pour les abbatre.
Gen. Mais qui ſeroit le ſoldat ſi mal pratiqué, qui prenant la peine de faire ſa bat-
terie
en la courtine, laiſſant cependant deux forts baſtions aux coſtez, deſquels quand il
voudroit
faire l’aſſaut, &
cueillir le ſruict de ſon labeur & deſpens, il ſeroit puiſſamment
repouſſé
.
Cap. Tout beau tres-illuſtre Seigneur, car il n’y a encor rien de perdu. Etque ſe-
roit-ce
, ſi apres auoir auec grand labeur &
couſt battu le baſtion, & voulant forcer la breſ-
che
, on trouuoit l’ennemy retranché dedans, de ſorte qu’auec perte de temps, ſans le re-
ſte
, il faudroit recommencer &
faire nouuelle batterie? Ioint que le lieu meſme eſtant re-
cogneu
, enſeigne la maniere de l’attaquer de l’vne &
de l’autre part.
Gen. Vous eſtes-vous bien trouué en ſemblables lieux?
Cap. Ouy Monſeigneur, Les villes de Graue & de Tramont, ont eſté battuës aux
baſtions
.
En France ie fus auſsi à la priſe de la ville de Corte, qui premierement fut battuë
en
la pointe d’vn baſtion, prés la jointe de la courtine ( il y auoit vne grande &
forte
tour
) mais en vain, de ſorte qu’eſtans contraints de ceſſer de ce coſté, &
faire nouuelle
batterie
à la courtine vers la campagne ( il y auoit auſsi bien vn fort bouleuard a la def-
fenſe
, duquel les noſtres furent endommagez ) mais emportans la ville, &
la gaignans par
.
Ainſi en print-il auſsi à la ville de Cambray, qui fut battuë & gaignée aux courtines, no-
nobſtant
ſes bons &
forts baſtions, eſquels ie vous aſſeure, qu’elle n’euſt pas eſté ſi toſt for-
cée
.
Il ſe peut auſsi preſenter telle commodité, voire neceſsité, qu’il faudroit battre le lieu
en
tous deux endroits, ou d’vne maniere occulte &
cachée.
Gen. Cecy vous le dites de grandes villes. Mais ſi on auoit affaire à vn cha-
ſtea
u, ou autre fort plus eſtroit, par vous ſemble-il qu’on l’attaqueroit auec plus grand
auantage
?
Cap. Quand aux forts ou chaſteaux, quelconques ils ſoient, ils vaut touſiours
mieux
de les battre aux caualliers &
baſtions, qu’és courtines. Car leſdits baſtions eſtans
plus
ſerrez, &
ſe flanquans auec grande force, font la couuerture de la courtine beaucoup
meilleure
;
de ſorte qu’on ne les peut facilement forcer, ſi leſdites deffenſes ne leur ſont
oſtées
.
Gen. Or ſus: La ville donc deuant eſtre battuë en courtine, combien de pieces y
faudroit-il
auoir?
& comment les faudroit-il departir & loger, pour faire bonne batterie?
Cap. Pour cet effet il y faudroit 18. pieces, à ſçauoir 8. canons, 6. demys, & 4.
quarts.
Gen. Comment, y faudroit-il auoir plus de canons que des demys?
Cap. Pour bien battre vn lieu, ſoit en terraces ou murs, il faut s’aſſeurer que tant
plus
on y appliquera de canons, tant pluſtoſt on fera la breſche ſuffiſante:
Leſdits canons
n’eſtans
faits &
inuentez à autre fin, que de ruiner & atterrer tout ce qu’ils rencontrent de
leur
grande &
furieuſe force.
Gen. Mais de quelle diſtance faut-il faire la batterie, du lieu qu’on veut battre?
Cap. Il s’y faut approcher tant qu’on peut. Quelques-vns la prennent à 200. pas,
des
autres à 300.
des autres ( de l’opinion deſquels ie ſuis auſsi ) veulent, que s’il eſt poſsi-
ble
on s’auance ſous bonnes couuertures, iuſques au bord du foſſé:
non ſeulement pour
battre
de prés &
auec plus grand force, mais auſsi pour pour empeſcher les ſaillies des aſsie-
gez
, deſcouurir leur Artillerie auſsi toſt qu’elle ſe monſtre, &
les tellement effrayer, qu’ils
ne
s’oſent remuër meſme en leurs repaires.
11257De l’Artillerie.
Gen. I’en ſerois auſſi bien d’aduis, & trouuerois cette opinion aſſez bonne: mais il y
a
de la crainte qu’elle ne s’execute ſi facilement, &
qu’entre les approchans il n’y en de-
meure
pluſieurs pour les gages deuant que d’y paruenir, ſi les aſſiegez ſont ſoigneux de
leur
deffence.
Cap. Il y a bien du danger, mais celuy quile craint ne doit aller à la guerre, en la-
quelle
il n’y a ne lieu ne temps qui en ſoit exempt.
Toutesfois icy le danger n’y eſt ſi grand,
principalement
és lieux eſquels il y a de la terre à ſuffiſance, pour en faire les couuertures,
les
foſſez meſmes en leur proſondeur, en monſtrant les moyens.
Car autant qu’il y a de
hauteur
de terre, dés le bord iuſques à l’eau, autant s’y peut-on enfoncer &
couurir, de
ſorte
meſme que les aſſiegez y ſont moins à craindre, que quand on s’en tiendroit de loing,
à
deux ou trois cens pas.
Gen. Comment faut-il departir leſdites 18. pieces?
Cap. Des 8. canons il faut faire vne camarade, battante en angle droit contre la
courtine
.
Des 6. demys, il en faut faire deux, vne à chacun coſté qui battent aucunement
trauerſe
.
Des 4. quarts, on fait les deffences, comme il eſt monſtré en cette figure, en la-
quelle
on ſe peut auſsi apperceuoir, que les baſtions monſtrans leurs pieces, les deux ca-
marades
des coſtez les peuuent facilement aboucher battant en ligne hypotheneuſe.
Comme on void fig. 9. a.
Gen. Monſieur le Capitaine, ie vous prie dites-moy, combien de coups pourroient
faire
ces pieces en dix heures, &
combien de poudre y faudroit-il auoir?
Cap. En dix heures elles feront 1440. coups, à ſçauoir, les canons 640. les demys
480
.
& les quarts 320. Pour leſquels il y faudroit de la poudre vingt-mille quatre cens
quatre-vingt
lb.
faiſans 128. barils, à raiſon de 160. lb. par baril.
Gen. Vous ne comptez donc que 80. coups pour piece, qui reuiennent à 8. par
heure
pour chacune.
Cap. On en pourroit bien faire dix par heure, principalement des pieces renforcées:
mais quànt aux communes & amoindries, c’eſt aſſez de huit: remarquant auſsi cecy qu’a-
pres
les 40.
coups, on les rafraiſchiſſe & leur donne repos vne heure entiere, de ſorte
qu’auſsi
leſdits 80.
coups ne ſe doiuent faire de ſuitte, n’y ayant piece qui en pourroit ſup-
porter
la force &
chaleur.
Gen. C’eſt peu me ſemble de 80. coups, ayant ſouuent ouy qu’on en pourroit bien
faire
en telle eſpace de temps 130.
dontie deſire de ſçauoir ſi vous en auez quelque expe-
rience
.
Cap. Ie raconteray à V. S. ce qui en aduint en l’I ſle de Bommel. Il y auoit vne pie-
ce
logée en vn moulin, qui tourmentoit tellement l’ennemy, qui luy fut force de loger à
800
.
pas deux pieces, à ſçauoir vn canon & vn demy, pour les embouſcher ou demonter.
tirans dés les quatre heures du matin, iuſques à vnze, & rafraiſchiſſant ladite piece
deux
heures apres, &
retournans au jeu d’icelle à vne heure, iuſques à quatre du ſoir, nous
fuſmes
contraints de ceſſer, ne pouuant ladite piece plus endurer la force &
chaleur de ſa
charge
( cependant ne ceſſans d’autre-part, par le commandement du General, qui lors
eſtoit
Don Louys de Velaſco, de donner d’vne autre piece logée en vn autre endroit, au
trauers
deſdites deux pieces ennemies, &
les faiſant deſloger en vne heure ) il y eut vn
ſoldat
curieux, qui ayant marqué en vne taille tous nos coups, dés le matin iuſques au qua-
tre
heures du ſoir, m’en monſtra 80.
entaillez, reuenans, apres en auoir ſubſtrait les deux
heures
de rafraiſchement, à huit coups par heure, qui eſt le plus qu’on en puiſſe faire.
11358Second Traicté
DIALOGVE XI.
Comment it faut deffendre vne ville aßiegée, & quelle prouiſion
y
est requiſe des munitions pour ſa
deffenſe
.
GEn. Puis que nous auons le temps à ſouhait, ie vous prie de me dire quant à ce
qui
deſpend du General de l’Artillerie, quelle prouiſion il faudroit faire pour
deffendre
vne ville aſſiegée d’vnlong ſiege, ſans attente d’aide ou ſecours aucun
de
dehors.
Cap. Telle ville deuroit eſtre pourueuë non ſeulement de toutes ſortes de mu-
nitions
, mais auſſi de viures ſuffiſans, ſans leſquels toutes les munitions ne proſiteroient
de
rien.
Apres il faudroit ſçauoir quelles ou combien de places il y auroit à munir d’Artillerie.
Et puis faire prouiſion & de l’vn & de l’autre pour le temps de ſix mois entiers, qui eſt le
plus
long temps de leur preſſe &
danger, s’ils n’attendent quelque ſecours de dehors.
Es victuailles il faudroit auoir eſgard au nombre tant des hommes que des beſtes qu’on
y
voudroit nourrir.
Es munitions, quant à ce qui eſt de l’Artillerie, aux lieux qui en doi-
uent
eſtre garnis.
Dequoy nous ferons le compte à peu prés, non pas preciſément de tout
ce
qui y pourroit eſtre rèquis, chacun iour monſtrant nouuelle neceſſité, &
comme par
dehors
l’ennemy ſongetouſiours à nouuelles offences:
ainſi y faut-il auſſi par dedans auec
grande
prudence veiller à nouuelles deffences.
Nous dirons doncques de ce ſeulement,
qui
y pourroit eſtre le plus neceſſaire.
Premierement il y faudroit auoir pour le moins 60. pieces d’Artillerie, à ſçauoir 12. ca-
nons
tirans 40.
lb. de fer, pour oſter les deffences & tranchées à l’ennemy, ou, pour en vne
contrebatterie
demonter l’Artillerie d’iceluy.
18. Demy-canons, tirans 24. lb. de boullet de fer, pour la meſme fin: & ( ces pieces
eſtant
plus legeres &
maniables ) par viſteſſe, qui eſt le poinct principal en cet affaire, luy
gaigner
la main:
joint qu’auec gueres moindre effet on s’en ſert auec beau coup moins de
munitions
.
Poinct auſſi aux aſsiegez de grande conſideration.
10. Quarts de canon, tirans 10. lb. de bouller de fer, pour oſter à l’ennemy par le con-
tinuel
jeu d’iceux tout moyen de trauailler, offencer ſes ſentinelles &
guets entrans &
ſortans
par les tran chées, &
finalement luy empeſcher les approches trop hardies du bord
du
foſſé par ſes trauerſes.
Car eſtant pieces legeres & fort maniables, elles peuuent eſtre
bien
facilement tranſportées de lieu à autre:
voire meſme iuſques hors des portes pour
raſer
tout aupres de la terre des tren chées de l’ennemy.
Finalement 20. petites pieces de campagne, tirans 5. lb. de fer, ou 7 {1/2} lb. de plomb,
pieces
auſsi fort neceſſaires &
maniables, pour s’en ſeruir non ſeulement és rempars &
murailles
, mais auſsi és entrées de la breſche que l’ennemy y auroit faite.
Sans leſdites pieces, il y faudroit encore pour le moins trois grands mortiers, tant pour
ietter
toutes ſortes de feux artificiels contre l’ennemy, que pour eſclairer de nuict la cam-
pagne
, &
recognoiſtre les ouurages d’iceluy pour y obuier de bonne heure, comme la ne-
ceſsité
demande.
Dauantage, y faut-il auoir 400. mouſquetons de bronze, tirans 4. ou 6. onces de fer, ou
6
.
ou 9. onces de piomb, auec autant de poudre fine. il faut que le canonnier s’entende
treſbien
, pour pouuoir diſcerner la commune de la fine, de peur que commettant
114
[Empty page]
11531[Figure 31]
116
[Empty page]
11759De l’Artillerie. que erreur, il ne s’en dommage ſoy-meſme, gardant touſiours la deſſuſdite proportion.
Eſtant autrement de grande importance, qu’on y ſoit pourueu de poudre ſine, pour eſpar-
gner
non ſeulement beaucoup de ſraiz, mais auſſi eſpargner en partie le labeur, moyen-
nant
qu’on y garde ſoigneuſement la deſſuſdite proportion.
Item 2000. mouſquets communs, auec toutes leurs appartenances de formes, four-
ches
&
flaccons.
Item 500. boulets pour chaſque canon, & pour les 13. 6000. boulets.
Item 1000. boulets pour demy-canon, & pour les 18. 18000. boulets.
Item pour chacune des autres moindres pieces 2000. boulets, ſelon la diuerſité de
leurs
calibres.
Item il faut faire prouiſion de 1500. grenades ou balles de feu, grandes pour les mor-
tiers
.
Item de 2000. ou dauantage des petites, pourietter de la main ſur l’ennemy, voulant
faire
ſes approches &
forcer la breſche.
Item bonne quantité de petits cailloux, bricoles, vieils cloux, & autres ſemblables
matieres
, tant pour en trauerſer, en chargeant les groſſes pieces, les breſches, que pour
en
ſaluër l’ennemy en ſes entrées par les ruës de la ville.
Item du ſeruice de l’Artillerie, comme chargeoire à charger, eſcouuillons, couuer-
tures
, coins, leuiers aux rouës, ſuſts, auantrains, carromats, pieds de cheure ou pinces, &

cheures
, auectout ce qui y eſt requis pour faciliter le peſant maniement de l’Artillerie, en
faiſant
touſiours double prouiſion, aſin que l’vn defaillant on ſe puiſſe ſeruir de l’autre.
Item bonne quantité de groſſes & fortes planches de cheſne pour les plate-formes.
Item 20 lampions en leurs perches.
Item de poix reſine, eſtouppes, ſilet, & autres appreſts de feux artiſiciels.
Item 1000. eſchelles longues, 1000. crochets tant courts que longs, ſeaux de cuir,
peaux
de bœuf, &
autres appreſts pour eſteindre le feu que l’ennemy y auroit ietté, auquel
il
faut obuier ſans aucun deſordre, deputant certaines perſonnes tant pour empeſcher la
force
du feu, que pour eſtouſſer auecles peaux moüillées les boulets armez que l’ennemy,
pour
eſpouuanter tant plus les aſſiegez, &
les en faire tenir loing, y auroit iettés.
Item 1000. arquebuſes, auec leurs mouldes & ſlaccons, 1000. piques & quelques
cuiraces
.
Item 100. hautbergeons, auec leurs manoples ou gants, & couuertures tant des bras
que
des iambes.
Item 25. bonnes rondaces.
Item 6000. quintaux de poudre. 25000. quintaux de plomb. 3000. quintaux de
corde
d’arquebuſe ou meſche.
Item 4000. paelles. 2000. hoyaux. 1000. piques. 3000. petites corbeilles, auecbon-
ne
quantité de ſachets de toille.
1000. broüettes. 150. charettes ou bares à cheual, & au-
tres
telles choſes appartenantes au remuëment de la terre és mines &
retranchemens.
Item bonne quantité de fer, tant pour refaire ce qui ſe caſſe & rompt, que pour forger de
nouueau
ce qui pourra eſtre de beſoing, tãt à l’entour de l’Artillerie qu’en autres endroits.
Item bonne quantité de chauſſe-trappes.
Item 1500. gabions. 2000000. fagots, quantité d’arbres grands & petits, pour la
fourrure
&
ſouſtient des mines. 1500. planches de pin, tant pour les mines que pour les
fours
d’icelles.
Itemy faut-il auoir deux poudriers, pourraſiner la poudre gaſtée, & pour en faire de
la
nouuelle, auec deux ſalnitriers.
1000. quintaux de ſalpetre. 250. quintaux de ſoulfre.
250. quintaux de charbon de ſauls, ou de coudre ou de tillier; pour faire & rafiner la pou-
dre
, &
pour l’v ſage des feux artiſiciels.
11860Second Traicté
Item 1500. charges de charbons, tant pour les ſerruriers que pour la cuiſine, aſin que
l’ennemy
ne voye la fumée, de laquelle il iuge du lieu auquel il pourroit faire du dommage.
Item 1000. charges de foing & de paille, tant pour le fourrage desbeſtes, que pour
en
faire les tappons à l’Artillerie.
Gen. Monſieur le Capitaine i’entends quand vous faites mention des canons, deſ-
quels
vous ne dites mot au compte que vous me fites les iours paſſez, &
que ny alors ne
maintenant
vous n’auez aucune memoire des couleurines;
dont i’en deſirerois ſçauoir la
raiſon
, eſtimant de ma part qu’on s’en pourroit auſſi bien ſeruir que d’autres pieces.
Cap. Quand au compte de ces iours paſſez, ie n’ay fait mention des canons ny des
couleurines
, c’eſtoit premierement que quand aux canons, que ie les eſtime inutils, ſi ce
n’eſt
en vne citadelle d’vne grande &
puiſſante ville, pour tenir les habitans en bride &
obeyſſance
, eſquelles auec les petites pieces, ces grandes ſont de ſingulier effet, tant pour
les
humilier par leur grand effort, que pour les faire trembler de leurs effroyables tonner-
res
.
Mais quand aux couleurines, ie les ay obmiſes, comme du tout inutiles, ſi ce n’eſt és
lieux
maritimes, és ports de mer, pour de bien loing offenſer l’ennemy qui à bateau y vou-
droit
approcher, ou pour deffendre les vaiſſeaux allans &
venants, tant des marchands que
des
peſcheurs.
De fait les canons non ſeulement ne ſont propres en lieux eſtroits, mais auſ-
ſi
tant à cauſe de leur poids exceſſif, que de la vehemence de leur ſouffle, y ſont dommagea-
bles
, &
aux habitans tres-griefs, à cauſe de leur grand couſt, iceux ſe mettront, s’ils en vſent
trop
gaillardement au commencement, en danger de faute de munitiõs ſur la fin, &
quand
ils
en auroient plus de beſoing.
Comme il aduint à ceux d’Amiens, quiaſsiegez par l’ar-
mée
du Roy Henry IIII.
ſe deffendans au commencement trop brauement de leurs ca-
nons
, &
dépendans toute la poudre, furent à la ſin contraints de ſe rendre par faute d’icelle.
De meſme en print-ill’année 1606. à ReinbercK, auquel l’ennemy ſe ſeruant de grandes
pieces
, &
y perdant toute ſa poudre: en ſin, quand plus il auoit de beſoing, il s’en trouua
deſtitué
.
Dont encorie ſuis d’aduis, qu’vne ville ne ſe charge de ſemblables pieces, ſi elle
n’eſt
bien aſſeurée d’eſtre puiſſante aſſez, &
bien pourueuë qu’elle puiſſe faire ſon compte
(qui ſe fait bien difficilement) de n’eſtre en danger de quelque defaut.
Cap. C’eſt vne reſponce fort raiſonnable, de laquelle ie me trouue bien ſatisfait
Mais
l’ennemy ayant fait ſa batterie, &
qu’il fuſt de beſoing de faire vne contrebatterie,
pour
luy oſter tant ſon Artillerie que ſon deſſein:
I’eſtimerois certes, que ladite contrebat-
terie
ſeroit de bien peu d’effet, s’il n’y auoit, auſsi bien qu’en la batterie, des canons.
Gen. Les demy-canons font autant propres à cet effet, que, ſelon l’experience que
i’enay
, ie m’en ſeruirois beaucoup mieux en vne ville, que des canons.
Ne diſant pourtant,
que
quand il y auroit piece contre piece, que les canons ne ſeroient meilleurs que les de-
mys
:
mais ie parle de la deſſenſe, pour laquelle faiſant vne contrebatterie ie prendrois plu-
ſtoſt
les demy-canons que les canons, premierement pource qu’ils ſont plus maniables;
&
aprez
, pource queles canonniers les pouuant recharger &
apoſter pluſtoſt que l’en nemy
ſes
canons, luy en peuuent ( choſe de ſoigneuſeremarque en ſemblable affaire) facilement
gaigner
la main.
Quand aux aſſiegeants, il eſt vray que les canons leur ſont plus propres:
tant pource que les murailles en ſont pluſtoſt ruinées, que pour la capacité du lieu, duquel
couſtumierement
il y a de la faute en petites villes &
chaſteaux. Ioint que quand on ſe
voudroit
ſeruir ſur les murailles, de ces grandes pieces, on ſe mettroit tous les moments en
ce
danger, de les veoir renuerſées &
de montées: eſtant choſe aſſeurée, que celuy qui eſt à
la
ville ne peut faire ſon compte de ſi bien couurir ſes pieces, que l’ennemy qui eſt dehors
ne
les deſcouure:
cõme au 8. dialogueila eſté monſtré. Toutesfois l’habilité & prudence
eſt
la compagne d’vn bon ſuccez.
En ſomme, comme les canons en cet endroit ſont de
peu
d’vſage:
ainſi y ſont les couleurines du tout inutiles, ſi ce ne fuſt qu’en plattes-for-
mes
bien eſleuées, on voudroit attendre l’ennemy, deuant de venir en ſon quartier, pour
11961De l’Artillerie. le tourmenter de bien loing, deuant qu’il puiſſe faire ſa batterie, en quoy toutesfois il y
a
peu de ſecours, &
ladite batterie eſtantfaite, on n’en peutnon plus vſer, ſans tres-grand
danger
.
Gen. Comment le maniement en eſt-il plus penible & dangereux que celuy du
canon
?
Cap. Ie vous diray ce que s’en eſt. Premierement la couleurine, à cauſe de ſa hau-
te
monture, &
de la longueur de ſon col, qui ſe monſtre touſiours plus qu’il n’il n’eſt de be-
ſoing
, touſiours à deſcouuert de l’Artillerie de l’ennemy.
Apres en ſe deſchargeant elle
butte
touſiours en contrebarbe de ſon fuſt, dont non ſeulement ledit fuſt en paſtiſt, mais
auſſi
il ne peut faire ſon recul autant qu’elle ſe puiſſe cacher en ſon ambrazeure, ains de-
meurant
auſsi à deſcouuert en icelle, le pauure canonnier la voulant charger, eſt en danger
de
ſa vie, auſſi toſt que l’ennemy l’y voit.
Et voicy les raiſons pour leſquelles i’ay obmis les
canons
&
les couleurines aux diſcours precedents.
Gen. I’en ſuis ſatisſait, & ſerois de meſme opinion quand ie me trouuerois en ſem-
blable
deſtroit.
Toutesfois quand à la poudre & boulet, me ſemble que vous en demandez
trop
.
Cap. Toutesfois, mon Seigneur, ie vous aſſeure qu’encores qu’on fuſt pourueu de
tout
ce que i’ay mis, on n’en auroit pas trop pour les occaſions qui ſe preſentent d’vne bon-
ne
&
deuë deffenſe.
Gen. Mais durant le ſiege ie vous prie dites-moy qui employera plus de poudre,
l’Artillerie
, ou les armes àfeu?
Cap. Ie ne ſçaurois ſi bien determiner ce poinct: Toutesfois quand à ce que i’en ay
apris
, ie donneray le conſeil aux aſſiegez d’employer pluſtoſt leurs munitions en l’arque-
buſerie
&
mouſquetterie, qu’en l’Artillerie. Mais quand aux aſſiegeants, n’eſtant autre leur
deſſein
que d’abbatre &
murs & tout ce qui reſiſte à leur deſſein, qui eſt de preſſer les aſ-
ſiegez
de tous coſtez, &
leur oſter toutes deffenſes & repaires, ou pour le moins de les re-
pouſſer
&
retenir qu’ils n’empeſchentl’ouuerture de leurs trenchées: Il leur eſt touſiours
plus
auantageux d’y employer leur Artillerie, pour tant pluſtoſt &
plusaiſément en parue-
nir
au bout.
Et ſi les aſſiegez vouloient ſeruir d’Artillerie, il leur vaudroit mieux d’v ſer de
celle
qui eſt de moindre calibre, &
qui demande moins de pouiſion de munition, ſuffi ſante
toutesfois
à leur deffenſe.
C’eſt pourquoy i’ay mis plus de boulets pour la petite Artille-
rie
, pour s’en ſeruir ordinairement, reſeruants la grande &
ſes munitions, pour quelque
plus
grande neceſſité:
Auec conſideration qu’ils feront quatre coups d’vne petite piece, qui
eſtant
bien logée fera plus de mal à l’ennemy, qu’vn canon, qui pour vn coup demande tout
autant
ou plus de munition.
Gen. Qui eſt-ce donc qui fait le plus de mal en vn ſiege, l’arquebuſerie, ou la gran-
de
Artillerie.
Cap. Le mal que l’Artillerie fait eſt bien grand, dont auſſi elle eſt de plus grãd effroy
à
l’ennemy:
maìs celuy de l’arquebuſerie, combien qu’il n’y ait ſoldat qui n’en ait du tout
perdu
la crainte, l’eſtimant vn ieu d’enfans, eſt incomparablement plus grand.
Gen. Et qui eſt-ce qui conſommeroit plus de munitions, l’aſſiegé oul’aſsiegeant?
Cap. Icy il faudroit voir de quelle part il y auroit plus grand nombre de gens; car
le
plus grand en conſommeroit auſsi plus grande quantité.
Toutesfois les aſsiegeans ſelon
leur
deſſein, &
comme libres, auec la commodité de ſe pourueoir; de tout ce qui leur pour-
roit
defaillir, en employeront auec plus grande liberalité &
abondance, que les aſsiegez,
qui
combien qu’ils ſoient pourueus, y vont touſiours auec apprehenſion de quelque defaut,
qui
au beſoing leur pourroit ſuruenir.
Gen. En voſtre diſcours vous fiſtes auſsi mention de trois grands mortiers: mais de
quoy
ie vous prie pourroient-ils ſeruir en vn lieu aſsiegé?
12062Second Traicté
Cap. Certes ils ne ſont point à meſpriſer & reietter en ſemblable lieu, veu le
grand
ſeruice qu’on en peut auoir:
car ioüans de haut en bas, & ce auec grande force,
ils
peuuent eſtre tellement adiuſtez ou pointez, que, ſoit de prés ou de loing és trenchées,
ou
meſmes au temps de l’aſſaut, on face tomber leurs boulets de feu, armez de pluſieurs
coups
de mouſquets auecleurs boulets, &
autres matieres auſsi inextinguibles, en la plus
grande
foule &
preſſedes ennemis, pour non ſeulement les eſpouuanter, mais auſsi les
intereſſer
grandement.
Gen. Et des mouſquettons de bronze, quel en eſt l’vſage?
Cap. Ceux cy ſont departis és quartiers eſquels l’ennemy trauaille pour faire
ſes
approches, tourmentans non ſeulement l’ennemy, en ſorte qu’il ne ſe puiſſe ſuf-
fiſamment
couurir de ſes blindes &
gabions vuides, mais eſpargnans auſsi beaucoup
de
munitions.
Gen. Ie confeſſe que vous auez fait ce diſcours auec grande conſideration: cepen-
dant
ily reſte encor trois choſes, deſquelles ie deſire d’auoir inſtruction.
Lapremiere, de
l’vſage
des fagots &
des gabions; la ſeconde de l’eſſect des doubles cuiraſſes; & la troiſieſ-
me
du logis le plus commode pour offenſer l’ennemy ſans aucun danger.
Cap. Quand au premier: Ie vous aſſeure, Seigneur, que les gabions, & ſur tout les
fagots
ou ramages, ſont les pieces principales pour le ſoulagement des aſsiegez:
de ſorte
qu’en
ayans faute, il ſont en tres-grande perplexité.
Car ie l’ay experimenté en pluſieurs
endroits
, que d’auoir eſté vaincus, ou contraints de ſe rendre, ç’a eſté comme ils s’en plai-
gnoient
par faute de fagots.
Et de fait, on s’en peut bien difficilement paſſer és deffenſes
qui
ſe font auec de la terre, entre laquelle ces fagots ou ramages ſont entrelaſſez.
Et pour
faire
les plattes-formes en haſte, il faut neceſſairement qu’ils en ayent:
C’eſt auſsi d’iceux
qu’ils
ſe feruent en la fabrique des demies lunes.
En ſomme faute de fagots, faute de def-
fenſes
.
Des gabions non ſeulement ils ſe couurent en leurs trauaux mais s’en ſeruent auſsi
pour
tromper l’ennemy, les mettant en lieux diuers, de ſorte qu’il ne ſe ſçache bonnement
vers
quellieu il doiue pointer ſon Artillerie.
Gen. Ie n’euſſe iamais penſé que ces choſes fuſſent de ſi grande conſequence: Et
ſuis
d’aduis que non ſeulement on en fit prouiſion publique, mais auſsi, comme on a affaire
en
la maiſon, chacun pere de famille fut obligé de s’en pourueoir tous les ans de certaine
quantité
, quien telle neceſsité pourroient ſuppléer toute faute.
Mais que dites-vous du lo-
gis
des pieces.
Cap. De cecy il n’y a gueres à dire, quand on ne ſçait le lieu auquel ſe fera le pre-
mier
aſſaut.
Toutesfois, afin que pour tous euenemens, nous diſions quelque choſe, s’il atta-
que
la courtine, il faudra, comme la figure 10.
α le monſtre, loger l’ Artillerie aux baſtions
plus
proches:
mettant auſsi deux pieces ſur le bord interieur du foſſé, qui flanquent la
breſche
.
Auec cet aduertiſſement, que nulles de ces pieces tant du baſtion que du foſſé ne
iouë
, iuſques à ce que l’ennemy ſe preſente auec grande foulle pour forcer ladite breſche,
&
alors en vn in ſtant auec grand effroy & carnage d’iceluy on les de ſchargera. Mais s’il at-
taque
le baſtion, il le faudra retrancher au col, noté de A, &
loger en ce retranchement
quelques
pieces, auec bonnes eſpaules, &
les y tenir couuertes, iuſques à ce que l’ennemy
y
ſoit, eſperant ville gaignée, bien entré leans:
& alors les deſcouurir & deſcharger ſubite-
ment
contre iceluy, l’en rembarrant en vn moment.
Gen. Et cecy ne ſe pouuoit-il faire auſsi bien en la courtine qu’au baſtion?
12163De l’Artillerie.
Cap. Ouy bien, principalement és lieux eſquels les edifices ſont tellement eſloi-
gnez
d’icelles, qu’on y cut de la place aſſez, pour faire la demielune, ou autre retran che-
ment
neceſſaire, ou bien quand on oſteroit les edifices, empeſchans tel ouurage:
Cepen-
dant
l’ennemy y faiſant plus grande breſche &
l’ouuerture plus large; le retranchement
ſeroit
non ſeulement plus difficile à faire, mais auſſi plus penible à garder, que celle du
baſtion
, laquelle eſtant eſtroitte, ſe fait facilement, &
ſe garde & deffend, auec peu de
gens
.
Mais comme la choſe eſt de difficile deduction, ſi on ne voit l’aſſiete du lieu auec
ſes
commoditez ou incommoditez à l’œil, ainſi ne peut-on entierement reſoudre
quelle
maniere ſeroit la meilleure, en laiſſant l’entiere &
parfaite ſolution à la neceſ-
ſité
, maiſtreſſe bien induſtrieuſe pour enſeigner à choiſir le plus propre &
conuenable.
Gen. Il eſt vray, le marché monſtre le pris, & la neceſſité fait reſoudre le chois. ce-
pendant
il nevient pas mal à poinct, qu’on en aye quelque generale intelligence, de la-
quelle
eſtant en neceſſité, on puiſſe prendre fondement:
dont auſſi i’ay pris plaiſir d’en
ouyr
voſtre aduis, tant de la courtine que du baſtion.
Mais dites moy auſſi du troiſieſme, à
ſçauoir
du ſeruice des doubles cuiraſſes, auec les rondaſſes.
Cap. Les rondaces ſont de ſingulier effet en vne ſaillie, pour couurir non ſeule-
ment
ceux qui les ont au bras, mais auſsi ceux qui les ſuiuent, comme auſsi à l’entrée
de
la breſche, mettant quelques-vns couuerts d’icelles auec vn bon coutelas en la main,
ils
y pourroient retenir l’ennemy bien longuement.
De meſme en eſt-il des cuiraſſes
auec
les couuertures, &
des bras & des cuiſſes, & iambes, eſtant vne choſe aſſeurée,
que
ceux qui ſe trouuent ainſi armez de toutes pieces, ſont &
plus fermes & plus coura-
geux
à la deffenſe:
Et pourroit-on bien alleguer des exemples des victoires obtenuës
par
ce moyen.
De ſorte que V. S. ne doit penſer que des choſes ſoient de ſi petite conſe-
quence
, ains les tienne en telle eſtime, qu’àmon aduis, toutes villes, principalement cel-
les
des frontieres, en deuroient eſtre fournies.
Quand aux aſsiegeants, ils en ſçauent bien
faire
leur profit en armant ceux qui doiuent eſcheller &
forcer les breſches: voire on y
trouue
quaſi touſiours des auanturiez, quià leurs deſpends s’en pouruoyent pour tel ef-
fet
.
Icy ie finiray la preſente declaration, ayant rendu ſuffiſante raiſon de toutes les pieces
compriſes
en icelle.
DIALOGVE XII.
Comment ſe doit gouuerner vn General de l’Artillerie, ſe trouuant
aßiegé
en telle place.
GEn. Monſieur le Capitaine, iuſques à maintenant vous auez diſcouru en ge-
neral
de ce qui eſt requis pour la deffenſe d’vne ville aſſiegée, voyons auſſi en par-
ticulier
, l’obligation d’vn General de l’Artillerie s’il ſe trouuoit ainſi aſsiegé.
Cap. Tel ne doit pas attendre la neceſſité, ains ſe preparer longuement aupara-
uant
, prenant occaſion du premier ſoupçon, qu’il y peut auoir de quelque ſiege.
De
bonne
heure doncques, auec l’aduis du Gouuerneur de la place &
aſsiſtance du Maiſtre
d’hoſtel
, qui a les munitions en charge, il doit viſiter les magazins d’icelle, ou les arſenals,
pour
voir quelles munitions ily a, &
pour combien de temps elles pourroient durer: &
s’ily
a quelque faute, qu’elle ſoit reſtablie auec grande diligence.
En particulier, quand à
l’Artillerie
, qu’il la viſite &
face eſprouuer auec grand ſoing, calibrer tous les boulets, &
les
mettre ſelon leurs calibres en monceaux à part, pour euiter toute confuſion,
12264Second Traicté tiſſant que pour chacune piece de muraille il y ait pour le moins 1000. boulets, & pour le
demy-canon
500.
Qu’il n’oublie pas la poudre, ains faiſant ouurir que ques tonneaux, il y
mette
la main iuſques au fond, pour s’aſſeurer comme elle eſt conditionnée, regardant les
regiſtres
dudit Maiſtre d’hoſtel, de combien il y en a aux magazins &
dongeons: & ſoigner
qu’on
en ait 1000.
quintaux de la fine pour l’Artillerie: & 1000. pour l’arquebuſerie, &
garniſon
des fours, des mines, &
pour les feux artificiels: En ſomme, de pourueoir que tou-
tes
les choſes compriſes en noſtre compte y ſoient preſtes;
donnant aduertiſſement de
tout
audit gouuerneur, de ce qui y eſt requis, afin de ſuppléer les defauts:
& par ce moyen,
ſi
iceluy y eſt nonchallant, ſuir toute occaſion d’en eſtre accuſé.
Gen. Cecy, me ſemble, deuoit eſtre de la charge du Gouuerneur, duquel deſpend
tout
l’heur &
toute la manutention de telle place.
Cap. Il eſt vray: mais cependant le General, auquel l’Artillerie & l’effet d’i-
celle
eſt recommandée, aura l’intendence plus particuliere de ce qui y eſt requis, que
le
Gouuerneur, duquel le ſoing ſe departit en pluſieurs diuers affaires.
Et de fait, c’eſt
en
particulier de l’office du General, de pourueoir auec toute diligence, ce qui eſt de la
deffenſe
de la place.
Et en cecy il ſe gouuernera tant ſelon le precedent enſeignement, que
ſelon
l’inſtruction ſuiuante.
Premierement deuant d’eſtre preſſé de l’armée ennemie, il ſe doit enquerir ſoigneu-
ſement
, de quel coſté il pourroit le plus eſtre endommagé, &
en quel endroit ſes pieces ſe-
ront
le plus ſeurement logées.
Les pourueoir de couuertures, eſpaules, & blindes ſuffi-
ſantes
, &
ne les point retirer de la muraille, iuſques à ce que l’ennemy aura pris ſon quar-
tier
, &
ayanttracé ſes trenchées, commence de faire ſes approches vers la ville; le mole-
ſtant
cependant de tout ſon pouuoir.
Et quand l’ennemy ſeroit approché en ſorte qu’il luy
euſt
oſté l’vſage de ſon Artillerie, qu’il les en retire de la:
deuallant ſes pieces en quelque
lieu
&
aſſiette ſecrette, qu’il aura fait accommoder, au pied de la muraille en banquetes &
canonnieres
cachées, pour en receuoir l’ennemy, deuant qu’il y print garde.
Mais s’il les
faut
laiſſer ſur la muraille, qu’elles y ſoient enterrées autant qu’il ſera poſsible.
Et ſi l’occa-
ſion
ſe preſentoit, qu’il n’aye peur de s’auancer auec quelques petites pieces, (quoy qu’on
l’en
vouluſt deſtourner) iuſques en la campagne meſme:
eſtant vne choſe aſſeurée, qu’il
n’y
a pieces plus dangereuſes pour l’ennemy que celles-là.
Comme on s’en eſt bien apper-
ceu
au ſiege d’Oſtende.
Et combien qu’on y perdiſt quelques pieces, ſi n’en ſeroit la perte
ſi
grande, que quand par crainte &
coüardiſe, on vint finalement à perdre auec la place,
toutes
les pieces &
la vie meſme. De ſorte que le General, auec inſtance, prendra le con-
ſeil
&
aduis du Gouuerneur & autres ſes Capitaines, en quel endroit on pourroit attaquer
l’ennemy
de ſemblables pieces, tant pour encourager les ſiens, que pour raſer tous les ou-
urages
&
molitions de l’ennemy; ſingulierement eſpouuanté de voir, qu’au lieu de perdre
courage
, on l’oſe encor aller chercher en la campagne.
Pour tel ſoing on pourroit bien faire des galleries couuertes par le foſſé, tant pour
conduire
à couuert leſdites pieces en campagne, que pour par icelles attaquer l’ennemy
entré
auſdits foſſez.
Dauantage, il taſchera de loger quelques pieces, derriere les aiſles
des
baſtions, &
caſemattes, pourueuës de bien profondes & eſtroittes canonnieres, qui
ne
facent leurs flancs plus larges que de la largeur du foſſé, afin que l’ennemy ne les deſcou-
ure
par dehors.
Et quand aux pieces ainſi logées, elles ſeront chargées de petits cailloux,
cloux
, &
ferrements, ou de quelques pieces de chaiſnes, pour en eſcarter l’ennemy, vou-
lant
forcer la breſche.
Auſsi ſeroit-il bien profitable, ſi au dedans de la muraille on auoit eſleué quelque ra-
uelin
ou cauallier;
pour ſaluër de ceux qui s’approcheront pour ſaig ner le foſſé, ou y met-
tre
des ponts.
Leſquels toutesfois doiuent eſtre tellement ordonnez, que l’ennemy ne les
deſcouure
de ſa batterie de dehors, comme i’en ay veu en quelques endroits ſi bien
123
[Empty page]
12432[Figure 32]
125
[Empty page]
12665Del’ Artillerie. nez que touſiours l’Artillerie logée en iceux fuyoit la face des pieces ennemies, en ſorte
que
durant tout le temps du ſiege elles n’en peurent eſtre demontées.
Pendant l’aſſaut, ledit General apres auoir occupé de ſes pieces les logis ſecrets du
foſſé
, ſelon que l’opportunité le permettra, attendra l’ennemy, auec la prouiſion de feux
artiſiciels
, prenant toutesfois ſoigneuſement garde que les amis qui ſont a la deffenſe de la
breſche
n’en ſoient offenſez, &
ſingulierement que la poudre ſoit bien gardée que le feu
ne
s’y prenne, &
en emporte pour vn coup toute la prouiſion, & qu’il faille attendre lon-
guement
, deuant d’en pouuoir apporter de lanouuelle:
ſans encor le danger qu’il y a que
les
aſſiſtans n’en ſoient bleſſez, ou pour le moins eſpouuantez, &
les ennemis plus hardis,
(comme il aduient couſtumierement.)
Es eſcarmouſches il prendra garde que l’arquebuſerie ennemie ne ſe fourre parmy ſon
Artillerie
, &
pour cet effet tiendra touſiours deux pieces ou dauantage toutes preſtes, iuſ-
ques
a ce que les autres ſoient rechargées.
Et quand l’ennemy voudroit auec fureur forcer
les
ambraſeures, qu’il l’en repouſſe courageuſement, &
fuſt-cemeſme à coups de baſton
&
leuier, & pluſtoſty laiſſer mille fois lavie, que permettre qu’on aye occaſion de dire que
par
ſa coüardiſe le camp aye eſté forcé, oùil y deuoit auoir le plus de force.
Viſitant à cet-
te
fin bien diligemment toutes les batteries, &
donnant ordre que ſes canonniers & Gen-
tils-hommes
ſoient encouragez &
pourueus de toutes choſes. En outre, il taſchera en ſes
labeurs
d’eſtre ſi ſecret, que ſes ambraſeures &
eſpaules ſoient faites & éleuées deuant que
l’ennemy
s’en apperçoiue, &
debon matin ſe monſtrant a la beſongne taſchera touſiours
de
ſaluër l’ennemy de ſes canonnades, pour luy ayant gaigné la main, luy oſter ou demon-
ter
ſon Artillerie.
Et combien que, comme nous auons monſtré, ily ait grande difficulté
de
ce faire, ſi ne faudra-il laiſſer de tourmenter &
trauailler les canonniers ennemis, leur
taillant
touſiours de la beſongne, les obligeans de reparer leurs couuertures, &
donnant
cependant
relaſche aux aſsiegez de la fureur de leur batterie.
Au departiment des munitions il faut qu’il vſe de grande diſcretion, d’eſtre liberal au
beſoing
, &
œconome en ſon lieu, relaſchant pluſtoſt le ieu de la groſſe Artillerie, que de
faire
ceſſer par defaut l’arquebuſerie &
mouſquetterie, eſtant choſe aſſeurée que l’ennemy
approché
, l’Artillerie n’eſt de grand profit, ſi ce n’eſt de ſes loges ſecrettes, iuſquesau
dernier
homme on ſe peut &
doit-on ſe ſeruir des mouſquets.
Enuers ſes canonniers & autres officiers de ſon train, il ſe monſtrera touſiours bening
amiable
, les rafraiſchiſſant non ſeulement des victuailles neceſſaires, mais auſsi les reſioüiſ-
ſant
de quelques preſents en recompenſe de leurs labeurs.
Quant à l’ouurage exterieur, de reparer les eſpaules, tenailles, ou autres deffen ſes, il le
fera
faire de nuict, faiſant pour cet effet repoſer ſes gens de iour, pour eſtre plus frais quand
laneceſsité
le requerra, les aduertiſſant de purgerleurs conſciences, comme s’ils deuoient
mourir
à l’inſtant, veu que de nuict l’ennemy les pouuant tant ſoit peu deſcouurir, ils en
ſont
en danger tres-@uident.
Et voicy ce qui eſt de l’office du General en tel endroit, pour
s’acquitter
auec honneur &
loüange de ſa charge.
Gen. Tout ce diſcours m’a ſingulierèment contenté: dontie voy que c’eſt vne charge
de
grãd ſoucy, qui requiert vn perſonnage prudent &
vigilant, pour ſe pouuoir fier en luy.
DIALOGVE XIII.
Comment on logera des pieces en batteries ſecrettes.
GEn. M’ayant donné quelque eſperance de loger quelques pieces ſi ſecrettes que
l’ennemy
ne les pourroit aucunement demonter, ie vous prie m’en monſtrer le
moyen
.
12766Second Traicté
Cap. Ie vous ay deſia dit cy deuant qu’il ſeroit impoſſible de loger les pieces en la
muraille
, de ſorte que voulant en vſer, l’ennemy ne les vint à deſcouurir, ſi ce n’eſt qu’el-
les
fuſſent bien enterrées en caſemattes:
Toutesfois combien que iamais ie n’en ay veu
l’eſpreuue
, ie n’ay point de doute qu’on n’en viendroit à bout, en faiſant vn pied comme
on
fait aux caualiers, pour fairemonter les chariots &
l’Artillerie: & donnant à la piece
vne
plate-forme pendante, en ſorte qu’elle fit ſon recul du haut iuſques embas.
Mais ces
pieces
deſquelles n’en faut auoir qu’vne ou deux, ne doiuent ioüer d’ordinaire, mais aucu-
nesfois
à l’improuiſte, &
ne les faut tenir au haut, ſinon pour les pointer: & quand on les
y
veut mettre, il faut dreſſer deux forts palis, par la retenuë deſquels auec des poulies &

cordesattachées
au croc de la reſte du fuſt, on les puiſſe tirer en haut &
faire monter
l’on
les veut auoir.
Il y a encor vn autre moyen de faire vne double batterie auec doubles deffenſes, mais
pour
laquelle il faudroit beaucoup de place.
Premierement on fait vne batterie auec ſes
eſpaules
&
tenailles, ſelon les pieces qu’on y veut loger: ſans toutesfois obſeruer la
façon
ordinaire eſdites tenailles ou ambraſeures, qui ailleurs eſt requiſe, ayant ſeulement
eſgard
qu’elles ſoient aſſez profondes, au reſte eſgalles, ou autant larges par deuant que
par
derriere, de ſorte qu’en ligne droite on puiſſe dcſcouurir les pieces ennemies.
Puis 10.
pieds en reculant on fera vne autre batterie auec ſes tenáilles en deuë proportion, leſquel-
les
regarderont auſsi en ligne droite par les premieres les meſmes pieces, ainſi qu’on voit
en
la figure 22.
β. & en ces tenailles les pieces ſeront tellement gardées & cachées, que
l’ennemy
bien difficilement les pourra deſcouurir.
Gen. Ie voy bien en la figure que c’eſt vne fort bonne batterie, & que l’ennemy au-
roit
de la peine pour en demonter les pieces, ſi ce n’eſtoit qu’à force de canonnades il leur
oſtaſt
les deffenſes ou la mine.
Et quoy qu’il en ſoit ie la tiens pour vne batterie bien
ſeure
.
DIALOGVE XIIII.
Commcnt il faut loger les pieces au defaut de terre.
GEn. I’entends que quand il y a de la terre à ſuffiſance, il y a bien du moyen de
faire
batteries:
mais il aduient ſouuent qu’il en manque. Et que ſeroit-il alors
de
faire?
Cap. I’ay bien veu ſemblable neceſsité: mais à laquelle on obuia, en la maniere
ſuiuante
.
Premierement on print pour chacune piece ſix arbres hauts, forts & droits, &
au
defaut de la force des ſix, on en prenoit neuf ou dauantage, leſquels enfoncez aſſez pro-
fondement
en terre, pour ſe tenir fermes, &
demeurans en hauteur eſgalle, au lieu on
vouloit
loger les pieces:
Au haut on les enlaça de bien fortes & puiſſantes barres, pourtant
plus
les affermir de cette part, &
les rendant ſuffiſans ſelon le poix qu’ils doiuent porter.
Puis on les couurit de bonnes & fortes planches, capables meſme quand il ſeroit beſoing
pour
porter vne plate-forme.
Or ſur cet edifice on mit les pieces en telle largeur qu’ily
auoit
de la place ſuffiſante pour le recul d’icelles, à ſçauoir vingt pieds, eſtant choſe cer-
taine
qu’en tel endroit la piece fait autant ou plus de recul, qu’en vne plate-forme ordinai-
re
, qui de ſon pendant retient aucunement la force de la piece en reculant:
Choſe qui ne
ſe
fait icy, eſtant cette tablaſſon égalle &
à niueau, afin que le poix ſoit égallement departy
ſur
ces paulx:
de ſorte que la piece ayant ſa force entiere en ſon recul, il y auroit de la
crainte
qu’au defaut de place ſuffi ſante, elle ne vint à tomber de haut embas.
Et voiey vn
ſecours
&
aide raiſonnable en telle neceſsité, mais toutesfois non ſans danger.
128
[Empty page]
129 33[Figure 33]
130
[Empty page]
131
[Empty page]
132 34[Figure 34]
133
[Empty page]
13467De l’Artillerie.
Gen. Comment il y a encor quelque danger, outre celuy que vous venez de mon-
ſtrer
?
auquel toutes fois donnant aſſez de planche on peut remedier facilement?
Cap. Ouy certes: Car l’ennemy ſçachant qu’il y euſt telle fabrique, taſcheroit à tou-
te
force ruinant la muraille de ſçauoir les teſtes de ces arbres, quoy fait, il pourroit facile-
ment
renuerſer tout le baſtiment.
Gen. Certes il eſt vray: & alors les meilleures & plus fortes eſpaules ne ſeruiroient
de
rien.
Mais ſi les murailles eſtoient aſſez fortes ayant leur terrepleins, ſuffiſans pour ſou-
ſtenir
l’effet du deſſein de l’ennemy.
Cap. Alors il n’y auroit point de danger, & non plus que ſi les pieces eſtoient logées
ſur
vn terreplein entier.
Comme en ces pays nous l’auons experimenté quelquefois,
quand
il a eſté de beſoin de ſe fortiſier és diques:
dont auſſi pour meilleure inſtruction i’en
ay
monſtré la façon en la ſigure 12.
β.
DIALOGVE XV.
Comment au defaut de tous moyens on doit faire vne
batterie
de ſacs de laine.
GEn. Nous auons iuſques à preſent diſcouru de toutes ſortes de batteries, faites
de
terre &
de fagots. Mais que ſeroit-ce, quand on ſe trouueroit en tel endroit, au-
quel
on ſeroit deſtitué de tous ces moyens:
ne ſe pourroit-on contenter de ſacs de
laine
en ayant fait quelque prouiſion?
Cap. C’eſt le meilleur qu’en terre, on ne peut auoir faute de terre.
Gen. Ce que ie dis de faute de terre, ſe doit entendre ainſi, qu’on ſe pourroit bien
trouuer
en lieu ſablonneux ou pierreux, de ſorte qu’on n’en pourroit tenir autant enſem-
ble
qu’il en faudroit, pour en faire les deffences neceſſaires.
Cap. Certes l’armée contrainte de ſe fortifier en telle place, ſeroit en grand danger,
&
l’ennemy tirant contre ces cailloux, en feroit eſleuer les bricolles pour endommager
toutle
camp.
Toutesfois ne pouuant mieux, il y auroit quelque ſecours eſdits ſacs de laine,
pour
en faire eſpaules &
ambraſeures, comme on voit la trace en cette figure. Et n’eſt cet-
te
inuention moderne, ains vſitée dés long-temps, de pluſieurs &
diuerſes nations. Or il
faut
que ces ſacs ayent 17.
pieds de longueur, & 7. d’eſpoiſſeur, & pour reſiſter au canon
il
en faudroit mettre trois en largeur, qui feront l’eſpaule de 21.
pied d’eſpoiſſeur. Apres
ceſdits
trois ſacs, il faut laiſſer ouuerture de trois pieds pour les ambraſeures, pour le canon:

