Mersenne, Marin, Questions physico-mathematiques, 1635

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Author: Mersenne, Marin
Title: Questions physico-mathematiques
Date: 1635

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Copyright: Max Planck Institute for the History of Science (unless stated otherwise)
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Table of contents
1. Page: 0
2. QVESTIONS PHY SICO-MATHE-MATIQVES. ET LES MECHANIQVES du ſieur Galilee tres excellent Ma-thematicien, & Ingenieur du Duc de Florence. AVEC LES PRELVDES del harmonie vniuerſelle. Vtiles aux Philoſophes, aux Medecins, aux Aſtrolognes, aux Ingènieurs, & aux Muſiciens. Traduites del Italien par L.P.MM. Page: 1
3. APARIS, Chez Henry Gvenon, rue S. Iacques prèsles lacobins, à l’image S. Bernard. M DC. XXXV. Page: 1
4. Auet Approbation & Pr@@ilege. Page: 1
5. LES QVESTIONS THEOLOGIQVES, PHYSIQVES, MORALES, ET MATHEMATIQVES. Où chacun trouuera du contentement, ou de l’exercice. Compoſees par L. P. M Page: 3
6. A PARIS, M. DC. XXXIV. Chez Henry Gvenon, ruë ſainct Iacques, prés les Iacobins, à l’ima-ge ſainct Bernard. Auec Priuilege & Approbation. Page: 3
7. A MONSIEVR MONSIEVR MELIAN, THRESORIER General de France. MONSIEVR, Page: 5
8. PREF ACE AV LECTEVR. Page: 10
9. TABLE DES QVESTIONS deceLiure. Page: 12
10. APPROBATION. Page: 17
11. APPROBATION. Page: 17
12. PRIVILEGE DV ROγ. Page: 18
13. PREMIERE PARTIE DES QVESTIONS THEO-LOGIQVES, MORALES, Phyſiques & Mathematiques. QVESTION PREMIERE. Quelles ſont les principales curioſitez qui occupent les hommes? Page: 19
14. COROLLAIRE Page: 23
15. Qvestion II. D’où vient qu’il y a des bommes qui s’eſti-ment ſi ſçauans, & que les autres qui ſont plus ſçauans qu’eux s’eſti-ment ſi ignorans? Page: 25
16. COROLLAIRE Page: 27
17. Qvestion III. Eſt-il vray que l’Eſtain calciné, eſt plus peſant apres auoir eſté calciné, que lors qu’il eſt crud. Page: 29
18. COROLLAIRE. Page: 33
19. Qvestion IV. A ſçauoir ſi les corps peſans augmentent touſiours leur viſteſſe quand ils deſcen-dent vers le centre de la terre. Page: 34
20. COROLLAIRE Page: 36
21. Qvestion V Pourquoy la poudre de l’or, que l’on appelle fulminant, fait elle vn ſigrandbruit, quand elle ſent la chaleur? Page: 38
22. COROLLAIRE. Page: 41
23. Qvestion VI. Comment les metaux peuuent-ils s’engen-drer dans la terre, puis que le Soleilne penetre pas ſi auant? Page: 42
24. COROLLAIRE. Page: 45
25. Qvestion VII. Quelle eſt la plus grande portée des arque-buſes, & de l’artillerie, & en quelle proportion les boulets diminuent-ils leur force, & leur viſteſſe? Page: 47
26. COROLLAIRE. Page: 48
27. Qvestion VIII. Quelle eſt la ligne de direction qui ſert aux Mechaniques? Page: 50
28. COROLLAIRE. Page: 53
29. Qvestion IX. Peut-on donner laraiſon. de tout ce qui arrt-ue à la Romaine, & aux balances? Page: 55
30. COROLLAIRE Page: 58
31. Qvestion X. D’où vient que les Romans, & les autres li-ures quine traittent pas des ſciences, ſont mieux vendus, que les liures qui parlent des ſciences, & qui demonſtrent pluſieurs choſes vtiles, & nouuelles? Page: 60
32. COROLLAIRE. Page: 63
33. Qvestion XI. Pourquoy les gens de lettre, c’eſt à dire les hommes ſçauans, ne paruienuent-ils pas pour l’ordinaire à de ſi grandes for-tunes, que ceux qui ſont vaillans, ou qui ont quelqu’autre addreſſe. Page: 65
34. COROLLAIRE. Page: 67
35. Qvestion XII. A ſçauoir ſi l’on peut trouner la vraye lon-gitude, ou la diſtance des Meridiens, tant ſur la mer que ſur la terre, pour l’vſage de la nauigation? Page: 68
36. COROLLAIRE. Page: 82
37. Qvestion XIII. Quelle eſt la choſe la plus admirable de tout le monde ? Page: 83
38. COROLLAIRE. Page: 86
39. Qvestion XIIII. D´où vient que la plus grande partie des bommes preferent l’argent, & le lucre à la ſcience, & à l’bonneſteté. Page: 87
40. COROLLAIRE. I. Page: 90
41. COROLLAIRE. II. Page: 92
42. Qvestion XV. Peut-on inuenter, & faire vn mouuement perpetuel? Page: 94
43. COROLLAIRE. Page: 97
44. Qvestion XVI. La quadrature du cercle eſt-clle imp@ſiblc? Page: 99
45. COROLLAIRE I. Page: 101
46. COROLLAIRE II. Page: 102
47. Qvestion XVII. Les Taliſmans, & les metaux, on les autres corps que l’on grane pour attirer les influences du Ciel, ont ils quelque verin particuliere? Page: 102
48. COROLLAIRE. Page: 105
49. Qvestion XVIII. Les Camaieux, o@Gamahez ont-ils quelque force, on quelque ſigniſication? Page: 107
50. COROLLAIRE I. Page: 110
51. COROLLAIRE. II. Page: 110
52. Qvestion XIX. A quoy ſeruent les ſections Coniques, & quel peut eſtre leur vſage? Page: 112
53. COROLLAIRE Page: 115
54. Qvestion XX. A ſçauoir ſi l’on peut lire dans les aſtres par le moyen des miroirs, & ſi l’on peut connoiſtre les choſes futures dans les Eſtoiles? Page: 116
55. Qvestion XXI. La lumiere oſt-elle viſible, & diſtincte des couleurs ? il eſt auſsi parlé des corps terrcſtres qui ont de la lumie-re en eux. Page: 120
56. COROLLAIRE. Page: 125
57. Qvestion XXII Quelles ſont les vertus occuites, & la ſyin-pathie, & antipathie, & d’où elles viennent. Page: 127
58. Qvestion XXIII. D’où vient le grand contentement que l’on reçoit, lors que l’on croit auoir trouué quelque nouuelle demonſtration, ou verité? Page: 130
59. Qvestion XXIV. pourquoy le chriſtal, le verre, le talc, la cor-ne, & pluſieurs autres corps ſont-ils diaphanes, ou tranſparens? Page: 133
60. QvestionXXV. Le froid eſt-il ſeulement vne priuation de la chaieur, ou vn eſtre poſitif? ce que l’on peut eſtendrc à la lumicre, à l’o, nbre, & à pluſieurs autres choſes. Page: 135
61. Qvestion XXVI. Des inuentions & des ſecrets que l’on re-cherche, ou que l’on deſire dauantage dans les arts, & dans les ſciences. Page: 138
62. Qvestion XXVII. Combien la pierre d’ Aymant a-clle de proprictcz? Page: 141
63. Qvestion XXVIII. Peut-on prouuer, ou confirmer les myſteres de la Religion Chreſtienne par les opera-tions, & les principes de l’ Alchymie? Page: 145
64. COROLLAIRE. De la Cenſure de la Sorbonne, contre le liure de Kunrath. Page: 151
65. La Sacrée Faculté de la Theologie de Paris, à tous les Cathθliques. Page: 151
66. Qvestion XXIX. Puis qu’ileſt certain que le Soleil a beaucoup de taches, ou de macules, & de facu-les, qu’en peut-on inferer? Page: 153
67. COROLLAIRE. Page: 157
68. Qvestion XXX. Quelle vtilité peut-on tirer des lunettes de longue veuë pour les ſciences, & pour la vie? Page: 157
69. Qvestion XXXI. Peut-on trouuer en France de la matiere pour entretenir le feu, & pour ſe chauffer ſans vſer de bois? & peut-on faire du ſalpe-ſtre par artiſice? Page: 162
70. COROLLAIRE Page: 167
71. Qvestion XXXII Sile ſel engraiſſe la terre, pourquoy les on-ciens ont-ils fait paroiſtre la malcdiction qu’il luy donnoient en ſemant du ſeldeſ-ſus pour la rendre ſterile? Page: 168
72. COROLLAIRE. Page: 171
73. Qvestion XXXIII. A quoy ſeruent les raiſons, & les propor-iions de la Geometrie? où l’on void la quadrature de la Parabole. Page: 172
74. Qvestion XXXIV. Quelles raiſons a-t’on pour prouuer, & pour perſuader le mouucment de laterre, autour de ſon axc, dans l’eſpace de vingt-quatre heures? Page: 176
75. COROLLAIRE I. Page: 182
76. COROLLAIRE. II. Page: 184
77. Qvestion XXXV. Pourquoy fait-il plus chaud à lſrs; Eſté quſrs; à lſrs;Hyuer, veu que le soleil eſt beaucoup plus proche de nous à lſrs; Hyuer quſrs; à lſrs; Eſté? & pourquoy fait-il froid à lſrs; ombre? Page: 185
78. COROLLAIRE. Page: 188
79. Qvestion XXXVI. Comment les nuës peuuent-elles nager, ou ſe pourmener dans lſrs;a@r ſans tomber, puis quſrs;elles ſont ſi peſantes? Page: 189
80. Qvestion XXXVII. Qhelle raiſon peut on auoir pour croire que la terre ſe meut au tour du Soleil, que l’on met au centre du monde? Page: 192
81. COROLLAIRE. Page: 194
82. Qvestion XXXVIII. Les principes, & les fondemens de l’Optique ſont-ils plus certains que ceux de la Muſique? Page: 196
83. Qvestion XXXIX. De quelles matieres ſe ſeruent les Teintu-riers pour teindre la laine, ou le drap, & La ſoye de toutes ſortes de coubeurs ¿ Page: 201
84. COROLLAIRE I. Page: 204
85. COROLLAIRE II. Page: 206
86. Qvestion XL. Pourquoy l’haleine que l’on pouſſe du poul-mon, ſe void-elle plus aysément à l’Hyuer qu’à l’Eſté; & qu’eſt-ce que le vent? Page: 207
87. Qvestion XLI. Eſt-il vray que de toutes les figures I ſoperi-metres de meſme nature, celle qui eſt la mieux ordonnée, & que de toutes les he-terogenes ordonnées, celle qui eſt la plus terminée eſt la plus grande? Page: 209
88. COROLLAIRE. Page: 212
89. Qvestion XLII. La blancheur eſt elle la plus excellente de toutes les couleurs? Page: 213
90. COROLLAIRE. Page: 215
91. Qvestion XLIII. Pcurquoy ics recreations que l’on prend en la preſence des maiſtres, & des ſupericurs ne ſont elles-pas ſi agreables que celles que l’on prond en leur abſcence? Page: 216
92. Qvestion XLIV. Quia-il de plus not able dans les Dialogues que Galilée a faits du mouuement de la terre? cette queſtion contient tcut ſon premier Dialogue. Page: 219
93. Qvestion XLV. Qui a-il de remarquable dans le ſecond Dialogue de Galilée. Page: 228
94. COROLLAIRE. Page: 232
95. Sentence contre Galilée, & contre ſes Dialo-gues du mouuement de la terre. Page: 232
96. Qvestion XLVI. A ſçauoir ſi la Nature & les ſens ſe plaiſent à la varieté, & à la diuerſité des ob-iects, & pour quelles raiſons elle y prend plaiſir. Page: 246
97. FIN. Page: 258
98. LES MECHANIQVES DE GALILE’E MATHEMATICIEN & Ingenieur du Duc de Florence. AVEC PLVSIEVRS ADDITIONS rares, & nouuelles, vtiles aux Archite-ctes, Ingenieurs, Fonteniers, Phi-loſophes, & Artiſans. Traduites de l’Italien par L.P.M.M. Page: 259
99. A PARIS, Chez Henry Gvenon, ruë S. Iacques, pres les Iacobins, à l’image S. Bernard. M. DC. XXXIV. AVEC PRIVILEGE ET APPROBATION. Page: 259
100. A MONSIEVR MONSIEVR DE REFFVGE, CONSEILLER DV Roy au Parlement. Page: 261
101. TABLE DV LIVRE des Mechaniques. Chap. I. Dans lequel l’vsilité des Mechaniques eſt expliquée: Chap. II. Des definitions neceſſai-res pour la ſcience de la Mechanique. Chap. III. Des ſuppoſitions de cette ſcience. Chap. IV. D’vn principe general. Chap. V. Aduertiſſement ſur les diſ-cours precedens. Chap. VI. Du Tremeau, ou de la Romaine de la Balance & du Leuier. Chap. VII. Du tour de la Roue, de la Grüe & du Cabeſian & c. Chap. VIII. De la nature & de la force des Poulics. Chap. IX. De la viz. Chap. X. De la viz d’ Archimede qui ſert à éleuer l’eau. Chap. XI. De la force de la Percuſsion. Elpuis pluſieurs Additions. Page: 276
102. LES MECHANIQVES DE GALILEE FLOREN-TIN, Ingenievr et Mathematicien du Duc de Florence. CHAPITRE PREMIER. Dans lequel on void la Preface quimonſtre l’vtilité des Machines. Page: 279
103. Chap. II. Des definitions, neceſſaires pour la ſcience des Mechaniques. Page: 284
104. Premiere definition. Page: 285
105. Deuxieſme definition. Page: 285
106. Troiſieſme definition. Page: 286
107. Chap. III. Des ſuppoſitions de cet art. I. SVPPOSITION. Page: 287
108. II. SVPPOSITION. Page: 287
109. III. SVPPOSITION. Page: 288
110. PREMIERE ADDITION. Page: 289
111. Chap. IV. Dans lequel l’vn des principes generaux. s Mechaniques eſt expliqué. Page: 290
112. Chap. V. Où l’on void quelques aduertiſſemens ſur le diſcours precedent. Page: 295
113. Chap. VI. De la Romaine, de la Balance, & du Louier, Page: 298
114. II. ADDITION. Page: 301
115. Chap. VII. Du Tour, de la Rouë, de la Gruë, du Guin-dax, & des autres inſtrumens ſemblables. Page: 304
116. Chap. VIII. De la force, & de l’vſage des Poulies. Page: 310
117. LEMME. Page: 318
118. Chap. IX. De la Viz. Page: 324
119. III. ADDITION. Page: 336
120. IV ADDITION. Page: 338
121. V. ADDITION. Page: 340
122. Chap. X. De la Viz d’ Archimede pour ejieuer les eaux. Page: 343
123. VI ADDITION. Page: 345
124. Chap. XI. Page: 347
125. ADDITION VII. Page: 351
126. ADDITION VIII. Page: 356
127. ADDITION. IX. Page: 360
128. ADDITION. X. Page: 365
129. A MONSIEVR, MONSIEVR DE BOVRGES CONSEILLER DV ROY, & Threſorier Payeur de Meſ-ſieurs les Threſoriers de Fran-ce à Orleans. MONSIEVR, Page: 367
130. LES PRELVDES DE LHARMONIE VNIVERSELLE, OV QVESTIONS CVRIEVSES. Vtiles aux Predicateurs, aux Theologiens, aux Aſtrologues, aux Medecins & aux Philoſophes. Compoſees par le L.P.M.M. Page: 369
131. A PARIS, Chez Henry gvenon, ruë S. Iacques, prés les Iacobins, à l’image S. Bernard. M. DC. XXXIV. AVEC PRIVILEGE ET APPROBATION; Page: 369
132. PREFACE AV LECTEVR. Page: 374
133. TABLE. DES QVESTIONS de ce Liure. Page: 376
134. APPROEATION. Page: 379
135. F. François de la Noüe Minime. F. Martin Herisse Minime. Quelques fautesde l’impreſſion des Preludes Page: 379
136. PRIVILEGE DV ROY. Page: 380
137. PRELVDES DE L’HARMONIE. QVESTION PREMIERE. Quelle doit eſtre la conſtit@tion du Ciel, ou l’horoſcope d’vn parfait Muſicien. Page: 383
138. De la vie, du temperament, & de la propor- tion du corps du plus excellent Mu- ſicien qui puiſſe eſtre. Page: 384
139. Te la profeßion, des mœurs, de l’eſprit, & de l’excellence du meſme Muſicien. Page: 386
140. Raiſons contre la figure, & la natiuité precedente. Page: 392
141. Reſponce à l’obiection prec@dente, & confir-mation du moſme Horoſcope. Page: 395
142. COROLLAIRE I. L’ON DEMANDE SI LA PRO- feßion de ceux qui s’ employent à faire àes Horoſcopes & Natiuitez, & croient neantmoins que les Aſtres & influences celeſtes nous inclinent ſeulement, ſans ap- porter aucune neceßsité, eſt bonne & licite, ou bien meſchante ou illicite. Page: 409
143. COROLLAIRE. II. Page: 415
144. QVESTION II. Dans laquelle tous les principes de l’ Aſtrolo-gie Iudiciairt ſont examinez. Page: 416
145. Proposition I. Qu’il ny a point de certitude dans les Horoſ-copes precedents, & que l’on ne peut rien predire de la perfection d’vn Muſicien par la conſtitution des cieux. Page: 416
146. Proposition II. Les trois maiſons de la premiere triplicité ne ſont eſtablies par aucune demonſtration, ou rai, on qui pu ſſe perſuader la verité de ce que les Aſtrologues diſent de ces treis domiciles. Page: 420
147. Proposition III. La ſeconde, latroiſieſme, & la quatrieſme tri-plicité ne ſont pas mieux eſtablies que la premiere. Page: 427
148. Proposition IV. Determiner quelle vtilité l’on peut tirer des douze maiſons de l’Horoſcope pour les choſes ſpirituelles. Page: 432
149. Proposition V. L’on ne ſçauroit predire aſſeurément les ma-ladies, ni les inclinations que quelqu’vn aura vices, aux vertus, & aux ſciences, ni quel ſera ſon temperament, par les re-gles ordinaires de l’Aſtrologie Iudiciaire. Page: 434
150. COROLLAIRE I. Page: 446
151. COROLLAIRE II. Page: 447
152. COROLLAIRE III. Page: 448
153. QVESTION III. Page: 449
154. COROLLAIRE I. Page: 488
155. COROLLAIRE II. Page: 489
156. COROLLAIRE III. Page: 491
157. QVESTION IV. A ſçauoir ſi le temperament du parfait Muſi-cien doit eſtre ſanguin, phlegmatique, bi-lieux, ou melancholique, pour eſtre capable de chanter, ou de compvſer les plus beaux airs qui ſoient po{ſS}ibles. Page: 491
158. COROLLAIRE I. Page: 514
159. COROLLAIRE. II. Page: 516
160. QVESTION V. Quelle deit eſtre la capacité, & la ſcience d’vn parfaict Muſicien. Page: 517
161. Qvestion VI. A ſçauoir ſile ſens de l’ouye doit eſtre le iuge de la douceur des ſons, & des concerts, ou ſi cet office appartient à l’entendement. Page: 526
162. Qvestion VII. A ſçauoir s’il eſt expedient d’vſer du genre Chromatic, & de l’Enharmonic, ou ſi l’on doit ſe content@r du Diatonic; & ſi l’on peut reduire œs trois genres en Pratique. Page: 547
163. Qvestion VIII. A ſçauoir ſi les chordes parfaitement, égal@s eſtant tirées d’vn mouuoment égal, on à vne force égale par les deux extremi-tez, ou par vne ſeule extremité ſe rom-proient, & par quel lieu elles ſe rom-proient Page: 570
164. QVESTION IX. A ſçauoir pourquoy les Grecs ont pluſtoſt vsé des Tetrachordes ou des Quartes pour eſtablir la Muſique, que du Pentachorde, de l’Exachorde, ou de quelqu’autre nom-bre de chordes; où l’on void pluſieurs bel-les remarques ſur le nombre de 4. & où le 3. probleme de l@ 15. ſection d’Ariſtote eſt expliqué. Page: 586
165. Qvestion X. A ſçauoir ſi les ſons forment les mœurs, com-me ſuppoſe Ariſtote dans le 27. Probleſ-me de la 19. ſection; & s’ils ſont plus propres à exciter les paßions de l’homme, que les couleurs, les ſaueurs, & les odeurs, & c. & pourquoy les ſons ont cette vertu, & cette puiſſance. Page: 594
166. Qvestion XI. A ſçauoir comme il faut compoſer les chan-ſons, pour eſtre les plus excellentes de tou-tes celles qui ſe peuuent imaginer. Page: 604
167. FIN. Page: 606
111[Handwritten note 1]
QVESTIONS
PHY
SICO-MATHE-
MATIQVES
.
ET LES MECHANIQVES
du
ſieur Galilee tres excellent Ma-
thematicien
, & Ingenieur du
Duc
de Florence.
AVEC LES PRELVDES
del
harmonie vniuerſelle.
Vtiles aux Philoſophes, aux Medecins,
aux
Aſtrolognes, aux Ingènieurs,
& aux Muſiciens.
Traduites del Italien par L.P.MM.
22[Handwritten note 2] 1[Figure 1]
APARIS,
Chez
Henry Gvenon, rue S. Iacques
prèsles
lacobins, à l’image S. Bernard.
M
DC. XXXV.
33[Handwritten note 3]
Auet Approbation & Pr@@ilege.
2
[Empty page]
344[Handwritten note 4]
LES
QVESTIONS

THEOLOGIQVES
,
PHYSIQVES
, MORALES,
ET
MATHEMATIQVES.
chacun trouuera du contentement,
ou
de l’exercice.
Compoſees par L. P. M
55[Handwritten note 5] 2[Figure 2]66[Handwritten note 6]
A PARIS, M. DC. XXXIV.
Chez Henry Gvenon, ruë ſainct
Iacques
, prés les Iacobins, à l’ima-
ge
ſainct Bernard.
Auec Priuilege & Approbation.
4 3[Figure 3]
5 4[Figure 4]
A MONSIEVR
MONSIEVR

MELIAN
,
THRESORIER

General
de France.
MONSIEVR,
Apres auoir conſideré pluſieurs effets
dela
nature, &
quelques difficultez
dans
les ſciences, qui arrestent les plus
ſçauans
, i’en ay voulu propoſer vn cer-
tain
nombre dans ce liure que ie vous
preſente
, affin de vous tèmoigner l’eſti-
me
que ie fais de voſtre excellent eſprit,
&
d’ exciter les doctes àla recherche des
raiſons
, qui peuuent ſatisfaire a tous
ceux
qui ne ferment pas les yeux à la
lumiere
.
Ie ne doute nullemĕt que
6EPISTRE. ne ſçachiez tres bienqu il eſt mal ayſé
derencontrer
les vrayes raiſons dont on
croit
ſouuĕt enuiſager l’éclat, &
la ſplĕ-
deur
, encore que l on n’ayt trouué que
l’ombrc
, &
l’obſcurité, qui font ſou-
uent
paroiſtre le menſonge ſous les
habits
de la verité.
Ce qui n’empeſche
pas
que ceux qui ſ’efforcĕt de la trouuer
ne
meritent de la loüange;
& certes l’on
auroit
tort de blaſmer tous ceux qui ont
recherché
la raiſon pourquoy la pierre
d’aymant
ne peut attirer le fer rougi,
pourquoy
elle chaſſe les aiguilles par
l’vn
de ſes coſtés, &
qu’elle les attire
par
l’autre, pourquoy le bout des barres
qui
demeure long temps en bas attire
le
midy de l’aiguille touchée, &
que
l’autre
bout le chaſſe, &
qu’il attire ſa
partie
ſeptentrionale, encore qu’ils
n’ayent
pas trouué des raiſons aſſez for-
tes
pour contenter tout le monde.
Ilfaut
iuger
la méme choſe des autres qui tra-
uaili
ĕt à la recherche desveritez
7EPISTRE.culieres, car il ſemble que la capacité des
hommes
eſt bornée par l’ècorce, &
par
la
ſurface des choſes corporelles, &

qu’ils
ne peuuĕt penetrer plus auantque
la
quantité, auec vne entiere ſatisfa-
ction
.
C eſt pourquoy les anciens n’ont
peu
donner aucune demonſtration de ce
qui
appartient aux qualités, &
ſe ſont
reſtrei
nts aux nombres, aux lignes, &

aux
figures.
ſi l’on en excepte la peſan-
teur
, dont Arcbimede a parlé dans ſes
Iſorropiques
.
Ori’eſpere que les Corollaires qui ſont
àla
fin des Queſtions que ie propoſe, ne
vous
plaironi pas moins que les Que-
ſtions
meſmes, &
que vous vous ran-
gerez
libremĕt du partide Socrate, qui
tenoit
que l’on ne peut rien ſçauoir ſi
l’on
ignore Dieu:
car puis qu’il n’ya rien
de
poſſible ſi Dieu n’eſt, &
que la poſ-
ſibilité
de tous les eſtres depend abſolu-
ment
de l’eſtre actuel de Dieu, comme
la
puiſſance de l’acte, il est certain
8EPISTRE. l’onne peut auoir la parfaite connoiſ-
ſance
d’aucune choſe, ſi l’on ne connoiſt
la
ſource dont elle prend ſon origine.
Et
comme
l’on auroit ſuiet de blaſmer vn
Philo
ſophe qui voudroit connoiſtre la
nature
des couleurs ſans ſçauoir celle de
la
lumiere, qui leur donne l’eſtre, &

la
ſubſiſtance, puis qu’il eſt impoſſible
qu
il y ayt des couleurs ſans elle:
de
meſme
l’on peut iuſtement me ſpriſerce-
luy
qui s’applique aux ſciences, s’il
n’eſſaye
par leur moyen de s’auancer à
la
connoiſſance de Dieu, pui@ qu’ elles
ſont
comme des rayons de la diuinité,
qui
;
demonſtrent par leurs veritez im-
muables
&
eternelles, & par leur
grande
@ſtend@ë ſon immutabil@tè, ſon
éternit
é, &
ſon in@menſité. C’eſt donc
enceſte
maniere que @ous les Chreſtiens
doiuent
enuiſager les ſciences, &

qu’ils
s’en doiuĕt ſeruir comme de puiſ-
ſantes
machines pour éleuer leur amour
qui
@ſtle cenire de la peſanteur de
9EPISTRE. leurs affections, aucentre de toutes les
creatures
quine ſe trouue que dans la
bonté
diuine, dont toutes les choſes tant
actuelles
que poſſibles dependent beau-
coup
plus que les ruiſſeaux ne depen-
dent
de leur ſource.
Car il eſt tres rai-
ſonnable
qu’elles y retournent, &

qu’elles
n’ayent point de plus grand
deſſein
que de s‘y rendre, &
de s’y pre-
cipiter
, comme font tous les corps peſans
au
centre de la terre, &
toutes les ri-
uieres
dans l’Ocean.
Ie ne doute pas,
MONSIEVR
, que vous ne
vous
ſeruiez.
de toutes les ſciences en
cette
façon, &
que vous n’en agreyez
l’vſage
, dont i’ay tracé quelque crayon
dans
ce liure, lequel ie vous prie de
receuoir
auec la meſme affection que
celle
qui m’a porté à vous l’offrir;
c’eſtce
qu’eſpere
Voſtre tres humble & tres-
affe
ctionné ſeruiteur.
F. M. Merſene M.
10 5[Figure 5]
PREF ACE AV LECTEVR.
LEs Queſtions de ce Liure ne
ſont
pas trop longues pour
ennuyer
, ny ſi courtes qu’elles ne
faſſent
voir les difficultez, qui ſe
rencontrent
dans toutes les cho-
ſes
que l’on ſe peut imaginer;
c’eſt pourquoy i’eſpere qu’elles
ſeront
aſſez agreables à ceux qui
prendront
la peine de leslire, &

qu’elles
ſeront cauſe que plu-
ſieurs
nous dõneront leurs expe-
riences
, &
qu’ils enrichiront le
public
de leurs penſées, &
des ſo-
lutions
de pluſieurs doutes quiſe
ſont
formez, ou que l’on leur a
propoſez
.
Neantmoins ſi qu’el-
qu’vn
ſe plaint de leur briefueté,
il
trouuera dequoy ſe ſatisfaire
dans
l’autre traité des Preludes
11PREFACE. l’harmonie, dont les Queſtions
ont
vneiuſte longueur, &
dans
celuy
des Mechaniques, qui re-
quiert
plus d’attention que les
autres
.
Quoy qu’il en ſoit, l’on
verrale
tiltre deſdites Queſtions
dans
la table qui ſuit.
12 6[Figure 6]
TABLE
DES
QVESTIONS
deceLiure
.
I. Qu. QVelles ſont les principales cu-
rioſitez
quioccupent les hõmes.
II. Quclt. Pourquoy il y a des hommes
qui
s’eſtiment ſi ſçauans, &
que les autres
qui
ſont plus ſçauans qu’eux s’eſtiment ſi
ignorans
.
III. Queſt. Powrquoy l’eſtain calciné eſt
plus
peſant que non calciné.
IV. Queſt. Aſſauoir ſi les corps peſans aug-
mcntent
tou ſiours leurviſteſſe en deſcendant
aucentre
de la terre.
V. Queſt. Pourquoy l’or de tonnerre fait-
ilvn
grand bruit lors qu’il ſent la chaleur.
VI. Queſt. Comment les metaux s’en-
gendrent-ils
dans la terre, puis que la cha-
leur
du Soleil n’entre pas ſi auant.
VII. Qucſt. Queleſt la plus grande por-
tée
des Arque@uſcs, &
des Canons, & en
quelle
proportion diminuent ils leur force,
&
leurviteſſe,
VIII. Queſt. Quelle eſt la ligne de
13TABLE. rection qui ſert aux Mechaniques.
IX. Queſt. Peut on donner la raiſen de
tout
ce qui arriue à la Romaine &
aux ba-
lances
.
X. Queſt. Pourquoy les Romans ſe de-
bitent-@s
mi@ux que les liures des ſciences.
XI. Queſt. Pourquoy les ſçaisans n’arri-
uent-ils
pas ſi ordinairement aux grandes
dignitez
, que les vaillans.
XII. Queſt. Peut-on trouuer la vraye
longitude
tant ſur la mer que ſur la terre pour
la
ſeureté, &
la facilité des nauigarions, &
des
autres vorages.
XIII. Queſt. Quelle eſt la choſe la plus
admirable
de tout le monde.
XIV. Queſt. Pourquoy la pluſpart des
hommes
preferent-ils le lucre &
l’vtilité à
la
ſcience, &
à l’honneſteté.
XV. Queſt. Peut-on faire vn monuement
perpetuel
par artifice.
XVI. Queſt. La quadrature du cercle eſt-
elle
impoſsible?
XVII. Queſt. Les Taliſmans & les me-
taux
que l’on graue peur attirer les influen-
ces
du ciel ent ils quelque vertu particuliere?
XVIII. Queſt Les Camaieux & Gamahez
ont-ils
quelque vertu on ſignification.
XIX. Queſt. A quoy ſeruent les
14TABLE. Coniques, & quel eſt leur vſage.
XX. Queſt. Peut-on lire dans les aſtres par
le
moyen des miroirs, &
de leurs rencontres.
XXI. Queſt. La lumiere eſt-elle diſtincte
des
couleurs:
& quels corps terreſtres ent de
la
lumicre.
XXII. Queſt. D’où vient la ſympathie,
&
l’antipathie, & qu’elles ſont les vertus
occultes
.
XXIII. Queſt. Pourquoy les nouuelles
demonſtrations
que l’on trouue donnent-elles
tant
de plaiſir.
XXIV. Queſt. Pourquoy la corne, le
verre
le talc, &
c. ſont-il; tranſparans.
XXV. Queſt. Le froid n’eſt-il autre choſe
que
la priuation du chaud, &
l’ombre de la
lumiere
.
XXVI. Queſt. Qui ſont les ſecrets les-
plus
recherchez dans tous les arts.
XXVII. Queſt. Combien la pierre d’ay-
mant
a-elle de proprietez.
XXIII. Queſt. Peut-on confirmer les
myſteres
de la Religion Chreſtienne par les
operations
de la Chymie:
l’on void la
tenſure
de la Sorbonne ſur les liures de K un-
rath
.
XXIX. Queſt. Que peut-on inferer de tou-
tes
les macules, &
les flammes du Soleil.
15TABLE.
XXX. Queſt. Que ſeruent les lunettes
de
longueveuë pour la vie &
pour les ſçiences.
XXXI. Queſt. Peut-on ſe chauffer en
France
ſans vſer de bois, auec la ſeule torre.
XXXII. Queſt. Si le ſel engraiſſe la
terre
pourquoy en ſome t’on deſſ@@ pour la
rendre
ſterile.
XXXIII. Queſt. A quoy ſeruent les rai-
ſons
, &
les proportions de la Geometrie: &
qu’i
ſt-ce que la Quadrature de la Parabole.
XXXIV. Queſt. Peut-on inuenter vne
nouuelle
ſcience des ſons, qui ſe nomme
pſopho´ogie
:
XXXV. Queſt. Pourquoy fait-il plus chaud
à
l’ Eſté qu’a l’byuer, auquelle Soleileſtbeau-
coup
plus pres de nous.
XXXVI. Queſt. Pourquoy les nuës qui
ſont
ſi peſantes ne tombent elles pas ſur nous.
XXXVII. Queſt. Combien faut-il eſtre
éleué
ſur la terre, ou ſur le Soleil pour voir
teleſpace
qu’on voudra.
XXXVIII. Queſt. Les principes de l’O-
ptique
ſont ils plus certains que ceux de la
Muſique
.
XXXIX. Queſt. De quelles matieres ſe
ſoruent
les Teincturiers pour teindre la leine,
&
la ſoye.
XL. Queſt. Pourquoy void-on
16TABLE. dupoulmon à l’byuer, & non à l’eſté.
XLI. Queſt. Les figures Iſoporimetres
les
mieux ordonnées ſont elles touſiours les
plus
grandes.
XLII. Queſt. La blancheur eſt-elle la
plus
exellente de toutes les conlour.
XLIII. Queſt. Pourquey les recreations
que
l’on prend en preſence des Superiturs ne
ſont-elles
pas ſi grandes qu’on leur ab-
ſence
.
XLIV. Queſt. Quelle doit @ſtre la force
de
la voix pour eſtre portée, &
ente@due de-
puis
la terre iuſques au Firmament.
XLV. Queſt. Eſt il permis de ſouſtenir
que
la terre eſt mobile:
la Cenſure des dia-
logues
de Galilee eſt rapportée tout au long.
XLVI. Queſt. Pourquoy la nature ſe
plaiſt
elle à la diuerſité des obiets.
17
APPROBATION.
Novs Decteur en la Faculté de Theolo-
giede
Paris, &
Curé de S. Iacques de la
Boucherie
certifions auoir leu le liure de qua-
rantes
ſix Queſtions Phyſiques &
Mathemati-
ques
compoſé Par le R.
P. Merſenne R. Minime,
&
n’y auoir rien trouué qui ſoit contre les bon-
nes
mœurs &
regles de la foy. Faict à Paris
cezo
.
Iuin, 1634.
Chapelas.
APPROBATION.
NOvs auons veu & approuué lestraitez
ſuiuans
du R.
P. M. Merſenne Reli-
gieux
de noſtre Ordre, à ſçauoir les Queſtions
Thcologiques
, Phyſiques, &
tradution des Mecbani-
ques
de Galiiée, &
les Preludes de l Harmonic & c.
& n’y auons rien trouué qui ne ſoit conforme
à
la vraye Theologie, &
aux bonnes mœurs.
En
foy dequoy nousauons icy misnos ſeings
faic
en noltre Conuent de la place Royalle
ce
zo.
Iuin 1634.
F. François de la Noüe Minime.
F. Martin. Herisse Minime.
18
PRIVILEGE DV ROγ.
PAr lettres du Roy donnees à Paris
le
mois d’Aouſt de l’année 1634.
ſignees Perrochel, & ſeellees du grand
ſceau
de cire iaune, il eſt permis au
P
.
M. Merſenne Religieux Minime
de
faire imprimer par tel Libraire que
bon
luy ſemblera Pluſieurs Trautez de
Philoſophi@
, de Theologie, &
de Mathema-
tique
.
Et deffences ſont faite; à toutes
perſonnes
de quelque qualite qu’ils
ſoientde
les faire imprimer, vendre &

diſtribuer
pendantle temps de ſix ans à
compter
du iour que leidits liures ſe-
tont
acheuez d’imprimer, comme il
eſt
plus amplement potté dans les let-
tres
dudit Priuilege.
Etledit P. M. Merſenne à conſenty & con-
fent
que Henry Guenon ioüiſſe dudit Pri-
nilege
, comme il eſt plus amplement decla-
par l’accord fait entr eux.
191 7[Figure 7]
PREMIERE
PARTIE
DES
QVESTIONS
THEO-
LOGIQVES
, MORALES,
Phyſiques
& Mathematiques.
QVESTION PREMIERE.
Quelles ſont les principales curioſitez qui
occupent
les hommes?
IEne mets pasles Arts qui
ſont
neceſſaires à la vio
humaine
entre les curio-
ſitez
, mais ſeulemĕt ceux
dont
il eſt ayſé de ſe paſ-
ſer
:
car l’Agriculture & tous les Att@
qui
appattiennent au meſnage, par
exemple
, l’att de la peſcherie, &
de la
chaſſe
, l’art de boulanger, &
de faire
202Queſtions Phyſiques, beurre, & c. ſont ſi vtiles à la vie, qu’il
eſt
difficile de l’entretenir ſans ces Arts
que
la neceſſité a fait rencontrer.
Or les hommes monſtrent euidern-
ment
par leur procedé, &
par leurs
exercices
, qu’ils donnent plus de temps
aux
curioſitez qu’aux choſes neceſſai-
res
, car les Canadois &
pluſieurs autres
nations
témoignent par leur façon de
viure
que l’art de lire, &
d’écrire, &
que
tous les Arts, dont ie parleray
apres
, ne ſont pas neceſſaires;
& con-
ſequemment
qu’ils peuuent eſtre mis
au
nombre des curioſitez, car les doigts
ſuffiſent
à nombrer tout ce dont on a
beſoin
, tant parce que le nombre de-
naire
contient tous les autres, que par-
ce
qu’on recommence à nombrer par
les
meſmes doigts tant de fois que l’on
veut
;
ce qui ſe peut auſſi faire auec
de
petits cailloux, qui ont donné le
nom
au calcul, ſans qu’il ſoit beſoin
de
jettons, ou de plume.
L’on peut
dire
la meſme choſe de la @eometrie, &

de
toutes les parties des Mathemati-
ques
, mais parce que l’õ les a iugées ne-
ceſlairesen
noſtre temps, à raiſon de la
guerre
, des fortifications, &
de
213& Mathematiques. ſieurs parties de la police, il vaut mieux
mettre
l’art des Floriſtes qui gouuer-
nentles
Tulipes, &
les autres fleurs, &
ceux
qui font des cabinets de medail-
les
, d’empreintes, de crayons, de por-
traits
, d’images, &
de tableaux, entre
les
curieux, d’autãt que cet eſtude n’eſt
pas
neceſſaire à la Republique.
Ce qu’il
faut
auſſi conclure de ceux qui ramaſ-
ſent
les gemmes, les camaieux, les pie-
res
fines, les coquilles, les fruits eſtran-
gers
, le ſcelet des differentes eſpeces
de
poiſſons, les papillõs, les mouches, &

les
autres inſectes.
Ie laiſſe l’art de filler
la
ſoye, de nourrir lesvers, les beſtes fau-
ues
, &
les oyſeaux, & de leur apprendre
à
parler:
l’art de faire les Inſtruments
de
Muſique, &
d’enioüer, & generale-
ment
toutes les differentes ſortes de
ieux
, &
d’exercices tant de l’eſprit que
du
corps, ſans leſquels l’on peut viure,
&
dont on n’a pas grand beſoin, car l’on
peut
mettre tous ces Arts entre les
principales
curioſitez du monde:
ſi ce
n’eſt
que l’on leur prefere l’eſtude des
Aſtrologues
, des Phyſionomes, &
des
Chyromanciens
, &
que l’on croye que
toutes
les gentilleſſes qui
224Queſtions Phyſiques, des miroirs, des lunettes à longue &
courte
veuë, &
des operations de Chy-
mie
, ſont les principales curioſitez.
Oril y a plaiſir de conſiderer ce que
les
hommes priſent dauantage dans
chaque
genre de curioſités:
parexem-
ple
, ce que l’on iuge de plus excellent,
&
de plus remarquable parmy les co-
quilles
, dõt quelques-vns croyent que
celles
qui ſont faites à vis, ou en helice
qui
va de droit à gauche ſont fort rares,
parce
que toutes les autres vont de
gauche
à droit.
l’on peut ſembla-
blemĕt
remarquer, que toutes les plan-
tes
&
les herbes qui s’entortillent au-
tour
des pieux, ou des arbres qu’elles
rencontrent
, commencent &
conti-
nuent
touſiours leurs plis de droict à
gauche
, comme l’on experimente aux
poids
de coq &
à toutes celles que l’on
appelle
Volubiles, excepté le ſeul hou-
blon
, qui s’entortille de gauche à droit.
On tientauſſi queles coquilles qui ont
des
notes de Muſique, ſont rates:
ce
qui
arriue encore aux papillons, qui
ont
des lettres Grecques, ou d’autres
characteres
ſur leurs aiſles.
Ie laiſſe la
maniere
de tourner en l’air par le
235& Mathematiques. de laquelle on fait des eſcaliers ſi me-
nus
en forme de colomnes torces, &

en
pluſieurs autres manieres, que l’on a
de
la peine à les voir, ou à les tenir, en-
core
qu’ils ſoient d’vn pied de long.
Ie
laiſſe
toutes les ſubtilitez des pompes,
des
fontaines artificielles, des differen-
tes
manieres d’écrire occultement ſans
que
l’on puiſſe apperceuoir l’écriture;
la maniere de tirer & de battre l’or, l’ar-
gent
&
les autres metaux, de faireles
tapiſſeries
de haute lice, &
pluſieurs
autres
Arts, qui peuuent eſtre mis au
rang
des curioſitez, puis qu’ils ne ſont
pas
neceſſaires à la vie humaine, com-
me
l’on experimente chez les Toupi-
nambous
, Montagnards, &
autres ſau-
uages
, qui viuent ſans l’vſage de ces
Arts
.
D’où l’on peut aiſèment conclure
que
la plus grande partie de lavie &
du
labeur
des hommes s’employe aux cu-
rioſitez
, &
conſequemment que l’on
en
employe la moindre à la neceſſité.
COROLLAIRE
Il ſeroit à deſirer que ceux qui
246Queſtions Phyſiques, des cabinets tres-rares, remarquaſſent
ce
qu’il y a de plus exquis dans chaque
genre
, &
qu’ils aduertiſſent de l’vtilité
que
l’on en peut retirer pour les Arts,
&
pour les ſciences: par exemple, qu’ils
fiſſent
vn dénombrement des coquil-
les
les plus rares, &
dont on fait plus
d’eſtime
;
& puis des fleurs, & des oi-
gnons
de tulipes, &
des autres plan-
tes
, &
c. car il n’y a nul doute que l’on
peut
découurit de grands ſecrets de la
nature
par la ſpeculation de ſes ouura-
ges
, comme a fait Paliſſy, lors qu’il a
trouué
le moyen de rendre vne place
imprenable
par le moyen de l’helice,
qui
ſe remarque dãs les coquilles, dont
quelques-vns
maintiennent que l’on
peut
vſer pour ſçauoir quelle heure il
eſt
par les differentes couleurs, ou lu-
mieres
qu’elles font, à raiſon de leurs
differentes
reflexions.
L’on pourroit auſſi grandement pro-
fiter
des differĕtes remarques que font
les
Iardiniers, &
les Floriſtes en culti-
uant
les plantes, car ils obſeruent plu-
ſieurs
choſes dans les oignons, &
dans
les
racines, qui peuuent aider à la Phy-
ſique
.
Et qui doute que la
257& Mathematiques. de la durée & de la vie des plantes de-
puis
leurs germes juſques a la maturité
de
leurs graines ne puiſſe nous ſeruir de
conduite
pour la noſtre, puiſque toute
la
nature eſt ſi bien reglée, que les plus
ſçauans
ſont contraints de confeſſer
que
le moindre de ſes ouurages ſurpaſ-
ſe
toute la ſageſſe, &
la ſcience des hõ-
mes
, &
qu’il eſt tout à fait impoſſible
qu’elle
les pouſſe, &
les ameine au
point
de perfectiõ, nous les voyons,
qu’elle
ne ſoit conduite &
aydée par
vne
ſouueraine intelligence, qui nous
oblige
par des ſentimens interieurs à
l’adorer
, &
à l’aimer eternellement?
Qvestion II.
D’où vient qu’il y a des bommes qui s’eſti-
ment
ſi ſçauans, & que les autres qui
ſont
plus ſçauans qu’eux s’eſti-
ment
ſi ignorans?
L’On pourroit reſpondre que quel-
ques-vns
font sĕblant de s’eſtimer
ſçauans
, encore qu’ils cognoiſſent aſſez
qu’ils
ne ſcauent rien, ou qu’ils
268Queſtions Phyſiques, fort pcu de choſes, parce qu’ils veulent
acquerir
de la reputation, afin de par-
uenir
au deſſein qu’ils ſe ſont formés, &