mais
pour le demy il ſuffira de n’en laiſſer que deux &
demy. Et faut notter que deſdits trois
ſacs
, les deux exterieurs doiuent eſtre quelque peu plus courts que celuy de dedans, pour
donner
l’ouuerture ſuffiſante auſdites ambraſeures en dehors, que le ſouffle de la piece ne
les
endommage.
Sur ladite ouuerture on mettra vn ou deux autres ſacs qui la trauerſent,
&
couurent en lieu de blindes: de ſorte que la couuerture tant des pieces que de ceux qui
les
manient, ſeront de 14.
pieds.
Gen. Mais ie crandrois que le feu ne ſe print tant aux ſuperieurs qu’aux inferieurs,
comme
c’eſt du naturel de la laine de s’en reſentir bien toſt.
Cap. Pour cecy il y a bon remede, y ayant touſiours quelques cuues pleines d’eau
meſlée
auec quelque peu de terre, tant pour moüiller &
rafraiſchir, que pour empeſcher
quelque
peu leſdits ſacs, que le feu ne s’y attache ſi facilement.
Gen. Comment les affermira-on doncques que la force des canonnades ennemies
ne
les ruyne.
Cap. Premierement, auec paelles & hoyeaux on leur fera quelque peu de pied,
13568Second Traicté quel on mettra les trois ſacs d’embas, apres les auoir bien líez & garrottez de bon corda-
ge
, puis les perçant de bons paulx, les fichant en terre, on lesy tiendra ſi fermes qu’ils ne
puiſſent
bouger.
De meſme fera-on de ceux des couuertures, faiſant paſſer des paulx par
ceux-cy
, &
ceux d’embas, qui ſerrant ceux-là, les affermiront encor dauantage auec ceux
cy
.
Or en tout cecy il faut auoir eſgard à la force de l’Artillerie contraire, de ſorte qu’y
ayant
des canons ou demys, il y faudroit oppoſer autant de ſacs pour les eſpaules qu’il en
ſeroit
de beſoin pour les pouuoir retenir, aſin que les pieces y logées fuſſent aſſez couuer-
tes
, à la façon que la figure 11.
β le monſtre.
Gen. Ie voy bien qu’on s’en pourroit reparer ſuffiſamment, de ſorte qu’il ne ſeroit
hors
de propos d’en faire en ſemblables endroits la deuë prouiſion.
Mais laiſſons-les-là, &
voyons
comme on fait vne batterie des pieces enterrées.
DIALOGVE XVI.
Comment on fait vne batterie des pieces enterrées.
Gen. N’y a-il pas d’autres ſortes de batteries que celles dont vous m’auez monſtré
les
traces.
Cap. Ouy, non ſeulement qui ſont en vſage, mais auſſi que la neceſſité in-
duſtrieuſe
maiſtreſſe a fait inuenter de nouueau:
voire meſme iuſques à enterrer quelques
pieces
pour vne batterie.
Gen. Et comment ie vous en prie?
Cap. Ie ſuis bien eſbahy mon Seigneur, commentayant ſi longuement hanté & pra-
tiqué
la guerre, tant en Italie qu’en Hongrie, vous n’en auez point veu ou pour le moins
ouy
parler.
Gen. En Hongrie, oùi’ay eſté le plus du temps, ie n’ay veu autres batteries que cel-
les
qui ſe font des gabions, dont n’eſt merueille ſi ie ne ſçay rien de celles-cy.
Cap. Or doncques ie vous en feray quelque deſcription. Premierement on remar-
que
autant de place qu’il eſt requis pour les pieces qu’on veut loger, en ſorte que l’vne ſoit
diſtante
de l’autre de 20.
pieds. Puis par l’aide des pionniers, & autres ouuriers, on fait vne
foſſe
de la proſondeur d’vnze pieds ( deffence ſuffiſante pour les pieces &
ceux qui ſont à
leur
maniement ) &
de largeur ſuffiſante pour le recul des pieces, & qu’ily ait encor de la
place
pour paſſer par le derriere d’icelles:
& finalemẽt apres auoir fait les planchers ou pla-
teformes
, on ouure les ambraſeures par la terre naturelle, autãt larges, profondes &
hautes
qu’on
les veut auoir.
Qui eſt vn ouurage ſi aſſeuré, que de la muraille de la ville on ne le
peut
offencer aucunement, &
bien facile principalement en terre graſſe & ferme. Et en
France
on s’en ſert or dinairement, mais en ces quartiers n’en ay veu aucune ſinon quand
I’Admiral
d’Aragon aſsiegeant R hinbercK, le General de l’Artillerie, qui pour lors eſtoit
Don
Louys de Velaſco, en fit faire vne au coſté d’Orſoy, auec grand profit &
auantage.
Gen. Ie ne doute point que telle batterie ne ſoit bien auantageuſe: mais n’y a-il
point
du danger queles tenailles ou ambraſeures ne ſe bouchent, le vent des pieces faiſant
gliſſer
la terre?
Cap. Le remede y eſt auſsi bien prompt pour cet inconuenient, à ſçauoir qu’on y a
vne
grande paelle courbée en maniere de hoyeau, en vne perche de ſuffiſante longueur, de
laquelle
on tire la terre tombée de l’ambraſeure, de ſorte qu’elle ne donne aucun empeſ-
chement
.
Gen. Et vous ſemble-il que ces pieces ſoient ſi bien gardées qu’on ne les puiſſe de-
monter
?
136
[Empty page]
137 35[Figure 35]
138
[Empty page]
139
[Empty page]
140 36[Figure 36]
141
[Empty page]
14269De l’Artillerie.
Cap. Il eſt bien vray qu’il n’y a nulle batterie qui ſoit exempte de ce danger: mais
celle-cy
eſt plus aſſeurée que toutes, laquelle ne ſe peut pas bien comprendre qu’en effe-
ctuant
la maniere de la faire, qui ſe peut remarquer en la figure 11.
α.
DIALOGVE XVII.
Comment on doit faire vne contrebatterie en vn baſtion, de laquelle ſans aucune
crainte
d’eſtre deſcouuert on peut demonter toutes les
pieces
de l’ennemy.
GEn. Il me ſouuient d’auoir ouy dire ces iours paſſez, qu’en vn baſtion on pouuoit
loger
quelques pieces, en ſorte que par dehorsil n’y auoit aucun moyen pour les
demonter
:
dont ie vous prie ſi vous en auez quelque connoiſſance de m’en faire
part
.
Cap. Il eſt bien vray qu’on pourroit faire telle batterie, mais ce ſeroit auec grand
labeur
&
fraiz: & qui plus eſt, bien raremẽt trouuera-on en vne ville place ſuffiſante, ſi on
n’abbat
, ( ce qu’on ne doit craindre ou douter de faire en telle neceſſité ) les maiſons ou edi-
fices
plus prochains qui y donneroient de l’empeſchement.
Or de tout le baſtiment, la for-
me
&
la place requiſe ſe peut voir en la figure 10. β. Toute la place doit eſtre de telle capa-
cité
, que dés le parapet du baſtion, iuſques au pied de l’eſpaulle il y ait 40.
pieds, & pour
l’eſpoiſſeur
d’icelle 21.
piedsauec place ſuffiſante pour le recul de 27. pieds. faiſans en ſem-
ble
88.
pieds, laiſſant encores par derriere pour le moins trente pieds de largeur dés le dit
recul
iuſques à l’autre parapet oppoſé dudit baſtion, afin que ſans aucun empeſchement,
les
troupes marchantes à la deffenſe, y puiſſent paſſer, la largeur d’vne eſpaulle pour y loger
trois
pieces ſera pour le moins de 65.
pieds, les ambrazeures larges 3. pieds par de dans, &
diſtantes
20.
pieds l’vne de l’autre: ayant auſſi par dedans des plattes-formes 3. pieds de bar-
be
, par dehors elle aura 9.
pieds de largeur, & partout, 8. de hauteur. Ces trois ambrazeures
auront
vne ambrazeure au parapet du baſtion, ayant au milieu 4.
par dedans 6. par dehors
8
.
pieds de largeur, & ſi profonde qu’elle s’eſgalle au terrein. Et de cesambrazeures il y en
aura
autant, que par dedans il y a des eſpaulles de trois pieces, diſtantes touſiours 40.
pieds
l’vne
de l’autre.
Or deux ou trois de ces eſpaulles, deſchargeant chacune ſes trois pieces en croiſades
contre
la batterie des ennemis, les aſſailliront en telle ſorte, qu’en peu de temps ils ſeront
contraints
de la quiter.
Et combien qu’il en cherchaſt la reuenche, il pourroit bien aux pre-
mieres
volées emporter les couuertures des ambrazeures exterieures, mais quand aux inte-
rieures
ou aux pieces, il n’y ſçauroit toucher, s’il n’y fait quelque cauallier ou platte-forme,
eſleuant
ſon Artillerie, en ſorte qu’il les puiſſe deſcouurir:
choſe qui luy couſteroit cher, &
à
laquelle on pourroit obuier facilement, en eſleuant auſſi quelque peu les eſpaulles &
am-
brazcures
exterieures.
Mais il faut noter que telle batterie ne ſe peut, comme i’ay dit, faire
en
lieu eſtroit, ſans renuerſer quelques maiſons plus proches, pour luy donner ſa place re-
quiſe
, &
enremplir le lieu de terre, afin qu’il ſoit fait eſgal & adioint au baſtion, qui autre-
ment
ſeroit trop petit.
Et l’ayant faite, on ne s’en peut pas ſeulement ſeruiren vn endroit,
mais
tourner les eſpaulles &
les faire faire feu de tous coſtez l’ennemy ſe voudroit loger.
Gen. Certes Monſieur le Cap. I’ay pris ſingulier plaiſir en la deſcription & trace
induſtrieuſe
de cette belle &
bien profitable contrebatterie. Mais par l’occaſion des trois
pieces
ioüantes par vne tenaille, il me ſouuient d’vne choſe que i’auois oublié, à
14370Second Traicté pourquoy c’eſt que l’aſſiegeant voulant demonter vne piece aux aſſiegez, il y en oppoſe
touſiours
trois ou quatre?
Cap. C’eſt pour en venir tant pluſtoſt à bout, tant pour oſter toutes occaſions de ſe
reparer
, que pour l’eſpouuanter par ſon furieux aſſaut.
Cependant auſſi les aſſiegez ne dor-
ment
, ains ſont tres- vigilants tant à leur deffenſe, qu’a l’offenſe de leur ennemy, y trauail-
lant
ſouuentesfois ſi heureuſement, qu’ils le contraignent de quitter auec honte ſon entre-
priſe
.
Neantmoins le party des aſſiegeants eſt le meilleur: eſtant touſiours mieux ſe trou-
uer
en pauure campagne, qu’en vne ville riche &
peuplée, preſſée de l’ennemy. Mais pour
concluſion
, ayant par cy deuant maintenu que les pieces en campagne eſtoient meilleures
que
celles qui ſont en muraille, ayant en teſte telle contrebatterie, i’ay peur qu’elles n’en
ayent
du pire.
DIALOGVE XVIII.
Comment on doit battre la pointe d’vn bastion, & les deffences qui ſe
peuuent
faire en iceluy.
GEn. Nonobſtant que les iours paſſezie vous aye moleſté de beaucoup de deman-
des
, ſi ne m’en puis-ie encor deporter, me ſouuenant à preſent d’vne aſſez perti-
nente
qui conuient à noſtre propos:
à ſçauoir, pourquoy parlant de toutes ſortes
de
batteries, vous n’auez fait mention d’aucune qui ſe fait contre le baſtion?
Cap. Pource qu’en ayant monſtré deux qui ſe font és courtines, ie penſois auoir ſa-
tisfait
, &
que veu la force & difficulté d’attaquer les baſtions, oùie ne conſeillerois d’en
employer
les munitions &
temps, i’eſtimois n’eſtre beſoing d’en faire longue deſcription.
Gen. Ie m’en ſouuiens de l’auoir ouy: toutesſois d’autant que l’occaſion ſe pourroit
preſenter
, que ( comme vous y diſiez auſſi des forts eſquels les courtines ſont courtes &
ſer-
rées
) il fau droit battre le cauallier ou la pointe du baſtion, ie vous prie de m’en monſtrer
quelque
trace, tant pour l’offenſiue que pour la deffenſiue.
Cap. I’en ſuis content, & preſt de vous ſeruir mon Seigneur, en ce qu’il vous plaiſt
me
commander.
Or pour battre vn baſtion ie n’employeray plus d’Artillerie, que les pieces
nommées
, en la batterie de la courtine, à ſçauoir 8.
canons, 6. demys & 4. quarts pour les
deffenſes
:
ce qui ſuffit, comme vous voyez en la figure, pour renuerſer & abbatre tout le
baſtion
.
Les 8. canons battant en angle droit contre le coſté, les ſix demys, departis en deux
camerades
, de leurs trauerſes, raſent non ſeulement ce qui a eſté eſmeu par le ſdites canon-
nades
, mais s’il eſt beſoing, donnent és caſemattes:
& les quatre quarts attendent auſſi leur
occaſion
, comme ſut dit ſuffiſamment.
Gen. Monſieur ie ſerois d’aduis de preferer telle batterie à toutes les autres ſortes,
bien
eſbahy de l’opinion de ceux qui ne veulent battre qu’en courtines.
Cap. De cecy vous en auez ouy les raiſons euidentes, tant en paroles qu’en figures
&
traces, leſquelles ſe voyent encor plus clairement, en celle que ie vous preſente en la ſi-
gure
12.
α. des diue@ſes fortifications que les affiegez s’y peuuent faire, s’y retranchans quel-
quesfois
:
de ſorte qu’il y a bien de la peine de les y forcer. De quoy il n’y a point de danger
és
courtines, qui eſtant pour vne fois abbatuës, on peut plus aiſement auec la foulle des
gens
, forcer la breſche, ſans ſoupçon d’autre danger que des baſtions &
leurs caſemattes
eſloignées
, auſquelles on peutrencontrer, en leur oppoſant autres pieces plantées au bord
dufoſſé
, ou ailleurs, ſelon que la neceſſité requiert, &
l’occaſion le permet.
Gen. Mais telles fortifications ne ſe peuuent-elles faire auſsi bien és courtines?
144
[Empty page]
145 37[Figure 37]
146
[Empty page]
14771De l’Artillerie.
Cap. Es courtines on n’y trouuera telle commodité, de ſorte que bien difficilement
on
y pourroit faire quelque retranchement:
dont auſſi il n’y a Gouuerneur ne Capitaine
qui
n’aime mieux eſtre aſſailli par le baſtion, auquel il ſe peut retrancher:
premierement
d’vne
grande demie lune, &
puis au col faire nouuelle reſiſtance, & ce auec moins de
gens
:
outre c’eſt aduantage bien dangereux pour les aſſaillants de miner ledit baſtion
quand
l’ennemy s’y ſeroit ſourré par force, eſperant ville gaignée, donner le feu au four
d’icelle
:
en quoy toutesfois il n’y a pas moins de danger pour les aſſiegez, à ſçauoir d’vne
contremine
de l’ennemy qui les feroit faire le ſaut quand ils ſeroient au meilleur de leur
deffence
.
Gen. Et cecy ne ſe pourroit-il faire auſſi bien en la courtine?
Cap. Combien qu’on le voulut entreprendre, ſi ne ſeroit l’effet ſi grand qu’au ba-
ſtion
.
Car la breſche eſtant faite en la courtine, comme l’ennemy la peut attaquer bien au
large
, ainſi y faut-il auſſi beaucoup plus de deffenſeurs.
Mais au baſtion, le lieu eſtant
eſtroit
, ils s’y peuuentretrancher &
deffendre auec peu de force, ceux qui le vueillent
forcer
, ſont contraints de s’y preſenter en grand nombre, auec danger d’y eſtre tous en vn
moment
en leuez par les mines.
Gen. Ces raiſons ne ſont pas à meſpriſer: toutesfois, quant à moy, i’aimerois mieux
attaquer
le baſtion, que la courtine.
Car ſi les aſsiegez s’y peuuent deffendre auec moins
de
gens, auſſi les aſſaillans en ont cet aduantage, qu’ils ont plus de place &
moins de reſi-
ſtance
:
Ioint qu’au baſtion on peut faire la breſche auſſi grande qu’en la courtine, voire le
raſer
du tout.
DIALOGVE XIX.
Si vn boulet donnant en la poudre, l’allumera.
GEn. Il y a encor vne cho ſe de laquelle ie deſire d’eſtre pleinement informé à
ſçauoir
ſi vn boulet tiré de quatre ou cinq cens pas, donnant en vn baril ou ton-
neau
de poudre, le pourra allumer?
Cap. Entre toutes les queſtions que voſtre Seigneurie m’a faites, il n’y en a aucune
qui
ſoit de plus facile reſolution que celle-cy, comme de celle de qui i’ay veu pluſieurs ex-
periences
.
De ſorte que pour toute reſponce ie dis que non, ſi ce n’eſtoit vn de ces boulets
de
feu qu’on tire és villes pour les bruſler.
Gen. C’eſt dont ie ſuis bien eſmerueillé, le bruit ayant couru par toute l’Italie qu’au
ſiege
d’Oſtende, vn nauire chargé de poudre voulant entrer par le canal du coſté de S.
Al-
bert
, luy fut tiré vn boulet de canon, duquel la poudre print le feu, &
auec grand ton-
nerre
creua le vaiſſeau, &
donna tel coup en l’eau, que non ſeulement on en euſt veu l’a-
biſme
, mais auſſi qu’on l’a ouy en la grande ville de Gand.
De meſme ay-ie auſſi entendu
de
perſonnages dignes de foy, que l’Admiral d’Aragon aſſiegeant RhainbercK, du quar-
tier
de l’Iſle, auquel le Comte de Buquoy eſtoit logé auec ſon Regiment d’infanterie Vval-
lonne
, fut tiré vn boulet en vn dongeon de poudre qui s’allumant renuerſa la tour, auec
bien
la moitié de la ville, pluſieurs perſonnages entre leſquels eſtoit le Gouuerneur
auec
plus de 300.
ſoldats furent ou tuez ou bleſſez.
Cap. Tout cecy eſt aduenu ainſi que vous l’auez ouy: mais de ne s’enſuit pas que
le
boulet de ſoy-meſme ait allumé la dite poudre.
Car ſur ce poinct ie vous raconteray bien
vne
autre hiſtoire, qu’en preſence du General &
pluſieurs autres perſonnes, i’ay veuë au
meſme
ſiege.
Il vint au camp vn chariot chargé de ſept tonnes de poudre, qui eſtant par-
uenu
à la tente des munitions, en laquelle on le deuoit deſcharger, fut atteint d’vn
14872Second Traicté des ennemis qui trauerſatoutes leſdites tonnes ſans que le ſeu ſe prit à aucune d’icelles.
Gen. Mais combien de diſtance y auoit-il du lieu dont le boulet eſt oit tiré?
Cap. Enuiron mille pas, quelque peu plus ou moins.
Gen. Ce n’eſtoit donc merueille, le boulet ayant en ce long voyage perdu toute ſa
chaleur
&
ſorce.
Cap. Il y a encor pluſieurs de ſemblables exemples, deſquels ie vous raconteray
encor
ceſtuy-cy, à ſçauoir de la chauſſée de Bucquoy, de laquelle on tiroit à force ſur
quelques
bateaux qui venoient pour rafraiſchir les aſſiegez:
& de la ville on faiſoit auſſi
de
meſme contre nous, entre autres il y vint vn boulet des ennemis, qui trauerſant l’am-
brazeure
ſans toutesfois la toucher, donna dans vne tonne de poudre, ſans l’allumer, com-
bien
qu’il ne venoit qu’enuiron de 400.
pas, pluſtoſt moins que plus. Dont V. S. entendra,
que
le boulet n’allume pas la poudre, ſi ce n’eſt qu’il ſerencontre en quelque pierre ou fer,
qui
conçoiue le ſeu, comme il eſt aduenu en ces deux endroits deſquels vous auez fait
mention
.
Gen. Ie voy donques que ie m’y ſuis grandement trompé, eſtimant choſe certaine,
que
tel boulet ne faudroit de mettre le feu en la poudre qu’il atteindroit.
Mais ie vous prie
dites
moy dauantage, s’il n’aduient pas aucunesfois, quele feu eſtant donné à vne piece, ſe
prend
auſſi à la prochaine?
Cap. Ie l’ay bien veu quelquesfois, mais la cauſe en eſtoit, qu’on auoit donné le feu
au
lieu qu’on dit a vent, c’eſt à dire du coſté dont le vent ſouffle.
De quoy tout canonnier
ſe
doit garder bien ſoigneuſement, en donnant le feu ſous vent, c’eſt à dire, du lieu
contraire
au vent:
car autrement il y en peut aduenir de grands deſaſtres, comme i’en
ay
veu des exemples.
Entre-autres, eſtant force de donner le feu à vne piece ſur vent,
ll
y eut vn ſoldat curieux, qui ſe mit en l’ambrazeure prochaine pour remarquer le coup,
lequel
, le feu prenant à la piece, (non pas toutesfois chargée à boulet) le fit voler plus de
cent
pas:
& ſuis bien aſſeuré, que s’il ne fuſt tombé en l’eau, le feu l’euſt entierement con-
ſommé
.
Gen. Ic croy bien qu’en ce ſiege tant memorable, long & bien cher des deux co-
ſtez
, il y a eu des euenements bien admirables.
Mais laiſſons-en le propos, ſeulement di-
tes-moy
, auez-vous bien veu que despieces contraires eſtant déchargées en vn inſtant les
boulets
ſe ſoient rencontrez en leur voyage dedans l’air?
Cap. Pourle vray il faut que ie conſeſſe que ie ne l’ay veu iamais: cependant il y en
a
qui diſent qu’il eſt aduenu au quartier S.
A lbert, qu’a veuë d’œil deux boulets, ſe rencon-
trans
auec grand bruit ſe ſont creuez en mille pieces.
De ma part ie croy cela eſtre verita-
ble
, ayant bien veu choſes ſemblables, dont on en pourroit prendre quelque aſſeurance.
Et
defait
, au meſme ſiege au quartier de Bredane, il y auoit vn marinier ( cartelles gens ſont
ſingulierement
affectionnez à l’Artillerie, &
s’y entretiennent ſouuentesfois par paſſe-
temps
) lequel ayant le baſton en la main pour nettoyer vne piece qu’il auoit deuant ſoy,
fut
atteinct d’vn boulet quile print par l’eſpaule, lequel porta le bras &
le baſton auec
ſoy
en ladite piece, laiſſant le reſte du corps mort deuant icelle.
Duquel accident ie
fais
compte que comme le boulet emporta leſdites parties ſi nettes à la piece, qu’ainſi
(combien qu’en ce bruit &
fumée on ne les pourroit bonnement voir) ils ſe peuuent
rencontrer
&
briſer en l’air.
Gen. Cet accident du marinier eſt bien eſpouuentable: mais comment retira-ton
en
apres tant le boulet que ce qu’il auoit pouſſé dans la piece?
Car ie ſuis aſſeuré que par
cette
violence le touty eſtoit fort entaſſé.
Gen. Les canonniers accorts ont beaucoup de diuerſes ſciences & manieres de vuider
les
pieces en ſemblables occaſions:
mais pour cette fois on mit quelque peu de poudre fine
autant
quel’on peut y en faire entrer, à laquelle on donnale feu, &
ce par pluſieurs fois,
14973De l’Artillerie. quel peu à peu ſit tant de place qu’on y peut mettre de la poudre ſuffiſante pour repouſſer
tout
ce qui eſtoit dedans.
Gen. C’eſtoit vne inuention bien prudente & propre: combien que i’ay veu au-
trefois
qu’on mettoit de l’eau en vne piece, pour en faire repouſſer le boulet quiy eſtoit
entré
.
Cap. C’eſt la maniere commune: mais ce boulet quiauoit rauy auec ſoy de la chair
&
du bois, ne pouuoit eſtre repouſſé ſi facilement.
Gen. Il eſt vray ſemblable, qu’il n’y auoit moyen plus propre pour en venir pluſtoſt
à
bout que cetuy-cy, n’y ayant choſe qui repouſſe auec plus de force que le feu.
Et me ſem-
ble
que ſi ledit marinier euſt eu au lieu du nettoy eur la cueiller à charger auec de la poudre
en
main, il n’euſt eſté beſoing d’autre moyen, ou que la poudre eſtant pouſſée en la piece,
&
y prenant du feu l’euſt repouſſé auſſi toſt.
Cap. Cela euſt peu aduenir ſelon la touche quele boulet euſt faite, Toutefois auſſi
en
cecy i’en ay veu le contraire:
à ſçauoir qu’vn autre marinier ayant la cueiller à charger
pleine
de poudre en la main, fuſt atteind de meſme ſorte, que le bras, la cueiller, &
la pou-
dre
furent portées en la piece, ſans que ladite poudre s’allumaſt, combien que le boulet
touchaſt
bien rudement ſur les metaux.
Gen. Cecy eſt bien vne choſe la plus admirable que i’aye ouy de ma vie, qu’vn bou-
let
tiré auec violence en vne piece, &
y rencontrant de la poudre, ne l’allumaſt. Et me
ſemble
n’eſtre poſſible, qu’il n’y ait eu quelque choſe entre deux.
Cap. Ie ne ſçay autre choſe ſi ce ne fut le bras & le manche de la cueiller, & eſt bien
croyable
que ſans cela la poudre euſt pris le ſeu.
Gen. Comment, le bras pourroit-il empeſcher ſi grande violence ſans ſe froiſſer du
tout
, &
eſtreredigé en bien menuë farine ou papin?
Cap. C’eſt cela, à mon aduis, qui principalement a empeſché que le feu ne s’y peuſt
prendre
, la chair, la moëlle des os, &
le ſang rendans telle humeur quifut ſuffiſante pour
l’empeſcher
.
G. C’eſt certes la vraye raiſon: mais laiſſons-là ces miracles, & parlons des choſes
qui
nous touchent de plus prés:
& dites-moy, dequoy ſe pourroit-on ſeruir pour raſraiſ-
chir
les pieces?
Cap. En ces pays on s’eſt touſiours ſeruy d’eau fraiſche, meſlée auec quelque peu
de
vinaigre, qui eſt le meilleur rafraiſchiſſement qu’on leur ſçauroit donner.
Et en temps-
de
neceſſité;
on ſe peut auſſi contenter d’eau ſeule, y moüillant des peaux de
mouton
bien lainuës, &
ainſi remplies d’eau en les mettant ou pendant ſur les pie-
ces
, iuſques à ce que ny par dedans ny par dehors on ne s’apperçoiue plus d’aucu-
ne
chaleur, les eſſuyant apres pour les mettre en œuure.
Mais quant aux pieces
ſuſpectes
de quelque defaut, il n’en faut paſſer ſi legerement &
haſtiuement: ains
ayant
fait prouiſion d’vne bonne cuuée d’eau fraiſche, apres chacun coup moüillant bien
le
couuillon, les faut lauer &
relauer auec grand ſoing deuant que de les recharger, de
peur
que gardant quelque ſeu caché en ſes cauernes, le canonnier, comme nous en auons
cy
deuant raconté des exemples, n’en ſoit le premier atteind.
Ily a auſsi d’autres rafraiſ-
chiſſemens
, entre leſquels la leſsiue eſt le meilleur, mais qui ſe trouue en peu de bat-
teries
, eſquelles à peine on trouue du vinaigre, pour le meſler auec l’eau:
de ſorte
que
la pluſpart ſont contraints de ſe contenter d’eau, &
de peaux pour couuer-
tures
.
Gen. Il peut aduenir facilement que la leſsiue & le vinaigre defaillent, vaut mieux
donc
trauailler en bon meſnager, &
ſe ſeruir de ce qu’on-a à meilleur marché, & quieſt
plus
facile à trouuer.
Cependant il eſt bien digne de remarque, de ſçauoir ſi on feroit
15074Second Traicté de coups d’vne piece rafraiſchie de vinaigre, que d’vne en laquelle on ne ſe ſut ſerui que
d’eau
en ſon rafraiſchiſſement.
Cap. La difference en ſera bien petite: mais pour eſtre la piece plus durable, ne la
faut
trop eſchauffer, &
eſt de grande importance qu’elle ſoit ſouuent rafraiſchie, princi-
palement
en temps chaud, auquel ſans cela on fera à peine 80.
coups d’vne piece, de la-
quelle
en temps froid, on en pourroit faire cent en vn iour, ſans aucun dommage.
Gen. C’eſt vne choſe naturelle & cogneuë par l’experience. Or faut-il que ie vous
demande
encor vne choſe:
à ſçauoir ſi en vne eſcarmouche l’ennemy forçoit la batterie, &
y
euſb autant de loiſir qu’il peût enclouer les pieces preſentes, que ſeroit-il de faire,
apres
l’en auoir repouſſé, pour pouuoir mettre le meſme iour leſdites pieces en
œuure
?
Cap. Ie ne vous ſçaurois monſtrer aucun moyen d’en retirer les cloux: & ſion ſe
vouloit
ſeruir d’icelles, il leur faudroit faire des nouuelles lumieres.
Gen. Comment pourroit-on faire cela en vn camp deſtitué des inſtrumens requis à
cet
effet?
Cap. Les inſtrumens ne ſont ſi difficiles à trouuer: voire on en deuroit eſtre pour-
ueu
pour tel euenement, entre les autres prouiſions qu’on fait pourles ſuruenantes neceſ-
ſitez
de l’armée.
Car ayant vn tarault auec ſon arc & ſa corde, auec le temps on pour-
roit
, en le tirant &
tournant diligemment, faire des nouuelles lumieres aupres des
vieilles
.
Gen. Et pour combien de temps faudroit-il qu’elles ceſſaſſent pour cette occa-
ſion
.
Cap. En menant bien diligemment ledit tarault, il y faudroit pour le moins ſix heu-
res
:
combien que Louys Collade, en ſa pratique manuelle de l? Artillerie, penſoit qu’on le
feroit
en quatre.
Mais i’ay veu perçer vne piece en laquelle on trauailla huict heures en-
tieres
.
Gen. Iele croy, non ſeulement à cauſe del’eſpoiſſeur, mais auſſi de la bonne & fer-
me
mixtion du metal.
Toutesſois ie ſuis perſuadé d’vn bon canonnier, que combien que la
piece
ſuſt éleuée, on s’en pourroit neantmoins ſeruir ſans aucun delay, tant que la piece
pourroit
endurer.
Cap. Ie le concede bien, mais ce ne ſeroit ſans grand & euident danger, auquel à la
moindre
faute on ſeroit expoſé.
Car premierement, eſtant requis de charger le boulet
ſans
eſtouppes incontinent ſur la poudre, combien facilement pourroit-il aduenir que le-
dit
boulet froiſſant quelque grain de ſable, ou rencontré au tuyeau, ou auſsi attaché à elle
meſme
, donnant le feu à la poudre feroit voller le canonnier?
Puis il faut charger la piece
en
la maniere ſuiuante.
Premierement on y mettra la poudre, laquelle eſtant quelque peu
ſerrée
par deux ou trois coups du refouloir, il faudra faire vne petite meſche trempée en
l’eau
de vie, &
bien enuironnée de poudrefine, laquelle y ſera miſe en telle ſorte, qu’elle
touchera
à la poudre, &
que le boulet paſſant par deſſus en laiſſe quelque petite queuë de-
uant
ſoy:
dont apres il faut faire vne trainée de poudre iuſques à la bouche de la piece, au
bord
de laquelle il faut mettre vne autre meſche preparée comme la ſuſdite, qui pen-
de
quelque peu par embas, pout luy donner le feu, courant de iuſques à la charge de la
chambre
.
Choſe qui va fort a la longue, & en laquelle peuuent ſuruenir pluſieurs trauer-
ſes
, ſans encor cet inconuenient, que la piece chargée, &
tout eſtant ſuccedé à ſouhait,
pour
luy donner le feu, comme il faut, par deuant le canonnier eſt contraint de s’appro-
cher
du coſté de l’ambraſeure, en danger d’eſtre deſcouuert de l’ennemy ou d’eſtre ſroiſſé
de
la piece meſme en ſe reculant.
Gen. Ie voy bien que la facilité qu’on m’en a monſtré és paroles, pourroit
151
[Empty page]
15238[Figure 38]
153
[Empty page]
15475De l’Artillerie. en grande difficulté, de ſorte que le canonnier qui s’en voudroit ſeruir auroit affaire de
grande
prudence &
circonſpection pour euiter tous ces dangers. Mais faiſons fin à ce diſ-
cours
, &
traitons de quelques autres poincts.
DIALOGVE XX.
Comment il faut eſleuer le canon & la couleurine, pour voir
qui
tirera plus loing.
G En. Monſieur le Capitaine, l’ay ſouuent ouy dire, qu’eſprouuant vn canon con-
tre
vne couleurine, on trouueroit que le canon en auroit le pris:
& quant à moy
i’en
ſerois de meſme opinion, ſi voſtre diſcours par cy deuant ne m’en euſt de-
tourné
.
Cap. Monſeigneur, ſans les raiſons alleguées, il y en a encor pluſieurs autres, par
leſquelles
il faut conceder que la portée de la couleurine ſera beaucoup plus loingtaine
que
celle du canon.
Gen. Ie le croy, & en ſuis bien aſſeuré, Toutesfois i’en ay ouy qui diſoient en auoir
fait
l’eſpreuue, &
trouuer le contraire, & que le canon portoit beaucoup plus loing.
Cap. Pourroit bien eſtre qu’ils ſe ſont perſuadez d’en auoir fait l’eſpreuue, mais non
pas
qu’il ſoit veritable qu’ils l’ayent bien ſçeu faire.
Gen. Comment s’y doit-on doncques gouuerner, pour s’aſſeurer que l’eſpreuue en
ſoit
bien faite?
Cap. C’eſt vne choſe certaine que la couleurine a le fuſt plus haut, droit & long que
le
canon, &
queles trauerſes, ſur le ſquelles la cullatte de la piece repoſe, eſtans plus hau-
tes
, ladite piece qui de ſoy eſt auſſi plus longue, ne ſe peut abbaiſſer, pour éleuer ſa bouche
autant
que le canon, qui ayant le fuſt plus court &
les trauerſes baſſes, & la piece tant qu’el-
le
eſt plus courte, s’éleue autant plus facilement meſme par deſſus le 45.
degré du qua-
drant
.
Dont s’enſuit que le canon eſtant plus éleué, fait auſſi ſon coup plus loing que la
couleurine
:
& ce non pas par ſa propre faute, mais par la faute de l’éleuation requiſe. De
ſorte
que ſion taſche de l’éleuer à meſme poinct &
degré, on verra que la couleurine le
deuancera
de beaucoup.
Gen. Comment, l’Ingenieur auroit failli en la trace, ou le Charpentier en la fabri-
que
du fuſt?
Cap. Peut-eſtre qu’ayant chacun de ceux-cy fait toute diligence, ils n’en ſont parue-
nus
à l’entiere perfection.
Car en l’Artillerie, auſſi bien qu’en la fabrique & l’effect d’au-
tres
machines, il y a beaucoup de ſecrets, qui ne ſont ſi facilement remarquez d’vn
chacun
.
Gen. Comment faudroit-il donc faire pour deſcouurir ce myſtere icy? & faire l’eſ-
preuue
du tout aſſeurée, &
qu’vne piece n’euſt quelque aduantage ſur l’autre?
Cap. Pour faire l’eſpreuue iuſte & aſſeurée, il ſaudroit premierement que les fuſts
fuſſent
faits fort proprement &
iuſtement, ſerrez des trauerſes aſſez baſſes, pour donner la
deuë
éleuation aux dites pieces, comme on voit fig.
13. a.
Apres illes faudroit loger ſur des plates-formes du tout égalles. Pour le troiſiéme, ſi la
couleurine
ne pouuoit atteindre le meſme poinct de l’éleuation du canon, il faudroit ron-
gner
autant de la trauerſe de ſon fuſt, qui luy fit baiſſer la cullée, iuſques à leuer la bouche
audit
poinct.
Gen. Et qu’eſt-il de beſoing derongner la trauerſe & debiliter le fuſt, y pouuant
15576Second Traicté dier plus facilement, à ſçauoiren faiſant vne foſſette en terre, pour y baiſſer la contiere du
fuſt
, iuſques à ce que la bouche de la piece ſoit aſſez éleuée?
Cap. Il ſe pourroit bien faire quand il n’y auroit point d’eſtrif, car l’aduerſe partie n’y
conſentiroit
iamais, de peur de luy donner quelque aduantage.
Gen. Quel aduantage y peut-il auoir en cecy, d’eſtre ſur la plate-il auoir en cecy, d’eſtre ſur la plate-forme ou auoir le
col
en terre?
Cap. Ie ſuis d’aduis que la piece quia ſon eſtriuiere de ſorte qu’elle eſt contrainte de
ſe
tenir ferme, ſera le coup beaucoup plus fort &
plus violent, que celle qui a ſon recul li-
bre
ſur la plate-forme.
Dont pour ne donner aucun aduantage à la couleurine, il vaut
mieux
chercher l’abaiſſement de la cullée en la trauerſe, qu’en vne telle foſſette, pour en
faireleuer
la bouche au poinct requis:
comme on voit en cette figure.
Gen. I’ay ouy diuerſes diſputes de bons canonniers ſur ce poinct, eſtimans que la
couleurine
ne pouuoit porter autant loing que le canon, d’autant que la piece eſtant lon-
gue
, &
le boulet ayant à faire long voyage, dés la chambre iuſques à la bouche, que la pou-
dre
cependant perdoit ſa vigueur.
Et au contraire, le canon eſtant court, & le voyage du
boulet
n’eſtant trop long, la poudre le pouſſe à toute force.
Cap. Ie croy bien qu’il y pourroit auoir quelque raiſon de ce que vous dites de la lon-
gueur
de la couleurine, &
de la briefueté du canon, quand ils ſeroient chargez de meſme
proportion
, ſelon le poids de leurs boulets.
Mais à la couleurine, à cauſe de la longueur,
eſt
donnée plus grande charge.
Car le canon n’a que la moitié du poids du boulet, & la
couleurine
les {4/5} &
eſtant renforcée on luy en donne tout autant que ſon boulet peſe.
Gen. Ie vous demanderay encor vne choſe, & apres nous conclurrons ce poinct, à
ſçauoir
quand il faudroit tirer en l’eau contre des nauires, quelles pieces y ſeroient plus
propres
, les canons ou les couleurines?
Cap. De cecy ie vous en pourray bien aſſeurer, comme celuy qui en a fait mainte
eſpreuue
:
à ſçauoir, qu’il n’y a meilleure piece quele canon pour cet effect.
Gen. Pourquoy?
Cap. Le canon eſtant plus court & plus bas, ſe peut mieux adiuſter ou pointer, & les
boulets
plus gros &
peſants, ont leur vol plus aſſeuré, ſans que ny le vent ny l’humidité de
l’eau
les puiſſe empeſcher &
retenir.
Gen. Comment, la couleurine ayant plus de poudre que le canon, ne ſeroit-elle auſſi
(comme toutefois n’agueres vous m’aſſeuraſtes) meilleure, c’eſt à dire plus violente &

plus
roide portée.
Cap. Le vent & l’humidité ont plus d’effet au boulet leger de la couleurine: dont
pour
en tirer contre vn nauire il la faudroit eſleuer de la hauteur de deux picques par deſ-
ſus
ledit nauire, , quant au canon, à peineauroit-on affaire d’vne picque d’éleuation.
Dequoy i’ay fait mainte eſpreuue au ſiege d’Oſtende, tant du canon que de la couleurine.
Gen. Ie ſuis tres-content & ſatisfait de ces raiſons. Mais dites-moy ie vous en prie,
quelles
pieces ſeront de meilleure portée, celles qui de l’eau tireront contre la terre, ou cel-
les
qui dela terre tireront contre l’eau.
Cap. La reſolution en ſeroit bien difficile à celuy qui n’en auroit fait l’eſpreuue. Tou-
tefois
ie diray ce que i’en ay veu, à ſçauoir que tirant contre les bateaux des ennemis, leſ-
quels
à grand peine nous pouuions atteindre de nos boulets:
i’ay veu auec admiration que
ceux
des ennemis volloient plus de cinq cens pas plus auant que le lieu auquel nous nous
tenions
, voire aucuns iuſques en la ville de DunKerKe.
Gen. Pour moy i’euſſe eſté d’autre opinion, eſtimant que la piece plantée enterre
ferme
feroit le coup plus violent que celle qui au bateau flottant à ſon recul fait meſme
branſler
ledit bateau, &
perd par ce branſle beaucoup de ſaforce. Mais ce ſont des ſecrets
de
nature pluſtoſt admirables que comprehenſibles.
15677De l’Artillerie.
Cap. Il eſt vray, il y a beaucoup de myſteres bien cachez & difficiles: mais de ceſtuy
cy
on n’en ſçauroit encor alleguer quelques cauſes naturelles.
Car le boulet tiré du bateau
contreterre
, cherche ſon repos naturel:
mais celuy qui de terre eſt tiré contre le nauire eſt
contraint
de combatre auec deux elements, à ſçauoir auec l’air qui le retient à toute force,
&
l’humidité qui l’appeſantit pour le faire baiſſer: Et de cecy il y a certaine experience
qu’en
baſſe marée vne piece tirera plus loing en l’eau qu’en haute.
Gen. Si doncques vne piece eſtoit logée en ſorte qu’on en pourroit tirer & contre
terre
&
contre la mer, de combien ſeroit ſa portée plus longue contre la terre que contre
l’eau
?
Cap. D’vn canon, la portée ſera bien de mille pas plus longue contre terre que con-
tre
l’eau.
Et combien que de cecy on n’ait eſpreuue ſi certaine, ſi eſt@ ce qu’on en a autant ap-
pris
au ſiege d’Oſtende, qu’on en peut bien faire le compte.
Et au canal de Nieuport, quand
il
falloit tirer contre les nauires ennemis tant de charge que de guerre, pour les faire recu-
ler
, &
laiſſer paſſer les noſtres ſans danger: on a bien veu que nos boulets ne s’en pouuoient
approcher
de beaucoup;
mais celles que les ennemis tiroient, paſſoient de 5. à 6. cens pas
par
deſſus nous.
Gen. Cela pouuoit bien aduenir, parce que ou les pieces desennemis eſtoient plus
grandes
&
plus fortes, ou que la poudre eſt oit meilleure & plus fine.
Cap. Le calibre eſtoit le meſme des noſtres, car nous nous ſeruions de leurs boulets:
mais de la poudre il y pouuoit bien auoir quelque auantage. Et de noſtre part nous en pre-
nions
auſſi vne cueillerée dauantage que d’ordinaire, mais ſans aucun effect.
Et ayant ſou-
uent
eſmeu cette queſtion tant entre canonniers que mariniers, i’ay touſiours ouy pour reſ-
ponce
, que par quelques cauſes cachées de nature, les coups contre terre ſontplus forts que
ceux
qui ſe font contre l’eau.
Gen. Combien que i’en demeure bien perplex, ſi ay-ie eſté bien aiſe d’ouyr les rai-
ſons
, &
les experiences de ce coſté. Mais i’auois oublié de demander encor vne choſe, de
laquelle
il me ſouuient maintenant, à ſçauoir, d’où vient que toute la charge de la poudre
n’eſt
point conſommée au canon, auſſi bien qu’en la couleurine?
Cap. De cecy la faute ou auantage n’eſt point aux pieces, de la ſorte qu’on penſeroit
que
le canon eſtant court &
large, vne partie de la poudre en ſeroit repouſſée deuant que
pouuoir
prendre le feu:
& que la couleurine longue & eſtroite retiendroit la poudre iuſ-
ques
à ce qu’elle fut toute allumée:
ains cela ſe fait d’auenture, & toutesfois plus ſouuent
au
canon à cauſe de ſa largeur plus ample qu’àla couleurine.
Car apres auoir chargé la piece
de
ſa deuë charge de poudre pour la ſerrer quelque peu deuant d’y mettre le morceau d’e-
ſtoupes
, on luy donne deux ou trois coups de refouloir, dont la poudre eſtant bien grainée,
il
y en reſulte couſtumierement quelques grains, qui puis apres n’eſtant recueillis par ledit
morceau
, comme auſſi on n’y prend pas touſiours eſgard de ſi prés, demeure eſparſe en la
piece
, &
deuant le boulet, qui en apres eſtant pouſſé de la charge, repouſſe auſſi cette pou-
dre
qu’il a deuant ſoy, deuant que le feu y puiſſe toucher;
comme on voit auſſi qu’il en ad-
uient
de quelques brins &
filets des eſtoupes fumant ſans eſtre conſommez du feu. De
ſorte
que V.
S. ſe pourra bien aſſeurer que toute piece ſoit courte ou longue qui ſe charge
&
dont la poudre eſt bien ſerrée, & ces grains bien recueillispar le morceau d’eſtoupes, ne
repouſſera
pas vn ſeul grain, qui ne ſoit euaporé.
Et de cecy on en voit l’eſpreuue és mor-
tiers
, qui combien que courts &
larges, conſomment ou allumenttoute leur poudre, ſans
en
perdre aucun grain.
Gen. Ie l’entends bien maintenant. Et confeſſe que iuſques à preſent, i’ay eſté de
l’opinion
commune, en attribuant la cauſe à la briefueté ou longueur de la piece.
Mais re-
poſons
nous à preſent, penſant à quelque autre queſtion pour l’apres diſner.
15778Second Traicté
DIALOGVE XXI.
Eſpreuue d’vn canon tirant 24. liures de fer contre une couleurine de 13. liures, faite au chaξteau
d’Anuers
par le cbaſtelain Auguſtin de Mexia & le maiſtre du camp
Ieroſme
Monroy, enl’année 1601.
GEn. Monſieur le Capitaine vous ſouuient-il encor del’eſpreuue, qui n’agueres
ſe
fit entre le chaſtelain Don Auguſtin de Mexia, &
le maiſtre du camp Ieroſme
de
Monroy, quand de la platte-forme joignant la porte du chaſteau, ils firent tirer
vn
demy-canon de 24.
lb. de boulet, & vne couleurine de 20. pieds, & tirant 13. lb. de fer,
pour
voir qui des deux ſeroit de plus longue portée?
Cap. Ilm’en ſouuient bien encor, mon Seigneur, mais ayant les penſées pour vous
ſatisfaire
, occupées ailleurs, iel’auois oublié d’en faire mention en noſtre diſcours pre-
cedent
.
Gen. On dit qu’ayans enuoyé deux canonniers dela la riuiere en la campagne, auec
vne
piece de toille blanche, laquelle ils eſleuerent pour enſeigne, ſur vne picque, enuiron
4000
.
pas au dedans d’icelle; & que le demy-canon eſleué iuſques à 22 {1/2} degrez fit le pre-
mier
300.
pas plus auant que ladite enſeigne: & que la couleurine ne ſe pouuant eſleuer
que
aux 18.
degrez fit ſon coup enuiron 150. pas plus court: mais que leſdits perſonnages
s’apperceuans
de la cauſe de ce defaut firent au bout de la platte-forme, vne foſſette de
paulme
&
demie de profondeur, & de largeur ſuffiſante pour receuoir la culaſſe du fuſt de
ladite
couleurine, de ſorte qu’à grand peine elle approchoit de la hauteur du canon:
& que
de
ce lieu ils firent derechef tirer le demy-canon, qui paſſa ſon boulet 40.
pas plus loing
qu’auparauant
, &
que la couleurine paſſa ceſtuy-cy de 250. pas. Dequoy i’ay bien eſté eſ-
merueillé
, principalement oyant de quelle longueur les pieces auoient eſté, à ſçauoir le
demy-canon
de 19.
& la couleurine de 43. calibres.
Cap. Croyez-moy, Monſeigneur, que ſi la couleurine n’euſt eſté que de 32. cali-
bres
, elle euſt porté ſon boulet beaucoup plus loing.
Gen. Pourquoy?
Cap. Tant la briefueté, que la longueur exceffiue eſt prejudiciable au coup; la force
de
la portée d’vne piece ſe tenant au milieu.
Car la piece eſtant trop courte, elle repouſſe
le
boulet, deuant qu’elle reçoiue ſa force entiere:
eſtant trop longue, la poudre perd auſsi
vne
partie de ſa force, deuant que le boulet en ſoit repouſſé.
Dont il eſt certain, que la cou-
leurine
eſtant de 32.
calibres, le boulet n’acquiert toute ſa vigueur, comme on s’en peut
apperceuoir
, qu’au ſortiril fait plus grand tonnerre, &
la piece en recule plus rudement.
Choſe qui, ſelon le teſmoignage de Louys Collade, a eſté approuuée au Royaume de
Naples
, en vne couleurine faite à Genua tirant 48.
lb. de fer, & longue de 47. calibres,
mais
qui en ſa plus haute eſleuation, n’eſgalloit la portée d’vne demie couleurine de 32.

calibres
, &
de 16. lb. de boulet. Dont les officiers en firent oſter 8. calibres: & voyans que
ſa
portée en eſtoit meilleure, en firent coupper encor 7.
dont ladite piece venant à ſaiuſte
proportion
de 32.
calibres, fit ſa portée de 1500. pas plus auant, qu’elle n’auoit fait au com-
mencement
.
De meſme nous dit le Sergeant de Holmedo, qui eſtant ſoldat au Rocher de Velez.
en Gomera (vn fort és confins de ſa Majeſté en Barbarie, gaigné auſsià la fin par ſaditte
158
[Empty page]
15939[Figure 39]
160
[Empty page]
16179De l’Artillerie. jeſté)il s’y trouua vne demie couleurine de 45. calibres, & de 12. lb. de boulet, qui ne pou-
uoit
mettre ſon boulet au fort d’Alenlareio, auquel vn demy-canon pouuoit aiſément
mettre
le ſien:
dont les officiers Iean de Moline, & Andrieu de Sepuluedaluy firent ron-
gner
12.
calibres, laiſſant la piece de 33. calibres, qui ainſi raccourcie pouſſa ſon boulet
non
ſeulement audit fort, mais auſſi enuiron 800.
pas plus auant. Dont V. S. pourra aucu-
nement
comprendre, en quelle longueur de la piece conſiſte la force de l’expulſiue d’i-
celle
.
Gen. Iene faudray de me ſeruir de ce diſcours, qui m’a ſingulierement contenté.
Cy apres nous nous enqueſterons de quelque autre choſe.
DIALOGVE XXII.
Comment au defaut des cbeuaux, & du moyen de les atteler, on pourroit tranſporter
l’
Artillerie auec les pionniers & autres ouuriers.
GEn. Nous en ſommes venus iuſques , qu’il faut confeſſer que l’Artillerie eſt le
principal
inſtrument de guerre, duquel on ne ſe peut paſſer, ſoit pour contraindre
ou
pour defendre vne place.
Mais d’autant qu’on ne la peut tranſporter, ſans grand
nombre
de cheuaux que ſeroit-il de faire, en vne iournée en laquelle on en ſeroit deſtitué,
ou
bien on ne les pourroit atteler?
Cap. Entelle neceſſité il ſe faudroit contenter du ſeruice des pionniers & aurres la-
boureurs
, qui pourroyent facilement ſuppléer à cette faute, principalement ſi la iournée
eſt
trop longue.
Gen. Ie croy bien qu’en lieux vnis ily auroit bien du moyen des’en ſeruir, mais és
lieux
pierreux &
montagneux, ie croy qu’ily auroit grande difficulté.
Cap. Iln’y a point de danger ny difficulté, eſtant le maniement del’Artillerie aſſez
leger
en ſemblables endroits.
Gen. Tanty a que ie deſirerois bien entendre la facilité que vous me promettez.
Poſons doncques le cas, qu’il faudroit forcer vn chaſteau ſitué en vne haute montagne, &
d’approche
difficile:
& qu’ily faudroit mettre en œuure 16. pieces d’Artillerie: comment
eſt-ce
qu’on y pourroit conduire leſdites pieces, auec tout ce qui ſeroit de beſoing au ſerui-
ce
d’icelles, par les pionniers &
autres telles gens?
Cap. Pourtelle entrepriſe on n’auroit pas beſoing de tant d’Artillerie: & 6. pieces
y
ſuffiroyent s’il n’y auoit autre conſideration.
Gen. Ily atouſiours cette conſideration que les aſſiegez feront eſtat de ſe défendre
au
poſſible:
Ioint que de dehors ils pourroyent auoir quelque aide & ſecours, de ſorte qu’il
s’y
faudroit pourueoir de tout, afin qu’on ne s’y trouuaſt court au beſoing.
Cap. Sus doncques (combien que c’eſt trop à mon aduis) concedons ces 16. pieces,
à
ſçauoir 6.
demy-canons, 4. quarts, & 6. pieces de campagne, tirants 6. lb. de boulet. Tou-
teleur
prouiſion, auecce qui ſeroit de beſoing pour le reſte du camp, comme poudre, hou-
lets
&
cordes, peut au pis eſtre departie entre les ſoldats, pour eſtre tranſportée audit lieu,
ou
pour eſpargner les ſoldats, entre les ouuriers &
pionniers, comme i’ay dit.
Gen. I’en ſuis content: mais voyons les munitions qui y ſeront requiſes, pour en
eſtre
ſuffiſamment pourueus en toutes occurrences.
Cap. Ie vous en feray le compte, tant des munitions que des perſonnes quiles pour-
ront
porterbien aiſement.
Premierement 600. boulets de demy-canon, à ſçauoir 24. pour
chacun
.
Ces boulets à raiſon de 24. lb. pour boulet peſeront 14400. lb. chargez
16280Second Traicté broüettes à raiſon de trois boulets pour chacune, ſeront tranſportez de 200. hommes, deſ-
quels
chacun aura 72.
lb. pour ſa charge.
Item 600. boulets de quart de canon, chacun de 10. lb. Onen chargera 7. en vne
broüette
, &
ſeront tranſportez par 86. hommes, ayans chacun 70. lb. pour ſa charge.
Item 900. boulets des pieces de cãpagne de 6. lb. Onen chargera 12. en vne brouette
pour
eſtre emportez de 75.
hommes, ayans chacun 72. lb. pour ſa charge.
Item 168. quint. de poudre pour leſdites pieces & leurs coups: à ſçauoir 12. lb. pour
demy-canon
, 7.
lb. pour vn quart, & 6. lb. pour vne piece de camp: mis en 240. barils ou
valiſes
de cuir, araiſon de 70.
lb. pour chacune, ſeront auſſi tranſportées par autant d’hom-
mes
, comme on voit fig.
5 γ.
Quand à l’attelage dés pieces, la figure 5. α en monſtre la maniere, la faiſant en trois
lignes
, departies eſgalement, ſelon le nombre des perſonnes qui les doiuent tirer.
De ſorte
que
le demy-canon peſant enuiron 6000.
lb. auec ſon fuſt, faiſant le compte à raiſon de
60
.
lb. ſur homme, il ſeroit tiré de cent hommes, & les ſix, de ſix cents.
Le quart peſe 3000. lb. dont 70. lb. pour homme, ſera tiré de 43. & les quatre de
172
.
hommes.
La piece de camp peſe 2500. ſera tirée de 36. & les 6. de 216. hommes.
Et d’autant que ſouuentil aduient, qu’il faut demonter ou remonter les pieces du
chemin
, il y faut auſſi conduire vne cheure, auec toutes ſes appartenances.
Et pour les
monter
contre-montily faut auſſi auoir vn cabeſtran auec ſes cordes attachées &
poulies:
toutes le ſquelles choſes peuuent eſtre portées de 36. hommes. De ſorte que pour le mou-
uement
de ſdites pieces, auec tous leurs attirails, ily faudroit 1627.
hommes, qui les pour-
ront
conduire &
tranſporter ſans aucune difficulté on voudroit.
Gen. Mafoy, monſieur le Capitaine, ce train eſt bien ordonné. Mais dites-moy,
pourquoy
donnez-vous 10.
lb. plus pour perſonne au quart de canon qu’au demy?
Cap. Cela ſe fait, pource que le demy-canon à cauſe de la largeur & eſpoiſſeur de
ſes
rouës, eſt de plus difficile mouuement, &
s’embourbe pluſtoſt que le quart, qui eſt beau-
coup
plus leger.
Gen. le me contente de la raiſon, eſtant choſe ſeure, que combien que le poids ſe-
roit
eſgal ſelon la proportion des pieces, ſi eſt-ce que le montage y fait grande difference.
Cap. Ony pourroit demander, ou auſſi auoir affaire en telle iournée, de pluſieurs
autres
choſes, comme de ferrements, clouage, paelles, hoyeaux, ou auantrains, graiſſe, &
c.
mais le tout eſtant departy en la maniere ſuſdite entre les ouuriers, ſe peut tranſporter faci-
lement
.
Et quand à l’attelage de l’Artillerie, afin que le poids en ſoit departy eſgalement,
on
attachera vne longue trauerſe a l’auantrain, comme on voit entre les lettres A &
B, en
laquelle
les cordes ſeront departies en diſtance eſgalle, ayant trois hommes en derriere,
pour
les gouuerner ſelon que les detours des chemins le pourroyent requerir.
Et la piece
eſtant
grande, &
les cordes longues, on pourroitau milieu d’icelles loger encor vne tra-
uerſe
pour leur empeſcher le branſle, eſtant choſe aſſeurée, que tant plus la corde eſt cour-
te
, tant moindre en eſt le branſle, &
tant plus legere la charge. Les cordes auſſi ou lignes,
auront
leurs lacets, leſquels enuironnans les eſpaules &
l’vn des coſtez des tirants, leur
donnent
plus deforce &
fermeté: toutesfois quand il faut monter contre-mont, il ſe faut
bien
garder de s’y enfermer:
car, comme il peut facilement aduenir, la piece prenant ſon
branſle
en derriere, les traineroit tous ainſi pris, non ſans grand danger apres ſoy, de ſorte
qu’en
tels endroits il ſe faut contenter de tirer à la main.
Gen. C’eſt certes vne inuention bien propre, dontie voy qu’il n’y alieu qui ſe puiſ-
ſe
aſſeurer de l’Artillerie.
Cap. Toutesfois elle n’eſt pas nouuelle, ains il y a long-temps qu’on en vſe: & les
premiers
conqueſteurs des Indes, comme Pizarre &
Hernand Cortez, ne s’en ſont pas
16381Del’ Artillerie. trouuez, faiſans ainſi tirer leurs pieces iuſques en la ville de Mexio. Et le Roy Henry de
Bourbon
en la derniere guerre de Bourgongne, s’y eſt ſeruy de Suiſſes en lieu de pion-
niers
, poury conduire ſon Artillerie.
Et principalement en la Turquie on s’en ſert pour
tous
les mouuemens del’Artillerie, par le moyen des eſclaues.
Gen. Concluons auſſi ce poinct, & apres diſner nous traitterons de quelque autre
queſtion
.
DIALOGVE XXIII.
Comment il faut remplir un foßé, afin qu’on puiſſe s’approcher
de
la breſche.
GEn. Nous auons iuſques à maintenant veu & diſcouru de pluſieurs ſortes de
batteries
, &
monſtré comment il les faut mettre en œuure, pour faire breſches
ſuffiſantes
:
mais que ſeroit-il de faire ſi le lieu eſtoit enuironné d’vn profond foſſé
rempli
d’eau &
de limon, que les ſoldats n’en fuſſent empeſchez?
Cap. Ily a pluſieurs moyens, mais ſanglants: Cependant cetuy-cy eſt le plus propre,
à
ſçauoir, qu’auſſi toſt que la breſche eſt faite, on face les approches, ſous couuertures des
trenchées
, iuſques au bord du foſſé, &
qu’auec des fagots & de la terre on le rempliſſe,
ayant
à l’auantage ce que le canon aura abbatu de la muraille.
Et quant aux fagots il n’y au-
ra
pas de difficulté, ſile lieu eſt enuironné de iardins, ou a quelque foreſt en ſon voiſinage.
Gen. Cecy ſe pourroit bien faire ſi le foſſé n’eſtoit trop profond: Mais s’il y auoit
trop
de profondeur, comment s’y faudroit-il comporter?
Cap. Il n’y a profondeur qui ne puiſſe eſtre vaincuë par le moyen ſuſdit, & qu’on ne
puiſſe
paſſer par deſſus, comme par vn pont tres-aſſeuré.
Toutesfois i’ay auſſi bien veu
qu’ony
a ietté de longs &
gros arbres, qui flottans ſur l’eau, couuerts de planches, & reue-
ſtus
és coſtez, faiſoient vn pont aſſez propre, ſur lequel on ne voyoit les paſſans que quand
ils
eſtoient au bord de la breſche.
Gen. Mais ſi c’eſtoit vn fleuue qui leur ſeruit de foſſé, il y faudroit vſer d’autre
moyen
, ſinon il emporteroit le pont, &
tous ceux qui ſeroient montez deſſus.
Cap. De cecy i’ay veu vn exemple en la iournée du Prince de Parme qu’il fit en
France
en faueur de la ligue, &
ſecours de la ville de Paris, deuant la ville de Corbie, bat-
tuë
, comme nous diſions n’agueres, en vn baſtion du coſté du fleuué nommé larne:
mais
il
fallut changer la batterie &
la faire deuers le Midy, au coſté de la campagne, il y auoit
auſsi
vn petit fleuue, mais profond &
aſſez violent, quiluy ſeruoit de foſſé, enuironnant la
ville
d’vn bout à l’autre, il ſe joignoit audit larne, &
empeſchant toute commodité de
faire
le pont par ſa vehemence.
Dont Monſieur de la Motte, pour General de l’ Artillerie,
donna
conſeil, qu’vn quart de lieuë par deſſus ladite ville, ayant pris la meſure de la largeur
du
fleuue, à l’endroit de la breſche, on fit vn pont ſur vn bateau, lequel deſcendant quand
on
s’en voudroit ſeruir, s’enchaſſeroit iuſtement audit lieu.
Lequel conſeil eſtant mis en
effet
, fut de tres-heureuſe iſſuë:
& la breſche faite voicy le bateau auec ſes ponts leuis des
deux
coſtez, ſous leſquels ceux qui le conduiſoient eſtoient couuerts comme ſous des
aiſles
, &
nonobſtant toute deffenſe queles aſsiegez y firent, s’arreſta audit lieu, & calant
ou
baiſſant les ponts des deux coſtez donne paſſage aux ſoldats, qui forcerent la breſche &

la
ville:
dontapres la ville de Paris fut ſecouruë de viures, & le Roy qui la tenoit bien ſer-
rée
, contraint d’en leuer le ſiege.
16482Second Traicté
Gen. Pour vray c’eſtoit vn conſeil reſentant bien la magnanimité & experience de
ſon
autheur:
mais poſons le cas que cette commodité de bateau n’y fut pas, n’y auroit-il
autre
remede?
Cap. Pour lors il n’y auoit meilleure commodité, dont auſſi elle fuſt pratiquée tout
à
l’inſtant, afin que les aſſiegez n’euſſent le loiſir de ſe retrancher, &
le Roy le temps pour
le
ſecourir, qui euſt aneanty tout noſtre deſſein.
Mais ſi c’eſtoit à faire pour le preſent, on
y
pourroit vſer d’vn remede plus facile &
plus commode.
Gen. Et quel?
Cap. Au ſiege d’Oſtende, la neceſſité maiſtreſſe, tres-induſtrieuſe de pluſieurs in-
uentions
, nous monſtra la maniere de faire les ſaulſices, qui ſe font de longs fagots remplis
au
dedans de pierres, comme nous en monſtrerons la forme &
façon en ſon endroit, deſ-
quelles
tous foſſez, auſſi meſmes les fleuues, quoy que vehements ſe peuuent bou-
cher
.
DIALOGVE XXIIII.
Comment on tirera vn nauire noyé auec ſon Artillerie,
& tout ce qui e§t dedans l’eau.
GEn. Monſieur le Capitaine, il y a long-temps que ie deſire ſçauoir, comment
on
pourroit tirer vn bateau noyé auec ſon Artillerie du profond de l’eau, ou
bien
s’il falloit perdre le bateau, pour le moins comme on pourroit ſauuer ladite
Artillerie
?
Cap. En cecy ie me fais fort de ſatisfaire à V. S. ſelon l’experience que i’en ay faite.
S’ily a vn bateau noyé en quelque fleuue, port, ou autre coſte de la mer, qui ne ſe ſoit briſé
contre
quelque roche, ou autrement rompu, y ayant ſeulement quien puiſſe demonſtrer
le
lieu, qui bien auſſi ſe peut recognoiſtre par le mouuement diuers de l’eau, qui en rend
le
teſmoignage:
on prendra quatre autres nauires, ſemblables à celuy qui eſt noyé en
grandeur
&
en charge, & n’y a danger qu’ils ſoient plus grands, eſtant meſmes alors
de
plus grand effet.
Ces nauires ſeront (commela figure 14. α le monſtre) tellement
departies
, que les deux ſe tiendront aux deux coſtez, &
les autres, l’vn à la prouë, &
l’autre
à la poupe, tous quatre bien affermis en leurs ancres, &
cele plus proche du bateau
noyé
qu’il eſt poſsible.
Apres on remplira les deux des coſtez d’eau, autant qu’ils pourront
porter
ſans s’enfoncer, &
puis par le moyen de bons plongeurs, auallant de bonnes &
fortes
cordes bien fermes auſdits nauires, on les attachera ainſi roides &
fermes aux
coſtez
du bateau noyé.
Ce qui eſtant fait, & leſdites cordes bien roidies, on vuideral’ eau
égallement
deſdits deux nauires, leſquels montans éleueront auſsi auec eux le bateau
noyé
.
Le meſme ſe feia en apres és autres deux, repetant cet ouurage, iuſques à ce que
ledit
bateau ſoit entierement éleué au deſſus de l’eau, le vuidant auſsi de l’eau qui y ſe-
roit
, auecles ordures quiy ſeront quant &
quant aſſemblées, & le refaiſant s’il y a quelque
pertuis
ou creuace, on le pourra conduire ou on voudra ſans aucun danger.
Et ce moyen
eſt
le plus facile &
profitable qu’on y pourroit appliquer.
Gen. Ie le tiendroy bien pour bon, s’il eſtoit ſi toſt fait que dit.
Cap. V. S. n’en doit douter aucunement, la choſe eſtant tres-facile, ſi ce ne fuſt
que
ledit bateau fut tout rempli de ſable ou de fange, qui y feroit bien quelque difficulté
de
plus de labeur, mais duquel toutesfois on viendroit à bout.
165
[Empty page]
166 40[Figure 40]
167
[Empty page]
16883Del’ Artillerie.
Gen. En auriez-vous bien fait l’eſpreuue, puis que vous la trouuez ſi facile?
Cap. Ouy. L’an 1610. vn Commiſſaire de l’ Artillerie charge à DunKercKe cinq
grandes
&
deux petites pieces en vne balendre, qui à l’entrée du grand lac, entre ladite vil-
le
&
Furnebre, endura telle tourmente qu’elle s’enfonça, en ſorte qu’on ne voyoit que la
pointe
du maſt, auec tous ceux quiy eſtoient, excepté le ſeul patron qui en eſchappa, &

porta
les nouuelles audit Commiſſaire, qui faiſoit le chemin par terre à cheual.
Or ledit
Commiſſaire
eſtant arriué à Nieuporte, lors il eſtoit Capitaine de l’ Artillerie, deman-
da
au Gouuerneur aſſiſtance tant des gens que des inſtrumens &
machines neceſſaires pour
retirer
ladite balandre de l’eau.
Ce qui fuſt fait: ledit Gouuerneur m’en donnant la charge,
&
me demandant comment ie la voudrois mettre en effet: Ie luy reſpondis, que pour eſtre
au
ſeruice de ſa Majeſté ie l’accepterois tres-volontiers, comme non ſeulement eſtant de
mon
eſtat, mais auſsi qui me pourroit eſtre occaſion d’apprendre ou experimenter quel-
que
choſe nouuelle &
vtile, mais que ie n’en ſçauroy deduire & monſtrer le moyen, iuſ-
ques
à ce que i’euſſe veu le lieu &
la commodité ou incommodité d’iceluy.
Gen. Comment Monſieur, y a-il lac ſi dangereux & profond, qu’vn bateau s’y en-
fonce
tellement, qu’on n’y voye que l’extrême pointe du maſt?
Cap. Combien que de ſoy-meſme il ne ſoit de telle profondeur, ſi eſt-ce qu’eſtant
eſmeu
par les tourmentes qu’on y voit ordinairement, il cede au goulfre de Nerbonne:
&
quaſi
tous les ruiſſeaux de la France s’y amaſſans, il eſt de telle hauteur, que ſouuent il en-
gloutit
&
bateaux & marchandiſes & hommes: ayant trois lieuës enlongueur, & trois en
largeur
.
Gen. Mais marchans vers le lieu auquel eſtoit le bateau enfoncé, quels inſtrumens
&
appareils auiez-vous pour l’en retirer?
Cap. Nous n’auions autre choſe que lesappreſts ordinaires, à ſçauoir vn guindal ou
cheure
, auecſes cordes &
poulies, cognées, leuiers, pied de cheure. Iuſques à nous appro-
cher
d’iceluy, nous ſuſmes enſeignez, leſquels ſeroientles plus propres:
mais n’en appli-
quay
aucun, ains trouuant que le meilleurmoyen ſeroit celuy duquel i’ay fait mention:
ie
demanday
quatre bateaux ſemblables à celuy qui eſtoit au fond, leſquels m’eſtans en-
uoyez
, ie les mis promptement en œuure.
Mais eſtans petits, de ſorte que les rempliſſant
d’eau
on ne ſe pouuoit bonnement tenir deſſus au trauail, ie me ſeruis au lieu d’icelle de ſa-
ble
, changeant ſi ſouuent, iuſques à ce qu’au bout du troiſiéme, le bateau fut ſauué ſur l’eau,
auec
toutel’ Artillerie, &
ce qui auoit eſté dedans.
Gen. Ie confeſſe quele moyen a eſtébien propre, comme auſsi il eſt bien ſuccedé:
mais ſi ledit bateau eut eſté caſſé, & les planches emportées, de ſorte qu’il n’y fut reſté que
l’Artillerie
ſeule, ie ſuis bien aſſeuré qu’on nel’en eut peu retirer ſi facilement.
Cap. Il n’y a point de danger Monſeigneur. Car bien que l’Artillerie de ſoy-meſme
ſoit
fort peſante, le maniement toutesfois en eſt fort facile en cet endroit.
Ety a pluſieurs
moyens
de l’en retirer.
Le meilleur eſt celuy qui eſt tracé en la figure 14. β. qui eſt la ſeconde de ce diſcours,
pour
auquel paruenir on fera conduire deux bateaux ou deux plattes, leſquelles ſeront
couuertes
de bonnes &
fortes planches, & bien affermies ſur leurs ancres: apres l’on aura
vn
cabeſtrant, tel que la figure le monſtre, auec les pieces pointues pour tenir plus ferme,
lequel
on mettra au millieu des planches trauerſées, qui ſeront bien cloüées ou attachées
aux
bords, afin qu’ils ne puiſſent s’élargir entre leſdits bateaux.
Puis auallãt les cordes auec
le
crochet, &
icelles bien attachées a la piece és dauphins par vn plongeur, en tournant la
vis
, on l’en retire ſans grandlabeur bien aſſeurément, n’y ayant piece, tant ſoit-elle peſan-
te
, qui par ce moyen ne puiſſe eſtre éleuée bien facilement.
Gen. Mais ſi la piece n’auoit point de dauphins, comment la pourroit-on attacher
ſeulement
pour l’en retirer?
16984Second Traicté
Cap. Il y pourroit bien auoir quelque peu plus de difficulté: mais la neceffité mere
de
toutes ſubtilitez, ne faudroit d’y donner quelque bon conſeil.
Et alors on pourroit pren-
dre
vne corde ayant en chacun bout vn lacet, deſquels on mettroit l’vn au bouton de la
culatte
de la piece &
l’autre, à vne piece de fer, miſe en la bouche de ladite piece, & l’atta-
chant
au millieu au crochet du cabeſtrant, elle ne faudroit de monter en haut ſi la corde
eſtoit
aſſez forte, à quoy il faudroit auoir ſingulier eſgard.
Gen. Mais ſi la piece n’auoit auſſi ce bouton, que ſeroit-il de faire?
Cap. En ce defaut on ſe pourroit ſeruir des tourillons: & ſi auſſi il n’y auoit moyen,
au
pis aller on luy mettroit vn lacetau col, &
la faire monter ainſi. De ſorte que V. S. voit
deſia
combien il y a de moyens de retirer vne piece du proſond de l’eau, ſans encor plu-
ſieurs
autres que les experts, &
quelques canonniers & mariniers ſe reſeruent. Etau defaut
de
plongeons, afin que cetuy-là ſoit plus à ſon aiſe ſous l’eau pour bien trauailler, les an-
ciens
ont inuenté vn capuchon ſingulierement propre, fait de bonne vache oincte, &

ſi
bien couſu, que l’eau n’y puiſſe entrer par aucune de ſes couſtures.
La façon en eſt telle,
que
dés la teſte il deſcend iuſques à la ceinture, ayant à l’endroit des eſpaules ſes manches
courtes
, deſcendantes iuſques au coude du bras, &
en ces extremitez il doit eſtre bien lié
&
ſerré que l’eau n’y puiſſe entrer. A l’endroit des yeux y ſont bien enchaſſées des lunettes
de
corne bien menuë &
claire, pour auoir la veuë ſans aucun empeſchement. Et au ſom-
met
de la teſte il y a vne longue trompe, faite auſsi de meſme cuir, &
couſue auec meſme
intelligence
, de la longueur telle, que celuy qui l’a en teſte, eſtant au fond elle aye le bout
ſur
l’eau, auſsi il faut attacher des veſsies de bœuf ou de pourceau pour la tenir haute,
qui
eſt le moyen de donner air &
reſpiration à celuy qui eſt au fond de l’eau. Qui pourueu
de
contrepoids ſuffi ſans au pied, afin que l’eau ne l’éleue, aura en main vne corde attachée
en
certain lieu du bateau, tant pour donner ſigne de ce qu’il aura fait, que pour ſe guinder
en
haut apres l’accompliſſement de l’œuure.
Gen. C’eſt certes vne inuention de grande vtilité & importance, combien que i’ay
ouy
de Nicolas de Tartalia, qu’il n’y a meilleur inſtrument pour ſe tenir ſous l’eau, qu’vne
ſphere
de verre, qui renuerſée ſurla teſte iuſques au col elle eſt bien fermée &
garnie
de
ſorte que l’eau n’y puiſſe entrer.
Mais que vous en ſemble?
Cap. Il n’eſt pas mal à propos, & a eſté en vſage dés long-temps: mais le verre eſtant
ſi
fragile, on en eſt en grand danger.
Et combien qu’au capuchon, que nous auons eſcrit,
on
y pourroit auſsi bien enchaſſer des lunettes de verre, ſi eſt ce que celles de corne en ſont
plus
propres ſous l’eau &
plus aſſeurées.
Gen. Ie le croy, & l’experience auſsi en rend teſmoignage. Cependant ie vous aſ-
ſeure
que ce diſcours m’a eſté de ſingulier contentement.
DIALOGVE XXV.
De la qualité des pieces, & de l’alliage & temperature
des
metaux d’icelles.
GEn. Il me ſouuient encor que les iours paſſez, faiſant le compte des pieces qu’il
faudroit
auoir en vne ville pour ſa deffenſe, vous diſiez du canon, comme auſsi
du
demy, que vous le garderiez ſeulement pour la contrebatterie.
Quant à moy,
laiſſant
le canon en ſon lieu, ie me ſeruirois du demy tout auſsi toſt que l’ennemy com-
menceroit
de prẽdre ſon quartier, pour troubler ſes ordres, luy aneantir les gabionnades &

barrer
toute la cãpagne, donnant touſiours aux bouches de ſes trãchées.
Et quãt aux
17085De l’Artillerie. pieces de camp, & les mouſquettons de bronze, ie le reueillerois toute la nuict, le mo-
leſtant
de tous coſtez, pour empeſcher ſes ouurages.
Cap. Ie confeſſe que le deſſein n’en ſeroit point mauuais, ſi on eſtoit tellement
fourny
de poudre &
de munitions, qu’on n’en peuſt auoir de diſette. Mais la condi-
tion
des aſſiegez eſtant telle, qu’ils n’en peuuent faire le compte ſi aſſeuré, il leur ſera
auantageux
de ſe ſeruir touſiours des quarts &
des quints. Toutesfois l’opportunité & la
neceſsité
leur monſtreront ce qui ſera requis pour leur défence.
Gen. Ie ſuis content de vos raiſons, ne voyant comment les aſsiegez pourroient
faire
, comme vous dites leur compte de n’auoir à craindre quelque deſaut.
Car combien
qu’ils
ſe feroient à croire d’eſtre ſuffiſamment pourueus de toutes choſes, ſi eſt-ce qu’il y a
tant
d’euenements fortuits &
impourueus, deſquels le moindre les en pourroit depour-
ueoir
en vn moment.
Mais dites-moy ie vous en prie: pourquoy fait-on le canon de 40. lb.
de boulet, le demy en a 24. lb. à la proportion duquel le canon deuoit auoir 48. ou
bien
le demy ſuiuant la proportion des 40.
lb. n’en deuoit auoir que vingt?
Cap. Il eſt vray que la proportion du demy ſe deuoit rapporter à l’entier, de ſorte
que
le canon eſtant de 40.
lb. le demy canon n’en doit auoir que 20. Mais ie n’ay aucun
doubte
que lespremiers inuenteurs de cette difference n’ayent eu leurs raiſons, &
eſgards
à
quelque grand auantage.
Et de fait, d’auoir amoindry quelque peu le canon, que ç’a eſté
pour
eſpargner vne partie des frais, tant des gens que des munitions, qui en ſi grande char-
ge
ſe feroient ſans aucun profit:
le boulet de 40. lb. faiſant tout autant que celuy de 48. lb:
D’autre-part, le demy-canon de 20. lb. eſtant trop foible, & celuy de 24. lb, bien peu plus
peſant
, &
quaſi de meſme maniement que celuy de 20. lb. mais de plus grand effet contre
l’ennemy
:
ils ont eſtimé que cette fonte ſeroit la meilleure. Ioint qu’a faute du canon, on
s’en
pourroit auſsi bien ſeruir.
Et veritablement combien que le demy-canon n’eſt ſi grand,
fort
&
peſant, ſi a-il és batteries autant d’effet contre les murailles des villes & des forts,
que
le canon, qui eſt de grande peſanteur &
frais.
Gen. Puis qu’ainſi eſt, il faut confeſſer que les ingenieurs, en cet endroit, de chan-
gement
de proportion ont eu grande raiſon.
Mais quelle eſt la proportion des metaux en-
uers
le boulet?
Cap. Selon la fonte moderne, au canon on donne pour chaque lb. de boulet 160. lb.
de metaux, au demy 180. & au quart 235. lb. Laquelle proportion ſe trouue encor aujour-
d’huy
en toutes les pieces que le Comte de Buquoy fit fondre l’an 1609.
& 1610. à Ma-
lines
.
Gen. Iem’en contente: mais deſirerois bien ſçauoir, comment les metaux y ſont
meſlez
&
aliez.
Cap. De cecy ie ne vous en ſçaurois donner le compte precis, comme n’ayant ia-
mais
eſté employé en cette charge.
Et pour en donner contentement tel quel à V. S. i’en
diray
ce que i’en ay leu en ceux qui en ont eſcrit, ſe faiſans forts, que c’eſt ſelon la pratique
obſeruée
es fonderies de ſa Majeſté.
Or de cecy Ieroſme Ruſelli, & autres des plus experts
diſent
, que pour 160.
lb. de cuiure, on prend 10. lb. d’eſtain, & 8. lb. de letton ou airain
(meſsing):
l’eſtain donnant la dureté, & l’airain outre la couleur, liant le cuiure & l’eſtain
enſemble
, &
leur donnant plus de force pour reſiſter à la vehemence du feu, De ſorte que
ces
trois metaux eſtans en ladite proportion, meſlez, les pieces en ſont &
belles & fortes,
pour
s’en pouuoir aſſeurer.
Alexandre Capobianco Vincentin, chef de l’Artillerie de
Cremes
, dit en ſa pratique militaire, examinant vn canonnier ſur ce poinct, qu’alors les
metaux
ſont bien meſlez &
aliez, quand pour 100. lb. de cuiure on prend 20. lb. d’eſtain, &
5
.
d’airain.
Gen. Mais que vous en ſemble? ne ſera-ce pas trop de 20. lb. d’eſtain.
Cap. De ma part i’eſtimerois que ce ſeroit la meilleure mixtion, quand pour 100.
17186Second Traicté lb. de cuiure on print 8. lb. d’eſtain & 5. lb. de letton. Louys Collade en ſa pratique manuel-
le
ne fait aucune mention de l’airain, peut-eſtre pource qu’eſtant vn metal freſle &
de peu
d’alloy
, faiſant l’alliage de 100.
lb. de cuiure & 8. lb. d’eſtain. I’eſtime la meilleure, & ba-
ſtante
à l’eſpreuue.
Duquel ie me contenterois, ſi la piece auoit au reſte ſa deuë propor-
tion
:
à ſçauoir que le canon renforcé euſt en la chambre le diametre de ſon calibre, aux
tourillons
{11/16} &
au col {1/4} d’eſpoiſſeur. Le commun en chambre {7/8} aux tourillons {5/8} & au col {3/8}.
Et l’amoindry, en chambre {3/4}, aux tourillons {9/16}, & au col {3/8}. Et ne fay icy mention de la lon-
gueur
particuliere de chacune piece, d’autant que toutes trois y ſont de 18.
calibres, qui en
la
propre longueur.
Qui eſt l’inſtruction que ſelon ce que i’en ay peu comprendre V. S. a
demandé
.
Gen. I’en ſuis ſatisfait, toutesfois vous ne dites rien de la proportion du demy-ca-
non
&
du quart.
Cap. Le demy-canon renforcé doit auoir en chambre {1/16} de ſon calibre, aux touril-
lons
{3/4}, &
au col {1/2} calib. d’eſpoiſſeur, le commun en chambre 1. calib. aux tourillons {11/16}, & au
col
{7/16} d’eſpoiſſeur:
Et l’amoindry en chambre {15/16}, aux tourillons {11/16}, & au col {3/8}. En longueur
ils
auront 19.
ou pour le plus 20. calibres.
Le quart renforcé aura en chambre 1. calibre, & {1/8}, aux tourillons {13/16}, col {9/16}. Le com-
mun
en chambre 1.
calib. & {11/16}, aux tourillons {3/4}, & au col {1/2} calibre d’eſpoiſſeur. Et l’amoin-
dry
en chambre {15/16}, aux tourillons {21/16}, &
au col {7/16} d’eſpoiſſeur. Tous trois ayans en longueur
24
.
ou pour le plus 25. calibres.
DIALOGVE XXVI.
Comment les metaux ſont departis en la fonte, afin que la piece ſe tienne droite, ſans ſe renuer ſer
ſur
ſa bouche, quand on la deſcharge.
GEn. D’autant qu’il importe beaucoup tant pour la beauté que pour la force d’v-
ne
piece qu’elle ait non ſeulement ſa deuë proportion en general, mais auſſi que
chacune
de ſes parties, en ſoit bien perfectionnée:
Ie deſire de ſçauoir de vous
commentil
faut que les metaux doiuent eſtre departis, en toutes ſes parties, en chambre,
tourillons
, friſes &
autres ornements, tant pour l’aſſeurance de ſa proportion que pour la
tenir
en ſon equilibre?
Cap. De cecy ie vous donneray la plus courte & plus claire inſtruction qu’il ſera
poſſible
.
Premierement apres d’eſtre reſolu de la ſorte, ou de l’eſpece de la piece qu’on veut
fondre
, il faut former vne colomne ronde, droite, eſgale, bien polie, en longueur de ladite
piece
, &
en eſpoiſſeur iuſte du boulet qu’elle doit tirer. Apres cette colomne le fondeur
ayant
pris le meſme de l’eſpoiſſeur des metaux que la piece ſelon ſon eſpece doit auoir,
dont
auſſi reſulte l’intelligence du poids deſdits metaux requis:
fait vne autre colomne py-
ramidale
&
vuide par dedans, qui enuironnant la premiere, laiſſe tant en ſa baſſe qu’au
haut
autant de place que ſelon la meſure priſe, les metaux ſe puiſſent fondre en ladite eſ-
poiſſeur
.
Et comme l’autre doit eſtre bien vnie, polie, & bien ſeiche, afin que la piece ait l’a-
me
bien nette ſans cauernes ou creuaces, ainſi faut-il auſsi, que celle-cy le ſoit par dedans,
afin
que la piece ſoit nette &
bien vnie par dehors. Cecy fait, & ſortant de ce modelle, vne
piece
ſimple &
liſe, on y adiouſte les reforts & ornements requis, comme les friſées de la
culatte
, le caſcabel, les daulphins, les tourillons, &
autres anneaux & cercles, tant à
17287De l’Artillerie. chambre, qu’à la trompe de la bouche, gardant touſiours la deuë proportion de la piece ſe-
lon
ſa ſorte.
Ce qui s’entendra mieux par vn exemple.
Si on eſt reſolu de faire vn canon commun de 40. lb. de boulet, & qui ſelon que la
proportion
de ſa ſorte le requiert, peſe 64.
quintaux, il faut que les ſuſdites deux colomnes
ſoyent
faites en ſorte que la premiere ait le calibre de 40.
lb. d’eſpoiſſeur, & la ſeconde py-
ramidale
, ait par dedans autant de vuide, que la premiere colomne y puiſſe entrer, auec en-
cor
autant de capacité en la baſe &
au ſommet, que les metaux en deuë eſpoiſſeur y puiſ-
ſent
entrer entre-deux:
A ſçauoir, ſelon que nous auons dit au diſcours precedent, en
chambre
de {7/8} du calibre de 40.
lb. & au col de {3/8} l’eſpoiſſeur és tourillons s’y trouuant de
ſoy-meſme
entre-deux.
Or la piece ſortant ainſi de ſon moule en forme pyramidale ne pe-
ſera
que 53.
quintaux 56. lb. reſeruant le reſte des 64. quintaux: & 71. lb. pour les employer
és
tourillons, daulphins, friſes, &
ornements & renforts d’icelle. Or deuant que cedit reſte
y
ſoit adiouſté, on trouuera par certaines raiſons mathematiques, que la partie de derriere,
qui
commence dés le poinct du milieu des tourillons iuſques à l’extremité du calcabel ou
culée
peſera 2592.
lb. & celle deuant, dés ledit poinct qui ſe nomme valée, iuſques à l’ex-
tremité
de la bouche 2764.
auſquels en apres ledit reſte à ſçauoir de 107. lb. eſt adiouſté
afin
que le poids de la piece ſoit de 6427.
lb. de metaux.
Et celuy qui voudroit ſçauoir le poids de la piece liſe à part, & de ſes friſées & ren-
forts
, en repartiſſant tout ledit poids en fix, trouuera vn ſixieſme pour leſdites friſes, &
le
reſte
pour le corps de ladite piece.
Et ne ſe doit-on eſmerueiller, ou doubter de la proportion & equilibre de la piece,
pource
qu’en ſa forme pyramidale la partie de deuant eſt plus peſante que celle de derriere
de
172.
lb. veu qu’en y adiouſtant les renforts & friſes, qui en la partie de derriere ſont plus
grands
&
plus eſpois, on trouuera qu’elle la ſurpaſſera de 585. lb. poids ſuffiſant pour tenir
ladite
piece en culatte, principalement eſtant bien montée ſur ſon fuſt.
Mais d’autant que cette piece eſtant eſleuée de ſes daulphins au fil de l’air par le guin-
dal
ou cheure, declinera grandement de la partie de derriere, dont non ſeulement le guin-
dal
pourroit patir, mais auſſi ceux qui ſont au maniement, en auront plus de peine pour la
monter
ou demonter, ſelon l’exigence:
Ie ſerois d’aduis que leſdits daulphins ne fuſſent
pas
mis iuſtement ſur le centre, entre les tourillons, mais quelque peu en derriere, s’appro-
chans
autant qu’il ſeroit poſſible (ſi on ne le peut trouuer net) au centre du poids:
pour te-
nir
la piece eſleuée en equilibre:
eſtant par ce moy en plus facile à manier, ſans rien perdre
du
poids de ſa culate, qui la tient plus ferme ſur ſon fuſt, aſſeure le coup, &
la fait facile-
ment
retourner en ſon ambrazeuie.
Gen. C’eſt aſſez Monſieur le Capitaine, Vous aſſeurant que ce tant curieux & ſub-
til
departiſſement m’a donné ſingulier contentement, me faiſant fort de le bien engrauer
en
ma memoire, pour en faire mon profit, quand l’oportunité s’en preſentera.
DIALOGVE XXVII.
Comment ayant l’ennemy en queuë on fera paſſer vn fleuue à toute vne
armée
ſans aucun danger.
GEn. Monſieur le Capitaine, l’opportunité ſe presẽtera qu’il me faudra partir bien
toſt
:
toutesfois deuant de me mettre en chemin, ie deſire d’eſtre in formé, comment
il
ſe faudroit gouuerner, ſe trouuant engagé au paſſage de quelque grand fleuue,
ayant
l’ennemy en queuë, auec deſſein d’attaquer l’arriere-garde, de ſorte que ſans perte
17388Second Traicté reputation, on le fit tenir loing, iuſques à ce que l’armée & l’Artillerie auec tout ſon train
fut
paſſée?
Cap. Certes en tel endroit le danger eſt bien grand, & n’y a General ny Capitaine
ſi
fier &
hardy, qui alors ne ſoit obligé de marcher auec grande prudence, employant toute
ſa
diligence &
tout ſon ſçauoir, pour s’en depétrer auec honneur: s’eſtant meſme pour cet
effet
dés long-temps pourueu de ponts, bateaux, plattes &
autres telles choſes.
Cependant ſe trouuant en danger d’eſtre attaqué en tel endroit: il paſſera deuant tou-
tes
autres choſes 6.
ou 8. pieces des plus legeres, les logeant en telle ſorte, que ſous bonnes
couuertures
elles découurent bien le lieu dont on penſe que le danger pourroit prouenir,
faiſant
cependant du coſté de deçà eſleuer vne grande demie-lune, &
y logeant tellement
le
reſte de l’Artillerie, qu’elle découure les approches de l’ennemy, &
flanque les amis, afin
que
ſans de ſordre ils puiſſent paſſer.
Et les pieces de l’autre riue iouëront touſiours, en telle
ſorte
que l’ennemy ne ſe puiſſe ſans danger manifeſte approcher de l’arriere-garde:
en
quoy
leur ſera de ſingulier ſeruice, s’il y a quelque commandement à leur auantage.
Choſe
qui
ſans doute le fera tenir au loing, ſans donner malgré qu’il en aye aucun empeſchement
audit
paſſage.
Et s’il y a du ſoupçon, qu’il pourroit attaquer les derniers: on fera vn petit
retranchement
, y logeant quelques vnes des plus petites pieces auec certain nombre des
mouſquetaires
, qui y demeureroient iuſques à ce que tout ſoit paſſé, eſtants eux auec les
derniers
bateaux, les derniers audit paſſage, ſous la couuerture des pieces de l’autre riue.
En cette maniere ſe gouuerna ce tant renommé guerrier Alexandre Farneſe Prince de
Parme
&
de Plaiſance, General de l’armée de ſa Majeſté en ces eſtats, quand par l’aduis &
conſeil
de Monſieur de la Motte, qui en l’abſence du Comte Charles de Mansfeld, auoit la
charge
de l’Artillerie, il paſſa auec loüange digne d’eternelle memoire, aux confins de la
ville
de Nimegue, la V valle, fleuue &
profond & dangereux, dont l’iſſuë en fut ſinguliere-
ment
heureuſe.
Gen. Il y a certes employé grande prudence, diligence, & magnanimité, comme
auſſi
la neceſſité le requeroit.
Mais dites-moy ie vous prie, quel eſt le but, auquel le Gene-
ral
doit en telle neceſſité principalement viſer.
Cap. Certes alors tout l’heur de l’armée dépend de la prudente dexterité du Gene-
ral
de l’Artillerie:
& comme en toutes autres charges militaires il ſe faut garder bien ſoi-
gneuſement
de commettre quelque faute:
ainſi en eſt-il principalement de celle-cy, d’a-
uoir
ſoing qu’en toute loyauté &
fidelité tous les autres s’employent brauement & dili-
gemment
chacun en ſa charge, afin qu’ils ne ſoient tous enſemble mis en deſarroy ou dan-
ger
, par la negligence &
inaduertence du chef de l’Artillerie. le vous raconteroye volon-
tiers
l’incroyable diligence, les ruſes &
les prudents ſtratagemes que i’ay veu pratiquer aux
Generaux
, ſous leſquels iuſqu’a preſenti’ay ſeruy, n’eſtoit qu’il faudroit trop de temps à
vous
les reciter.
Mais ſur tout, d’autant que ſelon le commun prouerbe, l’œil du Seigneur
engraiſſe
le cheual, qu’il taſche de ſetrouuer touſiours preſent en toutes ſes entrepriſes,
pour
obuier promptement à toutes trauerſes, qui ſans y auoir penſé, ſe pourroient preſen-
ter
, ſur quoy ie vous raconteray cet exemple.
L’Admiral d’Arragon paſſant en Friſe auec l’armée de ſa Majeſté pour y trauailler
l’ennemy
, il ſe preſenta qu’auprés de V vittcomen, ville ennemie, &
laquelle il falloit gai-
gner
deuant toutes choſes, il falloit paſſer la Lippe, moyen fleuue.
Or Don Louys de Ve-
laſco
, General de l’Artillerie, ayant ordonné &
marqué les pieces ſuffiſantes pour l’entre-
priſe
, commanda que de nuict on les y paſſeroit:
& luy meſme ayant ſondé le gué, & trou-
la choſe faiſable, non ſeulement l’eau eſtant baſſe, mais auſſi le fond ferme, ſans ſe dou-
ter
d’autre danger, il s’en alla voir les autres batteries, tranchées &
couuertures, qu’il auoit
ordonné
de faire contre ladite ville.
Mais l’iſſuë ne fut telle qu’il auoit penſé. Car les pie-
ces
legeres eſtans paſſées facilement, ily eut vne grande quifut la derniere à paſſer, qui
17489De l’Artillerie. fonça tellement qu’il n’y auoit ny artifice ny force de cheuaux qui l’en peuſſentretirer. Le
Lieutenant
y fit redoubler le nombre de cheuaux, mais en vain, de ſorte que ce n’eſtoit
que
perte de temps, &
danger d’eſtre contraint de laiſſer la piece embourbée à la mercy
des
ennemis, leſquels en eſtoient fort peu éloignez.
Iuſques à ce que prenant le conſeil de
moy-meſme
, i’enuoyay le plus ſecrettement qu’il m’eſtoit poſſible, vn commis deuers le-
dit
General, l’aduertiſſant par le menu de tout ce qui s’eſtoit preſenté, &
de quelle impor-
tance
ſeroit ſa preſence, pour faire debourber ladite piece.
Lequel y vint en haſte, & ayant
veu
le trauail &
le danger, fit incontinent atteler, y laiſſant auſſi les cheuaux, les cordes à
la
main, cõmandant auec douceur que tous ceux qui s’y trouueroient preſents tant ſoldats
que
gens de ſeruice s’y employaſſent auec force &
diligence, qui du premier effort l’en fi-
rent
auec grand ioye &
admiration ſortir. Choſe qui ne fuſt aduenuë ſi toſt, ſi ledit Gene-
ral
n’y euſt eſté preſent.
Par la verité de cette hiſtoire, V. S. peut cognoiſtre l’importance
de
la preſence du General, pour obuier aux defauts auſquels on pourroit encourir.
Gen. Ma foy elle eſt d’importance bien remarquable, & m’en ſouuien dray touſiours,
afin
que s’il plaiſt à Dieu m’appeller à cette charge i’en puiſſe faire mon profit, comme auſ-
ſi
des autres bonnes inſtructions que m’auez données:
deſquelles ie vous remercie bien
affectueuſement
, me ſentant obligé de le recognoiſtre toutes fois &
quantes que l’oppor-
tunité
ſe preſentera.
CHAPITRE I.
De la façon des chandeliers & des blindes, pour la couuerture tant des
batteries
, que de ceux qui ſont icy.
LEs chandeliers ſe font en la forme traçée en la figure 15. γ, & de telle hauteur,
qu’eſtans
reueſtus des blindes, ils puiſſent ſuffiſamment couurir ceux qui ouurent
les
tranchées, &
trauaillent aux batteries: ayant vne pointe éloignée de l’autre,
en
ſorte que deux ou trois ſaulſices ou grands fagots s’y puiſſent mettre l’vn ſur l’autre.
II
n’importe
quelle ſorte de bois on y employe, moyennant qu’il ſoitbon, ſain, &
leger, pour
les
pouuoir tranſporter, meſmes reueſtus, d’vn lieu à l’autre.
Ces chandeliers ſont fort propres, pour faire vne blinde à l’eſpreuue: comme au ſiege
d’Oſtende
on s’en eſt ſerui en la chauſſée de Buquoy, les doubles &
groſſes ſaulſices
n’eſtoient
ſuffiſantes pour en retenir &
couurir la fabrique.
On s’en peut auſsi ſeruir aux ouuertures des tranchées, ou aux paſſages des foſſez, com-
me
on fit deuant Rhinberg au quartier Eſpagnol, on a trouué par experience, qu’en
ſemblables
entrepriſes elles ſont ſingulieres, notamment és lieux fangeux, eſquels les re-
ueſtans
de fagots &
les y iettans, on peut paſſer ſans aucun danger.
Quant aux blindes, combien qu’on n’en puiſſe nommer le premier autheur, l’inuen-
tion
en eſtant tres-an cienne, ſi peux-ie bien aſſeurer qu’elles ſont auſsi de ſinguliere vtili-
, pour ſe couurir en peu de temps, &
oſter à l’ennemy la veuë de nos labeurs. Ils ſe font
comme
la figure 15.
β le monſtre. On fiche en terre quelques paulx de la hauteur d’vn
homme
, &
de l’eſpoiſſeur de la cuiſſe, en nombre que la longueur de la couuerture qu’on
veut
faire requiert, diſtans quatre ou cinq pieds l’vn de l’autre, les reueſtans &
entrelaſſans
des
plus longs ramages de ſaulx ou de coudre qu’on peut auoir, les liant bien fort &
entaſ-
ſant
enſemble.
Cet ouurage eſt tel, qu’en vn demy iour auec grand auantage on peut quaſi
couurir
la moitié d’vne campagne, auec tous les labeurs qui s’y font:
comme on a bien ex-
perimenté
, tant au ſiege d’Oſtende qu’en l’Iſle de Bommal, ſans ce qu’on s’en ſert auſsi fort
commodément
aux couuertures des batteries.
17590Second Traicté
CHAP. IIII.
La façon des petites & grandes ſanlſices, qui en a eſté Pinue nteur,
& le ſeruice quon en a eu au ſiege d’Ostende.
DVrant le ſiege d’Oſtende, il ſe preſenta deuant ſon Alteſſe vn certain ſien vaſſal,
nommé
A drian Hermanſen, maiſtre ſingulier au fait des digues, chauſſées, &
au-
tres
telles beſongnes aquatiques, faiſant profeſſion d’vne inuention de ſaulſices
de
camp, ſingulierement profitables pour retenir la violence des eaux, renforcer les di-
gues
ou chauſſées, &
patſaire autres labeurs ſemblables. Lequel fut bien gracieuſement
receu
de ſon Alteſſe, qui ne deſiroit autre choſe, ſinon que ſon entrepriſe fut aduancée,
pour
le bien de laquelie il y falloit beaucoup detelles beſongnes:
Et luy ayant donné let-
tres
de credit, auec commandement de luy fournir toutes choſes à cela neceſſaires, elle
luy
adioignit pour aide vn charpentier, auſſi bon maiſtre de ſon meſtier, nommé Abraham
Melin
.
De ſorte que ces deux, entreprenans courageuſemẽt cette œuure, on vit dés le pre-
mier
commencement qu’elle ſeroit de grand profit, comme on l’experimenta au progrés
du
temps, chacun eſtant contraint de confeſſer qu’il n’y auoit iuſques alors eu inuention
plus
propre &
auantageuſe pourteleffet. Mais l’inuenteur decedé, elle eſtoit en danger
de
retourner en derriere, ſi le fils d’iceluy nommé Antoine Adrianſen ne ſe fuſt mis en la
place
de ſon pere.
Dont reprenãt courage, on cõmença en peu de tẽps à éleuer & hauſſer
tous
les forts, qui ſelon la neceſſité auoient eſté faits en l’eau, par le moyen deſdites ſaulſi-
ces
.
Mais icelles eſtans encor quelque peu trop legeres, & la terre de laquelle elles eſtoient
farciess’en
eſcoulant peu à peu auec le mouuement des vagues qui battoient à l’encontre,
ils
s’aduiſerent de les remplir de cailloux &
de briques, pour les faire plus peſantes & plus
ſermes
.
Choſe qui euſt l’iſſuë ſi heureuſe, qu’on en print occaſion d’en paſſer plus auant.
Et le Comte de Buquoy entendant qu’on s’en pourroit bien proprement ſeruir, pour
en
baſſe marée faire vn fort ſi proche de ladite ville, qu’il ſeroit poſſible, pour en preſſer
l’ennemy
de prés, &
luy empeſcher l’entrée des nauires de ſecours, en donna aduis a ſon
Alteſſe
:
& s eſtant choiſi vn lieu commode, auec le conſentement d’icelle, il baſtit en peu
de
temps, au quartier de Bradene, vn fort, &
y logeant quelques pieces d’Artillerie, par
leſquelles
il briſa &
enfonça plus de 200. vaiſſeaux, de ſorte que l’ennemy auec grand la-
beur
fuſt contraint de ſefaire vn autre canal, duquel toutesfois il ne pouuoit gueres iouyr.
Le Comte de Buquoy, par le commandement de ſon Alteſſe, s’en approcha auec vne di-
gue
ſaite auſſi de ſaulſices, d’où il le moleſta auec 12.
pieces d’Artillerie qu’il y auoit
plantées
.
De cette digue ou chauſſée on print occaſion de paſſer plus auant en l’inuention des
ſaulſices
:
Car il y eut vn certain Chriſtofle Propergenius, qui v oyant que de pluſieurs ſaul-
ſices
jointes &
bien liées enſemble, on pourroit faire vn grand ſaulſiçon, duquel on ſe
pourroit
ſeruir pour quelque grande entrepriſe, s’accoſta d’vn cheualier, &
le pria d’en ad-
uertir
ſon Alteſſe.
Donc en fin l’eſpreuue en fut faite, & en reuſſit vn grand ſaulſiçon, de
grand
labeur &
deſpens, mais de peu de profit, pource qu’il eſtoit ſi exceſſif en grandeur
&
peſanteur, qu’il n’y auoit moyen de le mouuoir, iu ſques à ce queledit Comt ede Buquoy
le
partit, en faiſant deux ſaulſiçons de meilleur maniement.
Et en vint-on ſi auant à la
pratique
d’icelles, que meſme on s’aduiſa, comme nous auons dit au chapitre prece-
dent
, d’en reueſtir les chandeliers, &
en parfaire ladite digue.
Or comme on voit en la figure 15. α, ils ſont faits des plus longs ramages de branches
d’arbres
, leſquels eſtans agencez en longueur, telle qu’on veut auoir la ſaulſice, &
176
[Empty page]
17741[Figure 41]
178
[Empty page]
179
[Empty page]
18042[Figure 42]
181
[Empty page]
18291De l’Artillerie. entremeſlez de terre & de pierres. doiuent eſtre bien eſtroittement liez en diuers endroits,
&
ainſi faits, on les roule l’on veut. Inuention ſinguliere pour s’approcher des lieux
maritimes
, ou ſituez proche des grandes riuieres.
Le ſaulſiçon eſtoit dés le commencement de ſon inuention fort lourd & peſant, mais
auec
le temps il eſt deuenu plus maniable, de ſorte qu’à preſent on s’en peut ſeruir:
com-
bien
que non ſans grand labeur, comme on voit en la figure.
Au commencement on le fit
à
46.
pieds de longueur, & 15. d’eſpoiſſeur, charge bien grande & fort difficile à manier:
Mais apres, ennuyé de telle difficulté, on l’a amoindri, le faiſant venir à 23. pieds de lon-
gueur
, &
12. d’eſpoiſſeur: & le fermant auec grande violence de trois cercles, comme
on
voit és lettres A, B, C, bien accrochez &
garnis de fer, & le corps meſme de la ſaulſice
bien
entaſſé de cheuilles longues, qui s’y enchaſſent à grands coups de marteau.
Et pour
le
mouuoir &
rouler l’on s’en veut ſeruir, la figure en donne ſuffiſante in ſtruction. A
ſçauoir
ſi on eſt à couuert de l’Artillerie ennemie, on fiſche bien auant deux pillotins forts
en
terre, auſquels attachant vn bout de la corde, on en donne vn tour à la ſaulſice, &
ainſi
par
le moyen des perſonnages, ou cheuaux ſuffi ſans on les tire iuſques auſdits pillotins,
qui
alorsle tranſportent plus auant, iu ſques au lieu ladite ſaulſice doit auoir ſon giſte.
Et
pour
faciliter le mouuement on y peut auſſi appliquer l’inſtrument qu’on voit en la figu-
re
, ou quelque autre ſorte de leuier, ſelon que la commodité ſe preſentera.
Mais ſi on a
peur
de l’Artillerie ennemie, il faut aller d’vne autre façon, au lieu de pillotins on prend
deux
ancres, qui ayent des poulies aux anneaux de leurs queuës, par leſquelles faiſant paſ-
ſerles
cordes deſquelles vn bout eſt attaché à vn pillotin, fiſché en terre au derriere de la
ſaulſice
, de ſorte qu’elle paſſe par deſſus, &
de l’autre bout donnant auſſi vn tour audit
ſaulſiçon
, onle tire par derriere, l’auançant touſiours à couuert d’iceluy.
CHAP. III.
Comment il faut conduire vne mine, & faire vne
gallerie
en vn foßé.
L’V ſage des mines eſt tres ancien & commun, vſitédes Perſes, Parthes, Grecs, Ro-
mains
, &
tous autres peuples, qui ont mené de grandes guerres: & ce non ſans rai-
ſon
, eſtant le moyen plus propre &
facile pour forcer l’ennemy. Mais cependant
il
n’y a auſſi choſe plus dangereuſe pour celuy qui s’en veut ſeruir, que les contremines.
De ſorte que s’il y a du ſoupçon d’eſtre ainſirencontré, il fautauec grande dexterité & pru-
dence
decliner le chemin de l’aduerſaire, ſoit à dextre ou à ſeneſtre, comme l’occaſion &