qu’ils
ſe sõt propoſés, &
de paroiſtre les
plus
ſcauans dans les compagnies,
ils
ſe rencontrent, parce que voyant
qu’ils
y ont quelquefois reüſſi, &
n’a-
yant
rencontré perſonne qui leur ait
peu
, ou voulu reſiſter, ſoit par reſpect
&
modeſtie, ou pour quelqu’autre rai-
ſon
, ils veulent entretenir le monde
dans
la bonne opinion que l’on a con-
ceuë
de leur capacité.
Mais l’autre ré-
ponce
eſt, peut-eſtre plus veritable,
particulierenient
à l’égard de ceux qui
ſe
croyent treſ-ſçauans, &
qui ſe ſont
perſuadez
que cela eſt, &
qu’en effect
ils
peuuent inſtruire, &
deſabuſer tout
le
monde:
or ceſte creance peut eſtre
fondée
ſur ce qu’ils ont rencõtré quel-
que
façon de raiſonner qui leur ſemble
extraordm
aire, ſoit pour diſcourir des
difficultez
de la Phyſique, ou des au-
tres
ſciences, ou parce qu’ils ont ſpecu-
quelque verité particuliere, dont ils
ne
trouuent nulle connoiſſance ail-
leurs
.
Mais quand ils rencontrent
279& Matbematiques. qu’vn qui ne leur cede point pour la fa-
cilité
du diſcours, &
qui a autant, ou
plus
de@apacité qu’eux, ils ſe peuuent
ayſément
deſabuſer, &
quitter toute
ſorte
de preſomption, &
de preoccu-
pation
d’eſprit, quoy qu’il ne ſoit pas
neceſſaire
d’eſtre remis dãs le bon che-
min
, quand on a aſſez d’eſprit &
de ju-
gement
pour cognoiſtre, &
pour con-
clure
que l’on ne ſçait quaſi rien dans la
Phyſique
, ſi l’on ſuit la definition de la
ſcience
qu’ Ariſtote a donnée:
car ſi el-
le
doiteſtre des objects eternels &
im-
muables
, &
que Dieu puiſſe changer
t
out ce qui eſt dans la Phyſique, l’on
n’en
peut faire vne ſcience.
COROLLAIRE
Il faut icy remarquer que le plus
haut
ſommet de la ſcience les hom-
mes
puiſſent arriuer, ſert à les humilier,
&
à rabatre leur orgueil, d’autant qu’ils
voyent
clairement qu’apres auoir eſtu-
dié
l’eſpace de 60.
ou 80. ans, qu’ils
ont
ſeulement trauaillé à deſcouurir,
&
à reconnoiſtre leur ignoiance. De
vient
que quelques-vns eſtiment
2810Queſtions Phyſiques, l’extreme ſcience des hommes a le
meſme
effet qu’vne extreme ignoran-
ce
, &
que toutes les extremitez ſe ren-
contrent
au meſme but, comme le ſon
graue
, &
l’aigu de l’Octaue, ou du Dia-
paſon
, qui ſont ſi ſemblables, qu’il eſt
difficile
d’en remarquer la difference.
D’où l’on pouroittirer pluſieurs autres
concluſions
, queiereſerue pour vn au-
tre
lieu.
I’ajouſte ſeulement que cha-
cun
peut faire la preuue de ce corollai-
re
ſur ſoy meſme, lors qu’il conſidere-
ra
qu’il ſ’imaginoit pouuoir donner la
raiſon
de toutes choſes à la ſortie du
cours
de Philoſophie, ou de Theolo-
gie
, &
qu’il ſera contraint d’auoüer 20.
ou
30.
ans apres qu’il ne ſcait nulle rai-
ſon
qui le contente, &
qui luy ſoit ſi
euidente
, &
ſi certaine, qu’il n’en
puiſſe
douter.
C’eſt pourquoy il ne faut nullement
craindre
que la plus grãde ſcience que
l’on
puiſſe aquerir en ce monde rem-
pliſſe
l’eſprit des ſçauans de vanité, ou
d’artogance
, attendu qu’il y a plus de
danger
qu’ils s’aillent cacher ſans oſer
paroiſtre
, &
qu’ils demeurent dans vn
perpetuel
ſilence, auec vn
2911& Matbematiques. d’arriuer à quelque connoiſſance eui-
dente
, &
infaillible des ouurages de la
nature
, ou de ce qui ſe fait dans eux-
meſmes
, qu’il n’y en a qu’ils s’ĕorgueil-
liſſent
de connoiſtre ſeulement qu’ils
ne
ſçauent nulle choſe auec aſſcz d’eui-
dence
, &
de certitude pour en eſtablir
vne
ſcience.
Car l’on peut dire que nous voyons
ſeulement
l’écorce, &
la ſurface de la
nature
, ſans pouuoir entrer dedans, &

que
nous n’aurons jamais autre ſcience
que
celle de ſes effects exterieurs, ſans
en
pouuoir penetrer les raiſons, &
ſans
ſçauoir
la maniere dont elle agit, iuſ-
ques
a ce qu’il plaiſe à Dieu de nous de-
liurer
de cette miſere, &
nous deſſiller
les
yeux par la lumiere qu’il reſerue à
ſes
vrays adorateurs.
Qvestion III.
Eſt-il vray que l’Eſtain calciné, eſt plus
peſant
apres auoir eſté calciné, que lors
qu’il
eſt crud.
L’Experiĕce que pluſieurs’ publient
pour
veritable, eſt aſſez
3012Queſtions Phyſiques, à ſçauoir que l’Eſtain calciné eſt plus
peſant
que lors qu’il eſt crud, encore
que
l’on n’adjouſte rien à ſa chaux, &

qu’en
le calcinant il ſ’euapore grande
quantité
de ſes parties en fumées &

vapeurs
.
Ce que le ſieur Brun excel-
lent
Apoticaire de Bergerac, conſirme
par
l’experience qu’il propoſe à Mon-
ſieur
Rey Docteur en Medecine, pour
en
ſçauoir la raiſon.
Ledit Brun ayant
mis
deux liures &
6. onces du plus ſin
eſtain
d’Anglcterre dansvn vaſe de fer,
accommodé
à vn fourneau ouuert, &

l’ayant
reduit dans ſix heures en vne
chaux
treſ-blanche ſans y adjoûter au-
o
une choſe, il en a trouué 2.
liures 13.
onces, ceſt à dire 7. onces dauantage:
quoy
qu’apres auoir calciné 6.
liures de
plõb
, il ayt trouué 6.
onces de dechet.
Or il eſt raiſonnable queie die mon
jugement
ſur cette difficulté, puiſque
l’vn
&
l’autre m’ont fait l’honneur de
m’écrire
ſur ce que ie leur auois pro-
poſé
ſur ce ſujet, &
que le ſieur Rey
m’a
donné ſon liure, dans lequel il eſ-
ſaye
de prouuer qu’il n’y a nul corps dãs
la
nature qui ne ſoit peſant:
ce qu’il
monſtre
par l’air, qui deſcend
3113& Mathematiques. dans tous les puits, & les autres trous
que
l’on fait en terre , de ſorte qu’il
conclud
dans ſon 6.
eſſay, que la terrc
c
ſtant conuertie en eau, &
l’eau en air,
l’air
eſt auſſi peſant que la terre.
Son
fondement
conſiſte en ce que le ſeu du
fourneau
faiſant euaporer les parties
les
plus ſubtiles de l’air, ſes parties plus
groſſieres
&
plus peſantes deſcendent
dans
le vaiſſeau de fer, &
f’attachent
tellementà
la chaux de l’eſtain, qu’el-
les
la rendent plus peſante, commeil
arriue
au ſable, qui deuient plus peſant
par
l’humidité de l’eau quel’õ y adjoû-
te
:
de forte que fi l’on diſtilloit l’air
dans
vn alarnbic en vn lieu plus leger
quela
Sphere de l’air, l’on trouueroit
que
celuy qui demeureroit aufond du
vaiſſeau
ſeroit plus peſant que celuy
quel’on
auroit diſtillé, &
quiſeſeroit
exhalé
.
Ie croy queceux qui lirontſon liure
en
receuront vn particulier contente-
ment
, car il rapporte pluſieurs belles
remarques
qui ſont veritables, &
don-
ne
de l’entrée á pluſieurs excellentes
difficultez
dela Phyſique, &
de la Me-
decine
.
Orauant que de conclure
3214Queſtions Phyſiques, te queſtion, ie veuxaduertir quele Ca-
laë
, dont il eſtparlédans le 27.
eſſay
de
ſonliure, eſt vne eſpece deregule,
que
l’on apporte des Indes, &
que l’on
appelle
Sin, ou Speautre.
Il reſſemble
quaſi
à l’eſtain de glace, comme m’a
récrit
le ſicur Brun :
ſi quelques-vns
veulent
voir la lettre que Monſieur
Rey
m’a enuoyée pour l’éclairciſſemĕt
des
difficultez que i’ay formées ſur ſes
eſſais
, iela leur monſtreray treſ-libre-
ment
.
Quant à la ſolution de la difficulté,
l’on
peut, ceſemble, reſpondre quela
chaux
d’eſtain deuient plus peſante,
parce
qu’elle attire vne grande quan-
tité
de vapeurs, parmy leſquelles ſont
meſlées
plufieurs petites partiesdeter-
re
, qui augmentent ſon poids:
quoy
qu’il
ſoit difficile qu’elle en attire au-
tant
, ou dauantage que ce qu’elleen
perd
parla force du feu:
ce quiarriue
ſemblablement
, à ce quel’ondit, á la
chaux
de l’antimoine, &
à pluſieurs au-
tres
metaux calcinez, car encore que
la
chaux de plomb ſe ſoit trouuée plus
legere
dans l’experience du ſieur Brun,
c
lle ſ’eft trouuée plus peſante
3315& Mathematiques. perience des autres: & f’il arriue quo
quelque
chaux ſe trouue beaucoup
plus
legere, il en fautrapporter la cau-
ſe
àla trop grande quantité de vapeurs
quiſont
ſorties du corps calciné, com-
mel’on
experimente dans les plantes,
&
dans les animaux.
Mais cette raiſon ne me ſatisfait pas,
c’eſt
pourquoy ie prefere celle dudit
Rey
à toutesles autres, quoy que l’on
puiſſe
propoſer pluſieurs difficultez
contre
elle, dontil en a reſolu vne bon-
ne
partie.
COROLLAIRE.
Ie deſirerois quetousfe portaſſent à
ayder
le public, &
qu’ils obſeruaſſentla
grandeloy
de la morale, qui conſiſte à
faire
tout le biĕ à tous les hommes quo
l’on
voudroit receuoir d’eux.
C’eft à
quoy
les Chymiſtes, &
ceux qui tra-
uaillent
ſur les metaux mãquentgran-
dement
, car s’ils communiquoient mil-
legentilles
obſeruations qu’ils rencon.
trent en trauaillant, pluſieurs excel-
lents
eſprits en pourroient tirer des lu-
mieres
pour eſtablir quelque choſe
3416Queſtions Phyſiques, certain dãs la Phyſique, ou d’vtile pour
la
vie, &
pour la ſocieté des hommes.
N’eſt ce pas vne choſe cent fois plus
genereuſe
&
plus glorieuſe d’ayder
tous
les morteis de ce que l’on peut,
quand
on n’en reçoit nul dommage,
que
deretenir la verité en injuſtice, &

d’empeſcher
que la lumiere ne ſortiſſe
ſon
eſſect, qui conſiſte à ſe communi-
quer
, &
à ſ’eſtendre à l’infiny, à l’imita-
tion
, &
par la participation de la viue
ſource
de la lumiere eternelle, quinous
conuie
par ſon exemple à fairetoutes
ſortes
de plaiſirs à nos freres, c’eſt à di-
re
à tous les hommes, qui tous ont Dieu
pour
leur pere.
Qvestion IV.
A ſçauoir ſi les corps peſans augmentent
touſiours
leur viſteſſe quand ils deſcen-
dent
vers le centre de la terre.
ILeft certain qu’vne boule de bois,
ou
de plomb, ou de quelqu’autre
matiere
aſſez peſante pour penetrer
l’air
ſans varier d’vn coſté ny
35178[Figure 8] augmente touſiours ſa viſteſſe
dans
toutes les haulteurs, dont
nous
la pouuons faire tomber:
car la boule qui tombe de 12.
pieds
de haut dans letemps d’v-
ne
ſeconde minute, tombe de
48
.
pieds ou enuiron dans le
temps
de 2.
ſecondes, & ainſi
conſequemment
, de ſorte que
les
eſpaces que fait la boule en
diuers
tĕps, ſontenraiſon dou-
blée
deſdits temps, ou peu s’en
faut
, comme i’ay monſtré dans
vn
traité particulier.
Mais il eſt
diſſicile
, &
peut-eſtre impoſſi-
ble
de determiner le peu qui
s’en
faut, &
de ſçauoir en quel
lieu
la boule commĕceà garder
vne
autre proportion dans ſon mouue-
ment
.
Ie metsicy vne ligne diuiſée en
certaines
parties, ſelon leſquelles il y a
grande
apparéce quela boule deſcend:

de
ſorte que ſielle fait la premiere par-
tie
A B dans la premiere ſeconde, quel-
le
fait la partie B C dansla ſeconde, &

C
D dansla 3.
& D E dans la 4. Les
Geometres
trouueront ayſement la
maniere
de faire cette diuiſion,
3618Queſtions Phyſiques, doit touſiours garder vne meſme rai-
ſon
.
Ie ſuppoſe ſeulementicy quela pre-
miere
partie A B ayt 12.
pieds de lon-
gueur
, affin qu’ils determinent com-
biĕ
B C &
les autres parties en doiuent
auoir
:
car quant aux autres diffcultez
quiſe
rencontrent dans ces cheutes, ie
les
reſerue pour vn autre lieu.
I’ad oûte
ſeulement
que V endelin m’a fait pen-
ſer
à cette proportion, dontie parleray
plus
amplement dans vn autre traité.
COROLLAIRE
Puiſquenous ne pouuons ſçauoir les
vrayes
raiſons, ou la ſcience de ce qui
arriue
dans la nature, parce qu’il y a
toufiours
quelques circonſtáces, ou in-
ftances
qui nous font douter files cau-
ſes
que nous nousimaginons ſont veri-
tables
, &
s’iln’y en a point, ou s’il n’y en
peutauoir
d’autres, ie ne voy pas que
l’on
doiue requerirautre choſe des plus
fçauans
que leurs obſeruations, &
les
remarques
qu’ils auront faites des dif-
ferens
effets, ou phenomenes de la na-
ture
.
Par exemple, puiſque l’on
3719& Mathematiques. peut demonſtrer que la terre ſoit ſtable
&
mobile, l’on doir ſe contenter de ſça-
uoir
toutes les obſeruations que les
Aſtronomes
ont faites au Ciel, &
en
tout
ce quiſemble auoir quelque ſorte
de
mouuement reglé.
Et pcut-cſtre
que
cette ignorance des vrayes cauſes,
ou
raiſons des choſes fera rentier plu-
ſicurs
en eux-meſmes, pour conſiderer
les
mouuements de leurame, &
tous
les
reſſorts interieurs qui les fonnagir,
aſin
que chacun éprouue ſila connoiſ-
ſance
de ſoy-meſme eſt plus vtile, &

plus
ayſée que celle des choſes exter-
nes
.
Ie m’aſſeure que l’on trouuera
quelquereſſort
quifait mouuoirtoutes
lesfacultez
, &
les puiſſances du corps,
&
de l’ame, d’où elles dependent, &
qui
ne depend de nul autre:
& qu’ils
confeſſeront
hautement quel’oecono-
mie
du corps humain, &
de toutesles
facultez
, &
des operations de l’amere-
connoiſt
vn ouurier treſ-ſage &
treſ-
intelligent
, qui opere toutes choſes en
nous
, &
en tout l’vniuers, & dont la
bonté
, &
la grandeur eſt infiniment
adorable
.
Ce font les penſées qui
nous
doiuér ſeruir de principal
3820Queſtions Phyſiques,& qui occupant nos ſoins, & nos veil-
les
, doiuent remplir noſtre eſprit,
afin
del’vnir au Pere des eſprits, &
de
commencer
dés cette vic les extaſes
eternelles
dela beatitude, &
lesrauiſ-
ſemés
quinous metterót hors de nous-
meſmes
, pour nous abyſiner dans l’Im-
menſité
diuine.
Qvestion V
Pourquoy la poudre de l’or, que l’on appelle
fulminant
, fait elle vn ſigrandbruit,
quand
elle ſent la chaleur?
ILeſt difficile de rencõtrer dans tou-
tela
nature des effets plus eftranges
que
ceux de l’or fulminant, car ſi toſt
qu’il
eſt aſſlez échauffé, il ſe precipite
d’vne
ſi grande impetuoſité, qu’il rópt
lefer
, &
tous les autres metaux que
l’on
met deſſouz, &
fait vn bruit ſiſec,
&
ſiéclatant, qu’il eſt beaucoup plus
diſſicile
de le ſouffrir que celuy d’vn pi-
ſtolet
, ou d’vn canon.
Oril faut premierement remarquer
que
cet or n’eſtautre choſe qu’vne
3921& Mathematiques. dre deſſeichée quel’on tire dete@@e pie-
ce
d’or que l’on veut:
parexemple, d’v-
ne
piſtole, ou d’vn écu:
ce que l’on fait
ayſément
en mettant premierement
l’or
dans de l’eauregale, dans laquellc
il
ſe diſſoutayſément, &
puis l’on verfe
del’huile
de Tartre dedans pour le ſe-
parer
d’auec ladite eau.
Et puis l’on
y
verſe de l’eau toute pure, afin dele fai-
re
precipiter apres qu’il a jetté toutes
ſes
fumees, ſonfeu, &
ſafurie; & fina-
lement
l’on verſe cette eau parinclina-
tion
, afin de prendre la poudre qui ſe
trouue
aufond, &
que l’on fait ſeicher
au
feu, ou au ſoleil;
ce qui eſt ſi ayſé,
que
l’on peut faire cette poudre dans
vne
demie heure, ſans vier de feu, com-
me
j’ay experimenté.
En 2. lieu, il fautremarquer quecet-
te
poudre vatouſiours en bas, &
pouſ-
ſe
ou rompt les cueilliers, &
les autres
corps
ſur leſquels on la met, auſſi-toſt
qu’elle
eft aſſez échauffée:
& lors qu’el-
le
prend feu, elle luy donne, ceſemble,
vne
couleur bluaſtre, &
féleue vn peu;
mais quand elle rencontre vn corps ſi
fort
, &
fi dur qu’elle ne peutle rompre,
il
eſt difficile de ſçauoir elle va,
4022Queſtions Phyſiques, ceque l’on n’en trouue point de veſti-
ge
:
quoy que l’on puiffe tellement l’en-
fermer
entre 4.
cartons, que l’on re-
marquera
ayſément de quel coſté elle
va
, lors qu’elle ne peutromprele corps
ſur
lequel elle s’enflamme.
En 3. heu, jay experimenté quele
feu
de la poudreà canon, quel’on meſ-
le
parmy, n’eſt pas ſuffiſant pour l’en-
flammer
;
& quele plus grand Soleil de
l’Eſté
ne la fait pas partir, encore que
pluſieurs
tiennent que la ſeule chaleur
du
corps la puiſſe enflammer, quand on
la
porte dans la poche, c’eſt pourquoy
h
l faut prendre garde que l’on ne l’é-
chauffe
trop en la faiſant ſeicher.
Or il
eſt
probable quele ſalpeſtre, qui s’eſt
attaché
à cette poudre d’or, eſt cauſe
dece
qu’elle prendle feu, &
qu’elle va
en
bas à raiſon de ſa peſanteur, quine
peut
eſtre enleuée par les eſprits du ſal-
peſtre
.
Quant au bruit qu’elle fait, on peut
la
comparer à celuy du tonnerre, ou
pluſtoſt
à celuy d’vnfoüet, carl’vn &

l’autre
eſt treſ ſec, &
penetrát, & ſe fait
par
la dureté de la colliſion, ou du bat-
temĕt
del’air, qui teſmoigne la
4123& Mathematiques. violence qu’il endure par l’; éclat qu’il
fait
.
Mais le bruit de la poudre à canon
eſt
plus muet, &
plus ſourd, à raiſon
qu’elle
eſt beaucoup plus molle, &
plus
groſſiere
que la poudre d’or, dont cha-
que
grain eſt fort dur, encore qu’elle
ſoit
quaſi impalpable.
COROLLAIRE.
Sil’on auoit tellement ſpeculé tou-
tes
ſortes de ſons, &
de bruits, que l’on
peuſt
juger de toutes les ſortes, &
les
qualitez
, ou proprietez des mouuemĕs
enles
oyant, &
que l’on íceût tous s
effets
qu’ils peuuent produire, l’on en-
richiroit
grandement la Phyſique;
&
peut-eſtie
que la beauté, l’excellence,
l’vtilité
&
l’eſtenduë des ſons ne cede-
roient
pas à la lumiere, laquelle n’a pas
ſeruy
ſi immediatement à noſtre ſalut,
queleſon
, quinous a fait conceuoir la
reuelation
Diuine, &
nous a fait em-
braſſer
la vraye Religion.
Mais ie trai-
te
ailleurs de tout ce que l’on peut con-
noiſtre
par le moyen du ſon, de ſorte
qu’il
ſuffit maintenant de conſiderer
que
les ſons, quoy que paſſagers, ne
4224Queſtions Phyſiques, ſontpas ſi peu de choſe, qu’ils ne contri-
buent
grandement à la gloire de Dieu,
&
à noſtre ſalut, comme l’on experi-
mente
aux Cantiques de loüange, que
nous
luy offrons tous les jours.
Qvestion VI.
Comment
les metaux peuuent-ils s’engen-
drer
dans la terre, puis que le Soleilne
penetre
pas ſi auant?
L’Experience fait voir que la terre
eſt
touſiours froide, lors qu’on l’ou-
ure
, &
qu’on la creuſe de 6. ou 7. pieds,
quelque
chaleur qui puiſſe faire, ce qui
monſtre
, ce ſemble, que le Solcil n’en-
gendre
pas les metaux dans les entrail-
les
de la terre:
& ce qui témoigne qu’el-
le
a quelque chaleur particuliere, qui
luy
eſt auſſi naturelle, comme celle de
l’eſtomach
aux animaux, &
comme la
lumiere
au Soleil.
Ce qui a fait con-
clure
à Bernard Paliſſy, que la matiere
des
pierres, &
des metaux, n’eſt autre
choſe
que le ſel del’eau, dans laquelle
il
eſt tellement meſlé, que l’on ne
4325& Mathematiques. l’apperceuoir que par ſes effets, c’eſt à
dire
, par les pierres, les marcaſites, &

les
meraux, qu’il engendre premiere-
ment
tous blancs de couleur de ſel, qui
attire
toutes les parties terreſtres qui
luy
ſont propres, &
puis chaque corps
prend
differentes couleurs, ſuiuant les
differents
degrez de congelation, &

les
differens ſels, qui coagulent &
arre-
ſtent
les matieres qu’ils rencontrent.
Or cette eau congelatiue, qui eſt meſ-
lée
, &
confule auec l’eau commune,
qui
ſ’exhale, peut eſtre appellée cin-
quieſme
element, &
contient en emi-
nĕceles
couleurs, les ſaueurs, les odeurs,
la
dureté, &
toutes les autres qualitez
des
corps qu’elle engendre.
l’on
peut
remarquer que la ſemĕce de cha-
que
choſe, ou la uge quelle jette eſt
blanche
à ſon commencement, &

que
le ſel eſt cauſe de toutes les gene-
rations
, car ſi l’on oſtoit le ſel des me-
taux
, des pierres, des plantes, ou des
animaux
, ils s’en iroient tous en pou-
dre
:
c’eſt luy qui donne la dureté, & la
ſolidité
aux os, &
aux pierres, & qui
ſemble
eſtre le ſouſtien de toutes les
choſes
corporelles.
Mais ily a
4426Queſtions Phyſiques, de differentes ſortes de ſels que de cou-
leurs
, &
d’odeurs: par exemple, la cou-
peroſe
eſt vn ſel diſtinct du ſel nitre, du
vitriol
, de l’alun, du borrax, du ſublimé,
du
ſucre, du ſalpeftre, du ſel gemme,
du
ſalicor, du tartre, du ſel armoniac,
&
de tous les autres ſels, qui empeſ-
chent
la corruption des corps ils ſe
rencontrent
, qui blanchiſſent le linge
dãs
les leſſiues, qui tannent &
endurciſ-
ſent
le cuir des taneurs, par l’entremi-
ſe
de l’écorce de cheſne, laquelle a vne
grande
quantité de ſel, qui ſe commu-
nique
au cuir:
car les écorces des arbres
en
contiennent quaſi tout le ſel.
Or ie
ne
m’eſtendray pas dauantage ſur ce
ſujet
, afin qu’on liſe les excellens diſ-
cours
qu’en a fait ledit Paliſſy, qui ex-
plique
auſſi la maniere dont on fait le
ſel
commun dans les marais &
dans les
ſalines
de Xaintonge.
Ceux qui pren-
dront
la peine de le lire, croyront ayſé-
ment
que les coquilles, les herbes, les
animaux
, &
c. ſe peuuent petrifier, &
ſe
reduire en metal, par le moyen de
ladite
eau congelatiue.
Mais il eſt dif-
ficile
de ſçauoir d’où vient la differen-
ce
des ſels, &
ſ’ils ſont tous
4527& Mathematiques. au commencement, de ſorte qu’ils ne
reçoiuent
point d’autre differĕce, que
des
differens accidens qu’ils rencon-
trent
, ou ſi Dieu les a faits de differen-
tc
s eſpeces dés le commencement du
monde
.
COROLLAIRE.
Sil’on ſe donne le loiſir de conſide-
rer
que pluſieurs eſpeces de bois, &

meſme
que les corps des hommes ſe
peuuent
petrifier, il faudra aduoüer
que
l’eau tant de pluye, que de riuiere,
de
fontaine, &
c. ou que l’air joint aux
vapeurs
, &
aux exhalaiſons ont la ver-
tu
, &
la puiſſance de cõuertir les corps
qui
en ſont touchez, en pierre, &
con-
ſequemment
de les rendre beaucoup
plus
peſans qu’ils n’eſtoient.
Or il eſt
treſ-difficile
de fçauoir d’où vient cet-
te
plus grande peſantcur, ſi ce n’eſt que
l’õ
die que l’eau, ou l’air vaporeux rem-
plit
les pores des bois, &
des autres
choſcs
qui ſe petriſient;
& par conſe-
quent
qu’il les rend plus denſes qu’ils
n’eſtoient
, puiſque nous ne reconnoiſ-
ſons
nulle autre cauſe de la plus
4628Queſtions Phyſiques, peſanteur des corps, que leur plus grã-
de
denſité:
de ſorte que ſi l’on preſſe
tellement
la laine, ou l’éponge, qu’elles
ayent
autant de parties en meſme vo-
lume
que l’or, elles ſeront auſſi pefan-
tes
que l’or.
Co qui peut faire penſer à ceux qui
portent
toutes choſes au bien, c’eſt à
dire
à la gloire, &
à l’amour de Dieu,
qui
ſont les ſouuerains biens de l’hom-
me
, que ſiles actions morales peuuent
eſtre
renduës meilleures, &
plus meri-
toires
par quelque ſorte de condenſa-
tion
, &
qu’elles tirent leur bonté, &
leur
poids, des differentes fins, &
inten-
tions
, qu’elles ſeront d’autant plus effi-
caces
, qu’elles ſeront faites auec vne
plus
grande multitude de bõnes inten-
tions
;
par exemple, auec intention de
plaire
à Dieu, &
de ſe conformer à fa
faincte
volonté, auec intention de faire
plaiſir
au prochain, &
de ſe perfe ction-
ner
en la vertu, &
c. Mais la grace di-
uine
eſt celle qui opere le plus, &
qui
donne
le poids, &
la vertu à chaque
action
, de ſorte qu’elle peut eſtre com-
parée
à l’eau congelatiue, qui affermit,
&
appeſantit les corps ſans leur
4729& Mathematiques. perdre leur figure, comme la grace an-
noblit
nos actions ſans changer leur
apparence
exterieure.
Qvestion VII.
Quelle
eſt la plus grande portée des arque-
buſes
, & de l’artillerie, & en quelle
proportion
les boulets diminuent-
ils
leur force, & leur viſteſſe?
ENtre pluſieurs proprietez qu’a l’an-
gle
de 45.
degrez, l’on peut dire
qu’il
dõne la plus grande portée à tou-
tes
ſortes d’armes à feu, à bales, &
à fle-
ches
, parce qu’il conduit tellement les
bales
, qu’elles ſont au milieu du plan
horizontal
&
du vertical. Mais il eſt
difficile
de ſçauoir en quelle propor-
tion
leur viſteſſe ſe diminuë;
quoy que
ſi
le mouuement violent eſt oppoſé au
naturel
, l’on puiſſe dire que cette dimi-
nution
eſt en raiſon doublée des eſpa-
ces
que font les boulets, &
les autres
miſſiles
, puiſque la viſteffe des corps
peſans
, qui vont au centre, ſ’augmen-
te
, ce ſemble, en raiſon doublée
4830Queſtions Phyſiques, eſpaces, par leſquels ils deſcendent,
comme
j’ay remarqué dans vn traité
particulier
.
Il y a encore pluſieurs au-
tres
grandes difficultez, dont ie reſer-
ue
la ſolution pour vn autre lieu:
par
exemple
, à fçauoir quelle ligne fait le
boulet
en finiſſant ſon vol, ou ſa cour-
ſe
;
& ſi la courbeure de ſon arc eſt hy-
perbolique
, ou parabolique, comme
croyent
quelques-vns, ou ſi elle eſt
d’vne
eſpece differente de toutes les
autres
lignes courbées, &
ſi elle tient
dauantage
de la ligne droicte, que de
la
circulaire:
ce que l’on pourroit de-
terminer
ſi l’on ſçauoit en qu’elle pro-
portion
le mouuement naturel du bou-
let
ſ’augmente, &
en qu’elle propor-
tion
ſe diminuë ſon mouuement vio-
lent
.
Ie laiſſe pluſieurs autres difficul-
tez
qui appartiennent aux effets diffe-
rens
des boulets, ſelon les differentes
inclinations
, ou incidences, dont ils
frappent
les murailles, parce qu’elles
meritent
des diſcours entiers.
COROLLAIRE.
Il y a pluſieurs choſes à conſiderer
dans
les portées des canons, des
4931& Mathematiques. quets, & des autres in ſtrumens, qui
ſeruent
à letter des bales, des pierres,
ou
d’autres chofes:
par exemple, qu’ils
font
plus de fauſſée de loin que de pres,
car
le boulet de canon a plus d’effet à 3.
ou 4. cens pas, qu’à 50 ou centpas: &
puis
quelle difference il y a entre tou-
tes
les fauſſees que fait le boulet à tou-
tes
fortes de diftances depuis la bouche
du
canon, juſques à ce qu’il ceſſe de ſe
mouuoir
.
Quand les canons commen-
cent
à eſtre ſi longs qu’ils diminuent
leur
portée qu’ils auoient eſtant de 16.

ou
18 pieds.
Si leur recul a autant de
force
en arriere que leurs boulets en
deuant
:
ſi eſtant tirez perpendiculai-
rement
en haut, ils ont vne auſſi gran-
de
portée, que lors qu’on les tire à 45.

degrez
, ou à quel degréil les faut tirer,
pour
auoir vne portée qui ſoit égale à la
perpendiculaire
:
ſi eſtant tirez en bas
perpendiculairemĕt
, leur mouuement
de
violence dure dauantage, &
les por-
te
plus loin qu’eſtant tirez en haut, ou
à
tel degré que l’on voudra.
Il y a en-
core
pluſieurs autres experiences à fai-
re
, dõt les Canoniers pourroient gran-
dement
ayder à ceux qui eſſayent
5032Queſtions Phyſiques, tablir quelque choſe dereglé, & de cer-
tain
dans la Phyſique.
Qvestion VIII.
Quelle
eſt la ligne de direction qui ſert
aux
Mechaniques?
CEtte ligne paſſe par le centre du
monde
, &
par celuy de la peſan-
teur
de chaque choſe;
& l’on ſuppoſe
qu’elle
ſoit tirée, ou eſtenduë vers le
Zenith
d’vn coſté, &
de l’autre vers le
Nadir
iuſques à l’inſiny.
Or elle eſt ap-
pellée
ligne de direction, parce que tout
ce
qui peſe, &
ce qui tombe la ſuit, ou
s’at
reſte ſur l’vn de ſes points:
c’eſt
pourquoy
elle paſſe entre nos pieds, &

par
le milieu du centre de peſanteur de
nos
corps, quand nous ſommes debout,
autrement
nous tomberions, comme
il
arriue à ceux qui danlans ſur la cor-
de
, n’vſent pas bien de leur contrepoix,
&
ſont contraints de tomber, s’ils ne re-
compenſent
la perte de la ligne de di-
rection
par la violence &
l’impetuoſité
du
mouuement de leurs corps, car
5133& Mathema tiques. pierre, que l’impetuoſité ſouſtient en
l’air
, apprend que l’on peut tellement
voltiger
, que la ligne de direction ne
ſera
pas neceſſaire.
Il faut doncremar-
quer
l’vtilité de cette ligne, qui con-
traint
les jambes, &
la poictrine à faire
vn
angle aigu auec les cuiſſes, lors que
l’on
ſe leue, afin que les pieds, &
le cen-
tre
de peſanteur de tout le corps ſe ren-
contrent
dans la ligne de direction:
ſurquoy l’on peut voir la 30. queſtion
des
Mechaniques d’Ariſtote, dans la-
quelle
il tient que l’angle droit eſt cau-
ſe
du repos, à raiſon de l’égalité, cõme
l’on
experimĕte aux balances, quifont
cetto
angle auec leurs bras, quand elles
ſont
en équilibre.
D’où il ſ’enſuit que
l’angle
aigu, ou l’obtus eſt cauſe du
mouuement
, parce qu’il eſt le princi-
pe
de l’inegalité.
Les vieillards qui pãchent trop ſur le
deuant
, ſe ſeruent de baſtons, pour ap-
puyer
le centre de leur peſanteur;
&
nous
auançons l’vn des pieds en deuãt,
ou
nous le retirons en derriere, lors que
nous
nous baiſſons pour ramaſſer ce
qui
eſt tombé, afin d’appuyer le meſme
centre
.
Ie laiſſe pluſieurs autres
5234Queſtions Phyſiques, uations: par exemple, que l’on peut fai-
re
des tours qui panchent vers la terre
ſemblables
à celles de Piſe, &
de Bolo-
gne
, pourueu que les centres de leurs
peſanteurs
ſe rencontrent dans la per-
pendiculaire
, qui diuiſe la tour en 2.
parties équiponderantes.
D’où il eſt ayſé de conclure que le
point
, dont les corps ſont ſuſpendus, ſe
rencontre
touſiours dans la ligne de dï-
rection
.
Mais il faut remarquer que
cette
ligne a 3.
ſortes de points, à ſça-
uoir
le ſuperieur, l’inferieur, &
celuy
du
milieu, qui concurre auec le centre
de
peſanteur:
& que chaque corps peut
eſtre
ſuſpendu par l’vn de ces 3.
points,
que
l’on appelle pour ceſujet, points de
retĕtion
, &
de ſuſpenſion, autour deſquels
le
corps ſe peut mouuoir.
L’on peut en-
core
les nommer centres de violence,
ou
du mouuement violent, lors qu’on
leue
vn corps peſant, ou qu’on le jette
en
haut, ou en bas, car la pierre jettée
en
bas eſt porrée par ces 2.
centres, ou
par
vn meſme centre, lequel eſt dou-
ble
en puiſſance.
L’on peut auſſi met-
tre
vn centre de legereté dans les corps
legers
, mais ils ne ſont pas dans la
5335& Mathematiques. ſance de noſtre Mechanique, comme
eſt
celuy de peſanteur.
COROLLAIRE.
Ceux qui ſe plaignent de l’aridité
des
ſciences, &
particuherement des
Mathematiques
, à raiſon qu ils ne cro-
yent
pas que l’on en puiſſe tirer aucun
fruit
pour la vie ſpirituelle, &
pour la
morali
, ont, ce me ſemble grãd tor@:
car ils condamnent ce qu’ils ne ſçauent
pas
;
attendu qu’il n’y a point d’hom-
mes
d’eſprit, quine puiſſent conſiderer
qu’il
n’y a nul meilleur moyen de par-
uenir
à Dieu, qu’en imitant la cheuto
des
corps peſans, dont le centre de pe-
ſanteur
ne ſortiamais de la ligne de di-
rection
, qui les conduit tout droit au
centre
de l’vniuers;
or le cœur, ou la
volonté
de l’homme, qui eſt cõme ſon
centre
de peſanteur, ſuiuant le beau
mot
de S.
Auguſtin, amor meus, pondus
meum
, fera le meſme chemin vers Dieu,
ſinos
affections qui donnent le branſle
à
la volonté, ſe tiennent touſiours vnies
à
la Loy de Dieu, qui eſt la vraye ligne
de
direction de toutes nos actions:
5436Queſtions Phyſiques, ſorte qu’il faut ſeulement ſe maintenir
dans
cette ligne pour arriuer au centre
de
noſtre repos, auquel nous ſommes
pouſſez
par toutes ſortes de conſidera.
tions, comme le centre de grauité d’v-
ne
pierre eſt pouſſé v@@ le centre de la
terre
, par toutes les parties qui l’ĕuiron-
nent
.
Mais ſi l’on met quelque empeſ-
chement
dans ladite ligne:
par exem-
ple
, ſi l’on met vne épingle, ou vne ai-
guille
dedans, qui tienne ferme, il eſt
impoſſible
que la pierre deſcende, en-
core
qu’elle ſoit auſſi peſante que toute
la
terre, comme il eſt impoſſible que
nous
arriuions à Dieu, ſi nous ſubſti-
tuons
quelque empeſchement à ſa loy,
&
à ſa ſainte volonté, qui ſeule eſt la
ſouueraine
regle de toutes nos vo-
lontez
.
Ie laiſſe mille excellentes conſidera-
tions
, que l’on peut de duire de cette
queſtion
, &
de celle qui ſuit, dans la-
quelle
ie n’ay pas voulu mettre des fi-
gures
, quoy qu’elle en ayt beſoin, de
peur
d’épouuanter ceux qui les hayſ-
ſent
, &
qui ſ’imaginent qu’elles ne ſer-
ue
nt que de croix à l’e ſprit:
cncore que
les
experts ſçachent treſ-bien
5537& Mathematiques. apportent de grandes lumieres aux
diſcours
.
Qvestion IX.
Peut-on donner laraiſon. de tout ce qui arrt-
ue
à la Romaine, & aux balances?
CEux qui ſçauent la ſcience des
Mechaniques
, demonſtrent que
les
poids, qui ſont mis dans les balan-
ces
, ou qui ſont ſuſpendus par quel-
qu’autre
inſtrument ſemblable, ont
meſme
raiſon entr’eux que les diſtan-
ces
, leſquelles conſequemment.
ont
meſme
raiſon entr’elles que les poids;
ce qu’ils preuuent par le cercle, parce
que
les cercles qui ſont décrits par les.

branches
de la balance, ſont d’autant
plus
grands, que les points auſquels on
ſuſpend
les poids, ſont plus éloignez
du
point fixe de la balance:
d’où il arri-
ue
, qu’ils font d’autant plus de chemin
en
quittant la ligne horizontale de l’é-
quilibre
pour arriuer à la perpendicu-
laire
.
Il faut donc conclure que les
5638Queſtions Phyſiques, peuuent eſtre rendus plus peſans en les
éloi
gnant dudit point de la balance,
&
pius legers en les en approchãt: que
la
capacité, &
la puiſſance qu’ils ont à
faire
plus de chemin, ou à deſcendre
plus
viſte, eſt cauſe de leur plus grande
peſanteur
:
que tous les inſtrumens de
la
Mechanique, dont parle Ariſtote dãs
ſes
Queſtion@ &
Balde, Blancan, Mo-
nantolius
, &
Gueuare dansleurs Com-
mentaires
, tirent leur force de ces rai-
fons
, commeil eſt ayſé de prouuer par
l’explication
de la figure, &
de la force
des
Grues, des Cheures, des Mouffles,
des
Tenailles, des Ciſeaux, des Rames,
des
Maſts de Nauire, des Preſſes, &

des
Preſſoirs, des Leuiers, des Roües,
des
Poulies, &
de tous les auttes inſtru-
mens
que l’on ſe peut imaginer.
Il ſuffit de remarquer icy ce qu’en-
ſeigne
, &
demõſtre Guid-Vbalde dans
le
traité qu’il a fait du Leuier, à ſçauoir,
que
la force qui ſouſtient le poids atta-
ché
au leuier, à meſme raiſon auec le
poids
, qu’a la partie du leuier qui eſt
entre
l’appuy, &
le poids, auec la partie
du
leuier qui eſt entre l’appuy, &
la for-
ce
.
D’où il arriue prcmierement que
5739& Mathematiques. force qui leue, ou qui ſouſtiĕt le poids,
eſt
dautant moindre que l’appuy s’ap-
proche
dauantage du poids:
de ſorte
que
l’eſpace de la force eſt à l’eſpace du
poids
, comme la diſtance de l’appuy à
la
force, eſt à la diſtance de l’appuy au
poids
ſuſpendu;
ſecondement que la
force
, qui ſouſtient le poids, a meſme
proportion
auec luy, qu’a la diſtance
de
l’appuy, juſques au point, auquelle
Jeuier
eſt coupé par vne ligne, qui deſ-
cend
perpendiculairement du centre
de
la peſanteur du poids ſur l’Orizon,
auec
la diſtance de l’appuy, &
de la
force
.
De plus, il demonſtre dans la 8. pro-
poſition
, que quand la force ſouſtient
vn
poids, dont le centre de peſanteur
eſt
ſur le leuier parallele à l’Orizon, que
cette
force eſt dautant moindre que le
poids
eſt leué plus haut par le leuier, &

qu’elle
eſt d’autant plus grande, que le
poids
eſt dauantage abaiſſe.
La neu-
fieſme
fait voir, que cette force qui ſou-
ſtient
le poids abaiſiĕ ſouz le leuier é-
quidiſtant
à l’Orizon, doit eſtre aug-
mentée
en meſme proportion que l’on
éleuera
le poids ſur l’Orizon, &
5840Queſtions Phyſiques, doit eſtre diminuée à meſme propor-
tion
qu’on l’abaiſſera ſouz l’Orizon.
Finalement la 10. propoſition enſei-
gne
, que le poids eſt touſiours égal, &

qu’i
l faut touſiours vne meſme forc’e
pour
le leuer, &
pour le ſouſtenir en
haut
, ou en bas, ou à niueau, quand il a
ſon
centre de peſanteur dans le leuier,
ſoit
que le poids ſe rencontre entre la
force
, &
l’appuy, ou que la force ſe ren-
contre
entie l’appuy, &
le poids, ou que
l’appuy
ſoit entre le poids, &
la force:
d’où il conclud, qu’il n’y a nul poids ſi
lourd
, ny ſi grand, que l’on ne puifſe
donner
vne force capable de l’enleuer
&
de le ſouſtenir par le moyĕ du leui er.
COROLLAIRE
Entre pluſieurs choſes qui ſont treſ-
conſiderables
dans la Mechanique, i’en
remarque
vne merueilleuſc, qui ſevoid
au
contre poids de la Romaine, que
l’on
appelle Crochet, carce cõtre-poids
a
vne infinité de peſanteurs auſſi diffe-
rentes
, que les differentes diſtances qui
ſont
entre luy, &
le point fixe, parle-
quel
on ſuſpend ladite Romaine:
5941& Mathematiques. exemple, ſi le contre-poids ne peſe
qu’v@e
liure à vn poulce dudit point, il
peſ@ra
cent mille liures à cent mille
poulces
:
de ſorte que ce point empeſ-
che
d’autant plus ſa peſanteur qu’il ſen
approche
d’auantage, ſoit parce que le
contre-poids
en eſt d’autant plus con-
traint
, &
plus empeſché de deſcendre
perpendiculairement
, cõme l’on prou-
ue
par les angles que font les cercles
auec
la ligne de directiõ, ou pour quel-
qu’autre
raiſon que l’on ne ſçait pas.
Quoy qu’il en ſoit, cette obſeruation
nous
peut faire ſouuenir, que le propre
poids
de nos mauuaiſes in clinations eſt
dautant
plus grand que nous nous éloi-
gnons
dauãtage de la volonté de Dieu,
qui
eſt le point fixe, lequel no9 dépoüil-
le
d’autant plus de cette peſanteur qui
nous
pouſſe á noſtre ruïne, que nous en
approchons
dauantage par vn amour
reſpectueux
qui nous rend ſi prompts
à
l’obſeruance des Commandemens
diuins
, que nous ne ſentons nulle pe-
ſanteur
, parce que le contre-poids de
nos
affections déreglées eſt ſouſtenu
par
la crainte que nous auõs d’offenſer
la
Souueraine bonté, &
par l’aſſiſtance
6042Queſtions Phyſiques, que nous donne celuy qui a prononcé
ces
paroles, Iugum meum ſuaue eſt, &

onus
meum leue.
Qvestion X.
D’où vient que les Romans, & les autres li-
ures
quine traittent pas des ſciences, ſont
mieux
vendus, que les liures qui parlent
des
ſciences, & qui demonſtrent pluſieurs
choſes
vtiles, & nouuelles?
IL n’y a nulle apparence que la raiſon
de
ce Phenomene ſe doiue tirer de
ce
que la plus grande partie des hom-
mes
negligent les liures ſçauans, parce
qu’ils
ſont trop pleins de curioſitez,
puis
qu’il n’y a rien qui les charme ſi
puiſſamment
, que d’apprĕdre des cho-
ſes
curieuſes, &
nouuelles, comme l’on
experimente
en tous ceux qui ſe plai-
ſent
à entendre ce qui arriue de nou-
ueau
, ſoit dans leur païs, ou ailleurs.
Maisil ſemble que les Romans ſe ven-
dent
mieux, parce que tout le monde
eſt
capable de les lire, &
que l’on n’y
rencontre
pas ordinairement
6143& Mathematiques. cultez abſtruſes, qui deſirent de gran-
des
ſpeculations, commeil riue dans
les
liures, qui traitent desences, &
qui
ſemblent tousremplis @épines aux
ignorans
Lesfemmes, &
les enfans ſe
plaiſent
à l’hiſtoire fabuleuſe, ou veri-
table
, parce qu’elle n’a beſoin que de la
memoire
, &
de l’imagination, au lieu
que
les ſoiĕces requierent vn iugement
ſolide
, &
vne pointe d’eſprit, qui pene-
tre
toutce qu’il y a de plus ſubtil, &
de
plus
difficile dans la nature.
Or puis qu’ilſe rencontre vn moin-
dre
nombre de bons eſprits, &
d’hom-
mes
ſçauans, il eſt euident que les liures
qui
leur plaiſent, &
qui répondent à
leur
capacité, doiuent eſtre en moindre
nombre
queles Romans, &
les hiſtoi-
res
, ou les autres liures qui traittent
d’vneſemblable
matiere Si l’õſçauoit
le
nombre des ſçauans, &
designorans,
&
de ceux qui prennent plus de con-
tentement
aux recherches curieuſes
des
ſciences, qu’aux diſcours du vul-
gaire
, les Libraires ſçauroient combien
ils
doiuent tirer de copies de la Preſſe
pourles
vns, &
pourles autres.
A quoy l’on peut adjouſter que
6244Queſtions Phyſiques, cellence du ſtile des Romans eſt cauſo
qu’ils
ſe vendent mieux, au lieu que le
ſtile
des liures qui traittent des ſcien-
ces
, eſt le plus ſouuent aſſez rude, &

qu’il
eſt remply de pluſieurs termes,
qui
ne ſont entendus que de ceux qui
onteſt
udié.
D’ailleurs ils traitent pour l’ordinaire
de
la morale, &
meſlent des intriques,
&
des rencontres, qui excitent, & eſ-
branlent
les paſſions des lecteurs, leſ-
quelles
ſont ordinairement plus puiſ-
ſantes
dans les ignorans, que dans les
ſçauans
qui en ont eſteint vne partie
par
la frequente contemplation qu’ils
font
des ſouuerains principes.
Ortous
ſont
capables des ſentimens, &
desre-
glemens
de la Morale, tant parce que
l’on
nous contraint perpetuellement
de
les pratiquer, que parce que nous
en
ſentons les ſemences dãs nous meſ-
mes
, ſans qu’il ſoit neceſſaire de les
prendre
, ou de les receuoir d’ailleurs;
& conſequemment tous ſont capables
de
lire les Romans, qui ſont pleins de
moralitez
.
Finalement, tous confeſſent que l’a-
mour
eſt la plus puiſſante de nos
6345& Mathematiques. ſions, & qu’elle en eſt le commence-
ment
, &
la fin; & meſme l’on peut di-
re
que toutes les autres paſſions ne ſont
que
l’amour reueſtu de differĕtes cou-
leurs
;
or les Romans ſont pleins de
deſcriptions
de l’amour, &
n’ont point,
ce
ſemble, d’autre but, ny d’autre fin,
que
de faire ay mer, &
d’embraſer leurs
lecteurs
de cette paſſion:
c’eſt pour-
quoy
il ne faut nullement s’eſtonner de
ce
qu’ils ſe vendent mieux que les li-
ures
des ſciences:
au contraire, il fau-
droit
s’eſtonner s’ils ne ſe vĕdoient pas
mieux
:
quoy que ſi l’on compare la
ſcience
à l’amour, &
les ſouueraines
actions
de l’entendement auec celles
de
l’appetit, ou de la volonté, celles-là
ſoient
, peut-eſtre, preferables à celles-
cy
;
mais cette difficulté doit eſtre re-
ſeruée
pour vn autre lieu.
COROLLAIRE.
Sitous les hommes vſoient parfaicte-
ment
de la droite raiſon que Dieu leur
a
donnée, il n’y auroit plus de guerres,
ny
de querelles, ou de diſſentions au
monde
, car tous auroient meſmes ſen-
timens
, &
nul n’auroit iamais plus
6446Queſtions Phyſiques, contentement, apres les deuoirs qu’il
doit
à la diuine Ma eſté, que de faire
toutes
ſortes de plaiſirs à vn chacun:
de
ſorte
que celuy qui auroit beſoin d’ar-
gent
, de liures, de veſtemens, ou de
quelques
autres commoditez, en trou-
ueroit
touſiours dix fois d’auantage
qu’il
n’en deſireroit, parce que tous ſes
voiſins
, &
ſes amis luy porteroient à
l’ĕnuy
tout ce qu’ils croyroiĕt luy eſtre
neceſſaire
, vtile, ou agreable.
D’où il
arriueroit
que tous auroient vn ſujet
treſ-grand
, &
continuel d’éleuer les
mains
au Ciel, &
de remercier la Bonté
diuine
de tant de graces, ou pluſtoſt de
la
ſupplier de retrancher vne partie de
tant
de conſolations.
Or s’il ſe rencon-
tre
quelqu’vn qui trouue du defaut
dans
cet heureux genre de vie, il eſt ay-
ſé
de ſatisfaire à toutes les objections
qu’il
pourra faire, &
à toutes les diffi-
cultés
qu’il propoſera, &
de luy demon-
ſtrer
qu’il ne contient autre choſe que
l’explication
de la grande loy de la Mo-
rale
, qui conſiſte a nous comporter en-
ners
tous les hommes, comme nous
voudrions
qu’ils ſe comportaſſent en
noſtre
endroit.
6547& Mathematiques.
Qvestion XI.
Pourquoy les gens de lettre, c’eſt à dire
les
hommes ſçauans, ne paruienuent-ils
pas
pour l’ordinaire à de ſi grandes for-
tunes
, que ceux qui ſont vaillans, ou qui
ont
quelqu’autre addreſſe.
PLuſieurs s’eſtonnent de ce que les
ſçauans
n’ont pas couſtume de par-
uen
ir aux grãdes dignitez, atendu qu’il
sĕble
, qu’ils doiuent eſtre les plus adui-
ſez
&
les plus ſages, à raiſon de la grãde
lumiere
qu’ils reçoiuĕt de la lecturedes
bons
liures, &
de la frequente medita-
tion
qui leur eſt ordinaire:
& conſe-
quemment
qu’ils doiuent gouuerner
les
Republiques, &
les Eſtats, & com-
mander
aux peuples, ſuiuant le deſir
des
anciens, qui ont creu que le mon-
de
ſeroit bien-heureux quand il ſeroit
gouuerné
par les Philoſophes, quoy
qu’ils
ne ſe ſoient pas mis ſouz la con-
duite
de Pythagore, ou de Platõ.
Mais
l’on
peut répondre que ceux qui em-
ployentleur
vie à la lecture, &
à la
6648Queſtions Phyſiques, culation, ne ſont pas propres pour gou-
uerner
les eſtats, ſi quant &
quant leur
extraction
ne les rend recommanda-
bles
, &
venerables aux peuples, qui
choiſiſſent
ordinairement ce qui a plus
déclat
, &
d’apparence. Et puis le long
eſtude
affoiblit l’eſprit des hommes, &

ne
permet pas ſouuĕt qu’ils ſoient vail-
lans
, hardis, forts, &
courageux, com-
me
il eſt requis à ceux qui doiuent pro-
teger
les peuples enuers tous, &
contre
tous
.
D’ailleurs, le plaiſir des bonnes
lettres
eſt ſi charmant, que ceux qui
l’ont
gouſté, mépriſent celuy des grãds
honneurs
, lequel eſt ſouuent accom-
pagné
de plus d’épines que de roſes.
Or la principale raiſon de toutes celles
qui
ſe peuuent imaginer, doit eſtre pri-
ſe
de la Prouidence éternelle, qui choi-
ſit
ceux qui luy plaiſt, pour les mettre
ſur
les Thrônes, &
pour leur faire por-
ter
ſon Image en terre.
Ceſt donc ſur elle que nous deuons
nous
repoſer, comme ſur la plus ferme
baſe
de toutes nos reſolutiõs, qui n’ont
nulle
vertu, qu’entant qu’elles la pren-
nent
pour leur fondement:
c’eſt elle
qui
donne lerang, &
l’ordre à
6749& Mathematiques.& qui fait que les vns ſont Roys, les au-
tres
Philoſophes, les vns riches &
puiſ-
ſans
, les autres pauures &
debiles, &
finalement
c’eſt elle qui conduit tou-
tes
les creatures à leurs fins, &
qui s’ac-
cõmodant
auec vne douceur ineffable
à
leurs capacitez les conduit aux lieux
qu’elle
leur a preparez dés l’éternité.
C’eſt pourquoy chacun ſe doit conten-
ter
de ſa vacatiõ, &
adorer cette gran-
de
Prouidence, afin d’en joüir eternel-
lement
, lors qu’elle nous appellera de
cette
vie, pour nous dõner celle qui n’a
point
de terme, ni de limites.
COROLLAIRE.
Quiconque conſiderera attentiue-
ment
qu’il ne ſe fait, ny neſe peutrien
faire
, que par la conduite &
par la pro-
uidence
de Dieu, &
que c’eſt luy qui
gouuernè
toutes choſes immediate-
ment
, n’y ayant que le ſeul peché, c’eſt
à
dire le rien, ou le neant qu’il ne fait
pas
, il ne pourra eſtrè emporté par au-
cune
affliction, &
demeurera touſiours
ferme
&
conſtant dans toutes ſortes
de
rencontres, qui luy donneront
6850Queſtions Phyſiques, tĕps de ſe reconnoiſtre, & de raiſonner.
Car il conclurra, que c’eſt vne folie in-
tolerable
de vouloir s’oppoſer aux de-
crets
Diuins, &
à la volonté du Maiſtre
de
l’vniuers, &
que c’eſt la plus grande
ſageſſe
que les hommes puiſſent auoir,
que
de ſe laiſſer gouuerner par les ſain-
ctes
loix de la Prouidence eternelle,
qui
ne permet pas qu’vn ſeul poil tom-
be
de nos teſtes, qu’elle n’en ayt vn ſoin
particulier
, ny que nous faſſions vn ſeul
pas
, qu’elle n’en tienne vn conte troſ-
exact
, &
qu’elle ne nous en recompen-
ſe
, ſi nous le faiſons pour quelque bon-
neintention
.
Qvestion XII.
A ſçauoir ſi l’on peut trouner la vraye lon-
gitude
, ou la diſtance des Meridiens,
tant
ſur la mer que ſur la terre,
pour
l’vſage de la nauigation?
LA diſtance des Meridiens, ou la
difference
des longitudes de deux
lieux
de la terre, ou de la mer, ſe trou-
ue
par l’obſeruation que l’on fait
6951& Mathematiques. deux lieux aſſez éloignez l’vn de l’au-
tre
, de l’inſtant precis, auquel l’Eclipſe
de
la Lune commence, ou finit:
car la
difference
du temps du midy eſtant
conuertie
en degrez, monſtre la verita-
ble
diſtance des Meridiens;
d’autant
qu’à
l@égard de tous ceux qui ont la Lu-
ne
ſur l’horizon, elle entre veritable-
ment
, &
viſiblement en meſme temps,
c’eſt
à dire au commencement de l’E-
clypſe
, dans la pyramide de l’ombre de
la
terre, &
en ſort à la fin. Car encore
que
la Lune face parallaxe en cette po-
ſition
, neantmoins ce n’eſt pas à l’égard
de
l’ombre, dans laquelle elle eſt plon-
gée
, mais à l’égard de la region du Ciel,
qui
luy eſt ſuperieure, &
qui eſt plus é-
loignée
de la terre.
A quoy il faut ad-
jouſter
, que dans le paſſage de la Lune,
l’ombre
de la terre, &
elle, gardent vne
égale
diſtance d’auec la ſur-face de la
terre
, à l’égard de laquelle elles ne font
nul
parallaxe, mais elles paroiſſent par
tout
en meſme inſtant, ſouz la meſme
ligne
de viſion, comme font les choſes
contiguës
qui ſont les vnes ſur les au-
tres
.
Il y a encore vn autre moyen,
7052Queſtions Phyſiques, le fondement eſt demonſtratif, quoy
que
la pratique en ſoit plus faſcheuſe,
&
plus difficile, à ſçauoir l’Eclypſe du
Soleil
, dont on aura obſerué le com-
mencement
, &
la fin en des lieux diffe-
rents
, car ſi l’on compare le temps de la
durée
, du commencement, &
de la fin
que
l’õ aura obſerué en ces deux lieux,
auec
la difference des parallaxes de la
Lune
entre les deux obſeruations, l’on
ſçaura
la diſtance des Meridiens, &
la
difference
des longitudes.
Mais il faut ſuppoſ@r que les Obſer-
uateurs
cognoiſſent la meſure, &
la
grandeur
des refractions de l’orizon ſur
lequel
ils obſeruent, autrement l’ob-
ſeruation
ſera ſuſpecte.
L’on peut dire la meſme choſe de
l’approche
de la Lune aux eſtoilles fi-
xes
, &
aux Planettes, à ſçauoir quand
elle
ſinterpoſe entre noſtre œil, &
leurs
corps
lumineux.
Ce qui ne mãque pas
de
difficultez, d’autant que la Lune
eſtant
hors du point vertical, ne ſe pre-
ſente
jamais à noſtre veuë en ſon vray
lieu
, à cauſe du parallaxe, car elle eſt
touſiours
plus baſſe, &
plus inclinéevers
l’orizon
.
Or ce parallaxe qu’elle fal
7153& Mathematiques. hors le point du Zenith, ſe diſtribuë
quelquesfois
touten longitude, à ſça-
uoir
quand le Zodiaque paſſe par le
Zenith
, &
quelquefois tout en latitu-
de
;
ce quiarriue lors qu’elle eſt dans le
90
.
degré de l’Eclyptique ſurl’orizon:
mais hors de ces 2. líeux ſon parallaxe
ſe
diſtribuë, partie en longitude, &
par-
tie
en latitude.
Apres ledit parallaxe, il faut conſi-
derer
la refraction, qui accompagne la
Lune
juſques au 45.
Almicantarat, ou
degré
de hautcur ſur l’orizon, car elle
fait
vne diuerſité de viſion contraire à
la
precedente, puis qu’elle hauſſe, &
le-
ue
vers le Zenith, au lieu que le paral-
laxe
abaiſſe vers l’orizon, de ſorte que
la
Lune eſt encore ſouz l’orizon, quand
la
refraction la ſait voir deſſus.
D’où il s’enſuit que l’obſeruation
qui
ſe fera par cette voye, ſera plus dif-
ficile
que l’autte, parce qu’elle requiert
vn
homme experimĕté dans les obſer-
uations
, &
vn long calcul des paralla-
xes
:
& puis elle eſt enuelopée d’vne
grande
perplexité, à raiſon desrefra-
ctions
qui monſtrent touſiours la choſe
hors
de ſon vray lieu.
7254Queſtions Phyſiques,
Or il faut preſuppoſer trois choſes
en
ces obſeruatiõs, dont la premiere eſt
la
connoiſſance aſſez preciſe de l’éle-
uation
du pole ſur l’orizon ſe fait
l’obſeruation
.
La 2. eſt le tĕps, & l’heu-
re
exacte de l’apparence, &
la 3. eſt vne
connoiſſance
certaine des refractions
du
lieu, l’on obſerue:
leſquclles 3.
choſes eſtãt preciſémĕt connuës, con-
duiront
infailliblement à la connoiſ-
ſance
de la diſtance des Meridiens.
Car quant aux parallaxes, la con-
noiſſance
en eſt aſſez certaine, &
ſont
égaux
par toute la terre, lors que la
Lune
eſt d’vne égale hauteur, ou du
moins
la difference ne fait nulle erreur
ſenſible
.
Mais la diuerſité des refra-
ctions
rend les obſeruations ſuſpectes,
quandla
Lune eſt proche de l’Orizon,
comme
l’on remarque dans celles de
Mceſtlin
excellent Aſtronome de Tu-
binge
, qui remarqua l’an 1590.
le 7.
Iuillet, que le Soleil ſe leuoit enOrient,
lors
que la Lune eclipſée de quelques
doigts
eſtoit quaſi éleuée de 2.
degrez;
à
l’Occident, &
lors que ſon centre ſe
couchoit
, lc Soleil eſtoit éleué do deux
degrez
.
7355& Mathematiques.
D’où il@s’enſuit, comme Kepler la re-
marqué
dans l’onzieſme prop.
de ſes
Paralipomencs
ſur Vitellion, nombre
8
.
que la refraction horizontale fut ce
iour
à Tubinge de plus de 2.
degrez;
ce qui eſt eſtrange, attendu que les plus
grandes
que Tycho a obſeruées dans le
Dannemarc
, n’ont iamais excedé 33.

minutes
dans la Lune.
Le meſme Ke-
pler
remarque que les refractions ſont
plus
égales, &
plusvniformes ſur la mer
que
ſur la terre, ſur laquelle elles ſont
quelquesfois
inſenſibles, &
d’autres
fois
prodigieuſes à raisõ que l’Athmoſ-
phere
retient quaſi touſiours vne meſ-
me
diſtance d’auec l’eau.
Le Lantgraue de Heſſ aſſeure dans
les
Epiſtres de Tycho, qu’il a vne fois
obſerué
Venus, comme ſi elle euſt eſté
ſtationnaire
dans l’orizon l’eſpace d’vn
quart
d’heure, encore qu’elle fuſt veri-
tablement
plus de deux degrez ſouz
l’orizon
;
& qu’elle diſparut dans vn in-
ſtant
;
ce qui prouue vne refraction ex-
ceſſiue
, &
extraordinaire.
Or ces refractions arriuent quand
l’air
eſt épeſſi par vne vapeur qui monto
de
la terre, de ſorte que la
7456Queſtions Phyſiques, tion de l’air fait vne plus grande refra-
ction
du rayon.
Surquoy l’on peut en-
core
rapporter que lesHollãdois ayant
nauigé
l’an 1596.
iuſques au 76. degré
de
l’eleuation du pole, vers les terres
deſertes
de la nouuelle Zemble, pour
chercher
le paſſage qui entre dans l’O-
cean
Scythique Oriental, &
eſtant ar-
reſtcz
par les glaces, leSoleil leur appa-
rut
pour la derniere fois le 3.
iour de
Nouembre
, qui ne deuoit plus paroi-
ſtre
iuſques à ce qu’il euſt meſme decli-
naiſon
Auſtrale, laquelle arriuoit iuſte-
ment
le 6.
iour de Feurier l’an ſuiuant
1597
.
& neantmoinsil leur apparut le
24
.
de Ianuier, lequel a pour caractcre
infaillible
l’obſeruation de la conjon-
ction
de la Lune à Iupiter au 2.
degré
du
Taureau, quelques heures apres que
le
Soleil futretiré.
De ſorte que le Soleil cſtoit encore
réellement
4.
degrez ſouz l’orizon,
quand
il ſe mõſtra en partie ſur iceluy:
d’où il s’enſuit neceſſairement, que la
refraction
horizontale fut ce iour de
plus
de 4.
d@grez dãs la nouuelle Zem-
ble
, à raiſon de l’cpeſſeur de l’air con-
denſè
par les tenebres, &
par le
7557& Mathematiques. continuel de ces terres gelées. D’ail-
leurs
, les refractiõs ſont par tout moin-
dres
en Automne, qu’en Hyuer, &
en
autres
ſaiſons de l’année, &
ſuiuent la
denſité
, &
la rarcté de l’air des differens
lieux
l’on ſe rencontre:
c’eſt pour-
quoy
l’on n’eſt iamais aſſeuré du vray
lieu
de la Lune, &
de @Eſtoile, que l’on
ne
connoiſſe la grandeur de l’angle de
refraction
dans l’orizon, &
en quelle
proportiõ
il ſe diminuë, ous’augmente.
Or pour ſçauoir ſi ce moyen, ou quel-
qu’autre
peut ſeruir à ceux qui naui-
gent
la grande mer du Nord, du Sud,
&
des auttes parties de l’Ocean, lors
qu’ils
veulent trouuer la diſtance des
Mcridiens
, &
le degré de leur longitu-
de
, il faut ſuppoſer 4.
choſes, dont la
premiere
eſt vn Meridien fixe ſur quel-
que
lieu de la terre.
La 2. que les tables
Aſtronomiques
du mouuement des
planettes
, &
particulierement de la
Lune
, reſpondent exactement aux ap-
parĕces
du Ciel, &
au Meridien ſuppo-
ſé
.
La 3 que l’Obſe ruateur cognoiſſeles
refractions
du lieu, il obſerue;
& la
4
.
que l’obſeruation ſe face par v@
homme
exercé, &
ſçauant en
7658Queſtions Phyſiques, choſes, & qui ayt des inſtrumens treſ-
juſtes
, &
aſſez grands.
Quant à la premiere choſe, elle eſt
poſſible
, facile, &
vſitée: la 2. eſt dou-
teuſe
, &
n’eſt pas encore certaine, d’au-
tant
que le mouuement de la Lune
(qui ſeul peut ſeruir à cette operation)
determiné
par les 3.
Equations de Ty-
cho
Brahé eſt quelquefois moindre, ou
plus
grãde de la ſixiéme partie d’vn de-
gré
, comme les obſeruations de Tycho
l’ontobligé
de le confeſſer, &
de ſuiure
le
milieu de cet excez, &
de ce defaut.
Kepler ſe ſert de cette va dedans
ſes
tables, de ſorte que ſon calcul ſe
trouue
different de celuy de Tycho,
de
huict ou neuf minutes, qui font
quelquefois
le tiers d’vne heure dans
le
mouuement de la Lune, &
5. degrez
de
lõgitude ſur la terre, qui vallent 75.
lieuës d’Allemagne ſouz l’Equateur.
Les autres tables, comme les ancien-
nes
de Ptolomée, &
d’Alphonſe, auſſi
bien
que les nouuelles Pruteniques
dreſſées
par Eraſme Reinhold, &
qui
ont
les obſeruations, &
le calcul de
Copernic
pour leur fondement, s’éloi-
gnent
des apparences iuſques à vn
7759& Mathematiques. gré & dauantage: celles de Lansberge
s’eloignent
auſſi des apparences, &
du
calcul
de Tycho, quoy qu’il conuienne
le
plus exactemĕt de tous auec le Ciel:
de ſotte qu’il en faut demeurer à celles
dudit
Tycho, puis qu’elles ſont les plus
certaines
:
or il eſt conſtant qu’elles s’é-
loignent
encore quclquefois des appa-
rences
, &
conſequemment l’on ne peut
s’aſſeurer
de la 2.
condition, laquelle
eſt
la plus neceſſaire en cette matiere.
La 3. qui conſiſte à connoiſtre les
refractions
, requiert l’experience de
pluſieurs
années, &
mãque le plus ſou-
uent
.
Quant à la 4. elle eſt poſſible en
vn
point, puis qu’il y a des Pilotes treſ-
ſçauans
, &
exercez dans les Mathema-
tiques
:
mais elle eſt treſ-difficile, à rai-
ſon
qu’il faut vne grande tranquillité
pour
obſeruer, car ſi l@inſtrument n’eſt
arreſté
, &
immobile, iamais l’obſer-
uation
ne ſera exacte, &
fidelle: or l’on
ſçait
combien la mer eſt inſtable, de
ſorte
que la 2.
condition n’eſtant point
encore
arriuée, &
la 3. & 4. eſtant ſi
difficiles
, il eſt impoſſible de ſçauoir
tellement
la diſtance de 2.
Meridiens
par
vne ſeule obſeruation faite en
7860Queſtions Phyſiques, d’iceux, l’autre eſtant poſé, qu’il n’y ait
nul
ſoupçon d’erreur.
D’où l’vn de mes amis, treſ-excel-
lent
Aſtronome, conclud qu’il eſt im-
poſſible
de dreſſer des tables perpetuel-
les
, &
vniuerſelles des longitudes, &
qu’il
ſaut laiſſer cela à la dexterité du
Pilote
, qui peut arriuer aſſez prés de la
difference
des Meridiens par les obſer-
uations
de pluſieurs iours, s’il eſt bon
Aſtronome
, &
s’il ſçait obſeruer le
cours
des Eſtoiles, pourueu qu’il pren-
ne
la Lune dans le 90.
degré, ou proche
d’iceluy
, &
lors qu’elle ſera en quadrat,
ou
en oppoſition auecle So@@il, ou vn
iour
deuant, ou apres.
Chriſtianus Longomontanus propo-
ſe
á la ſin de ſon 2.
liure des Theori-
ques
, le moyen de connoiſtre la diſtan-
ce
de toutes ſortes de Meridiens d’auec
celuy
de Hafnie, par la diſtance de ia
Lune
priſe de quelque Eſtoile proche
du
Zodiaque, mais il veut que la Lune
ſoit
dans lc 90.
degré de l’eclyptique, &
quel
Azimuth, ou cercle des hauteurs
de
la Lune couppe le Zodiaque á an-
gles
droits, d’autant qu’elle n’a pour
lors
nul parallaxe en longitude:
7961& Mathematiques.
Sans doute cette ſituation de la Lu-
ne
eſt la plus ſeure, pourueu que l’E-
ſtoile
, dont on prendra la diſtãce, n’ayt
pas
grande latitude;
mais ſi elle ſurpaſ-
ſe
2.
degrez, & que la diſtance de l’E-
ſtoile
, &
de la Lune ſoit moindre que
10
.
degrez, on peut commettre vn er-
reur
de 15.
minutes, que la Lune fait
en
demie-heure;
d il arriue vn er-
reur
de 7.
degrez & demy en longitu-
de
, quivallent 112 {1/2} lieuës d’Allemagne
ſouz
l’Equinoctial.
Or cét erreur peut
s’augmenter
au double, ſi par exemple,
l’Eſtoile
eſt en ſa latitude Meridiona-
le
, &
la Lune dans la Septentrionnale,
ou
au contraire.
Il vaudroit donc mieux prendre la
diſtance
de la Lune d’auec 2.
Eſtoiles,
&
par l’analyſe d’vn triangle ſpherique
trouuer
ſon vray lieu.
Or ſi l’on prend
la
Lune hors du 90.
degré du Zodia-
que
, elle fera touſiours parallaxe en
longitude
, &
ſera pour lors treſ-diffici-
le
de trouuer exactement ſon vray lieu,
comme
il a eſté monſtré cy - deuant,
&
neantmoins ſi l’on n’a ce vray lieu,
l’on
deſeſpere de iamais pouuoir con-
noiſtre
la vraye diſtance
8062Queſtions Pbyſiques,& la difference des longitudes, dont on
ne
peut auſſi iuger par le leuer, &
lc
coucher
de la Lune, tant á cauſe des
differentes
refractions, que parce qu’il
peut
arriuer, &
arriue en effet, qu’en
deux
meridiens éloignez de deux cent
lieuës
l vn de l’autre, ſouz meſme pa-
rallele
, biĕ que la Lune ſe leue premie-
rement
, dãs l’vn que dans l’autre, l’on
ob@erue
ſans erreur ſenſible la meſme
heure
, &
la meſme diſtance du Soleil
au
Meridien, &
conſequemment il eſt
impoſſible
de determiner la diſtance
des
deux.
Ce qui arriue parce que la
Lune
fait demy degré dans vne heure,
&
quelquefois n’eſt pas vne minute
d’heure
à ſe leuer.
Or apres le diſcours de cet excellent
A
ſtronome, j‘adjouſte que ces longitu-
des
ſe peuuent trouuer par le moyen
d’vn
horloge d’eau, ou de ſable, &
d’vn
autre
au Soleil, dont le premier fera
ſçauoir
le temps qui ſe ſera écoulé de-
puis
le premier lieu, du quel on ſuppoſe
que
le Meridien, ou le degré de longi-
tude
eſt cogneu, ſoit que le vaiſſeau
ayt
enduré mille tourmentes, &
que
l’on
ne ſçache l’on eſt, ſoit qu’il
8163& Matbematiques. cu toute ſorte de calme, car ſi l’orlogo
d’eau
cſt bien fait, &
qu’il demeure
touſiours
pcrpendiculaire, comme fait
la
lampe de Cardan, il monſtrera iuſte-
ment
combien il y a d’heures qu@ l’on
vogue
ſur la mer, &
conſequemment
qu’elle
heure il eſt au lieu d’où l’on @
party
, &
dont on connoiſt le Meridien.
Par exemple, ſi l’orloge dure 24. heu-
res
, &
que l’on ſoit party à midy, il ſera
iuſtemcnt
midy au lieu, d’où l’on eſt
party
, ſi toute l’eau eſt tombée:
ce qui
arriueraſemblablemĕt
, ſi elle s’eſt vui-
dée
3.
4. ou 5. fois, & c. caril y aura au-
tant
de iours depuis le depart.
Quãt à l’orloge au Soleil, ſoit que l’õ
vſe
d’vn aſ@rolablevniuerſel, ou de quel
qu’autre
inſtrumĕttreſ exactpourtrou-
uer
l’heure, &
pour prendre la hauteur
du
Soleil au midy du lieu, l’on ſera, il
monſtrera
la diſtance du Meridiĕ con-
nu
, &
ſuppoſé d’auec celuy du lieu,
l’on
eſt;
par exemple, s’il y a 24. heures
que
l’on eſt party de deſlouz le Meri-
dien
connu, &
que l’horlogeau Soleil
monſtre
vne heure apres midy, c’eſt
choſe
aſſeurée que le Meridien l’on
c
ſt, ſera éloigné dc I 5.
degrez du
8264Queſtions Phyſiques, dien ſuppoſé, qu’il laiſſe vers l’Occi-
dent
, &
s’il n’eſt qu’onze heures, il l’au-
ra
laiſſé à l’Orient :
or il faut faire les
obſeruations
quand le Soleil eſt en ſon
midy
, parce qu’il eſt pour lors exempt
de
refractiõ, ou s’il en a, elle eſt la moin-
dre
de tout le iour.
Il faut dire la meſ-
me
choſe des Eſtoiles, qui peuuent ſer-
uir
pour ſçauoir l’heure, &
la longitude
au
lieu du Soleil.
Mais il faut touſiours
prendre
les Eſtoiles en leur plus grande
hauteur
auſſi bien que le Soleil, afin
d’éuiter
l’erreur des refractions.
COROLLAIRE.
Ceux qui ſ’imaginent la Geographie
de
la Lune, &
qui croyent en pouuoir
marquer
, &
diſtinguer les differentes
prouinces
, &
les riuieres, & les foreſts,
ſont
bien éloignez de leur deſſein, puis
qu’ils
ne peuuent pas ſeulement trou-
uer
les longitudes de la terre, ny de la
mer
, quoy qu’elles leur ſeruent de de-
meure
.
Mais les eſprits bien-heureux
ont
vn grand contentement de ſçauoir
les
longitudes de noſtre monde, &
de
tous
les Aſtres, ſi toutesfois ce
8365& Matbematiques. tement peut eſtre de quelque conſide-
ration
à l’égard de celuy qu’ils reçoi-
uent
de la viſion, &
de la jouïſſance de
Di
eu, qui les éleue à vne ſcience bien
plus
grande, &
plus excellente que
celle
de toute la nature.
C’eſt donc
apres
celle la qu’il faut touſiours aſpi-
rer
, &
qu neſ acqmert @ue par l’obſer-
uation
des commandeméns de D eu,
&
par l’accompliſſement de ſa ſaincte
volonté
, qui a vne auſſi grande diſfe-
rence
de longitude d’auec la noſtre,
qu’il
y a d’imperfections dans la crea-
ture
, &
de perfectiõs dans le Createur.
Qvestion XIII.
Quelle eſt la choſe la plus admirable de tout
le
monde ?
CEtte queſtion ſe doit entendre des
choſes
viſibles &
corporelles, aſin
que
l’on ne meſle pas la beauté, &
l’ex-
cellĕce
de l’eſprit, auec celle du corps,
&
que l’on ſe tienne dans le meſme or-
dre
des creatures.
Or il ſemble que
tous
les mortels contemplent
8466Queſtions Phyſiques, comme la plus excellente piece du
monde
, &
que le Soleil ſoit le corps le
plus
admirable de toute la nature:
de
vient qu’il eſt nommé Opus admirabi-
le
, vas excelſi, dans le 43 chap.
de l’Ec-
cleſiaſtique
;
dans lequel nous liſons
encore
, tripliciter Solexurens montes, ce
que
l’on peut expliquer de ſes trois ſor-
tes
de ray ons, à ſçauoir des droits, dont
il
les frappe quand il eſt leué;
des refle-
chis
qu’il enuoie deſſus par la reflexion
de
la Lune &
des autres aſtres, & des
rompus
, dont il les illumine auant que
d’eſtre
leué ſur noſtre horizon par l’en-
tremiſe
de l’atmoſphere, ou des nuës:
ſi cen’eſt que l’on die qu´il les illumine
le
matin, &
le ſoir, cncore qu’il n´illu-
mine
plus les campagnes, &
que s’ima-
ginant
les montagnes ſouz l’équateur,
ou
dans la Zone torride, il les échauffe
dauantage
, parce qu’il en eſt plus pres
que
des campagnes:
quoy que le con-
traire
ſe remarque à leur ſommet, à rai-
ſon
qu’il reçoit moins de lumiere refle-
chie
, &
que l’air y eſt plus rare, & con-
fequemment
moins capable de cha-
leur
.
Certes il eſt malaiſé de trouuer,
8567& Matbematiques. de s’imaginer vne plus belle choſe au
monde
que la lumiere, puis qu’il ſem-
ble
que la beauté de toutes les autres
choſes
depen@ d elle, du moins à noſtre
égard
:
c’eſt pourquoy l’on excuſe or.
dinairement plus volontiers ceux qui
ont
adoré la lumiere, que ceux qui ont
tendu
des honneurs diuins aux plantes,
&
aux animaux.
Et puis ſa production imite celle des
choſes
ſpirituelles, dautant qu’elle ſe
fait
dans vn moment, &
ſe tire en
quelque
maniere du ſort, &
de la por-
téee
des autres agens corporels, qui ont
beſoin
du mouuement local, &
du tĕps
pour
agir.
D’ailleurs elle ſe porte à l’in-
fini
, de ſorte que ſi l’on ramaſſoit toute
la
lumiere d’vne chandelle qui éclaire
depuis
la terre juſques au firmament,
l’on
verroit auſſi clair ſur le concaue
dudit
firmament, comme ſi l’on auoit
la
chandelle dans la main.
V eritable-
ment
c’eſt vne choſe admirable d’ex-
perimenter
qu’vne petite eſteincelle
de
feu, que l’on fait tomber en frappant
vn
caillou, rempliſſe ſenſiblement tou-
te
la ſolidité d’vne ſphere d’air de 20.
ou cent pieds de large, & que ſi
8668Queſtions Pbyſiques, n’eſt pas reſeruée dans vne chambre,
qu’elle
rempliſſe toute la ſolidité du
mõde
de tous les coſtez oùil ne ſeren-
contre
nul corps opaque;
& finalement
qu’eſtant
renfermée, cette infinie ca-
pacité
ſoit bornée par vne eſpace de 4.
pieds, ce qui ne peut arriuer ſans vne
infinité
de reflexions.
D’où il eſt ay ſé
de
conclure qu’elle eſt la choſe la plus
admirable
du monde, &
qu’il n’y a rien
entre
toutes les choſes corporelles qui
nous
repreſente la Diuinité plus viue-
mĕt
que la lumiere, qui nous doit tou-
ſiours
faire ſouuenir d’auoir recours à
celle
du S.
Eſprit, ſuiuan@ la priere de
l
´Egliſe,ô lux beatiſsima, reple cordis inti-
ma
tuorum fidelium.
COROLLAIRE.
Encore que la lumiere du Soleil ſoit
treſ-
excellente, &
admirable, comme
nous
auons dit, neantmoins elle n’eſt
pas
quaſi conſiderable à l’égard de l’ex-
cellence
de la vie, ou du Principe de la
vie
, qui anime les plantes, &
les ani-
maux
;
& ie ne doute nullement que
s
ous les hommes ſeroient rauis,
8769& Matbematiques. pouuoient comprendre ce Principe, &
s’ils
en pounoient diſpoſer, comme de
la
lumiere, qu’ils contraignenten for-
me
de coue, ou de cylindre par le moyĕ
des
glaces paraboliques, ſpheriques, &

hyperboliques
, quoy qu’il ſoit peut-
eſtre
auſſi difficile de ſçauoir la diſpoſi-
tion
, &
les qualitez que doit auoir vn
corps
pour eſtre lumineux, &
pour é-
clairer
, que de connoiſtre la preparatiõ
&
les diſpoſitions qui ſont requiſes
dans
vn corps pour eſtre animé.
O quel contentement nous receurõs,
quand
nous verrons toutes ccs difficul-
tez
auſſi clairement que la lumiere du
Solcil
, &
que nous joüirons de ce que
nous
eſperons icy, toutes &
quantes-
fois
que nous diſons, In lumine tuo vide-
bimus
lumen.
Qvestion XIIII.
vient que la plus grande partie des
bommes
preferent l’argent, & le lucre
à
la ſcience, & à l’bonneſteté.
IL eſt, ce ſemble, bien difficile d’ex-
pliquer
la vraye raiſon de ce
8870Queſtions Pbyſiques, mene Moral, dautant que les hom-
mes
eſtant raiſonnables, il n’eſt pas aiſé
de
s’imaginer pourquoy ils ne ſuiuent
pas
la raiſon, attendu qu´ils n’ont tien
de
plus excellent qu’elle:
or elle enſei-
gne
que l honneſteté &
la vertu ſont
preferables
aux richefſes, parce qu’elles
appartiennent
à l’eſprit, qui eſt plus
noble
quele corps.
Et l’on ne rencon-
tre
point d’hommes qui ne proteſtent
qu
ïls veulent ſuiure la raiſon, &
qui ne
croyenr
l’auoir de leur coſté en tout ce
qu’ils
font, &
cn ce qu’ils diſent. eſt
pourquoy
il faut conclure que tous ne
c
royent pas que la vertu ſoit meilleute
que
les richeſſes, ni que les ſciences
vaillent
mienx que l’argent:
de ſorte
qu’il
eſt neceſſaire de leur perſuader
ce
tte verité, &
de la leur demonſtrer
c
uidemment, pour la lcur faire embraſ-
ſer
.
Et s’il s’en rencontre qui le croyent,
&
qui neantmoins recherchent les ri-
cheſſes
auec plus de paſſion &
d’ar-
de
ur que les ſciences &
la vertu, il
faut
dire que la paſſion les aueugle, ou
qu
elle a plus de puiſſance ſur eux que
larai
ſon.
Ce qui arriue aiſément, parce
8971& Matbematiques. la plus grande partie des hommes ſe
laiſſe
emporter aux ſens &
à leurs ob-
jects
, &
prefere les choſes viſibles aux
inuiſibt
es, &
ſi l’on compare le temps
que
l’on employe aux exercices du
corps
qui nous ſont communs auec les
brutes
, l’õ aduoüera qu’il y a plus d hõ-
mes
qui des dix partics de leur vie en
donnent
neuf au corps, qu’il n’y en a
qui
en donnent neufà l’eſprit.
D’ailleurs les ſcienccs eſtant inuiſi-
bles
, comme l’eſprit, dans lequelelles
font
leur reſidence, il faut ſerendre ſpi-
rituel
, ou s’acc@uſtumer aux fonctions
de
l’entendement pour enuiſager leur
beauté
, &
pour en apprendre la valeur
&
l’excellen c; quoy qu’elles ne ſoient
pas
capables de faire vn hõneſte hom-
me
, ſi quant &
quant il n’eſt vertueux:
car la principale partie de l’honneſteté
conſiſte
dans la vertu, &
particuliere-
ment
dans celle qui nous vnit plus puiſ-
ſamment
à Dieu, qui eſt la ſource &
la
fontaine
de toute ſortc d honneſtcté
&
de veitu.
D’où il eſt aiſé d’inferer que les ſça-
uans
ſont grandement obligez à la di-
uine
Prouidence, qui les a mis dans
9072Queſtions Pbyſiques, eſtage plus releué que celuy des igno-
rans
&
qui leur a preparé vn eſtat dans
ce
monde, qui approche de celuy des
Anges
, afin qu’en vſant des lumieres
qu´
ils ont, ils enſeignent les auttes &

attirent
tout le monde à Dieu, pour
qui
ſeul nous deuõs tous viure &
mou-
rir
, ſuiuant les deux beaux mots de l A.
poſtre, mibi viuere Chriſtus @ſt, & mori
lucrum
.
COROLLAIRE. I.
Les ſçauans ont de grands auantáges
ſur
les ignorans, s’ils s’en veulent pre-
ualoir
, car eſtãt deſia detachez des ſens,
&
des choſes corruptibles, il leur eſt
beaucoup
plus aiſé de s’éleuer, &
de
s
‘vnir à Dieu, tant par conformité de
leur
volõté aucc la ſienne, que de leurs
ſpeculations
auec les penſees diuines,
à
l imitation de pluſieurs excellens &

Saiincts
perſonnages, qui vſent de cer-
taines
prieres fort courtes, qui leur ſer-
uent
de memorial pour eſtre perpe-
tuellement
attentifs à la preſence de
Dieu
, comme quand S.
Bernard diſoit
ſiſouuent
pour ce ſujet:
9173& Mathematiques.
Ieſu dulcis memoria
Dans
vera cordis gaudia,
Sed
ſupermel &
cmnia
Eius
dulcis praſentia.
Sainct Auguſtin, amor meus, pondus meũ,
illuc
feror quocunque f@rar, &
puis, @g@oſce
quod
tuun @ſt, ignoſce auoa meum @ſt.
Saint
Bruno
, @ boni@as! S.
François d’ Aſſiſe,
Deus
meus &
omnia: S. Françoiis de Pau-
le
, charitas! S.
Ignace Martyr, frumen-
tum
Chriſti ſum:
& amor meus cruciſixus
eſt
:
S. Ignace de Loyla, ſordeſcit mihi
terra
, quando aſpicio !um:
S. Xauier,
ſatis
eſt domine, ſatis eſt:
S. Thereſe,
ternum
benè, aternum malè;
& vne autre,
tr@p
eſt auare à qui Dieu ne ſufſit:
le Pro-
phete
Royal, quàm dilecta tabernacula
tua
domine virtutum, concupiſcit, &
defecit
anima
mea in atria Domini;
& puis, quàm
bonus
Iſraël Deus bis qui recto ſunt corde:
vn autre, O Seigneur mon Dieu que tu es
grand
en toute grandeur.
A quoy l’õ peut
rapporterles
dernieres paroles, par leſ-
quelles
pluſieurs ont finy leur vie, com-
me
celles de lean Gerſon, ô Deus ! for-
tis
eſt vt mors dilectio tua, qu’il diſt en
mourant
, apres auoir expliqué les 50.

propr
ietez de l’amour diuin.
9274Queſtions Phyſiques,
Saint Louis Roy de France mourut
en
diſant, Introibo in domum tuam, adora-
bo
ad Templum ſanctum tuum, &
conſitebor
nomini
tuo:
S. Thomas d Aquin en di-
ſant
, veni dilecte mi, egrediamur in agrũ:
S. François en diſant, Educ de cuſtodia
animam
meam ad conſitendum nomini tuo,
me
expectant iuſti donec retribuas mibi.