le
lieu le permettra.
Et d’autant que ſelon les raiſons naturelles des effets de la crainte, les
aſſiegez
cherchent touſiours le plus court chemin pour endommager leur ennemy par
contremines
, le mineur s’auiſera touſiours de courber ſa mine, comme la figure 16.
mon-
ſtre
depuis A, iuſques à B, &
depuis B, iuſques à C, & preparera le four, & l’armera de
poudre
, en ſorte que luy donnant le feu il face ſaulter les ennemis, ſans endommager les
amis
qui auront leurs ſtations à l’enuiron.
Et afin qu’elle ne s’enfonce, & oppreſſe ceux qui
y
trauaillent, il la faut bien fourrer.
Pour lequel effet il dreſſera les pilliers des coſtez en
hauteur
de 7.
pieds, ſi le lieu le permet, & en largeur de 5. pour les parois des coſtez, les y
reueſtant
de planches de pin:
mais au haut il les fauttrauerſer ou couurir de bonnes & for-
tes
tables de cheſne.
Et ſi le lieu eſtoit humide ou ruiſſelant, il la faut auſſi couurir par em-
bas
de meſme que deſſus, y laiſſant vn petit canal, par lequel l’eau s’eſcoule, ou bien y
creuſant
par interualles de petites foſſes, pour en puiſer l’eau qui s’y aſſemblera, auec des
ſeaux
de cuir, &
les faire vuider de main à main, comme on fait la terre des mines.
18392Second Traicté
Et eſtant au miner auec ſoupçon de contremine, il ne faut paſſer auãt, ains auec des tarie-
res
longues &
propres, qu’on a de couſtume de tenir preparées à cette oc caſion, il faut per-
çer
la terre de toutes parts, pour entendre de quel coſté l’ennemy trauaille:
lequel ne pour-
ra
eſtre ſi ſecret qu’on n’en oye le bruit, principalement par leſdites perçeures du tarau,
dont
il s’aſſeurera tant de l’approche de la contremine, que du quartier qu’il doit prendre
pour
la decliner.
Eſtant paruenu au lieu de ſtiné, & garnile four, auec de la poudre ſuffiſante, il le faut
bouſcher
auec grande diligence, qu’il n’aye de l’air, ſinon par le ſeul pertuis, par lequel
auec
vne meſche d’eſtouppes, &
trainée de poudre fine, on luy donnele feu: celuy qui
la
doit allumer ſera bien aduiſé, qu’il ne laiſſe ladite meſche trop longue, qu’elle ne tarde
trop
à enflamber la poudre du four:
& d’autre-part auſſi, qu’elle ne ſoit trop courte, don-
nant
le feu au four deuant qu’il en ſoit ſorty à ſauueté, &
luy y demeure pour les gages de
ſon
inaduertance.
Du moyen de les mettre en œuure, n’eſt pas beſoing d’en faire long recit, la choſe
eſtant
commune &
aſſez cogneuë: ſeulement qu’on ſoit aduerty, que l’entrée en la hau-
teur
&
largeur ſuſdite doit eſtre ſi ſecrette & cachée, que l’en nemy en nulle maniere ne
s’en
puiſſe apperçeuoir:
& la neceſsité le requerant, on peut au progrés amoindrir ladite
meſure
, en ſorte qu’au lieu de B, on ne luy donne que cinq pieds de hauteur, &
quatre de
largeur
, &
tant qu’on s’approche de la fin, tant moins on luy donnera de largeur, & venant
au
four, il ſera aſſez qu’on y puiſſe ſeulement paſſer les tonneaux de la poudre.
Sur tout, il faut que le mineur auant de commencer ſon ouurage ſoit bien adroit à
prendre
la meſure de la diſtance qu’il y a entre le commencement de ſa mine &
la fin, auec
tres-preciſe
intelligence de corbées &
detours, combien il leur faudra bailler, pour ne
point
faillir du lieu elle doit auoir ſon iſſuë.
Autrement tout le labeur en ſera difficile,
incertain
, &
tres-dangereux.
Quant aux galleries, deſquelles on voit vne trace auec la mine γ: C’eſt auſsi vne in-
uention
bien vtile, quand on veut paſſer à couuert quelque foſſé ou rempli d’eau, ou ſec:
&
peuuent
eſtre reduites en quelques membres ou parties, pour eſtre tant plus facilement
tranſportées
de lieu à autre, &
eſtre rejointes ou on en veut vſer, les couurant de fagots
&
de quelque peu de terre, ou de mottes nouuelles & humides, afin que l’ennemy ne les
endommage
de ſes feux artificiels.
Elles ſe peuuent faire grandes & petites ſelon l’occa-
ſion
, ayant neuf pieds en hauteur, &
ſix en largeur: combien que quanta la largeur, tant
plus
qu’on luy en donnera, tant ſeront-elles meilleures, admettans tant plus de gens au
paſſage
.
CHAP. IIII.
Comment pour quelque entrepriſe on peut faire vn pont
cn
vn bateau.
MAinte occaſion ſe preſente en la guerre, qui eſtant par quelque defaut paſſée, ne
peut
eſtre repriſe:
Et prin cipalement autour des fleuues, le defaut d’vn
pont
, l’abord fangeux ou autrement incommode en fait negliger pluſieurs,
qui
apprehendées pourroient eſtre de grande conſequence.
Or comme il faut eſtre preſt à tous euenements: en ſemblables lieux la prouiſion
d’vn
pont, tel que la figure 17.
β le monſtre, ne pourroit eſtre que tres-vtile, en l’appro-
chant
ſubitement d’vn lieu qu’on veut ſurprendre, eſtant arriuéen vn inſtant, on pour-
roit
mettre en terre telle quantité de ſoldats, que les ſurpris ne leur pourroient ſi facile-
ment
reſiſter.
184
[Empty page]
185 43[Figure 43]
186
[Empty page]
18793De l’Artillerie.
En vn fleuue quine ſeroit trop large on le pourroit redoubler, ayant deux aiſles, qui s’ ab-
baiſſans
receuroyent d’vn coſté les gendarmes pour les mettre ſubitement à l’autre, contre
les
ennemis, pour les forcer en ſorte qu’ils ne puiſſent aucunement empeſcher le deſſein,
principalement
quand pour faciliter l’affaire il y auroit en l’autre riue quelques pieces
d’Artillerie
pour les couurir.
Ledit pont ſe fait fort facilement, en erigeant deux pilliers en vn bateau bien affermy
de
trauerſes par embas, &
enchaſſez en vne trauerſe d’enhaut, comme vn gibbet, y eſtans
armez
de poulies, par le moyen deſquelles leſdites aiſles ſe peuuent hauſſer ou baiſſer faci-
lement
, &
mettre les gens en terre, qui en deſcendant ou montant par le fleuue, en ſeront
couuerts
dans le bateau.
Ou bien ſi l’entrepriſe manque ils y ſeront receus en haſte, & s’y
retireront
, puis ſeront couuerts du danger, les aiſles eſtant leuées.
Ces aiſles ſe font non ſeulement de bon planchage de ſapin, mais auſſi de forte ou
groſſe
toille, auec des tirants de cordes, &
garnies par deſſous de cordages entrelaſſez,
comme
on voit au deſſus des nauires de guerre.
Et ne trouuera le lecteur cette façon eſtran-
ge
:
car il y a deſia de l’experience de ſemblables ponts, bien propres & de grande vtilité.
L’an 1599. l’Admiral d’Arragon paſſant auec l’armée de ſa Majeſté en Friſe, le Gene-
ral
de l’Artillerie Don Louys de Velaſco, auoit en ſon train vn pont aſſez long, departy
toutesfois
en quelques pieces, fait de toille eſtenduë ſur ſemblable cordage, ayant aux co-
ſtez
la garniture de perches de ſapin, &
les tirants de groſſes & fortes cordes. Lequel pont
il
armoit ſur des petits bateaux quelque peularges, mais n’ayans qu’aulne &
demie de bord,
ils
eſtoient ſi legers qu’on en pouuoit charger trois ſur vn chariot:
duquel pluſieurs fois il
s’eſt
ſeruy auec grand profit de toute l’armee, quand il falloit paſſer l’infanterie par quelque
lac
ou mareſcage, auquel on ne pouuoit auoir les grands nauires pour faire les grands põts.
De ſorte qu’on ne ſe mocquera de ce mien pont, duquel i’aſſeure que pour vne entrepriſe
ſubite
, il ne manquera d’eſtre de grande commodité &
profit.
CHAP. V.
Comment en vn grand ſteuue on peut armer ſur des bateaux vn grand pont pour paſſer
non
ſeulement l’ Infanterie, mais außila Caualerie, voire l’Artil-
lerie
, auec tout ſon chariage.
AV Dialogue XXVII. i’ay monſtré le grand ſoing auquelle General de l’Artillerie
eſt
obligé, que s’il eſt queſtion de paſſer quelque grand fleuue, ou le ſerrer, pour en
oſter
la commodité à l’ennemy, il ſoit touſiours pourueu, en ſorte que de ſa partil
n’y
ait point de faute:
& combien qu’il ne pourroit touſiours conduire toute la prouifion
neceſſaire
en ſon train, il ſoit neantmoins de telle habilité qu’il en puiſſe ordonner ce qui
eſt
requis pour faire ſubitement vn pont, afin que l’entrepriſe ne ſoit retardée.
En la-
quelle
matiere on en eſt venu ſi auant, qu’il n’y a riuiere ſi grande qui ne puiſſe eſtre con-
trainte
d’en porter le joug, comme on a veu és plus renommées de ces quartiers, à ſçauoir
au
Rhin, &
en la Scalde aupres de la ville d’Anuers. Toutesfois il ne ſera hors de propos
que
nous en donnions en la figure 17.
quelque petite traçe, monſtrans comment en ſembla-
bles
riuieres ces ponts doiuent eſtre faits.
Premierement on prend autant des bateaux de la largeur de 14. pieds ou enuiron,
que
la diſtance d’vne riue à l’autre requiert, à raiſon d’eſtre eſloignez auſſi de 14.
18894Second Traicté l’vn de l’autre, leſquels bien affermis ſur leurs ancres, ſont arrangez en ligne droite des
proües
contre l’eau.
Apres il faut auoir pour couurir & ioindre cette diſtance entre leſdits
bateaux
, trois arbres pour chacune ayant en longueur 28.
pieds: les 14. pour couurir l’en-
tredeux
, &
les autres pour entrer de 7. pieds de chacun coſté ſur leſdits bateaux: & eſloi-
gnez
auſſi de 7.
pieds l’vn de l’autre, en ſorte que le pont ſoit large de 14. pieds, qui eſt vne
largeur
ſuffiſante pour paſſer tant la caualerie, que l’Artillerie, &
ſon chariage en ordre.
Puis ily faut auoir ſur chacun bateau, trois arbres plus courts que leſdits, à ſçauoir de
telle
longueur, que couurant ledit bateau, ils ſurpaſſent le bord de l’vn &
de l’autre coſté,
pour
le moins de 3.
pieds, auſquels les precedents ſeront auec grand ſoing attachez, pour
faire
tout l’ouurage tant plus fort &
plus ferme.
Ces arbres ainſi logez, ſeront apres couuerts de planches de cheſne, ayans en longueur
17
.
pieds, en largeur pied & demy, & 3. doigts d’eſpoiſſeur. Et voila la fabrique du pont,
dont
ſelon l’occaſion du lieu, &
des bateaux qu’on y peut auoir, la meſure peut eſtre ou
augmentée
ou diminuée.
Et ſi le bord du fleuue eſtoit bas, ſablonneux ou fangeux, de ſorte qu’il y eut quelque
difficulté
d’approcher l’Artillerie dudit pont, on pourroit eſleuer ou couurir autant d’eſpa-
ce
que la choſe demanderoit, de fagots &
de terre, les affermiſſant aux coſtez de pilottins
fichez
en terre, &
puis on reueſtiroit le tout d’ais de cheſne comme deſſus, afin que le che-
min
y fut plain &
commode, ſe remettant à l’induſtrie & experience du charpentier, con-
ducteur
de toute l’œuure.
Etafin que nous ſoyons mieux entendus, nous le declarerons par vn exemple. Poſons
qu’ily
a vn fleuue, qui d’vne riue à l’autre a 378.
pieds de largeur. Il eſt donc queſtion, quel
ordre
&
quelle prouiſion, tant de bateaux que d’autres appartenances il y faudra auoir pour
le
couurir d’vn pont ſuffiſant, pour paſſer toute vne armée auectout ſon train.
Premierement il faut regarder la largeur des bateaux que l’on y a pour prendre d’iceux
la
largeur des interualles, qui doit reſpondre auſdits bateaux, en ſorte qu’iceux eſtans de
deux
pieds;
les interualles ſoient de meſme largeur.
Puis remarquant qu’il y faut vn interualle pour chacune riue, de ſorte qu’ily aura vn
plus
que de bateaux, on oſte du nombre deſſus dit de 378.
pieds, vn interualle: & le reſte,
les
interualles eſtans ainſi eſgallez aux bateaux, eſt reparty par 28.
dont reuſſira la ſomme
de
13.
pour autant des bateaux & 13. interualles, auſquels celuy qu’on auoit oſté au com-
mencement
, eſtant adioint, fera le quarorzieſme.
Il y aura donc 13. bateaux & 14. inter-
ualles
.
Lequel comptefait, le reſte ſe trouuera facilement. A ſçauoir pour 14. interualles,
42
.
arbres longs, & pour 13. bateaux 39. courts, les longsa 28. & les courts à 20. pieds.
Qui eſt la prouiſion principale pour tel effet: moyennant qu’on ſoit auſſi pourueu de bons
ancres
&
cables.
S’il y auoit danger que le pont fut attaqué de l’ennemy, maiſtriſant ladite riuiere ou
fleuue
, il faudra non ſeulement faire à chacun coſté vne demie lune, ou vn autre fort pour
le
deffendre, mais auſſi on l’obligeroit à s’en tenir loing, par le moyen des feux artificiels
iettez
ſur ſes nauires, voire s’ily a commodité faire conduire quelques petits bateaux de feu
entre
ſon armée, qui receuans le feu en temps propre ſe creuent les endommageant, ſi non
tous
, pour le moins en partie.
Et afin que ſes bateaux ne puiſſent approcher pour endom-
mager
noſtre pont, on y fera ancrer, à 5.
ou 6. pas du coſté ily adu danger, vn flottage,
de
longs, gros &
forts arbres, bien liez & clouez enſemble, & armez en front de tren-
chants
&
grandes pointes crochetées, de ſorte que les batteaux courans à l’encontre pour
les
rompre, y demeurent ou briſez ou pris.
Et quand aux bateaux ſur leſquels le pont eſt armé, il les faut viſiter ſouuent, qu’ils
ne
facent eau, &
s’ily en a d’intereſſez, qu’ils ſoient refaits de bonne heure. Pour lequel
effet
ily faudra auſsi auoir bon nombre de mariniers &
calefates, auec leurs
189
[Empty page]
19044[Figure 44]
191
[Empty page]
19295De l’Artillerie. pour s’en ſeruir au beſoing. Les gouuernaulx, leſquels on voit en la figure attachez aux
bateaux
, n’y ſont point neceſſaires, ains les en faut ofter:
cary demeurans il n’y faudroit
que
quelque petite boraſque de vent pour diſsiper toute l’œuure.
Ce qui, à mon aduis, ſuf-
fira
pour vne entiere inſtruction, quant à la façon d’vn tel pont, auquel il ne ſera mal à
propos
d’adiouſter quelque petit appuy au coſté, afin qu’on ne tombe ſi facilement en
l’eau
.
Ladite figure 16. γ monſtre comment on peut en haſte faire vn petit pont ſur des ton-
neaux
, ou ſur autre charpenterie, auec des rouës:
de ſorte qu’on le pourroit auſsi conduire
auec
le reſte du train, pour paſſer quelque foſſé ou petit fleuue, eſtant couuert au coſté de
toille
.
Et afin que l’ennemy ne puiſſe endommager leſdits ponts de ſes feux artificiels, il faut
faire
bonne prouiſion de peaux de bœuf, tant pour les en couurir, que pour eſtouffer les
boulets
de feu qui ſeront iettez deſſus.
C’eſt aſſez des ponts, & du moyen de les preſer-
ſer
, m’aſſeurant que bons guerriers, &
curieux Ingenieurs auront aſſez de matiere pour
faire
leur profit, tant pour la fabrique de ceux-cy, que pour l’inuention d’autres.
CHAP. VI.
Comment & auec quels inſtrumens on peut rompre les treillis & portes,
tant
de fer que de bois. Fig. 16. γ.
POur rompre les paliſſades, treillis & barres de quelque ville, chaſteau, ou forte mai-
ſon
champeſtre, on ſe ſert de l’inſtrument noté d’A, qui eſt le troçador, l’y appliquant
&
ſerrant, comme la figure le monſtre. Ou de la ſcye B, en ſcyant les iointures, ou
du
pied de cheure C, lequel on fourre entre leſdites iointures pour les deſioindre par for-
ce
, ou de la coignée D.
Mais ſi l’entrepriſe doit eſtre executée en ſecret ou ſans bruit, en
ſorte
que les coups des inſtrumens ne ſoient point entendus, on y attachera, ſe couurant
de
l’obſcurité de la nuict, le mieux qu’on pourra vne rouë de feu artificiel, comme on voit
en
la figure, qui en peu de temps fera l’ouuerture aſſez large pour faire paſſage aux hom-
mes
neceſſaires.
Les meſmes inſtrumens ſe peuuent auſsi appliquer à la défaite des gran-
des
barres des portes, és villes &
chaſteaux, ſi on y peut ſecrettement approcher: Car au-
trement
il n’y a moyen plus prompt de faire ouuerte à quelque paſſage que l’Artillerie,
auec
laquelle on ne ſe ſoucie gueres d’ouurir les portes, eſquelles il y a couſtumierement
pluſieurs
deffences qui y pourroient cauſer quelque danger, veu que l’on a aſſez de place
pour
faire vne entrée, meſme par les baſtions &
les courtines.
Si on veut enfoncer en ſecret quelque grande porte de ville, ou d’vn chaſteau, on a,
ſans
le petard duquel cy apres nous ferons mention particuliere, le fuſauant, 3.
& ſa bar-
re
A, duquel en tournant la croiſade X, on ne faudra de la ietter bien toſt à terre:
Et ſi par
dedans
elle eſt garnie de varroulx ou de chaines, combien qu’elles ſoient groſſes, ſi ſe rom-
pront-elles
facilement par les tranchants 4.
5. de la vis notée B. De meſme en ſera des bar-
res
de fer &
treillis des feneſtres. auſsi on ſe pourra ſeruir de la tenaille C, du marteau
de
fer à aureilles D, du marteau de bois 1.
& de la courte coignée 2.
Aupres deſdits inſtrumens eſt auſsi bien remarquable la façon & vſage de ce Char-
pont
, inuention bien propre pour paſſer vn foſſé, &
eſcheller quelque lieu de la ville, ou
du
chaſteau, ayant en vne piece, &
pont, & eſchelle, auec le chariot pour y charger auſsi
quelqu’autre
choſe pour le beſoing:
& quant aux petardiers, il faut, comme on voit en la
figure
13.
β, qu’ils en ayent, mais non pasſi grands.
19396Second Traicté
CHAP. VI.
La maniere de charger & attacher vn petard.
Fig
. 13. β.
LA forme & façon du petard ſe voit entre les lettres A, B, deſquelles A, monſtre
la
bouche, &
B, le fond, ou la culatte iuſques à la lumiere. Ileſt peſant, dont pour
le
tranſporteril le faut charger auec ſagroſſe &
forte table ou planche, E, F, ſurce
petit
char-pont C, D, propre non ſeulement pour le chariage, mais auſsi pour leuer &
at-
tacher
ledit petard en haut.
La tablea au milieu vn trourond A, auquel le petard eſt en-
chaſſé
de ſa bouche A.
En haut elle a ſes anneaux de fer, pour en eſtre penduë és vis G,
fourrez
&
tournez en la porte H. Eſt la corde qui donne le feu. Les ronds A A, ſont les
tappons
, deſquels le petard chargé eſt bouché.
Du coſté de dehors, le petard eſt enchaſſé en la planche, elle eſt ſimple & vnie: mais
de
l’autre coſté contre la porte, elle eſt garnie de lames de fer bien fortes.
Pour le charger on met tout au milieu vn baſton rond, & vn de la longueur d’vn demy
bras
, &
de l’eſpoiſſeur de deux doigts, puis on y met ſeulement vne demie liure de poudre
fine
à la fois, l’entaſſant touſiours à l’entour dudit baſton d’vn petit pillon de bois:
ce qui
doit
eſtre continué iuſques à ce que le petard aye ſa charge entiere.
Apres en tournant tout
doucement
le baſton du milieu, on le tire hors, mettant en ſa place autant de poudre fine
qu’il
y peut entrer, afin qu’eſtant allumée par la lumiere, elle enflambe en vn moment
toute
la charge:
puis on la bouche du tappon A, qui eſt de l’eſpoiſſeur d’vn petit doigt, ſur
lequel
on verſe de la cire fondue iuſques à l’eſpoiſſeur de deux doigts.
Et voilà la maniere
de
le charger.
Pour l’attacher, il faut premierementtourner les crochets G, ſur la porte, au lieu qu’on
entendra
le plus commode pour la briſer du tout, &
y ayant pendu la table, enchaſſer le
petard
en ſon lieu:
& afin qu’il ſetienne bien ferme, il y faut vne troiſiéme vis & crochet
auquel
paſſant vne corde par lemanche dudit petard, on l’affermit.
Eſtant donc ainſiattaché, ne luy reſte que de luy donner le feu. il faut que, comme
nous
auons dit du mineur, le petardier ſoit bien adroit, detemperer tellement la meſche,
qu’elle
ne donne le feu, deuant qu’auec ſes compagnonsil ſoit aſſeuré de n’eſtre atteind
de
la fureur diabolique de cette machine.
Fin du ſecond Traicté.
45[Figure 45]
194 46[Figure 46]
195
[Empty page]
196
[Empty page]
19797TROISIESME TRAICTE
COMPRENANT TOVTES SORTES
DE
LECONS POVR INFORMER VN
Canonnier de pluſieurs choſes neceſſaires à ſa perfection.
CHAPITRE I.
Comment par raiſons aſſeurées le Canonnier cognoiſtra ſi la piece eſt bien faite,
& ſous quelle eſpece elle est compriſe.
LA premiere choſe à laquelle le canonnier receuant vne ou pluſieurs pieces,
doit
prendre garde, eſt d’en remarquer la ſorte.
Et ſi c’eſt vne couleurine, de-
mie
, quart, faulconneau ou dragon, commune ou baſtarde, ou extraordinai-
re
, renforcée ou amoindrie, elle ſera de la premìere ſorte:
ſi c’eſt vn canon,
demy
, ou quart, elle ſera du ſecond ordre:
ſi c’eſt vn pierrier, piece de cham-
bre
, ou mortier, elle ſera de la troiſieſme.
Puis il verra ſi elle eſt de fer ou de bronze, de
quel
calibre &
de poudre pour ſe comporter en tout & par tout ſelon l’exigence d’icelle.
Pour le ſecond il faut qu’il regarde comment les cueilliers ou chargeoirs, nettoyeurs
&
refouloirs ſont conditionnez, s’il n’y a point quelque defaut. Ety trouuanttout ce qui y
ubirequis
, il les mettrapar ordre au coſté dextre du fuſt, l’y attachant proprement, en ſorte
que
la cueiller &
eſcouuillon ſoient tournez vers la bouche, & le refouloir & nettoyeur
ou
racleur vers la culatte.
Finalement mettant le refouloir en la piece tant qu’il peut, verra ſi elle eſt chargée, ou
ſi
quelque autre choſe y eſt entrée.
Ce qu’il trouuera facilement s’il donne quelque petite
marque
au baſton rez la bouche, &
leretirant le met ſur la piece au long, iuſques a ladite
marque
:
dont le refouloir venãtiuſtement à la fin de la lumiere, c’eſt ſigne qu’il n’y a rien:
Mais autant qu’il y viendra court, autant y aura-il de charge ou d’autres or dures en icelle.
Et encor qu’il ne s’y apperçoiue de rien, ſi prendra il la cueiller, la bouche leuée, & la
mettra
dedans, &
grattant legerement du bout le fond de l’ame, iuſques à la fin, & la y
donnera
deux ou trois petits coups, pour y receuoir la pouſſiere qui y pourroit eſtre.
Ce
qu’il
continuera tant qu’il n’y aye plus rien.
Puis remettant la cueiller en ſa place, il pren-
dra
l’eſcouuillon, duquel il frotera bien diligemment la piece par dedans, &
l’en retirant
tout
d’vn coup, en ſecoüera la pouſſiere, &
ce qui s’y trouuerra caché, continuant le meſ-
me
, iuſques à ce qu’il ſoit aſſeuré que la piece eſt bien nette.
Puis examinera auſſi la lumie-
re
, l’eſclairciſſant auec grande diligence, s’il y a quelque roüilleure ou ſoüilleure.
19898Troiſiéme Traicté
Cecy fait, il s’enquerra ſi la piece eſt ſaine & entiere en ſa fonte, ſans creuaces, eſpon-
ges
, ou pertuis, ou autres ſemblables defauts.
Pour cet effet, ſi le temps eſt clair & ſerain, il
poſera
la piece, la bouche contre les rayons du Soleil, y tenant vn miroüer de criſtal, ou
vne
dague bien polie &
luiſante, qui donnant ſes reuerberations, eſclairciſſe toute la pie-
ce
par dedans.
En tempscouuert il prendra vne petite chandelle de cire, laquelle attachée
au
bout d’vn baſton, &
miſe en l’ame, luy monſtrera tous lesdefauts qui y ſeront.
S’il y voit des creuaces, ou des petits pertuis comme en vne eſponge ou autre choſe
ſemblable
, qu’il s’aſſeure que ce ſera vne piece fort dangereuſe, &
que s’il la vouloit re-
charger
en haſte, qu’elle pourroit lefaire voler.
Dont pour y obuier, il aura, quand il ſera
beſoing
de la mettre en œuure, touſiours preſte vne eſcuelle d’eau, de vinaigre ou de leſſi-
ue
, auec deux ou trois bons eſcouuillons pour la rafraiſchir, &
lauer auec grande diligen-
ce
, qu’il n’y demeure aucune eſtincelle de feu caché, qui luy cauſe ledit danger.
Ioint qu’il
ſe
donne bien de garde de charger telle piece, combien que renforcée, ſelon la portée de
ſe
grandeur &
proportion, ains ſeulement ſelon la maniere des amoindries: car autrement
elle
ſe pourroit courber, &
deuenir du tout inutile, ou ſe creuer, endommageant tous
ceux
qui ſeroient à l’enuiron.
Il peut aduenir qu’il rencontrera vne piece, qui aura la bouche plus large que le reſte
de
l’ame:
comme on voit éspieces deſquelles on s’eſt beaucoup ſerui, qui par la continua-
tion
&
vehemence de tirer, ſe ſeroit élargie quelquepeu. Lors pour ne ſe tromper au choix
du
boulet, qui eſtant prins ſelon la meſure de la bouche, s’arreſteroit au milieu du tuyau
ou
de l’ame, en ſorte qu’on ne l’en pourroit bouger, il la meſurera par la croiſette, de la-
quelle
cy apres nous ferons mention, en tous endroits, &
lors choiſira le boulet, non pas
ſelon
le calibre de ladite bouche, mais ſelon la meſure du lieu plus eſtroit de l’ame, luy
donnant
auſſi le vent requis.
S’il rencontre vne piece qui a l’ametortuë, qu’il ſçache que c’eſt vn malirremediable,
dont
la renuoyera tout droit à la fonte.
Mais ſi neceſſairement il s’en falloit ſeruir, il pren-
dra
le boulet ſi petit, qu’il ne s’aheurtera en ce paſſage courbé;
& luy donnant double chaſ-
ſe
, ſe tiendra touſiours au contraire de la courbée, pour n’en perdre le coup entierement.
Il y a auſsi quelques pieces, eſquelles l’ame, combien que droite, ſe tient toutesfois
plus
d’vn coſté que de l’autre.
Choſe qui aduient parnegligence ou ignorance du fondeur,
les
moules ne ſont bien iuſtement compoſez, la colomne qui fait l’ame n’eſtant point iuſte
&
nettement au milieu. Qui eſt auſsi vne faute telle, que ſi on n’y prend bien garde, il ſera
impoſsible
de faire vn bon coup, la viſée ne ſe prenant point iuſtement ſur le milieu de
l’ame
, ſans encor le danger qu’il y a pour ceux qui ſont à l’enuiron.
Car cecy donnant ſa
charge
ordinaire ſelon ſa meſure &
proportion, qui ſurmonteroit la force de la part, ou du
coſté
plus debile, la piece ſe creueroit ſans faute aucune.
De ſorte que le canonnier aura
grand
ſoing de la bien meſurer, tant pour recognoiſtre le milieu de l’ame, pour y prendre
la
mire, que pour luy donner ſa charge propre, ſelon la force du coſté plus foible.
S’ilrencontre vne piece chargée, principalement ſi c’eſt dés long-temps, qu’il ſe gar-
de
bien de luy donner le feu, ains qu’auec bonne induſtrie il en retire la charge.
Premiere-
mentil
en retirera auec le nettoyeur ou tire-fond le morceau ſur le boulet.
Puis du char-
geoir
, le mettãt tout doucement la bouche leuée ſous le boulet, l’en retirera auſsi.
En apres
on
oſtera, comme auparauant, l’autre morceau mis ſur la poudre.
Finalement auec le char-
geoir
il en oſtera peu à peu la poudre, luy faiſant tenir vn tnelet ſous la bouche de la piece,
afin
que rien ne tombe en terre.
Cecy fait, il nettoyera l’ame, & la viſitera, comme nous
auons
dit cy deſſus, &
l’ayant bien nettoyée & eſſuyée, il y remettra enuiron vnelb. de
poudre
, à laquelle ayant donné le feu, il bouchera incontinent tant la bouche que la lumie-
re
, pour voir ſi elle donnera quelque fumée en autre endroit que par ces deux reſpiratoires
propres
.
A quoy auſsi il doit prendre garde: car s’ily voit de la fumée ailleurs, qu’il s’aſſeu-
re
que ſapiece n’eſt pas bonne, &
qu’il ne s’en pourra ſeruir ſans danger.
199
[Empty page]
200 47[Figure 47]
201 48[Figure 48]
202
[Empty page]
203
[Empty page]
204
[Empty page]
20599De l’Artillerie.
CHAP. II.
Comment il faut meſurer vne piece.
AFin que le canonnier ſe puiſſe aſſeurer de la force & eſpoiſſeur d’vne piece pour
luy
pouuoir donner la poudre requiſe, en ſorte qu’elle ne luy defaille au beſoing:
le luy propoſe en la figure 18. α d’vn coſté trois couleurines; la premiere commu-
ne
, la ſeconde renforcée, &
la troiſiéme amoindrie, auec toutes leurs meſures, ſelon leſ-
quelles
il recognoiſtra toutes les autres pieces.
Pour exemple on luy preſente vne couleurine commune, tirant 24. lb. de fer, auec
19
{1/5} lb.
de poudre, qui eſt la charge ordinaire des {4/5} du poids du boulet: Il faudra lors, qu’il
regarde
ſi les metaux de la piece pourroient ſupporter telle force de poudre, ou ſi la neceſ-
ſité
le requerant, on ne luy en pourroit donner dauantage.
Ce qu’il recognoiſtra par le
moyen
ſuiuant.
Premierement, auec ſa regle il fera ſur vne planche, ou autre choſe pro-
pre
, vne ligne droite, depuis A, iuſques a B:
puis d’vn compas de pointes droites, il pren-
dra
la largeur de la bouche de ladite piece, &
en mettra les poincts ſur ladite ligne, ſur le
poinct
A, enuers B, iuſques à C, lequel eſpace d’entre A, &
C, il departira en deux par-
ties
égalles, deſquelles il mettraledit compas ſur vne autre ligne droite au poinct D, &
en
faiſant
de l’autre pointe vn cercle, il aura l’ouuerture ou calibre de ladite bouche, comme
on
voit és lettres A, C, E, F.
Apres d’vn compas de pointes courbées, il prendra la largeur de la culatte de la piece,
à
l’endroit de la lumiere:
& l’ouuerture de ce compas, ſera par celuy des pointes droites
auſſi
diuiſé en deux égalles parties, deſquelles, commeauparauant, mettant l’vne des poin-
tes
ſur D, &
de l’autre, faiſant vn cercle, G, H, il aura la circonference des metaux en ce
lieu
, &
quant & quant l’eſpoiſſeur d’iceux a l’entour de l’ame, repreſentée par le premier
cercle
, &
és lettres F, & H, & de E, iuſques à G. Et voyant qu’ily a meſme diſtance d’F, iuſ-
ques
a H, que de E, iuſques à F, qui eſt le calibre de labouche de la piece, il s’aſſeurera que
c’eſt
vne couleurine commune, ſoit legitime, baſtarde ou extraordinaire, deſquelles la
difference
n’eſt pas au renfort ou eſpoiſſeur, ains en la longueur.
Et telle piece demandant
pour
ſes 24.
lb. de fer, 19 {1/5} lb. de poudre, pourſes {4/5} du poids de ſonboulet; ie dis qu’eſtant
ſans
defaut, elle les ſupportera ſans aucun danger.
Et pour en eſtre tant plus aſſeuré, il en
prendra
auſſi la meſure aux tourillons &
au col, comme s’enſuit.
A l’endroit de la ceinture qui eſt deuant les tourillons, il en prendra du compas de
pointes
courbées la meſure comme auparauant au renfort de la culatte, l’ouuerture duquel
il
diuiſera par le compas à pointes droites, en deux égalles parties, &
en mettant l’vn des
pieds
ſur la lettre D, en fera vn cercle L L, auquel il trouuera de F, iuſques à L, {7/8} du calibre
ou
diametre de la bouche A, C, qui eſt la iuſte &
proportionnelle eſpoiſſeur qui y eſt re-
quiſe
.
Le meſme ſe fait au col, dont reuient le cer cle M, N, auquel on voit que de F, a N.
il y a iuſtement vn demy calibre, qui auſſi en ce lieu eſt l’eſpoiſſeur neceſſaire & requiſe.
Mais ſi en prenant les meſures à la maniere ſuſdite, on trouue qu’a l’endroit de la
chambre
il y a depuis F, iuſques a H, 1 {1/8} calib.
c’eſt ſigne que c’eſt vne couleurine renfor-
cée
, ayant aux tourillons depuis F, iuſques à L, {16/15}, &
au col, depuis F, iuſques à N, {9/16}, du-
dit
calibre d’eſpoiſſeur.
Ettelle couleurine eſtant ſaine, tirera ſon boulet de 24. lb. auec
autant
de poudre fine, ſans aucun danger, &
la portée en ſera meilleure en toutes ſes mi-
res
, quenon pas auec la commune ſuſdite.
Etau contraire ſi eſdits cercles, depuis F, iuſques à H, on ne trouue que {7/8} à l’endroit de
la
lumiere, &
aux tourillons depuis F, iuſques à L, {13/16}, & au col depuis F, iuſques à N, {7/16},
206100Troiſiéme Traicté ſigne que la piece eſt amoindrie & bien foible de metaux, doncilne luy faudra donner que
16
{3/4} lb.
de poudre fine, & de la commune 21. lb. & en ſerala portée moindre que celle de
la
portée commune ſuſdite.
En cette maniere ſeront meſurées toutes les pieces de la premiere eſpece, auec cette
conſideration
toutesfois que la demie couleurine aura {1/24} plus de renfort, que la couleurine,
le
quart {1/12}.
Et l’octaue ou faulconneau {1/6} tirant ſon boulet de plomb auec {4/5} de poudre fine,
ou
de commune, autant que ledit boulet peſe.
De l’autre coſté de ladite figure on voit comment ſelon cette reigle ſeront meſurez les
canons
.
Et trouuera-on que le canon renforcé, aura à l’endroit de la lumiere vn calibre entier
d’eſpoiſſeur
, aux tourillons {11/16}, &
au col {7/16}: Le commun aura en chambre {7/8}, aux tourillons
{5/8}, &
au col {3/8} de ſon calibre: L’amoindria {3/4} en chambre, aux tourillons {9/46}, & au col {5/16}, lequel
auſsi
à cauſe de ſa ſoibleſſe tirera ſes 40.
lb. de boulet, ſeulement auec 17. lb. de fine, ou
22
.
lb. de poudre commune. Le renforcé pourra porter 23. lb. de poudre fine, ou 29. lb.
de commune. Et le commun chargera 20. lb. de fine, ou 26. lb. de poudre commune. Et
faut
noter du reſte, que le demy canon aura {1/36} de ſon calibre plus de renfort que le canon:

le
quart {1/24}, &
l’octaue de 5. lb. de boulet {1/15}.
Mais le canonnier n’eſtant pourueu des ſuſdits compas, il ſe pourroit ſeruir en la meſu-
re
de toutes ſortes de pieces &
de quelconque calibre, d’vne corde ou d’vn gros fillet: de
laquelle
ceignãt la culatte de la piece à l’endroit de la lumiere, il diuiſera toute la longueur
de
cette circonference en trois parties égalles, &
de l’vn de ces tiers il meſurera le diametre
de
l’ame en la bouche:
& trouuant que cedit tiers a trois de ces diametres ou calibres; ſi
c’eſt
vne couleurine, elle ſera commune;
ſi c’eſt vn canon, il ſerarenforcé. Dequoy on
ſera
aſſeuré en mettant le milieu de ce tiers ſur la bouche, &
trouuant à chacun coſté. vn
calibrede
reſte, qui eſt le renfort d’vne couleurine commune, ou d’vn canon renforcé.
De
ſorte
que tonte la circonference de telle piece a quelque peu plus que 9.
calibres en
chambre
, &
és tourillons 8. & au col 6. ſi c’eſt vne couleurine: mais le canon ayant 9. ca-
libres
à la chambre, en aura aux tourillons 7 {1/2}, &
au col 5 {2/5}.
La couleurine renforcée a de circonference en chambre 10. és tourillons 8 {3/4}, & au col
6
{2/4} calibres.
Lecanon commun a à l’entour de la chambre 8 {1/3}, aux tourillons 6. & au col 5 {2/5}.
La couleurine amoindrie a 8 {1/2} calib. de circonf. en ſachambre, aux tourillons 7 {4/5}, & au
col
5 {3/5}.
Le canon amoindri a de circonf. en chambre 7 {4/5}, aux tourillons 6 {3/5}, & au col 5 {8/9} cali-
bres
.
Dauantage le canonnier aura en ſes eſtuits vne eſguille longue, auec vn petit crochet
courbé
en angle droit, laquelle il mettra par la lumiere, iuſques au fond de l’ame, &
la
marquera
d’vn couſteau ou de craye, ou autre choſe ſemblable, tout rez ladite lumiere, puis
l’éléuera
iuſques à ce que le crochet ſe tienne à la partie ſuperieure de l’ame, &
la marque-
ra
derechef comme auparauant.
Finalement l’en retirant, il la tiendra deuant la bouche, en
ſorte
que ledit crochet ſoit auſſi au fond de l’ame:
& ſi la marque plus proche vientiuſte-
ment
à toucher le bord ſuperieur de l’ame, ce ſera vn ſigne certain que le tuyau eſt égal:
ſinon, ce ſera vne piece enchambrée ou encampanée. Et derechef, ſi l’eſpace qui eſt entre
les
deux marques de ladite eſguille reſpond iuſt ement à la largeur de la bouche, c’eſt ſigne
que
c’eſt vn canon renforcé.
Mais s’il y a faute d’ {1/8} ce ſera vn canon commun: Et s’il n’y a
que
{3/4} dudit calibre, ce ſera vn canon amoindri.
Or cette maniere ne ſert que pour reco-
gnoiſtre
l’eſpoiſſeur d’vne piece en ſa chambre, &
voir ſi elle eſt égalle, ou enchambrée,
ou
encampanée.
La plus induſtrieuſe & plus vtile maniere de meſurer vne piece, c’eſt celle qu’on voit
207101De l’Artillerie.
en la figure 19. α. Fay vne ligne droite de D, iuſques à C, & pren d’vn compas à pointes
droites
l’ouuerture de la bouche de la piece que tu veux meſurer, &
mets ces deux poin-
tes
ſur ladite ligne de C, enuers D, &
marqueras ce poinct dés C, ſur la ligne d’F, quiſera
la
largeur du calibre.
Puis embraſſe du compas à pointes courbées la piece par dehors, à
l’endroit
de la lumiere, &
en mets l’ouuerture auſſi ſur ladite ligne, commençant au poinct
C
, &
mettant l’autre enuers D, marquele lieu que la pointe demonſtrera d’vn E. Puis re-
partis
l’eſpace entre E, &
F, noté d’vn A, en deux parties égalles, deſquelles chacunete
monſtrera
l’eſpoiſſeur que la piece aura des metaux a l’entour de la chambre.
Or cette piece eſtant vn canon commun, tirant 40. lb. de fer, auec 20. lb. depoudre fi-
ne
, on en fait le compte ladite poudre ſur l’eſpoiſſeur de la chambre en diuiſant les {7/8} de
la
bouche en 20.
parties égalles, deſquelles chacune ſignifie vne lb. comme on voit au dia-
metre
du cercle H, O, N, noté deſſous (bouche.)
Et l’eſpoiſſeur des metaux ſe voit ſous
L
, M.
Le tout plus clair ſur la ligne D, C, en laquelle C, F, monſtrent la proportion de la
bouche
, &
vn huictiéme d’icellemarquée O, & que leſdits {7/8} d’eſpoiſſeur des metaux mar-
quez
d’A, E, dés le poinct O, iuſques à C.
Ie ne veux icy m’arreſter à la meſure des tourillons & du col, ny aux differences des
pieces
renforcées ou amoindries, toutes ne demandant qu’vne meſme maniere de meſu-
rer
:
ſeulementie veux aduertir le lecteur, que toutes ces meſures ne tendent à autre but,
que
de cognoiſtre la force ou foibleſſe d’vne piece, pour luy pouuoir donner la poudre à
l’aduenant
:
& qu’eſtant dangereuſe, on la manie dextrement, ſe preſeruant aútant que
poſſible
ſera du danger.
Dont ayant diuiſé les {7/8} du col en 20. parties égalles, illes tiendra
ſur
l’eſpoiſſeur des metaux notée M, L, &
s’il trouue qu’il y reſpond égallement, il don-
nera
ſans aucune crainte les 20.
lb. de poudre: mais s’il y a quelque faute, de ſorte qu’il
n’en
trouue que 19.
18. 17. & c. il reiglera la meſure de la poudre, à ſçauoir pour {19/20} 19. lb.
& pour {18/20} 18. lb. ramoindriſſant touſiours ainſi le poids de ladite poudre, ſelon le defaut
iuſques
à vn quart de lb.
voire iuſques à vne once, meſme iuſques à vn grain. Et d’autre
patt
, s’il trouue les metaux plus gros, il ira auſſi ſelon le nombre des vingtieſmes qui y
ſeront
, augmentant ainſi la poudre, en meſme ſorte &
proportion. Et cecy eſt vne
reigle
ordinaire &
infaillible, en toutes pieces de quelconque ſorte & calibre qu’elles
ſoient
.
La piece ainſi meſurée & viſitée en tous endroits, s’enſuit que la cueiller ou chargeoir
doit
eſtre faite à propos, ſelon la forme &
meſure traçée de B. Or comme les {7/8} deſſuſ-
dits
ſont diuiſez en 20.
parties égalles, ainſi en faut-il auſſi faire de la longueur des
trois
boulets, requis pour la charge d’vn canon commun, les departiſſant en 20.
par-
ties
, deſquelles chacune comprend demie lb.
de ſorte que les 20. lb. de poudre y
doiuent
eſtre miſes en deux fois.
Mais ſi la piece n’auoit que {19/20} de renfort, comme nous
auons
dit cy-deſſus, de ſorte qu’on ne peut luy donner que 19.
lb. il oſtera auſſi
{1/20} du chargeoir, de ſorte qu’en deux fois il ne tiendra auſſi que leſdites 19.
lb.
Prenant garde en toutes autres pieces, que le chargeoir n’ait non plus des vingtieſ-
mes
de capacité, que la piece, à laquelle elle doit ſeruir, en a au renfort de ſa chambre.
Et d’autant qu’il ne vient pas trop bien d’en coupper touſiours autant, il aura des
petites
tablettes rondes, ſelon la largeur dudit chargeoir, leſquelles il mettra au fond
d’iceluy
, iuſques à couurir autant de place qu’il en deuroit oſter, les y attachant tout
à
l’entour de petits cloux de cuiure.
(ceux de fer eſtans dangereux, pource qu’au ma-
niement
ils pourroient facilement conceuoir du feu) De ſorte que l’occaſion ſe preſen-
tant
d’en vſer pour vne autre piece, elle n’y ſoit inutile, ains en oſtant leſdites ta-
blettes
, on s’en puiſſe ſeruir.
Eſtant vne choſe mal ſeante & mal commode d’y vou-
loir
attacher quelque piece au bout, &
le repetaſſer comme on fait aux chaudieres,
en
danger que les clouxne ſe deffiſſent, &
que le chargeoir ne vint à manquer au beſoing.
208102Troiſiéme Traicté
CHAP. III.
Comment il faut faire les chargeoirs pour toutes
ſortes
de pieces.
C’Eſt choſe commode & vtile, que le canonnier ſçache promptement traçer & tailler
les
chargeoirs, tant pour les faire luy-meſme quand il ſera de beſoing, ou en mon-
ſtrer
la façon à d’autres, que pour les ſçauoir bien choiſir en l’arſenac.
Car comme il
y
a du danger quand on prend vn boulet pour l’autre, ce qui aduient facilement, s’il ne
ſont
bien calibrez:
ainſi eſt-il non ſeulement mal ſeant, mais auſſi dangereux, ſi on ſe vou-
loit
ſeruir d’vn chargeoir impropre, qui eſtant ou trop grand n’entreroit en la piece, ou y
mettroit
trop de poudre, ou trop petit n’en tiendroit aſſez:
de ſorte que de l’vne ou de
l’autre
part, il y auroit vne lourde faute.
C’eſt pourquoy ie donne ce conſeil à tout canon-
nier
, d’eſtre non ſeulement vigilant en cet endroit, pour ne tomber en telle faute, mais
auſſi
induſtrieux pour les apprendre à tailler &
preparer luy-meſme, comme auſſi ie luy en
donneray
l’inſtruction requiſe.
Pour le cannon renforcé le chargeoir, pour charger la poudre en deuxfois, aura deux:
& demy-boulets en longueur, iuſques aux oreilles qui enuironnent le bouton, leſquelles
auront
vn diametre auſſi en longueur, qui paſſe par deſſus ledit baſton.
La lame de cuiure
aura
deux calibres en largeur, iuſques aux oreilles, qui auront de chaque coſté demy cali-
bre
dauantage pour enuironneriuſtement le dit bouton.
Le bouton ſera long de 1 {1/3} de calibre, & detelle eſpoiſſeur, qu’eſtant ainſi reueſtu de la
lame
du chargeoir, il occuppe le vent du boulet.
Pour les eſcouuillons, ce bouton ſera fait
d’vn
bois doux, en longueur de 1 {2/3} de calibre, &
non plus de {2/3} d’eſpoiſſeur, le reſte eſtant
reueſtu
&
accomply de la peau auec ſa laine, qui y doit auſſi eſtre attachée de petits cloux
de
cuiure.
Le bouton du refouloir ſe fera de bois dur, en longueur de 1 {1/3} de calibre, fait au tour, en
telle
groſſeur qu’il puiſſe entrer en la piece ſans le vent du boulet, ayant quelques cercles
en
derriere, non pas élenez, mais abaiſſez, eſquels il eſt lié d’vn fort fil de cuiure, afin qu’il
ne
ſe creue de la force des coups donnez ſur la poudre.
Tous ces boutons ſeront barenez
par
derriere de {2/3} de calibre, pour y mettre la perche, qui auſſi doit eſtre de bon bois, &