S
.
Xauier en diſant, ô Ieſus Dicu de mon
cœur
, S.
Baſile en diſant auec pluſieurs
autres
, &
meſme auec noſtre Sauueur,
in
manus tua Domine commendo ſpiritum
meum
:
feu Monſieur Gamache, & an-
nos
aterno in mente ſemper habebo, &
S.
François
de Paule, O Domine Ieſu Chri-
ſte
, P aſtor bone, iuſtos conſerua, peccatores iu-
ſtiſica
, &
omnibus defunctis miſerere, &
propitius
eſto mibi miſerrimo peccatori:
qui
furent
les dernieres paroles de ce grand
Sainct
.
COROLLAIRE. II.
L’on peut dire que l’on prefere l’ar-
gent
&
les autres biens à la ſcience,
parce
qu’il eſt plus aiſé d’acquerir celle-
cy
par le moyen de ceux , que d’ac-
querir
les biens par la ſcience.
Et
9375& Mathematiques. l’argent eſt plus neceſſaire, à la vie hu-
maine
, or t@@ute la nature embraſſe
premierement
, &
auec plus d’ardeur
ce
qui luy eſt neceſſaire que ce qui ne
luy
ſert que d’ornement.
A quoy il faut
adjouſter
qu’il n’y a rien qui plaiſe da-
uantage
aux hommes que la bonne re-
putation
, &
le bon accueil qu’ils reçoi-
uent
dans toutes ſortes de compagnies:
ce qui leur arriue quãd ils ont cinquan-
te
mille liures de tente, quoy qu’ils ne
ſçachent
rien, &
qu’ils n’ayent nulle
vertu
quiles rende recommandables:

au
lieu que les plus ſçauans qui ſe puiſ-
ſent
rencontrer ſont mépriſez, &
n’ont
nul
accez dãs les grandes compagnies,
dans
leſquelles ils ſont aſſez ſouuent
mal
traitez, de ſorte qu’ils ſont con-
traints
de ſe contenter d’vne crouſte
de
pain, tandis que les autres vſent des
mets
le’ plus exquis.
D’où il eſt aiſé de conclurre, qu’ils
ont
beſoin d’vne grande patiĕce qu’ils
peuuĕt
acquerir par vne parfaite ſoub-
miſſion
à la prouidence de Dieu, &
par
vne
entiere reſignatiõ de tout ce qu’ils
ſont
, &
de tout ce qu’ils peuuent àla
volonté
de celuy qui les
9476Queſtions Phyſiques, dans leur pauureté, & qui les aime au-
tant
que les plus riches du monde.
Qvestion XV.
Peut-on inuenter, & faire vn mouuement
perpetuel
?
CE ſeroit vn grand coup ſi l’on pou-
uoit
déſabuſer tous ceux qui per-
dent
le temps à la recherche du mou-
uement
perpetuel artificiel, qu’ils l’em-
ployaſſent
aux choſes qui sõt poſſibles
&
vtiles; car il n’y a nul doute qu’ils
reuſſiroient
en pluſieurs machines tãt
pneumatiques
, qu’hydiauliques, auſſi
bien
comme font les Chymiſtes en plu-
ſieurs
ſels &
eſſences, ſi les vns & les
autres
ne trauailloient iamais à leurs
inuentions
, que la demonſtration ne
leur
euſt fait voir la poſſibilité de l’exe-
cution
.
Quant aux Ingenieurs, il eſt
aiſé
de leur perſuader que ce mouue-
ment
eſtimpoſſible, à raiſon que ce qui
donne
le premier branſle aux machi-
nes
, ne peut eſtre meu par elles d’vn
branſle
égal de reciprecation, &
9577& Mathematiques. toute ſorte de mouuement violent s’al-
lentit
&
diminuë touſiours ſa force
peu
à peu, depuis ſon commencement
juſques
à ſa ſin.
Et puis il eſt plus aiſé de
faire
tomber les reſſorts que de les rele-
uer
, &
nulle choſe ne pout monter plus
haut
que ſa ſource par ſes propres for-
ces
:
ce qui arriueroit au mouuement
perpetuel
, qui ne peut eſtre, s’il n’a vn
principe
naturel qui ſubſiſte touſiours
dans
vne égalité, ou qui ſoit plus fort
que
les reſſorts, ou les engins qu’il doit
mouuoir
:
car nulle choſe égale n’agit
ſur
ce quiluy eſt égal.
C’eſt pourquoy
il
ne ſuffit pas de dire que ce mouue-
ment
perpetuel n’eſt pas poſſible, à rai-
ſon
de la matiere dont on vſe, qui ne
peut
pas touſiours durer, puiſque les
raiſons
de ſon impoſſibilité ſe prennent
de
plus loin, &
que l’incorruptibilitó
de
la matiere ne fait rien à ce ſujet.
Mais l’on ne peut pas monſtrer en par-
ticulier
en quoy manque chaque inuĕ-
tïon
, ſi l’on ne rapporte toutes les figu.

res
&
tous les deſſeins des differentes
machines
que l’on a trouuées, ou qui ſe
peuuent
rencontrer, affin d’en expli-
quer
les defauts:
car l’vn manque à
9678Queſtions Phyſiques, force de l’eau, l’autre à la connoiſſance
de
l’air ou à celle de la force qu’ont les
poids
ſor chaque plan incliné:
mais
quoy
qu’ilen ſoit, l õ en decouure touſ-
jours
l’erreur, encore que cela ne ſe faſ-
ſe
pas touſiours ſans peine, &
ſans des
labeurs
qui ſont quelquefois treſ-en-
nuicux
.
L’on tient que Cornelius
Drebel
a trouué vne liqueur qu’il en-
ferme
dans vn canal circulaire de ver-
re
, par la quelle il repreſente le flux &

le
reflux de la mer, &
le mouuement
perpetuel
:
il eſt aiſé d’experimenter ſi
l’eau
de la mer enfermée dans vn an-
neau
de verre retient le mouuemĕt de
I’Ocean
, &
de iuger ſi vn tel mouue-
ment
peut ſeruir aux mouuemens per-
petuels
des machines, c’eſt pourquoy
ie
n’en parle pas dauantage
I’adiouſte ſeulement qu’il faudroit
eſſaier
à remarquer ſi la mer a quelque
repos
entre ſon flux &
ſon reflux, com-
me
l’on tient qu’il y a vn point, ou vn
moment
de repos entre le mouuement
droit
&
le reflechi, & cõbien dure ce re-
pos
, &
quelle force a chaque flot, pour
faire
mouuoir des machines.
L’on
peut
dire la meſme choſe des ondes
9779& Mathematiques. l’air, ou du vent, quoy qu’il ſoit beau-
coup
plus difficile d’en reconnoiſtre les
flux
&
les reflux, parce qu’ils ne ſont
pas
viſibles comme ceux de la mer.
Or ceux qui deſirĕt de ſe perfection-
ner
, peuuent s’eſtudier à reconnoiſtre
les
flots, &
le flux & reflux du Sang &
des
paſſiõs qui affectent le coeur, &
des
affections
qui agitent l’eſprit d’vn mou-
uement
continuel, afin d’en vſer ſeule-
ment
, ou principalement pour faire
mouuoir
les reſſorts qui donnent le
mouuement
aux vertus, &
d’arriuer
par
leur moyen au lieu, le mouue-
ment
perpetuel de l’ame &
de la raiſon
eſt
dans le repos perpetuel, ſuiuant ce
beau
mot de l’Egliſe, in labore requies, in
aſtu
temperies, in fletu ſolatium;
ô lux bea-
tiſsima
reple cordis intima tuorum fidelium.
COROLLAIRE.
Si l’on pouuoit connoiſtre euidem-
ment
le reſſort qui donne le mouue-
ment
perpetuelau coeur, &
quile fait
élargir
&
reſtreſſir, ie ne doute nulle-
ment
que l’on arriueroit à vne grande
connoiſſance
de la Diuinité, &
que,
9880Queſtions Phyſiques, receuroit vn contentement treſ-parti-
culier
;
ce qu’il faut eſtendre aux reſ-
ſorts
qui font mouuoir toutes les par-
ties
des plantes, &
qui tranſportent la
roſée
&
la pluye depuis le pied des ar-
bres
iuſques au haut des brãches, pour
les
conuertir en moüelle, en bois, en eſ-
corce
, en fibres, en fleurs, &
en fruits.
Car c’eſt vne choſe capable de rauir
tous
les hommes, lors que l’on conſide-
re
que le petit artiſan qui eſt dans cha-
que
plante, &
dans ch@que animal,
trãſporte
la viande dans toutes les pat-
tie
, ſans aucuns engins, gruës, mouf.

fles
, &
poulies, & qu’il l’arrange auec
tant
d’adreſſe dans chaque lieu, depuis
le
bout des pieds iuſques au haut de la
teſte
, qu’elle ne peut plus eſtre diſtin-
guée
d’auec les parties du corps.
Certes, puis qu’il n’y a nulle induſtrie
humaine
qui puiſſe faire cela, ni qui
puiſſe
former de tels automates, il faut
neceſſairement
auoüer que l’artiſan
qui
trauaille à cet ouurage, eſt plus ex-
cellent
que tous les hommes, &
que
c’eſt
à luy ſeul qu’il appaitient de faire
des
mouuemens perpetuels, de ſorte
qu’il
n’y a rien de viuant qui ne
9981& Mathematiques. monſtre la preſence de Dieu, agiſſant
touſiours
en toutes choſes, &
quine
nous
exhorte à nous écrier auec le Pſal-
miſte
, mirabilis facta eſt ſoientia tua ex me,
confortata
eſt, &
non potero adeam.
Qvestion XVI.
La quadrature du cercle eſt-clle imp@ſiblc?
CEſte queſtion eſt extremement
difficile
, car l’on trouue d’excel-
lens
Geometres quitiennent qu’il n’eſt
pas
poſſible de trouuer vn quarré, dont
la
ſurface ſoit égale à celle du cercle,
&
d’autres qui tiennent le contraire:
parce que les premiers croyent que l’on
ne
peut arriuer à @ette connoiſſance, à
raiſon
quenous n’auons nuls principes
qui
y meinent, &
que ce probleme ap-
partenant
aux lieux plans ne peut eſtre
reſolu
par le peu de connoiſſance que
nous
ont laiſſé les anciens Geometres.
Mais lesautres conſiderants qu’ Ar-
chimede
a demonſtré la quadrature de
la
parabole, croyent que l’on peut auſſi
trouuer
celle du cercle, puis que la
10082Queſtions Phyſiques, face de ladite parbole eſt auſſi bien
enu
ironnée d’vne ligne courbe d’vn
coſté
, que le demy cercle.
Or l’on de-
monſtre
que le plan, ou l’aire de la pa-
rabole
eſt plus grande d’vn tiers, quele
triangle
, quia meſme hautcur &
meſ-
me
baſe que ladite parabole.
Ce qu’ Ar-
chimcde
a prouué par ce theoreme:
l’exiez par lequ@l le plus grand eſpacc ſur-
paſſe
le moindre pent @ſtre multiplié, ou com-
posé
tant de fois qu’il ſurpaſſera toute autre
ſorte
d’eſpace donné.
Mais ie traiteray plus
amplemĕt
des vtilitez de cette ſection
parabolique
dans la 19.
queſtion. Il
ſuffit
maintenant de remarquer que le
triangle
, ou le quarré, que l’on dit luy
eſtre
égal, n’a pas ſon circuit égal à ce-
lu
y de la parabole, auquel on ne ſçau-
roit
donner vne ligne droite égale, non
plus
qu’au cercle:
de ſorte qu’il faut en-
tendre
cette égalité des capacitez de
leurs
figurcs.
Quant à la quadrature
du
cercle, nul n’a encore demonſtré
qu’elle
ſoit poſſible, ou impoſſible;
ce
qui
donne occaſion à pluſieurs de ne
perdre
pas l’eſperance de la pouuoir
rencontrer
.
Or les moyens qui ont ſeruy à
10183& Mathematiques. uer celle de la parabole, ne peuuĕt ſer-
uir
au cercle:
& nuln’a trouué la qua-
drature
de l’hvperbole, &
de l’cllipſe,
de
ſorte quelecercle n’eſt pas ſeul ſans
qua
drature, &
l’on peut donner vne in-
finité
de lignes courbes, dontles capa-
citez
ne peuuent eſtre quarrées par les
Geometres
:
quoy queie ne doute nul-
lement
que les Anges n’en ſçachent
le
moyen.
COROLLAIRE I.
Il vaut beaucoup mieux ſappliquer
aux
parties de la Geometrie, qui ſont
vtiles
, &
dans leſquelles on peut de-
monſrer
pluſieurs excellĕs theoremes,
qu’á
ces quadratures;
quoy que l’õ die
que
quelques- vns ont trouué des veri-
tez
treſ-excellentes en les cherchant,
cõme
il arriue que les Chymiſtes trou-
uĕt
de beaux ſecrets par hazard en cher
chant
la pierre Phyſique.
Or l’on peut
voir
pluſieurs autres choſes de la qua-
drature
du cercle, &
de la proportion
des
polygones qui luy ſont inſcrits, &

circonſcrits
, dans le 6.
chapitre du 4.
liure de la Verité des ſciences,
10284Queſtions Phyſiques, Cyclometre de Snellius, & dans plu-
ſieurs
autres lieux.
COROLLAIRE II.
Encore que l’on euſt trouué geome-
triquema
nt la quadrature du cercle,
neantmoins
ellene ſeroit pas plus iuſte,
&
ne ſeruiroi@ pas dauantage que celle
dont
vſe mechaniquement, carl’on ap-
proche
ſi prés de la iuſteſſe, qu’il nes’en
faut
pas la cent millicſme partie d’vne
ligne
que le quarréne ſoit égalau cer-
cle
, encore que ſon diametre ſoit cent
fois
plus grand que celuy du Ciel des
eſtoiles
.
Or peut eſtre que la demon-
ſtration
de la vraye quadrature ſe peut
trouuer
par le moyen deslignes, &
des
ſections
Coniques, puis qu’elles ont
ſerui
à demonſtrer la triſection de l’an-
gle
, &
la duplication du Cube.
Qvestion XVII.
Les Taliſmans, & les metaux, on les autres
corps
que l’on grane pour attirer les
influences
du Ciel, ont ils quelque
veri
n particuliere?
AVant que de reſpondre à la diffi-
culté
, il faut remarquer que
10385& Mathematiques. mot Taliſman, ſignifie vne lame d’or,
d’argent
, de cuiure, de plomb, ou d’au-
tre
matiere, ſur laquellc on graue quel-
que
figure, ou image, ſoit d’vn lion,
d’vn
taureau, d’vn ſerpent, de lupiter,
de
Mars, ou de telle autre choſe que
l’on
veut, ſelon le dcſſein que l on a,
pourattirer
les influĕces du Ciel, com-
me
ſi la figure de Mars, on de Iupiter
graué
dans l’eſtain, ou dans lefer de-
uoit
attirer la vertu de ces denx planet-
tes
.
Ce qui eſt ſi ridiculo, & ſi incpte
qu’il
n’y a plus que les vieilles, &
les
trop
credules qui ne s’cn moqucnt cõ-
me
d’vne pure fable:
car outre que l’ex-
perience
fait voir que ces graueures &

ces
figures n’ont nulle force, ou aptitu-
de
pour determiner &
pour attirer les
vertus
des Aſtres, la raiſon y repugne
entierement
, qui meſme perſuade que
les
aſtres n’õt pas la force, ni les influen-
ces
qu’õ leur attribuë, car chaque aſtre
n’a
point d’autre force ſur nous que cel-
le
qu’il exerce auec ſa lumicre, &
ſa
chaleur
;
de ſorte que ſi l’on diſpo-
ſoit
autant de chandellcs autour de
la
terre, comme il y a d’eſtoiles au
Ciel
, dont elle fuſt auſſi illuminéc, &
10486Queſtions Phyſiques, échauffée, comme elle eſt par leſdi-
tes
eſtoile@, nous ſentirions les meſmes
influences
;
& ſiles chandelles luiſoient
plus
fort, leurs in fluences ſeroient plus
fortes
que celles des eſtoiles, qu’il ne
faut
pas ſ’imaginer auoir ſeulemĕt eſté
crées
pour la terre, mais pour pluſicurs
autres
raiſons que Dicu s´eſt reſeruées,
&
que nou@ connoiſtrons au Ciel.
Il faut eſtre merueilleuſement cre-
dule
pour ſe perſuader que des figures
écrites
, peintes, ou grauées dans telle
matiere
que l’on voudra, &
ſouz telle
conſtella
tion que l’on choiſira, ayent
la
puiſſance de chaſſer les beſtes vene-
neuſes
ſoit que les Hebreux, les Chal-
deans
, &
les Grecs en ayent vſé ( com-
me
tiennent ceux quitirent la diction
Taliſman
du Tſelen, ou de Ttſatiman ou
de
Tſilme@ia ou du τι´λεπμα, des Grecs,
&
qui diſent que le Grec ζαχεĩα, & le
Magne@
.
Hebraïque ſignifient la meſme
choſe
) &
que les anciens s’en ſoient
ſeruis
pour leurs Dieux Tutelaires, &

pour
mettreà ´a proüe de leurs nauires,
afin
d’empeſcher la tempeſte, apres les
auoir
grauées, &
dreſſées ſouzle ſigne
des
poiſſons, ou que toutes les
10587& Mathematiques. que l’on en rapporte ſoient fauſſes, car
ceux
qui ont experimenté la grande
multitude
des fauſſetez qui ſont dans
les
hiſtoriens, qui parlent des pierres,
des
plantes, ou des autres choſes natu-
relles
, ou artificielles, &
meſme dans
les
écrits des Philoſophes, qui ne de-
uroient
rien écrire que de bien aſſeuré,
ne
doiuent pas ſelaiſſer ſurprendre par
les
diſcours fabuleux que l’on lit de la
force
des caracteres, &
des Taliſmans
dans
Albert, Cardan, Galeotus, Para-
celſe
, Ficin, Crollius, &
ailleurs.
Mais il n’eſt pas neceſſaire d’auertir
les
ſçauãs de ces erreurs, puis qu’ils ſont
aſſez
ſages pour ne cro@erien de tous
ces
contes, s’ils ni ſont forcez par l’ex-
perience
, qui nous découure touſiours
la
fauſſeté de pluſieurs choſes, quoy
qu’on
les aye tenuës iuſques à preſent
pour
treſ- veritables, &
qui conuaincra
perpetuellement
que les Taliſmans
n’ont
nulle vertu, comme ie pourray
monſtrer
dans le Traité de la force de
l’imagination
.
COROLLAIRE.
Il y a de certaines perſonnes
10688Queſtions Phyſiques, ſcrupulcuſes, comme il y en a de trop
libertines
, mais il faut que la raiſon é-
clairée
de la Foy diuine faſſe reuenir
les
vns &
les aut@es au milieu, dans le-
quel
conſiſte ordinaire ment la vertu.
Or puis que l’on rencontre des Philo-
ſophes
, qui maintiennent la force des
Taliſmans
, dont nous venons de par-
ler
, &
qui l’appuyent de raiſons, &
d’experiences
, il n’y a nul doute qu’vn
Philoſophe
Chreſtien peut expreſſe-
ment
en faire les experiences, afin de
déſabuſer
les ſimples, qui croyent la
pl
us grande partie de tout ce qu’ils li-
ſent
dans les bure@, ſans paſſerà l’exa-
men
que font les ſçauans de tout ce
qu’ils
ſoupçonnent de fauſſeté;
& afin
qu’il
deſtruiſe les obſeruations preten-
duës
( qui iont priſes de quelques rela-
tions
hiſtoriques, la pluſpart fabulcu-
ſes
) par de veritables experiences, qui
ſoient
ſans reproche, &
qui guariſſent
la
foibleſſe des eſprits trop credules.
Sil’on fait cela, ie m’aſſeure que l’on
n’attribuëra
plus deſormais nulle vertu
aux
Taliſmans.
& que leurs deffenſeurs
co@
feſſeront ingenuëment qu’ils n’en
auoient
pas fait l’examen.
Ce qui
10789& Mathematiques. doit auſſi entendre de la Chiromantie,
de
l’Aſtrologie Iudiciaire, de la Geo-
mantie
, &
de pluſieurs autres badine-
ries
dont l’cſtude, &
l’exercice eſt tout
à
fait indigne d @n honneſte homme.
Qvestion XVIII.
Les Camaieux, o@Gamahez ont-ils quelque
force
, on quelque ſigniſication?
L’On appelle les Agathes, & les au-
tres
picrres, ſur leſquelles il ſe ren-
contre
naturellement des figures gra-
uées
, &
en boſſe, Gamahé, ou Camaieux,
ſoit
que les figures ſoient colorées, ou
ſans
couleur;
dont on void pluſieurs
cxperiences
en diuers lieux, comme
dans
la ſale des antiques du Louure,
dans
laquelle il y a vne pierre, l’on
void
la peinture d’vn pigeon, &
dans
pluſieurs
marbres, qui ont des figures
qui
repreſentent en quelque façon des
maiſons
, des villes, des images de la
Vierge
, ou de noſtre Seigneur, &
c. I´ay
dit
en quelque facon, parce qu’elles ſont
touſiours
ſi defectueuſes, qu’il eſt
10890Queſtions Phyſiques, ſoin que l’imagination ſupplée la plus
grande
partie des traits, &
des linea-
mens
.
A quoy l’on peut rapporter les
differentes
lettres Grecques, ou Lati-
nes
, &
les mots de Muſique que l’on
remarque
ſur les coquilles de mer, &

ſur
les aiſles des papillons, les aigles
qui
ſe trouuent ſur le plan des branches
de
fougere apres que l’on les a coup-
pées
, &
les Soleils qui ſont ſur les pate-
noſtres
faites de guy de cheſne, &
mil-
le
autres ſortes de figures qui ſe rĕcon-
trent
dans les plantes, dãs les animaux,
&
dans les pierres, ſuiuant les differents
degrez
de coction de leur matiere, &

les
differents atomes, dont elles ſont
compoſées
.
Ie laiſſe les differentes fi-
gures
que fonr les vapeurs, les fumées,
&
les nuës, parce qu’elles ne ſont pas
fixes
comme les autres, &
qu’elles ont
encore
beſoin d’vne plus grande force
del
imagination:
de vient que l’on
ſe
figure quaſi tout ce que l’on veut dãs
les
nuës, comme dans le ſon des clo-
ches
.
Mais la principale difficulté qui ſe
rencontre
dans les camaieux &
dans
toutes
les figures precedentes,
10991& Mathematiques. à ſçauoir ſi elles ont quelque plus gran-
de
vertu que les caracteres, &
le@ figu-
res
des Taliſmans, dont nous auons pat-
:
car encore que l’on p@ſſe s’imagi-
ner
que la figure du Scorpiõ cmp@e@te
par
la nature ſur vne pietre, pu@ſſe tirer
le
venin de la playe que le vray Scorpiõ
a
faite, afin qu’elic ſe noutriſſe, &
s’aug-
mente
tant qu’elle poutra, pour le
changer
dans la nature de l’animal
qu’elle
repreſente, comme l’on tient
qu’il
eſt arriue à pluſieurs figures de cra-
paux
, qui ont peu à peuengendré ces
animaux
, neantmoins cela eſt d’vne
trop
grande conſequence pour s’arre-
ſter
à cettc raiſon, &
à ces phenomnes
que
l’on n’a pas encore aſſez bien exa-
minez
:
or l’on perd le temps à faire la
recherche
des raiſons, &
des cauſes d’v-
ne
choſe, dont on n eſt pas aſſeuré, &

dont
on n’a pas remarqué vne aſſez
grande
multitudc de circonſtances, car
l
e m’aſſeure que nul de tous ceux qui
s’efforçent
de tronuer la raiſon de ces
phenomenes
, n’en a iamais fait l’eſſay:
& ſi l’on examinoit tout ce que Crol-
lius
, &
les autres Chymiſtes & Na-
t
uraliſtes ont écrit des differentes
11092Queſtions Phyſiques, gnatures des plantes, & de leurs effets
és
maladies, ie ne doute nullement
que
de cent choſes qu’ils auancent har-
diment
, l’on n’en trouueroit pas quatre
de
veritables.
COROLLAIRE I.
Paliſſy maintient que toutes les fi-
gures
des pierres, &
des bois ſe forment
par
la deſcente, &
l’égout des eaux cõ-
gelatiues
, qui engendrent &
nourriſ-
ſerl
t les poiſſons dans la mer, les ani-
maux
, &
les plantes dans la terre, qu’el-
les
conuertiroient toutes en pierre, ſi
elle
nageoient dedãs, &
que les pierres
s’engendrent
dans nos corps par la ſeu-
le
vertu de cette cau, dont i’ay parlé
plus
amplement dans la 6.
queſtion.
COROLLAIRE. II.
Les Peintres appellent Camaieux, les
crayons
qu’ils font d’vne ſeule couleur
ſoit
rouge, ou noire, &
c. c’eſt ce que
Pline
appelle Monochrome, quoy que
l’on
y puifſe adjouſter pluſieurs cou-
leurs
diſtinctcs, pourueu qu’elles
11193& Mathematiques. ſoient pas meſlées, comme l’on fait aux
figurcs
des chartes, quine ſont point
ombragées
, car les ombres commen-
cent
à rendre la peinture plus excellen-
te
, quoy qu’elle manque encore des
douces
tranſitions, qui confondent tel-
lement
les coulcurs que l’on n’en peut
reconnoiſtre
la diſtinction.
Surquoy
Loys
de Montioye remarque dans le
traité
qu’il a fait de la Peinture, que la
diſputc
qu’ A pelles eut auec Protoge-
ne
à Rhodes, ſe doit entendre de cet
addouciſſement
de couleurs, qui fait
perdre
inſenſiblement les vnes dans les
autres
, &
non des ſimples lignes, dont
les
plus habiles maiſtres ne fõt nul état,
comme
il prouue par l’authorité deMi-
chel
Ange Bonarot, Raphaël Vrbin,
Saluiat
, Polidore, de Parmes, &
du
Titian
:
quoy que l’on puiſſe peut-eſtre
mieux
expliquer ce paſſage du 5.
cha-
pitre
du 35.
liure de Pline, du traict, quï
fait
reconnoiſtre l’excellente main, &

l’hcureuſe
imagination des Peintres.
Maisil inerite d’eſtre leu, afin de conſi-
derer
la lumiere, la ſplendeur, ou lc ,
&
ce qu’il appelle l’ Armoge dans les ta-
blcaux
;
car il veut que lc ton ſoit
11294Queſtions Phyſiques, partie, la couleur a plus de force, &
qu
il ſoit cntre la lumiere ou le clair de
la
couleur, &
entre l’ombre, & quel’ Ar-
moge
ſerue pour paſſer d’vne couleur à
l’autre
, comme le demy ton ſert pour
paſſer
du ton graue à l’aigu:
c’eſt ce qui
reſpond
aux nuances des Brodeurs, &

des
T’apiſſiers.
Qvestion XIX.
A quoy ſeruent les ſections Coniques, &
quel
peut eſtre leur vſage?
L’Vſage des ſections, & des lignes
Coniques
eſt ſi general, &
ſi mer-
ueilleux
, qu’il eſt difficile que ceux qui
n’ĕ
ſçauent pas la nature &
les proprie-
tez
, le croyent, comme il eſt aiſé de
conclurre
pat ce petit diſcours que ie
commence
par la conſideration de la
fection
, ou de la ligne hyperbolique,
dont
vne ligne droite s’approche tou-
ſiours
de plus en plus, ſans qu’elle puiſ-
ſe
iamais la rencontrer.
Elle ſert auſſi
pourfaire
, &
pour conduire des allées,
des
berceaux, &
des galleries qui
11395& Mathematiques. roiſtront touſiours d’égale largeur, en-
core
que l’œil ſoit éloigné de cĕt lieuës,
ou
dauantage de leurs extremitez, ou
des
autres endroits, qui bornĕt ſa veuë,
comme
Aguilon demonſtre dans le 4.
liure de ſon optique, prop. 47. ce que
l’on
peut encore appliquer aux autres
lignes
des ſections coniques, qui ſont
treſ-aiſces
à décrire par les differentes
manieres
queMonſieur My dorge à dõ-
nées
dans ſon 2.
liure des Coniques.
Cette
ligne ſert encore pour les mi-
roirs
, car elle ramaſſe dans ſon foyer in-
terieur
tous les rayons de la lumiere,
qui
vont aboutir à ſon foyer exterieur,
comme
la glace parabolique ramaſſe
tous
les rayons qu’elle reçoit paralle-
les
, dans le ſien;
& comme l’elliptique
renuoie
tous ceux qui partent de l’vn
de
ſes foyers à l’autre.
Mais la ligne hyperbolique eſt enco-
re
plus admirable dans les lunettes, &

dans
la refraction, que dans les miroirs,
&
dans la reflexion, car elle fait dans
les
diafanes ce que fait la parabolique
dans
les opaques, puis qu’elle ramaſſe
dans
vn ſeul poinct, ou dans vn ſeul fo-
yer
tous les rayons paralleles
11496Queſtions Phyſiques, reçoit: c’eſt pourquoi les Lunettiers de-
uroient
faire les verres de leurs lunet-
tes
de longue veuë en formed‘hyper-
bole
conuexe, afin de multiplier la grã-
deur
apparente des obiets tant qu’ils
voudroient
, &
de nous faire voir claire-
ment
tout ce qui eſt dansle Soleil, &

dans
les autres corps celeſtes.
Quant à l’vſage de cette ligne, & des
2
autres (à ſçauoir de la parabolique, &

de
l’elliptique) dans la deſcription des
lignes
horaires, des horloges, &
de la
gnomonique
, ou Scioterique, il eſt treſ-
grand
, &
eſt auſſi agreable qu’il eſt
neceſſaire
, comme l’on peut voir dans
les
3.
liures qu’a fait Maurolic des hor-
loges
, &
particulierement dans le 3.
il
donne la maniere de les décrire, &

vne
partie de leurs proprietcz.
Ie laiſſe
pluſieurs
autres particularitez de ces
lignes
:
par exemple, que l’on en peut
vſer
pour bruſler iuſques à l’inſiny, cõ-
me
i’ay remarqué ailleurs:
qu’elles ſer-
uent
pour expliquer la maniere dont ſe
fait
la viſion, &
dont le Soleil, & les
autres
aſtres agiſſent auec leurs rayons,
dautant
qu’elles meritent vn liure
cntier
.
11597& Mathematiques.
COROLLAIRE
L’on trouuera pluſieurs proprietez
deſdires
ſections Coniques dans le 16.
chap. du 4. liure de la V erité des Scien-
ces
;
dans le 6. chap. de la 2. partie de
l’Impieté
des Deiſtes, neuf eſpeces
de
miroirs ſont expliquées, &
dans le
13
.
chap. de la 25. objection quefont
les
impies contte l’exiſtence de la Di-
uinité
, les proprietez, &
la fabrique
des
miroirs paraboliqucs ſont expli-
quées
:
de ſorte qu’il n’eſt pasicy neceſ-
ſaire
d’vn plus long diſcours.
Et ſi l’on
veut
ſ’inſtruire plus amplement de ces
lignes
, &
de tout ce qui leur appartiĕt,
il
faur lire l’Apollonius Pergæus, &
les
liures
des ſectiõs Coniques de Mõſieur
Mydorge
, que tous les ſçauans de-
uroient
prier de donner les 6.
derniers
liures
qu’il a promis, aſin de joüir de
ce
chef-d’œuure, &
de s’en ſeruir en
mille
occaſions.
11698Queſtions Phyſiques,
Qvestion XX.
A ſçauoir ſi l’on peut lire dans les aſtres par
le
moyen des miroirs, & ſi l’on peut
connoiſtre
les choſes futures
dans
les Eſtoiles?
QVelques-vns ſe ſont imaginez
que
l’on pouuoit lire dans la Lune
par
le moyen de 2.
ou pluſieurs miroirs,
dont
l’vn porte les characteres juſques
à
cet aſtre, &
l’autre les reçoit par la re-
flexion
de ladite Lune, &
les renuoye
à
l’œil;
Agrippa s’eſt vanré dans ſes li-
ures
d’en ſçauoir le ſecret, &
pluſieurs
autres
diſent qu’on a fait ſçauoir des
nouuelles
bien ſecretes par ce moyen,
à
ceux qui eſtoient bien éloignez;
mais
s’ils
parlent toutà bon, ils ſe trompent
lourdement
, car encore que l’on peuſt
enuoyer
l’õbre, ou la lumiere des cha-
racteres
que l’on forme ſur les glaces
des
miroirs auec de la cireou du papier,
&
que la Lune fuſt vn corps ſi poli,
qu’elle
peuſt renuoyer les meſmes cha-
racteres
juſques à terre, &
ſur
11799& Mathematiques. glace, les rayons deſdits characteres
ſeroient
ſi affoiblis, qu’il ſeroit impoſ-
ſible
de les apperceuoir.
D’ailleurs,
encore
que l’on ſuppoſaſt que la Lune
fuſt
ronde, plate, ou creuſe, l’on ne
peut
eſt ablir le lieu pour poſer le mitoir
ſi
à propos, que la reflexion de la Lune
ſe
face dedans?
Mais il n’eſt pas neceſ-
ſaire
de m’eſtĕdreicy plus amplement,
puis
qu’il n’y à nul homme ſçauant, &

judicieux
, quine ſçache que cette ma-
niere
de communiquer les penſées au
loin
, n’eſt pas poſſible.
Si ces vanteurs
ſçauoient
le ſecret, &
la puiſſance des
diaphanes
, ils euſſent pluſtoſt dit que
l’on
euſt peulire dans la Lune, ſ’il s’y rĕ-
controit
quelque écriture, quoy que
l’on
puiſſe s’imaginer des miroirs ſi
grands
, &
ſi parfaits, qu’ils repreſente-
ront
tout ce qui eſt dans les aſtres aſſez
diſtinctement
pour eſtré apperccu de
l’œil
:
mais l’execution n’eſt pas dans la
puiſſance
des hommcs.
Or la queſtion ayant deux parties, il
faut
ſatisfaire à la ſeconde, quiappar-
tient
à l’Aſtrologie, que quelques-vns
croyent
auoir eſié pratiquée par les
premiers
Patriarches, qui ont veu, &
118100Queſtions Phyſiques, leu, diſent-ils, les choſes futures dãs les
eſtoiles
:
Surquoy ie dy premierement
que
nous n’auons nulle raiſon d’établir
cette
lecture, puis que Iacob l’vn des
plus
grands Patriarches, &
amis dc
Dieu
, ny ceux de ſon temps n’ont point
leu
dans les eſtoiles, que la famine
deuſt
durer 7.
ans, autremĕtils euſſent
fait
vne ſi bonne prouiſion qu’ils n’euſ-
ſent
pas eſté contraints d’enuoyer en
Ægypte
pour achepter dufroment.
Quant à ce qu’on rapporte que Lia
nomma
ſon fils Gad, parce qu’il eſtoit
ſouz Iupiter, que l’on appelle bonne
fortune
, cela n’eſt pas ſi cõſtant que l’on
en
puiſſe tirer aucune concluſion pour
l’écriture
des eſtoiles:
& ſi l’on fait re-
flexion
ſur les Cometes, &
ſur les figu-
res
que l’on remar que dans le Ciel, ou
dans
les nuës, l’on aduoüera qu’elles ne
figniſiĕt
point les choſes futures, ou que
cette
ſignificatiõ ne peut eſtre connuë
par
les hommes:
de vient qu’ils ſe
trompent
quaſi touſiours, quãdils pre-
diſent
ce qui doit arriuer apres tous ces
ſignes
, Il faut dire la meſme choſe des
eſtoiles
, car encore que lesCieux ſoient
comparez
à des liures, &
à des voix,
119101& Mathematiques. racontent la gloire de Dieu, & que l’on
puiſſe
s’imaginer que les lettres He-
braïques
, ou Atabeſques ſont repre-
ſentées
par les differentes diſpoſitions
des
eſtoiles, &
des plan@ttes, neant-
moinsil
n’y a nul moyen de lire, ou de
trouuer
quellc a cſté l’intention de
Dieu
, lors qu’il les a ainſi diſpoſées;
&
conſe
quemmentelles ne nous peuuent
ſeruir
pour ſçauoir les choſes futures.
A quoy l’õ peut adjouſter que les eſtoi-
les
eſtant touſiours en meſme di@poſi-
tion
ne ſignifient qu’vne meſme choſe,
&
partant que l’on ne pcut ſçauoir ſi ce
qu’elles
repreſentent eſt paſſé, ou fu-
tur
.
Car encore que l’on puiſſe dire que
lc
changement des Planettes change
les
dictions, nous n’auons iamais veu
d’hommes
qui en puiſlent lire aucunes
dans
les cieux, &
nous experimentons
que
les plus ſçauans du monde ſe mo-
quent
de cette lecture, comme d’vne
fable
:
ce qui ſuffit pour perſuader aux
bons
eſprits que tout ce que les Rabins,
&
les autres ont aduancé ſur cette ma-
tiere
, eſt ſans nul fondcment.
Mais ie
parle
plus amplement de l’A
120102Queſtions Phyſiques, dans vn autre lieu. Quant aux miroirs,
l’on
peut voir ce qui eſt dans le 13.
chap.
de la 25. objection, que i’ay deſia cité
dans
leCorollaire prccedent, &
en plu-
ſieurs
autres endroits, i’en traite.
Qvestion XXI.
La lumiere oſt-elle viſible, & diſtincte des
coule
urs ? il eſt auſsi parlé des corps
terrc
ſtres qui ont de la lumie-
re
en eux.
CEtte queſtion eſt difficile en ſes
deux
patries.
car encore que la lu-
miere
pour grande qu’elle puiſſe eſtre,
ne
ſe voye point dans le foyer des mi-
roirs
ardens, qui bruſlent par reflexion,
ou
par refraction, iuſques à ce que l’on
y
applique vn corps opaque, qui le face
paroiſtre
, neantmoins on la void quand
elle
eſt reflechie, lors que l’on regarde
directement
le Soleil.
Or l’on peut di-
re
qu elle n’eſt pas viſible quand elle
n’eſt
pas rcceuë, ou terminée par vn
corps
brute, &
opaque, comme l’on ex-
perimente
dans les endroits de l’air,
121103& Mathematiques. elle eſt ſi forte qu’elle bruſle, car enco-
re
que toute la lumiere du Soleil, ou
vne
autre plus grande ſe trouuaſt dans
le
focus d’vn miroir, il ſeroit impoſſible
dela
voir, ſi l’on n’appliquoit quelque
corps
opaque quila peuſt reflechir iuſ-
ques
à l’oeil.
Mais il faut remarquer
que
ce corps opaque ne doit pas eſtre
poli
, parce que toute ſorte de poliſſure
repreſente
ſeulemĕt l@image du Soleil,
particulierement
ſi elle eſt parfaicte,
comme
l’on experimente aux miroirs
plats
, leſquels eſtant expoſ@z aux ravõs
du
Soleil, en repreſentent tellement
l’image
, que l’on n’apperçoit ny lumie-
re
, ny glace de miroir, de ſorte que
ceux
qui ne ſçauent pas ſi l’on a eſtably
ladite
glace au lieu elle eſt, croyent
que
c eſt le corps du Soleil.
D’où il eſt aiſé de conclurre que ſi
tous
les corps opaques eſtoient parfai-
tement
polis, que l’on ne verroit que la
ſeule
image du Soleil en quelque lieu
que
l’on peuſt regarder:
de ſorte qu’il
n’y
a que l’égalité des ſurf@ces qui em-
peſche
que cette image ne ſe forme di-
ſtinctement
, car elle eſt la ſource de la
confuſion
, comme l’égalité l’eſt de
122104Queſtions Phyſiques, diſtinction, dautant qu’elle rompt, &
diſſipe
tellement les rayons du Soleil,
qu’ils
n’ont pas aſſez de force pour re-
preſenter
leur origine, quoy qu’ils n’a-
yent
point, ce ſemble, d’autre deſſein.
Ce qui a fait pĕſerà quelques- vns que
la
lumiere n’eſtoit autre choſe que l’i-
mage
du corps lumincux, &
que les
hommes
ne paroiſtroient qu’vne pure
image
de Dieu, s’ils n’apportoient nul-
le
@@ſiſtance à ſes faueurs, &
s’ils refle-
chiſſoient
tous les ray ons de ſes graces
ſur
leur prochain, &
conſequemment
qu’ils
ne conſidereroient autre choſe
dans
toutes les creatures, que la ſeule
image
de Dieu.
Ie ne veux pas obmettre vne conſi-
deration
treſ-particuliere touchant les
corps
lumineux, qui conſiſte à remar-
quer
tous ceux qui ont de la lumiere
en
eux-meſmes, afin que l’on puiſſe
mieux
conjecturer quelle eſt ſa nature,
lors
que l’on aura examiné tous les ſu-
jets
, elle ſe rencontr@.
Or nous ex-
perimentons
que les vers luiſans, l’A-
garic
, le cheſne pourry, &
pluſieurs au-
tres
bois, &
que le Haran, le Merlan,
&
pluſieurs autres poiſſons
123105& Mathematiques. auant qu’ils ſoient cuits, & écaillez. Il
arriue
la meſme choſe à la Raye cuite
&
boüillie, qui luit ſi fort que l’on peut
quaſi
lire à ſa lumiere.
A quoy l’õ peut
ad@ouſter
l’eau de la mer, qui produit
mille
eſtincelles par ſon mouuement.
Et quelques. vns tiennent que le coeur
entretient
vne flamme perpetuelle dãs
ſes
ſeins, ou ventricules, tandis qu’il a
de
la vie, &
du mouuement.
Quant aux couleurs, il eſt cein
qu’elles
ont quelque choſe diſtinct de
la
lumiere, dont les rayons prennent la
r
einture des ſurfaces differen@es, lors
qu
ils entrent dans leurs pores, &
qu’ils
en
ſortent par differentes reflexions.
Mais l on peut dire que ces ſurfaces n@õt
nulle
couleur en ſoy, &
que les differĕ-
tes
couleurs s engĕdrent actuellement
par
les diuerſes refractions, &
reflexiõs,
qui
ſe font dãs les corps qui reçoiuĕt &

qui
renuoyent la lumiere :
quoy qu’il
ſoit
biĕ difficile de determiner le nom-
bre
des rayons, ou la grandeur de la lu-
miere
, qui eſt neceſſaire pour faire pa-
roiſtre
le blanc, le rouge, ou les autres
couleurs
;
& combien de fois vn meſme
rayõ
doit eſtre rompu, ou reflechy
124106Queſtions Phyſiques, faire paroiſtre telle couleur que l’õvou-
dra
, car ce ſecret ſupoſe vne ſpeculatiõ
treſ
ſubtile, &
treſ-exacte de la figure,
&
de la grandeur de chaque pore, qui
ſerencontre
dans la ſurface des corps,
puiſque
chaque pore eſt ſemblable à
vn
petit miroir concaue, dont la glace
a
ſa figure differente de celle des autres
pores
.
Or les priſmes, ou triangles de chry-
ſt
& les verres taillez en differentes
manieres
peuuent ayder à ſurmonter
cette
difficulté, car leurs refractions,
qui
produiſent le bleu, le vert, le @aune,
&
pluſieu@@ autres couleurs, peuuent
eſtre
meſurées:
& l’on peut ſçauoir cõ-
bien
il ſe perd de lumiere par les diffe-
rentes
immerſions du rayon dans les
corps
diafanes, encore qu’il ſoit diffi-
cile
d’en faire l’application à la perte
qui
s’en fait par le moyen des pores de
chaque
corps opaque.
Ceux qui compoſent tous les corps
d’atomes
de differĕtes figures, peuuent
rapporter
les couleurs aux differentes
reflexions
, qui ſe font par leur moyen,
&
dire que l’eau ſe teint de couleur de
rubi
par l’or, &
de couleur d’azur
125107& Mathematiques. l’argent, & de pluſieurs autres ſortes de
couleurs
par les autres metaux &
mi-
neraux
, &
par les differĕs ſucs des her-
bes
, à raiſon des differencs atomes de
ces
corps, qui ſe meſlent parmy ladite
eau
, &
qui font que ſa ſurface rompt
&
reflechit differemment les rayons
qu’elle
reçoit, &
conſequemmĕt qu’el-
le
fait paroiſtre toutes les differentes
couleurs
que nous voyons.
Mais il fau-
droit
determiner quelle figure doiuent
auoir
les atomes pour engendrer le
blanc
, le noir, &
c. & comme ils doi-
uent
eſtre diſpoſez pour reſlechir, &

pour
rompre la lumiere en telle manie-
re
que l’on voudra.
COROLLAIRE.
L’on peut voir toutes les proprietez
de
la lumiere, qui ſont expliquées dans
la
4.
queſtion ſur la Geneſe, & dans le
2
.
liure de la Muſique. Mais il faut re-
marquer
que quand ie dis que la lumie-
re
eſt inuiſible dans le foyer des miroirs
qui
bruſlent, ou en tel autre lieu que l’õ
voudra
, que cela arriue parce qu’elle ne
peut
enuoyer de rayõs àl’oeil, car elle
126108Queſtions Phyſiques, ſterile, de ſa nature, n’ayant rien que ce
qu’elle
reçoit du corps lumineux, qui
la
fait reflechir à la rencontre des corps
opaques
, de ſorte que ſi l’oeil ne ſe ren-
contre
vis à vis de la ligne droite du ra-
yon
direct, reflechy ou rompu, il ne
peut
rien voir;
& toutes & quantes-
fois
qu’il s’y rencontre, il void le Soleil,
ou
les autres corps lumineux parfaite-
ment
, ou imparfaitement, ſuiuant les
ſurfaces
brutes, ou polies qui reflechiſ-
ſent
, ou rompent les rayons.
Car l’on
peut
dire que toutes les couleurs ſont
les
tableaux, &
les images du Soleil, ou
des
autres corps lumineux:
par exem-
ple
, de la flamme des chandelles, com-
me
i’ay dit dans cette queſtion.
Or il
y
a pluſicurs autres difficultez dans la
lumiere
, dont il faudra traiter ailleurs:
par exemple, comme elle peut ſe rare-
fier
, &
ſe condenſer iuſques à l’infiny;
comment
ſon infinie puiſſance, &
ra-
diation
eſtant renfermée dans vne pe-
tite
chambre, ne la peut aſſez éclairer
pour
y pouuoir lire, nonobſtant l’infi-
nité
de reflexions qu’elle y fait:
pour-
quoy
la lumiere, ou la flamme d’vne
chandelle
paroiſt plus grande à
127109& Mathematiques. tion que l’on s’en éloigne dauantage:
ſi le feu que l’on void eſt different de
la
rarefraction de l’air, &
c.
Qvestion XXII
Quelles ſont les vertus occuites, & la ſyin-
pathie
, & antipathie, & d’où
elles
viennent.
L’On appelle ordinairement les
vertus
occultes, celles dont on
apperço@@
les effects, &
dont on ne
ſçait
pas la raiſon;
par exemple, l’on
dit
que l’Aymant attire le fer par vne
vertu
occulte, mais l’on ne ſçait pas
pourquoy
, ny comment ſe fait cette at-
traction
:
par l’on void que les ver-
tus
occultes ſe rapportent à leur effect,
qui
nous enſeigne qu’elles ſont, mais
ils
ne nous font pas connoiſtre quelles
elles
ſont.
Quant à la ſympathie, & à
l’antipathie
, dont l’vne rend deux ou
pluſieurs
choſes amies, &
l’autre enne-
mies
, elles procedent auſſi des quali-
litez
, que l’on appelle occultes;
parce
que
l’on ne ſçait pas l’origine des
128110Queſtions Phyſiques, ports, & des reſſemblances, qui ſe ren-
contrent
entre les corps, &
les eſprits.
Or ces qualitez ne viennent pas de la
diſpoſition
des aſtres, puis qu’elles ſont
differentes
dans vn meſme climat, ſur
lequel
les meſmes aſtres ont vn meſ-
me
aſpect, comme l’on remarque dans
les
plantes, dans les animaux, &

dans
les pierres de meſme eſpece,
dont
les qualitez ſont differentes, quoy
que
les aſtres les regardent eſgale-
ment
.
C’eſt pourquoy il eſt plus rai-
ſonnable
de dire qu’elles ont leur ſour-
ce
dans le different mélange des ele-
mens
, ou des atomes, dont les corps
ſont
compoſez, ou dans la quantité du
fel
, du ſouffre, &
du mercure, quiſont
les
principes ſenſibles des corps.
Mais
il
faut remarquer que ces qualitez ſont
ſeulement
occultes aux ignorans, car
les
doctes qui ſcauent l’origine des
actions
, que le vulgaire nomme ſympa-
thie
, ou antipathie, n’vſent point de ces
termes
, &
monſtrent que ce qu’on ap-
pelle
occulte, leur eſt euident:
& s’il y a
des
qualitez qu’ils ne connoiſſent pas,
ils
auouënt librement leur ignorance
en
cela.
de ſorte que l’on peut
129111& Mathematiques. que tous les hommes ſont fort ignorãs,
puis
qu ils ſont contraints d’auoüer que
pluſieurs
qualitez leurs ſont occultes,
&
qu ils ont beſoin de la ſympathie
pour
couurir leur défaur.
Car encore
que
les Chymiſtes eſſayent à perſuader
qu’ils
ſçauent la raiſon de tous les effets
de
la nature, neantmoins ſi on les preſ-
ſe
, &
qu’on leur demande pourquoy
tel
ſel, ſouffre, ou mercure a vne telle
vertu
, &
dequoy il eſt compoſé: pour-
quoy
la fecondité de la ſemĕce dépend
pluſtoſt
de l’vn des principes que d’vn
autre
:
qui a contraint les principes à ſe
meſler
auec les excremens des corps,
qu’ils
appellent, Caput mortuum, &
mil-
le
autres choſes ſemblables, l’on trouue
qu’ils
ne ſçauent rien, &
l’on eſt con-
traint
d’auoüer que l’homme n’eſt pas
capable
de ſçauoir la raisõ d’autre cho-
ſe
que de ce qu’il peut faire, ny d’autres
ſciences
, que de celles, dont il fait luy-
meſme
les principes, comme l’on peut
demonſtrer
en conſiderant les Mathe-
matiques
.
130112Queſtions Phyſiques,
Qvestion XXIII.
D’où vient le grand contentement que l’on
reçoit
, lors que l’on croit auoir trouué
quelque
nouuelle demonſtration,
ou
verité?
L’On peut conſiderer deux choſes
en
cette queſtion, à ſçauoir pour-
quoy
nous ſentons des tranſports d’vn
contentement
extraordinaire, au meſ-
me
temps que nous auons trouué quel-
que
verité, &
pourquoy ce contente-
ment
ſe paſſe tout auſſi toſt, de ſorte
qu’il
ſemble que l’on a beaucoup plus
de
contentemĕt en cerchant la verité
qu’apres
que l’on la trouuée.
Quant à
la
premiere partie, il eſt aiſé d’y ſatisfai-
re
, à raiſon que l’aquiſition des perfe-
ctions
augmente en quelque maniere
noſtre
eſtre, car puis que la connoiſſan-
ce
de la verité eſt le plus bel ornement
de
l’eſprit, &
qu’elle luy donne comme
vne
ſeconde vie, il eſt certain qu’elle
eſt
la plus grande de ſes perfections:
de
vient que la felicité des Saincts
131113& Mathematiques. ſiſte dans la parfaite connoiſſance de
Dieu
.
D’où il eſt aiſé de conclure qu’il
n’y
a nul threfor, dont la joüiſſance
puiſſe
donner autant de ſatisfaction
comme
fait la poſſeſſion d’vne verité,
lors
qu’elle récontre l eſprit d’vn hom-
me
qui priſe dauantage l’honneſteteé
quelegain
.
Car chaque veritérepre-
ſente
la beatitude, dont elle eſt vne
participartion
, &
vn rayon, ou vneima-
ge
;
& parce que nous cherchons tous
la
felicité, comme noſtre derniere fin,
&
quetoute ſorte de connoiſlance, &
de
demonſtration ſemble en eſtre vne
partie
, nous receuons vn particulier
contentemĕt
dans la poſſeſſion de cha-
que
connoiſſance, lequel a couſtume
d’eſtre
d’autant plus grand, que la ve-
rité
que nous auons acquiſe, eſt plus
rare
, plus excellente, &
plus releuée.
Mais l’autre partie me ſemble plus
difficile
, à ſçauoir pourquoy l’on a plus
de
feu, &
d’ardeur à la recherche de la
verité
, que l’on ne reçoit de plaiſir de
l’auoir
trouuée :
quoy qu’il ſoit neceſ-
ſaire
de ſçauoir ſi cela eſtveritable, auãt
que
d’ĕ rechercher laraisõ, carpuis que
l’on
n’entteprend point le trauail,
132114Queſtions Phyſiques, pourarriuer au but que l’õs’eſt propoſé,
il
ſemble que le plaiſir que l’on a d’eſtre
arriué
à ce que l’on deſiroit, doit eſtre
beaucoup
plus grãd que celuy que l’on
ſent
dans le trauail:
quoy que l’on puiſ-
ſe
dire qu’il a quelque ſorte de plaiſir
actuel
, qui ne ſe rencontre pas dans la
poſſeſſion
, à cauſe du mouuement qui
l’accompagne
, &
qui appartient à la vie
actuelle
, au lieu que la joüiſſancereſ-
ſemble
à l’habitude, &
au repos, qui eſt
preſque
insĕſible.
Et puis l’õ deſire tou-
ſiours
paſſer outre, de ſorte que les ve-
ritez
acquiſes ne ſeruent que de degrez
pour
arriuer à d’aurtes:
c’eſt pourquoy
l’on
n’en tient non plus de conte, qu’vn
homme
auare des threſors qu’il a dans
ſes
coffres, carl’homme croid que tout
luy
appartient, &
que tout a eſté fait
pour
luy:
d’où il arriue quaſi tout ce
que
nous conſiderons dans ſes actions,
&
d’où l’on peut tirer des nouuelles rai-
ſonspour
la Morale.
133115& Mathematiques.
Qvestion XXIV.
pourquoy le chriſtal, le verre, le talc, la cor-
ne
, & pluſieurs autres corps ſont-ils
dia
phanes, ou tranſparens?
CEſte difficulté eſt l’vne des plus
grandes
de toute la Philoſophie,
car
quelques raiſons que l’on apporte
pour
la perſpicuité, ou la tranſparence
des
corps diafanes, ou pour l’opacité
des
autres, il n’y en a point qui ſatisfaſ-
ſent
entieremĕt:
puis qu’il y a pluſieurs
corps
, dans leſquels l’eau &
l’air pre-
dominent
dauantage que dans le chry-
ſtal
, &
dans les autres diaphanes qui
ſont
opaques :
c’eſt pourquoy l’on ne
peut
, ce ſemble, reſpondre que la tranſ-
parence
des corps vient de l’abondan-
ce
de l’eau, ou de l’air.
Quant à la re-
ctitude
des pores, que l’on s’imagine
eſtre
vis à vis les vns des autres lors
que
la lumiere les penetre, il s’enſui-
uroit
que ces corps ſeroient percez de
part
en part, &
qu’ils auroient autant
de
trous, qu’il y a derayons qui
134116Queſtions Phyſiques, à trauers; ce quin’a nulle apparence de
verité
.
Et certes la matiere, & les
qualitez
des corps diaphanes, ſont ſi
differentes
, qu’elles nous empeſchent
de
trouuer vn principe vniforme de
leur
tranſparĕce, car ſi elle venoit d’v-
ne
parfaire mixtion, ou d’vne meſme
nature
des parties, il ſemble que l’or
deuroit
eſtre le plus diaphane de tous
les
corps:
& ſi elle v enoit de l’eau, la
glace
ſeroit plus diaphane que le chry-
ſtal
:
finalement ſi elle venoit de l’air,
les
choſes qui ſont plus rares, &
plus le-
geres
, ſeroient plus tranſparĕtes, ce qui
eſt
contraire à l’experience, car la pier-
re
ponce, le liege, &
pluſieurs autres
corps
fort legers ſont opaques;
& le
talc
, quoy que ramaſſé, &
terreſtre, eſt
diaphane
;
de ſorte qu’il ſemble que la
dureté
, la molleſſe, la peſanteur, la le-
gereté
, la froideur, la chaleur, &
toutes
les
autres qualitez ſont compatibles
auec
la tranſparence, &
l’opacité; &
que
nous n’auons nul moyen de ſçauoir
le
vray principe de l’vne, ny de l’autre;
dont il ne faur pas s’eſtonner, puis que
la
meſme choſe arriue quaſi touſiours,
lors
que nous eſſayons à trouuer la
135117& Mathematiques. ſon primitiue, & originaire des Pheno-
menes
de la nature, dautant que nous
n’eſtions
pas, quand l’on a poſé ſes fon-
demens
, &
que ſes effets ne nous mei-
nent
pas aſſez euidemment à la ſource
pour
nous conuaincre, &
pour nous
contraindre
de nous y arreſter par la
force
d’vne parfaite demonſtration.
QvestionXXV.
Le froid eſt-il ſeulement vne priuation de
la
chaieur, ou vn eſtre poſitif? ce que l’on
peut
eſtendrc à la lumicre, à l’o, nbre, & à
pluſieurs
autres choſes.
L’On peut faire la meſme queſtion
de
l’ombre à l‘égard de la lumiere,
&
de la ſeichereſſe comparée à l’humi-
dité
, car il ſemble que le froid n’eſt rieu
autre
choſe que la priuation de la cha-
leur
, comme l’ombre eſt la priuation de
la
lumiere;
car ſi toſt que la chalcur
manque
, le froid ſuccede, qui accom-
pagne
le reſtreſſiſſement, &
la con-
denſation
des corps, qui auoient eſté
rarefiez
par la chaleur.
Or eõmel
136118Queſtions Phyſiques, bre n’eſt pas vne entiere priuation de la
lumiere
, mais ſeulement d’vne plus
grande
lumiere, puis qu’elle eſt diſtin-
cte
des tenebres, qui chaſſent toute ſor-
te
de lumiere, le froid n’eſt pas auſſi
pour
l’ordinaire vne priuation de toute
ſorte
de chaleur, car il n’y a peut-eſtre
nul
corps au monde qui n’en ayt quel-
que
degré.
Mais parce que l’on ne ſçait
pas
encore quelle eſt la nature de la
chaleur
, il eſt difficile d’expliquer com-
me
arriue le froid, qui depend particu-
lierement
des vents du Septentrion:
ſurquoy l’on peut voir le traité que
V
erulamius a fait des vĕts.
De vient
que
l’obſcurité de la nature, &
l’igno-
rance
des raiſons veritables laiſſent la
liberté
de ſ’imaginer que la lumiere, la
chaleur
, &
les ſons, ou les mouuemĕs
peuuent
auſſi bien eſtre appellez priua-
tions
des tenebres, du froid, &
du ſilen-
ce
, ou du repos, comme le ſilence, le
froid
, &
l’ombre, ou les tenebres ſont
appellées
priuations du ſon, du chaud,
&
de la lumiere. Cat ſi la chaleur ſe de-
finit
, ou ſe connoiſt par la rarefactiõ, &

par
d’autres effets réels, la meſme cho-
ſe
arriue au froid, lequel on cõnoiſt pat
137119& Mathematiques. la cõdenſation, & par ſes autres effets:
& l’œil, ou l’oreille ne nous monſtrent
pas
mieux l’eſsĕce de la lumiere, &
des
ſons
, que celle de l’ombre, &
du ſilence.
Neantmoins
ie ne veux pas icy faire le
panegyrique
de l’ombre, comme a fait
Vouuerius
dans ſon iour d’Eſté, ou dans
ſon
p &
gnion, auquel il eſt aiſé d’ajouſter
pluſieurs
choſes :
quoy qu’il ſuffiſe de
lire
cet excellent Autheur, pour com-
prendre
la grande vtilité, &
la neceſſi-
des ombres, puis que c’eſt d’elles que
depĕdent
la Gnomonique, &
l’vne des
principales
parties de la Perſpectiue, de
l’Architecture
, &
de la Geodeſie.
Or encore que nous ne ſçachions pas
la
nature de la lumiere, &
que l’on ne
puiſſe
demonſtrer qu’elle eſt plus poſi-
tiue
, que l’ombre, ou les tenebres, par-
ce
que l’on n’a pas de raiſon aſſez eui-
dente
pour ioindre les deux extremi-
tez
qui doiuent entrer dans la demon-
ſtration
, neantmoins nous ſentons dans
nous-meſmes
quelque ſorte de con-
trainte
, qui nous fait croire que la cha-
leur
, &
la lumiere ſont des eſtres poſi-
tifs
, &
que leurs contraires meritent le
nom
de priuation.
L’on peut dire
138120Queſtions Phyſiques, meſme choſe de l’humidiré, àl’égard de
la
ſeichercſſe, qui ſuit neceſſairement
dans
les corps, dont on oſte l’humidité,
&
medirer ce qui ſe peut dire de l’eſtre
comparé
au neant, qui a eſté mis par
quelques
Philoſophes pour le principe
de
toutes choſes, au contraire de ceux
qui
ont tenu que nulle choſe ne ſe peut
faire
de rien, @x nihilo nibil:
ce qui peut
eſtre
veritable en vn ſens, parce que
chaque
crcature eſt tirée de l’eſtre en
puiſſance
, qui n’eſt pas vn rien, ou vn
neant
ſi abſolu, que le non eſtre, qui
n’a
pas meſme la puiſſance d’eſtre, c’eſt
à
dire qui n’enferme nulle poſſibilité, &

qui
n’a nul ordre, ou rapport à la puiſ-
ſance
de Dieu.
Qvestion XXVI.
Des inuentions & des ſecrets que l’on re-
cherche
, ou que l’on deſire dauantage
dans
les arts, & dans les ſciences.
L’On ſçait que les Chymiſtes re-
cherchent
, &
deſirent particulie-
ment
la pierre Phyſique, &
la
139121& Mathematiques. qui aille ſur le blanc, ou ſur le rouge,
pour
conuertir le mercure, le plomb, &

les
autres metaux en or, ou en argent,
&
que pour ce ſujet ils eſſayent à tirer
le
mercure du plomb pour le fixer, &

l’eſprit
, ou la teinture de l’or, dont vne
goute
puiſſe penetrer &
teindre vne
grande
quantité de vif argent, quoy
qu’ils
y perdent tout le temps qu’ils y
employent
.
Les T’einturiers chcrchent
la
pourpre des anciens, qu ils appellent
ſouuent
Murex, &
conchylium, comme
l’on
peut voir dãs les notes de Salmuth
ſur
Pancirolle;
& les Vitriers eſſayent
de
trouuer vn rouge tranſparĕr, &
vne
maniere
de teindre le verre en couleur
de
Rubi par le moyen de la poudre, ou
de
l’eſprit de l’or.
Ceux qui trauaillent
à
la Mechanique, cherchent le mou-
uement
perpetuel dans l’eau, dans les
roüës
, &
dans toutes ſortes de reſſorts,
&
la maniere de cheminer ſur l’eau ſans
enfoncer
, &
de voler en l’air. A quoy
l’on
peut adiouſter les Ingenieurs, qui
deſirent
vne place ſi biĕ fortifiée qu’el-
le
ſoit imprenable, comme eſt celle,
que
propoſe Bernard Paliſſy dans le li-
ure
qu’il a fait ſur ce ſuiet;
& les
140122Queſtions Phyſiques, tectes, qui n’ont pas encore trouué, ou
prouué
par raiſon, quel doit eſtre le ba-
ſtiment
, dans lequel l’on ne puiſſe rien
adjouſter
, ni quãt à la bcauté, ni quant
à
l’vtilité.
Ceux qui font le verre de ſalicor, &
des
autres matieres, deſirent rĕcontrer
la
maieabilité, quoi qu’elle ait couſté la
vie
à ceux qui l’auoiĕt trouuée, ſi les hi-
ſtoires
ne nous trompcnt:
finalement il
n’y
a nul art qui n’ait ſes pretenſions,
qui
ſurpaſſent touſiours l’induſtrie des
hommes
, comme il eſt ayſé de mõſtrer
par
vne longue induction, que ie laiſſe
à
ceux qui la voudront faire.
Quant aux ſciences, elles ne ſont pas
plus
parfaites que les arts, car l’on n’a
encore
peu demonſtrer ſi la quadratu-
re
du cercle eſt impoſſible, ou ſi elle
peut
eſtre trouuée:
& il y a mille pro-
blemes
qui concement la quantite cõ-
tinuë
, &
la diſcrete, dont pluſieurs
Mathematiciens
recherchent en vain
la
ſolution, parce qu’ils nc ſçauent pas
le
chemin qu’il y faut tenir.
Nul Mu-
ſicien
n’a encore trouué la maniere de
produire
les effets dont ſe vantent les
Grecs
, &
nul Catoptricien ou
141123&Mathematiques. tier n’a fait de miroirs qui ayent l’effet
de
ceux d’Archimede, ou de Proclus.
Les Dioptriciens, ou Lunettiers n’ont
peu
rencontrer de lunettes à longue
veuë
, quifaſſent voir les traits du viſa-
ſe
de 7.
ou 8. lieuës, & qui ſeruent à
lire
, ou à voir ce quieſt ſur la Lune, ou
ſur
les auttes aſtres, encore que la ſciĕ-
ce
leur enſeigne que l’õ peut repreſen
ter
vn ciron auſſi gros qu’vne maiſon,
&
vne maiſon auſli petite qu’vn ciron.
Ceux
qui deſirent ſçauoir ce que les
ancicns
ont eu dauantage que nous dãs
les
arts, &
ce que l’on a ttouué de nou-
ueau
dans nos derniers ſiecles, peuuent
lire
Pancirolle, quia fait deux volumes
ſur
ce ſujet.
Qvestion XXVII.
Combien la pierre d’ Aymant a-clle de
proprictcz
?
ENcore que nous ne puiſſions ſça-
uoir
toutes les proprietez des corps
naturels
, parce que nous ne ſçauons pas
le
principe, &
la ſource d’où elles
142124Queſtions Phyſiques, uent, ny toutes les differentes rencon-
tres
qui modifient, &
qui empeſchent,
ou
aydent leurs effects, neantmoins il
eſt
ayſé de remarquer tous les pheno-
menes
, qui nous paroiſſent dans les
corps
differens, comme iefais icy dans
la
pierre d’Aymant, qui peut eſtre con-
ſiderée
à l’égard du Ciel, vers lequel
elle
ſe tourne, ou du fer qu’elle attire.
Quant à l’égard du Ciel, toutes ſes par-
ti
es en regardent vn certain point, ce
qui
dépend de ſa conuerſion vers le po-
le
Arctique , car lors qu’on fait nager
cette
pierre ſur l’eau par le moyen du
li
ege, ou en quelqu’autre maniere, elle
tourne
l’vn de ſes coſtez vers le Septen-
trion
:
mais il eſt difficile de ſçauoir ſi ce
coſté
de la pierre eſt Meridional , ou
Septentrional
, d’autant qu’il faut frot-
ter
le bout des aiguilles du coſté qu’el-
le
tourne vers le Midy , pour les faire
tourner
vers le Septentrion, car f’il eſt
frotté
du coſté de la pierre , qui va vers
le
Septĕtrion, il ira vers le Midy.
Mais
elle
ne tourne pas touſiours l’vn de ces
coſtez
iuſtement vers le Pole, car elle
decline
tantoſt vers l Orient, &
d’au-
tresfois
vers l’Occident, ſelon qu’il y
143125& Mathematiques. vneplus grande maſſe de terre, ou plus
ou
moins de mer d’vn coſté, ou d’au-
tre
.
Ce qui arriue ſemblablement aux
aiguilles
qui en ſont touchées, &
qui
deuiennent
plus peſantes que deuant
d’vn
grain, ou enuiron, ſelon la bonté
de
la pierre, quiles touche, ſoit que ſes
eſprits
corporels s’inſinuënt dans les
pores
des aiguilles, ou qu’elle leur don-
ne
vne vertu particuliere de deſcendre
en
bas.
Or quand on les veuttoucher, il faut
choiſir
la ligne de la pierre, qui va du
Midy
au Septentrion, &
la conduire
ſelon
cette ligne par deſſus l’aiguille,
juſques
à ce que l’on ſoit au bout, ſur
lequelil
faut demeurer vn peu de tĕps,
afin
que la pierre luy communique vne
plus
grande vertu :
car encore queles
bonnes
pierres la communiquent à l’a-
cier
, &
au fer ſans les toucher, neant-
moins
il eſt meilleur de les toucher,
comme
j’ay dit.
Quant à la traction du fer, elle en ti-
re
d’autant plus peſant qu’elle eſt meil-
leure
, comme i’ay experimenté auec
vne
, qui leue 2.
fois auſſi peſant de fer
comme
elle eſt, encore qu’elle ne
144126Queſtions Phyſiques, pas armée: & l’on en rencontre quile-
uent
8.
ou io. fois auſſi peſant comme
elles
ſont.
Quand elles ſont armées,
ou
accõpagnées de 2.
petits morceaux
d’aciér
par leurs 2.
poles, elles deuien-
nent
cent fois plus fortes qu’elles n’e-
ſtoient
deuant :
ce qui eſt ſi veritable
quei’en
ay veu qui ne pcuuent quaſi le-
uer
vne petite aiguille eſtãt deſarmées,
encore
qu’elles leuent plus d’vne liure
de
fer, ſi toſt qu’elles ſont armées :

l’on
doit remarquer que la pierre, &
le
fer
n’ayant nulle force d’attirer d’autre
fer
, conçoiuent cette force parla con-
jonction
de l’vn auec l’autre, commeil
arriue
à la matiere, &
à la forme. L’vn
des
plus gentils effets de cette pierre ſe
void
lors qu’elle enleue deux ou 3.
pi-
roüettes
, que l’on fait tourner ſur vne
table
, car elle les tient en l’air, tandis
qu’elles
continuënt leur mouuement,
qui
dure 5.
ou 6. fois dauantage qu’il
n’euſt
fait ſur la table :
& ſi l’on en fait
tourner
vne autre à rebours, elle la leue
encore
, &
l’entretient dans ce mouue-
ment
contraire à celuy de la premiere:
& finalement ſi on luy preſente vn@
troiſieſme
piroüette immobile, elle
145127& Mathematiques. leue auſſi, & la fait tourner comme la
piroüette
, à l’eſſieu de laquelle elle s’at-
tache
:
mais cette derniere piroüette
continuë
ſon mouuement long temps
apres
que celle dont elle l’a reçeu, a fini
le
ſien :
ce qui eſt aſſez merueilleux.
le @aiſſe pluſieurs particularitez de cet-
te
pierre :
par exemple, queie fer qu’el-
le
aura touché en la menant d’A à B.

perd
ſa vertu d’attraction, ſi toſt que
9[Figure 9] l’on remeine l’A ymãt
de
B de à A ;
que ſi ce fer
A
B eſt leué perpendiculairement, de
ſorte
que B ſoit en haut, &
A en bas,
qu’èn
conduiſant l’éguille d’A à B, elle
ſeretourne
ſitoſt qu’elle arriue vers le
milieu
C, &
pluſieurs autres, dontie ne
veux
pas parler iuſques à ce que i’aye
verifié
les experiences de Gilbert, &
de
Cabeus
, &
que i’en aye remarqué de
nouuelles
.
Qvestion XXVIII.
Peut-on prouuer, ou confirmer les myſteres
de
la Religion Chreſtienne par les opera-
tions
, & les principes de l’ Alchymie?
PLuſieurs ſe ſont efforcez de confir-
mer
les myſteres de la
146128Queſtions Phyſiques, Chreſtienne par les operations, & par
les
principes de l’Alchymie, dont ils ſe
ſont
ſeruis pour tirer des comparaiſons,
qui
ſont meilleures, à leur aduis, pour
fair
e comprendre les articles de la Foy,
que
celles dont S.
Chry ſo ſtome & les
autres
Peres de l’Egliſe ont vſé pour le
meſme
ſujet.
De vient qu’ils ont dit
que
le ſel , ou lemercure de la nature,
qui
demeure touſiours incorruptible,
&
qui conſerue, & nourrit tous les in-
diuidus
corporels, repreſente Dieu ;
&
que
ſa chaleur naturelle, qui engendre
l
humide radical, eſt la figure du Pere,
quiengendre
le Fils ;
& finalement que
le
ſec vnit l’vn &
l’autre, comme le S.
Eſprit vnit le Pere & le Fils: de ſorte
qu’ils
croyent que ceſte premiere ma-
tiere
contient beaucoup de proprietez
de
la Trinité :
ce qu’ils confirment par
le
nom duſel, que les Hebreux appel.

lent
Mclach, qui vant 78.
lequel diuiſé
par
3.
donne le nombre 26. quieſt ſa-
cré
, à raiſon qu’il eſt ſignifié par le nom
Tetragramme
Iehoua.
A qu@y ils adjouſtent que l’eſprit du
monde
, qui deſcend du premier mobi-
le
par le Firmament, &
par les
147129& Mathematiques. tes, dont il attire la vertu, vient s’incor-
porer
auec la maſſe terreſtre, qu’il pur-
ge
de ſes imperfections en endurant la
mort
, &
en deuenant apres plus clair, &
plus
glorieux pour engendrer d’autres
indiuidus
plus excellens, &
pour pur-
ger
l’ordure des metaux imparfaicts,
afin
de les conuertir en vn or treſ-pur,
comme
le Fils de Dieu deſcend dans
les
entrailles de la Vierge, pour mourir
pour
nous, &
pour reſuſciter plus glo-
rieux
, afin de nous transformer par le
diuin
aliment de l’Euchariſtie, &
de
nous
rendre ſemblables à luy.
Ie laiſſe
ce
qu’ils diſent des operations de leur
laboratoire
, pour prouuer les 7.
Sacre-
mens
, la reſurrection des morts, &
plu-
ſieut
s autres choſes, d’autãt que ie n’e-
ſtime
pas que ces comparaiſons puiſ-
ſent
apporter plus de clarté à nos my-
ſteres
, que les comparaiſons ordinaires,
que
l’on prend de la lumiere des aſtres,
&
de la proprieté des Elemens, & des
mixtes
.
Et puis j‘ay experimenté que
pluſieurs
Chymiſtes ſe perdent telle-
ment
dans ces caprices, qu’au licu de
demeurer
dans la ſeule comparaiſon,
ils
s’imaginent que leur ſec, leur
148130Queſtions Phyſiques,& leur humide, c’eſt à dire le ſel, le ſoul-
fre
, &
le Mercure, doiuent principale-
ment
eſtre entendus par le myſtere de
la
Trinité, &
que leur agent vniuerſel
dégagé
des impuretez tant ſpecifiques,
qu
indiuiduelles eſt Dieu :
que lesim-
puretez
ſont les eſprits malins ;
& que
les
fêces, ou le Capnt mortuum.
ſont l’en-
fer
:
de ſorte qu’ils ont voulu donner vn
ſens
naturel à l’Eſcriture ſaincte, com-
meont
fait K unrath dans ſon Amphi-
teatre
, Flud dans tous ſes liures, &
plu-
ſieurs
autres, comme ſi le ſeul vray ſens
de
l’Eſcriture ne ſe deuoit entendre
que
de la poudre, ou de la pierre Phyſi-
que
, ce qu’ils diſent, &
eſſayent auec
vneimpieté
d’autant plus grande qu’ils
la
cachent auec plus d’accortiſe, &
d’a-
dreſle
ſouz le voile de la pieté.
C’eſt
pourquoy
il faut y prendre garde, &

ſuiure
en ce ſu@et la cĕſure que les Do-
cteurs
de Sorbonne ont fait des œuures
dudit
Kunrath, &
croire que la Reli-
gion
Chreſtienne n’a pas affaire de la
Chymie
pour ſa confirmation, ou pour
ſa
deffence, &
qu’elle luy nuiſt plus en
la
bouche de ceux qui cherchĕt le ſens
alchymiſte
dans les paroles de
149131& Mathematiques. dans le liu@e de Thomas à Kempis de
l’Imitation
de Ieſus-Chriſt, ou meſme
dans
les lïures Sacrez , qu’elle ne luy
ſert
, comme l’on aduoüera librement,
quand
on l’aura experimenté.
Ie ne veux pas neantmoins condam-
ner
tous les Chymiſtes, qui comparent
le
Bapteſme à la calcination, &
à la lo-
tion
, d@nt ils vſent pour épurer les mix-
tes
:
ni ceux qui trouuent de la reſſem-
blance
entre la Confirmation &
la fixa-
tion
;
entre l’Euchariſtie, & la pierre
Phyſique
:
entre la Penitence, la cal-
cination
, la putrefaction, &
la diſſolu-
tion
;
entre l’Extreme Onctiõ, & l’hui-
le
de vie, par le moyen de laquelle ils
diſent
que les metaux imparfaits ſe cõ-
uertiſlent
en or, comme ils prouuent
par
le clou du cabinet de Florĕce, qu’ils
diſent
eſtre moitié fer &
moitié or : en-
tre
les Ordres ſacrez, &
l’huile meſlé
auec
les cendres du ſel treſ-parfaict,
qu’ils
appellent le ſauon des ſages;
& fi-
nalement
entre le mariage, &
le ſoulfre
metallique
rouge, &
blanc, d’ oùils ti-
rent
leur Elixir Arabique :
parce que ie
ne
doute nullemĕt qu’il n’y en ait quel-
ques-vns
quile font à bonne
150132Queſtions Phyſiques,& qui ne prennent les operations Chy-
miques
que pour de ſimples comparai-
ſons
, &
des ombres de nos my ſteres.
Mais il n’y a pas grande apparence
des’@maginer
que l’on les puiſſe prou-
uer
, ou perſuader par cette voye, atten-
du
qu’il y a pluſieurs Caluiniſtes, Lu-
theriens
, Iuifs, Turcs, Arabes, &
c. qui
ſçauent
auſſi bien la Chymie que les
Catholiques
, quoy qu’ils ne vueillent
pas
embraſſer les 7.
Sacremens, ny les
autres
myſteres de noſtre Foy.
Or il faudroit examiner ſi Dieu a tel-
lement
compoſé la nature@ des corps,
que
leur diſſolution, &
tout ce qu’ils
peuuent
faire, ou endurer, repreſente
tout
ce qui appartient à la Religion
Chreſtienne
:
car il n’y a nul doute qu’il
l’a
peu faire ;
mais il n y a pas moyen de
connoiſtre
s’il l’a fait, s’il ne le reuele,
parce
que nous ne ſçauõs pas la manie-
re
qu’il a tenuë à la compoſition.
& à
l’arrengement
des parties du monde,
&
de chaque indiuidu.
151133& Mathematiques.
COROLLAIRE.
De la Cenſure de la Sorbonne, contre le
liure
de Kunrath.
I’ay creu que ceux qui reſpectent la
Sacrée
Faculté de la Sorbonne ſeront
bien
ayſes deconſiderer le iugement,
&
la cenſure qu’elle a fait de l’Amphi-
teatre
de Henri Kunrath, &
que l’on
connoiſtra
par cet aduis en quoy peſ-
chentles
liures de Chymie, c’eſtpour-
quoy
ie le metsicy.
La Sacrée Faculté de la Theologie de Paris,
à
tous les Cathθliques.
PViſque l’Apoſtre nous enjoint d’é-
prouuer
toutes choſes, &
derete-
nir
ce qui eſt bon, ayant apperceu que
depuis
quelques mois les Catholiqucs
ont
vn certain liurc treſ-pcrnicieux en-
tre
les mains, dans lequel il y a premie-
rement
quelques figures, &
puis plu-
ſieurs
explicatiõs de diuers paflàges de
la
ſaincte Eſcriture diſpoſées par
152134Queſtions Phyſiques, degrez, & finalement quelques corol-
laires
, &
dont le tiltrceſt, l’ Amphil. @@re
Chriſtianocabaliſtique
Dinincmog que,
Phyſico
chymique, Tertriun-c, de
la
ſageſſe eternelle ſ@ule veriteble, par Honri
Kunrath
de Lipſe, amaicur ſidille de la Thco-
ſopbie
, &
Doctenrd: l’vne, & l’artre Mc-
decine
:
La ſuſdite Faculté de Theologie
ayantleu
exacte ment, &
examiné le li-
ure
entier par quelques Docteurs qu’el-
le
a ſpecialement deputcz pource ſu-
iet
, a iugé que les explications eſtant
priſes
à la lettre, &
tous les corollaires
pris
cõmeils ſont, auecle liure meſme,
doiuent
eſtre condamnés, particuliere-
ment
parce qu’eſtant remply d’impie-
tez
, d’erreurs, &
d’hereſies, & d’vne
perpetuelle
profanation ſacrilege des
paſſages
de la ſaincte Eſcriture, il abuſe
des
plus ſaints my ſteres de la Religion
Catholique
, &
conduitles lecteurs aux
arts
deffendus, &
abominables. C’eſt
pourquoy
elle aiugé qu’vn liure ſi con-
tagieux
ne peut eſtreleu, ny expoſé en
public
ſans perte de la Foy, de la Reli-
gion
, &
de la pieté.
Fait à Paris dans noſtrc aſſemblée ge-
neralle
, celebrée ſolemnellement
153135& Mathematiques. College de Sorbonne, l’an de noſtre
Seigneur
1625.
le I. iour de Mars.
Parle commandement de Monſieur
le
Doyen, &
des Maiſtres de ladite Sa-
crée
Faculté de la Theologie de Paris.
Ph. Bouuot.
Qvestion XXIX.
Puis qu’ileſt certain que le Soleil a beaucoup
de
taches, ou de macules, & de facu-
les
, qu’en peut-on inferer?
ILn’eſt pas beſoin de prouuer qu’ily
a
pluſieurs macules dans le Soleil,
puis
qu’ily a peu de perſonmes ſtudieu-
ſes
qui ne les ayĕt obſeruées, ceſt pour-
quoy
i’explique ſeulement icy leurs
proprietez
, &
l’vtilité que l’on en peut
tirer
, ſuiuant la ſpeculation de Schei-
ner
, quia remarqué dans la 580.
page
de
ſon Soleil, que ſon diametteluy a
ſouuent
paru de 51.
d’où il infere qu’il
eſt
éloigné de la terre de 87.
deſes dia-
metres
:
& d’autrefois il a veu ſon dia-
metre
de 55’.
à ſcauoir le 19. du mois
d’Octobre
de l’an 1626.
& de 56’.
154136Queſtions Phyſiques, ſuiuantle 23. de Septembre. Oril eſt
certain
queles macules, quiparoiſſent
dans
le So’leil, ſont d’autant plus gran-
des
, qu’il paroiſt plus grand, &
qu’il eſt
plus
éloigné de nous.
Mais aſin de ſça-
uoir
leur grandeur aſſez preciſément,
il
faut ſuppoſer que le rayon, ou le de-
midiametre
de la terreeſt de 860.
lieuës
d’Allemagne
, dont chacune eſt com-
poſée
de 4000.
pas Geometriques, &
conſequemment
que ſon circuit eſt de
5403
{2152/4000} licuës, c’eſt à dire que le tour
dela
terre a 21614152.
pas Geometri-
ques
&
demidi@metre 3440000, Et
puis
il faut ſupoſer que le demidiame-
tre
du Soleil a 4602 {16119/4000} lieues, &
ſa cir-
conference
28920 {362/4000} Cecy eſtant po-
ſé
:
il a remarqué pluſieurs macules, dõt
les
vnes ſont ſi grandes que leur diame-
tre
eſtau demidiametre du Soleil, com-
me
1.
à 10. ou à 7. & conſequemment
elles
ont 660.
licuës de grandeur. Ily
en
a d’autres qui ſu@paſſent la grandeur
de
l Europe, ou de l’ Afrique, encore
que
l’on ſuppoſe ſeulemĕt la grandeur,
&
l’éloignement que Tycho donne au
So
l@il, &
quele, Jiamotre de la terre ſoit
à
celuy du Soleil, comme 1.
à 12. ou à 13.
155137& Mathematiques.
Il en remarque d’autres qui ſont
plus
grandes que laterre, car ellesont
2410
.
lieuës en diametre, mais elles ſe
font
de pluſieurs petites macules, qui
s’amaſſent
peu à peu enſemble, de ſor-
te
que le Soleil eſt touſiours meſlé de
tene
bres;
d’où il conclud que l Eclyp-
ſe
du Soleil, qui arriua à la Paſſion de
noſtre
Seigneur, ſe fiſt par l’entremiſe
d’vne
grande quantitè de ces macules,
puis
que la Lune ne peut nous larendre
vniuerſelle
comme elle fut.
Or ces
macules
paroiſſent ſouuent 13.
iours ou
e
nuiron dans le Soleil, &
conſequem-
ment
font leur tour en 26.
ou 27. iours,
plus
ou moins:
mais elles ne font nul
parallaxe
, d’où l’on conclud qu’elles le
touchent
&
parce qu’elles ſ’cuanoüiſ-
ſent
, &
diſparoiſſent ſouuent dans le
milieu
du Soleil, il eſt difficilo de iuger
quelle
eſt leur matiere, ſi l’on ne dit
qu’elles
ſont des nuës, qui ſ’éleuent du
corps
du Soleil, comme celles de la ter-
re
, car elles vont quelquesfois en ſe
groſſiſſant
, &
d’autresfois en ſe dimi-
nuant
depuis l’vn des bords du Soleil
iuſques
à l’autre;
& d’obſcures elles de-
uiennent
claires cõme des
156138Queſtions Phyſiques, apres qu’elles ſe ſont terminées en fu-
mée
.
car le Soleil eſt comme vn grand
braſier
, qui les enſlamme, ſi toſt qu’el-
les
ſont aſſez rarefiées.
Mais il fautre-
marquer
que les facules, ou flambeaux
du
Soleil ſe conuertiſſent auſſi bien en
macules
, que les macules en facules &