droite
, eſpoiſſe d’vn doigt &
demy pour le moins, & de longueur telle qu’elle ſurpaſſe la
piece
pour le moins d’vn pied.
Pour le canon commun le chargeoir aura bien la meſme largeur, mais de profondeur
ou
longueur non plus que 2 {1/4} de calibre:
Et l’amoindrie 2. calibres, pour y mettre la pou-
dre
en deux fois:
toutes ſelon la ſorme, longueur & largeur monſtrée en la figure 20. α
auec
la maniere de les attacher &
affermir en leurs perches. On y voit auſſi la forme tant
des
boutons que des eſcouuillons &
refouloirs, de ſorte que le canonnier diſcret n’aura
que
faire de plus ample inſtruction.
I’y ay auſsi mis la traçe du demy canon, qui ſe fait en meſmemeſure & proportion que
les
ſuſdits, toutesfois ſelon ſon propre calibre.
Quant aux quarts qu’on y voit auſsi formez, ilsont auſsi la meſme largeur, ſelon leur
calibre
:
mais eſtans ſi riches en metaux qu’ils peuuent endurer plus de poudre que
le
canon &
le demy: en leur proportion, on en fait des chargeoirs autant plus
209
[Empty page]
21049[Figure 49]
21150[Figure 50]
212
[Empty page]
213
[Empty page]
214103De l’Artillerie. fonds. De ſorte que pour le quart renforcé on luy donne 3. calibres. pour le commun 2 {1/2},
&
pour l’amoindri 2 {1/4} de profondeur. Ce qui ſuffira quant aux appreſts de pieces de tuyau
égal
&
ſuiuy.
Mais rencontrant quelque vieille piece de chambre amoindrie ou enchambrée, il
prendra
garde au calibre de la chambre, la meſurant curieuſement de croiſette, &
donnera
au
chargeoir pour charger en 4.
fois tels calibres de profondeur, ſans les aureilles & le
bord
qui entre par deſſus le bouton en ſorte &
proportion ſuſdite. Et ſi la chambre eſt en-
campanée
, il prendra auec la croiſette la meſure du bout d’icelle, ſelon lequel ilformerale
chargeoir
pointu, auſsi de 4.
calibres, comme on fait en la forme marquée T.
Le chargeoir de la couleurine, demie, quart & huictiémes, ont tours ſans les couuer-
tures
du bouton 4.
calibres de profondeur: les amoindries 3 {1/2}, & les renforcées 4 {1/2}, pour
charger
en deux fois.
Quant aux petites pieces de 6. lb. de boulet, & au deſſous, on en peut faire les char-
geoirs
en forme qu’ils chargent la poudre en vne fois, de 7 {1/2} calib.
ſans la couuerture du
baſton
, &
comme toutes les autres, auec 2. calib. de largeur.
Mais ſi la piece eſtoit ſi grande, que ſans difficulté on n’y pourroitmettre la charge en
deux
fois, on luy peut donner le chargeoir en telle forme, qu’il y mette la poudre en trois
fois
.
De ſorte qu’au lieu de 4. calibres, on n’en prenne que 2 {2/3}, qui feront la meſme char-
ge
en trois fois, que les quatre ſuſdits faiſoient en deux.
Et pour le double canon, quipour
charger
en deux fois a le chargeoir de trois calibres, on ne luy donnera que deux pour fai-
re
la charge en trois fois.
Pour les pierriers, quin’ont couſtumierement que la moitié du calibre de leur bouche
en
chambre, on donnera au chargeoir 3.
calibres de ladite chambre, laquelle ayant {2/3} du ca-
libre
de la bouche, on luy donnera 2 {1/6} calibres de ladite chambre.
Et s’il aduenoit que le canonnier n’ayant ny iuſte chargeoir ny balance à la main, fuſt
contraint
de charger vn canon ou quelqu’autre piece en haſte, il mettra le refouloir en la
piece
iuſques à la lumiere, en marquant la perche rez le bord de la bouche, l’en retirera de
la
longueur de 2 {1/2} calibres, qui eſt la place que la poudre fine occupe de ſa charge en la
chambre
:
& l’y ayant donné vne autre marque comme deſſus, fera de parchemin, gros pa-
pier
, ou toile des ſachets ronds, en longueur de la diſtance des deux ſuſdites marques, &

en
eſpoiſſeur du calibre de la piece, &
les rempliſſant de poudre les verſera en ladite piece,
iuſques
à ce qu’il voye que la derniere marque vienne iuſtement au bord de la bou-
che
d’icelle.
CHAP. IIII.
Comment on fait les patrons & ſachets pour charger
vne
piece en haste, & ſans chargeoir.
CEs ſachets ſe font de caneuas ou autre toilegroſſe & forte, en la maniere ſuiuante
Pour
le canon, A pres auoir pris la largeur de la piece, ſans le vent du boulet, on en
donne
à la toile quatre 3.
de telles meſures ou calibre en largeur, & 3. en longueur,
laiſſant
au milieu d’enhaut &
d’embas vne autre telle meſure, l’vne pour la couuerture, &
l’autre
pour le fond, quelque peu plus larges pour donner lieu à la couſture, comme on voit
en
laſigure 20.
β, du patron ou cartuoche. S’il n’eſt ainſi couſu, ce ſera vn ſachet qui
215104Troiſiéme Traicté auoir demy calibre dauantage en longueur, pour pouuoir eſtre lié en haut ſans diminution
de
ſa meſure.
Or quand on veut charger la piece, il faut ouurir cette ligature & le mettre
ainſi
la bouche ouuerte en l’ame, le deuallant doucement auec le refouloir iuſques au fond
de
la chambre, aduerti qu’a l’endroit de la lumiere il luy faut premierement donner vne
croyſade
d’ouuerture par deſſus, afin qu’il puiſſe receuoir le feu de la lumiere, &
s’allumer
tout
a la fois.
Pour la couleurine, ou autre piece de la premiere ſorte, on fera le patron de
4
.
calib. en longueur, & 3. en largeur, & le ſachet de 4 {1/2} calib. & ſi on le veut lier auſſi
bien
par le bas comme par le haut, il luy faudra donner pour lemoins cinq calibres de lon-
gueur
, la liaiſon emportant en chacun endroit demy calibre.
CHAP. V.
Comment le canonnier entendra la reigle du calibre, pour prendre ſes boulets
propres
pour la piece, auec le vent requis.
LE principal poinct de celuy qui veut faire profeſſion de canonnier, eſt de bien en-
tendre
la reig le du calibre, déchiffrée en la figure 18.
β & de la ſçauoir propremẽt
appliquer
à l’v ſage.
C’eſt vne meſure quarrée de cuiure, ayant vn pied Geometri-
que
de longueur, departi en onze doigts.
De l’autre coſté il a le poids des boulets de fer,
marqué
depuis 1.
lb. iuſques à 50. lb. de nombre ſimple, & lereſte iuſques à cent, de nom-
bre
double, c’eſt à dire de 2.
lb. deſquelles les dixieſmes ſont marquées de ciffres, & les
cinquieſmes
d’vne verge quelque peu plus longuette que les autres.
Au bout d’embas, de-
uant
la marque de la premiere lb.
on voit 3. poincts, deſquels le premier fait vn quart, le
ſecond
demy, &
le troiſieſme {3/4} de lb.
Au troiſieſme coſté, qui eſt le plus bas qu’on voit, eſt marqué le poids du boulet de
pierre
, en meſme ordre que celuy du ſuſdit boulet de fer.
Mais en lieu du coſté plus bas,
qu’on
ne peut voir, il y a deux petites verges ſeparées, eſquelles on voit la meſure du bou-
let
de plomb, notée depuis vne lb.
iuſques à 60. de nombre ſimple, & le reſte iuſques à
cent
, auec marques de deux liures auſſi comme celle du boulet de fer.
Or le canonnier voulant calibrer ſes boulets ſelon cette meſure & reigle, prendra d’vn
compas
de pointes droites, ou auec vn petit baſton, le diametre precis de la piece, le met-
tant
tant qu’il peut en l’ame, pour n’eſtre trompé, ſi la piece par la continuation de tirer
auoit
la bouche quelque peu plus élargie:
puis mettra les pointes dudit compas, ou ſon
baſton
, ſur la reigle, dés le premier poinct de la premiere lb.
enuers l’autre bout d’icelle,
remarquant
ſoigneu ſement ou il mettra à l’autre pied, le baſton viendra de l’autre bout,
qui
luy monſtrera iuſtement le poids de ſon boulet.
Pour exemple: S’il met l’autre pied ſur 40. qu’il ſçache que le calibre entier eſt bien
de
40.
lb. mais pour donner le vent requis à ſonboulet, il ne le prendra que de 36. en rab-
batant
touſiours de 10.
lb. vne, pour donner le vent au boulet, en ſorte qu’il puiſſe com-
modément
entrer &
ſortir par le tuyau ou l’ame de la piece. Ce qu’il faut obſeruer non ſeu-
lement
és boulets de fer, mais auſſi en ceux de pierres ou de plomb.
Et ayant ainſi trouué
le
calibre de ſon boulet, il prendra le compas des pointes couibées, l’ouurant ſur ladite rei-
gle
dés le premier poinct de la premiere lb.
iuſques à 36. & le tenantainſrouuert, ira à l’ar-
ſenac
, &
tous les boulets, chargeoirs, eſcouuillons & refouloirs iuſtes entre ces deux
pointes
courbées, ſeront propres pour ſa piece.
Le tout propoſé & marqué au boulet N.
Au defaut de cettereigle, on prend auec vne cordelette iuſtement le diametre de la bou-
che
de la piece, adiouſtãt à cettemeſure encor deux autres, de ſorte qu’on ait en icelle
216
[Empty page]
21751[Figure 51]
218
[Empty page]
219105De l’Artillerie. de ces diametres de longueur, deſquels en noüant les bouts enſemble, on va à l’arſenac,
aſſeure
que tous les boulets, chargeoirs, eſcouuillons &
refouloirs qui paſſent iuſtement
par
ce cercle de ladite cordelette, ſeront propres pour ladite piece, dont a pris la meſure.
Ce qu’on voit au boulet marqué L.
Item apres auoir d’vn compas iuſtement la largeur de la bouche, on fiſche ſelon la di-
ſtance
des deux pointes deux petits baſtons droits en terre, comme on voit au boulet I,
auec
aſſeurance que les boulets qui paſſent entre deux ſeront pour le ſeruice de ladite
piece
.
Et au defaut de tout cecy, on ſe peut, comme il eſt monſtré au boulet M, aider du
compas
de pointes droites, duquel ayant pris la meſure ou largeur de la bouche, on le met
ſur
le boulet, en ſorte que les pointes paſſent quelque peu le plus gros d’iceluy, lors on
eſt
aſſeuré qu’il pourra ſeruir.
Outre les manieres ſuſdites, il y a encore vne autre façon
plus
ſubtile, tant de calibrer le boulet, que de luy donner le vent requis.
Pren premiere-
ment
le diametre de la bouche de la piece auec le compas de pointes droites, departy l’ou-
uerture
d’iceluy en deux parties égalles, fais-en vn cercle B, A, E, dont le centre eſt mar-
qué
de D, qui eſt la forme &
rondeur de ladite bouche. Puis mets les deux pointes du com-
pas
ſur les poincts A, B, en tirant de l’vn apres l’autre, la croyſade pardeſſus ledit cercle
notée
C, dont tu tireras vne ligne perpendiculaire par le contre D, iuſques au bas du cer-
cle
au poinct E, &
de vn autre ſigne iuſques au poinct A. Mets vne pointe du compas
ſur
le poinct E, &
l’autre ſur la ligne que tu en auois tiré, enuers A, & marqué le poinct
quele
cercle y fera de F, laiſſant repoſer le pied ou la pointe du compas, tu leueras l’au-
tre
qui eſtoit au poinct E, ſur la premiere ligne perpendiculaire que tu auois faite depuis la
croix
de C, par le centre iuſques a D, la le poinct G, demonſtrera combien le boulet doit
eſtre
plus petit que le calibre ou diametre de la bouche, pour auoir le vent neceſſaire, ſi
mettant
vne pointe du compas ſur le centre D, &
ferme l’autre ( qui ſe met ſur le bord du
premier
cercle de la circonference &
largeur de la bouche O, ) iuſques au poinct G: tu
fais
vn autre cercle, duquelle diametre ſerale calibre iuſte &
requis du boulet que tu veux
auoir
, comme tu vois en ſa propre figure.
Finalement pour auoir bien toſt fait, pren vne vigorte, ou modelle, en laquelle tu au-
ras
entaillé les calibres des pieces dont tu cherches les boulets, comme tu vois en la figure
P
, qui ſe fait d’vne planche de cuiure, ou de bonbois de cheſne ou noyer:
aſſeuré que t́ous
les
boulets, chargeoirs &
eſcouuillons qui paſſeront par ces cercles ſeront pour le ſeruice
de
la piece, dont la modelle aura eſté priſe.
Deuant que de paſſer plus auant, il faut qu’icy ie mõſtre l’vſage de la premiere eſchelle,
dont
en la figure 19.
α i’ay fait mettre la forme, qui eſt vn inſtrument requis pour voir ſi la
piece
a plus de metal d’vn coſté que de l’autre.
Ce ſont deux perches quarrées, faites de
bon
bois de noyer, bien égalles &
polies, conjointe à l’vn de leurs bouts par le moyen de
deux
trauerſes bien ſerrées en leurs jointures, &
tellement faites qu’on en peut faire
ledit
inſtrument ou plus large ou plus eſtroit, ſelon que la piece qu’on en veut meſurer
le
requiert, on les peut tellement affermir, qu’elles ne bougent ſans la volonté de
celuy
qui les met en œuure.
V ne perche a en égalle diſtance ſes eſchelons de fer, en telle
longueur
que la perche ſouſtenant contre le haut de l’ame, ils ayent auſſi leurs teſtes con-
tre
le fond d’icelle.
Et ainſi met-on celle-cy en l’ame de la piece iuſques à la lumiere, af-
fermant
l’autre qui demeure dehors ſur les plus hauts bords &
friſes de la piece, par le
moyen
des ſuſdites deux trauerſes.
Tournant ainſi ledit inſtrument de tous coſtez en
l’ame
de la piece, &
le ſentant toucher de tous coſtez égallement, la piece n’aura
point
de defaut:
mais s’il ne touche égallement, de ſorte que leſdits eſchelons ſe te-
nans
forts de l’vn, paſſans legerement de l’autre coſté:
c’eſt choſe aſſeurée que du
coſté
que leſdits eſchelons paſſent ainſi de leger, elle eſt plus forte que de l’autre,
220106Troiſiéme Traicté il s’arreſtent. Et pour charger telle piece, il ne luy faut donner plus de poudre que le coſté
debile
ne peut ſupporter.
CHAP. VI.
Comment il faut recognoiſtre la poudre.
LA piece bien meſurée, les boulets, chargeoirs, & autres appreſts calibrez, il y faut
de
la poudre pourla charger.
Icy auſſi il y faut appliquer de la prudence, pour n’e-
ſtre
trompé:
ains que ſçachant preciſément la force ou foibleſſe de la poudre, le
bon
canonnier s’y comporte ſelon l’exigence.
Dont deuant de charger la piece, il viſitera
la
poudre qui luy ſera liurée, en faiſant ouurir quelques tonneaux, &
y mettant la main
autant
qu’il peut pour la bien remuer, en gardera de chacun vne poignée à part:
puis ſor-
tant
de l’Arſenac, &
ſous vent d’iceluy, la mettra chacune à part ſur vne pierre ou plan-
chette
, ou autre choſe ſemblable, &
l’allumera, prenant bien ſoigneux eſgard au compor-
tement
d’icelle, ſi elle monte ſubitement ſans beaucoup de fumée, auec vne flamme clai-
re
, ſans laiſſer aucune marque ſur la place, c’eſt ſigne qu’elle eſt bonne &
forte: mais ſi elle
monte
auec vne eſpoiſſe nuée, &
laiſſe la place marquée de quelquesreſtes, c’eſt ſigne qu’il
y
a du defaut, &
qu’elle n’eſt trop bonne. Les defauts ſe cognoiſtront ainſi. Si ce qui y de-
meure
eſt humide, d’vne materie blanchaſtre tirante au bleu, c’eſt ſigne que le ſoulfre n’eſt
aſſez
purifié.
S’il y demeure quelques grains de couleur de terre, c’eſt ſigne qu’il n’eſt bien
molu
.
S’il y a des grains blanchaſtres, c’eſt ſigne que le ſalpetre a trop de ſel, & n’eſt bien
molu
ny aſſez purifié.
S’il y a quelques reſtes rougeaſtres ou tannés, c’eſt ſigne que les
charbons
n’ont pas eſté bien preparez.
Il y a auſſi des eſprouues qui ſe font ſans feu. Car la couleur n’eſtant trop noire ou ob-
ſcure
, ains tendante quelque peu au rouge, on la tiendra pour bonne.
Item, ſi la prenant
en
la main, elle ne s’y laiſſe ſerrer &
ne s’y attache, ainsreſiſte auec vn petit bruit, elle ſera
ſingulierement
bonne &
forte.
CHAP. VII.
Comment le fuſt doit eſtre fait & conditionné.
LA piece eſtant pourueuë de toutes ſesneceſſitez, de boulets, chargeoirs, eſcouuil-
lons
, &
autres choſes, il ne faut oublier le fuſt. Dont auſsi nous en monſtrerons
les
conditions &
façons, tant en paroles & inſtructions qu’en traçes repreſentées
en
la figure 19.
β, contenant vn fuſt auec tous ſes membres: qui, combien qu’il ſoit de ca-
non
, montre toutesfois, comment pour toutes piecesil doit eſtre fait à l’aduenant.
Chaque planche du coſté doit auoir 24. calib. de la piece qui y ſera logée en longueur,
qui
feront ſelon la reigle &
proportion commune {1/3} plus que la longueur d’icelle, vn cali-
bre
d’eſpoiſſeur, &
4. calibres de largeur en teſte: en la courbe du milieu qu’on nomme la
couche
3 {1/2}, &
en queuë 2 {2/6}, il eſt ainſi falqué, afin que le canonnier pour adiuſter la pie-
ce
, s’eſtant mis entre les deux planches, n’en ſoit empeſché, joint qu’il en eſt plus leger au
remuëment
, d’vn coſté a l’autre.
Les trauerſes auront 1 {1/2} calibres de largeur, & 1. calibre d’eſpoiſſeur. Celle de la queuë
aura
2.
calibres de largeur, & 5. en longueur, pour entrer de chacun coſté {1/2} calibre és cu-
regnes
ou planches:
ayant au milieu vn baren rond reueſtu de fer, pour y paſſer le clou
de
l’auantreine:
& par dehors elle aura vn anneau de fer, par lequel vne corde
221
[Empty page]
22252[Figure 52]
22353[Figure 53]
224
[Empty page]
225
[Empty page]
226
[Empty page]
227
[Empty page]
228107De l’Artillerie. quand il ſeroit de beſoing. De chaque coſté de cette trauerſe, il faut paſſer deux grands
cloux
par les planches, qui ayant la teſte d’vn coſté, paſſentle bout pertuiſé en forme d’eſ-
guille
de l’autre, ou ſurvne roſette de fer, attachée à ladite planche, le fuſt eſt par vne che-
uille
de fer ſerré ſur la trauerſe, &
comme vny en vn corps entier.
La trauerſe du milieu de la couche aura 4. calib. en longueur, pour entrer auſsi à cha-
cun
coſté demy calibre, aux planches, &
laiſſer l’ouuerture de 3. calibres. De meſme en
ſera
auſsi de celle ſur laquelle la culatte de la piece repoſe, &
eſt éleuée à adiuſter ſur des
coings
.
Mais la trauerſe de la teſte aura 3 {1/2} calibres de longueur, de ſorte qu’entrant demy cali-
bre
auſdites planches de chacun coſté, elle laiſſe l’ouuerture de 2 {1/2} calibre.
Par le moyen de
cestrauerſes
tout le fuſt eſt ſerré, comme en vn corps, &
pour l’y tenir, il faut que, comme
la
ſigure le monſtre, il ſoit bien garny &
ſerré, afin que lesioinctures par la vehemence des
coups
ne ſe deffacent.
Et voila le fuſt en ſa perfection, de ſorte qu’eſtant armé d’eſsieux
&
de roües, on y peut ſans danger monter la piece pour s’en ſeruir.
Les roues auront en hauteur la demie longueur de la piece. Les cercles exterieurs de
bon
bois, dont les ſix pieces ayant chacune 4 {11/16} calibres de longueur, vn calibre de hauteur,
&
vn d’eſpoiſſeur, feront la roüe ou circonference d’icelle.
Le moyeu ou la teſte aura 3. calibres d’eſpoiſſeur, & 3 {1/2} de longueur, garnie de bons
cercles
de fer, affermis auſsi de quelques petits arreſts de fer, afin qu’ils ne bougent de leur
place
.
Les rayons deſquels, chacune roüe en aura douze, ſeront de trois calibres, de ſorte
qu’entrans
de chacun coſté demy calibre tant aux geantes qu’au moyeu, il n’y aura que 2.
calibres entre deux. Les geantes ſeront couuertes de 6. lames de ſer, ayans {1/12} calibres d’eſ-
poiſſeur
&
{12/11} de longueur, bien attachez de cloux à groſſes teſtes, & couuerts aux ioinctu-
res
d’autres lames, qui enuironnent l’eſpoiſſeur deſdites geantes, &
aſtreintes par dedans
d’icelles
.
L’axe aura 8 {2/3} de calibre en longueur, & au milieu 1 {2/3} d’eſpoiſſeur. Les bras auront au
lieu
plus eſpois vn calibre, &
au bout {2/3}. Au lieu il eſt enchaſſé au fuſt, il aura {1/2} calibres
de
largeur, &
1 {2/3} de hauteur, comme on peut voir le touten la figure.
Pour la couleurine, il faut que le fuſt ait 1 {1/2} de longueur de la piece. De ſorte qu’eſtant
de
32.
calibres, le fuſt en ait 48. Les roües aurontpour le moins 14. calibres de hauteur,
les
moyeux 4.
calibres d’eſpoiſſeur, & 5. de longueur: les rayons 4. calibres, ſans le demy
calibre
qui de chacun coſté entre tant au moyeu qu’és geantes.
Les geantes auront vn ca-
libre
de hauteur, &
vn d’eſpoiſſeur. L’axe aura 13 {2/3} calibre, & à l’endroit de ſon enchaſſeu-
re
au fuſt, 2.
calibres d’eſpoiſſeur & hauteur.
Des planches du fuſt, chacune aura en teſte 4 {1/2} ou 5. calibres de largeur, à l’endroit de
la
couche 4.
en queuë 2 {1/3} calibres. Le reſte eſt compris en la traçe de celuy du canon.
Pour faire le fuſt de demy canon & demie couleurine, il faut adiouſter à la meſure de
chaque
calibre {1/24}, de ſorte que pour vn calibre on met touſiours {25/24}, laquelle proportion
ſera
tenuë en toutes ſes meſures ſelon l’inſtruction cy deſſus propoſée.
Aux quarts tant des canons que des couleurines, il faut adiouſter à chacun calibre {1/12} &
ſe
conformer au reſte ſelon ladite inſtruction.
Et aux octaues en lieu d’vn calibre on met-
tra
{7/6}.
Eſtant cette meſure neceſſaire en ces pieces de petit calibre, afin que les fuſts ne
ſoient
courts, bas &
croupiſſans en leurs repaires.
Les ioinctures & trauerſes ſe ſeront en ſorte & lieux qu’on voit en la figure, notées A,
B
, C, D, E, F, dont F, eſt la ioincture de l’axe au fuſt:
le reſte ſont les ioinctures & enchaſ-
ſeures
des trauerſes O, O.
Au lieu de la derniere trauerſe de la queuë montent les lieux des
boulons
ou grands cloux, par le moyen deſquels le fuſt eſt vny &
ſerré.
229108Troiſiéme Traicté
CHAP. VIII.
Deſcription du guindal ou cbeure, & autres instrumens pour
le
ſeruice des pieces.
LE fuſt formé & adreſſé, il y conuient monter la piece: ce qui mal aiſément ſe pour-
ra
faire ſans l’ingenieuſe inuention de la cheure, repreſentée en la figure 24.
a,
auec
le leuier continué, accompagné de ſa pince, &
le cricq ou martinet, propres
auſſi
pour éleuer &
fuſt & piece enſemble, quand il ſeroit beſoing de remedier à quelque
choſe
rompuë au fuſt.
Pour doncques faire la cheure, il faut que chaque cuiſſe aye en hauteur dés le pied iuſ-
ques
à la teſte pour le moins 3.
pieds Geometriques, en largeur vn pied, & en groſſeur {1/4}
de
pied.
La riotte ou trauerſe plus baſſe ſera longue de 7. pieds, ſans les bouts qui s’enchaſſent
és
cuiſſes, auec leſquelles elle ſera de 14.
pieds, & large {1/3} de pied, & groſſe {1/4} de pied.
Le tour (qui eſt le bois rond ſur lequel ſe tire la corde ) ſera ſans ſes bouts de 5. pieds
d’vne
cuiſſe à l’autre, &
aueciceux ſera de 6. pieds, & gros de {2/3} depied.
La trauerſe de deſſus ledit tour, auec ſes bouts ſera longue de 5. pieds. Celle qui l’en-
ſuit
en haut, de 4.
pieds auec ſes bouts, & la derniere joignant la cime ou teſte & les pou-
lies
ſera auec ſes bouts de 2 {1/2} pied.
Chacune poulie de bronze aura pour ſon diametre {2/3} & {1/4} de pied de groſſeur. Par deſſus
ces
poulies &
la cime de la cheure ſe met vn chappeau de fer, auquel les ſommitez des
cuiſſes
de la cheure, entrant iuſques à la plus haute &
plus courte trauerſe, elles ſont affer-
mies
&
comme ſerrées en vn coup. Or ce chappeau & les ſommitez de la cheure ſont tra-
uerſées
auec les poulies d’vn grand &
fort boulon de fer, ayant d’vn coſté ſa teſte, & de
l’autre
le pertuis d’eſguille, ou pertuiſé de tous les deux coſtez, par lequel on enchaſſe vne
cheuille
de fer qui le retient, eſtant le boulon, ſur lequel leſdites poulies ſe tournent, dont
auſſi
il eſt ſans la garniture du chappeau, laquelle il paſſe auſſi, ſouſtenu de groſſes plan-
chettes
de fer, enchaſſées au bois, ſur leſquelles il repoſe.
Les cuiſſes doncques ainſi join-
tes
&
ſerrées en vn corps par deſſus leſdites poulies, ellesy laiſſent ou forment vne ouuer-
ture
, ou facature garnie par deſſous, en laquelle voulant armer la cheure, &
l’éleuer en
haut
, entre iuſtement la pointe du pied:
& pour cet effet il faut que ladite ouuerture aye
de
profondeur {1/4} de pied.
Ce pied aura pourle moins 13 {1/2} pieds, formé d’vn bois dur & fort, comme de cheſne,
orme
ou freſne, rond &
gros de {1/2} pied, & autant droit que poſsible, eſtant d’vne forme
quarrée
, &
quelque peu voûtée au ſommet.
La poulie franche ou libre ſera auec ſa forture ou garniture longue de 2. pieds, & lar-
ge
de {3/4} de pied, &
ſes allées toutes deux ſeront comme celles de la teſte, qui ſont fermes à
ladite
cheure, auſsi auecleur garniture, &
boulon bien afferré ſur ſes chappes de fer, en-
chaſſées
auſsi au bois.
Ayant embas vn fort anneau de bronze, par lequel la corde dont elle
eſt
attachée aux dauphins de la piece, ait ſes tours.
Cette corde doit eſtre pour le moins longue de 25. pieds, de l’eſpoiſſeur d’vn doigt
Geometrique
, &
vne cinquieſme partie. Le bout d’icelle bien labouré, pointu & bien re-
tors
, afin qu’il ne ſe deface.
La corde principale de la cheure doit auoir 75. pieds, & en groſſeur 1 {3/5} de doigt, auec
vn
laps bien labouré &
reueſtu de fil retorsen vn bout, lequel ſe pend au crochet, ou tra-
uerſe
du tout.
L’autre bout ſera bien menu, pointu & retors, tant pour en ſaciliter
230109De l’Artillerie. trée & ſortie des poulies, que pour en enlaſſer tant mieux la piece, & faire le nœud tant
plus
ſerré.
Apres la cheure s’enſuit le leuier continué accompagné de ſon leuier de fer, en façon
de
pied de cheure, duquel on ſe ſert, pour leuer le fuſt auec la piece, quãd on veut oſter vne
mauuaiſe
rouë, pour en mettre vne bonne.
La banquette ou pied ſera long, pied & demy:
& large vn pied, & demy pied gros. Sur ce tablon ou pied ſeront enchaſſez droitement les
pilliers
ou planche, entrans audit tablon, le quart d’vn pied:
le reſte aura 3. pieds de hauteur,
&
largeur {3/5} & {1/4} de pied en groſſeur: ayant chacun cinq, ſix, ou ſept trous en eſgalle diſtan-
ce
, par leſquels on met vn gros boulon de fer, qui deſpend d’vne petite chaiſne de l’vn deſ-
dits
pilliers, ſur lequel ſe repoſe le leuier, &
fait ſa force en eſleuant la teſte du fuſt, auec ſa
piece
, quand on luy veut changer vne rouë, ou eſtant embourbée, mettre deſſous la ruë vne
planche
, pour auec l’aide du cricq, l’en faire ſortir legerement.
Ce boulon ou cheuille
doit
auoir 1 {1/5} de doigt Geometrique d’eſpoiſſeur;
en longueur 1 {1/2} pied, auec vn bout pertuiſé
pour
y paſſer vne cheuille de fer de retenuë, &
l’autre de teſte ronde. Leſdits pilliers enui-
ron
trois doigts de leurs extremitez ſeront ſerrez enſemble par vn autre boulon de fer, qui
les
paſſant, ſera affermy au bout de dehors par vne cheuille de ſer qui les paſſe, &
par de-
dans
auſſi il aura ſes nœuds de fer:
de ſorte que leſdits pilliers ainſi affermis & ſerrez com-
me
en vn corps ne ſe puiſſent courber l’vn vers l’autre, vn doigt deſſous chaſque pertuisou
trou
, ils ſeront enuironnez d’vne forte lame de fer qui les embraſſant fortifie tellement
le
bois, que par nulle force il puiſſe plier ou eſtre rõpu.
Et cette lame ſera large d’vn doigt.
En
fin chacun pillier ſera eſloigné de l’autre {1/2} pied, ou autant qu’il ſera de beſoing, afin que
ſans
aucun empeſchement on puiſſe mettre le leuier entredeux ſur le boulon qui le doit
ſouſtenir
.
Le bois du leuier ſera long pour le moins de 11. pieds, rond & fort de cheſne ſec,
bien
ſain &
entier, ou d’orme ou freſne: ayant le bout qui doit faire la force deſcendant
quelque
peu en tranchant, pour pouuoir tant mieux entrer ſous le fuſt &
le leuer plus aſ-
ſeurément
, comme auſſi pour ſe tenir plus ferme &
eſgallement ſur ledit boulon.
Le cricq ou martinet eſt vn inſtrument different, mais ſingulierement propre pour
leuer
la piece auec ſon fuſt, &
tout ce qui ſe preſente, auſſi bien que le leuier continué,
n’ayant
affaire que d’vn homme pour eſtre mis en œuure.
Or pour eſtre bon & ſuffiſant au
train
de l’Artillerie, il faut que pour le moins il aye deux pieds en longueur, &
en largeur {2/3}
de
pied, &
d’eſpoiſſeur {1/2} pied, auec ſa vicerone ou leuée fourchée par enhaut, ſortant du
milieu
du bois, eſleuée de ſes dents par la force de deux rouës ſecrettes s’entretaillant:
force ſuffiſante pour ſouſtenir & fuſt, ou quelque autre machine plus peſante. On
s’en
peut ſeruir fort proprement, pour changervne rouë ou desbourber vne piece, l’eſleuãt
&
la chauſſant par deſſous, de tablons ou de fagots, ſans perte de beaucoup de temps.
CHAP. IX.
Comment on monte la piece ſur ſon fuſt.
POur monter la piece il faut deuant toutes choſes auoir vn ſingulier ſoing que la che-
ure
ſoit ſi bien logée qu’elle ne ſe recule ou gliſſe en aucune maniere;
& en telle ſor-
te
que la corde &
poulie d’enhaut deſcende iuſtement ſur les daulphins de la piece:
dont pour en eſtre aſſeuré, on laiſſera tomber de la poulie d’enhaut vn filet auec du plomb,
ou
vne petite pierre, maniant &
tournant ladite cheure iuſques à ce que ledit plomb tom-
be
, comme nous auons dit, iuſtement au milieu.
Si c’eſt en vn lieu plain, vni & dur, il ne ſera beſoing d’affermir & reueſtir les pieds
de
la cheure par deſſous, maisen terre ſablonneuſe &
molle, en laquellele pied ſe
231110Troiſiéme Traicté enfoncer, ou reculer ſelon la grandeur du poids: ille faudra chauſſer, comme nous auons
dit
, bien ſoigneuſement de cheuilles, planches, blocqueaux &
autres choſes ſemblables
ſelon
que la neceſſiré le requerra, &
l’opportunité le permettra.
La cheure ainſi logée & armée, vn canonnier montera par les trauerſes iuſques en
haut
, ayant la corde en la main, laquelle paſſée par la poulie ſeneſtre de la teſte, il la deual-
lera
, afin que celuy qui l’attend embas la tirant à ſoy, la paſſe auſſi par le coſté ſeneſtre de la
piece
qu’ila en ſes mains pour l’attacher, comme dirons cy apres, aux dauphins de la piece,
&
ainſi paſſé, la tire tant qu’il la puiſſe rendre à celuy d’enhaut, & de derechef paſſée par
la
poulie dextre, ſera deuallée pour en faire le meſme embas;
dontrenduë à celuy d’enhaut,
elle
ſera attachée a la teſte de ladite cheure, y donnant quelques tours, iuſques à venir au
deſſous
du poinct B, en la figure 24.
α.
Cecy fait, il faut attacher auec grande prudence la poulie d’embas aux dauphins de la
piece
, faiſant paſſer l’eſguillette trois fois, tant par les dauphins que par l’anneau qui eſt au
deſſous
de ladite poulie.
Apres on commençera à leuer la piece, luy mettant vne groſſe &
longue
perche en bouche pour la tenir droite, &
empeſcher qu’elle ne donne aucun brãſle
d’vn
coſté à l’autre, choſe bien dangereuſe, que donnant contre l’vn des pieds de la che-
ure
, ou contre vne trauerſe le romproit &
empeſcheroit toute l’œuure. Ceux auſsi quiy
aſsiſtent
, tiendront autant qu’ils pourront la cheure ferme &
droite, iuſques à ce que le
poids
de la piece l’ait bien raſsis:
le General cependant, ou ſon Lieutenant, ayant l’œil
bien
veillant tant aux cordes qu’aux pieds de la cheure qu’ils ne gliſſent, &
que les cordes
ne
s’entortillent, ou tirans inégallement ſe rompent.
Pourquoy auſsi quand on commen-
ce
à tirer il faut d’vn baſton donner vn coup ou deux ſur leſdites cordes, aſin qu’elles de-
partiſſent
l’œuure &
le poids égallement.
Si on s’apperçoit que la cheure s’enfonce, il faut incontinent deualler la piece, & en-
chauſſer
ou affermirbien les pieds, &
ce tout doucement, afin que les trauerſes ne ſe deſ-
joignent
ou ſe caſſent du tout.
En fin donnant deux ou trois tours de la corde principale au
roulleau
de la cheure, l’y faut enlaſſer ſoigneuſement, &
le faiſant tourner tout douce-
ment
par deux hommes propres:
en telle ſorte que l’vn de ſa cheuille ou manche, ayant
fait
ſon tour:
tienneferme iuſques à ce que l’autre ait mis la ſienne en ſon lieu, pour faire
auſsi
ſon tour:
auſsi cetuy-ci tiendra la main iuſques à ce que ſon compagnon tirant la
ſienne
la mette auſsi en ſon lieu.
Ce qu’ils feront tant que la piece ſoit tellement leuée, que
le
fuſt puiſſe paſſer par deſſous.
auſsi il faut eſtre bien aduerty qu’il ne s’aheurte aucu-
nement
à la cheure, qui pourroit facilement cauſer quelque deſaſtre, que la cheure briſée
laiſſeroit
tomber la piece, mettant le tout en deſordre ou deſarroy.
Dont on y mettra le fuſt
tout
doucement, de ſorte que les lumieres pour les tourillons viennent iuſtement ſous les
tourillons
, &
la piece guidée par la perche qu’elle a en bouche, deſcendra tout belle-
ment
, iuſques à repoſer ſur ledit fuſt, &
ſerrant les verroulx ſur les tourillons, on deſarme
la
cheure &
ameine la piece on veut.
CHAP. X.
Comment il faut charger vne piece.
VOyci la piece toute en poinct de guerre pour aller chercher l’ennemy, ſi elle eſtoit
bien
chargée.
Or en cecy nous inſtruirons auſsi le canonnier comment il s’y doit
comporter
.
La piece doncques eſtant arriuée en la batterie, & ſur la plate-forme,
toute
pourueuë de poudre, boulets, chargeoir, eſcouuillon, nettoyeur &
refouloir,
232111De l’Artillerie. canonnier fiche ſon boutefeu ſous vent en terre, apres auoir eſclaircy la lumiere, il net-
toyera
ſoigneuſement d’vn eſcouuillon ſec la piece, &
en tirant ledit eſcouuillon, en don-
nera
vn petit coup ou deux ſur la barbe de la piece pour en ſecoüer la pouſſiere ou ordure
qui
s’y eſt attachée:
puis luy fera tenir par ſon compagnon le tonneau, ſac, ou valiſe de la
poudre
, au deuant de la piece, &
y mettant le chargeoir la remplira, ſans toutesfois l’a-
monceller
;
dont auſſi il donnera vn petit coup de la main ſur la perche pour en faire tom-
ber
le ſurplus:
& ainſi remply le mettra en l’ame de la piece iuſques à la lumiere; eſtant
arriué
le retirera enuiron de deux doigts, &
tournera ſon chargeoir, & en verſera la pou-
dre
:
& en retirant ledit chargeoir, venu qu’il eſt à la bouche l’éleuera quelque peu, afin que
la
poudre eſpãduë par le fond de l’ame, ne ſe tire hors, &
ne ſe reſpande (choſe mal ſeante à
vn
canonnier) &
ſe foulle aux pieds. Apresil prendra le refouloir & le mettant en la piece,
le
deuant grattant le fond de l’ame, pour conduire deuant ſoy la poudre eſparſe, il donnera
deux
ou trois bons coups ſur la poudre, la ſerrant bien en la chambre, ſon compagnon ce-
pendant
d’vn doigt ayant bouché la lumiere, afin que ladite poudre n’en ſorte, s’aſſeure
qu’elley
ſera bien ſerrée s’il en voit la lumiere remplie.
Cecy fait il prendra la ſeconde
charge
de poudre, &
l’y mettra comme auparauant. faiſant auſſi le meſme auec le refouloir,
puis
y mettra le morceau de paille, foin, eſtoupes, ou autre choſe ſemblable, lequely doit
entrer
quelque peu ſerré, pour emporter toute la poudre eſparſe par l’ame:
Et cedit mor-
ceau
eſtant à grands coups bien raſſis ſur la poudre, s’il a le loiſiril nettoyera encor vne fois
de
l’eſcouuillon ſec le reſte du tuyeau, afin qu’il n’y demeure pas vn ſeul grain, qui luy puiſ-
ſe
cauſer quelque danger, &
puis le boulet bien nettoyé par ſon compagnon, qu’il n’y de-
meure
aucun grain de terre ou ſablon attaché, apres l’auoir fourré de quelque peu d’eſtou-
pes
, le mettra ſans le forcer en la piece, iuſques au morceau qui retient &
couure la pou-
dre
:
Aduerty que cependant qu’il fait cecy, il ne ſe tienne deuant la piece, ains au coſté d’i-
celle
, n’ayant occaſion de ſe perſuader d’y pouuoir eſtre ſans danger.
Finalement mettra
encor
vn petit morceau ſur le boulet.
Et ainſi ſera la piece proprement chargée: dont il
gardera
&
couurira bien le reſte de la poudre: & taſchera, comme nous monſtrerons au
chapitre
ſuyuant, de tellement la mirer ou pointer qu’il ne face le coup perdu.
CHAP. XI.
Comment il faut pointer vne piece & amender les
coups
mauuais.
AYant le temps & commandement de pointer vne piece ſelon la mire commune
pour
eſprouuer ſa longue portée, le canonnier prendra vne longue regle, &
la met-
tant
ſur le millieu des friſées, tant de la culatte que de la bouche de la piece, &
vn
niueau
deſſus:
il l’eſleuera ou abaiſſera iuſques à ce que le plomb du niueau ſoit iuſtement
au
milieu.
Puis oſtant & la reigle & le niueau, il verra rez leſdites friſées le poinct que ceſte
mire
deſcouure, que ſans faute ſera le lieu de ſa portée, de laquelle, ſelon le niueau de la-
me
, dont nous parlerons cy-apres, elle ne fera que la moitié.
Mais s’il n’a le loiſir d’vſer ainſi de la reigle & niueau, il prendra la mire ou la pointera
comme
bon luy ſemble ſelon la charge &
proportion de la piece. S’il en atteint le but, il
eſt
aſſeuré de la mire, &
vſant de meſme poudre fera touſiours le meſme coup.
Mais ſi le boulet va plus haut, il pointera derecheſ ſa piece comme auparauant: &
ayant
le premier poinct en ſa viſée, il ne bougera ou remuera la piece:
ains oſtera autant des
friſées
de la culatte, iuſques à deſcouurir le coup du boulet;
qui ſera la vraye & droite vi-
ſée
, laquelle il pourra incontinent eſprouuer, pointant la piece ſur le premier but,
233112Troiſiéme Traicté ſans doute aucune il atteindra.
Si le premier coup eſt court, il fera comme auparauant, pointant derechef la piece, &
puis
ſans la mouuoir il ira oſtant les friſes de la bouche, iuſques à deſcouurir le coup du
boulet
, &
alors il aura la vraye viſée, ſelon laquelle pointant la piece au but premier, il le
touchera
s’il n’y a faute en la poudre.
Il y a encor vne autre maniere de pointer vne piece, & corriger le coup failli, en ad-
iouſtant
ou diminuant de l’éleuation a diſcretion.
A ſçauoir que le coup eſtant court, la
piece
eſt remiſe &
redreſſée comme auparauant: & apres on leue la bouche ſelon qu’on
eſtime
luy eſtre de beſoing pour atteindre le but deſiré, remarquant toutesfois combien
cette
éleuation qui ſe fait eſt plus haute que la mire priſe, dequoy on s’apperçeuera, ſi re-
gardant
rez les metauxon voit quel but en eſt monſtré.
Puis donnant le feu, & touchant
le
but pris auparauant, il ſe faut aſſeurer que c’eſt la vraye mire de la piece, à laquelle d’oreſ-
nauant
il donnera autant de hauteur pardeſſus la mire naturelle.
S’il la ſauue, c’eſt à dire
s’il
la paſſe, tirant plus haut, qu’on departiſſe ce que le premier faiſoit court, auec la lon-
gueur
de cetuy-cy, pour en amoindrir l’éleuation à l’aduenant.
Ce que faiſant, ſans doute
il
verra le coup amendé &
iuſte. Et celle-cy eſt la maniere plus commune & ordinaire, en
laquelle
les canonniers s’exerçent le plus ſouuent, auec aſſeurance que celuy qui par ce
moyen
ne fait donner à ſa piece la chaſſe &
éleuation requiſe, ne ſe doit vanter du nom de
canonnier
.
Or pour le faire mieux entendre, ie le declareray par cet exemple.
Voilà vn canon en ſon embraſeure & ſur la plate-forme, pour tirer à quelque pierre
blanche
en vne muraille.
Le canonnier en prendra la mire le plus curieuſement qu’il ſera
poſſible
rez les metaux.
Mais le coup eſt court. Pour le corriger, il reprendra la mire, &
pointera
la piece comme auparauant:
apres il l’éleuera d’vn poinct, de ſorte qu’en ayant eu
ſix
, maintenant elle en ait ſept d’éleuation, &
luy donne le feu. S’il touche le blanc, qu’il
en
face touſiours le meſme en prenant la mire.
Mais s’il tire trop haut, qu’il pointe bien la
piece
comme auparauant:
mais qu’il departiſſe la difference du premier de ſix auec celuy
de
ſept poincts a diſcretion, ſelon la porrée du dernier coup.
Et donnant le feu, ſans faute
il
tirera au but deſiré.
Et la piece ainſi éleuée, il regardera le poinct qu’elle luy monſtre, &
notera
bien ſa hauteur pardeſſus le but:
aſſeure qu’a l’aduenir obſeruant cette éleuation, il
ne
faillira iamais.
Mais ſi ledit premier coup de ſix poincts eſtant trop haut, il procedera par
meſme
ordre en l’abbaiſſant, auec aſſeurance qu’il en rapportera l’honneur.
CHAP. XII.
Comment on prend la mire du niueau de l’ame, & comment il faut
entendre
ce terme. Fig. 7. β. γ.
POur ce faire, il faut premierement d’vn compas de pointes courbées prendre la hau-
teur
des plus hautes friſées de la culatte, marquant la diſtance des deux pointes, qui
font
le diametre de la circonference ſur vne ligne droite.
Puis il fera le meſme és
friſes
de la bouche, &
mettra les pointes du compas ſur ladite ligne, en ſorte que l’vne ſoit
miſe
ſur le premier poinct, qu’il y auoit auparauant, eſtendant l’autre vers le ſecond, &
di-
uiſera
la diſtance entre les deux poincts du bas de la ligne en deux parties égalles, deſquel-
les
chacune luy monſtrera combien les friſes de la culatte ſont plus hautes que celles de la
bouche
.
Dont pour pointer la piece, en ſorte que l’ame ſoit a niueau, il faut traçer cette hau-
teur
ſur vne piece de bois ou autre choſe ſemblable, &
la mettre ſur la plus haute friſe de la
bouche
, &
ſuricelle vne reigle qui ſoit ſi longue qu’elle repoſe auſsi ſur la friſe de la
234
[Empty page]
23554[Figure 54]
236
[Empty page]
237113De l’Artillerie. te, ſur laquelle mettant vn niueau, & éleuant la piece, ou l’abbaiſſant iuſques à ce que le
plomb
vienne à tomber iuſtement au milieu, il aura l’ame d’icelle iuſtement auſſi au ni-
ueau
.
Puis oſtant ladite reigle, & prenant la mire par deſſus la friſe de la culatte, & la hau-
teur
qui eſt ſur la friſe de la bouche, il remarquera le poinct qu’elle luy monſtre, aſſeuré
qu’en
donnant le feu à ſa piece, ſans aucune faute ill’atteindra.
Mais pour ne point auoir touſiours de beſoing de mettre ladite hauteur ſur la friſe de
la
bouche, le canonnier la retiendra en ſa main:
& voulant vſer de cette pointerie, (com-
meil
en faut faire és batteries eſquelles on a le but aſſez proche) il prendra bien la mire rez
les
metaux, comme de couſtume, iuſques à deſcouurir le but pretendu:
mais d’autant que,
la
diſtance eſtant trop courte, le boulet le ſauueroit, laiſſant la piece ſans la bouger, il mer-
tra
la hauteur qu’il a en la main ſur la friſe de la culatte, &
remarquera le poinct qui par
deſſus
ladite hauteur luy eſt montré, &
apres auoir oſté ladite hauteur, pointera dere-
chef
la piece rez les metaux ſur ledit poinct, &
il ne faillira, mais atteindra le but
deſiré
.
Ce qui eſtant quelque peu obſcur, il le faut eſclaircir par vn exemple. Poſe
trois
poincts, D, A, C.
V oulant tirer au niueau del’ame au poinct A, il y pointera ſa piece
rez
les metaux:
mais ſans doute le boulet le ſauueroit eſtant la diſtance trop courte pour
cette
mire, de ſorte que luy donnant le feu, il viendroit à donner au poinct C.
Dont
pour
venir iuſtement audit poinct A, il mettra ladite hauteur ſur la culatte, &
prenant de
, ſans bouger la piece, lamire, qui ira en tabis, elle luy monſtrera le poinct D, auquel
apres
auoir oſté la hauteur dite, il pointera derechef ſa’piecerez les metaux, comme au-
parauant
, &
donnant le feu, il ſauuera D, mais donnera iuſtement au poinct deſiré, à
ſçauoir
A.
Si l’occaſion ſe preſentant il falloit tirer à vn but trop long pour le niueau de l’ame, &
toutesfois
auſſi trop proche pour la mire commune, il y faudroitvſer de cette diſcretion, à
ſçauoir
que la diſtance eſtant d’vn tiers plus longue, on oſtaſt vn tiers de ladite hauteur.
Et
ſi
elle excede la portée du niueau de deux tiers, on en oſtaſt auſſi les deux tiers.
Dont le
coup
ſeroit ſi aſſeuré, que pour vne gageure on en pourroit frapper vn real à quatre, ou pour
le
moins vn chappeau, ſans faillir.
C’eſt la pointerie ordinaire és batteries, leſquelles ſelon l’inſtruction donnée cy de-
uant
, on doit approcher de l’ennemy tant qu’on peut, de ſorte que ne prenant garde d’ad-
iouſter
touſiours cette hauteur ſur la culatte de la piece, on feroit touſiours le coup trop
haut
, contre le deſſeing d’vn bon canonnier, qui eſt de ruiner le pied de la muraille, tant
pour
l’abbatre plus toſt, que pour faciliter l’entrée de la breſche.
Ioint que c’eſt vne des
principales
conſiderations en tous coups, que pour faire vn coup on pointe touſiours la
piece
au pied du bout.
Singulierement en tirant à vn eſcadron ſoit de cauallerie ou d’infan-
terie
.
Eten lieu pierreux on fait volontiers le coup court, qui donnant ſur les pierres, & les
éleuant
fait autant ou plus de mal que le boulet, entrant au trauers d’iceux.
Mais en lieu plain on pointera la piece en ſorte que le boulet les prenne par le milieu,
&
à la ceinture, & de cette maniere on enfile vne centeine ou plus en vn vol, duquel ils
ne
ſeroient exempts combien qu’ils ſe iettaſſent à terre, autrement le coup haut n’eſt d’au-
cun
profit, auſſi eſt il appellé le coup perdu.
Pour amender le coup trop haut de ce pointage, il faut pointer la piece au blanc, ou
choſe
qu’on veuttirer, puis aller à la bouche d’icelle, auec vn fillet &
plomb pendant, &
y
prendre la hauteur de la friſe plus haute iuſques au fond de l’ame, laquelle mettra ſur la
friſe
de la culatte, &
de & par deſſus la friſée de la bouche on prendra, ſans bouger la
piece
, la mire, remarquant bien le lieu qu’elle monſtre:
puis oſtant ladite hauteur, on
pointera
derechef la piece au poinct monſtré, duquel faillant, le vray blanc qu’on deſire
ſeratouché
.
238114Troiſiéme Traicté
Le court ſera corrigé en cette ſorte. Pointe la piece comme auparauant, puis allant à
la
bouche auecle filet &
plomb, prenant toute la hauteur de la friſée d’en haut iuſques em-
bas
, de ſorte que ton filet aye le diametre entier de toute la circonference d’icelle:
& de ce
diametre
tu prendras l’eſpoiſſeur du metal dés le fond de l’ame iuſques au plus bas de ladi-
te
friſe, &
mettant cette hauteur ſur la culatte de la piece, & la pointant au blanc auquel
tu
veux tirer, tu en verras le bon effet.
Le coup coſtier ou deuoyé ſera corrigé en lamaniere ſuiuante. S’il eſt du coſté dextre,
tu
pointeras ou reculeras autant la mire au coſté ſeneſtre:
& pour ne faillir d’vn ſeul poil
d’eſgaller
ladite diſtance de l’vn à l’autre coſté, tu pointeras la piece comme auparauant,
droit
ſur le blanc ou but:
puis pren vne reigle longue, laquelle mettras ſur les friſées tant
de
la culatte que de la bouche, &
la laiſſant ſur labouche prendras ſur icelle, la remuant ſut
la
culatte, iuſques à ce que ſur icelle tu decouures le coup deuoyé que le boulet auroit
donné
, &
ſans oſter ny l’œil ny la main de cette veuë feras reculer la queë du fuſt, iuſ-
ques
à ce que la culatte vienne iuſtement ſon milieu ſous ladite reigle:
ce que fait, l’o-
ſtant
&
reprenant la mire rez les metaux, tu trouueras ta piece iuſtement autant tournée
vers
le coſté ſeneſtre qu’elle auoit tiré au dextre.
Or il y a pluſieurs occaſions qui font deuoyer le coup d’vn coſté ou d’autre. La pre-
miere
eſt quand l’ame meſme s’accoſte plus d’vn coſté que de l’autre, ou par l’inégallité
des
metaux, ou que le moule n’a pas eſté droit.
Et celle-cy ne peut eſtre imputée au canon-
nier
, mais toutesfois s’il eſt accort, il taſchera de ſuppléer au defaut par ſa diſcretion &