que
les vnes ſuccedentaux autres, ou
qu’elles
ſe meſlent ſouuent enſemble:
& finalement qu’elles commencent
touſiours
à l’horizon de l’Orient du So-
leil
, &
finiſſent à l’horizõ de l’Occidĕt.
L’on peut encore dire que ces macu-
les
ſe tournent quelquefois en Come-
tes
, &
que la Comete de l’an 1618. &
les
autres eſtoient des macules ſorties
du
Solcil:
quoy que toutes ces obſer-
uations
ne prcuuent pas aſſez euidem-
ment
que le Soleil ſoit corruptible, &

qu’il
reçoiue des alterations, comme
la
terre, &
particulierement comme le
mont
V eſuue, pour obliger les hõmes
à
embraſſer cette opinion, car Claude
Berigard
maintient que l’on peutenco-
re
retenir l’incorruptibilité, &
meſme
la
ſolidité des cieux, dans le liure qu’il
a
fait contre les Dialogues de Gali-
lee
du mouuement de la terre.
157139& Mathematiques.
COROLLAIRE.
Ileſtayſé de verifier les obſeruations
&
les experiences des macules du So-
leil
, parce que Malaperta dõné les ob-
ſeruations
qu’il en a faites depuis l’an
1618
.
juſques à 1627. dans le liure qu’il
intitule
Heliocyclia, en meſme temps
que
Scheiner a donné les ſiennes dans
ſa
R oſe V rſine, car celuy-cy les a obſer-
uées
à Ingolſtad, &
à Rome, & celuy-
la
à Arras, il m’a fait voir ſes inſtru-
mens
, &
la maniere dont il a obſerué
les
macules.
Qvestion XXX.
Quelle vtilité peut-on tirer des lunettes de
longue
veuë pour les ſciences,
& pour la vie?
IL faut premieremĕt remarquer que
les
lunettes ſont faites de verre, ou
de
chryſtal, &
qu’elles groſſiſſent, ou
diminuent
les objects;
elles les groſſiſ-
ſent
, quand les verres ſont
158140Queſtions Phyſiques, d’vn coſté, & plats de l’autre, ou qu’ils
ſont
conuexes des deux coſtez:
mais
elles
les diminuënt, lors que les verres
ſont
creux ou concaues d’vn, ou deux
coſtez
.
Or auant que de parler des lu-
nettes
de longue veuë, dont on rappor-
te
l’inuencion à Galilée, ou aux Hol-
landois
, ou à quelques autres plus an-
ciens
, il faut remarquer en ſecond lieu
que
les verres creux ſeruent à ceux qui
ont
la veuë courte, d’autant que leur
humeur
chry ſtallin fait la portion d’v-
ne
ſi petite Sphere, qu’il r’acourcit trop
le
cone des rayons viſuels, de ſorte qu’il
ne
peut arriuer iuſques à la retine, qui
en
doit eſtre pcinte diſtinctement pour
nous
faire voir.
Et parce que ce racourciſſement de
la
pointe du cone eſt plus grand, quand
il
vient des objects éloignez, il faut ap-
pliquer
le verre concaue à l’œil, aſin
d’allonger
ladite pointe, iuſques à ce
qu’elle
arriue diſtinctement à la retine:
quoy que l’on n’en ayt pas beſoin, lors
que
les objects sõt proches, parce qu’ils
font
la pointe du cone aſſez longue.
Mais il faut autant de differentcs lu-
nettes
creuſes, comme il ſe
159141& Mathematiques. de differents cõuexes dans les humeurs
chryſtalins
, &
de differens éloignemĕs
deſdits
chryſtalins iuſques au fond de
la
retine:
& l’on experimente touſiours
que
la differente concauité, ou conue-
xité
des verres a des effets differens, tãt
pour
l’œil que pour la lumiere:
c’eſt
pourquoy
chacun peutiuger de la figu-
re
de l’humeur chryſtalin qu’il a dans
l’vn
, ou l’autre œil, dans leſquels il eſt
le
plus ſouuent different, de vient
ſouuent
que l’on void mieux d’vn œil,
que
de l’autre.
En troiſieſme lieu, il faut dire toutle
contraire
de ceux qui ont leur chryſta-
lin
ſi plat, ou ſi peu courbe, ou fait d’v-
ne
ſi grande portion de ſphere, qu’il al-
longe
trop le cone de la pyramide ra-
dieuſe
, car ils doiuent vſer de verres
d’autant
plus conuexes, qu’ils ont ledit
chry
ſtalin moins conuexe.
Cecy eſtant poſé, ie dis que les lunet-
tes
de lõgue veuë ſont compoſees d’vn
verre
conuexe, que l’on met au bout
du
tuyau, qui regarde l’object, &
d’vn
concan
e, que l’on applique à l’œil, &

qu’elles
groſſiſſent d’autant plus l’ob-
je
ct que la portion du conuexe eſt
160142Queſtions Phyſiques, ſur vne plus grande ſphere, & celle du
concaue
ſur vne moindre.
Delà vicnt
qu’il
faut faire les tuyaux d’autant plus
longs
que leſdits conuexes approchent
dauantage
d’vn plan droit, &
d’autant
plus
courte, que la pottion de lcurs ver-
res
conuexes eſt priſe d’vne moindre
ſphere
.
Or ces lunettes ſeruent premieremĕt
pour
connoiſtre ce qui eſt, ou ce quiſe
fait
à vne, ou deux lieuës, d’où l’on eſt,
quand
elles ſont bõnes, &
conſequem-
ment
elles peuuent ſuppléer le chemin
qu’il
faudroit faire pour ſçauoir la meſ-
me
choſe, &
aydent à éu@ter vneinfi-
nité
de dangers, &
de mauuaiſes ren-
contres
:
mais il faut d’autant plus ac-
courcir
les lunettes, que l’on a la veuë
plus
courte:
delà viĕt qu’elles ont quaſi
aurant
de differents points comme il
y
a de differens chryſtalins.
En deuxieſme lieu, elles ſeruent pour
remarquer
pluſieurs choſes dans les
aſtres
, que l’on ne peut voir ſans leur
ayde
, comme l’on experimente aux
I
nacules du Soleil, donti’ay parlé dans
la
queſtion precedente, car quand on
applique
les lunettes au trou que
161143& Mathematiques. fait dans la feneſtre d’vne chambre,
quin’a
nulle lumiere d’ailleuts, &
que
l’on
éloigne vne charte blãche du ver-
re
concaue, iuſques à ce que l’on voye
diſtinctement
la repreſentation, ou l’i-
mage
du Soleil ſur ladite charte, l’õ re-
marqueavſément
la multitude, la figu-
re
, &
la grandeur des macules, qui ſont
quelquefois
en grand nombre, &
d’au-
trefois
il y en a peu, ouil n’en paroiſt
point
du tout.
Troiſiémement, elles monſtrent que
lc
Soleil eſt plus proche de la terre à
l’Hyuer
, qu’à l’Eſté, car la meſme lu-
nette
fait paroiſtre ſon image beau-
coup
plus grande dans le ſigne du Ca-
pricorne
, que dans celuy del Ecreuiſ-
ſe
, delà vient qu’il faut vn peu ſacour-
cirà
l’Eſté, car elle doit eſtre plus lon-
gue
pour voir diſtinctementles obiects
qui
ſont plus proches, &
plus courte
quand
ils ſont plus éloignez:
d’oùil ar-
riue
que l’on doit plus éloigner la char-
te
de la lunette à l´Hyuer, qu’à l’Eſté,
pour
voir également ce que l’on veut
remarquer
.
Finalement elles ſeruen@
pour
remarquer le Croiſsãt, le decours,
&
les autres apparences de V enus, qui
162144Queſtions phyſiques, imite toutes les figures de la Lune;
pour découurir pluſieurs nouuelles
Eſtoiles
, que l’on ne peut apperceuoir
auec
les yeux, pour en remarquer les
diametres
, &
pour pluſieurs autres cho.
ſes
, qui meritent vn traité particulier,
ſans
lequel on ne peut expliquer aſſcz
clairement
tous les differents effets des.

lunettes
compoſées de deux ou plu-
ſieurs
conuexes, &
concaues, quiren-
dentles
rayons paralleles, &
concur-
rents
, &
qu’ils écartent quandils con-
current
, ou qu’ils ſont patalleles, com.

me
il arriue aux miroirs.
Qvestion XXXI.
Peut-on trouuer en France de la matiere pour
entretenir
le feu, & pour ſe chauffer ſans
vſer
de bois? & peut-on faire du ſalpe-
ſtre
par artiſice?
IL eſt certain que l’on vſe de mottes,
ou
de gazõs de terre enHollãde, que
l’on
appelle tourbes, &
de la Hθüille au
pays
du Liege, pour faire du feu, &

pour
ſe chauffer:
cette Hoüille eſt
163145& Mathematiques. eſpece de charbon de terre que l’on ti-
re
des mines treſ-profondes, &
quieſt
ſemblable
à l’écume du fer.
Or l’on a
vnegrande
quantité de terres en Fran-
ce
, quiſont propres à bruſler, &
qui
ſont
proches des riuieres;
qui peuuent
eſtre
trauaillées depuis le commence-
ment
d’Apuril juſques à la ſainct Mar-
tin
.
Etelles peuuent ſuppléer aux fo-
reſts
, dent la couppe, &
la degradation
apporte
de grandes pertes, comme a
monſtré
le ſieur de Lamberuille, qui
donneles
moyĕs de ſe ſeruir des Abyſ-
mes
, Croullieres, &
Mollieres, qui
vienne
nt des Tourbieres, dans ſes diſ-
cours
Politiques.
Certainements’il y
a
aſſez de cette terre propre à bruſler, &

à
chauffer toutes ſortes de fourneaux,
ſur
les ruiſſeaux, &
les petites riuieres,
qui
deſcendent dans les grandes riuie-
res
de France, &
ſi elle eſt plus propro
quele
bois à faire cuire tout ce que l’on
veut
, il faudroit reſeruer le bois pour
baſtir
, &
pour meubler les maiſons, &
pour
tous les autres vſages de la Me-
chanique
;
or il maintient qu’il yen 2
aſſez
proche d’Aultre, Canche, Thare,
Therin
, Nounete, Aiſe, Leyt, &
Lyane
164146Queſtions Phyſiques, qui deſcendent dans la Somme, & pro.
che des riuieres & ruiſſeaux qui en-
trent
dans la Seine, à ſçauoir, Aube,
Aubete
, Orſe, Creuſe, Legnes, Arſe,
Lozain
, Voire, Amane, Auſon, Lui-
ſtre
, Barſan, Arduſſon, Sorme, Doruin,
Yonne
, Senin, Armanſon, Serain, Cu-
re
, Couſin, Oſerain, Loze, Sault, Vil-
lenoce
, Lamboye, Vannes, Loin, du
Biez
, Durtan, la Iuyne, Yrre, Loet,
Orge
, Remande, Yuete, Marne, Sui-
ze
, Vennory, Sault, Roignon, Blaiſe,
Ourc
, Morin, Bieure, Crouſt, Oyſe
Somme
, Aine, Vele, Bione, Tourbe,
Valie
, Ardilie, Nore, Epte, Vegre,
Blaiſe
, Hadre, Iton, Andele, Olne,
Oudon
, Eure, Drome, Vire, la Done,
Ardre
, Burd, Yue, Rille, Somme.
Ie veux encore mettre les ruiſſeaux
qui
deſcendent dans la Loire, dans le
Roſne
, dans la Garonne, &
dans la
Charante
, afin que l’on admire la dili-
gence
de cet Autheur.
Dans la Loire, Colence, Dolizon,
Borne
, Cheneualet, Veſiſſe, Anſe, Li-
gnon
, De, Argent, Or, Eſcu, Iſable,
Vs
, Coyſe, Donzi, Verneſan, Neiron-
de
, Soruin, Renaiſon, Reconſe,
165147& Mathematiques. Alier, Alamon, Sumare, Thieure, la
Iordane
, la Sole, Drogne, Bedac, Do-
re
, Chiſſon, Iolare, Vrile, Oeuf, Loiret,
Cire
, le Brãle, le Cher, Auuron, Theol.
Yeure, Naon, le Sauldre, petite Saul-
dre
, Poſo, Indre, Eſchandron, Indrois,
la
Diue, Theoret, le Thon, Briaude,
Buſſe
, Laution, le Layon, Oudon, Se.

nure
, le Latan, Litome, Mayene, Vo-
lon
, Satte, la Vigne, Aigre, Aurule,
Eidre
, Huyne, Beuuron, Cuſſon, Vie-
ne
, Creuſe, la Crauſe, petite Crauſe,
la
Gartampe, Vincon, la Baſile, la Vi-
gnane
, Taurion, Aurance, Brance,
Goere
, le Clan, la Vone, la Cloere,
Moiſlan
, Thoe, Tyrõ, Muſſuue, Braye,
Ardre
, la Vilaine, Aouſt, Blauet, Oder,
Rance
, Minete, Coeſnon, les Conies.
Dans le Roſne, Ain, Saune, Vencel-
le
, la Tylle, Beſne, Ouſche, Suſon, Na-
uigenne
, Therin, Burſure, le Doux,
Grone
, Pianete, Mourgon, Aſergue,
Saene
, le Garon, Giers, la Gere, Bar,
Salize
, Clomar, Furan, le Dorbe, la
Canée
, Caniſe, Dome, Liſere, Ayre,
Grye
, Drac, Die, Achaſſe, la Ruſſe, la
Durance
, Ozon, Charny.
Dans la Garonne, Baiſe, Ciron,
166148Queſtions phyſiques, rod, Ladour, le Luis, le Gaue, Ourth,
Oleron
, le Nes, Oſſeau, Aſpe, le Vert,
Haum
, Vidoux, Bidouſe, le Nine, le
Salar
, la Creſte, la Riege, le Gers, Hi-
cis
, Salat, Aigue la Vaul, la Sane, le
Tarn
, Taſcon, la Drot, Dordoigne,
Gironde
, la Somme, Leyre, Lers, le
Lot
, Liſle, la Drone, Agouſt, Dauey-
ron
, la Lous, la Douce, Mydon, le
Nibe
.
Dansla Charante, la Peruſe, Argent,
Or
, Son, Sonnete, la Bõnuyre, la Tar-
doere
, les Gaues, de Rancogne, le
Gaue
, Churet, Toulure, Anguyene,
la
Noere, la Boeme, le Ne, Suyne,
Cheſboulonne
, Indre, Gironde, la Se-
pure
, Aultize, la Vandeze.
Ce qui pcut ſeruir à ceux qui pren-
dront
la peine de cheminer au long de
ce
s riuieres, pour ſçauoir le nom des
ruiſſeaux
quel’on rencontre, &
pour
éprouuer
s’il ſe trouue des Tourbes
propres
à faire dufeu dans tous ces en-
droits
.
Le ſieur Guillain a auſſi propoſé la
maniere
de faire tant de ſalpeſtre que
l’on
voudra, par le moyen de l’vrine, &

des
auttes excremens des cheuaux, &
167149& Mathematiques. dela cendre qui a deſia ſeruià la leſſiue;
d’où l’on peut tirer pluſieurs vtilitez,
tant
pout la poudre à canon, que pour
faire
de l’eau ſalpeſtrée, qui ne gele ia-
mais
, encore qu’elle rafraichiſſe dauã-
tage
quela glace, &
pourtirer pluſieurs
medecines
qui ſe peuuent faire de ſa
fleur
, qui ne vaut plus rien, quandleſel
en
eſt oſté.
Or cette fleur ſert à faire
vcgeter
la terre, &
à l’engraiſſer, & cõ-
ucrtit
le ciment envne ſemblable fleur.

A
quoy il adjouſte quelaroſée deMay,
&
de Septembre engendre du poiſſon
dans
l’eau morte, ſil’on prend des ga-
zons
couuerts d’herbe, &
remplis de
roſée
, &
que l’on les mette ſur des ba-
ſtons
, ou des clayes, l’herbe en bas, car
la
roſée quitombera dans l’eau engen-
drera
des poiſſons, dont l’experience
eſt
ſi ayſée à faire aux lieux l’on a de
l’eau
morte, qu’il vaut mieux la faire,
que
d’ĕrechercher la raiſon auant que
d
on ſçauoir la verité.
COROLLAIRE
L’on trouuera pluſieurs choſes excel-
lentes
de l’eau, &
duſel, quiſeruent
168150Queſtions phyſiques, la generation des poiſſons, & detoutes
les
autres choſes dans les traitez que
Paliſſy
en a faits, car ils ſont pleins de
rares
experiences.
Qvestion XXXII
Sile ſel engraiſſe la terre, pourquoy les on-
ciens
ont-ils fait paroiſtre la malcdiction
qu’il
luy donnoient en ſemant du ſeldeſ-
ſus
pour la rendre ſterile?
L’Experience de la marne, & dufu-
mier
fait voir que leur ſel engraiſ-
ſela
terre, &
qu´ils ſonr inutiles à cet
effet
, lors qu’ils en ſont dépoüillez, cõ-
me
enſeigne Paliſſy dans ſon traité de
la
marne, &
du fumier, qu’il appelle le
threſor
des champs.
Or la matne eſt
vne
terre argilleuſe, quiſe tourne ſou-
ue
nt en pierrespropres à eſtre calcinees
&
en craye: elle ſert 10. ou trcnte ans
à
engraiſſer la terre, lors qu’elle a eſté
diſſoute
par ia pluye, qui tire l’eau de la
marne
, qu’iiappelle congelatiue, gene-
ratiue
, &
cinquieſme Element, quine
s’éuapore
pas comme l’eau
169151& Mathematiques. qui luy ſert de vehicule; elle engen-
dre
auſſi les écailles des poiſſons, les os,
les
pierres, &
tout ce qui eſt dur dans
les
plantes, &
dans les animaux. C’eſt
elle
qui congele les liqueurs, &
qui ſe
diſſout
, quandla pluye tombe deſſus la
marne
, pour engraiſſer la terre:
ce qui
arriueroit
à toute ſortes de pierres, ſila
pluye
les pouuoit diſſoudre pour en
porter
le cinquieſme Element aux ra-
cines
des plantes.
L’on peut auſſi vſer de l’argille au lieu
de
la marne pout engraiſſer les terres,
comme
les foulons en vſent pour de-
greſſer
leurs draps:
finalement le ſel
de
toutes ſortes de plantes a couſtume
de
rendre la terre plus feconde, de ſor-
te
qu’il faut, ce ſemble, reſpondre à la
difficulté
du ſel qu’ Abimelec feiſt jet-
ter
dans Sichen, &
que pluſieurs ont
fait
ietter en d’autres endroits de la ter-
r
e, qu’ils ont voulu rendre ſterile, que
le
ſel commun eſt trop cauſtique, &

bruſlant
, &
conſequemment qu’il con-
ſomme
l’humide radical, le ſel naturel,
ou
la partie oleagineuſe de la terre, qui
contribuë
dauantage aux generations
des
indiuidus que les auttes parties.
170152Queſtions phyſiques,
Or ceux qui croyent que la dureté
des
corps vient du ſel, ou de l’eau con-
gelatiue
, qui eſt dans l´eau commune,
diſent
que le fer, ou l’acier que l’on trĕ-
pe
dans les forges pour l’endurcir, tire
le
ſel des liqueurs, dans leſquelles on
let
rempe, &
que c’eſt pour ce ſuiet que
l’on
meſle du verre broyé, du vinaigre,
du
ſel, &
c. parmi l’eau de la trempe, &
nient
que la marne, &
l’argille ſoient
oleagineuſes
, d’autãt qu’elles ſont ſeu-
lement
pateuſes, comme la farine mé-
lée
auec de l’eau.
Mais quoy que l’on
puiſſe
s’imaginer pour expliquer la ma-
niere
dont ſe fait la generation des in-
diuidus
par le moyĕ de la marne, &
des
autres
choſes qui engraiſſent la terre.
il
eſt
fort difficile d’en expliquer les
actions
, &
les circonſtances particulie-
res
:
& la plus grande difficulté demeu-
re
touſiours, à ſçauoir ce quirend cct
cau
plus cõgelatiue que les autres par-
ties
qui s’exalent;
d’où vient l’acrimo-
nic
, &
la fecondité du ſel, puis qu’il ſe
peutencore
reſoudre en d’autres par-.
ties, & en d’autres principes, ſi cc n’eſt
que
l’on die que les premiers principes
que
Dieu feiſt au commencement
171153& Mathematiques. monde ayent eſté le ſel, le ſoulphre &
le
mercure, &
que ces trois pieces de
chaque
compoſé ne puiſlent eſtre diui-
ſées
, oureíoluës en d’autres principes:
ce que les Peripateticiens n’auoüeront
pas
, puis qu’ils reſoluent toutes les cho-
ſes
corporelles en forme &
en matiere,
dont
l’vne, &
l’autre eſtinuiſible, & in-
diuiſible
, puis que la viſibilité vient de
la
couleur, ou de la lumiere, &
la diui-
ſibilité
de la quantité, qui ne ſont pas
neceſſaire
à l’eſſence de ladite forme,
ou
de la matiere.
COROLLAIRE.
Le ſel peut rendre la terre ſterile, par-
ce
qu’il empeſche les corruptions or-
dinaires
, qui ſe font dans ſa ſurface, car
la
generation n’ariue pas ſans la cor-
ruption
:
Mais le diſcours des ſels meri-
te
vn traité particulier, puis qu’il y a
autant
de diſſerence de ſels, qu’il y a
de
differĕtes eſpeces de mixtes:
ce que
l’on
peut auſſi dire des differents ſoml-
phres
, &
mercures.
172154Queſtions Phyſiques,
Qvestion XXXIII.
A quoy ſeruent les raiſons, & les propor-
iions
de la Geometrie? l’on void la
quadrature
de la Parabole.
CEux qui ſe contentent de ſçauoir
le
nom, &
la ſigniſication des rai-
ſons
, &
des proportions, ne croyent pas
que
l’on en puiſſe tirer de grandes vtili-
tez
, c’eſt pourquoy ils les negligent-
mais
s’ils conſiderent que la plus excel-
lĕte
partie de la Logique d’Atiſtote dé-
pend
de ces raiſons, &
que l’on ne ſçau-
roit
entĕdre ou expliquer aucune cho-
ſe
parfaictement ſans leur aide, comme
il
eſt ayſé de prouuer par toutes les par-
ties
de la Philoſophie, ils quitteron@
leur
opinion.
Or encore que la diui-
ſion
, &
la compoſition des raiſons, &
que
les differentes analogies, ou pro-
portions
ſeruent plus ſonuent à la Geo-
metrie
, qu’aux autres parties de la Phy-
ſique
, elles ſont neãtmoins treſ-neceſ-
ſaires
pour cntendre la proportion des
mouuemens
naturels, &
des
173155& Mathematiques. commeie monſtreray dans vn diſcours
particulier
, dans lequel i’expliqueray
la
propottion des viſteſſes de la picrre,
ou
des auttes corps qui deſcĕdent vers
le
centre de la terre, ſoit dans l’air, ou
dans
l’eau.
Elles ſerucnt auſſi pour la perſpecti-
ue
, &
pour toutes les parties de l’Opti-
que
:
& ceux qui ſuiuent l’égalité des
tons
, &
des demitons dans la Muſique,
ſont
contraints de trouuer 11.
lignes
moyennes
proportionnelles entre les
2
.
qui font l’octaue, dont i’explique
l’inuention
dans le traité du Luth, &

dans
celuy du diapaſon des Orgues.
Fi-
nalement
les Mechaniques ne peuuent
eſtre
entenduës ſans les raiſons, &
les
proportiõs
, dont i’ay traité fort ample-
ment
dans vn @@uie entier:
Mais il faut
ſçauoir
le 5.
liure des Elemens d Eucli-
de
pour les entendre en perſection.
I’a-
jo
uſte ſeulementicy l’vtilité de ces rai-
ſons
, qu’Archimede a demonſtrées en
quarrant
la parabole, dont l’vne eſt que
ſi
l’on décrit vne ligne perpendiculaire
à
la baſe de la ſection parabolique, par
le
milicu de ladite baſe, &
vne autre pat
le
milieu du reſte de la baſe, c’eſt à
174156Queſtions Phyſiques, par le quart de la baſe, iuſques à la ſe-
ctiõ
, la plus grande ligne eſt ſeſquitier-
ce
de la moindre, par la 19.
propoſition:
La
2.
vtilité ſe prend du triangle inſcrit
dans
ladite ſection, (qu’il appelle por-
tion
compriſe ſouz vne ligne droite, &

ſouz
la ſection d’vn conerectangle) qui
a
la meſme baſe, &
la meſme hauteur
que
ladite ſection, lequel eſt octuple
des
2.
triangles, qui ſont inſcripts dans
les
2.
petites portions de la ſection qu’il
laiſſe
à ſes 2.
coſtez: Et chacun de ſes
triangles
eſt octuple des 2.
autres, que
l’on
décrit dans les 2.
petites portions
qu’ils
laiſſent à leurs coſtez:
ce qui arri-
ue
à tous les autres petits triangles que
l’on
peut décrire dans les petites por-
tiõs
, quireſtent touſiours juſques à l’in-
ſini
, comme il demonſtre dans la 21.
propoſition. La 3. vtilité eſt, que ledit
triangle
dècrit dans la ſection parabo-
lique
eſt ſouzſeſquitierce de ladite ſe-
ction
, par la 24.
prop. & que ſi l’on prĕd
tant
de grandeurs que l’on voudra, qui
ſe
ſuiuent en raiſon quadruple, qu’eſtãt
adjouſtées
auec le tiers de la moindre,
e
lles ſont ſeſquitierces de la plus grãde,
cõme
l’on void dans ces 4 nõbres 3.
12.
175157& Mathematiques. 48. 192. car l’vnité, qui eſt le tiers de 3.
adjouſtée à la ſomme de ces 4. nõbres,
fait
256.
qui eſt ſeſquitierce de 192. L’õ
trouue
quaſi la meſme choſe dans le
tiers
du quart, car ſi on les adiouſte en-
ſemble
, ils font le tiers du total;
par
exĕple
, l’vnité qui eſt le tiers du quart
de
12.
c’eſt à dire de 3. adiouſtee à 3. fait
4
.
quieſt {1/3} de 12. ce qui peut ſeruir aux
Muſiciens
pour l’interualle, oula rai-
ſon
du Diateſſaron, qu’ils appellent la
Quarte
, car cette raiſon, &
ce tiers ont
ſerui
à Archimede pour la quadrature
de
la parabole, laquelle il a trouuée en
ſuppoſant
que l’õ peut tellemĕt adiou-
ſter
, ou cõpoſer l’eſpace, dont le plus
grãd
ſurpaſſe le moindre, qu’il ſera plus
grand
que tout autre eſpace dõné, dont
le
s autres Geometres plus anciĕs qu’ Ar-
chimede
ont ſemblablement vſé pour
demonſtrer
que tous les cercles ſont en
raiſon
doublée, &
les ſpheres en raiſon
triplée
de leurs diametres:
que toutes
les
pyramides ſont le tiers du priſme,
quia
la meſme baſe, &
la meſme hau-
teur
:
& que tout cone eſt le tiers du cy-
lindre
, qui a meſme baſe, &
meſme
hauteur
.
176158Queſtions Phyſiques,
Qvestion XXXIV.
Quelles raiſons a-t’on pour prouuer, & pour
perſuader
le mouucment de laterre,
autour
de ſon axc, dans l’eſpace
de
vingt-quatre heures?
LA premiere raiſon dõt on vſe pour
prouuer
que la terre ſe meut, &

qu’elle
fait chaque @our ſon tour en-
tier
, ſe prend de ce qu’il n’y a nulle ap-
parcnce
que toute la grande machine
de
l’vniuers ſe remuë, &
que le ſirma-
mĕt
, ou les eſtoiles facent chaque iout
6000
.
licuës, ce qui ſemble incompre-
henſible
:
au lieu que ſi la terre ſe meut,
elle
fait ſeulemĕt 7200.
lieuës pariour,
c
‘eſt à dire 14000.
moins que les eſtoi-
les
.
2. L’ordre de la nature ſemble
mieux
eſtabli ſi les moindres corps ſe
meuuent
plus viſte, &
les plus grands
plus
lentement:
par exemple, ſi fait
ſon
tour en 30.
ans, en 12. en 2.
@ en 9. mois, en 80. iours, la @ en vn
mois
, la premiere cõpagne de en 24.

heu
r.
la 2. en 3. iours & {1/2}: la 3. en7.
177159& Mathematiques.& la 4. en 16. iourscõme remarque Gali-
lée
, &
ſinalemĕt la terre dãs vn iour, ou
dãs
vn an, de ſorte que les eſtoile@, &
le
Soleil
demeurent immobiles ſi l’on ex-
cepte
le mouuement du Soleil, qui ſe
fait
dans 27.
iours ou enuiron, ſur ſon
axe
d’Occident en Orient, &
celuy des
eſtoiles
pour expliquer la preceſſiõ des
équinoxes
.
3. Puiſque la terre a be-
ſoin
du Soleil, elle doit l’aller chercher,
comme
nous cherchons le feu, dont
nous
auons beſoin:
car ſi nous ne deſi-
rõs
pas que les villes, &
les campagnes
ſe
tournent, quand nous montons au
haut
des tours pour les contĕpler, auſſi
ne
deuons nous pas deſirer que le So-
leil
, &
les eſtoiles ſe tournent pour en-
uiſager
la terre.
4. Il n’eſt pas à pro-
pos
d’attribuer 2.
mouuemĕts contrai-
res
à vn meſme corps, ce que font neãt-
moins
ceux qui diſent que les eſtoiles,
&
les autres aſtres ſe meuuent, & que
la
terre eſt immobile, car il eſt beau-
coup
pl9 facile de tenir qu’elle ſe meut
d’Occident
en Orient, tandis que la
Lune
, &
les autres planettes ſe meu-
uent
ſeulement de leur propre mouue-
ment
.
Lanſberge croid que la
178160Queſtions Phyſiques, reraiſon eſt demonſtratiue, qui conſi-
ſte
en ce que le Soleil eſt éloigné de la
terre
de 1498 {1/2} ſemidiametres terre-
ſtres
, lors qu’il eſt en ſa moyĕne diſtan-
ce
, &
que les eſtoiles en ſont éloignées
de
10302927.
ſemidiametres; d’où il ar-
riue
que les eſtoiles font chaque heure
23178529692
.
lieuës d’Allemagne, &
dans
vn battement de l’attere, ou dans
vne
ſeconde minute, 643848.
lieuës,
ou
enuiron:
au lieu que la terre, dontil
met
le circuit de 400.
lieuës, ne fait
que
la ſezieſme partie d’vne lieuë, c’eſt
à
dire 250.
pas dans vne ſeconde: qui
n’eſt
guere dauantage que ce que fait
vne
bale d’arquebuſe en meſme temps.
Ie laiſſe pluſieurs autres raiſons, que
l’on
apporte pour le mouuement de la
terre
:
par exemple, qu’il explique tou-
tes
les apparences, ou les phenomenes
plus
clairement, &
plus briefuement;
qu’il s’enſuit meſme qu’elle ſe meut, ſi
les
cieux ſe meuuent, parce qu’ils la
doiuent
rauir auec eux, puis qu’elle n’a
nulle
reſiſtence, à raiſon qu’elle ne s’é-
loigne
point de ſon centre, &
pluſieurs
autres
, auſquelles Monſieur
179161& Mathematiques. Profeſſeur royal a répondu dans vn li-
ure
particulier;
de ſorte qu’il n’y a nulle
raiſon
qui prouue le mouuement de la
terre
, car puis que Dieu a enuoyé ſon
Fils
pour nous ſauuer par ſa mort, l’on
ne
doit pas s’étonner s’il faitrouller les
cieux
pour nous, &
s’il a creé tout le
monde
conporel pour l’vſage, &
pourle
plaiſir
des hommes.
Mais nous n’en ſçauons point auſſi
iuſques
à preſent qui prouue ſon im-
mobilité
, car il n’y a pas plus d’abſur-
dité
de faire les eſtoiles de la premiere
grandeur
127.
ſois plus grandes que le
grand
orbe terreſtre, &
1575473627.
fois plus grandes que le Soleil, que de
faire
aller les eſtoiles ſi viſte qu’elles ſa-
cent
ſix cent mille lieuës dans le temps
d’vn
battement d’artere.
Et bien que
nous
ne ſçachions pas pourquoy il y a
59967010
.
lieues, entre & les eſtoi-
les
, il ne s’enſuit pas que cet eſpace no
ſoit
veritable.
Il n’eſt pas auſſi neceſ-
ſairc
de ſçauoir la cauſe dumouuement
de
la terre, pour aduoüer qu’elle ſe
meut
, puiſque ceux qui mettĕt le mou-
ue
ment des eſtoiles, n’en connoiſſent
pas
la cavſe.
Quant à l’Aſtrologie
180162Queſtions Phyſiques, diciaire, elle demeure en ſon entier,
encore
que l’on mette la terre mobile,
car
il n’eſt pas neceſſaire qu’elle ſere-
poſe
pour receuoir les inſluences du
Ciel
, qui ont vne moindre force au cĕ-
tre
qu’és autres endroits:
car ſi l’on diſ-
poſe
pluſieurs chandelles en rond, le
centre
ſera le moins illuminé de tous
les
points, qui ſeront dans le cercle.
Et
quand
cet art ſeroit oſté d’entre les au-
tres
, l’on n’auroit perdu nulle ſcience,
puis
qu’il n’a nulle demonſtration.
Les autres raiſons que l’on apporte
pour
prouuer ſon immobilité, ne ſont
pas
meilleures:
car les corps peſans, qui
deſcendent
du haut d’vne tour, tom-
bent
auſſi bien perpendiculairement
ſur
la terre, que ſi elle eſtoit ſtable, par-
ce
que toutes les choſes corporelles,
qui
ſont proches de la terre, ſont por-
tées
en rond comme elle, &
ſont tou-
ſiours
également éloignées du meſme
point
de la terre.
Et lors que l’on jette
vne
pierre, ou que l’on tire le canon
vers
l’Orient, il va auſſiloin que du co-
ſté
de l’Occident, encore que l’on ſup-
poſe
que la terre ſe meuue vers l’Oriĕt,
&
qu elle face 250. pas
181163& Mathematiques. dans vne ſecõde minute d’heure, d’au-
tant
que le boulet eſt porté du meſme
mouuement
que la terre, &
outie ce
mouuement
commun, il a le violent,
qui
le porte touſiours également loin
de
quelque coſté que l’on le puiſſe ti-
ret
:
& s’il fait 250. pas vers l’Occident
dant
vne ſeconde minute, comme fait
la
terre vers l’Orient, l’õ peut dire quſrs;
il
demeure
dans vn meſme lieu, encore
quſrs
;
il abbatte les murailles, dſrs; autãt quſrs; il
nſrs
;
importe que la muraille ſe meuue
vers
le boulet, ou le boulet vers la mu-
raille
, pourueu quſrs;
il tienne ferme à la
rencontre
:
de ſorte que ſi lſrs; on tiroit vn
coup
de mouſquet vers lſrs;
Occident,
dans
vn parallele de la terre, quiallaſt
de
meſme viſteſſe vers lſrs;
Occident, ſila
bale
alloit touſiours dſrs;
vne meſme vi-
ſteſle
, elle demeureroit touſiours dans
vn
meſme lieu au regard des eſtoiles,
ou
de quelquſrs;
autre point immobile.
Ie laiſſe pluſieurs autres raiſons, com-
me
eſt celle que lſrs;
on prend du mouue-
ment
droit, que lſrs;
on ſuppoſe le plus
ſimple
de tous, car il nſrs;
eſt nullement
neceſſaire
que les pierres tombent au
centre
par vn mouuement droict,
182164Queſtions Phyſiques, que le circulaire leur eſt auſſi propre, &
auſſi
aiſé, comme ie monſtreray dans
vn
diſcours particulier, dans lequel on
verra
, que toutes choſes ſe meuuent
circulairement
, ou par helices, dans la
ſuppoſition
du mouuement de la terre.
Et puis lſrs; on peut dire que le mouuemĕt
circulaire
eſt le plus ſimple de tous, puis
que
le cercle eſt la pius ſimple de tou-
tes
les figures, &
que la ſphere eſt le
plus
ſimple de tous les corps.
Ie laiſſe
cncore
la 4.
& 5. iaiſon de Monſieur
Morin
, par leſquelles il combat la ver-
tu
magnetique, ou attractrice de la ter-
re
, dſrs;
autant quſrs; elles meritent vn exa-
men
plus particulier, qui ne ſe peut fai-
re
dans la brieueté que ie me ſuis pro-
poſée
dans cette petite queſtion, par la-
quelle
on void quſrs;
il nſrs; y a point de de-
monſtration
naturelle qui contraigne
dſrs
;
embraſſer la ſtabilité, ou la mobi
de
la terre.
COROLLAIRE I.
La raiſon fondamentale dont on a
vſé
iuſques à preſent pour prouuer la
mobilité
de la terre, nſrs;
eſt pas
183165& Mathematiques. parce quſrs; elle prouue trop, ou quſrs; elle
ſuppoſe
bcaucoup dſrs;
ignorance car puis
que
Dieu nſrs;
a pas ſuiuy dans lſrs; eſtat de la
grace
le chemin le plus court de tous
les
poſſibles, pour nous ſauuer.
attendu
quſrs
;
il le pouuoit faire dſrs; vn ſeul acte de
volonté
, pourquoy conclurons nous
quſrs
;
il a gardé le chemin leplus court dãs
la
nature ?
Ne ſetoit-ce pas le plus
court
pour la ſanté, ou pour la guari-
ſon
des corps, quſrs;
il y euſt quelque trou
vers
le talon, par lequel toutes les hu-
meurs
ſuperfluës peuſſent ſortir sãsvſer
de
tant de medecines ?
Certes ſi lſrs; on
veut
sſrs;
amuſer à conſiderer toutes lcs
œuures
de la nature, &
à epiloguer deſ-
ſus
, lſrs;
on y trouuera touſiours à repren-
dre
, mais ce ſera auec les raiſons de
Momus
, qui ſeront fondées ſur la pre-
ſomption
de lſrs;
homme, & ſur lſrs; ignoran-
ce
de celles que Dieu à euës en eſtabliſ-
ſant
la fermeté de la terre, &
la mobili-
des aſtres, ou en faiſant quelquſrs;
autre
piece
de lſrs;
vniuers, dont tous admire-
roient
beaucoup plus lſrs;
artiſice, que lſrs; on
ne
fait celuy des oraiſons de Ciceron,
des
Poëmes de Virgile, ou des propoſi-
tions
dſrs;
Euclide, (encore que
184166Queſtions Phyſiques, vns maintiennent que lſrs; on nſrs; en peut
oſter
vne diction, ou vne lettre, que
lſrs
;
on ne gaſte tout, ou que lſrs; on nſrs; en oſte
la
grace) sſrs;
ils en connoiſſoient les rai-
ſons
, &
les reſſorts, que nous verrons
treſ
clairement, quand celuy qui gou-
uerne
la grande machine de ce monde,
nous
en découurira les ſecrets, &
la
ſcience
.
COROLLAIRE. II.
Ie parleray encore du mouuement
de
la terre dans la queſtion 44.
& 45.
qui contiĕnent lſrs; a bregé des Dialogues
que
Galilée a faits dudit mouuement,
pour
conſirmer les Hypotheſes dſrs;
Ari-
ſtarque
, &
de Copernic. Or lſrs; on peut
sſrs
;
imaginer de nouuelles raiſons en fa-
ueur
du mouuement journalier de la
terre
, qui ne ſeruent de rien pour lſrs;
an-
nuel
, dontie parleray dans la 37.
que-
ſtion
:
par exemple, que ſiles eſtoiles,
&
les planettes ſe meuuent, quſrs; il eſt
neceſſaire
que la terre, quinſrs;
a nul apuy,
ou
empeſchement qui lſrs;
exépte dſrs; eſtre
rauie
par leſdits aſtres pour tourner ſur
ſon
axe, face touſiours ſon tour;
&
185167& Mathematiques. ſicurs autres que iſrs; obmets, de peur dſrs; e-
ſtre
trop long.
Mais lſrs; on trouuera tou-
ſiours
de nouuelles ſolutions aux nou-
uelles
raiſons, dſrs;
autant que nous ne
ſçaurõs
iamais la maniere dont les pie-
ces
de lſrs;
vniuers ont eſté eſtablies, iuſ-
ques
à ce quſrs;
il plaiſe à Dieu de nous la
reueler
:
de ſorre que nous pouuõs tou-
ſiours
dire auec S.
Paul, nunc per ſpecu-
lum
, &
in enigmatc, tunc autens facie ad
faciem
.
Qvestion XXXV.
Pourquoy fait-il plus chaud à lſrs; Eſté quſrs; à
lſrs
;Hyuer, veu que le soleil eſt beaucoup
plus
proche de nous à lſrs; Hyuer quſrs; à lſrs; Eſté?
& pourquoy fait-il froid à lſrs; ombre?
ENtre mille choſes que lſrs; on peut di-
re
du soleil, il faut remarquer quſrs;
il
illumine
&
eſchauffe la terre par 3. ſor-
tes
de rayons en meſme temps, dont le
plus
fort eſt perpendiculaire, le 2.
eſt le
rayen
, quitombe obliquement, &
qui
ſe
rompt dans les vapeurs, qui ſont
lſrs
;
atmoſphere, & le 3. eſt celuy que
186168Queſtions Phyſiques, planettes, & les eſtoiles reflechiſſent,
de
ſorte que la partiedu Soleil que nous
ne
voyons point, &
qui eſt tournée vers
le
firmamĕt, nous éclaire par le moyen
de
la reflexion, &
que lſrs; hemiſphere du
Soleil
que nous voyons, illumine auſſi
nos
Antipodes.
Or il y en a qui tien-
nent
que la raiſon pourquov il échauffe
dauantage
en Eſté quſrs;
en Hyuer, neſe
doit
pas prendre de ce que les rayons
tombent
plus obliquemĕt, ou en moin-
dre
nombre à lſrs;
Hyuer, puis que les co-
nes
radicux qui ſe terminent à chaque
point
de la terre, ſont dſrs;
vne égate for-
ce
, &
que le Soleil nous frappe per-
pendiculairement
en ſe leuant &
en ſe
couchant
.
Cſrs; eſt pourquoy nous ſenti-
rions
plus de chaleur au leuer, &
au
coucher
du Soleil, quſrs;
à ſon midy, sſrs; il
nſrs
;
y auoit nulles vapeurs Ce que lſrs; on
peut
conſirmer par les bords de la Lu-
ne
qui ſont auſſi luiſans que ſon milieu,
encore
quſrs;
ils ſoient illuminez par des
rayons
plus obliques.
Et puis la terre
nſrs
;
eſt pas parfaitement ronde, car elle
eſt
rĕplie dſrs;
inegalités, qui arreſtent les
rayons
, qui ſont ſeulement debilitez
par
la quantité des vapeurs, qui
187169& Mathematiques. remplies de pluſieurs petits corps opa-
ques
.
Neantmoins les autres main-
tiennent
que le Soleil échauffe dauan-
tage
à lſrs;
Eſté quſrs; à lſrs; Hyuer, à raiſon que
ſes
rayons frappent la terre plus perpĕ-
diculairement
, &
que les rayons refle-
chis
ſe ioignans aux droits les redou-
blent
, &
les renforcent; ce qui eſt fort
probable
, car encore que lſrs;
on puiſſe di-
re
que lſrs;
atmoſphere eſt beaucoup plus
épaiſſe
à lſrs;
Hyuer quſrs; à lſrs; Eſté neãt moins
ſi
les rayons eſtoient auſſi perpendicu-
laires
à lſrs;
Hyuer, ie croy quſrs; il feroit auſ-
ſi
chaud quſrs;
à lſrs; Eſté, car lſrs; cxperience
fait
voir que les rayons bruſlent auſſi
bien
, &
éclairent auſſi fort à trauers vn
chryſtal
bien épais, quſrs;
à trauers celuy
qui
eſt beaucoup plus mince.
Or lſrs; on peut voir les 2. lettres de Be-
nedictus
a Raphaël dſrs;
Auria ſur ce ſu-
iet
, il explique la maniere de trou-
uer
combien le rayon fait plus de che-
min
par les vapeurs, lors quſrs;
il les pene-
tre
obliquement, que quand il tombe
deſſus
perpendiculairement.
Quant à
la
moindrediſtãce quſrs;
a le Soleil à lſrs; Hy-
uer
, lſrs;
experience enſeigne quſrs; elle nſrs; eſt
pas
ſuffiſante pour nous écliauffer,
188170Queſtions Phyſiques, core quſrs; il ſoit plus proche de nous quſrs; à
lſrs
;
Eſté de 80. demidiametres terreſtres.
A quoy lſrs; on peut adiouſter quſrs; il mon-
ſtre
ſes 2.
hemiſpheres 13. fois & demie
chaque
année, dſrs;
autant quſrs; il fait ſon
tour
en 27.
iours; dſrs; il arriue de grãds
changemens
, &
dſrs; eſtranges alterations
dans
la terre, car ſa ſurface eſt conti-
nuellemĕt
alt erée par pluſieurs macu-
les
, &
flambeaux, dont il v en a quel-
quefois
50.
ou 60. & pluſieurs taches
ſont
auſſi groſſes que la Lune, comme
Schener
a remarqué dans ſon Soleil.
COROLLAIRE.
Lſrs; on peut dire quſrs; ily a cinq raiſons
qui
ſont cauſes quſrs;
il fait plus chaud à
lſrs
;
Eſté quſrs; à lſrs; Hyuer: dont la premiere
eſt
que le Soleil demeure plus long-
temps
ſur lſrs;
horizon; la 2. que ſes rayõs
reflcchis
sſrs;
vniſſent dauantage auec ſes
rayons
incidens:
la 3. quſrs; il y a moindre
reſiſtence
des vapeurs, quiſont moins
épaiſles
à lſrs;
Eſté: la 4. que la lumiere eſt
plus
grande, parce que les rayons ſont
plus
perpendiculaires, &
quſrs; ils ſont ay-
dez
par ceux de la Canicule, &
de
189171& Mathematiques. ques auttes grandes eſtoiles: la 5. parce
que
la grande impreſſion de la chaleur
que
le Soleil a engendrée les iours pre-
cedens
dans la terre ſe ioint auec la
nouuelle
chaleur quſrs;
il produit les au-
tres
iours ſuiuans.
A quoy lſrs; on peut ad-
iouter
que la plus grãde multitude des
facules
du Soleil ayde à engendrer les
plus
grandes chaleurs.
Qvestion XXXVI.
Comment les nuës peuuent-elles nager, ou ſe
pourmener
dans lſrs;a@r ſans tomber, puis
quſrs
;elles ſont ſi peſantes?
PVis que les nuës ſe ſouſtiennent
dans
lſrs;
air, il ſemble quſrs; elles doi-
uent
eſtre plus legeres puis que les cho-
ſes
peſantes deſcendent au fond des
plus
legeres, comme lſrs;
ay dit dans vn
autre
lieu, iſrs;
ay expliqué les princi-
pes
de la nauigation, &
de la ſubmer-
ſion
.
Car elles ne monteroientiamais
plus
haut que lſrs;
air, ſi elles nſrs; eſtoient
plusrares
, &
conſequemment plus le-
geres
.
Or il nſrs; importe nullemĕt quſrs; el.
190172Queſtions Phyſiques, les ſoient plus opaques & renebreuſes
que
lſrs;
air, dſrs; autant que la rareté & lſrs; o-
pacité
conuiennent auſſi ayſément en-
ſemble
, que la denſité &
la perſpicui-
, qui rend les corps diaphanes.
Et par-
ce
que les nuës ont plus de parties opa-
ques
que lſrs;
air, elles ſerateſient dauan-
tage
par les rayons du Soleil, qui nſrs;
e-
chauffent
guere les corps parfaictemĕt
diaphanes
, à raiſon quſrs;
ils penetrent à
trauers
, ſans aucune reflexion &
ſans
empeſchément
.
Mais lors que les nuës
rencontrent
des parties de lſrs;
air plus ra-
res
, elles ne paſſent pas outre, &
de-
meurent
ſuſpenduës iuſques à ce quſrs;
el-
les
ſereſoluent en pluye, en neige, ou
en
greſle, &
quſrs; elles deuiennent plus
peſantes
que lſrs;
air, qui a des differents
degrez
de rareté, &
de peſanteur, ſoit
de
ſoy-meſme, ou par le mélange des
vapeurs
;
dont il arriue que de pluſieurs
nuës
, les vnes montent plus haut que
les
autres, &
quſrs; il eſt treſ-difficile de
ſçauoir
iuſques elles peuuent mon-
ter
, ſi lſrs;
on ne ſçait tous les degrez de la
rareté
de lſrs;
air, & tous ceux que la cha-
ieur
peut donner aux nuës, qui paroi-
ftroient
à lſrs;
œil mis dans la Lune,
191173& Mathematiques. me les macules du Soleil.
Il faut encore remarquer que le vent
meut
a@ſ@ment les nuës, parce qu’elles
ne
luy fo@ @ quaſi nulle reſiſtence:
&
qu’il
eſt neceſſaire qu’il ſe cõdenſe au-
tant
d’air, comme elles eu occupent,
puis
que les loix de l’vniuers ne pouuãt
permettre
le vuide ni la penetratiõ des
corps
, ne permettent auſſi iamais de ra-
refaction
, qu’elles ne luy oppofent la
condenſation
, afin de faire ſubſiſter la
nature
par vn perpetuel équilibre, qui
ne
perd rien d’vn coſté qu’il ne le gai-
gne
de l’autre, &
qui ſert à expliquer
vne
infinité de difficultez dans la Phy-
ſique
.
Quant à la fumée, l’on peut dire
qu’elle
eſt vne eſpece de nuë;
mais il ne
faut
pas s’imaginer qu’elle ſe change,
car
elle retombe à terre auſſi toſt qu’el-
le
deuient plus denſe, &
plus peſante
que
luy:
ſi ce n’eſt que l’on compoſe
noſtre
air de toutes les vapeurs, &
fu-
mées
, qui ſ exhalent de la terre &
de
tous
ſes mixtes &
indiuidus. Neant-
moins
l’on peut dire que les nuës ne
tombent
pas ſi toſt qu’elles ſont plus
peſantes
, &
plus denſes que l’air, puis
que
l’on experimente qu’vne fueille
192174Queſtions Phyſiques, d’or, ou d’argent miſe ſur l’eau, ou en-
foncée
dedãs ne va pas au fond, &
con-
tinuë
ſa nauigation, encore qu’elle ſoit
beaucoup
plus peſante, parce qu’elle
n’a
pas aſſez de force pour diuiſer l’eau,
&
pour la faire fuir de deuant ſoy, pour
aller
au fond:
ce qui eſt grandement
conſiderable
pour l hydraulique;
quoy
que
l’on puiſſe dire que cet enfonce-
ſoit empeſché par des petites par-
ticules
d’air, qui ſont dans les pores de
ces
fueilles.
Qvestion XXXVII.
Qhelle raiſon peut on auoir pour croire que
la
terre ſe meut au tour du Soleil, que l’on
met
au centre du monde?
ENcore que i’aye parlé du mouue-
ment
journalier de la terre dans la
34
queſtion, &
que l’on puiſſe s’imagi
ner
que la cauſe, pour laquelle elle ſe
tient
dãs ſon lieu ſans aller déça ny de-
, ſe doit prendre de ce mouuement,
comme
il arriue que les pierres qui
cournent
ſi viſte dans l’air,
193175& Mathematiques. ne peuuent tomber, & que les verres,
&
les autres vaiſſeaux, qui ſont pleins
de
vin, ou de quelqu’autre liqueur, ne
l’épanchent
pas, lors qu’õ les fait tour-
ner
aſſez viſte, neantmoins il faut con-
ſiderer
ſon autre mouuement, que l’on
appelle
annuel, par lequel l’on s’imagine
dans
l’échole d’Ariſtarque, qu’elle ſup-
plée
le mouuement du Soleil;
dont
i’expliqueicy
les raiſons.
La premiere ſe tire de ce que Mars
eſt
quelquefois deſſus, &
d’autresfois
deſſouz
le Soleil, ce qui ne peut arriuer
ſans
eſtablir vn épicycle d’vne eſtrange
grandeur
, ſi la terre ne ſe meut pas au
tour
du Soleil:
or le mouuement an-
nuel
de la terre abolit ces epicycles.
La
2
.
raiſon eſt fondée ſur ce qu’il eſt plus à
propos
que le Soleil ſoit au milieu du
monde
pour departir égallement ſa lu-
miere
à tout l’vniuers.
Ie laiſſe les au-
tres
raiſons, parce que l’on peut les lire
dans
Lanſberge, &
dans Kepler, afin
d’adiouter
ſeulernent que l’on n’a don-
iuſques icy nulle raiſon, qui demon-
ſtre
que le Soleil ſoit au centre du mõ-
de
, ou que la terretourne au lieu du
Soleil
&
conſequemment qu’il eſt
194176Queſtions Phyſiques, ſi à propos d embraſſer les hypotheſes
de
Tycho &
des autres qui ſauuent
tous
les phenom@@es ſans le mouue-
ment
terreſtre annuel, que de ſuiure
celles
d Ariſtarque;
quoy qu il ſoit li-
bre
à vn chacun de ſe ſeruir de telle
hypotheſe
qu’il voudra pour expliquer
les
apparences du Ciel, &
pour le cal-
cul
:
& peut eſtre que quelques-vns
nous
donneront bien-toſt d’autres hy-
poteſes
differentes de toutes celles qui
ont
eſté ptopoſées iuſques à preſent, qui
ſeront
auſſi ſimples, &
auſſi aiſées à cõ-
prendre
que celles de Copernic, &
qui
pourront
eſtre plus veritables.
A quoy
l’Harmonicon
de Viete peut apporter
de
la lumiere, pourueu que l’on ne la
luy
reſuſe pas, comme l’õ a fait iuſques
à
preſent.
Or cette difficulté peut ſer-
uir
à nous faire faire des reflexions ſur
les
principes detres ſciences, qui ne
ſont
que des hyneſes, leſquelles ne
ſont
peut-eſtre pas plus veritables que
celles
de l’A ſtronomie, car elles ne
nous
ſont pas plus euidentes.
COROLLAIRE.
L’on peut rcmarquer la meſme
195177& Mathematiques. dans cette queſtion que celle dont i’ay
parlé
dans le 2.
Corollaire de la 34. à
fçanoir
que l’on peuttouſiours s’imagi-
ner
de nouuelles raiſons pout fauoriſer
le
mouuemĕt anhuel de la terre au tour
du
Soleil:
pat exemple, que ſi le Soleil
n’eſtoit
le centre de l’vniuers, &
de la
terre
, que nous verrions touſiours la
Lune
illuminée, d’autant que la lumie-
re
du Soleil ne ſc perdant point, &
ren-
contrant
la derniere ſurface du monde,
ſe
reflechiroit tellement ſur la Lune,
qu’elle
l’illumineroit toujoürs, meſmes
à
noſtre égard, ſuppoſé que le monde
ſoit
finy;
car encore que l’on s’imagi-
naſt
le vuide apres les eſtoiles, il ſerui-
roit
d’vn parfait miroir pour renuoyer
tous
les rayoris du Soleil, commeil eſt
ayſé
de dcmonſtrer par les loix, &
les
regles
in flexibles de la Catoptrique.
Et
ſi
l’on replique que la detniere ſurface
du
monde n’eſt pas polie, il s’enſuit
qu’elle
ſera veuë, comme il arriue aux
autres
corps brutes.
Mais outre que
nous
ne ſçauons pas ſi le monde eſt infi-
ny
, puis que pluſieurs Theologiĕs eſti-
ment
que Dieu eſtant tout puiſſ@nt la
peu
fairc infiny en eſtenduë, &
qu’ils
196178Queſtions Phyſiques, eſtabliſſent des eſpacesimaginaires in-
finis
, qu’ils appellent reels, &
que le
Createur
de la grande eſtĕduë de l’air,
qui
s’apelle Rachia dãs la ſainte langue,
ne
nous a pas rewelé s’il la creée finie, ou
infinie
, la ranon precedente n’a pas la
force
d’vne demonſtration.
Qvestion XXXVIII.
Les principes, & les fondemens de l’Optique
ſont-ils
plus certains que ceux de
la
Muſique?
CEs deux parties de Mathemati-
que
n’ont pas la pureté, niconſe-
quemment
la cerritude de la Geome-
trie
, dautant qu’elles ſuppoſent la Phy-
ſique
, car encore que les principes de
la
nature fuſſent auſſi euidens &
auſſi
certains
en eux meſmes que ceux de
l’Arithrnetique
, neantmoins ils n’ont
pas
ce degré de certitudeànoſtre égard,
comme
auoüent tous ceux qui ſçauent
l’art
de la raiſon, &
qui ſe plaignent de
ne
pouuoir trouuer des principes de
connoiſſance
dans la Phyſique, qui
197179& Mathematiques. quaſi nulle certitude en comparaiſon
de
celle des pures Mathematiques, cõ-
me
il eſt aiſé de conclure par les diffe-
rentes
opinions des Philoſophes, qui
ne
s’accordent iamais ſi parfaitement
ſur
vn meſme ſujet, que l’on n’y recon-
noiſſe
de la matiere, &
des occaſions
de
douter.
Mais afin de comparer la certitude
de
l’Optique auec celle de la Muſique,
ie
dy premierement qu’elles n’ont tou-
tes
deux nuls principes ſi clairs, &
ſi
certains
que l’on n’en puiſſe douter, tãt
parce
qu elles preſuppoſent les ſens, &

leurs
operations, dont la maniere nous
eſtincõnuë
, que parce qu’elles meſlent
touſiours
la Phyſique dans leurs raiſon-
nemens
, la quelle ne nous donne pas les
principes
de connoiſſance, ou d’effet.
Neantmoins ſi l’on fait comparaiſon
de
la certitude de ces deux Arts, il ſem-
ble
que celle de l’Optique eſt plus grã-
de
, ou pour mieux dire, que ſes princi-
pes
ſont moins douteux, &
incertains,
ce
qui n’arriue pas à raiſon qu elle eſt
ſubalterne
à la Geometrie, &
que la
Muſique
eſt ſubalterne à l’ A rithmcti-
que
, car ces ſubalternations
198180Queſtions Phyſiques, tent rien aux ſciences ſubalternées, qui
doiuent
auoir des principes propres &

particuliers
, qui ſoient auſſi certains &

euidens
, que celles que l’on appelle ſu-
balternantes
.
Et peut eſtre que cette
ſubalternation
n’a pas encore eſté b@en
entenduë
, &
qu’il ſeroit plus expedient
de
dire que la Geometr@e, &
l’ A rith-
metique
ſont les regles generales, qui
ſcruent
pour dreſſer les demonſtratiõs,
&
pour tirer toutes les concluſions des
autres
ſciences, lors que l’on en donne
les
vrays principes:
car encore que l’on
attribue
cet office à la Logique, neant-
moins
l’on peut dire qu’elle emprunte
de
la Geometrie tout ce qu’elle a de
plus
ferme, &
de plus aſſeuré.
Mais voyons quelques principes de
ces
deux ſciences, (ſi tant eſt qu’elles
meritent
ce nom, que l’on ne donne, à
proprement
parler, qu’à la Geometrie,
&
à l’Arithmetique) aſin de conſeruer
leurs
certitudes.
L’vn des principes de
l’Optique
eſt, que tout ce qui ſe void,
paroiſt
ſouz vn angle;
& que ce qui ſe
void
ſouz vn plus grand angle, paroiſt
plus
grand;
& l’vn de ceux de la Muſi-
que
eſt, que l’Octaue eſt de 2.
à i. &
199181& Mathematiques. Quinte de 3 à 2. & que les conſonan-
ces
ſont agreables, &
les diſſonances
deſ-agreables
.
Or l’on peut douter ſi
la
viſion ſe doit regler ſuiuãt les angles,
ou
pluſtoſt ſelon la maniere que la ra-
diatiõde
la lumiere affecte les tuniques,
&
les humeurs de l’œil, & particuliere-
ment
l’aranee ou la R etine, dãs la quel-
le
le cone de la pyramide Optique
n’eſt
pas tel que l’on ſe l’imagine pour
l’ordinaire
, comme l’on monſtre dans
la
vraye Optique:
& pluſieurs croyent
que
l’ob@ect paroiſt d’autant plus grand
qu
il eſt veu par vne plus grande quan-
tité
de rayõs, encore qu’ils ſoient com-
pris
par vn moindre angle.
Quant aux conſonances, il y en a qui
les
nient, &
qui maintiennent que les
diſſonances
peuuent donner plus de ſa-
tisfactiõ
à de certaines oreilles que leſ-
dites
conſonances, Et puis tous ne con-
feſſent
pas que l Octaue ſoit de 2.
à @. &
la
Quinte de 3.
à 2. tant parce qu’elles
paroi
ſſent bõnes ſouz d’autres termes,
&
que leurs raisõs ſont peut eſtre ſour-
des
, ineffables, &
irrationnelles, que
parce
qu’il ne s’enſuit pas que les ſon@
ayent
meſme raiſon entr’eux que
200182Queſtions Phyſiques, dites cordes, puis qu’en bonne Logi-
que
, il n’eſt pas permis de paſſer d’vn
genre
à l’autre ſans enfraindre la loy
des
Homogenes.
A quoy l’on peut adjouſter que tout
ce
qui depend de l’œil &
de l’oreille ne
peut
eſtre plus certain que leurs opera-
tions
, qui ſont ſuiettes à pluſieurs trõ-
peries
, &
illuſions: de ſorte que l’on
peut
conclurre que la ſcience, qui ap-
partient
au ſens, dont l’action eſt plus
certaine
, a ſemblablement plus de cer-
titude
.
Or ie ne veux pas maintenant decider
ſi
l’oreille eſt plus certaine que l’œil,
d’autant
que ie fais vn traité de l’excel-
lence
de l’vn &
de l’autre dans vn autre
en
droit, i’explique les manieres de
tromper
, &
de deſabuſer ces deux ſens,
qui
ſont deſtinez aux arts &
aux ſcien-
ces
.
Et ſi l’on prend leur certitude de
celles
dont on les fait ſubalternes, elles
auront
vn pareil degré de certitude,
parce
que l’Arithmetique, d’où l’on fait
naiſtre
la Muſique, eſt auſſi certaine
que
la Geometrie, dont on tire l’Opti-
que
:
quoy qu’il ſemble que l’Optique
ſoit
plus generale, &
plus proche de
201183& Mäthematiques. demõſtration, àraiſon qu’elle n’eſt pas
ſuiette
aux mouuemens de l’air, qui
ſeruent
de ſuiet, &
d’object à la Muſi-
que
, &
qu’elle embraſſe toutes ſortes
de
reflexions &
de refractions, qui ſe
font
dans vn moment, lequel approche
de
la durée des operations de l’eſprit.
Qvestion XXXIX.
De quelles matieres ſe ſeruent les Teintu-
riers
pour teindre la laine, ou le
drap
, & La ſoye de toutes
ſortes
de coubeurs ¿
SI les artiſans aymoient les ſciences,
ils
pourroient aider les Philoſophes
en
pluſicurs manieres, &
patticuliere-
ment
en leur donnant pluſieurs expe-
riences
, qu’ils font ordinairement, &

pluſieurs
obſeruatiõs qui peuuent don-
ner
de l’entrée aux difficultez de la
Phyſique
, &
à leur ſolution. Or encore
que
les Orfeures, les Lapidaires, les
Affincurs
, les Chymiſtes, les Apoti-
quaires
, les Tireurs d’or, &
tous ceux
qui
manient les metaux, puiſſent,
202184Queſtions Phyſiques, ſemble, donner plus de lumiere ſur
ſuiet
que les Peintres, les Sçulpteurs,
les
Teinturiers, &
les autres arti-
ſans
, neantmoins il n’y a nulatt, ou me.
ſtier qui ne puiſſe ſeruir en quelque
choſe
:
par exemple, la conſideration
des
drogues, des bois, des racines, des
écorces
, des herbes, &
des autres ingre-
diens
, dont vſent les Teinturiers en lai-
ne
&
en ſoye, peuuent ayder à com-
prendre
la nature, &
les proprietez des
ceuleurs
, qu’ils donnent aux draps par
le
moyen des breſils de Farnambour;
de
Laual
, de ſainte Maric, &
de S. Mar-
the
, dont le premter eſt le meilleur.
Ils vſent auſſi du bois d’Inde, qu’ils
appellent
Compeche, du fuſtel de Sa-
uoye
, de Dauphiné, &
de Roüen: du
bois
iaune;
de l’écorce de cheſneaux en
taillis
, &
de pluſieurs autres bois, com-
me
des racines de noyer, de l’écorce, &

des
coquilles des noix vertes:
des Gau-
des
franches &
baſtardes: de geneſtrol-
les
, ou geneſtron, de ſoumac, de galles
vertes
, &
ſeiches de Tours: d’aluns de
Rome
, &
de roche; de couperozes; de
gommes
, tant de Perſe, que d’Arabie,
de
Venize &
d’ailleurs: du ſauon
203185& Mathematiques. Genes, de Caſtres, & de celuy qui eſt
noir
, &
liquide: d’orſeille de Lyon, de
Flandre
, d’Angleterre &
d’ailleurs: de
cendres
communes, &
de grauelée: de
ſoude
d’alitarbe, &
de la blanche, de la
potacée
:
de la chaux communc: de la
garence
de Flandre, &
d’Angleterre,
de
la cochenille:
de la graine d’écarla-
te
, &
de ſon paſtel: de la graine d’Aui-
gnon
:
du tartre de Montpelier: du ſaf-
fran
d’Allemagne:
de la bourre de Flá-
dre
, d’Angleterre, &
de Paris: d’écor-
ces
de grenades auec leur fruict ſec:
de
la
limaille de fer, &
d’acier: de la terre
qu’ils
appellent Terra merita, &
de plu-
ſieuts
autres drogues, dont i’explique-
rois
icy les couleurs, le prix, le poids, &

les
mélanges, ſi ie ne iugeois qu’il eſt
neceſſaire
d’en voir l’eſſay, &
l’expe-
rience
chez les Teinturiers, pour les
comprendre
aiſément.
Quant aux couleuts des Peintres, des
Enlumineurs
, &
des Miniateurs, elles
meritent
vn diſcours particulier, auſſi
bien
que celles dont vſent les Verriers,
les
Emailleurs, les Vitriers, &
les Po-
tiers
, qui employent l’argent, l’eſtain,
le
plomb, le cuiure, &
les autres
204186Queſtions Phyſiques, taux, & les mineraux pour colorer leurs
ouurages
;
c’eſt pourquoy i’adiouſte
ſeulement
icy que les Chymiſtes de-
uroient
s’eſtudier à la recherche des
raiſons
de la grande multitude de cou-
leurs
, qui ſe font dans les.
differents de-
grez
de la coction, de la generation, ou
de
la corruption des matieres qu’ils en-
ferment
dansles Athenors, les retor-
tes
, &
les autres Alembics, dont ils
vſent
en toutes leurs operations, afin de
voir
ſi l’on peut rapporter toutes ſortes
de
couleurs à la differente reflexion,
refraction
, &
immerſion de la lumiere.
COROLLAIRE I.
Les Peintres ſe ſeruent de pluſieurs
couleurs
pour acheuer leurs tableaux,
&
pour peindre en gomme, en huile, &
à
l’eau, ſoit ſans trituration, &
broye-
ment
, ou autrement.
Ie mets ſeulemĕt
icy
celles dont ils vſent à l’eau, à ſçauoit
le
noir de cerf bruſlé, de Flandre, de
pierre
noire, &
d’ancre: dont les tan-
nez
bruns approchent de bien piés, car
le
tanné mourant en eſt plus éloigné.
Et puis ils vsĕt du violet noir, de
205187& Mathematiques. du tourneſol: du violet de bois de Perſe
diſtillé
, &
cuit en vinaigre: du paſle,
qui
ſe fait d’vn peu de blanc meſlé auec
le
precedent:
de l’azur, qui a pluſieurs
degrez
de prix, &
de viuacité: de celuy
que
l’õ appelle blanchette, &
mourãte;
du bleu blãc, & celeſte: du rouge brun,
de
la laque pure commune, de la cou-
leur
d’armure, qui ſe compoſe de ladi-
te
laque, &
du ſaffran auec l’vrine: de
la
gomme goutte, &
de la laque cou-
leur
de bois, du vermillon pur, de la mi-
ne
tant commune, que blanchette, &

de
celle que l’õ apelle rouge.
blanc: de
la
laque blãchette forte auec ou ſans la
ceruſe
, de la couleur de chair vermil-
lonnée
compoſée de vermillon, de la-
que
, &
de blanc: de la mine, & vermil-
lon
blanc:
de la vraye couleur de chair,
de
la couleurde chair morte:
de la gom-
me
goutte;
de la graine d’Auignon, du
ſaffran
, que l’on meſle auec le maſſicot:

du
iaune paſle, &
du doré: du minime
brun
, &
cendré, & de la fueille morte:
du
vert de veſſie, du calciné, du mou-
rant
, du vert de mer &
du gay: du ſa-
frané
, du vert iaune, du com poſé auec
la
grainc d’Auignõ:
du diſtillé, d@
206188Queſtions Phyſiques, bleu, & de montagne, du vert de terre:
du gris brun, du gris blanc & noir, du
torne-ſol
&
blãc, & de pluſieurs autres
compoſez
:
du blanc de ceruſe de Ve-
niſe
, du blanc de plomb, &
du blanc
de
craye.
Ie laiſſe pluſieurs autres cou-
leurs
, qui ſont diſtillées, &
que l’on tire
des
mineraux, &
des metaux, & toutes
celles
qui ſont à huille, dont les diffe-
rentes
compoſitions meritent vn liure
entier
.
COROLLAIRE II.
L’on vſe auſſi de l’or, & de l’argent
d’Allemagne
, de Flandre, &
de Paris
dans
les couleurs, &
peintures à l’eau;
mais il faut remarquer que l’or ſ’appli-
que
tellement ſur le bois, ſur le fer, &

ſur
le cuiure, qu’il faut premierement
mettre
deux couches de blanc ſur le
bois
, &
qu’il faut polir l’orauec la dent
de
chien, ou de loup:
& ſi on le couche
en
huille, il faut mettre vne couche de
blanc
, 2.
de rouge, & puis l’or de cou-
leur
, ſur lequel on met l’or.
Quant à
l’or
en fueille, on l’applique auec le pin-
ceau
fait de poil de blereau, &
auec le
coton
.
207189& Mathematiques.
Pour employer l’or poly & bruny ſur
le
cuiure, il faut premierement polit
ledit
duiure, &
le faire rougir, affin d’ap-
pliquer
l’or auec le caillou;
& puis il le
faut
recuire:
ce que l’on fait en met-
tant
2.
ou 3. couches, l’vne ſur l’autre, &
en
le remettant touſiours à feu de char-
bon
leger pour le polir ! &
lors que l’on
l’applique
ſur de la charte, ou ſur du
papier
, la dent de bœuf du deuant y
doit
ſeruir.
Qvestion XL.
Pourquoy l’haleine que l’on pouſſe du poul-
mon
, ſe void-elle plus aysément à
l’Hyuer
qu’à l’Eſté; & qu’eſt-
ce
que le vent?
SI ce que l’on pouſſe hors de l’eſto-
mac
par le mouuemĕt du poulmon
n
eſtoit autre choſe que de l’air, ou du
vent
, qui ſe fait par ſon mouuement, &

par
ſa condenſation, nous ne verrions
pas
l’haleine à l’Hyuer, puiſque l’on n’a
iamais
veu l’air, quoy qu’il ayt eſté treſ-
chaud
, ou trel-froid, &
208190Queſtions Phyſiques, ment treſ rare, ou treſ-denſe. C’eſt
pourquoy
il faut conclure que l’on ne
void
autre choſe dans l’haleine qui pa-
roiſt
à l’Hyuer, queles vapeurs, &
les
excremens
qui ſorrent du poulmon, &

qui
s’epaiſſiſſent, &
ſe cõdenſent telle-
mĕt
à la ſortie de la bouche, ou du nez,
qu’ils
ſe rendent viſibles, comme la fu-
mée
, par la reflexion de la lumiere, qui
n’eſt
pas aſſez forte à l’Eſté, ou lors que
l’on
eſt expoſé à la chaleur, à raiſon que
les
vapeurs qui ſortent de la bouche
ſont
trop rarefiées, &
trop eſtenduës, &
renuoyent
trop peu de rayons à l’œil
pour
eſtre apperceuës.
Quant à la 2. partie de ceſte queſtiõ,
il
y a grande appaiĕce que le vent n’eſt
pas
different de l’agitation de l’air, &

qu’il
eſt dautant plus froid qu’il le con-
denſe
dauantage, comme l’on experi-
mente
dans toutes ſortes de ſoufflets,
&
d’euentails; mais il eſt difficile de ſca-
uoir
pourquoy le vent du Midy n’eſt
pas
ſi froid que celuy de la bize, lors
qu’ils
ſont également forts, &
qu’ils
condenſent
l’air également, ſi l’on n’en
rapporte
la cauſe aux vapcurs, &
aux
ex
:
laiſons chaudes, qui ſont
209191& Mathematiques. auec le vent du midy, ſans leſquelles il
ſeroit
auſſi froid que le vent du ſepten-
trion
.
A quoy l’on peut adiouſter que
les
vapeurs, ou les eſprits qui ſortent
des
lieux ſalpeſtreux refroidiſſent l’air,
&
que celuy du midy eſt quelquefois
auſſi
froid que celuy du ſeptentrion.
Or
l’on
peut voir le liure que Bacon a fait
des
vents, &
experimenter toutes les
manieres
, dont on les peut produire
auecle
ſalpeſtre, l’Æolipile, ou au-
trement
.
Qvestion XLI.
Eſt-il vray que de toutes les figures I ſoperi-
metres
de meſme nature, celle qui eſt la
mieux
ordonnée, & que de toutes les he-
terogenes
ordonnées, celle qui eſt la plus
terminée
eſt la plus grande?
ILy a long-temps que l’on a demon-
ſtré
que la figure circulaire eſt la plus
grande
de toutes les Iſoperimetres, par-
ce
qu’ellc contient vne infinité d’ãgles,
au
lieu que les autres n’en contiennent
qu’vn
certain nombre, qui donne
210192Queſtions Phyſiques, ſiours vne plus grande figure reguliere,
lors
qu’il eſt plus grand.
Mais la difficulté eſt plus grande
quand
il eſt queſtion de comparer les
triangles
, &
les autres figures de diffe-
rente
eſpece, &
heterogenes. Or il eſt
certain
que le triangle équilateral eſt le
plus
grand de tous les triangles, dont le
circuit
eſt égal:
& conſequemment
qu’il
eſt plus grand que l’Equicture, ou
Iſocele
lequel eſt auſſi ſouuent plus
grand
que ceux dont tous les coſtez
ſont
inegaux, que l’on appelle ſcalenes,
quoy
que cela n’arriue pas touſiours,
car
le ſcalene, dont les coſtez ſont 11.
18. 21. eſt plus grand que l’lſocele, qui a
10
.
20. 20. pour ſes coſtez, car la gran-
deur
, ou l’aire de ceſtuy.
cy eſt ſeulemĕt
9375.
& l’aire de celuy-là eſt 9800.
Quant
à l’Equilateral Iſoperimetre,
dont
chacun des coſtez a 16 {2/3}, ſon aire
eſt
14467 {16/27}.
Mais quand les figures
Iſoperimetres
Homogenes ne ſont pas
ordonnées
, il peut arriuer que la moins
ordonnée
ſoit moin dre, égale, ou plus
grande
;
par exemple, ſi l’on conſidere
les
3.
parallelogrammes, & les; . trape-
zes
Iſoperimetres, quepropoſe
211193& Mathematiques. Glorieux, le premier parallelogramme
215
.
15. 9. 9. pour ſes 4. coſtez, le 2. a 12.
12. 3 {1/2}. 3 {1/2}. & le 3. a 12. 12. 4. 4. Les 4.
coſtez
du premier trapeze ſont 15 6.
10.
17
.
ceux du ſecond, 12. 8. 6. 5. & ceux du
troiſieſme
12.
4. 6. 10. or l’aire, ou la ca-
pacité
du premier parallelogramme eſt
135
.
celle du 2. eſt 42. celle du 3. eſt 48.
celle
du premier trapeze a 84.
celle du
2
.
a 2460 {15/16}. & celle du 3. a 48. d’où
il
eſt ailé de conclure que le premier
parallelogramme
eſt plus grand que le
premier
trapeze:
que le 2. eſt moindre
que
le 2.
& que le 3. eſt égal au 3. tra-
peze
.
Le meſme autheur demonſtre
que
la figure, qui eſt la plus terminee
entre
les Iſoperimetres ordonnées de
differente
nature, eſt la plus grande:

par
exemple, le triangle équilateral,
dont
le coſté eſt 16 {2/3}, a pour ſon aire
14467
{16/17}.
& le quarré dont le coſté eſt
12
{1/2}.
a 156 {2/4} p ſa capacité.
Mais quand ces figures ne ſont pas
ordonnées
, il peut arriuer que la plus
terminée
ſera plus grãde, ou moindre,
ou
égale:
par exemple, ſi le triangle
ſcalene
a 10.
17. 21. pour ſes 3. coſtez,
ſa
capacité eſt 84.
laquelle eſt égale
212194Queſtions Phyſiques, parallelogramme, dont le plus grand
coſté
eſt ℞60 + 12.
& le moindre 12.
℞60. & toutesfois le meſme triangle
eſt
moindre que le parallelogramme
iſoperimetre
, dont les coſtez ſont 14.

&
10 car ſon aire eſt de 140. mais il eſt
plus
grand que le parallelogramme,
dont
les coſtez ſont 20.
& 4, car ſon ai-
re
n’eſt que de 80.
Finalement il prouue que la figure,
qui
approche dauantage de l’ordonnée
eſt
touſiours la plus grande des figures
iſoperimetres
de meſme nature qui ne
ſont
pas ordonnées:
& que quand elles
conuiennent
, ou qu’elles ſont differen-
tes
en angles, ou en coſtez, celle dont
les
coſtez, ou les angles approchent
dauantage
des coſtez, ou des angles de
l’ordonnée
eſt plus grande.
COROLLAIRE.
L’on appelle la figure ordonnée, ou re-
guliere
, quand ſes coſtez, &
ſes angles
ſont
égaux, commeil arriue au triangle
équilateral
, au quarré, à l’exagone, &
c.
de ſorte que la regularité des figures
leur
donne d’auſſi grands
213195& Mathematiques. que celle que l’on obſerue dans toutes
les
autres choſes:
delà vient que cha-
que
figure reguliere eſt la plus grande
de
toutes les iſoperimetres de meſme
nature
, &
que celle d’entre les irregu-
licres
qui approche dauantage de la re-
guliere
, eſt la plus grande.
Mais l’on
ne
peut rien determiner, quand les co-
ſtez
de l’vne s’approchent dauantage
de
la reguliere, &
que les angles s’en
éloignent
dauantage.
Qvestion XLII.
La blancheur eſt elle la plus excellente de
toutes
les couleurs?
ENcore que les peintres, ou les Tein-
turiers
ne mettent pas le blanc, &

le
noir entre les couleurs, parce que le
blanc
eſt vne table d’attente, qui eſt in-
differente
à receuoir toutes ſortes de
couleurs
, dont il ſemble qu’elle eſt le
principe
:
& que le noir, qui reſſemble
à
la priuation de toutes les couleurs,
n’en
puiſſe receuoir aucune, neátmoins
il
n’y a nul doute que la blancheur
214196Queſtions Phyſiques, vne couleur, que l’on peut appeller vne
lumiere
diminuee, ou commençante:
car elle luy eſt plus ſemblable que tou-
tes
les autres couleurs, ta@t en ce qu’el-
le
fait vne plus forte impreſſiõ ſur l’œil,
qu’elle
bleſſe en diſſipant ſa force, &
ſa
viuacité
, qu’ĕ ce qu’elle eſt ſuſceptible
de
toutes ſortes de couleurs, comme le
rayon
du Soleil, qui en repreſente les
principales
, lors qu’il paſſe à trauers les
triangles
, ou les priſmes de chryſtal, &

de
verre, ou qu’il ſe rompt dans les au-
tres
diafanes.
Or il faut remarquer que
la
blancheur reſiſte dauantage à la cha-
leur
, ou au feu de la lumiere, que les
autres
couleuts, comme l’on remarque
dans
le papier blanc, qui ne bruſle pas
ſi
ayſément que le papier noir, rouge,
verd
, &
c. lors que l’on y veut mettre le
feu
auec vn miroir ardent, ſoit que ce-
cy
arriue à cauſe que chaque choſe agit
plus
fort &
plus ayſément ſur ſon con-
traire
, ou que le noir, &
les autres cou-
leurs
rendent le papier, &
les autres
corps
plus gras, plus huileux, &
plus
propres
à conceuoir le feu.
Mais l’on peut propoſer pluſieurs dif-
ficultez
ſur ce ſujet, qui deſirent
215197& Mathematiques. cres lieux: par exemple, que le blanc
eſt
le plus imparfait, puis qu’il attire, &

reçoit
toutes les autres conleurs, qui
ſont
comme les actes à l’égard de la
puiſſance
:
& qu’il diſſipe la veuë, au
lieu
que le noir lareunit, lequel on peut
appeller
le plus parfait, puis qu’il refuſe
toutes
les autres couleurs (comme l’on
dit
que la matiere des cicux refuſe tou-
tes
les autres formes) d’autant que le
noir
les contient toutes en éminence.
D’ailleurs, l’on peut dire que le noir
dilate
la veuë, puis que la paupiere s’é-
largit
dans les tenebres, &
qu’elle ſe re-
ſtreint
à la preſence de la lumiere.
Or
il
y a pluſieurs ſortes de blãcs, dont les
vns
viennent, ce ſemble, de la ſeule re-
flexion
de la lumiere, comme il arriue
à
la blancheur de la neige, qui n’eſt au-
tre
choſe qu’vne quantité de rayons re-
flechis
en mille manieres, par les diffe-
rentes
parties, tant concaues que con-
uexes
de la neige:
mais la blanchcur du
drap
, du laict, du lis, &
c. ſont fort dif-
ſerentes
de la precedente.
COROLLAIRE.
Sile noir, on quelqu’autre
216198Queſtions Phyſiques, rĕdle papier plus rude, ou plus poreux,
cela
peut eſtre cauſe qu’il bruſle plus
ayſément
que lors qu’il eſt plus poly,
car
plus vn corps eſt poly, &
moins
poreux
, &
plus ayſément il reſiſte aux
agens
contraires, qui ne peuuent im-
primer
leurs qualités ſur leurs ſurfaces,
quoy
que l’on remarque le contraire
dans
l’aymant, lequel agit d’autãt plus
puiſſamment
ſur le fer, qu’il eſt plus po-
lv
, car vn meſme morceau de fer, qui
ne
peut eſtre attiré par l’Aymãt brute,
eſt
attiré ſi toſt que l’on a poly l’vn ou
l’autre
, ou tous deux, aux endroits pat
leſquels
l’vn doit attirer, &
l’autre doit
eſtre
attiré:
ce qui eſt treſ-remarquable
pour
pluſieurs raiſons.
Qvestion XLIII.
Pcurquoy ics recreations que l’on prend en la
preſence des maiſtres, & des ſupericurs ne
ſont elles-pas ſi agreables que celles que
l’on prond en leur abſcence?
LA nature, & la proprieté de la re-
creation
eſt, ce ſemble,
217199& Mathematiques. eonjointe aucc la liberté, que l’vne ne
peut
ſe rencõtrer ſans l’autre, ou qu’el-
le
eſt d’autant moindre qu’elle a moins
de
liberté, &
plus de contrainte, com-
me
l’on experimente dans les priſons,
les plaiſirs que l’on peut receuoir, ne
ſont
iamais ſi grands, quoy que l’on n’y
rencõtre
quelquefois de meilleurs trai-
temens
qu’ailleurs, comme ils ſont lors
que
l’on eſt en pleine liberté:
car toute
ſorte
de contrainte, &
de retenue eſt
vne
eſpece de douleur, qui attaque l’eſ-
prit
, ou le corps, &
qui nous captiue
contre
noſtre volonté.
Or quand les maiſtres, ou ceux qui
vſent
d’vne pareille authorité ſur nous,
ſe
trouuent preſens à nos recreations,
nous
craignõs qu’ils ne remarquent nos
paſſions
, &
nos imperfections, & qu’ils
ne
diminuënt la bonne opinion qu’ils
pouuoient
auoir conceuë de noſtre bon
naturel
, de nos bonnes inclinations, &

de
nos vertus:
ce qui ne peut arriuer
ſans
la perte de l’eſtime que nous auiõs
acquiſe
dans leur eſprit.
Et parce que
les
hommes ne font pas moins de cas
de
leur reputation que de leur vie, &

de
leur eſtre, ils ſont portez d’vne
218200Queſtions Phyſiques, me paſſion, & d’vne meſme violence à
deffendre
leur honneur, &
leur vie;
qu’ils eſtiment auoir perduë dans la pĕ-
ſée
de ceux qui les mépriſent.
Delà
vient
qu’ils ne craignent ſeulement pas
la
preſence des ſuperieurs, &
de tous
ceux
qui peuuent aduertir leſdits ſupe-
rieurs
de leurs imperfections, mais auſ-
ſi
celle de tous les honneſtes hommes,
dontils
peuuent receuoir du blaſme, &

du
meſpris.
I’en excepte ceux qui ſont bien ayſes
que
l’on remarque ſoigneuſemĕt leurs
actions
, aſin qu’ils en puiſſent corriger
les
défauts;
mais l’on en rencontre fort
peu
de ceux-là, car nul ne veut eſtre
reprimandé
;
& lors que l’on en trouue,
l’on
peut conclurre que s’ils ne ſont ſo-
lidement
vertueux, qu’ils ſont bien
auant
dans le chemin de la vertu, dont
ils
joüiront bien toſt, puis qu’elle ne re-
butte
nul de ceux qui la recherchent
auec
ferueur.
Et ie ne doute nullement qu’ils ne
ſoient
bien ayſes de ne prendre nul-
le
recreation qu’en la preſence de
ceux
qui ont charge, ou droit de les re-
prendre
, &
de veiller ſur leurs
219201& Mathematiques. dautant qu’ils deſirent de ſe recreer
honneſtement
, ce qui ne peut eſtre re-
pris
de ceux qui ont du iugement, &
de
la
vertu, &
qui ſçauent que les plaiſirs
innocens
, dont on vſe pour delaſſer, &

pour
renforcer l’eſprit, ou le corps, a fin
qu’il
faſſe mieux ſes fonctions, ne ſont
pas
moins agreables à Dieu, ny moins
honneſtes
, que les affaires les plus ſe-
rieuſes
, &
les plus grands employs que
l’on
puiſſe auoir.
Qvestion XLIV.
Quia-il de plus not able dans les Dialogues
que
Galilée a faits du mouuement de la
terre
? cette queſtion contient tcut
ſon
premier Dialogue.
CE diſcours ſeruira pour ceux qui
n’ont
pas, ou qui n’entendent pas
les
quatre Dialogues que Galilée a faits
des
mouuemens de la terro, car il con-
tient
tout ce qu’ils ont de plus remar-
quable
.
Or il commence par la com-
paraiſon
du mouuement droit auec le
circulaire
;
& dit que les
220202Queſtions Phyſiques, parties de l’vniuers n’ont pas deu awoir
d’autre
mouuement que le circulaire,
dautant
qu’elles ont deu eſtre diſpo-
ſées
ſi parfaitement, qu’elles n’ayent eu
nul
beſoin de changer de place, ce qui
ne
pourroit arriuer ſi elles ſe mouuoiĕt
en
ligne droite, qui n’eſt point termi-
née
, &
qui ne ſert que pour éloigner les
parties
du monde de leur propre lieu.
Mais le circulaire les conſeruant tou-
ſiours
dans vne égale diſtance d’auec
leur
centre n’a nul point qui ne ſoit ſon
commencemĕt
&
ſa fin; delà vient qu’il
eſt
égal par tout, au lieu que le mouue-
ment
droit eſt plus viſte au commence-
ment
, lors qu’il eſt violent, ou à la fin,
quand
il eſt naturel.
De plus, le circu-
laire
eſtant perpetuellement terminé
peut
eſtre infiny par le moyen de la re-
petition
de ſes tours;
ce qui ne peur ar-
riuer
au mouuement droit, car la natu-
re
ne donne nul mouuement qui ne
puiſſe
paruenir à terme:
or ſi le mou-
uement
droit va s’allentiſſant, il ſera
violent
, donc il ne ſera pas perpetuel:
s’il va s’accroiſſant, il finira à ſon terme,
donc
il ne durera pas touſiours, de ſor-
te
que le ſeul mouuement
221203& Mathematiques. eſt propre pour l’éternité.
A quoy l’on peut adiouſter que ſi la
penſée
de Piatõ eſt veritable, que l’Au-
theur
de l’vniuers a laiſſé tomber les
aſtres
d’vn certain lieu ſi haut, que
quand
ils ont eu aſſez de viſteſſe, il a
changé
leur mouuement droit au cir-
culaire
qu’ils cõſeruent encore, de ſor-
te
que l’on peut ſupputer d’où ils ont
deu
tomber pour acquerir les mouue-
mens
qu’ils ont en demeurãt dans leurs
propres
lieux.
D’où il eſt ayſé de conclurre que le
mouuement
circulaire, &
le repos ſont
treſ-propres
pour la conſeruation de
l’vniuers
, &
que le droit eſt vtile pour
renuoyer
les parties en leurs lieux na-
turels
, par vn chemin treſ court.
Et ſi
Ariſtote
a bien definy la nature, il a deu
mettre
des corps qui ſe repoſent natu-
rellement
, comme il en a mis qui ſe
meuuent
, puis qu’il dit qu’elle eſt le
principe
du mouuement &
du repos.
Or il faut remarquer que la pierre
qui
quitte ſon repos, ſe meut par tous
les
degre@ poſſibles de tardiueté, &