prudence
, examinant la piece par la croiſette ou ſcala prima, dont auons fait mention au
chapitre
deuxiéme, &
s’accommodant à icelle ſelon que la faute le demande & requiert.
La piece fera auſſi vn coup coſtier, ſi les iouës des tourillons ne ſont iuſtement vis à vis
l’vne
de l’autre.
Item ſi la plate-forme n’eſt bien égalle, & plus éleuée d’vn coſté que de l’autre.
Item ſi le canonnier en prenant la mire, faut du iuſte milieu des friſes de la piece, ou
combien
qu’il l’ait, ne le pointe pas droitement ſur le milieu du but.
Item ſi vne roüe eſt plus haute que l’autre, le coup ira touſiours au coſté de la plus baſſe.
Item ſi vne des roües ſe tient ſur vn clou, & l’autre non: Semblablement quand l’vne ſe
tourne
plus legerement que l’autre.
Auſsi ſi vne roüe eſt en terre molle, & l’autre en dure.
Item
quand l’vn des moyeux ou teſtes de la roüe eſt plus longue que l’autre.
Item ſi l’ouuerture du fuſt s’accoſte auſsi plus d’vn coſté que de l’autre. Item s’il eſt
trop
large, de ſorte que la piece n’y repoſe bien ſerrée.
Item quand la queuë du fuſt s’a-
heurte
à vn coſté &
non à l’autre.
Item quand le boulet n’eſt égallementfourré, & en l’ame s’approche plus d’vn coſté
que
de l’autre.
Et finalement la vehemence du vent fait aucunesfois deuoyer le boulet, &
n’y
a aucun remede pour le retenir.
Le coup trop court ou trop long eſt occaſionné ou par force ou foibleſſe de la poudre,
ou
par defaut d’experience du canonnier, ne ſçachant proprement dreſſer &
pointer ſa pie-
ce
, ou ne ſçait deuëment recognoiſtre la diſtance du but auquel il doit tirer.
Ce que i’ay voulu noter ainſi au long, non pour donner matiere d’excuſe ou d’eſchap-
patoires
à l’ignorance du canonnier inexpert, mais pour auiſer le prudent d’auoir l’œil,
veillant
par tout, &
taſcher ſelon les reigles données deſſus, d’obuier à tous inconue-
nients
.
Car de faillir, la premiere fois eſt paſſable, la ſeconde ſe peut pardonner, mais de
retourner
à la troiſiéme, c’eſt trop, &
ſigne certain de peu de diſcretion & iugement. Et
de
fait il n’y a faute qui, comme nous auons monſtré, par bonne diſcretion ne puiſſe eſtre
amendée
, dont en auons veu pluſieurs exemples au fameux ſiege d’Oſtende, deſquels
pour
monſtrer l’efficace du bon iugement en cet endroit, i’en racompteray icy vn
couple
.
239
[Empty page]
240 55[Figure 55]
241
[Empty page]
242115De l’Artillerie.
Vn nauire courant par le canal, pour entrer en la ville, & luy apporter du rafraiſchiſ-
ſement
, auquel pour nous faire honte vne femme eſtoit au gouuernail, fut fait comman-
dement
à vn canonnier d’eſprouuer s’il pourroit donner vn boulet à cette gouuernante, le-
quel
eſtimant que ce ſeroittrop de cruauté de faire telle eſpreuue contre ce ſexe debil, s’of-
frit
de luy oſter le gouuernail d’entre ſes mains, &
la faire venir flotãte auec le flux de l’eau
vers
eux, ſi elle n’en auoit prouiſion d’vn autre.
Ce qu’il mit promptement en effet, &
ayant
veu comment des autres deuant luy s’eſtans bien mis en deuoir de ſe venger de cette
eſcorne
, auoient failli meſme ledit bateau, il pointa ſa piece ſi à propos &
diſcrettement,
qu’au
premier coup le gouuernail tomba en l’eau, &
le bateau vint flottant à noſtre quar-
tier
il ſut pillé &
bruſlé à la veuë des ennemis.
Vn autre nauire attendant ſur l’ancre la commodité pour entrer auec la marée en ladite
ville
, les noſtres pour l’enfonçer employient pluſieurs canonnades en vain, &
meſmes
eſtimans
que la diſtance eſtoit trop grande pour le pouuoir endommager, fut fait deffence
de
ne plus tirer, &
perdre ſans fruict les munitions. Mais en fin il y vint vn canonnier, qui
promit
de non ſeulement perçerledit nauire, mais auſsi, ſi licence luy eſtoit donnée, de
rompre
ledit cable, de ſorte qu’il viendroit tout entier à l’amour de l’eau ſe rendre à noſtre
mercy
:
Et luy eſtant donnée, il pointe ſa piece, luy donne le feu, rompt le cable, & en fin
auec
grande admiration de toute l’armée, ledit nauire vint ſe rendre à noſtre quartier.
Leſquels exemples i’ay icy racomptez pour monſtrer-l’effet de diſcretion & iugement en
ſemblables
occurrences, &
donner courage aux canonniers pour s’y exerçer.
CHAP. XIII.
La forme & proportion du quadrant, auec l’inſtruction comment
on
en doit vſer tant és grandes pieces qu’aux
mortiers
.
POur former commeil appartient le quadrant, on fera premierement, comme on voit
en
la figure 21.
α le cercle (1) entier, lequel eſt departy par les lignes qui ſortent de
ſon
centre en 48.
parties égalles, en ſorte qu’au bout de chacune ſoit noté le nom-
bre
d’icelle, en vn eſpace enfermé, en vn autre cercle entre deux petites vergettes, lequel
eſpace
auſſi par ladite ligne eſt diuiſé égallement au milieu.
Du quart de ce cercle eſt fait le quadrant (2) noté de L, P, C, E, M, N, departi en
12
.
poincts, deſquels chacun fait 7 {1/2} degrez, de ſorte qu’il en fait 90. qui eſt iuſtement le
quart
des 360.
de toute la circonference. Or il peut auſſi eſtre departy, comme on voit au
bord
blanc qui eſt au dehors en 45.
poincts, deſquels chacun fait 8. degrez, de ſorte que
les
360.
y ſont auſſi compris. Et ſelon cette portion eſt fait l’autre quadrant (3) noté A, B,
C
, diuiſé en 9.
poincts, deſquels chacun fait 10. degrez.
Et de ces deux quadrans, le plomb eſtant au milieu ſur le poinct du 45. degré, dont
ils
ſontauſſi diuiſez en deux parties égalles, eſt monſtrée la plus haute éleuation d’vne pie-
ce
, pour tirer au plus loing coup, c’eſt à dire pour faire ſa plus loingtaine portée.
De meſmeil en eſt du niueau (4) pour niueller les pieces, les pointages d’icelles, &
meſme
les plates-formes, &
tout ce qui eſt de l’art de l’Artillerie. Il ſe fait auſſi du quart du
cercle
precedent, diuiſé en 12.
poincts, tellement notez & ordonnez, qu’on compte
du
milieu vers les bouts ou coſtez, iuſques à ſix, de ſorte que la monſtre eſtant ſur le
ſixiéme
poinct, on verra comme aux autres que la piece eſt au plus haut de ſon éleuation.
243116Troiſiéme Traicté
Le bouſſole (5.) comprend tout le cercle ſuſdit, diuiſé en 48. poincts, qui ſelon les
quatre
parties du monde, à ſçauoir Orient, Midy, Septentrion &
Occident, font auſsi qua-
tre
comme quadrans particuliers, deſquels la monſtre qui ſort du milieu, monſtre toutes
les
lignes, non ſeulement dudit cercle, mais auſsi du quadrant ou quarré.
Et eſtant en vne
ligne
du milieu notée de O, ou M, ou de O, ou de S, il ſera à niueau, &
au premier de-
gré
du quadrant droict:
mais s’il vient au milieu & entre leſdites lignes, il monſtrera la
plus
haute éleuation comme les precedents quadrants.
La manche notée E, F, ſera s’il eſt
poſsible
de 2 {1/2} pieds, deſquels chacun ſelon la meſure Romaine, contient 16.
doigts ou
poincts
, afin que iuſtement il en aye 40.
faiſans vn pas commun ou demy pas Geo-
metrique
.
Chacun doit auoir au milieu & au bout vn petit pertuis, paſſant d’vn coſté de ladite
manche
à l’autre, ſeruans à ce que l’inſtrument eſtant colloqué ſur la culatte d’vne piece,
regardant
par l’vn d’iceux par deſſus les plus hautes friſes, on puiſſe iuger ſelon la chaſſe,
de
la longueur du chemin que le boulet fera, ſelon ſa proportion &
condition. Les deux
cheuilles
qu’on voit aux coſtez notées C, F, ſeruent à ce que par icelles on voye la qualité
du
lieu qu’on veut meſurer, la monſtre deſignant par ſa cheutte dés l’Orient vers le Sep-
tentrion
, la longeur, largeur, profondeur &
hauteur d’iceluy. Au reſte, cet inſtrument
contient
pluſieurs my ſteres de grande importance, tant pour l’ingenieur que pourle ca-
nonnier
.
Voicy doncques la ſtructure du quadrant: voyons maintenant quand & comment on
en
vſera, &
ce en l’exemple ſuiuant. L’occaſion ſe preſente, ou la neceſsité le requiert, que
l’ennemy
s’eſtant approché au pied de la muraille pour la miner ou perçer, nel’en pouuant
repouſſer
par autre moyen, on l’aſſaille de haut embas, luy iettant par vn mortier ou quel-
que
autre piece pierriere, des boulets de pierre, ou des charges de cailloux, cloux, ramages
de
fer &
autres ſemblables choſes, ou bien (ce qui eſt plus propre) des boulets ou bom-
bes
de feu.
Pour mettre donc le deſſein en effet, & deffendre, ou a force, ou aſtuce ſonlieu,
il
faut que le canonnier ſçachepremieremẽt la portée de ſa piece eſtant au niueau, &
apres
qu’elle
eſt en l’éleuation d’vn degré a l’autre.
Enquoy luy ſeruira de beaucoup la figure
22
.
α d’vn mortier, qui au niueau de l’ame, noté A, au quadrant, à la portée de 200. pas,
eſt
le boulet A.
Mais eſtant éleué au poinct B, il fait 487. pas. Au ſecond C, 755. pas.
Au troiſiéme D, 937. pas. Au quatriéme E, 1065. pas.
Au cinquiéme F, 1132. pas. Au ſixiéme G, qui eſt le poinct du milieu du quadrant, &
de
la plus haute éleuation il fera 1170.
Leſquels ſontainſi departis en degrez.
Au premier degré il iettera ſon boulet à la diſtance de 244. pas, contant chacun à 2 {1/2}
pieds
.
Au 2. degré 287. Au 3. 329. Au 4. 370.
Au 5. 410. Au 6. 429. Au 7. 487. Au 8. 524. Au 9. 560.
Au 10. qui eſt le premier poinct du quadrant departien 9. poincts, il fait 595. A 11.
629. Au 12. 662. Au 13. 694. Au 14. 725. Au 15. 755. Au 16. 784. Au 17. 812.
Au
18.
839. Au 19. 865.
Au 20. qui eſt le premier degré du ſecond poinct, il fait 890. pas. Au 21. 914. Au
22
.
937. Au 23. 959. Au 24. 980. Au 25. 1000. Au 26. 1019. Au 27. 1037. Au 28.
1044. Au 29. 1050.
Au 30. qui eſt le premier degré du troiſiéme poinct, 1065. Au 31. 1079. Au 32.
1082. Au 33. 1094. Au 34. 1105. Au 35. 1115. Au 36. 1124. Au 37. 1132. Au 38.
1149
.
Au 39. 1155. pas.
Au 40. qui eſt le premier du quatriéme poinct, 1160. Au 41. 1164. Au 42. 1167.
Au 43. 1169.
Au 44. 1170. Et finalement au quarante-cinquiéme, qui eſt au milieu du
244
[Empty page]
24556[Figure 56]
246
[Empty page]
247117De l’Artillerie. de 9. poincts, il ne fait qu’vn demy pas dauantage, à ſçauoir 1170 {1/2}.
Tous ces coups ſe font premierement par le mouuement violent ou droit, puis par le
mouuement
meſlé le boulet declinant de la ligne droite, dontil eſt ſorty du mortier, &

faifant
vn arc ou vne courbée, &
finalement par le naturel, ayant perdu toute ſa force, &
cherchant
ſon centre de haut embas:
comme on en voit les traçesen ladite figure.
Ayant iuſques à preſent demonſtré comment par éleuation du quadrant de poinct à
poinct
le boulet fait ſa plus longue portée:
il faut noter au reſte, qu’autant qu’on paſſera le
quatriéme
&
demy poinct ou le 45. degré, autant le boulet montera bien plus haut, mais
fera
la portée plus courte, s’approchant touſiours de degré à degré, &
en meſme ordre
qu’il
s’en eſt reculé, plus prés de la piece iuſques à vn pas, voire en vne gageure ſur la pie-
ce
meſme dont elle eſt ſortie, eſtant éleuée iuſques au nonantiéme degré.
Et de cette éle-
uation
il ſe faut ſeruir quand l’ennemy trauaillant par dehors au pied de la muraille, il luy
faudroit
ietter dés le pied de dedans, ou gueres loing de , vn boulet de hautembas, pour
le
repouſſer de ſon entrepriſe:
ou bien quand de dehors on veut empeſcher les aſſiegez,
trauaillans
par dedans, &
derriere les murailles, aux fortifications & retranchemens. En
quoy
nous l’inſtruirons par l’exemple ſuiuant.
L’éleuation ſe faiſant par deſſus G, le ſixiéme poinct du quadrant de 12. iuſques à H,
qui
eſt le ſeptiéme, le boulet amoindriſſant ſon chemin, viendra à tomber ſur la portée du
boulet
F.
Du huictiéme L, elle tombera ſur E. De L, elle tombera ſur D. De M, elle vien-
dra
ſur C.
De N, ſur B, qui eſt la plus courte portée faite d’vn poinct, ou de 7 {1/2} degrez d’é-
leuation
, a ſçauoir du pointage naturel rez les metaux:
mais qui ſera encor racourcie, ſi la
piece
vient au niueau noté A, dont montant au douziéme poinct O, qui eſt le dernier
poinct
du quadrant ainſi noté, le boulet reuiendra à tomber ſur A.
Et ainſi enſuiuant, tant
plus
qu’on luy donnera d’éleuation, tant plus s’approchera le boulet, comme nous auons
dit
, du mortier ou de la piece.
Les lettres de la partie du cercle inferieur, monſtrent par quel poinct du cercle ſupe-
rieur
les boulets ſont ſortis, de ſorte que A, &
O, ſont égaux, comme auſſi B, & N: C, &
M
:
D, & L: E, & I: F, & H. Laſeule G, n’apoint de pareille, eſtant ſortie du poinct de la
plus
haute éleuation.
La reigle commune par laquelle le canonnier cognoiſtra quelle ſera la porté e de ſa pie-
ce
, &
de degré à degré de l’éleuation d’icelle eſt: qu’il regarde de combien de pas elle ſera
ſelon
la mire commune.
Leſquels il diuiſera par 50. & multipliera le quotient par 11. qui
ſera
le nombre de la plus grande progreſſion, lequel il diuiſera derechef par 44.
dont le
quotient
ſera iuſtement le nombre des pas, que le boulet perdra és autres progreſſions, de-
gré
à de gré.
Pour exemple.
Le canon de batterie tire par le pointage de rez les metaux 1000. pas communs, qui
diuiſez
par 50.
donnent le quotient de 20. leſquels multipliez par 11. font 220. pas, quieſt
le
nombre de la plus grande progreſſion, qui ſe fait au ſecond degré du quadrant, ou le pre-
mier
apres le niueau.
Mais toutes les autres progreſſions vont touſiours diminuant, iuſques au quarante-cin-
quiéme
degré.
Pour ſçauoir doncques de combien ſera cette diminution, de degré en de-
gré
, iuſques au 45.
qui eſt la plus haute éleuation, il prendra le nombre des degrez dés le
premier
iuſques audit 45.
qui ſeront 44. & diuiſant par iceux le nombre precedent de
220
.
il trouuera le quotient de 5. qui eſt le nombre qui ira touſiours de croiſſant dés la pre-
miere
iuſques à la derniere progreſsion.
De ſorte que le canon en ſon pointage naturel, au-
quel
il eſt éleué d’vn degré pardeſſus le niueau, faiſant 1000.
pas: au ſecond il en adiou-
ſtera
220.
leſquels il fera dauantage, & fera 1220. pas: au troiſiéme il en doit derechef
adiouſter
:
mais la precedente eſtant la plus grande progreſsion, comme nous auons dit,
celle-cy
, &
toutes les autres decroiſſent touſiours de 5. pas: il n’en fera que 215. par
248118Troiſiéme Traicté les 1220. du ſecond degré, de ſorte qu’il fera au troiſiéme degré 1435. pas.
Au 4. 1645. Au 5. 1850. Au 6. 2050. Au 7. 2245. Au 8. 2435. Au 9. 2620.
Au 10. qui eſt le premier du quadrant de 9. poincts, il fait 2800. pas.
Au 11. il fait 2975. Au 12. 3145. Au 13. 3310. Au 14. 3470. Au 15. 3625. Au 16.
3775. Au 17. 3920. Au 18. 4060. Au 19. 4195. Au 20. qui eſt le premier du ſecond
poinct
4325.
pas.
Au 21. 4450. Au 22. 4570. Au 23. 4685. Au 24. 4795. Au 25. 4900. Au 26.
5000. Au 27. 5095. Au 28. 5185. Au 29. 5270. Au 30. & commencement du troiſié-
me
poinct 5350.
pas.
Au 31. 5425. Au 32. 5495. Au 33. 5560. Au 34. 5620. Au 35. 5675. Au 36.
5725. Au 37. 5770. Au 38. 5810. Au 39. 5845. Au 40. & quatriéme poinct 5875.
Au 41. 5900. Au. 42. 5920. Au 43. 5935. Au 44. 5945. & finalement au 45.
on
compte quatre poincts &
demy du quadrant. qui eſt la plus haute éleuation il fait 5950.
pas. Duquel compte i’eſpere que le curieux canonnier s’y exerçant quelque peu, compren-
dra
facilement en quelle maniere il ſe peut acertainer de la portée de ſa piece, ſoit petite
ou
grande, ce compte ne faillant iamais:
nottant qu’en donnant la chaſſe ou éleuation à la
piece
, en quelconque terme de cetteregle, le degré s’entend d’vn doigt des 16.
que le pied
Geometrique
contient.
S’il eſt queſtion de tirer d’vn fort ou autre lieu, contre l’eau, à quelque nauire ou autre
choſe
ſemblable, il prendra premierement la mire rez les metaux, &
apres mettra ſur la
culatte
de la piece autant de cheſne ou de hauteur, que par deſſus icelle, &
les metaux plus
hauts
, de la ioye il deſcouure iuſtement le pointage naturel de ladite piece;
finalement re-
doublant
cette chaſſe, &
mirant la piece au nauire ou choſe dite, il verra le fruict de cette
operation
.
Et doit eſtriela choſe ainſi redoublée, pource qu’on eſt plus facilement trompé
en
la meſure de la diſtance ſur le plain de l’eau, que ſur la terre:
la choſe qui eſt en l’eau
ayant
le plus ſouuent le regard de diſtance petite, toutesfois elle eſt bien grande, ſans
ce
que par l’humidité de l’eau le boulet perd beaucoup de ſa force au voyage qu’il fait.
Et cette maniere doit eſtre auec la conſideration du voyage que le bateau fait, à ſçauoir
s’il
paſſe monſtrant le coſté deuers l’Artillerie, ou s’il vient entrant tout droictement de
prouë
, ou s’il va en ſortant &
monſtre la pouppe, ou s’il va à faueur du vent, ou à force de
rames
:
s’il va égallement ou auec tempeſte, s’il va en grande haſte ou lentement ou d’au-
tres
choſes qui s’y pourroient preſenter, pour s’y accommoder touſiours auec grande diſ-
cretion
.
Car s’il paſſe de coſté & en haſte, le canonnier pointera ſa piece de deux longueurs
de
tels bateaux, deuant iceluy, &
luy donnera le feu, quand il ſera de longueur & demie
en
ſa mire, s’a ſſeurant qu’il fera vn coup excellent.
S’il va en freſcheur & égallement, il pointera la piece d’vn corps deuant, & luy don-
nera
le feu quand il ſera entre de ſa prouë à la mire, pour ſaire le coup proſitable.
S’il va a force de voile ou de rame, il ſuffira auſſi de pointet la piece d’vn demy corps
deuant
, &
luy donner le feu quand il commençera d’entrer en la mire, ſans doute le boulet
y
viendra à temps, que pour le moins la pouppe ſe reſente du mal qu’on luy pretend faire.
Et cecy doit eſtre entendu en vn voyage court, ou en diſtance du pointage naturel. Car
en
plus longue, il faudroit prendre dauantage, &
en plus courte, moins.
Si ledit bateau vient entrant contre la piece, ille faut prendre par le milieu de la place
d’armes
, &
ce auec les ſuſdites proportions & conſiderations: comme auſsi s’il va ſortant,
luy
mirant la piece autant deuant la prouë, afin qu’il ne luy ſorte du coup.
La meſme conſideration ſera en terre plaine, en tirant contre vn eſcadron de caualle-
rie
, ou contre vn ſeul cheual, tant au chemin de trauers qu’au droit, tant au haſtif qu’au
moderé
:
toutesfois que la piece ſemire auec ſimple chaſſe, ſelon l’accouſtumé, ſi ce n’eſt
en
vne trauerſe de terre double.
c’eſt à dire qu’il y aye quelque val ou declin
249
[Empty page]
25057[Figure 57]
251
[Empty page]
252119De l’Artillerie. qui couſtumierement ſemble eſtre de plus loingtaine diſtance qu’il n’eſt pour ceſte chaſ-
ſe
:
& alors, ſi le cas requiert, on ne luy en baillera que la moitié.
Ilfaut auſſi que le canonnier prenne garde, que tirant de haut en bas, le coup iamais
ne
ſera de ſi grande force ou efficace, que s’il eſtoit fait de bas en haut, pource que la force
du
feu, qui de ſon naturel tend touſiours en haut, abandonne trop toſt le boulet.
Car meſme
la
piece eſtant au niueau elle perd deſia beaucoup de ſa force, en comparaiſon de celle qui
y
eſt tant ſoit peu eſleuée.
Dont on s’en apperceuroit facilement en l’eſpreuue. Comme
pour
exemple:
Entre grandes montaignes il y a vne coline de 100. pas de hauteur, de la-
quelle
il faut tirer contre vn chaſteau ou tour ſitué à l’oppoſite, en meſme hauteur, en di-
ſtance
de 160.
pas: pour lequel effet il faudroit pointer les pieces au niueau de l’ame. Et au
pied
de ladite coline on y loge auſſi vne ou pluſieurs pieces qui tirent contre le meſme
chaſteau
ou tour à bouchebien haut eſleuée, en meſme diſtance.
Certainement on verra
que
les pieces tirant contre mont, feront plus d’effet &
de breſcheés murailles oppoſées,
que
celles qui tirent en ligne droite &
du niueau, & ſelon leur poſitiõ en moindre diſtance.
Et combien qu’on eſtime que le coup plus court & du niueau ſoit le meilleur & plus fort, ſi
ſe
doit on aſſeurer du cõtraire:
eſtant certain que plus que la piece eſt moins eſleuée deſſous
le
quarante cinquieſme degré, tant plus grande ſera auſſi (toutesfois en diſtance determi-
née
) ſa force.
Car comme on voit en cet exemple, tel coup eſleue le mur, le decouſt, briſe
&
renuerſe, & y fait beaucoup plus grande breſche, que le coup à niuellé, le duquel la force
ne
s’eſtend non plus que la largeur du boulet.
De cecy on verra que la piece eſtant plus ab-
baiſſée
ne fera pas ſeulement le coup plus court, mais auſſi plus foible:
car ſans ce que la li-
gne
en eſt plus courte, auſſi le boulet s’approchant de la terre, ou ſautellant ſur icelle, perd
toute
ſa vigueur &
force ſans faire aucun ou bien peu de dommage.
CHAP. XIV.
Comment on doit monter vne piece ſur vne baute &
aſpre
montagne.
LA meilleure façon de faire monter vne piece ſur vne montagne eſt celle qu’on voit
en
la figure 23.
par le moyen d’vn cabreſtant. D. Eſt le ſommet de la montaigne
E
.
Eſt le pied d’icelle. A. B. C. ſont les courbes & mauuais chemins, par leſquels il
faut
faire marcher &
monter la piece, tirée d’vne groſſe longue corde par des poulies, pour
y
faire vne batterie entre D.
& C. contre la tour F. Pour cecy le canonnier apres auoir bien
recogneu
le lieu, mettra le cabreſtant derriere D.
l’affermant bien ſoigneuſement, afin qu’il
ne
puiſſe gliſſer &
ſuiure le grand pris de la piece. Puis es lieux propres des courbées du
chemin
, ſi n’y a des arbres deſquels on ſe puiſſe ſeruir, qui ſeroit vn grand auantage, on
plantera
à grands coups de marteaux de grandes cheuilles en terre, pour y attacher auec
cordes
bonnes &
fortes les poulies, parleſquelles la corde principale doit paſſer, attachée
au
fuſeau ou tour du cabreſtant, &
de l’autre bout à l’aneau qui eſt à la queuë du fuſt. Fina-
lement
quatre ou pluſieurs hommes tournant par le moyen des longues trauerſes ledit fu-
ſeau
feront monter la piece iuſques à la premiere poulie, elle ſera retenuë &
arreſtée,
iuſques
à ce que ceſte poulie deſtachée, on tourne la piece vers la ſeconde, &
ainſi en auant
iuſques
à paruenir au lieu deſiré.
Ilfaut auſſi que le fuſt ait en ſa queuë vne petite rouë qui l’eſleue, afin qu’il ne s’aheurte
à
quelque ſentier ou pierre trauerſée.
Aupres de la piece il y faut auſſi auoir quelques per-
ſonnes
, tant pour l’auancer, en la pouſſant que pour la tourner ſelon que l’occaſion le re-
quiert
:
comme on en voit au bout du col de la piece.
253120Troiſiéme Traicté
Auſſi peut-on attacher des cordes à la main aux crochets du fuſt, pour la tirer auſsi par
, ou la retenir afin qu’elle ne bronche, ou donne quelque branſle, qui la pourroit faire
deuoyer
.
Aupres de chacune poulie, il ſaut qu’ily aye vn homme pourueu de ſuye, & de vinai-
gre
ou leſſiue, pour l’oindre &
rafraiſchir aſin qu’elle ne s’allume, & pour auoir eſgard aux
cordes
, dont les poulies ſont attachées, qu’elles ne ſe rompent.
Et en voyant quelque de-
faite
ou ſigne de rompure, en aduertir ceux d’enhaut &
d’embas qu’ils s’arreſtent iuſques à
ce
que ladite corde ſoit changée ou refaite.
Mais ſi la montaigne eſtoit trop aſpre ou taluée, de ſorte qu’on n’y peuſt monter la pie-
ce
ou pieces en la maniere dite, il la faudra oſter de ſon ſuſt, &
l’y attirer ſeule & nuë en la
maniere
ſuiuante.
On arme le cabreſtant au ſommet, ou au lieu plus commode, le pouuant
tranſporter
d’vn lieu à l’autre, la neceſsité le requerant:
& ſur les bords aigus ſur leſquels il
faudroit
faire paſſer la corde, on met au trauers vn long bois rond enchaſſé aux deux bouts,
en
deux autres bloqueaux longs bien affermis, de ſorte qu’il ne ſe puiſſe reculer de ſon
lieu
, afin qu’au chemin que la corde fera, il ſe tourne en maniere d’vne poulie.
Or par ce
rouleau
on deualera la corde iuſques au bas eſt la piece, &
l’enlaſſant bien au caſſabel,
on
en fera auſsi quelques enlaſſures autour de la piece meſme, à ſcauoir entre les friſées de
la
culatte, à l’endroit de la lumiere, aux tourillons, &
ioignant les friſes du col, y adiouſtant
en
chacun endroit des liaiſons d’autres cordes aſſez fortes, deſquelles les extremitez de-
meurent
pendantes, tant pour l’affermir des lacs dits que pour en pouuoir retenir la piece
&
la contregarder tant au voyage qu’elle fait en montant qu’au paſſage dudit rouleau elle
ne
donne quelque dangereux branſle, Cecy fait on la tirera doucement en haut.
Et eſtant
paruenuë
audit rouleau, par lequel la corde a paſſé, il faut qu’il y aye aſſez de gens, qui la
prenant
tant par le corps, que par les cordes pendantes, la puiſſent conduire propremẽt &

doucement
, ceux du cabreſtanttirants auſsi a l’aduenant, par deſſus ledit rouleau.
Ce qu’on
fera
en chacun endroit eſquels par neceſsité il y en aura.
Car il peut aduenir qu’en tel che-
miny
aye deux ou trois rochers ou coſtezaigus, par leſquels pour paſſer la corde ſans dom-
mage
, ily faudroit detels rouleaux.
Cependant il faut auſsi, qu’aupres d’vn chacun rouleau
il
y aye vn homme auec de la graiſſe pour oindre tant les enchaſſeures dudit rouleau que le
lieu
par deſſus lequel la corde paſſe pour la faire tant mieux gliſſer.
Et la piece ainſi tirée
on
y peut auſsi tirer la monture, a ſçauoir le fuſt auec toutes ſes appartenances.
Ainſi attire
on
les pieces ſur les roches &
hautes tours, ou fortereſſes maritimes.
CHAP. XV
Comment le canonnier ſe doit gouuerner pour faire vn coup bien certain.
L’O ccaſion ſe preſente aucunesfois, qu’il faut qu’vne piece ſoit pointée fort curieu-
ſement
&
preciſément, ou notammẽt pour demonter vne piece ennemie, qui ſor-
tant
de quelque ambrazeure, caſematte ou autre lieu ſecret, empeſche leieu de cel-
le
dont on ſe pretend ſeruir.
Alors il faut que le canonnier aye entiere cognoiſſance de la
condition
&
qualité de ſa piece, s’en eſtant ſeruy pluſieurs fois. Car il eſt impoſsible qu’vn
canonnier
, tant ſoit-il expert, face le premier coup ſi bon d’vne piece qu’il n’a point prati-
quée
.
Sice n’eſt par cas d’auenture. Apresil ſe gardera de trop entaſſer & preſſer la poudre
en
la chargeant, aſin qu’elle ſe puiſſe allumer tout d’vn coup, &
que la piece n’en ſoittrop
rudementreculée
, eſtant certain que moins la poudre ſera preſſée, moins la piece en eſt eſ-
meuë
, &
plus leger en eſt le coup. Le meſme faut-il auſsi obſeruer au boulet, qu’il n’y
254121De l’Artillerie. auſſi trop enchaſſé, ains qu’il y ſoit mis doucement & auec le vent requis. Finalement il
pointera
ſa piece par le quadrant &
niueau comme de couſtume, prenant la mire iuſtement
ſur
le milieu de ſes friſes, ayant bien marqué d’vne petite lime le poinct de la viſée.
Et cecy
il
le fera d’vne gaillardiſe agreable, ayant eſgard de decliner tous les accidens racomptez
au
chap.
12. qui font le coup coſtier, & conſiderant que le bon coup fait aymer & honorer
le
canonnier.
Les pieces plus propres pour cet effet ſont les couleurines ordinaires, demies, &
quarts
:
& les canons, demis & quarts.
Vn tel coup doit auſſi eſtre recogneu du General, le recompenſant de magnanime li-
beralité
, pour encourager non ſeulement celuy qui l’a fait, mais auſſi les autres canonniers
pour
l’enſuiure ou faire mieux s’il eſt poſsible.
Louys Collade en ſa Pratique Manuelle
eſcrit
, qu’au ſiege de Sienne, il y auoit vne piece logée ſur l’ambulacre de l’Egliſe majeure,
de
laquelle l’armée aſsiegeante receuoit beaucoup de dommage:
mais en fin s’y trouua vn
canonnier
Alleman, qui d’vn coup non ſeulement la demonta, mais auſsi ſit voler le ca-
nonnier
&
tous ceux qui eſtoient auec luy en l’air. Ce que voyant le Marquis de Martinian,
General
de l’armée, cela luy pleut tellement, qu’il oſta vne chaiſne de ſon col &
la donna
audit
canonnier en recompenſe de ce braue coup.
Dont non ſeulement le canonnier fut
reſiouy
, mais auſsi tous les autres furent eſueillez a pourchaſſer meſme honneur &
recom-
penſe
, quand l’occaſion ſe preſenteroit.
Au ſiege d’Oſtende aduint quaſi de meſme d’vn coup, combien qu’il ne fut pas tant
eſtimé
, toutesfois vn bateau courant par le canal vers la ville, le gouuernail luy fut oſté par
vne
canonnade, dont les mariniers eſpouuantez y ietterent l’ancre, &
ſaultans en l’eau ſe
ſauuerent
à nage, laiſſans ledit bateau ainſi ancré entre la digue &
la ville, de ſorte qu’on
ne
le pouuoit guere endommager.
Ce que voyant le Marquis Spinola, s’enqueſta entre les
Capitaines
s’il y auroit quelque ſoldat ſi oſé de s’approcher à nage par le lieu moins dange-
reux
&
luy coupper le cable, de quoy outre ce qu’il ſeroit auancé il ſeroit auſsi liberale-
ment
recompenſé.
Auſsi-toſt pluſieurs ſe preſenterent, mais quand on vint à l’effet de ſe
ietter
en l’eau, ils furent receus de tant d’arquebuſades &
mouſquetades, que ledit Mar-
quis
ne voulant employer des ſoldats ſi grands de courage, en choſe de ſi petit profit, les fit
rappeller
.
Mais en fin vn canonnier expert, voyant tant le ſeruice qu’il feroit à ſa Majeſté
que
le plaiſir que ledit Marquis en receuroit, s’offrit à moy, me priant que ie luy donnaſſe
licence
, auec promeſſe qu’en deux ou trois coupsil romproit leſdits cables, &
que le ba-
teau
ſe rendroit à la digue.
Ce que ie luy permis, combien qu’auec croyance que la poudre, le boulet & la peine
y
ſeroient perdus.
Il pointa donc ſa piece, & du ſecond coup il couppa la corde, de ſorte
que
peu apres le bateau ſe rendit de noſtre coſté.
Lequel coup fut ſiagreable audit Marquis,
qu’il
en loüa grandement le canonnier, luy promettant tout auancement, &
l’honora d’v-
ne
piece d’or.
Parquoy i’exhotte tous ceux qui voudront entreprendre la pratique de l’Artillerie,
qu’ils
eſtudient auec grand ſoing &
diligence les circonſtances & conditions monſtrées
cy
deſſus, &
reigles de pointer les pieces pour s’en ſeruir auec auantage en toutes occur-
rences
, notans qu’il y a plus grande dexterité d’atteindre vn nauire porté par vehemen-
ce
des vents &
des ondes, qu’vn eſcadron marchant lentement, ou vne piece logée
fermement
en vne tour, principalement en tirant contre mont:
Et qu’ils s’y exer-
çent
en temps de paix, aſin qu’en la neceſsité ils y ſoient prompts, pour faire non
ſeulement
plaiſir &
ſeruice à leurs ſuperieurs, mais auſsi pour s’acquerir honneur & re-
putation
.
La figure 7. γ. montre comment le canonnier doit pointer ſa piece au niueau de l’a-
me
, ſelon l’inſtruction donnée au chap.
12. Notant toutesfois, que ſi les friſes de la
255122Troiſiéme Traicté che ou la ioye de la piece ſe trouuoient plus hautes que celles de la culatte, il en tirera la
hauteur
ſuperfluë, &
la mettant ſur la culatte il prendra la mire par deſſus icelle, & ladite
ioye
s’attenant ſeulement à l’accouſtumée aux metaux, car autrement il feroit touſiours le
coup
court.
Mais ſi les friſes ſont égalles tant en la bouche qu’en la culatte, prenant la mire
rez
icelles, il ne fau dra de donner en la choſe à laquelle il aura pointé, ſi elle eſt compriſe
aux
termes de ce pointage.
CHAP. XVI.
Deſcription de quelques machines appartenantes à l’Artillerie,
& deſquelles on ſe peut ſeruir auec grand
profit
en vne armée.
AV train de l’Artillerie on conduit aucunesfois des rets, faits de cordes moyennes
&
de palliſſades de coup, pour les armer de nuict ou de iour contre vne ſubite ir-
ruption
de la cauallerie ennemie, mais iamais ne les ay veu mettre en œuure l’oc-
caſion
ne s’en eſtant preſentée.
Car en ce temps, les camps ne s’approchoiẽt de ſi prés l’vn
de
l’autre, &
ne ſont les guers & ſentinelles ſi mal pourueus & ordonnez, que l’ennemy
voulant
faire telle entrepriſe, on n’aye du temps à ſuffi ſance pour ranger tout vn camp en
bataille
.
Toutesfois il ne peut eſtre mauuais, qu’on y ſoit pourueu en toutes occurrences,
eſquelles
pour leur ſeureté, leſdits rets ne viennent mal à propos, principalement en lieux
plains
&
campagnes raſes.
Eſquelles auſſi on ſe pourroit ſeruir pour s’emparer de ſemblable aſſaut, de ſes cha-
rettes
, dont il y a vne traçe en la figure 25.
β. La couuerture éleuée ſe fait d’vne groſſe
planche
de bois de cheſne à preuue de mouſquet, auec ſes ambraſeures &
ouuertures, par
leſquelles
, afin que ſans ceux qui le conduiſent, quelques mouſquetaires eſtans à couuert
en
trauaillent l’ennemy.
Les roües n’ont affaire de beaucoup de force. Au milieu en vne
perche
qui ſoit du milieu du timon, il y a vnelongue &
groſſe bombe ou tuyau de fer ou de
bois
, rempli par artifice de feu ineſtinguible, entremeſlé de quelques harges de mouſquet,
chargez
de poudre fine &
de balles de plomb, tant pour bleſſer que pour eſpouuanter &
effarouſcher
les cheuaux de la fumée &
lumiere, choſe ſuffiſante pour faire troub!er toute
vne
compagnie.
Aux coſtez elle ſera armée de longues pointes de fer, deſquelles on ſe
puiſſe
deffendre apres que le feu auroit fait ſon office.
C’eſt vne inuention fort profitable
pour
garder quelque chemin ou entrée, n’ayant affaire que de deux hommes pour le gou-
uerner
, &
les mouſquetaires de deffence. La figure en montre la façon & l’vſage: le char-
pentier
n’y ayant beſoing de grand artifice:
& quant à la bombe ou tuyau, la preparation
en
deſpend de l’induſtrie de l’ingenieur des feux artificiels.
Et en faute d’iceluy ne ſeroit mal à propos que le canonnier curieux y ſçeuſt mettre la
main
.
Car comme les autres feux artificiels ſont de grande importance, ainſi en eſt-il auſſi
de
ſes charettes, d’vn petit nombre deſquelles, pourueuës à ſuffiſance de deffences, on
pourroit
attaquer &
ſerrer vn grand eſcadron de cauallerie, & le mettre en déroute, n’y
ayant
choſe qui plus eſpouuante les cheuaux que le feu, accompagné de ſes coups, deſ-
quels
auſſi ſans l’effet des mouſquetaires de deffence qui y ſont à couuert les hommes meſ-
mes
ſont attaints &
effrayez, & fuſſent-ils en double quantité, de ceux qui conduiſent
leſdites
charettes.
Sans celle-cy on voit en ladite figure vne autre inuention de meſme effet & vtilité,
principalement
eſtant adioincte à la precedente.
C’eſt vne ſorte de petites
256123De l’Artillerie. deſquelles cinq ou ſix vnies égallement à l’endroit des chambres, & en forme de fluttes
d’orgue
, ſont miſes ſur vn fuſt large, prenant toutes à vne fois le feu, par le moyen d’vn
petit
conduit qu’elles ont à l’endroit des fagons.
Elles ſont faites ſelon la proportion de
couleurines
communes, legitimes &
ordinaires, à 37. de leurs calibres de longueur, le
renfort
de la chambre d’vn calibre &
{1/2} tirant vne lb. de fer, auec les quatre quints ou 1 {1/2} lb.
de plomb, auec autant de poudre fine. Elles peuuent auſſi eſtre chargées de petites balles de
plomb
, leſquelles toutesfois n’excedent le poids de lb.
ou 1 {1/2} ou pour le plus de 2. lb. leſ-
quelles
ſont miſes enſemble en vn ſachet, chacune piece ayant le ſien, pour enuoyer com-
me
vne continuelle pluye ou greſle de ces boulets ſur l’ennemy.
Elles ſont fort propres &
legeres
au maniement, car les quatre auec leur fuſt ne peſent que 20.
quint. & 72. lb. On
peut
s’aſſeurer qu’en l’entrée de quelque paſſage, principalement eſtant accompagnées
des
ſuſdites charettes bien armées, elles ſeront bonnes pour la deffence du lieu, &
feront
vn
grand carnage des ennemis.
CHAP. XVII.
La maniere de compoſer toutes ſortes de feux
artificiels
.
PRen vne partie de poudre, vne partie de ſalpetre raffiné, de ſoulfre bien purgé, reſi-
ne
, poix grige, vernix en grains &
ſel armoniac, de chacune de ces choſes demie
partie
:
chacun de ces materiaulx doit eſtre apart-ſoy bien mollu, & paſſé par vne
eſtamine
, &
pour chacune lb. d’iceux enſemble, adiouſte-y 4. onces de camphre. Pren
apres
autant d’huyle de lin ou de noix, ou alquilran d’Eſpagne, qu’il te ſemblera de beſoing
pour
en faire vne paſte dure.
Mais l’huyle, il la faut mettre en vne chaudiere, ſur feu de
charbons
qui ayent eſté embraſez deux fois, &
eſtant bien eſchauffée la tournant auec vne
palette
de bois y mettras peu a peu leſdites poudres, les meſlant &
incorporant ſoigneuſe-
ment
enſemble, &
ce fait l’oſte du feu, & en fais grands & petits boulets à la main, de pots
de
feu, &
autres telles inuentions, tant pour ietter au temps de l’aſſaut ſur l’ennemy, que
pour
l’endommager par terre &
par eau. Car on en peut auſſi remplir des ſachets, pour, l’oc-
caſion
ſe preſentant, mettre le feu en vn nauire, voire en toute vne armée.
Et n’aye peur
qu’elle
ſe gaſte, ainstant plus vieille, tant meilleure elle ſera.
Pour la compoſition & incorporation de cette mixtion, l’huyle de lin ou de noix eſt
bien
la plus propre, mais au defaut on ſe pourroit ſeruir de vernix compoſé en la maniere
ſuiuante
.
Pren de l’huyle telle que tu peux auoir 4. lb. ſandaracque ou gomme de ge-
neure
1.
lb. de cire 1. once. Mets l’huyle & la cire en vne chaudiere ſur petit feu, laiſſe les
bien
boulir enſemble, redige la gomme en poudre bien menuë, &
la mettant en ladite
chaudiere
, tourne &
remuë-la bien, & l’y laiſſe boulir ainſi iuſques à ce qu’y mettant vne
plume
de poule, elle s’y pele, &
lors le vernix liquide ſera bien fait. Et y mettant les ſuſdi-
tes
poudres, auras la mixtion en meſme perfection que deſſus.
L’alquilran d’Eſpagne eſt vne poix ou brée liquide, la plus propre qu’on pourroit trou-
uer
pour ſemblables affaires:
autres l’appellent poix grec, autres poix d’Eſpagne, & com-
munément
ſe dit Colophoniæ.
Le camphre eſt vne matiere fort propre & eſtimée és feux artificiels, pource qu’il bruſ-
le
longuement &
viuement, meſme ſous l’eau. Mais eſtant dificile à moudre, & ſi venteux
ou
ſpongieux, qu’à grand peine eſtant ſeul il peut eſtre redigé en poudre, choſe tou-
tesfois
requiſe en tous materiaulx entrans en la mixtion de ces feux, il faut premiere-
ment
prendre du ſoulfre, &
le bien eſtamper & pulueriſer en vn mortier, & puis y
257124Troiſiéme Traicté le camphre, & le tant eſtamper qu’il ſoit rédigé en pouldre comme ledit ſoulfre.
L’huyle de camphre ſe fait, en mettant de l’huyle d’amandes, auec le camphre en vn
mortier
, &
le pillant enſemble iuſques à ce que le tout ſoit conuerty en huyle, ce qui ſe
fera
bien-toſt.
Le ſel armoniac eſt moulu en meſme maniere.
CHAP. XVIII.
Autre compoſition pour en remplir des boulets, bombes
& ſachets.
PRen trois parties de poudre d’Artillerie bien mouluë & eſtamiſée, vne partie de
poix
grecque, demie partie de ſoulfre, ces deux pillez legerement, adioutes y demie
partie
de ſel commun, peſtri bien le tout auec de l’huyle de lin.
Cecy fait, remply de
la
paſte vn petit tuyau pour l’eſpreuue, &
luy donnant le feu pren bien garde comment
elle
bruſle &
ſouffle. Car ſi elle iette ſes flammes bien loing, & ſouffle d’vne force offenſi-
ue
, ſans toutesfois creuer ledit tuyau, ſera ſigne de ſa perfection &
bonté.
Pour charger vne bombe de cette mixtion, pren vn baſton rond, fait au tour qui entre
iuſtement
au tuyau que tu veux remplir, venant iuſques au fond:
mets-y de ladite mixtion
vn
peu, &
l’eſtampe luy baillant vn coup ou deux auec ledit baſton ou pillon, continuë
cecy
iuſques à remplir le tuy au detrois ou quatre doigts ſous la bouche:
mets-y vne meſ-
che
artificielle, remply le reſte à l’entour de ladite meſche de la meſme mixtion, iuſques
en
haut comme tu pourras ſans le pillon, qui n’y pourra entrer à cauſe de la meſche qui
doit
demeurer erigée &
droite au milieu. Pren finalement vn morceau de groſſe toille,
colée
de poix &
cire fonduë, mets-la ſur la bouche du tuyau, en ſorte que la meſche en
ſorte
par vn petit pertuis du milieu, &
la lie ainſi bien roide & fermement.
Ily aura bien pluſieurs autres receptes, mais de peu de difference & de choix, de ſorte
qu’il
n’eſt beſoing de perdre beaucoup de temps en la recherche &
deſcription d’icelles.
Notez ſeulement que pour toutes les autres compoſitions, il faut que les materiaux ſecs
ſoient
bien pulueriſez &
eſtamiſez: mais pour les bombes & ſachets, il ſuffit qu’ils ſoient
briſez
legerement.
CHAP. XIX.
Comment les boulets à feu doiuent eſtre formez & chargez.
LEs boulets artificiels ſont pour toute occaſion fort offenſifs, pour affliger & trou-
bler
l’ennemy, qui ne ſe peut emparer d’iceux.
Pour les former, pren vne piece de
groſſe
&
forte toille, detaille en huict quarts compaſſez par le compas des pointes
droites
ſelon la grandeur que tu la veux auoir, comme il appert en P, de la figure 24.
β. à
la
façon des ballons de vent, laiſſant à chacun quart quelque peu de place, qui excede la
traçe
du compas pour la couſture.
Si tu n’y veux employer tant de temps, tu feras vn ſac
de
la capacité qu’il entre en la piece, dont tu veux tirer le boulet, marque embas &
en
haut
le diametre d’icelle, &
apres l’auoir bien lié embas, remply-le de poudre iuſques à
la
marque du diametre d’enhaut, &
le liant bien fortement, tu auras vne bourſe
ronde
&
en forme de boulet. Et deuant que de paſſer plus auant, tu trauerſeras
258125De l’Artillerie. boulet ou bourſe de deux petits baſtons pointus & croiſez, comme on voit au boulet C. de
façon
qu’ils en ſortent de tous coſtez de la largeur de 3.
doigts. Cecy fait, tu tiendras preſte
en
vne chaudiere ſur le feu, l’vne des mixtions ſuſdites, celle qui te ſemblera eſtre plus con-
uenable
à ton entrepriſe, &
moüillant, chargeant ou colant bien en icelles vne poignée
d’eſtoupes
, en reueſtir ton boulet ſur la poudre, tout à l’entour, ce qu’il te faut reïterer tant
que
le boulet ait ſa iuſte eſpoiſſeur comme tu le deſires.
Aduerty que ſur chaque cappe, ou
telle
reueſture, tu le lies roidement de tous coſtez d’vne cordelette, affermiſſant touſiours
les
nœuds &
les bouts aux baſtons qui en ſortent; & quand tu viendras à la derniere, la lie-
ras
de fil de fer, ou de cuiure qui ſoit groſſelet, en ſorte que les baſtons ſuſdits demeurent
touſiours
au milieu de ceſte liaiſon, Finalement tu fondras en vne autre chaudiere la mix-
tion
ſuiuante, de deux parties de ſoulfre, &
d’vne de poudre, autant qu’il ſuffira pour y bai-
gner
ta table, &
de la reueſtir d’vne bonne crouſte ou cappe, & ainſi encrouſtée l’oſteras &
la
laiſſeras ſecher.
A pres en tirant les baſtons ſuſdits, y mettras deux cordes d’arquebuſe, de
maniere
qu’elles en ſortent de la largeur de deux doigts, rempliſſant le reſte entre leſdites
cordes
de poudre fine bien moulluë.
Pour tirer ce boulet d’vne piece il n’eſt beſoin qu’il ſoit aſſis ſur la poudre, ains luy ſuf-
fit
ſi il entre tant ſeulement de la longueur d’vne aulne en l’ame d’icelle, les bouts des cor-
des
bien ouuerts &
empoudrez, pour receuoir le feu promptement, de ſorte que la piece
ainſi
mirée au lieu tu veux ietter le boulet, te fera voir l’effet deſiré.
Mais s’il falloit que la piece fuſt ſi eſleuée, qu’il y auroit danger que le boulet de ſoy
meſme
ne tombaſt ſur la poudre, il le faut lier par le milieu d’vn fil de fer bien preſſé, au-
quel
attachant vne petite corde, on y lie vne croiſade de laquelle les bouts ſoient enuiron
quatre
doigts plus longs que la bouche de la piece, dont de ladite corde du boulet ſera pen-
dant
en la piecc, autant qu’on voudra.
Et pour le ietter de la main, il luy faudroit enlaſſer
vne
corde bien forte &
ſeure en longueur competente.
Or ce boulet tiré d’vne piece ou ietté à la main, eſt de grand effet, car les bouts des cor-
des
prenant vne fois le feu, le tranſportent en temps requis à la poudre enſerrée au milieu,
dont
le boulet creuant, auec vn bruit comme ſi on deſchargeoit encor vne piece d’Artille-
rie
, iette de tous coſtez les pieces de ſes couuertures bruſlantes, qui ne faillent d’allumer &

conſommer
tout ce qu’elles peuuent atteindre de matiere combuſtible.
La forme notée A, auec ſon tuyeau, eſt vne inuention d’vn boulet que iuſques à main-
tenant
n’a eſté mis en œuure, &
le mets icy auec la deſcription de ſa façon, afin qu’ẽ v oy ant
le
danger de l’v ſage d’iceluy, on ſe garde bien de s’en ſeruir par curioſité.
Il ſe fait tout de
fer
, en forme d’vne granade longuette, ou de lanterne, &
vuide par dedans. Le tuyeau auſſi
noté
A, ſert pour y mettre de la poudre humide, ou d’vne des ſuſdites mixtions pour don-
ner
le feu en temps determiné au reſte de la charge dudit boulet, qui eſt tout de poudre
forte
.
Et eſt fait auec ce deſſein, qu’eſtant mis en vne piece, la bouche du tuyeau ſur la pou-
dre
de la charge de ladite piece, &
tiré en vne muraille ou bouleuart, il y demeure caché
iuſques
à ce que le tuyeau donnant le feu à la poudre dont il eſt remply, creuantil emporte
vne
bonne partie du lieu de ſon giſte, &
y fait grande & large ouuerture. A quoy toutes-
fois
on ne doit adiouſter foy.
Car eſtant ainſi tiré & enchaſſé en vne muraille ou en terre, il
faut
neceſſairement que par l’ouuerture du tuyeau que luy donne le feu, ſorte toute la force
de
la poudre qui eſt enſerrée, emportant toutes ſes briſées vers la piece &
les gens dont el-
le
a eſté tirée.
Ioint que i’eſtime choſe impoſſible qu’il ſorte entier de la piece ou de la bat-
terie
, ſans creuer auſſi, meſme en ſortant d’icelle, ou combien qu’il en ſorte, il puiſſe par-
uenir
au lieu deſiré, s’il n’eſt de paſſage fort court, comme on en a veu les eſpreuues bien
dangereuſes
.
Car l’inuenteur, qui futle Gouuerneur du Chaſteau de Genape, en voulant en preſen-
ce
de Don Louys de Velaſco General de l’Artillerie, faire l’eſſay, le boulet ſe creua
259126Troiſiéme Traicté ſortant de la piece. La ſeconde fois il ſortit, mais ne paruint au lieu deſiré. Finalement il en
voulut
faire plus entiere experience au chaſteau d’Anuers, deuant le Gouuerneur d’ice-
luy
Don Auguſtin de Meſchia, d’vn S.
Matthieu, canon Anglois de 60. lb. de boulet: les
deux
boulets ſe rompirent au paſſage rempliſſans l’air de leurs bricoles, dont &
les mai-
ſons
&
les murailles en furent endommagées. La troiſieſme ſe mit en terre, au lieu deſtiné,
tiré
en diſtance de 150.
pas, mais en creuant il renuoya ſes bricolles vers la piece dont il
eſtoit
ſorty, meſmes iuſques à endommager le coſté d’vn corps de garde, qui eſtoit eſloi-
gné
de iuſques à 100.
pas: Et ſi le Conneſtable n’euſt fait ſigne au Chaſtellan & autres
qui
attendoient l’effet du coup, leur criant qu’ils ſe retiraſſent en arriere, dont ils ſe recule-
rent
à l’entrée du cauallier S.
Pedro, qui eſtoit au diametre ou au trauers des pieces retour-
nantes
, ſans doute ou ledit Chaſtellan ou quelques-vns de ſa compagnie y fuſſent demeu-
rez
ſur la place.
Le boulet noté de C. eſt fort dommageable en quelque lieu qu’il ſoit tiré. Car venant
à
tomber ſur quelque corps de garde, ou quelque troupe de gens, il y fait vn merueilleux
degaſt
, s’il ne le rompent de bonne heure ou ſeiettent eſtendus en terre.
Il eſt remply iuſ-
ques
au milieu d’enhaut de poudre humide, &
le reſte d’vn petit boulet de poudre fine,
enuiron
de pluſieurs chambrettes, d’arquebuſes ou mouſquets chargées de leurs petites
balles
de plomb, dont il ne fait ſeulement le mal de ſon debris, mais auſſi eſpard ſes ballet-
tes
de tous coſtez:
que pour eſtre de plus grand effet, ſont chargées à trois ou à quatre en
vne
chambrette.
Les deux figures à pointes crochetées, marquées de 4. & 5. ſont miſes en œuure pour
mettre
le feu aux maiſons, batteaux ou autres grandes machines.
CHAP. XX.
Comment les pots de feu & boulets à la main ſont faits.
LEs pots & les boulets à main ſe font de bonne argille ou terre de potier, auec trois
ou
quatre an ſes grandes ou petites, comme on voudra pour tenir les meſches, qu’ils
n’en
dechéent en les iettant, &
le col court & fort, pour y mettre le lacs dont il eſt
ietté
.
Ainſi façonnez ou formez, il les faut bien ſecher au ſoleil: & puis les remplir d’vne
des
ſuſdites mixtions, &
les ietter durant l’aſſaut ſur l’ennemy, la trace s’en voit à B.
Les boulets à la main eſtant petits & iettez, n’ont que faire de corde ou de lacs: toutes-
fois
il faut que les meſches ſoient tellement colloquées, qu’au vol elles n’en ſortent, afin
que
tombant en terre, elles facent leur office.
Outre la mixtion generale deſſus deſcrite on ſe peut auſſi ſeruir de la ſuiuante. Pren de
la
poudre, ſoulſre, ſalpetre, ſel armoniac, de chacun {1/2} lb.
Camphre 2. onces, le tout bien
broyé
&
eſtamiſé, adiouſtes y vne poignée de ſel commun, mets le tout enſemble en vne
paelle
ou petit chauderon, auec autant de poix liquide, ou huyle petrolis, ou de lin, ou de
noix
, qu’il ſe face aucunement dure:
va le paiſtriſſant de la main & incorporant bien en-
ſemble
:
puis pren vn petit tuyeau comme d’vne fuſée, remple le & luy donne le feu pour
vne
eſpreuue, &
pren garde quelle en ſera l’operation. Si elle ne ſouffle aſſez fort, tu y ad-
iouſteras
autant de poudre broyée, la paiſtriras enſemble iuſques à ce que tu la trouueras
telle
que tu la deſires.
En fin remplis-en tes pots & boulets, & t’en ſers comme la neceſſité
t’enſeignera
.
Et notte que toutes ces mixtions de feux artificiels de quelconque ſorte, doi-
uent
eſtre ainſi eſprouuées auant que d’eſtre miſes en œuure, afin que tu ſois aſſeuré qu’au
beſoing
elles ne te manqueront.
260
[Empty page]
261 58[Figure 58]
262
[Empty page]
263
[Empty page]
264 59[Figure 59]
265
[Empty page]
266127De l’Artillerie.
Le boulet noté A, A, L, L, monſtre comment on fait vn boulet double, qui eſt vne
inuention
la plus dommageable de toutes celles qui ſont compriſes es feux artificiels, fai-
fant
ſes effets quand moins on y penſe, eſtimant que c’eſt vn boulet commun, duquel on
ſe
ſert pour eſclairer vne campagne:
& quand ſe perſuadant qu’il a executé toute ſa fu-
reur
, on le veut oſter, c’eſt alors qu’il commence, le boulet interieur ſe creuant, &
bleſſant
tous
ceux qu’il peut atteindre de ſes pieces.
Nous en auons fait l’eſpreuue au ſiege d’O-
ſtende
en eſtant trompé ſouuentesfois, iuſques à ce que nous l’auons apris à cognoiſtre, &

imiter
la ſtructure d’iceluy, preſenté en ladite figure.
On prend vne granade de fer qui ſoit
vuide
&
creuſe par dedans, laquelle on remplit iuſques au milieu de poudre fine bien for-
tement
entaſſée, aſin que le feu la touchant elleface ſon effet tant plus roidement, le reſte
eſt
remply de la mixtion la plus forte qu’on peut auoir, laiſſant vn eſcloppin ou vne meſ-
che
au milieu, pour entretenir le feu iuſques à ſon temps.
Ainſi preparée, on la reueſt,
comme
auons dit deſſus és couuertures des boulets de feu;
& paruenu à la grandeur de le
pouuoir
mettre en la piece, on le lie &
enlaſſe de tous coſtez d’vne bonne & forte corde,
comme
on voit en ladite figure.
Le petit tuyeau L, A, doit eſtre mis auec ſa pointe ou ſon
bout
, par les chappes ou reueſtures, iuſques à la bouche, du boulet de fer, pour y conduire
le
feu comme on deſire.
Or de ce boulet bien fait & ietté tirant en quelque lieu, à grand
peine
ſe pourra on preſeruer, ſi ce n’eſt qu’auec des bouts des picques on le recule, mais
ne
ſçachant le temps de ſa briſée, ce ne ſeroit ſans danger d’y approcher.
La forme des granades ou boulets à la main, dont cy-deſſus auons monſtré comment
ils
doiuent eſtre chargez, eſt monſtré és figures B, &
3. auec le tuyeau noté de meſme, par
lequel
il conçoit le feu en ſon temps, &
la liaiſon requiſe qui ſe voit au boulet precedent,
de
ſorte qu’il n’en reſte gueres a dire, ſeulement qu’on ſoit aduerty de le manier auec gran-
de
prudence, qu’il ne ſe creue entre les mains:
comme i’en ay veu quelques exemples aſſez
deſaſtreux
, ſuruenus de ce qu’ils eſtoient iettez de tels qui ne s’y entendoient pas beau-
coup
, de ſorte que tomber de la main, tant les aſſiſtans que l@ ſont demeu-
rez
ſur la place.
On ſe ſert auſſi en ce temps de tirerauec des mortiers ou canons des boulets ardants,
premierement
fort chauſſez au feu d’vn grand braſier.
CHAP. XXI.
Comment ſe trouuant aſſiegé en vn lieu on iette des boulets de feu
pour
eſclairer la campagne.
P Our recognoiſtre bien les foſſez, & voir en l’obſcurité de la nuict les approches de
l’ennemy
, ou comme de loing il fait ſes batteries &
y plante l’Artillerie, afin d’y don-
ner
empeſchement au poſſible.
Pren vn boulet de fer de demy-canon, lequel perçé
en
croix parle moyen d’vn tarault, tu feras que les trous ayent deux doigts de profondeur,
puis
enchaſſeras en iceux à coups de marteau, quatre boulons defer, de telle longueur que
le
boulet ainſi croiſé puiſſe auec vent competent entrer en la bouche du canon, ou mortier
qu’on
y veut appliquer, comme il eſt monſtré au boulet C, O, de la figure 24.
β de n. 13.
Leſdits boulons ſeruent à ce que ledit boulet ſe reueſtant des eſtoupes bien baignées és
mixtions
precedentes, comme i’ay mon ſtré en la façon des autres boulets, les bouts &
les
liaiſons
qui ſefont ſur chacune cappe y ſoient affermies, ſi de ces cappes il en faut faire au-
tant
, que la derniere eſgalle leſdits boulons, &
alors le boulet aura ſa grandeur & perfe-
ction
requiſe.
Et pourroit-on bien reueſtir ledit boulet, & le lier ſans ces boulons, mais
267128Troiſiéme Traicté danger que parla vehemence du coup, les couuertures ſe diſſoudroient du boulet, de ſorte
qu’il
ſeroit ſans aucun effet:
dont retenuës par ce moyen de boulons de fer (car de bois ils ſe
pourroient
auſſibien rompre) &
boulets & couuertures demeurent enſemble, ſeruans au
deſſein
pretendu.
Et faut-il que leboulet ſoit de fer, pour pouuoir eſtre ietté ainſi loing.
Car combien que les boulets ayent auſſi leur poids, ſi eſt ce qu’ils ne feront point autant de
chemin
que ceſtuy-cy, qui a ſon poids au milieu.
Pour charger ce boulet au canon ou mortier, n’eſt beſoin de mettre vn morceau entre
luy
&
la poudre, mais il l’y faut mettre ainſi nu, afin qu’allumé detous coſtez, il volle com-
me
vne grande comette ardant par l’air, &
eſtant tombé à terre, ne puiſſe facilement eſtre
eſtaind
de l’ennemy.
Eſtant tiré par le poinct de plus haute eſleuation, i’aſſeure qu’il fera
bien
trois mille pas communs;
la le boulet commun à grand peine en fait deux mille.
Cependant ſi on n’auoit que faire d’eſclairer ſi loing, le ne veux nier que les boulets com-
muns
ne ſoient de moindre frais &
plus commodes.
CHAP. XVII.
Pour faire des boulets ardans en l’eau.
P Ren 4. parties de terebentine, 2. parties de poudre, 2. parties de charbons de ſaulx ou
de
Tillier, bien pulueriſez &
eſtamiſez, 3. parties de poix liquide, 1. partie de poix re-
ſine
, vne partie de camphre, {1/2} partie de bejoin puant, (aſa fœtida) &
{1/2} partie de colo-
phonie
.
Tous leſquels materiaux bien preparez, peſtris & incorporez enſemble, comme
nous
auons monſtré deſſus, feront vne mixtion forte &
puiſſante pour l’accompliſſement
de
l’effet deſiré.
Pour les cartouches qui ſaus redouter les vents, les neiges & pluyes, eſclaireront de
nuict
toute l’armée ou les lieux qu’on deſire, il faut premierement boüillir les filets en la lie
qui
demeute au fond de la chaudiere en laquelle on a purgé ou rafiné le ſalpetre.
Et au de-
faut
de ceſte commodité, qu’on ne peut auoir en tous endroits, on prendra d’eau commune
autant
qu’il ſera de beſoing, &
pour chacun pot d’eau vn lb. de ſalpetre, y laiſſant boüillir
leſdits
filets iuſques à la diminution de {2/3} auec le ſoing de lesy tourner &
remuer ſouuent:
puis les oſte & les pends au ſoleil, afin qu’ils s’y ſechent.
Apres pren de la poudre & du ſoulfre autant de l’vn que de l’autre, bien pulueriſé &
eſtamiſé
, &
de la cire le poids de tous deux. Mets la cire en vne chaudiere ſur vn petit feu,
afin
qu’elle s’y fonde, &
fonduë qu’elle eſt, mets y le ſdites matieres, les meſlant fort bien
enſemble
, mais pren garde que le feu n’aye point de flamme, ou qu’il ne ſautelle, ains qu’il
foit
lent &
de charbon bruſlé, & eſteint par deux fois: & ſi la mixtion ſemble trop dure, va
y
meſlant de la poix liquide ou terebentine, temuant le tout fort bien de ta pallette de bois.
Et cecy fait, mets y tremper leſdits filets entortillez & proprement compoſez: puis en les
retirant
tu auras vnerouë comme ceux qui font des chandelles, les pendant à vn crochet
par
deſſus ta mixtion, en ſorte que ce qui en degoute retombe en la chaudiere.
Tous ainſi
pendans
de ladite rouë, tu prendras de nouueau de poix reſine, ſoulfre broyé, &
terebenti-
ne
, parties eſgales &
fonduës qu’elles ſeront, tourneras la rouë par deſſus, verſant d’vne
cueiller
de cette mixtion ſur leſdits filets, d’anneau à anneau, iuſques à ce qu’ils ſoient tous
bien
reueſtus.
Ainſi tu auras des cartouches, que ny vent ny pluye ne pourront eſteindre.
268
[Empty page]
269
[Empty page]
270 60[Figure 60]
271 61[Figure 61]
272
[Empty page]
273129De l’Artillerie.
CHAP. XXIII.
Comment on peut mettre le feu en quelque endroit, ou le ietter
ſur
l’ennemy aſſaillant.
V Oulant mettre le feu en vne barque, maiſon ou autre choſe ſemblable, on pren-
dra
, comme on voit en la figure 25.
a. vn arbaleſte ayant l’arc aucunement traita-
ble
, de ſorte qu’à la legere il puiſſe eſtre bandé de ſon gaffon, &
la chargeant d’v-
ne
fleche pointuë, armée d’vne petite bombe ou boulet de feu, preparé d’vne des mix-
tions
ſuſdites, ie ſuis aſſeuré qu’allant proprement conditionné, &
touchant de ſa pointe
le
lieu pretendu, il ne faudra à l’effet deſiré.
I’en ay veu l’experience au ſiege d’Ypres &
d’Oſtende
, dont ie peux bien aſſeurer que c’eſt l’vn des meilleurs artifices qu’on pourroit
appliquer
à ſemblables deſſeings.
De meſme en ſera du dard décoché a bras fort de l’arc
noté
A.
La bombe B, ſera bien propre pour deffendre l’entrée d’vne batterie ou autre paſſage
eſtroit
, ou en donnant l’aſſaut à vn nauire d’vne armée, le tenant deuant, &
detournant
ceux
qui ſont aux deffences, ou pour les oppoſer aux attaques nocturnes tant d’infanterie
que
de cauallerie.
De meſme ſera du ſachet C, remply des mixtions ſuſdites, pour reſiſter à l’aſſaut de
l’ennemy
, le luy iettant au deuant pour l’en deſtourner.
Et ſansautres inuentions domma-
geables
, deſquelles pour n’eſtre trop long ie ne feray mention:
on ſe pourra auſſi alors ſer-
uir
de ces guirlandes, notées D, grandes &
petites, qui eitant & reueſtuës de l’v-
ne
des paſtes &
mixtions ſuſdites, ne faudront d’eſtre tres-dommageables à ceux qu’elles
rencontreront
.
CHAP. XXIIII.
Comment les meſches pour allumer les boulets, bombes & autres
feux
artificiels doiuent estre preparées.
CE n’eſt pas l’vne des moindres ſciences au fait de la guerre, que de ſçauoir bien pre-
parer
les meſches pour les feux artificiels en ſorte qu’elles allument ou toſt ou tard,
&
au temps limité, la machine à laquelle elles ſont appliquées. Or ſont en la manie-
re
ſuiuante.
Pren vn pot nouueau bien luté, mets-y du vinaigre blanc autant qu’il ſuffiſe pour y
tremper
la quantité des meſches que tu pretends de faire, ou au lieu de vinaigre mets-y de
l’eau
de vie qui ſera plus propre:
mets-y vne fois autant de poudre fine, en ſorte qu’apres
auoir
imbibé ladite liqueur, le tout reſte comme vn papin mol:
& cependant tes meſches
ſeront
bien preparées &
faites de fil de coton, en telle eſpoiſſeur que tu les voudras, com-
bien
que les plus ordinaires ſe font de quatre fils ſeulement retors enſemble, leſquels ne ſe-
ront
trop gros, ny trop retors:
met-les audit pot ſur petit feu, iuſqu’a ce que le vinaigre ou
eau
de vie ſoit toute conſommée.
Oſte-les du feu, & les laiſſe quel que peu refroidir, puis
pren
le bout de la meſche, &
l’ẽ retire entre-deux doigts, afin qu’elle ne demeure trop char-
gée
.
Pend-les ſur vne corde à ſeicher. Celles-cy ſerõt vites à dõner lefeu: maisſion les
274130Troiſiéme Traicté encor plus auancer, deuant que d’eſtre ſeichez on les tournera ſur du poulurin eſtamiſé: &
les
voulant faire tardiues, on prendra au lieu de la poudre fine, de la commune.
On en peut auſſi faire d’vne autre ſorte qui ſont quelque peu tardiues. Prenant 1. lb.
de ſalpetre bien raffiné & moulu, de ſoulfre auſſi bien moulu & fin {1/2} lb. & mettre cecy en
vn
pot auec autant d’huyle delin, &
apres l’auoir bien boüilly, & refroidy, la mixtion ſoit
faite
en ſorte qu’elle ne s’attache en la main.
Mets-le ainſi boüillir au feu lent, & le tourne
bien
, afin que tout ſoit bien meſlé &
incorporé enſemble: & eſtant ainſi, mets-y les meſ-
ches
, laiſſe les y bien tremper, en ſorte qu’elles s’imbibent bien de ladite mixtion.
En fin
les
retirant, laiſſe-en deſcouler la ſuperfluité de la liqueur.
Eſtant refroidies & ſeichées,
elles
ſeront fort propres pour les mettre en œuure en lieux humides, comme és mines, ou
autres
ſemblables, l’humidité ne les pouuant empeſcher ne ſuffoquer.
Pour les feux artificiels de ſalues & deioye, on les fait ainſi. On prend autant de vi-
naigre
fort qu’il ſuffit pour y boüillir la poudre, que pour trois pots de vinaigre, il y faudra auoir
pretend
faire, eſt requis, faiſant le compte, que pour trois pots de vinaigre, il y faudra auoir
3
.
lb. de poudre: puis on y met boüillir les meſches, iuſques à ce que le vinaigre ſoit tout
conſommé
:
en fin les oſtant & mettant ſeicher, on s’en ſert pour les bombes, granades,
nues
&
autres ſortes de ſemblable paſſe-temps.
CHAP. XXV.
Comment on peut repouſſer l’ennemy ectant proche du pied de la
muraille
, & de telle façon à couuert qu’on ne le
peut
endommager d’aucunes armes
offenſiues
.
E N telle occaſion il y faut appliquer l’in ſtrument traçé en la figure 24. β. du chapi-
tre
19.
noté T, S. C’eſt vn blocqueau rond ou quarré, lequel on laiſſe tomber à
plomb
du haut du parapet, par deux groſſes cordes ayant au bout chacune ſa meſ-
che
allumée, pour leur donner le feu quand il vient embas.
Ledit blocqueau eſt armé par
dehors
d’anneaux l’amas, &
pointes defer, par dedans il eſt caué eſt remply de poudre
fine
, cailloux, cloux, &
de petites chambrettes de mouſquets chargez de deux ou trois
balles
de plomb chacun:
de ſorte que tombans vers l’ennemy & conçeuant le feu il creue,
&
bleſſe & tuë l’ennemy qui penſe eſtre couuert, ſans qu’aucun ſe puiſſe ſauuer; cepen-
dant
ceux d’enhaut, qui l’auront ietté, ſe garderont bien du danger.
Et faut noter que les
cordes
deſquelles ledit inſtrument deſpend, ne doiuent paſſer la muraille de plus de ſa hau-
teur
, à vne ou deux aulnes moins.
Dont pour eſtre aſſeuré, illes faut meſurer par dedans,
&
en attacher les bouts à vn anneau ou clou, du coſté de dedans du parapet, comme on
voit
en ladite figure.
Et ne ſeroit mal à propos, ſi parmy la poudre fine, dont ledit inſtru-
ment
eſt chargé, on y entremeſloit quelques poignées ou ballettes d’eſtouppes trempées
en
l’vne des mixtions cy deſſus deſcrites, des feux artificiels.
275131De l’Artillerie.
CHAP. XXVI.
Compoſition de toutes ſortes de feux artificiels, de
ſalues
& de ioye.
A Yant iuſques à preſent enſeigné ſuffiſamment comment le canonnier en pluſieurs
manieres
&
differences doit preparer & appliquer les feux artificiels de guerre:
d’orèſnauãtie luy monſtreray commentil doit preparer des feux de ioye, afin qu’en
cet
endroit auſſi iln’y aye faute de perfection en luy.
Or combien que d’ordinaire c’eſt vne
choſe
bien cognuë, meſme quaſi iuſques aux petits enfans, qui en veulent faire leur part:

ſi
croy-ie qu’il y a bien des canonniers (voire la plus grande part) qui ne ſçauent la manie-
re
de les compoſer, &
n’ont aucune cognoiſſance du moyen de les mettrẽ en œuure,
toutesfois
c’eſt vne choſe propre &
dependante de tel office, laquelle il ne doit ignorer, &
tant
moins, qu’il n’en receura point de honte, mais grand honneur, de les ſçauoir bien fai-
re
, ou pourle moins donner ordre, que pour la ioye du peuple, &
pour honorer ſon Prince
ou
Gouuerneur, ils ſoient faits par autres.
Dont pour luy en donner quelque adreſſe, ie luy monſtreray la maniere de faire les fu-
ſées
, qui ordinairement &
principalement ſont appliquées à ſemblables paſſe-temps &
ioyes
:
car il y a pluſieurs qui ne les ſçauent faire, en partie pource qu’ils n’en ont iamais
veu
la maniere, ny rencontré quileur en donnaſt quelque inſtruction:
en partie, combien
qu’autrement
affectionnez à cette ſcience, de crainte de perdre quelque poinct de rêputa-
tion
s’ils apprenoient quelque choſe d’vn autre, demander l’inſtruction requi-
ſe
.
Ioint qu’ily en a auſſi, qui les mettant en œuure ignorent toutesfois la qualite, &
force
de leur operation.
Parquoy m’a ſemblé choſe decente & conuenable de propoſericy la raiſon, forme &
proportion
de tout ce qui y eſt requis, tant des moules comme de la mixtion &
tempera-
ment
de la matiere dont elles ſont faites;
Si non entierement, eſtant cet art quaſi inſini,
à
cauſe de ſi grande diuerſité de compoſitions, qui toutes ſe peuuent faire de poudre fine,
pour
le moins ie luy propoſeray quelques-vnes des plus gratieuſes experimentées nou-
uellement
, &
ny trop labourieuſes ny de trop de deſpenſe. Qui combien qu’elles ne ſoient
de
beaucoup d’importance pour le fait de la guerre, ſeruiront toutesfois (comme nous
auons
dit cy deſſus) pour honorer le canonnier qui s’y entend.
Doncques pour faire les fuſées en leur forme requiſe & entiere perfection, il faut que
premierement
on ſçache fort bien traçer en vn papier le moule, de la ſorte &
grandeur
qu’on
le veut auoir, pour le donner au tourneur qu’il le face proprement.
Pour cet effet,
fay
vne ligne droite a vn papier;
Pren par les pointes du compas droit la meſure de la lar-
geur
de la fuſée que tu veux auoir:
& deces ouuertures traçes en ſix au long de la ligne, dés
le
poinct A, iuſques a B, comme dés la part de la culatte, vers celle de la bouche, qui ſera
la
longueur du moule, combien qu’il ſe feroit mieux de 6 {1/2} de telles ouuertures ou calibres.
Le bois du moule ſera a l’entour de l’ame, de la meſme eſpoiſſeur d’icelle, de ſorte que ſon
diametre
ſoit de trois calibres.
Et de l’ame, le papier de la fuſée empeſchera le quart en ſa
circonference
;
d’eſpoiſſeur, comme on voit en la figure 21. β. A, B, eſt la longueur du
moule
B, C, eſt le diametre d’iceluy, les 4.
monſtrent l’eſpoiſſeur du bois d’vn chacun
coſté
.
Les 2. l’eſpoiſſeur du papier. Le pied aura en la meſme eſpoiſſeur ou circonference
du
moule, pour le moins calibre &
demy de hauteur, auec vne teſte au milieu de demy cali-
bre
, tellemẽt faite que le quart de calibre d’embas, ſoit de l’eſpoiſſeur de l’ame pour y
276132Troiſiéme Traicté iuſtement: le quart d’en haut ſoit amoindry, d’autant que l’eſpoiſſeur du papier puiſſe en-
trer
entre-deux, &
repoſer égallement ſur l’eſpoiſſeur d’embas.
Et en cette eſpoiſſeur d’embas il y aura vn petit pertuis, ſur lequel reſpondra vn autre
du
bord d’embas du moule, pour y paſſant vn clou ou fil de fer aſſez gros, affermir le pied
&
le moule enſemble, comme on voit en A, E.
Le tampon formé ſur le papier, doit eſtre en meſme longueur que le moule, mais non
plus
gros que l’ame de la fuſée, ayant la manche en eſpoiſſeur conuenable pour remplir la
main
quand on l’enuironne en tournant dudit papier.
L’autre M, eſt celuy duquel on en-
taſſe
la poudre, doit eſtre d’vn tour de papier plus menu, &
quelque peu plus long que le
precedent
, afin qu’a l’aiſe il puiſſe entrer &
ſortir par ladite fuſée, auec le manche à teſte
ronde
, ſur laquelle on donne les coups du marteau, pour, comme dit eſt, entaſſer la pou-
dre
ou la mixtion qu’on met peu à peu en la fuſée.
La fuſée N, faite, aura 10. calibres de ſa
bouche
, les 9.
de poudre, & le dixiéme pour les ligatures d’embas & d’enhaut. LeBaren O,
n’aura
la pointe plus longue que le tiers de la fuſée, duquel on voit la figure, la forme &
la
proportion
.
Combien qu’aucuns la tiennent en la culatte du moule, faiſant leur fuſée ſur
iceluy
.
Mais la façon en eſt incertaine, & ne reüſſira, ſi ce n’eſt vn bon maiſtre qui s’y em-
ploye
:
& de fait, il n’y en a point quien vſent, ſinon ceux qui en ont vne longue pratique,
&
leſquels y ſont fort adroits.
La mixtion de la poudre, ſoit pour petit ou pour grand nombre, ſe fera de quatre par-
ties
de poudre fine &
bien ſeiche, & vne partie de charbon de ſaule ou de tilier, ou d’autre
bois
doux &
friable, le tout bien moulu chacun à part, & paſſé par l’eſtamine deux fois, &
puis
bien meſlé enſemble.
Et ce qui ſe dit des quatre parties, ne ſe doit entendre de poids,
mais
de meſure;
de ſorte que pour quatre cueillers de poudre on en prenne vne de char-
bon
:
Car ſi on y alloit au poids, le charbon eſtant beaucoup plus leger que la poudre paſ-
ſeroit
la proportion requiſe Et eſt groſſe, on y mettra pour quatre cueilliers
vne
demie de charbon.
Si on fait les fuſées pour compoſer roües artiſicielles, on y meſlera vn peu de ſalpetre,
pource
qu’il fait ietter la flamme plus viue &
gaillardement. Et les fuſées qui ſe font auec
plus
grand ſoing, ſont celles qu’on fait cheminer par vne corde, ou pour conduire vn dra-
gon
d’vne part ou d’autre, oùily faut du ſoing, afin qu’ils ne defaillent, car le canonnier
ou
le maiſtre en auroient de la honte.
Dont pour en eſtre aſſeuré, il faut eſprouuer la mix-
tion
en vne ou deux fuſées, pour en cognoiſtre la force.
La corde pour les lier doit eſtre la
plus
fine &
plus forte qu’il pourra recouurer, en ayant touſiours à la main de diuerſes groſ-
ſeurs
, ſelon la diuerſité des fuſées qu’il voudra faire.
Cy apres nous monſtrerons quelques
ſortes
de machines, qu’on arme pour faire des ſalues, aduertiſſant l’amateur de telles
gentilleſſes
, que lors qu’il voudra planter pluſieurs ſemblables machines ioyeuſes tant à
l’ouye
qu’à la veuë, qu’illes ſepare en ſorte qu’il y aye de diſtance de l’vne à l’autre quinze
ou
vingt pas communs, pour euiter le danger que de l’vne le feu ne prenne à l’autre deuant
le
temps, &
que la feſte en ſoit confuſe, auec l’ennuy tant des aſsiſtans que du maiſtre meſ-
me
:
ayant eſgard que les arbres ou perches ſur leſquels il les plantera ſoient de meſme
hauteur
, peintes de diuerſes couleurs, &
ornées de leurs banderoles de taffetas. Et ſi la feſte
ſe
fait de nuict, il les mette en œuure au coucher du Soleil, afin que la poudre ne ſe ſeiche
par
la chaleur du Soleil, &
en ſoit l’operation trop ſubite & furieuſe, donnant plus de faſ-
cherie
que de contentement.
En fin qu’au lieu par lequel il veut commencer à faire ioüer
ſa
machine, il y attache vne bonne meſche bien couuerte de papier.
277
[Empty page]
278 62[Figure 62]
279 63[Figure 63]
280
[Empty page]
281
[Empty page]
282133Del’ Artillerie.
CHAP. XXVIII.
Deſcription de quelques roues artificielles, & de la
maniere
de les compoſer.
LA premiere inuention qu’és feſtes & ſalues de ſolẽnelle rejoüiſſance, on met pour
donner
contentement aux aſſiſtans, eſt celle des rouës artificielles, deſquelles com-
bien
que la façon ſoit fort antique, ſi eſt-elle de grand paſſe-temps aux regardãs:
&
principalement
quãd on y entremeſle pluſieurs coups entre les fuſées de durée, qui les font
cheminer
, les prenant en la grandeur d’vne rouë de charette auec ſes rayons bien façõnez.
Et de fait, tant plus elle ſera grãde, tant plus en durera la ioye; ſeulement il faut eſtre aduer-
ty
quel’eſguille l’aix à l’entour de laquelle elle doit auoir ſon mouuement, ſoit bien en-
chaſſée
en la perche du pied, afin de pouuoir bien reſiſter à la force, qu’en ce voyage orbi-
culaire
elle fait.
Et plus cette premiere, A, qui chemine au plan de la teſte de ladite per-
che
, C.
En y mettant les fuſées, il les faut bien fermement attacher comme auſſi les coups, &
les
couurir apres les auoir bien pourueus de poudre à l’entour, de papier colé deſſus, afin
quele
feu ne defaille, ains que courant par bon ordre d’vne fuſée à l’autre, il retienne ſon
temps
limité, de ſorte qu’vne fuſée ayant acheué ſon operation, l’autre ſans poſer com-
mence
auſſi la ſienne, &
que les coups facent auſſi en poſes compaſſées leurs effets, iuſques
à
la fin.
Eſtant donc ainſi compoſée, ſera couuerte de papier peint de diuerſes couleurs,
comme
la perche, &
ornée de ſon eſtandart comme on voit en la figure 26. α. Et ſi on n’a-
uoit
des fuſées à ſuffiſance, on les pourroit eſloigner quelque peu l’vne de l’autre, auec vne
meſche
entre denx bion couuerte, combien qu en ladite figure ie Tay laiſſée deſcouuerte
pour
donner tant mieux à entendre comment le tout doit eſtre compaſſé.
La ſeconde rouë B, cheminant du mouuemẽt naturel, eſt de veuë fort plaisãte, & n’en
eſt
la compoſition differente de la ſuſdite, ſeulement qu’on ſoit bien aduerty que le bou-
ton
ſur lequel elle fait ſon chemin, ſoit de bon bois, ou pour eſtre plus ſeur, de fer, de peur
qu’il
ne ſe rompe, comme i’ay veu qu’il eſt aduenu en quelques ſalues, eſquelles combien
qu’eſtant
fait defer, mais parinaduertence, mal trempé, ſerompant, en ont laiſſé le maiſtre
confus
.
La perche ſur laquelle elle ſeraplantée doit eſtre de meſme hauteur que la precedente,
comme
cy deſſus nous auons aduerty celuy qui veut entreprendre tels ouurages, qu’il pren-
ne
garde que ſelon la proportion &
requiſition de ſes machines, il les face toutes de meſme
hauteur
.
Or pour faire cheminer ceſte rouë comme il appartient, il n’eſt pas beſoin que les
fuſées
ſoient de ſi grande force comme celles de la precedente.
La figure C, eſt la giralde
auec
ſes lanternes.
On la fait de la grandeur d’vne rouée demoulin à vent, ou cõme ilviẽdra
à
propos, en forme d’vne boite ronde, ayant le fond de plãches ſubtiles &
troüées, afin que
les
verges des fuſées en ſortent, comme on voit en la figure.
Et les y faut accommoder d’v-
ne
meſche, en ſorte qu’ils volent par douzaines en haut, &
ſe ſeparent en l’air, ce qui ne ſe
peut
faire auec de la poudre, qui les feroit voler tous enſemble.
L’arc qui enuironne l’œu-
ure
, ſur lequel auſſi les lanternes peintes de diuerſes couleurs repoſent, peut eſtre enchaſſé
de
quelques verres tranſparents, ayans derriere des petites chandelles de cire allumées.
La
forme
des lanternes y eſt auſſi adiouſtée, afin que le canonnier voye mieux ſi la façon tant
de
la machine que du reſte manque de quelque choſe requiſe.
On luy peut par deſſous ad-
iouſter
vne couuerture de papier, afin qu’on ne voye les verges deſdites fuſées.
283134Troiſiéme Traicté
CHAP. XXVIII.
Comment on fait vn dragon volant, & vne fusée qui s’en va
& retourne ſur vne corde.
LA machine du dragon eſtant de grande ſubtilité, & qui ne ſe peut ſi proprement
mettre
en œuure, ſi ce n’eſt par vn maiſtre fort expert:
neantmoins, combien que
non
en requiſe perfection, nous en donneronsicy telle quelle inſtruction de la ma-
niere
plus facile de les armer, ou pour le moins d’en faire l’eſpreuue:
fourrant par dedans
quelques
bons coups, &
vn tuyeau qui paſſant partout le reſte du corps, eſtant remply d’v-
ne
mixtion humide, iette de longues &
continuelles flammes parla bouche. Et pour le fai-
re
bien marcher, luy faut mettre deux bonnes &
fortes fuſées de durée en queuë, qui le
pouſſent
&
facent cheminer legerement. Et quand la grande fuſée ou tuyeau de la bouche
aura
acheué ſon œuure, qu’ily aye au bout vne meſche, qui donne le feu à l’interieure ma-
chine
du corps, &
le face tirer & creuer auec grand contentement des ſpectateurs. Et pour
mieux
ſolenniſer la feſte, on pourroit au milieu de la corde ordonner vne nuée ou globe,
ou
grande balle vuide par dedans, &
enuironnée de pluſieurs coups ou petars, & le reſte
remply
de confitures groſſes, ou auellaines &
noix de ſorte que les dragons de deux coſtez
y
ayant mis le feu, &
les petars ou coups le faiſant creuer; les confitures & ce qu’il y auroit
dedans
, tomberoient auec grande ioye, eſpars par deſſus tous les aſſiſtans.
Or pour cette fe-
ſte
il faut qu’il y ait deux dragons comme la figure 24 γ.
monſtre, qui ſe rencontrant auec
la
balle ou nuë luy donnent l@ ſeu en meſine temps aux deux coſtez:
dont auſſi il faut que
ladite
nuée ou ce qu’on y voudra mettre aye ſon fagon iuſtement és lieux que les dragons
toucheront
.
Pour former tant les dragons que la balle, on ſe ſert des cercles ou arcs d’eſtamines &
tuy
eaux les formant &
liant de petites cordes, iuſques à en former le corps, comme on
veut
, &
apres auoir bien fait & colloqué les aiſles, & erigées comme voulant voler deuant
de
le couurir de papier peint de ſes couleurs, il luy faut compoſer dedans la machine requi-
ſe
, de coups &
de quelques petites fuſées, & la faire fort legere. Et lamettant en œuure de
nuict
, elle donnera tant plus de contentement au commun peuple:
Combien qu’auſſi de
iour
il n’y a machine plus plaiſante à voir.
La corde ſur laquelle ils font leur chemin, doit
eſtre
de fil de fer ou de cuiure, car eſtant de chamure il y a danger qu’elle ne ſe bruſle.
Puis en la meſme figure on voit vne double fuſée, qui de la tour chemine vers l’arbre,
eſtant paruenuë elle retourne ſubitement vers le lieu dont elle eſt ſortie.
Qui eſt vn des
plus
plaiſants ſpectacles qu’on peut auoir:
principalement en ayant bonne prouiſion, pour
les
faire ainſi cheminer l’vne apres l’autre.
Eſtant aduerty que ſelon le chemin qu’elles ont
à
faire, il leur faut ſçauoir donner la proportion de durée.
Et en voyage court, au lieu de la
corde
, il ſe faudroit auſſi ſeruir d’vn fil de fer, ou de cuiure, afin que la fuſée s’arreſtant de-
uant
que d’auoir acheué ſa premiere courſe, ne la bruſle.
Et afin qu’elle face legerement ſa
carriere
, retournant promptement dont elle eſt ſortie, il les faut accommoder de ſorte
que
liées enſemble l’vne ait ſa bouche aupres de la culace de l’autre, dont la meſche ſortãt
la
premiere, ayant fait ſa courſe donnele feu a l’autre pour la renuoyer;
Il eſt à remarquer
que
tant la meſche que la poudre d’allumette doit aller bien couuerte de papier, afin qu’el-
le
ne prenne feu deuant le temps.
Et pour courir legerement, il faut que la corde ſoit de
chamure
ou de fil de fer, &
fort tirée & tenduë. Etle cheualet, ſera vn petit tuyeau ou
28464[Figure 64]
285
[Empty page]
286
[Empty page]
287135De l’Artillerie. roſeau ou bois perçé, & fait autour comme vne fluſte, quelque peu plus long que les fu-
ſées
, au defaut deſquels on s’aidera des tuy eaux de fuſeau, qui eſtans ſecs, ſont fort propres.
Or le tout ſe fera ainſi qu’il eſt repreſenté en la figure.
CHAP. XXIX.
Comment on fera vn Deuideur & un Chaſteau, & vne bombe de feu
artificiel
de grand contentement. fig. 26. β.
L’Inſtrument A, eſt vn deuideur dont les femmes ſe ſeruent pour deuider leurs fi-
lets
, qui eſt vne inuention aſſez agreable, l’enuironnant tout à l’entour d’vn ban-
deau
ou corde, à laquelle ſont attachées certaine quantité de fuſées d’vne ſuitte
continuelle
, dont la moitié tourne de l’vn, &
l’autre moitié de l’autre coſté: de ſorte que la
premiere
ayant fait ſon tour, l’autre incontinent prend la route cõtraire, &
ce par le moyen
d’vne
meſche cachée, qui apres que la derniere d’vn tour a acheué ſon œuure, donnele
feu
à la premiere de l’autre.
Choſe de ſinguliere recreation, comme ie peux bien aſſeurer,
en
ayant moy-meſme fait l’eſpreuue à Nieuport en l’entrée &
reception des Ambaſſa-
deurs
d’Angleterre.
Pour faire la machine B, qui eſt vn Chaſteau à cinq tours & quatre courtines: on pren-
dra
vne groſſe planche, en telle grandeur qu’on veut faire le plan dudit Chaſteau:
Et ſi on
le
veut faire grand il faut ioindre par embas pluſieurs planches enſemble, par le moyen de
quelques
trauerſes enchaſſées, comme on voit és tables:
laiſſant au milieu vn grand trou
par
lequel paſſant la pointe ou le ſommet de la perche qui ſouſtient tout ce baſtiment, il y
ſoit
bien attaché &
affermy. Et pour faire les tours, on ſe doit ſeruir du tourneur, qui de
bon
&
fort boisface les canaux & les trous eſquels les petards ſont logez, auſſi labourez au
tour
, &
tellement poſez qu’eſtans touchez du feu, ils ſortent ſubitement, & facent leurs
effers
.
Le tout ageancé & ordonné en ſorte, qu’vne meſche tardiue enuironnant tous les
caualliers
&
courtines, leur donne le feu par ordre.
Et à faute de meſche propre, on ſe ſeruira de quatre tuy eaux faits de terre, qui remplis
d’vne
mixtion humide, &
logez en ſorte qu’ils aillent d’vne tour à l’autre, receuant le feu
par
vn, comme on voit en la figure, l’enuoye ainſi par tout.
Et pour les contregarder que le
feu
ne ſe prenne deuant le temps, ou par tout, ou en quelque endroit, qu’on ne veut encor
allumer
, il luy faut bien boucher le chemin auec de l’arſille ou terre de potier:
au defaut de
laquelle
on ſe peut ſeruir auſſi de papier le colant és lieux propres pour ſemblable affaire:
combien que l’arſille y ſoit plus propre.
Sa fabrique ſe peut faire de quatre differentes & gracieuſes machines, mettant tout à
l’entour
des certaines fuſées montantes, qui paſſent leurs verges par le bas de la planche,
qui
par cet effet doit auſſi par tout eſtre proprement percée, comme on a dit cy-deſſus, de la
giralde
.
En ſes tours on logera des fuſées courantes & petards faits de poudre fine, & les
allées
pleines de triquetraques.
Les toicts des tours ſeront de fueilles de lattes auec ſes
bannieres
&
eſtendars: Aſſeuré que le tout allant bien ordonné, ſera vne ſalue ſinguliere-
ment
plaiſante.
La figure D. C. ſepeut faire en forme de grenade, ou de colomne, comme on voit en
la
trace, prenant vn bois de telle grandeur qu’on voudra, percé par le milieu d’vn bout à
l’autre
, en ſorte qu’il y puiſſe entrer vne groſſe meſche artificielle, qui donne feu aux fuſées
courantes
, logées és trous marquez dudit bois.
Et ſi on en veutietter vne quantité enſem-
ble
pour faire places courantes detous coſtez, il les faut aſſeoir auec de la colle ſur le haut
dudit
bois, bien enuironnées de poudre, dont la meſche principale s’allumant, elles
288136Troiſiéme Traicté çoiuent auſſi le feu, en ſorte qu’auec grande ioye on en voye ſortir aucuns par haut, &
d’autres
par les coſtez en vn meſme inſtant.
Et ſur tout que le bois ne ſoit de pin, mais
de
cheſne ou d’autre bois dur, ou pour le moins qu’il ſoit de l’eſpoiſſeur d’vn bras, bien
droit
&
eſgalement labouré.
CHAP. XXX.
Comment on fait vne ſpbere de feu, & on garnit des rondaſſes de feu
artificiel
pour décorer vn tournoy.
LA ſphere notée E, en la fig. 26. β. E, eſt faite en la maniere ſuiuante, tous ſes cercles
ſont
faits de bons &
forts arcs d’eſtamine. Celuy de dehors trauerſant tous les au-
tres
, &
reueſtu par dehors de fuſées fortes comme on vſe és rouës, eſtant celuy
qui
fait rouër &
cheminer toute la ſphere ſur ſon axe. Les autres cercles ſont armez
de
coups, ou de fuſées faillantes &
courantes, receuans leur feul’vn de l’autre, reueſtus ou
garnis
pour cet effet, ou par dedans ou par dehors, de poudre fineiettée &
collée ſur leur
plat
, ou d’vne petite meſche, auec tel ordre qu’ayant couru par tout vn cercle, elle par-
uienne
auſſi à l’autre, les cercles meſmes eſtans ainſi poſez ou colloquez ou liez auec
cordes
, ou attachez auec des cloux, que le feu par bon ordre puiſſe courir de l’vn à l’autre,
iuſques
à ce que finalement &
au dernier, il paruienne au globe du milieu: qui aura
encore
au milieu vn petard de poudre fine, &
le reſte remply de ſoulfre pulueriſé, meſlé
de
ſayeures de bois de pin trempées en eau de vie, auec vn petitlict de poudre fine, de ſorte
que
le petard du milieu conceuãt le feu eſpande tout ce meſlange en l’air comme vne nuée
bruſlante
, qui ſemble vouloir tout conſommer, mais ſans danger &
auec grand contente-
ment
de ceux quien ont la veuë.
Pour departir ou ſeparer vn tournoy, ſeroitchoſe ſingulierement agreable, ſi à l’im-
prouiſte
on faiſoit ſortir de deux coſtez contraires, deux hommes aimez de bombes ou ba-
ſtons
&
rondaſſes de feu artificiel, qui ſe mettans au milieu s’eſcarmouchoient enſemble.
Les rondaſſes ſe feront en ſorte que ſous vn bord qui les enuironne ou toute couuertu-
re
qui les couure, de gros papier, il y ait par ordre vne bonne quantité de coups &
de fuſées
collées
, qui conceuans le feu par vn bout d’vne meſche le conduiſent par toute ladite
rondaſſe
.
Les baſtons eſtans percez ſeront remplis de la premiere mixtion dont cy deſſus nous a-
uons
fait mẽtion, eſtant icelle la plus traitable &
moins dãgereuſe, l’entremeſlant de quel-
ques
petards &
fuſées, non plus grands qu’vne plume à eſcrire, faites de petits tuyeaux de
fuſeau
, &
les hõmes demenans leſdits baſtons, les feront voltiger à l’entour. Et ſi on ne vou-
loit
auoir tels baſtõs, on pourroit faire de courtes eſpées de bois, reueſtuës des deux coſtez
des
artifices de feu auec leurs coups &
petites fuſées couuertes de papier, ayant la meſche
alluméee
à la pointe, dont commençans à eſcrimer le feu en ſorte &
ſoit auſſi donné aux
rondaſſes
, en leur lieu propre.
Sera ſans doute vn ſpectacle ioyeux ſoit de nuict, oùles
bombes
ou baſtons viendront plus à propos donnant beaucoup plus de feu &
de lumiere,
que
les eſpées, ſoit deiour il n’y aura faute de contentement:
comme on peut veoir de
la
figure 24.
β.
289137Del’Artillerie.
CHAP. XXXI.
Examen d’ vn Canonnier pretendant la place d’ vn
Connes§table
.
MOnſieur le Lieutenant, ie croy que vous ſçauez de quelle inſtance le
11General. canonnier nommé N.
m’a requis, de luy conceder la place du Conne-
ſtable
nouuellement mis en la batterie du Reualin-bien.
Choſe que ie
ne
luy peux octroyer, ſans ſçauoir premieremẽt de vous s’il eſt homme de bien qui le meri-
te
, &
s’il ſera ſuffiſant pour s’en acquitter, eſperãt que vousle cognoiſtrez mieux que moy.
Lieutenant. Tres-illuſtre Seigneur, il y a deſia long-temps que ie le cognoy, & l’ay
touſiours
trouué en comportement ſi doux, &
au poinct de l’Artillerie ſi adroit, que ſans
doute
à mon aduis il mẽrite qu’on luy en face l’honneur &
grace, ayant & vertu & expe-
rience
conjointes enſemble, comme ſans douteil apparoiſtra en ſon examen.
General. Sus doncques, qu’on l’appelle, car ie me veux trouuer preſent en cas in-
terrogatoires
.
Soyez le bien venu frere. Sçachez qu’eſtant informé de la procedure de vos bons ſer-
uices
, ie deſire auſſi de faire l’eſpreuue de cette pratique, &
entendre le diſcours de voſtre
experience
.
Car celuy qui aſpire à la charge de Conneſtable doit auoir ſcience & prati-
que
conjointes, pour pouuoir auſſi enſeigner ſes canonniers.
Dont ie vous demande, que
c’eſt
d’Artillerie?
Canonnier. Monſeigneur, l’Artillerie eſt vne machine de compte & de raiſon, poix
&
meſure, & vne inuention admirable, pour abbatre & ruiner les ſuperbes murailles des
fortereſſes
, Citez &
Chaſteaux.
General. Qu’eſt-ce que d’vn canonnier.
Canonnier. Le canonnier eſt l’homme exerçé & experimenté en cet art.
General. Dites-moy doncques, comment fait-on vne batterie, & de quelle propor-
tion
ſont traçées les plates-formes.
Canonnier. Illuſtriſsime Seigneur, Quant aux plates-formes elles ſont faites auec
telle
proportion, qu’eſtant pour vn canon de batterie elles ayent de recul 30.
pieds Geo-
metriques
, &
pour le demy 27. en les couppant on fait la premiere planche de 9. pieds
pour
le canon, &
de 8. pour le demy, & de la les autres planches vont touſiours croiſſant
en
ligne droite ou trauerſée, iuſques a ce que la derniere paruienne à la double longueur
de
ladite premiere.
General. C’eſt bien dit. Dites-moy auſsi quelle hauteur & eſpoiſſeur on donne à
l’eſpaule
de la couuerture de la batterie afin qu’elle ſoit a preuue de canon:
& en quelle
forme
vous marquerez les ambraſeures pour chaque piece?
Canonnier. L’eſpaule, Monſeigneur, ſe fait de terre & de fagots, en largeur de 23.
pieds, donnant à chaque pied de hauteur de fagots deux pieds de terre: & ainſi lict ſur lict,
iuſques
à onze pieds de hauteur.
Et apres la hauteur de trois pieds, on marque les ambraſeu-
res
en telle meſure, que pour le canon elle aye trois pieds de largeur en barbe de ſon em-
boucheure
, &
par dehors en la ſortie 12. pieds. Et en ſorte que dés l’entre de dedans iuſ-
ques
au dehors le fond aille deſcendant en talu en maniere d’eſcarpe, afin que la piece puiſ-
ſe
tant mieux deſcouurir l’ennemy en toutes ſes aduenuës, &
l’oftenſe plus librement &
franchement
.
Ioint auſsi que le meſme ſeruira à ce que le ſouffle de la piece ne la renuerſe
&
deface.
290138Troiſiéme Traicté
General. Il me ſemble que vous n’y allez mal à propos en ce particulier, mais quel-
le
ouuerture donnez-vous à demy canon.
Canonnier. Auſſi bien commençera le fond de ſon ambraſeure en la meſme hauteur
de
trois pieds, du plan de la plate-forme, mais non plus large que 2 {1/2} pieds par dedans, &

la
ſortie de 9.
pieds, auec la meſme deſcente du canon.
General. Ayant à faire vne ſimple batterie, auec des gabions, combien en deman-
deriez-vous
pour ſon accompliſſement.
Canonnier. Selon que le lieu le permettroit, & que la quantité des pieces le deman-
deroit
.
General. Faiſons le compte qu’il faudroit loger douze pieces.
Canonnier. Lors en mettant 3. entre chaque piece, afin qu’à l’aiſe, & ſans eſtre deſ-
couuert
de l’ennemy, &
pour couurirauſſi les bouts exterieurs, i’en demanderoy 39. Et le
lieu
eſtant trop eſtroit, de ſorte que ie n’en pourroy mettre que deux, il ſe faudroit con-
tenter
de 26.
Et ainſi en la piemiere de 39. gabions il y auroit d’ambraſeure à autre 21.
pieds, & en celle de 26. non plus que 14. Et les pieces y eſtant logées, il y aura en celle de
3
.
gabions de roue à autre, entre deux pieces 15. pieds. Eten celle de deux non plus de 10.
pieds
, faiſant le compte que chaque gabion ſera de 7.
pieds de largeur.
General. Si telle batterie deuoit eſtre faite à preuue, combien y faudroit-il de ga-
bions
pouren faire vne couuerture ſuffi ſante?
Canonnier. Il y aura bien de la difficulté de la faire parfaictement à preuue auec des
gabions
, iceux ne s’y accommodant trop bien, &
la couuerture n’en pouuant eſtre égalle.
Toutesfois pour ſatisfaire à la demande de V. S. & deſcouurir le peu que i’y peux com-
prendre
, i’en demanderoy pour toutes les deux ſortes double quantité.
De ſorte que pour
le
premier ordre de 3.
entre deux, i’en mettrois auſſi 3. en forme triangulaire en front,
couurant
les deux ioinctures des trois interieures de deux, &
celle de ceux-cy, d’vn, &
mettant
ainſi ſur chacun interualle de piece à autre 9.
gabions. Et ainſi pour les 39. que ie
demandoy
pour la ſimple batterie, pour celle-cy i’en demanderoy 78.
Pour l’autre de
deux
, pour faire auſſi vn front triangulaire, en couurant l’ouuerture qui eſt entre iceux
d’vn
, ie n’auroy affaire ſinon de 39.
gabions. De laquelle ie ne pourroy aſſeurer qu’elle ſe-
roit
ſi bonne que la premiere.
General. Pourquoy donnez-vous à l’eſpaule faite de terre & fagots 23. pieds d’eſ-
poiſſeur
, &
à celle des gabions de trois à trois non plus que 20. en ſa plus grande eſpoiſ-
ſeur
?
Canonnier. Les gabions eſtant bien remplis deterre graſſe ou autre qui ne ſoit meſ-
lée
de pierres &
ordures, & bien battuë, eſtant trois corps ſeparés entrelaſſez d’air, c’eſt
vne
choſe aſſeurée que le boulet ayant perçé l’vn, &
rencontrant l’air entre-d’eux, y perd
beaucoup
de ſa violence:
de ſorte que par ce moyen i’eſtime que le defaut des deux pieds
y
eſt bien, ce me ſemble, recompenſé.
Et l’eſpaule deterre & fagots faiſant vn corps, vne
ſans
aucune interuention d’air:
& principalement pouuant aduenir que le boulet donnaſt
ſur
l’entre-lict des fagots il trouueroit ſon paſſage aſſez facile, les deux pieds qu’elle a
d’auantage
que celle desgabions luy viendroit bien à poinct.
Genetal. Les raiſons que vous me donnez ſur ce poinct ne me ſemblent pas mal à
propos
.
Mais dites-moy au reſte, en quelles batteries vous eſtes-vous trouué, dont vous
auez
remporté ſi bonne experience?
Canonnier. I’ay eſté, Monſeigneur, au ſiege de Cambré, de Cales, d’Ardres, & és
fameuſes
&
renommées iournées de Hulſt & Oſtende, & és dernieres de MachtendoncK
&
de Craque, auec V. Seigneurie.
General. Maintenanti’acheue d’entẽdre qu’eſtes vieil canonnier, digne de
291139De l’ Artillerie. ſelon voſtre pretenſion. Toutesfois ie deſire auſſi ſçauoir de vous à quoy, eſtant paruenu
à
la charge de Conneſtable, vous ſeriez obligé de faire és batteries?
Canonnier. Ie ſeroy obligé à tout ce que deſſus eſt dit, & en particulier de faire les
ambraſeures
, de bien loger les gabions des couuertures, regardant qu’ils ſoient bien pleins
&
battus. Et quant aux eſpaules, de les faire meſurer de mes propres cordes & marquer de
mes
pieux en lignes droites &
trauerſées.
Item faire & niueller les plates-formes, viſiter les pieces pour recognoiſtre leur bonté
ou
defaut, leur faire leurs chargeoirs, eſcouuillons, &
refouloirs propres, recognoiſtre la
bonté
ou defaut de la poudre, &
regarder que chaque piece ait ſa charge requiſe: calibres
&
boulets pour chaque piece, auec le vent neceſſaire faire les meſches: couurir bien la
poudre
de la percuſſion des pieces ennemies, &
la mettre ſus vent quelque peu éloignée
de
la batterie, &
couuerte de peaux de bœuf ou de veau, regarder que le feu des meſches
&
des boute-feux ſoient ſous vent, en ſorte que les eſtincelles ne ſe rencontrent auec la
poudre
.
Item regarder ſi le pointage des canonniers eſt bon & dirigé au pied de la choſe à la-
quelle
on veut tirer, departir les cordes auſdits canonniers, leur diſtribuer les pieces en
leurs
batteries, les admoneſtant qu’ils n’en faillent d’vn ſeul poinct.
Leur ſoliciter leur pain
de
munition &
autres rafraiſch ſſemens, tant ordinaires qu’extraordinaires. Item receuoir
leur
ſolde du Commiſſaire, Payeur ou Maiſtre du quartier, la deliurant à chacun en ſa main
propre
, &
l’aduertiſſant qu’il regarde de la bien employer.
General. Vous monſtrez eſtre fort bien ſtillé & habile à ſemblables affaires, & ne
doute
aucunement que les œuures n’y reſpondront, eſtant la bonne Theorie touſiours la
ſource
&
fondement de bonne pratique. Or ſus doncques Monſieur le Lieutenant, exami-
nez-le
vous, du reſte de ce qui y eſt requis:
& quant a la place qu’il pretend, ie l’y accepte,
&
ſuis content qu’on baille vn billet au Threſorier, afin qu’il le mette & face bon en
ſes
liures, &
que d’auiourd’huy en auant il iouyſſe de la ſolde & préeminance de cette
charge
.
Lieutenant. Monſeigneur, le tout ſefera ſelon voſtre commandement.
General. Adieu iuſques à demain.
Lieutenant. Dites-moy doncques mon amy, combien de choſes diuerſement nom-
mées
y a-il en vne piece d’Artillerie.
Canonnier. Les membres & choſes diuerſement nommées ſont en nombre de 21.
deſquels la bouche eſt le premier & principal, de laquelle deſpend la forme & qualité de
tout
le reſte.
La largeur ou diametre d’icelle ſe dit le calibre, dont le canonnier prend tou-
te
la meſure &
proportion de la piece, auecle vent qui doit eſtre donné au boulet, le poids
d’iceluy
, &
combien de poudre fine ou commune il luy faut pour ſa charge. Le bord large
de
la bouche ſe dit l’orlet, &
ce qui en eſt poly, dés l’ameiuſquesaux friſes, ſe nomme le
brocal
, c’eſt la poudre au repoulſer du boulet, par ſa furieuſe exhalation fait ſon reſtrif
&
force, qui cauſe le recul de la piece quand on la deſcharge. L’ame eſt tout le vuide &
tuyau
de la piece, laquelle eſtant égalle &
non encampanée ny enchambrée, la piece en
reçoit
le nom d’eſtre dite de tuyau égal ou ſuiuy.
Si elle eſt enchambrée, le bord de ladite
chambre
ſe dit, encie, friſe &
relech. Lalumiere eſt le pertuis au bout de la chambre, par
lequel
on donne le feu à la piece.
La culatte eſt la plus groſſe & haute partie de la piece par le derriere de la lumiere, iuſ-
ques
à la culatte ou au bouton, qui eſt la poingnée ou manche que la piece a au milieu de la
culatte
.
Les cordes ou renforts éleuez qui enuironnent la piece, tant pourluy donner belle
façon
que force, ſont appellez les moullures ou friſes.
292140Troiſiéme Traicté
La chambre de la piece commence dés la lumiere s’eſtendant vers la bouche, iuſques
à
quatre calibres de ſa bouche, dont les deux ſont pour y enchaſſer la poudre, l’vne pout
les
morceaux, &
l’autre pour l’aſſiette & logis du boulet. Sur la fin de ces quatre calibres,
la
piece ordinairementa vne ceinture éleuée, de mouleures ou friſes, pour tant mieux re-
tenir
la force &
la percuſſion du boulet, & pour luy donner forme plus aggreable. La
ceinture
des tourillons doit eſtre iuſtement au milieu de la piece, en quel endroit la piece
aura
perdu, dés la lumiere, vn quart de calibre de renfort:
& d’icelle enuers la chambre
ſont
colloquez les dauphins, par le moyen deſquels, y attachant les cordes, la piece eſt
éleuée
, par le monter ou deualer de ſon fuſt.
Les bras de metal que la piece a au tiers de ſa
longueur
, ſont appellez les aureilles ou tourillons, leſquelles enchaſſées és lumieres, &

ſe poſent les tourillons, &
y eſtant enſerrées auec chaiſnes de fer, facilitent grande-
ment
le maniement de la piece, la tenant quaſi en balance d’equilibre.
Et dés cette ceintu-
re
iuſques au col, la piece diminue derechef d’vn quart de calibre, de ſorte que dés la lu-
miere
, iuſques à l’orbe de la bouche, la piece aura diminué iuſtement de demy calibre.
L’eſpoiſſeur des metaux tant en chambre, qu’és tourillons & col, & par toute la piece eſt
appellée
renfort.
Et quand le fondeur veut fondre vne piece, apres auoir bien formé ſes moules, tant
celle
de l’ame, que de la circonference, afin que la piece ſoit égalle, &
que l’ame ne s’ac-
coſte
plus d’vn coſté que de l’autre, y mette entre les deux moules trois cruſettes de l’eſ-
poiſſeur
d’vn doigt, vne par la chambre, l’autre par les tourillons, &
la tierce par le col. La
couuerture
enchaſſée aux gens &
molinets des metaux, couurant la lumiereafin que l’eau
n’y
entre &
moüille la poudre, eſt communément appellée la diotre ou braguette. Les fri-
ſes
plus hautes de la bouche s’appellent la ioye, &
celles de la culatte raſimire. Et s’il eſt
queſtion
de la mire ou pointage, elle ſe prend iuſtement au milieu des plus hauts metaux
ou
friſes de la raſimire &
de la ioye. Et ce que la raſimire ſera plus haute que la ioye, s’ap-
pelle
le vif.
Poinct neceſſaire d’eſtre bien entendu du canonnier, auec l’intelligence de
l’oſter
quand la neceſſité le requiert pour bien aſſeurerſon coup, principallement s’il faut
emboucher
ou demonter vne piece ennemie.
Lieutenant. Telle curioſité me plaiſt ſingulierement, comme de fait elle ne doit
eſtre
ignorée de celuy qui fait profeſſion de canonnier.
Mais paſſons auant, & dites-moy
toutes
les particularitez &
noms qu’il ya en vn fuſt, tout ſerré & parfait.
Canonnier. Quant à ce que i’entends deces particuliaritez, ie trouue qu’il y en a dix-
huict
.
Premierement & en general, il a le nom de char, currenne & fuſt, compoſé & for-
de deux iambes ou cuiſſes, longues, larges &
groſſes, de bois dur, comme de cheſne,
orme
ou noyer.
La partie de deuant, qui eſt la plus large, eſt appellée la teſte du fuſt: le
milieu
prés de la premiere, courbée embas &
dependante, s’appelle la couche. Les pertuis
eſquels
les trauerſes ſont enchaſſées, par le moyen deſquelles les deux cuiſſes ſont iointes
enſemble
, ſont appellezles falcages, leſdites trauerſes auſsi y eſtant retenuëspar le moyen
de
deux gros boulons, qui paſſant toutes les deux cuiſſes, les ſerrent d’vne part de leur
teſtes
, &
de l’autre part des cheuilles de fer, qui ſur des roſettes de fer, à coups de marteau
ſont
paſſées par les eſquilles deſdits boulons, de ſorte que tout le fuſt en demeure ſerré &

fermé
, comme vn corps entier.
Chaque cuiſſe eſt enuironnée & garnie de trois bandes ou fortes lames de fer bien
cloüées
, pour retenir le bois en ſorte qu’il ne ſe fende.
la garniture qui a la queuë va
trainant
par terre, s’appelle la contiere, &
enuironne cette partie du fuſt tant par em-
bas
que par enhaut, bien cloüée.
Se nomme auſsi Bandon terrin du fuſt. Et icy eſt en-
chaſſée
&
affermie par ſes boulons la trauerſe de la contiere, dont, commenous auons dit
cy
deſſus, le fuſt eſt en ce lieu ſerré en vn corps.
Le pertuis par lequel on paſſe le clou
293141De l’ Artillerie. retient l’auantrain, eſt appelé Politrain ou furaçon. La garniture ou reueſture de ce pertuis
s’appelle
floretton ou Chapitton, &
d’icelle dépend vn anneau de fer, dont la retenuë en-
uironne
toute la garniture de ladite trauerſe.
De meſme garniture eſt auſſi fortifiée la tra-
uerſe
de la teſte &
celles de la couche & de la culatte, la piece repoſe ſur les coings de
bois
, toutes affermies par ſemblables boulons.
Les garnitures d’enhaut, & d’embas des
cuiſſes
, s’appellent platu ou planches:
qui ſont toutes attachées de bas en haut par le
moyen
de gros boulons, comme ceux des trauerſes, trauerſans le milieu &
cœur du bois
de
haut embas, &
leſdits boulons tous ſont de teſte, iuſques à ceux qui viennent ſur les lu-
mieres
ou tourillonniers pour enclorre les tourillons.
Et ceux-cy ſont appelez boulons
d’eſquille
, pource qu’en vn bout ils ont comme vn pertuis d’eſquille, auqnel comme nous
auons
dit cy-deſſus, par le moyen d’vne petite cheuille de fer dependante d’vne petite
cheuille
attachée au coſté du fuſt du bois, ils ſont affermis &
eſtraints. Le boulon qui vient
à
tomber à la lumiere du tourillon, ſur lequelle tourillon de la piece en tirant reſulte, eſt
appelé
, le boulon de couſſin, pource que pour deffence du fuſt en celieu il tient vn gros
fer
en forme de couſſin, ſur lequel ſe fait le coup.
La garniture qui enuironne la teſte de chacune cuiſſe, eſt appelée le teſteron. Et la
brague
ou forgeron eſt cette lame de fer, qui par dehors enuironne le bois de chacune
cuiſſe
;
& paſſée de ſes boulons trauerſez, comme on voit és trauerſes, aye à ſerrer ou rete-
nir
les cuiſſes enſemble.
Et cette planche ou lame eſt requiſe entre les fuſts des canons
&
demy canons, pour les faits durables. Les crochets qui ſont auec vne longue lame de
fer
, cloüez &
attachez au teſteron, dont on ſe ſert pour y mettre les cordes à la main,
quand
on en veut tirer les pieces, ſont appellez ganches ou grafions.
A ſaline ou oialette
eſt
l’enchaſſure ou ouuerture de chaque pied du fuſt en laquelle l’axe eſt enfermé ou en-
chaſſé
.
Lieutenant. Certainement i’ay pris vn ſingulier plaiſir d’entendre ainſi par le menu
&
la diuerſité des membres du fuſt, & leurs noms: voyons auſſi ceux del’axe.
Canonnier. I’ay trouué auſſi dix membres & noms diuers. L’axe eſt tout le corps:
mais il y a auſſi les bras, le chaperon, la couuerture ou manche, le leſart, lame, les baltons,
bracques
ou viſagrons, qui ſerrent l’axe auecle fuſt, qu’il neſe puiſſe deſtourner à aucune
part
;
les chauetilles, les oials, les broches, les ciuittelles ou broquins. Meſmes auſſi és
rouës
, puis il y a treize membres diuerſement nommez.
Il y a le nom general de rouë, puis
il
y a le moyeu, teſte ou limon, les cercles ou anneaux, les retenuës d’iceux, les tinelles,
les
ſibitons, les brocaux, les rayons, les courbes, les andes, les brides les eſtriuieres, les eſ-
guillettes
, les cloux.
Et pour retourner à noſtre propos de l’axe, ie dis que toutes les ſuſdites garnitures
ſeruent
de le fortifier, pour ſupporter la grande charge &
force de la piece qu’il porte. La
partie
doncques qui entre és rouës, eſt appelée le bras.
Le fer qui par enhaut couure le
bras
, afin qu’il ne ſoit rongé de la rouë, s’appelle le chapperon, couuerte, leſard ou manche
de
l’axe:
& ſera proprement dit chapperon, s’il ſort du moyeu de la rouë pour enuironner
la
pointe.
Lame de l’axe eſt ce long & gros fer, qui enchaſſé au bas de l’axe de l’vne à l’autre
pointe
, ayant au bout de chacune vn pertuis par lequel les rouës y eſtant entrées, elles ſont
retenues
par les cloux de fer, qu’elles n’en puiſſent reſſortir.
Or ce fer aide à ſouſtenir le
grand
poids &
la force de la piece, quand elle eſt deſchargée, afin que l’axe ne ſe rompe
du
grand coup, ou auſſi afin qu’il ne faille au chemin.
Et au lieu de ce fer, on ſe ſert
aucunesfois
de deux autres enchaſſez de meſme, chacun en ſon bras, entrans iuſques au
milieu
de l’axe, ſur lequelil y a vn fort &
gros cercle de fer, quil’enuironnant auec le bois
du
fuſt, l’y tientferme, y eſtant bien cloüé, auec des cheuilles de fer ſans teſtes.
Par
294142Troiſiéme Traicté coſtez les bras des aix ſont auſsi couuerts de quelques petites lames de fer, qui aident
beaucoup
à ſa garniture qu’auſsi il ne ſoit rongé des roües.
L’oialet & ce pertuis qui paſ-
ſant
par le bois &
fer de lame, reçoit les clamies & retenuës des roües. Les arandelles ou
chappes
de fer, ſont ces gros anneaux qui au bout de l’axe entre la rouë &
ſes retenuës em-
peſchent
que la rouë ne ſe gaſte contre leſdites retenuës.
Ces bandeaux courbez par leſquels l’axe eſt retenu au fuſt, ſont appellez broquins ou
viſagrons
.
Et cecy quant à la declaration des noms parti culiers de l’axe: Quant aux traize
noms
de la rouë.
Premierement la rouë eſt le nom qui comprend le tout. Puis il y a le moyeu
ou
la teſte ou limon, auquel les rayons ſont enchaſſez.
Ceux-cy ſont garnis de quelques
cercles
de fer, retenus de quelques petites cheuilles de fer, afin qu’ils ne ſortent de leur lieu.
Par entre les rayons ils ſont auſſi retenus de l’vn à l’autre coſté de quelques petites bandes
pointuës
aux bouts, qui entrent dans les bois.
Par dedans aux yeux du moyeu ou cube il y a
auſsi
des garnitures larges de fer, qui ſont appelez oials, afin que le moyeu en ſoit plus fort,
&
ne ſe conſume és tours qu’il fait ſur l’axe.
Cebois rond du dehors de la rouë, s’appelle le lict, courbée, pigneou ouante de la rouë.
Et ces planches de fer dont elle eſt garnie par dehors, s’appellent les yandes ou plattes
ou
lunettes de la roüe, les garnitures qui les embraſſent ſur les iointures, ſe diſent eſtrifs
ou
eſtaffes, &
celles qui par deſſus leſdites lunettes embraſſent les bois ou gantes ſont
appelées
brides, &
ces fallaces de fer, dont elles ſont reſtraintes ſont appelées eſguil-
lettes
.
Et les cloux à groſſe teſte, dont les planches ſont clouées aux courbes s’appellent
clauitons
.
Lieutenant. Quant à moy, Ie me trouue entierement content: cependant pour
ſatisfaire
au deuoir &
commandement du General, il faut ſçauoir pour concluſion quels
ſont
les inſtruments que le bon canonnier doit touſiours auoir en ſes eſtuits ou ſur
ſoy
?
Canonnier. Ily a huict inſtruments deſquels principalement il doit eſtre pourueu.
Le premier eſt le Calibre ou regle numerable, ſur laquelle ſont marquées les liures des
boulets
de fer, de plomb ou de pierre, de toutes ſortes de pierres, depuis vne lb.
iuſques à
cent
.
Semblablement auſsi les poincts que le pied Geometrique contient, pour en meſu-
rer
tous boulets &
pieces de quelconque ſorte elles ſoient, afin de leur donner la poudre
ſelon
que leur ſorte, façon &
proportion le requiert, & trouuer leurs boulets propres. Auſsi
faut-il
qu’il aye en ſes eſtuits quelques eſguilles, vne de pointe aiguë, qui luy ſeruira de
percer
&
remuer les choſes tombées ou attachées en la lumiere, quand il voudra eſclaircir,
I’autre
qui ait vne pointe de foret, qui ſert pour perçer la poudre, ou autre choſe dure, qui ſe
ſeroit
arreſtée en la lumiere.
La tierce en forme d’vne petite encillerie au bord, pour leuer
&
retirer toutes les ordures ou poudre moüillée de la lumiere, afin qu’il n’y aye nul em-
peſchement
en icelle.
La quatrieſme qui ait vn petit crochet au bout, de laquelle par ladite lumiere, on
prend
le diametre de l’ame de la piece, &
de l’eſpoiſſeur des metaux d’icelle, à l’endroit
de
la chambre.
La cinquieſme ronde & pointuë auec vn pertuis au gros bout, tant pour
perçer
ce que l’occaſion preſentera, que pour coudre les pations &
ſachets, & lesboulets
des
feux artificiels, &
autres choſes ſemblables, qui ſe pourroient preſenter. Auſsi au-
ra-il
vn compas de pointes droites pour en prendre iuſtement le diametre &
largeur de
l’ame
de la piece par la bouche, &
departir comme il appartient, tant les lignes droites
que
courbes, qui ſe preſentent és meſures des pieces.
De meſme faut-il qu’il ait vn
grand
compas de pointes courbées, pour calibrer les boulets:
& vn autre encor plus
grand
, courbé par enhaut, &
ayant les pointes fort longues, & quaſi droites,
295143De l’Artillerie. pouuoir bien embraſſer vne piece, quand on en veut meſurer l’eſpoiſſeur de la chambre,
tourillons
&
colet, pour luy pouuoir donner la poudre en iuſte proportion.
Lieutenant. Ie ſuis bien aiſe d’entendre que vous ſçauez tercier ou meſurer vne
piece
.
Canonnier. Ouy Monſieur, meſmes en trois ſortes. Premierement auec le com-
pas
courbe, &
vne regle. Secondement, auec vne cordelette meſurant la circonference de
la
piece, en chambre, tourillons &
col, meſurant premierement le calibre de la bouche, &
le
marquant ſur vne ligne droite, &
puis meſurer auec l’eſguille crochetée l’eſpoiſſeur du
metal
par la lumiere, pour voir quelle correſpondance il y a entre les {7/8} dudit calibre &
de
cette
eſpoiſſeur.
La troiſieſme ſe fait par la chambre de la piece. Et toutes ces meſures ſe-
ront
remiſes au comportement de ſes octaues.
Lieutenant. Tout ce que iuſques à maintenant eſt dit, eſt fort bon: mais dites-moy,
eſtant
fait Conneſtable, quels appreſts vous faudroit-il auoir dauantage.
Canonnier. Premierement Monſeigneur, vn anneau ou villorte qui ait deux vis,
vne
à chacun coſté, pour en retirer quelque choſe ou piece de bois qui par auanture ſeroit
demeuré
en lame d’vne piece, en fourrant l’vne en vne perche, &
l’autre en la choſe qui eſt
en
lame comme i’ay dit.
Puis vn bon niueau auec ſon filet ſubtil & le plomb bien adroit,
pourmarquer
le pointage, &
aniueller les rouës & platte-forme, auec vne regle longue
ſeruante
au meſme effet.
Vn quadrant pour gouuerner les eſleuations & adionſter les
pointages
par le moyen de ſa monſtre:
eſtant iceluy departy en neuſ ou douze poincts
comprenans
nonante degrez, ou parties eſgales.
Ilfaut auſſi qu’il ait chez ſoy le bouſſole,
pour
le meſme effet, &
pour prendre les meridians de l’horiſon, & s’en certifier des diſtan-
ces
, en quelconque ſorte &
maniere que l’occaſion ſe preſente és batteries & fortifications,
&
s’aſſeurer de la portée des pieces.
Auſſi faut-il qu’il aye vne lime ou deux, pour eſguiſer les entrées des chargeoirs &
tout
ce qui ſe pourroit preſenter trop gros &
d’empeſchementau maniement. Semblable-
ment
de tenailles, pour arracher des cloux és lieux eſquels ils ſont dommageables, notam-
mentés
chargeoirs, refouloirs &
autres inſtrumens. Auſſi marteaux de fer & de bois, poun
s’en
ſeruir au beſoing.
De gros ciſeaux pour tailler les planches de cuiure pour les char-
geoirs
:
comme auſſi des forces communes pour la toille & filets, pour les ſachets & car-
touches
.
Des virebrequins de diuerſes ſortes, gros & menus, tant pour perçer les maſſes
des
chargeoirs on enchaſſe leurs perches, qu’autres choſes petites, n’ayant pas touſiours
la
commodité du tourneur.
Dauantage, il aura vne petite coignée à la main, vne ſcie &
autres
inſtrumens pour labourer le bois ſelon ſon artiſice &
neceſſité, quand les charpen-
tiers
luy viendront à faillir.
Il aura auſſi ſon brindeſtoc & fourchette & ſes ſerpentines
auec
vn boutefeu court qui ait auſſi ſes ſerpentines;
auront au milieu vn boutton ou
trauerſe
quarrée enuiron de la longueur d’vn doigt poury encouler les bouts des cordes ou
meſches
:
& bien ferrées par embas d’vne pointe de laquelle elles ſe puiſſent facilement fi-
cherou
en terre ou és tableaux de la platte forme.
Et le brindaſſer faudra qu’il ſoit armé de
meſme
.
Il aura auſſi vn bon flaſque de corne de buffleou de bœuf, remply de bonne & fine
poudre
pour le ſuif des lumieres au beſoing de la guerre.
Qu’il ait auſſi touſiours ſon fuſil
preparé
pour allumer ſes cordes, voire pour en neceſſité en pouuoir donner le feu à vne
ou
pluſieurs pieces.
Auſſi aura-il vne ſerpe & vn grand couſteau, pour en pouuoir en la
haſte
façonner vn baſton ou autre telle choſe requiſe.
Auſſi vn cimeterre ou glaiue court,
tant
pour ornement que defenſe de ſa perſonne.
Semblablement vne grande coignée,
pour
le ſeruice des batteries, &
s’en ſeruir au marcher du train quandil ſeroit beſoin: Et
autres
ſemblables munitions qui ſeroient icy trop longues à déduire.
296144Troiſiéme Traicté de l’Artillerie.
Lieutenant. Puis doncques que de ce iuſques à preſent vous a eſté demandé, vous
auez
donné ſi pleine &
entiere raiſon diſcourant ſi librement & veritablement de ce qui
depend
de voſtre art &
ſcience, il n’eſt beſoin de vous interroger dauantage & prolon-
ger
noſtre colloque.
Voſtre affaire eſt conclu, vous aſſeurant en tout ce que ie pourray,
&
que vous voudrez vous ſeruir de moy, de vous eſtre amy & de vous fauoriſer.
Et ainſi conclurons noſtre eſcolle & inſtitution militaire. Donnant à Dieu lagloi-
re
&
en ſouhaitant le profit au Lecteur.
Fin de l’ Artillerie.
2971 65[Figure 65]
QVELQVES ADVER TISSEMENS
DEPENDANS
DE L’AR TILLERIE, DESQVELS
on
ſe peut ſeruir en diuerſes occurrences.
PREMIER ADVER TISSEMENT.
Comment vn bon Capitaine ayantreceu commandement d’eſcbeller quelque
ville
ou fortereſſe ſe doit pouruoir.
PRemierement il s’informera de la qualité du foſſé, à ſçauoir s’il eſt d’eau mor-
re
ou d’eau courãte.
S’il eſt d’eau morte, il fera prouiſiõ d’vne douzaine de ponts
legers
, pour s’en ſeruir ſi ledit foſſé a vne eſcarpe de l’antre coſté:
car autrement
leſdits
ponts ne luy pourroient gueres profiter.
Or pour les armer, on prendra
deux
tirants de pin, ou d’autre bois leger, de la longueur de quinze à vingt pieds, &
de
l’eſpoiſſeur
de la cuiſſe d’vn homme.
Sur ces deux perches ou tirants ſeront attachez les
trauerſes
à la façon d’vne eſchelle auec des douues de bois eniuſte diſtance, la largeur ne
ſera
que de trois pieds.
Et ſera porté de ſix hommes, à ſçauoir quatre aux deux bouts, &
deux
au milieu.
Au bout tant celuy de deuant, que celuy de derriere, il y aura à chacun
deux
bonnes cordes, deſquelles leſdits ponts flottans ſur l’eau, ſeront tirez d’vn bord du
foſſé
iuſques à l’autre, les ſoldats eſtans montez deſſus.
Eſtantdonc arriuez au foſſé, & le
pont
mis ſur l’eau, on fera paſſer ſuriceluy quatre ou ſix ſoldats ce ſouſtenãs ſur des piques,
leſquels
eſtans paſſez prendront les cordes du bout de deuers eux, &
attireront ledit pont
auec
les ſoldats qui ſont deſſus, qui ne ſeront que quatre ou ſix à la fois, afin que la charge
ne
ſoit trop grandevers eux:
& afin qu’il ne s’enfonce auec ſa charge, il ſera ſouſtenu de
cordes
tirées en derriere:
de ſorte qu’entre ces cordes le pont ſoit comme pendant ſur
l’eau
, conduit de l’vn à l’autre coſté dudit foſſé, auec les ſoldats ſe tenans deſſus, ſans au-
cun
danger ou empeſchement.
Apres eſtre ainſi paſſez en nombre ſuffiſant pour l’entre-
prinſe
, on ſe pourra ſeruir des ponts enlieu d’eſchelles, dont pour en faciliter la façon &

l’vſage
, en voicy la figure.
66[Figure 66]
Or d’autant qu’vn de ces ponts ou eſchelles ne pourroit eſtre aſſez long pour
2982 ſur les murailles & les paſſer, comme i’ay veu pluſieurs fois qu’à cette cauſe il a fallu quit-
ter
vne entrepriſe, auec la confuſion de ceux qui l’auoient commencée, ſans auoir bien
meſuré
&
la hauteur desmurailles & la longueur deleurs eſchelles: Il faudra auiſer, qu’a-
uec
les ponts ſuſdits ont ait auſſi fait prouiſion de petites eſchellettes, faites en meſme lar-
geur
, qui par les iointures ou armiaux de fernotez A, B, ſe puiſſent enchaſſer ſurles por-
ches
deſdits ponts, iuſques à ſuppléer ce qui en la hauteur requiſe leur defailloit.
67[Figure 67]
Auſsi ſe peut-on ſeruir des eſchelles de cordes auec des crochets de fer au bout, qui
eſtans
iettez s’accrochent au haut de la muraille:
maison ne s’y doit tellement fier, qu’on
oublie
celles de bois:
car il les faut ietter pluſieurs fois, deuant qu’elles s’y prennent, &
ſans
celles de boisily auroit bien de la difficulté pour les mettre en œuure.
Or comme
pour
eſcheller ſubitement vn lieu, il n’y a meilleur, que d’y appliquerbon nombre d’eſ-
chelles
:
ainſi ſera la choſe plus facile, ſi on y aura entre celles de bois auſſi quelques-vnes
de
cordes, qui ſont plus legeres &
de moindre empeſchement. Cet aduertiſſement eſt
bien
neceſſaire:
car comme de ſemblables entreprinſes, il y en a plus de celles, qui par
faute
de quelques choſes requiſes, ſontfaillies, que de celles qui ont eu l’iſſuëbonne:
ainſi
il
faut que lesbons ſoldats, deuant de s’y acheminer, façentbonne prouiſion detoutce qui
y
eſt requis, encor qu’ils en deuroient porter vne partie ſur leurs eſpaules.
SECOND ADVERTISSEMENT.
Du ſoing que doit auoir le Lieutenant du General de l’ Artillerie, en cas qu’il fuſt
enuoyé
, pour demander quelques pieces, comme außi celuy qui les doit
conduire
, à ſçauoir de ſe pouruoir de tout ce qui y est
requis
, tantpour le ſeruice deſdites pieces,
que
de l’armée.
Premierement, s’il eſt enuoyé quelque part pour demander des pieces, ſoienttrois on
quatre
, ou dauantage, ledit Lieutenant s’addreſſera à la place d’armes, donnant ordre
qu’elles
ſoient appreſtées auec toutes leurs appartenãces, de chargeurs, nettoyeurs, coings
&
planches: Et apres les auoir fait atteler & bien oindre, s’acheminera à la tente des muni-
tions
pour voir que le conducteury charge centboulets pourchacune, ſelon le lieu auquel
elles
deuront eſtre miſes en œuure:
car pour vne eſcarmouche, on ſe pourra paſſer de la
moitié
.
Item ſi leſdits boulets ſont du propre calibre des pieces. Item ſion y a chargé la
poudre
requiſe pourautant de boulets.
Item s’il y a auſsi de la poudre & balles pour l’ar-
quebuſe
&
mouſquets, ſelon la quantité de la troupe, à ſçauoir pour mille perſonnes 1000.
lb. de plomb, auec vne douzaine de poignées de meſches.
Quant au calibre, il y faut auoir l’œil bien ouuert, eſtant bien aduenu qu’en la haſte,
on
a prins des boulets de canon pour ceux de demy, dont auec la perte du temps, on a
2993 gaſté les pieces: choſe qui ſe pouuoit pluſtoſt imputer à celuy qui les auoit liurées, qu’à
celuy
qui les reçeut:
mais toutesfois cettuy-cy n’en eſtoit du tout excuſé. Dont ie ſuis
d’aduis
que iamais on ne face marcher pieces, qui ne ſoient accompagnées d’vn Gentil-
homme
d’Artillerie, d’vn Conducteur, &
ſi le chemin eſt long, d’vne chieure, d’vne cor-
de
à la main, deux douzaines dehoyaux, pour s’en ſeruir ſi elles enfonçoient:
Et s’il eſtoit
de
beſoing de faire vnebatterie, on y pourra adiouſter ſix coignées pour chacune piece.
Auſſi il ſe faut bien ſouuenir de la prouiſion de la graiſſe, pour oindre les axes auec gran-
dc
diligence, qui autrement ſe pourroient allumer, dont les fuſts &
les pieces ſeroient
rendues
inutiles.
S’il eſtoit queſtion de gaigner quelque tour ou chaſteau, il s’y faudroit
pouruoir
d’vne douzaine de gabions, &
les charger ſurles chariots des boulets, & venant
au
lieu les dreſſer &
remplir de bonneterre: choſe qui ſeruira pour ſauuer la vie à pluſieurs.
Et
meſme eſtans vuides ſeruiront de bon repaire contre la mouſquetterie.
Et ſi en la place
contraire
il y auoit des petites pieces, leſdits gabions eſtans remplis, on peut ſons la cou-
uerture
d’iceux ioüer de loing pour les deſmonter, deuant qu’on y fiſt les approches.
TROISIESME ADVERTISSEMENT.
Pour le General de toute l’armée.
S’il eſt beſoing d’aſſieger vne place, villeou fort, ſituée ſur le bord de quelque fleuue,
deuant
de faire les approches, il faut qu’il paſſeledit fleuue, &
occupe vn lieu propre en
front
de ladite place, pour retenir &
mal traiter auſsi l’ennemy de cette patt. Car s’il ne le
fait
, ledit ennemy s’y logeant &
y prenant ſon auantage, le pourroit grandement intereſ-
ſer
, voire le faire deſloger par le moyen de ſon Artillerie.
Dont i’en peux bien raconter vn
exemple
:
A ſçauoir que l’armée Royalle marchant pour prendre vn fort ſur la Meuſe, qui
ſe
pouuoit faire facilement, ſi on eutpaſſé vne partie de l’armée de l’autre coſté dudit fleu-
ue
.
Mais le General n’en tenant conte, l’ennemy s’en empara, & y ayant planté ſon Artil-
lerie
, en ioüant en ſorte qu’il fut forcé de leuer le camp pour cette fois, &
attendre autre
occaſion
, laquelle auſsi ſe preſenta peu apres, ayant occupé ledit fleuue de toutes parts,
ledit
fort fut pris, non ſans murmure des ſoldats ſur la premiere faute, comme ils ont de
couſtume
, ſi l’entrepriſe faut, d’en accuſer le General.
Qui toutesfois icy pouuoit auoir
quelque
autre intention, à ſçauoir d’amuſer &
entretenir l’ennemy, & cependantprendre
autre
part, &
ce en ſecret, n’eſtant conuenable que les ſoldats ſçachent tous les conſeils &
deſſeins
deleurs Generaux &
Conducteurs.
Or ayant aduerti comment il faut aſsieger; il faut auſsi entendre comment la place
doit
eſtre gardée &
deffenduë. Pour cet effet, il faut éleuer ſur le bord du fleuue vn fort à
trois
pointes ou bouleuarts, les deux regardans la ville, &
le troiſiéme vers la campagne:
toutesfois de fortification baſſe, pour pouuoir eſtre flanquée de la ville & de la fortereſſe
principale
par l’ Artillerie &
mouſquetterie. Et ſoyez aſſeuré que moyennant telle dili-
gence
, ce ſera au dam de ceux qui la voudront venir occuper, &
tant plus ſi le flanc ſe fai-
ſoit
de deux bouleuarts comme il eſt dit:
Ou pour le moins il y aura grande difficulté, com-
bien
qu’à la fin il faudroit que l’aſsiegé, s’il n’eſt ſecouru d’ailleurs, ſe rendiſt:
Cependant
auec
teſmoignage d’auoir fait ſon deuoir, cõme bon ſoldat, qui le deffendra de tous repro-
ches
&
murmures ordinaires: car en ſemblables occurrences il n’y a iamais faute de mal-
contẽs
, qui en diuerſes manieres en fõt reproches au Gouuerneur;
les vns qu’ilne s’eſt pour-
ueu
de ſuffiſantramage, le pouuant auoir en temps:
les autres qu’il y auoit faute de poudre,
ou
qu’elle eſtoit gaſtée &
moüillée: autres que comme coüardil craignoit le ſecond
3004& d’eſtre forcĕ de ſortir ſans armes & bagage. Comme de fait ſur ce dernier les opinions
ſont
diuerſes:
les vns tenans pour le party profitable de ſe rendre, ne pouuant plus, de bon-
ne
heure, pour ſortir auec armes &
bagage. Les autres le party plus honorable, ſelon le dire
du
valeureux Duc de Parme &
de Plaiſance, de reſiſter iuſques à l’extremité, & ſortir auec
plus
grand honneur le baſton en la main, qu’auecles armes &
bagage auec ſoupçon de laſ-
cheté
.
Choſe experimentée du Collonel la Cuquelle en Steanuique, dont ſortant auec
le
baſton en la main, il s’acquiſthonneur &
renommée digne d’eternelle memoire.
QVATRIESME ADVERTISSEMENT.
Conſider ation du General de l’ Artillerie voulant battre quelque place.
Le General de l’ Artillerie, ou celuy auquel elle pourroit eſtre enchargée, ayant receu
commandement
de battre quelque place, ſoit ville ou ſort, pour rapporter honneur &
re-
putation
, doit conſiderer auec grande prudence, ſi ledit lieu durant le ſiege pourroit eſtre
ſecouru
d’vne autre armée.
Et s’il y en a apparence, deuant de mettre ſes pieces en batte-
rie
, peſera ſagement tous les inconueniens qui s’y pourroient preſenter, pour en iceux ſe
reſoudre
promptement ſur l’auantage.
A ſçauoir, que s’il aduenoit que l’ennemy ſurue-
nant
le forçaſt, il en puiſſeretirer ſes pieces ſans danger.
Ou ſi les quartiers eſtoient atta-
quez
, illes puiſſe deffendre &
flanquer de tous coſtez: Ou qu’eſtant aſſailly de la part de la
ville
, les pieces ne luy ſoient enclouées.
Dont pour deffenſe, il fermera tellement ſa bat-
terie
, que les ennemis n’y puiſſent entrer, ſinon par les ambraſeures, fermant les chemins
ou
entrées de banieres, &
le reſte bien pourueu de parapets: & ce de peur qu’il ne luy ad-
uienne
comme aux Proteſtans en l’an 1599.
au ſiege de la ville de Rees, ſituée ſur le Rhin,
&
gouuernée de la part du Roy pa@ Don Ramiro de Gutzman, Conducteur de quelques
cõpagnies
Eſpagnoles &
d’autresnations. Laquelle eſtant aſſiegée des Princes Allemans,
aidez
des Hollandois, l’ Artillerie plantée &
commençant à iouer contre ladite ville, les
affiegez
firent vne ſaillie, en laquelle ayant forcé la batterie, ils encloüerent l’ Artillerie, &

ne
s’en fallut gueres qu’ils ne l’emportaſſent iuſques en la ville:
Et les aſſiegeans laiſſerent
leur
entrepriſe:
Choſe bien notable pour le General de l’Artillerie, pour remarquer l’im-
portance
des rampants &
parapetstout a l’entour d’vne batterie.
Item ſi le lieu de la batterie eſtoit ſous quelques chauſſées ou digues, leſquelles eſtant
couppées
mettroient la batterie &
les piecesen danger. Le General conſiderera ſoigneu-
ſement
quelle eſt la hauteur deſdites chauſſées, &
enicellesſe fera vn chemin libre vers la
campagne
, par lequel il conduira en telle neceſſité ſes pieces à ſauueté ſans aucun dom-
mage
:
afin qu’il ne luy en prenne comme au valeureux Collonel Mons Dragon en l’an
1584
.
au fort de Lilo, lequel voulant battre, quelques chauſſées furent couppées, qui le
mirent
tellement en l’eau auec ſes pieces, que pour les en retirer il fuſt beſoing qu’vne
bonne
partie du camp y fut empeſchée, &
y eut bien de la peine auant d’en venir à bout.
Exemple ſuffiſant pour aduertir celuy quia en charge l’Artillerie, d’eſtre bien preuoyant
dans
chauſſées, &
principalement en haute marée.
CINQVIESME ADVERTISSEMENT.
Comment vn lieu auantageux doit estre prins & gardé
pour
vn temps à la legere.
Pour ſurprendre vn lieu à la legere, qui ſoit de quelque importance pour
3015 l’armée contraire: il n’y faut perdre temps, ains de premier abord y planter quelques pie-
ces
, &
les ſi bien aſſeurer, que l’ennemy y ſuruenant ſoit contraint de faire vne grande
batterie
pour les en deſloger.
En apres pour s’y fortiſier à la legere, on fera matcher mil ou
deux
mil hommes portans paelles, hoyaux &
piques, & enuiron cinq cens paulx, ayans ſix
pieds
en hauteur, &
vn pied d’eſpoiſſeur. Ainſi ayant bien conſideré ledit lieu, & ſe pour-
uoyant
de ramages, ſi on en peutauoit, on procedera enleuant touſiours le parapet iuſques
à
la hauteur requiſe, en la façon qu’on voit en la ruë couuerte au chaſteau d’Anuers, lo-
geant
deuers le front &
approches destrenchées les palliſſades bien cloüées. Et tel eſt le
deuoir
des bons &
valeureux ſoldats, que comme ils ne ſe doiuent iamais trop fier de leurs
forces
, ainſi ils ne fuyentaucun labeur, pour ſe mettre en quelque auantage:
de ſorte que
chacun
y ſoit promptement occupé:
les vns à couper les ramages pour les fagots, les au-
tres
à faire leſdits fagots, les autres à les attacher auec les palliſſades, les autres finalement
à
fouyr &
tranſporter la terre, de ſorte que l’ennemy venant, il les trouue auec defenſe re-
quiſe
:
en laquelle ils auront encor cet auantage, que le lieu dont ils auront prins la terre
leur
ſeruira d’vn petit foſſé de grande importance, pour ſe preualoir de la caualerie enne-
mie
.
Et pour eſtre tant mieux fortifiez, ils prendront encor quatre pieces de campagne ou
quarts
de canon, leſquelles ils logeront auec leurs parapets, en ſorte qu’elles puiſſent flan-
quer
ladite fortification de toutes parts.
Quant à la poudre, ſi on n’auoit des chariots on la
departira
entre les ouuriers ou pionniers, &
en defaut d’iceux, entre les ſoldats picquiers.
En lieu aſpre & montaigneux on y fera monter ſelon l’inſtruction du chap. 14. du traicté
troiſieſme
, quelques petites piecestirantes enuiron vnelb.
& demie de boulet. En quoy
combien
qu’il y aura de la peine &
labeur, auſſi en ſeront-ils tant mieux gardez, & les en-
nemis
trouuant ces pieces, moins ils penſent, ſoient bien eſbahis.
Et pour ſemblables
occurrences
, il vient bien à proposqu’en vne iuſte armée il y ait bonne quantité d’ouuriers
pour
s’en ſeruir auec grand auantage, ſans y empeſcher &
laſſer les ſoldats, qui doiuent
touſiours
eſtre preſts au combat.
Note que i’ay dit que la poudre doit eſtre recommandée, ou aux ouuriers, ou aux pic-
quiers
, eſtant entre les mains de ceux-là plus aſſeurée, qu’entre celles qui portent armes à
feu
, auſquelsil n’en faut laiſſerplus qu’ilsn’ont de beſoing, bien pourront-ils porter quel-
ques
boulets pour les pieces &
inſtruments des ouuriers & pionniers; mais de la poudre
on
ne s’y doit fier.
SIXIESME ADVERTISSEMENT.
Du ſoing que doit auoir le Gouuerneur d’vne place, touchant
les
munitions de guerre.
Premierementil eſt obligé de viſiteren toutes les armées vne fois au mois de Iuin la
poudre
, &
la mettre ſeicher. Pour lequel effet, il tirera pour chacun iour la troiſieſme par-
tie
du magazin, laquelle eſpanduë ſur vne grande toille ou voille de nauire, propre pour
cette
affaire, la fera tourner au plus chaud du ſoleil auec vne paelle de bois:
mettant entre
les
tonneaux nettoyez &
reliez la bouche ouuerte au ſoleil; comme auſsi le magazin meſ-
me
aura &
portes & toutes les feneſtres ouuertes, afin que la chaleur paſſant par tout, con-
ſomme
toute l’humidité qu’il y pourroit auoir;
Et que la poudre ainſi miſe ſecher ſoit gar-
dée
des picquiers pour les raiſons ſuſdites.
S’il apperçoit qu’és murailles s’eſt engendré quelque nitre, ill’en fera cueillir, afin que
les
canonniers s’en ſeruent aux ſalues &
autres feſtes des feux artificiels. Et pour le
3026 rer il mettra en vne chaudiere, le faiſant boüillir auec vn peu d’eau ou leſſiue, iuſques à la
conſommation
de l’eau.
Apres il en prendra la paſte & la mettra ſeicher au ſoleil ou au
four
.
Or de ce nitre prenant vn tiers, deux tiers de poudre, vn tiers de ſoulfre, & vn quint de
charbonbien
broyé &
paſſé par l’eſtamine, on fera des fuſées bien gaillardes.
Le maiſtre d’Hoſtel ſoit aduerty que la meſche ou corde d’arquebuſe ſoit bien gouuer-
née
, non point miſe en monceaux, mais penduë en ſorte que le vent la puiſſe paſſer:
car au-
trement
en peu de temps elle pourriroit, ou pour le moins perdroit beaucoup de ſa valeur
requiſe
.
Item que les mouſquets & arquebuſes ſoient nettoyez vne fois par an. Et en defaut
de
maiſtre arquebuſier, on y employera les canonniers, les recompenſant de quelque fran-
chiſe
ou piece d’argent, comme ceux qui autrement n’y ſont obligez.
Et ainſi ie finiray ces
aduertiſſemens
, eſperant que ſa Majeſté &
autres Princes qui s’en voudront ſeruir, s’en
trouueront
auantagez, &
leurs gens grandement ſoulagez.
FIN.
68[Figure 68]
303
[Empty page]
304
[Empty page]
305
[Empty page]
306
[Empty page]
307
[Empty page]
308
[Empty page]