qu’elle
acquiert touſiouts de nou-
ucaux
degrez de viſteſſe.
Apres
222204Queſtions Phyſiques, diſcours qu’il eſtend iuſques à la 39. pa-
ge
de ſon premier dialogue:
il combat
l’incorruptibilité
qu’Ariſtote a miſe
dans
les cieux, dautant que ſi l’on eſtoit
dans
la Lune, ou dans le Soleil.
on n’ap-
perceuroit
pas mieux les petites cor-
ruptiõs
de la terre:
par exemple, l’em.
braſement des foreſts, & des villes, & c.
que
celles qui peuuent arriuer au So-
leil
, dans lequel Schener a remarqué
tant
de corruptions, de macules, &
de
flammes
, qu’il nous a fait douter s’il en-
dure
autant ou plus de corruptions, &

de
changemens que la terre, comme ie
monſtre
dans vne autre.
Si Ariſto-
te
euſt veu les nouuelles eſtoiles de
l’an
1572.
& 1604. il euſt peut eſtre
changé
d’auis, particulieremĕt s’il euſt
obſerué
le lieu des Cometes auſſi haut
que
celuy du Soleil, comme Tycho,
Kepler
, &
pluſienrs autres ont remar-
qué
, quov que Claramontius ſe ſoit ef-
forcé
de demonſtrer le contraire par les
meſmes
obſernations, &
les meſmes
parallaxes
, dont les autres ſe ſont ſer-
uis
.
Dans la 46. page, il remarque que
les
macules du Solcil, naiſſent &
ſe
223205& Mathematiques. ſipent ſouuent au milieu du Soleil,
elles
paroiſſent pl9 larges qu’aux bords,
auſquels
leur mouuemĕt eſt plus lent,
d’où
il cõclud qu’elles ne ſont pas ſphe-
riques
, &
qu’elles ne ſont pas portées
par
des cercles cõcentriques au Soleil.
Il adjouſte en ſuite que l’incorruptibi-
lité
n’eſt pas vne qualité qui annobliſſe
les
corps, puis qu’vne ſtatuë, qui ne ſe
corrompt
point par la generation, ny
par
les autres mouuemens, eſt moins
noble
, &
moins excellente que ne ſont
les
hommes.
D’ailleursnous ne pouuons ſçauoir s’il
a
des generations dans les aſtres ſem-
blables
ou diſſemblables à celles de la
terre
, &
que nous n’en pouuons pas
auoir
de plus grandes conjectures, que
celles
qu’vn homme nourry au milieu
d’vne
foreſt auroit de la mer, des poiſ-
ſons
, &
des nauires, dont il n’auroit ia-
mais
oüy parler, n’y ayant nulle penſée
raiſonnable
qui nous puiſſe faire con-
iecturer
autre choſe ſinon que s’il y a
des
creatures viuantes &
intelligentes
dãs
les aſtres, qu’elles loüent &
adorent
le
Createur de l’vniuers.
Quant à la comparaiſon de la
224206Queſtions Phyſiques,& de la Lune, il remarque premiere-
ment
que l’vne &
l’autre eſt ſpherique,
opaque
, &
d’vne matiere dure, & ſoli-
de
, comme l’on prouue par les inegali-
tez
, &
les montagnes que l’on décou-
ure
dans la Lune auec les lunettes, 2,
qu’elle
a deux parties comme la terre,
à
ſçauoir celle de l’eau qui paroiſt plus
obſcure
, à raiſon qu’elle reflechit vne
moindre
quantité de rayons.
3. que la
terre
ſe void comme vne Lune, ſi l’on
s’imagine
vn œil dans la Lune, car lors
qu’elle
eſt en tenebres, la terre eſt plei-
ne
, c’eſt à dire que le contraire s’obſer-
ueroit
dans la terre.
Mais il remarque
que
de la terre l’on nevoid que l’hemiſ-
phere
inferieur de la Lune, au lieu que
de
la Lune l’on verroit toutes les faces
de
la terre;
encore qu’elle ne peuſt eſtre
veuë
de tous les endroits de la Lune.
4. ſi le meſme coſté de la Lune regarde
touſiours
la terre, la ligne qui paſſe par
les
centres de la terre &
de la Lune paſ-
ſe
par le meſme point de la ſurface de
la
Lune, mais l’on ne void pas la meſme
face
de la Lune quand on eſt ſur la ſur-
face
de la terre, car l’on apperçoit
225207& Mathematiques. peu dauantage de ſa partie Occidenta-
le
, &
vn peu moins de l’Orientale, lors
qu’elle
ſe leue, &
au contraire quand
elle
ſe couche.
Or l’on prouue par les
lunettes
qu’elle paroiſt en cette façon,
car
de 2.
macules qu’elle a, l’vne regar-
de
le vent Meſtral, quãd elle eſt en-ſon
midy
, &
l’autre luy eſt oppoſee, & elle
peut
eſtre veuë ſans lunettes, comme
la
premiere dont la figure paroiſt en
ellipſe
, ou en ouale, &
eſt ſeparée des
plus
grandes macules:
or elles paroiſ-
ſent
tantoſt deux ou trois fois plus pro-
ches
, &
d’autresfois plus éloignées du
bord
.
Il remarque en 5. lieu que la Lu-
ne
reçoit vne plus grande lumiere de la
terre
, quand elle eſt à demy pleine, de
ſorte
que la lumiere reflechie par la ter-
re
eſt cauſe que nous voyons la partie
de
la Lune qui n’eſt point illuminée du
Soleil
.
6. ces 2. corps s’eclipſent l’vn
l’autre
reciproquement.
7. ſi le corps
de
la Lune eſtoit poly cõme vn miroir,
elle
ne nous paroiſtroit iamais illumi-
née
qu’en vne partie fort petite, com-
meil
eſt ayſé de demonſtrer par la gla-
ce
d’vn miroir cõuexe:
c’eſt
226208Queſtions Phyſiques, les inegalitez de la Lune nous ſeruent
pour
nous la fairevoir en ſes differentes
illuminations
par le moyen d’vne infi-
nité
de plans, qui reflechiſſent la lu-
miere
de tous coſtez.
Et parce que l’eau
que
l’on répand ſurvn corps remplit ſes
pores
, &
ſes cauitez, & que ſa ſurface
perd
ſes inegalités, nous le voyons plus
noir
, &
plus obſcur, comme l’on expe-
rimente
ſur les carreaux illuminez du
Soleil
, ſur leſquels on verſe de l’eau.
En 7. lieu, l’on remarque que la lu-
miere
de la terre reflechie ſur la Lune
paroiſt
beaucoup plus claire 2.
ou trois
iours
deuant, qu’apres ſa conjonction
auec
le Soleil, comme l’on experimen-
te
en la regardant vers l’Orient, auant
que
l’Aurore paroiſſe, car elle paroiſt
mieux
qu’à l’Occident:
ce qui arriue à
raiſon
de l’hemiſphere terreſtre, qui eſt
oppoſé
à la Lune d’Orient, car ce coſté
de
la terre contient toute l’Aſie, &
a
plus
de terre que de mer:
mais l’autre
hemiſphere
, qui cõtient le grand Oceã
Atlantique
, eſt oppoſé à la Lune Occi-
dentale
, &
l’experience enſeigne que
la
reflexion de l’eau eſt plus foible que
celle
de la terre.
D’où l’on ne peut
227209& Mathematiques. conclurre que la Lune ſoit compoſee
de
terre &
d’eau, d’autant que la dif-
ference
de ces lumieres peu.
arriuer
pour
d’autres raiſons.
En 8. lieu les parties de la Lune les
plus
polies ſont les moins claires, &
fõt
ſes
macules, comme l’on remarque aux
lignes
des bords qui ſeparent la partie
illuminée
d’auec l’autre, car les lieux
il n’y a point de macules, paroiſſent
merueilleuſement
inegales, &
comme
remplies
d’herbes, d’arbres, ou de mõ-
tagnes
, au lieu que les lieux des macu-
les
paroiſſent treſ-egaux.
En 9. lieu, il conclud qu’il n’y a point
d’habitans
dans la Lune, ou que s’il y
en
a qu’ils ſont entierement differens
d’auec
ceux de la terre, à raìſon qu’elle
eſt
differemment illuminée par le So-
leil
, car toute ſa ſurface n’eſt illuminée
qu’vne
fois le mois, durant lequel elle
a
ſes 4.
ſaiſons, au lieu que la plus gran-
de
partie de la terre qui eſt illuminéo
chaque
iour, n’a les ſiennes que dans vn
an
.
Et puis les Tropiques de la terre
ſont
éloignez de 47.
degrez, & ceux
de
la Lune n’ont que 10.
degrez, quí
font
la largeur du ventre du Dragon:
228210Queſtions Phyſiques,& finalement l’on n’a iamais obſeruó
de
nuéo dans la Lune, comme dans la
terre
.
Qvestion XLV.
Qui a-il de remarquable dans le ſecond
Dialogue de Galilée.
IL s’efforce de perſuader le mouue-
ment
annuel de la terre dans cette 2.
partie par les raiſons qui ſuiuent, car
puis
qu’il a fallu pour le bien des hom-
mes
que tout l’vniuers, &
particuliere-
mĕt
les eſtoiles, &
le Soleil enuiſageaſt
les
differentes parties de la terre, il ſem-
ble
qu’il eſt plus raiſonnable qu’elle
faſſe
ſon tour en 24.
heures, que de fai-
re
tourner le Soleil, &
les eſtoiles en
meſme
temps, puis que le circuit, &
le
chemin
de la terre eſt quatorze mille
fois
plus court, &
que l’õ ſe mocqueroit
de
celuy qui feroit tourner vne ville
toute
entiere au tour de ſoy, pour en
voir
toutes les maiſons, au lieu de ſe
tourner
ſoy meſme ſur vne tour pour
la
voir.
Dans la 109. page, il remarque
229211& Mathematiques. le mouuement des corps eſt ſeulement
à
l’égard des autre;
corps qui ſont
priuez
de ce meſme mouuement, &

qu’
Ariſtote a peruerti cet axiome en
ſubſtituant
que tout ce qui a mouue-
ment
, ſe doit mouuoir ſurvne choſe im-
mobile
;
d’où il conclud que le grand
mouuement
qu’ont les aſtres de l’O-
rient
à l’Occident ne peut eſtre appellé
mouuement
à leur égard, mais ſeule-
ment
en le comparãt auec la terre, par-
ce
qu’il ſe fait pour elle ſeule;
or elle
peut
ſuppleer tous ces mouuemens en
ſe
tournant elle meſme, &
la nature
cherche
touſiours, &
ſuit le chemin le
plus
court.
Et puis ſi la terre eſtoit im-
mobile
, il faudroit que les aſtres euſſent
deux
mouuen@ĕs contraires en meſme
temps
, à ſçauoir le diurne d’Orient en
Occident
, &
le propre d’Occident en
Orient
, lequel ils ont ſeulement en
mettant
la mobilité de la terre:
que y
que
l’on luy puiſſe répondre que les
aſtres
qui ſe meuuent plus viſte de meſ-
me
coſté, ont du mouuement à l’égard
de
ceux dont le mouuemĕt eſt plus tar-
dif
, &
que ſi l’on ſçauoit toutes les rai-
ſons
que Dieu cognoiſt, &
tous les
230212Queſtions Phyſiques, fets & les rencontres qui doiuent eſtre
dans
tout l’vniuers, que l’on iugeroit
qu’il
eſt plus à propos que la terre ſoit
immobile
.
Mais il adiouſte que les plus grands
cercles
, ou ſpheres du monde ſont plus
de
temps à faire leur circuit que les
moindres
, car Saturne fait le ſien en 30.
ans, Iupiter en 12. Mars en 2. le Soleil
en
vn, la Lune dans vn mois;
& ſi l’on
conſidere
les ſatellites de Mars, le pre-
mier
fait ſon cours dans 42.
heures, le
2
.
en trois iours & demy, le 3. en 7. & le
4
.
en ſeize. Or la terre ne peut eſtre
immobile
ſans troubler cet ordre, car
il
faut paſſer tout d’vn coup inſques
aux
eſtoiles quiſe meuuent en 24.
heu-
res
, au lieu que leur mouuement de-
uroit
eſtre fort tardif, puis que leur
ſphere
eſt beaucoup plus grande que
celle
de Saturne, &
conſequemment
qu’elle
deuroit eſtre immobile, de peur
que
l’on ſoit contraint d’auoüer que les
eſtoiles
, qui paſſent par l’équinoctial,
ſe
meuuent treſ - viſte, &
que celles qui
approchent
du pole ſe meuuent treſ-
lentement
.
Certes ces raiſons ne per-
ſuadent
nullement, dautant qu’il
231213& Mathematiques. nulle abſurdité que les aſtres, qui ont
les
plus grandes ſpheres, aillent plus vi-
ſte
;
& l’ordre fixe, & permanent qu’ils
tiennent
dans le firmament ſolide, ou
liquide
, ne prouue autre choſe ſinõl’ad-
mirable
ſageſſe de l’Ouurier qui les a ſi
bien
diſpoſez, qu’ils ne peuuent iamais
abandonner
leur rang.
L’autre raiſon
priſe
de la facilité qu’il y a de mouuoir
la
terre indifferĕte au repos &
au mou-
uement
, puis qu’elle n’a point d’autre
ſuſpenſion
que ſon propre poids, ou
équilibre
, &
qu’il n’eſt pas poſſible que
le
premier mobile rauiſſe tous les au-
tres
cieux, que quant &
quant il n’é-
branle
la terre, qui n’a nul appuy hors
de
ſoy, ſemble eſtre plus forte;
encore
que
l’on puiſſe répõdre que Dieu l’em-
peſche
de ſe mouuoir, &
que ſon cĕtre
affermit
tellement toutes ſes parties
qu’il
l@s tient touſiours dans vn meſme
lieu
:
& il n’eſt pas plus difficile à Dieu
derendre
chaque partie de la circonfe-
rence
immobile, que le centre.
Iclaiſſe maintenant pluſieurs autres
choſes
, dont il traite dans cc 2.
Dialo-
gue
, &
dans le 3. & le 4. dautant que
i’en
reſeruele diſcours, &
l’examĕ
232214Queſtions Phyſiques, ticulier pour vn liure entier, c’eſt pour-
quoy
j’adiouſte ſeulement icy le iuge-
ment
, &
la cenſure que les Cardinaux
ont
fait à Rome, de ſon liure, &
de ſes
opinions
, afin que nul ne ſe laiſſe ſut-
prendre
dans ces matieres.
COROLLAIRE.
Il n’eſt pas neceſlaire d’expliquer icy
les
raiſons pour leſquelles Galilée a eſté
condamné
, tant parce que l’hiſtoire en
ſeroit
trop longue, que parce que la
ſentence
, &
le procez qui ſuit en de-
clare
vne partie, comme l’on verra à la
ſuite
du diſcours, qui contient premie-
rement
les noms des Cardinaux qui y
ont
aſſiſté.
Sentence contre Galilée, & contre ſes Dialo-
gues
du mouuement de la terre.
NOus Gaſpar du titre de ſainct@
Croix
en Ieruſalem, Borgia.
Frere Fœlix Centino du titre de ſainct
Anaſtaſe
dit d Aſcoli.
Guido du titre de ſainte Marie du Peu-
ple
, Bentiuoglio.
233215& Mathematiques.
F. Deſiré Scaglia de ſainct Charles, dit
Cremone
.
F. Anthoine Barberin dit de S. Onu-
phre
.
Laudiuius Zacchia du titre de S. Pier-
re
és Liens, dit de S.
Sixte.
Berlingerius du titre de S. Auguſtin
Geſſo
.
Fabrice du titre de S. Laurent in pane
&
perna Veroſpi, appellez Preſtres.
François de S. Laurĕt in Damaſo Bar-
berin
, &
Martius de Ste Marie neufue
Ginetto
, Di@cres par la miſericorde de
Dieu
, Cardinaux de la ſaincte Egliſe
Romaine
, Inquiſiteurs Generaux de la
ſaincte
Foy Apoſtolique, en toute la
Republique
Chreſtienne, ſpecialemĕt
deputez
contre l’hereſie.
Comme ainſi ſoit que toy Galilée,
fils
de feu Vincent Galilée Florentin
âgé
de 70.
ans, as eſté denoncé en ce S.
Office dés l’année 1613. que tu tenois
pour
vraye la fauſſe doctrine enſeignée
par
quelques-vns, à ſçauoir que le So-
leil
eſt le centre du monde, &
qu’il eſt
immobile
, &
que la terre ſe meut auſſi
d’vn
mouuement journalier;
que tu
auois
quelques diſciples auſquels
234216Queſtions Phyſiques, enſeignois la meſme doctrine; que tou-
chant
la meſme choſe tu entretenois
correſpondance
auce quelques Mathe-
m@@ciens
d’Allemagne:
que tu auois
f
imp@mer quelques lettres intitu-
lées
, du S@l@@l, dans leſquel-
l@@
tu expliquois la meſme doctrine
comme
vraye:
qu’aux obiections ti-
rées
de la ſamcte Eſcriture que quel-
quefois
l’on te faiſoit, tu reſpondois en
gloſant
ladite Eſcriture conformémĕt
à
ton ſentiment:
& qu’en ſuite la co-
pie
d’vn écrit en forme de lettre fut
preſentée
, que l’on diſoit auoir eſté eſ-
@rite
par toy à vn certain ton diſciple,
en
laquelle ſuiuant l’expoſition de Co-
pernic
, ſont contenuës diuerſes propo-
ſitions
contre le vray ſens, &
l’aurhori-
de la ſaincte Eſcriture.
P@@rcc ſuiet le ſainct Office voulant
pourno@r
au deſordre, &
au dommage
qui
prouenoit de , &
qui s’alloit aug-
mentãt
au preiudice de la ſaincte Foy.
Par i’ordonnance de ſa Saincteté, &
des
Fminentiſſimes &
Reueiendiſſi-
mes
Seig@eurs Cardinaux de cette ſou-
uerai@e
.
& vniuet ſelle Inquiſition, les
deux
propoſitions de la ſtabilité du
235217& Mathematiques. leil, & du mouuement de la terre, ont
eſté
qualifiées par les Theologiĕs Qua-
lificateurs
, à ſçauoir,
Que cette propoſitiõ, La terre n’cſt point
le
centre du monde, @i immohile, mais elle ſe
ment
, meſme du mouuement iourn@li@@, eſt
vne
propoſition abſurde, &
fauſſe en la
P@iloſophie
, &
que conſiderée en
Theologie
, elle eſt au moins erronée
en
la Foy.
Mais parce que l’on vouloit alors
proceder
enuers toy auec douceur, il
fut
decreté dans la Congregatiõ tenuë
en
la preſence de ſa Saincteté le 29.
de
Feburier
1616.
que l’Eminentiſſime
Seigneur
Cardinal Bellarmin t’enioi-
gniſt
que tu euſſe à quitter entierement
ladite
fauſſe opinion, &
qu’au cas que
tu
refuſaſſe de ce faire, le Commiſſaire
du
S.
Office te feiſt commandement
de
quitter ladite doctrine, &
que tu ne
continuaſſe
plus à l’enſeigner aux au-
tres
, ni à la deffendre, ni à en traiter:
que ſi tu n’aquieſſois à ce commande-
ment
, tu fuſſe mis en priſon, &
en exe-
cution
du meſme Decret, le iour ſui-
uant
dans le Palais, &
en la preſence
du
ſuſdit Eminentiſſime ſeigneur
236218Queſtions Phyſiques, dinal Bellarmin, apres auoir eſté beni-
gnement
aduerti &
admoneſté par le
meſme
ſeigneur Cardinal, il te fut fait
commandement
par le Pere Commiſ-
ſaire
du S.
Office, qui eſtoit pour lors
auec
vn Notaire, &
des teſmoins, que
tu
euſſe à quitter du tout ladite fauſſe
opiniõ
, qu’à l’aduenir tu ne peuſſe plus
la
tenir, ni la deffendre, ny l’enſeigner
en
façon quelconque, ny de viue voix,
ny
par écrit;
ce qu’a yant promis tu fus
licentié
.
Et afin d’abolir entierement
vne
ſi pernicieuſe doctrine, &
d’empeſ-
cher
qu’elle n’allaſt ſe gliſſant plus auãt
au
grand preiudice de la verité Catho-
lique
, il emana vn Decret de la Con-
gregation
de l’Index, par lequel les li-
ures
qui traitent d’vne telle doctrine
furent
deffendus, &
cette meſme do-
ctrine
declarée fauſſe, &
du tout con-
traire
à la ſaincte Eſcriture.
Et dernierement ayant icy paru vn
liure
imprimé à Florence l’an paſſé,
dont
l’inſcription monſtroit que tu en
eſtois
l’autheur, le titre eſtant tel, Dia-
logues
de Galilée Galilei des deux prin-
cipaux
ſyſtemes du monde Ptolemai-
que
, &
Copernique, & en ſuite la
237219& Mathematiques. te Congregation eſtant informée que
par
l’impreſſiõ dudit liure la fauſſe opi-
nion
du mouuement de la terre, &
de
l’immobilité
du Soleil prenoit plus de
pied
de iour en iour, &
s’eſtendoit de
plus
en plus;
apres que ledit liure fut di-
ligemmĕt
conſideré, l’on y trouua l’ex-
preſſe
tranſgreſſion du ſuſdit comman-
dement
, qui t’auoit eſté fait, le meſme
liure
deffendu continuant ladite opi-
nion
deſia cõdamnée, &
declarée pour
telle
en ta preſence, encore que tu t’ef-
forces
dans ledit liure de perſuader par
differentes
raiſons que tu la laiſſe, com-
me
indeterminée, &
expreſſément pro-
bable
, ce qui ſemble vn erreur (vne
opinion
declarée, &
definie pour con-
traire
à la ſainte Eſcriture, ne pouuant
en
nulle façon eſtre probable)
Et pour ce ſuiet par noſtre ordõnan-
cetu
as eſté appellé à ce S.
Office,
apres
ton ſerment eſtant examiné tu as
reconnu
que tu as compoſé, &
fait im-
primer
le liure, &
as confeſſé qu’il y a
enuiron
10.
ou 12. ans, qu’aprez que
l’on
t’eut fait le ſuſdit commãdement,
tu
cõmenças à écrire ledit liure, lequel
@u
as demādé congé de faire
238220Queſtions Phyſiques, ſans toutesfois notifier à ceux qui t’ont
donné
cette licence, que tu auois com-
mandement
de ne point tenir, ni en-
ſeigner
en aucune maniere vne tello
doctrine
.
Tu as pareillement confeſſé que ce
qui
eſt contenu audit liure eſt tellemĕt
deffendu
en pluſieurs lieux que le le-
cteur
peut ſe former cette penſee que
les
argumens rapportez pour la partie
fauſſe
eſtant deduis, &
cnoncez en tel-
le
maniere, ils ſont plus puiſſans pour
conuaincre
, que faciles à ſoudre, t’ex-
cuſant
d’eſtre tombé en cet erreur (ſi
éloigné
comme tu @s dit) de ton inten-
tion
, pout au oir écrit en forme de dia-
logues
, &
par la naturelle complaiſan-
ce
que chacun a en ſes propres ſubtili-
tez
, &
à ſe faire paroiſtre plus ſubtil que
le
commun des hommes, &
meſmes à
trouuer
des diſcours ingenieux, &
des
raiſonnemens
probables en apparence,
pour
appuyer des propoſitions fauſſes.
Et t’ayant eſté determiné vn temps
conuenable
pour faire tes deffences,
tu
as produit vne Atteſtation écrite de
la
main de l’Eminentiſſime Cardinal
B@llarmin
que tu auois procurée,
239221& Mathematiques. me tu as dit, pour te deffendre des ca-
lomnies
de tes ennemis, qui diſoient
que
tu auois fait vne abjuration, &
que
tu
auois eſté penitentié par le S.
Office;
par laqueile atteſtation il eſt dit que tu
n’auois
fait aucune abjuration, &
que
tu
n’auois point auſſi eſté penitencié,
mais
que l’on t’auoit ſeulemĕt pronon-
la declaration faite par ſa Saincteté,
&
publiée par la Sacrée Congregation
de
l’Index, dãs laquelle il eſt porté que
la
doctrine du mouuement de la terre,
&
de l’immobilité du Soleil eſt contrai-
re
aux ſaintes Eſcritures, partant qu’el-
le
ne ſe peut deffendre, ni tenir, &
que
par
conſequent n’y eſtant faite aucune
mention
des deux parties du comman-
dement
, à ſçauoir docere, &
quouis modo,
l’on
doit croire que dans le cours de 14.

ou
16.
ans tu en auois perdu toute me-
moire
, &
que pour la meſme raiſon tu
auois
teu le commandement, quand tu
as
demandé la licence de pouuoir faire
imprimer
le liure, &
que tu diſois tout
cela
, non pour excuſer ta faute, mais
afin
que l’on ne l’attribuë à vne ma-
lice
, mais à vn@ ambition.
Mais tu es demeuré plus chargé
240222Queſtions Phyſiques, l’atteſtation que tu as produite pour ta
deffence
, puis qu’il eſt porté par icelle
que
ladite opinion eſt contraire à la
ſaincte
Eſcriture, tu as neantmoins oſé
en
traiter, &
la deffendre comme pro-
bable
, la licence que tu as extor quée
auec
artifice, &
fineſſe, ne te peut eſtre
fauorable
, n’ayant pas notifié le com-
mandement
que tu auois.
Et nous eſtant auis que tu n’auois pas
dit
entierement la verité touchant ton
intention
, nous iugeaſines qu’il eſtoit
neceſſaire
de proceder contre toy à l’e-
xamen
rigoureux, auquel ſans aucun
preiudice
des choſes par toy cõfeſſées,
&
deduites contre toy, comme cy deſ-
ſus
, tu as répondu catholiquement ſe-
lon
ta dite intention.
Partant veu meurement, & examiné
l’importance
de cette tiĕne cauſe auec
teſdires
confeſſions &
excuſes, & tel-
le
que l’on deuoit raiſonnablement
voir
, &
conſiderer, nous auons proce-
contre toy à la ſentence definitiue
eſcrite
cy apres.
A yant done inuoqué le Treſ-ſainct
nom
de noſtre Seigneur Ieſus-Chriſt,
&
de la treſ-glorieuſe Mere
241223& Mathematiques. Vierge Marie, par cette noſtre ſenten-
ce
deffinitiue, laquelle ſeansicy en no-
ſtre
Tribunal, du conſeil &
aduis des R.
P. Maiſtres en la ſaincte Theologie, &
Docteurs
de l’vn &
l’autre droit nos
Conſulteurs
, nous proferõs en ces écri-
tures
en la cauſe &
és cauſes agitécs
pardeuãt
nous entre l’honorable Char-
les
Syncero Docteur de l’vn, &
l’autre
droit
, Procureur Fiſcal de ce ſainct Of-
ſice
d’vne part, &
toy Galilée Galilei
ſuſdit
coupable icy preſenté, interrogé,
pourſuiuy
, &
confeſſé comme deſſus
de
l’autre.
Nous diſons, prononçons,
&
decernõs, quc toy calilée ſuſdit pour
les
choſes deduites au procez, &
par toy
confeſſées
comme deſſus, t’es rend@
grandement
ſuſpect d’hereſie à ce S.

Office
, à ſçauoir d’auoir tenu, &
creu
la
doctrine fauſſe, &
cõtraire aux ſain-
tes
&
diuines Eſcritures, que le Soleil
eſt
le centre du monde, &
qu’il ne ſe
meut
pas d’Orient en Occident, &
que
la
terre ſe meut, &
n’eſt pas le centre
du
monde, &
que l’õ peut tenir & def-
fendre
pour probable vne opiniõ apres
auoir
eſté declarée, &
definie pour con-
traire
à l’Eſcriture ſaincte, &
qu’en
242224Queſtions Phyſiques, te tu as encouru toutes les cenſures, &
peines
des ſacrez Canons, &
autres
conſtitutions
generales, &
patt@culieres
impoſées
, &
promulg@ées contre ſem-
blables
delinquans, dont nous con-
ſentõs
que tu ſois abſous, pourueu que
tu
abiure, &
maudiſſe, & deteſte de-
uant
nous auec vn cœur ſincere, &
vne
foy
non e les ſuſdites erreurs, &
hereſies
, &
toute autre erreur, & here-
ſie
contraire à l’Egliſe Apoſtolique &

Catholique
, en la maniere &
en la for-
me
que nous te donnerons.
Et afin que ceſte grande erreur, &
cette
tranſgreſſion que tu as commis
ne
demeure pas entierement impunie,
&
que tu ſois plus aduiſé à l’aduenir, &
que
tu ſerue d’exemple aux auttes, afin
qu’ils
s’abſtiennent de ſemblables fau-
tes
, Nous ordonnons que par vn Edit
public
, le liure des Dialogues de Gali-
lée
Galilei ſoit deffendu, te condam-
nons
aux priſons formelles de ce noſtrc
ſainct
Office po@r le temps qu’il nous
plaira
, &
pour penitence ſalutaire t’im-
poſons
que durant les trois années ſui-
uantes
tu die vne fois la ſemaine les 7.
Pſeaumes Penitentiels, nous
243225& Mathematiques. le pouuoir de moderer, changer, & le-
uer
du tout, ou en partie les peines, &

penitences
ſuſdites.
Et ainſi diſons,
prononçons
, decernons, declarons, or-
donnons
, condamnons, &
reſeruons en
ceſte
, &
en toute autre meilleure ma-
niere
, &
forme que de raiſon nous pou-
uons
, &
deuons, Ita pronunciamus nos
Cardinalcs infraſcripti.
Fr. Cardinalis de Aſculo.
G. Gardinalis Bentiuolus.
Fr. D. Cardinalis de Cremona.
Fr. Ant. Cardinalis S. Onofrij.
B. Cardinalis Gypſius.
F. Cardinalis Veroſpius.
M. Cardinalis Gineſtus.
Ie Galilée fils de feu Vincent Galilet
âgé
de 70.
ans, conſtitué perſonnelle-
ment
en iugement, &
agenoüillé de-
uant
vous Eminentiſſimes, &
Reuerĕ-
diſſimes
Seigneurs Cardinaux Inquiſi-
teurs
Generaux en toute la Republi-
que
Chreſtienne contre la malignité
heretique
, ayant deuant mes yeux les
Sacro
ſaincts Euãgiles, leſquels ie tou-
che
de mes propres mains, iure que i’ay
touſiours
creu, crois maintenant, &

moyennant
l’ayde de Dieu croiray
244226Queſtions Phyſiques, l’aduenir tout ce que la ſaincte Egliſe
Catholique
, Apoſtolique, &
Romai-
ne
tient, preſche, &
enſeigne: mais dau-
tant
que par ce ſainct Office, pour auoir
dit
qu’il n’auoit eſté de ſa part meſme
iuridiquement
inthimé auec comman-
dement
que i’euſſe à quiter entieremĕt
la
fauſſe opinion, que le Soleil eſt le
centre
du monde, &
qu’il ne ſe mcut
point
, &
que i’euſſe à ne point tenir, ny
deffendre
, ny enſeigner en façon quel-
conque
, ny de viue voix, ny par écrit
ladite
fauſſe doctrine, &
dit qu’il m’a-
uoit
eſté notifié que ladite doctrine eſt
contraire
à la ſaincte Eſcriture, &
fait
imprimer
vn liure, dans lequelie traite
la
meſme doctrine deſia condamnée, &

apporte
des raisõs auec beaucoup d’ef-
ficace
en ſa faueur, ſans donner aucune
ſolution
, i’ay eſté iugé grandement ſuſ-
pect
d’hereſie, à ſçauoir d’auoir tenu, &

creu
que le Soleil eſt le centre du mon-
de
, &
immobile, & que la terre n’eſt
point
le centre, &
qu’elle ſe meut.
Partant voulant oſter de l’eſprit de
vos
Eminĕces, &
de tout fidelle Chre-
ſtien
ce vehement ſoupçon, raiſonna-
blement
conçeu contre moy, Ieiure,
245227& Mathematiques. deteſte, & maudis d’vn cœur ſincere, &
d’vne
foy nõfeinte les ſuſdites erreurs,
&
hereſies, & generalement routes &
chacune
autre erreur, hereſie, &
ſecte
contraire
à la ſuſdite Ste Egliſe, &
iure
qu’à
l’aduenir ie ne diray ny n’affirme-
ray
plus iamais de voix, ou par eſcrit
telles
choſes, à raiſon deſquelles on
puiſſe
auoir vn ſemblable ſoupçon de
moy
.
Que pluſtoſt ſiie viens à connoi-
ſtre
quelque heretique, ou quelqu’vn
qui
en ſoir ſuſpect, ie le dénonceray à
ce
ſainct Office, ou bien à l’Inquiſiteur,
ou
à l’ordinaire du lieu il ſera.
Ie iu-
re
auſſi, &
promets d’accomplir, & gat-
der
entierement toutes les penitences
qui
m’ont eſté, ou meſeront impoſees
par
ce S.
Office. Etauant que ie con-
treuienne
à aucune de meſdites pro-
meſſes
&
iuremens (ce que Dieu ne
vueille
) ie me ſouſmets à toutes les pei-
nes
, &
les punitions, qui ſont impoſées,
&
promulguées par les ſacrez Canons,
&
autres Conſtitutions generales, &
patticulieres
contre ſemblables delin-
quans
.
Ainſi Dieu m’aſſiſte, & ceſont
les
ſainctes Euangiles que ie touche.
Ie Galilée Galilei ſuſdit ay
246228Queſtions Phyſiques, iuré, promis, & me ſuis obligé comme
deſſus
, &
en témoignage de la verité,
P
ay ſouſcrit de ma propre main la pre-
ſente
cedule de mon abiuration, &

l’ay
recitée de mot à mot à Rome dans
le
Conuent de la Mineure ce iourd’huy
22
.
de Iuin 1633.
Ie Galilée Galilei ay abiuré comme
deſſus
de ma propre main.
Qvestion XLVI.
A ſçauoir ſi la Nature & les ſens ſe plaiſent
à
la varieté, & à la diuerſité des ob-
iects
, & pour quelles raiſons elle
y
prend plaiſir.
BIen que cette queſtion ſemble n’a-
uoir
pas beſoin d’eſtre prouuée cõ-
me
eſtant concedée de toutle monde,
meantmoins
elle eſt plus difficile que
pluſieurs
ne ſe l’imaginent, car la raiſon
n’en
eſt pas connue;
c’eſt pourquoy le
temps
qui ſera employé à l’expliquer,
ne
ſera pas perdu, pourueu que nous
puiſſions
produire les raiſons, &
les cau-
ſes
de ſa verité, puis qu’elle eſt l’vn
247229& Mathematiques. principaux fondemens de la compoſi-
tion
de Muſique, &
de l’att que les
Grecs
appellent Melopoée.
Or cette
propoſition
ſignifie preſque vne meſme
choſe
que ce qui ſe dit aux écoles, Na-
tura
diuerſo gaudet.
Mais on peut parler
de
la nature en pluſieurs manieres, car
elle
ſe prĕd quelquefois pour celuy qui
a
fait la nature, c’eſt à dire pour l’Au-
theur
de l’vniuers, &
eſt appellée dans
les
écoles Nature Naturante, cõme tout
ce
qui a eſté fait, eſt appellé Nature Na-
turée
:
D’autreſois elle ſe prend pour
l’eſſence
de chaque choſe, particuliere-
ment
pour celle de l’homme qui eſt
l’abregé
du monde, &
qui contient la
nature
intellectuelle, la ſenſitiue, &
la
vegetante
.
Sinous parlons de la nature qui ſigni-
ſie
l’Autheur de l’vniuers, c’eſt choſe
aſſeurée
qu’il ſe plaiſt à la diuerſité, puis
qu’il
a fait toutes les differances des
eſtres
, &
des natures qui compoſent les
cieux
, &
les elemens, car il ne peut fai-
re
que ce qu’il luy plaiſt:
De vient
que
nous pouuons meriter la vie erer-
nelle
par le plaiſir que nous prenons à
contempler
toutes les richeſſes &
248230Queſtions Phyſiques, diuerſitez qui ſontau monde, ſi toutes-
fois
nous le rapportons à celuy de Dieu,
&
ſi nous le conformons à celuy duquel
le
noſtre eſt l’image.
Si nous prenons la nature pour l’eſ-
ſence
, ou les facultez de chaque choſe,
il
n’y a que celles qui ont du ſentiment,
ou
la vie ſenſitiue, qui puiſſent recenoir
du
plaiſir.
Nous ne ſçauons pas meſme
ſi
les oyſeaux, &
les autres animaux qui
n’ont
que l’ame ſenſitiue, prennent du
plaiſir
à ce qu’ils font à propremĕt par-
ler
;
car il ſemble que le plaiſir conſiſte
en
la reſlexion que fait l’eſprit ſur les
operations
des ſens, qui luy ſont agrea-
bles
&
qu’il ſoit beſoin de quelque li-
berté
, ſi on veut que l’action ou la paſ.
ſion ſoit plaiſante, car ſi nous eſtions
contraints
de mãger, de flairer les bon-
nes
odeurs, ou d’entendre la Muſique,
ces
actions contraintes ſe cõuertiroient
en
déplaiſirs.
Non que le veuille icy
determiner
ſi les oyſeaux ont du plaiſir
à
chanter, &
les autres animaux à ſe
joüer
enſemble, ou s’ils en ont, quel il
peut
eſtre, dautant que cette difficulté
merite
vn traicté particulier;
il me ſuf-
fit
de dire ſeulement qu’ils ne ſont
249231& Mathematiques. contraints à faire ce qu’ils font encore
qu’ils
le faſſent neceſſairement:
car le
roſſignol
, par exemple, ne peut quitter
ſon
chant, s’il n’arriue quelque choſe
de
nouueau qui le neceſſite de ceſſer:
& ne peut commencer, s’il ne reſſant
quelque
aiguillon, dont il eſt tellemĕt
picqué
, qu’il ne peut y reſiſter, ſembla-
ble
aux fleurs@ qui s’ouurent neceſſaire-
ment
à la preſence du Soleil, &
qui ſe
ferment
en ſon abſence;
autiement il
faudroit
aduoüer que les beſtes ſeroièt
libres
en leurs actions, ce qui n’appar-
rient
qu’à la nature intellectuelle &
rai-
ſonnable
, qui porte la reſſemblance de
la
liberté Diuine, &
qui par la preroga-
t@ue
de ſa liberté eſt auſſi éloignée de
l’imperſection
des animaux, que le ciel
eſt
éloigné de la terre.
Par conſequent
on
peut dire que le roſſignol, ou les au-
tres
oyſeaux ne peuuent reſiſter à la
douceu@
, &
au charme des voix & des
luths
, qu’ils ſuiuent dans les bois, ou
ailleurs
, dõt ils ſont auſſi puiſſammĕtou
du
moins auſſineceſſairemĕt attirésque
les
carroſſes le ſont par les cheuaux quí
les
meinent:
Ce qu’il faut encore con-
clurre
des autres objects, auſquels
250232Queſtions Phyſiques, portent, ou pluſtoſt ſont portez les ani-
maux
, qui ſuiuent ce qui leur eſt conue-
nable
, comme le fer ſuit l’aymant.
Ce
qui
n’eſt pas de meſme en la nature rai-
ſonnable
, qui a vn contentement plein
de
liberté, &
à qui ie veux appliquer
cette
propoſition, car c’eſt pour les hõ-
mes
que i’écris de la muſique, biĕ qu’el-
le
face de grands effects ſur les autres
choſes
animées, &
inanimées, comme
i’av
dit &
demonſtré aux autres liures.
Ce que nous cerchons donc, ce ſont
les
raiſons pourquoi nous nous plaiſons
à
la diuerſité des ob@ects, &
nommé-
ment
, pourquoy la ſuite de differents
accords
nous plaiſt dauantage, que la
continuation
d’vn meſme accord, en-
core
que cettuy cy ſoit le plus agreable
de
toute la Muſique:
par exĕple, pour-
quoy
la continuation de l’octaue, ou de
la
quinte, qui ſont les deux cõſonances
les
plus excellentes, &
les plus agrea-
bles
, ne nous contente autant ou da-
uantage
que le mélãge des tierces, des
ſextes
, &
c. auec la quinte & l’octaue,
Il
en eſt de meſme des autres obiects,
car
on remarque que le ſucre qui eſt ſi
agreable
nous déplaiſt ſinous en
251233& Mathematiques. ſouuent, & le verd ne nous eſt pas ſi
agreable
, que nous n’aimions mieux le
quitter
pour voir d’autres couleurs qui
ne
nous ſont pas ſi conformes.
Certainement ſi nous conſiderons le
plus
parſait obiect de chaque ſens com-
me
ſa ſin derniere, &
que, par exemple,
le
doux ſoit la felicité du gouſt, le verd
des
yeux, l’odeur de l’œillet du flairer,
le
parſait poly du toucher, &
l’octaue
de
l’oüie, il ſera, ce me ſemble, aſſez
difficile
de dire pourquoy nos ſens ſe
plaiſent
à la diuerſité, puis qu’ils doi-
uent
ſe repoſer dans la poſſeſſion de ce
qui
leur eſt le plus conforme, &
de ce
qui
leur apporte la plus grande perfe-
ction
qu’ils puiſſent receuoir:
ſi ce n’eſt
qu’on
diĕ que le parfait obiect de cha-
que
ſens doit contenir toutes les cho-
ſes
dõt il eſt capable:
Par exemple, que
l’obiect
de l’oreille, ou de l’oüie, doit
contenir
toutes les conſonances, &

meſme
toutes les diſſonances formel-
lemĕt
, ou en émmance:
que l’obiectdu
gouſt
doit cõtenirt@utes lesſaueut@, cõ-
me
on dit de la mãne que Dien enuoya
aux
enfans d’Iſrael;
que l’obiect de la
vęuë
doit embraſſer toutes les
252234Queſtions Phyſiques,& toute la lumiere, & c. ce qui n’arriue-
ra
qu’en Paradis, ou l’eſſence Diuine
ſera
le parfait obiect de l’entendement
des
bien-heureux, &
ou les ſens ioüi-
ront
de la perfection de leurs obiects,
dont
il ſera traité plus amplement dans
le
dernier liure, qui ſera de la Muſique
des
bien-heureux.
Il ſuffit de ſçauoir
&
d’experimenter que les obiects de
nos
ſens n’ont pas icy leur perfection,
ou
que les ſens sõt priuez de celle qu’ils
auront
apres la reſurrection:
Mais par-
lant
ſeulemĕt des ſens dont nous nous
ſeruons
maintenant, nous pouuõs dire
qu’ils
ſe plaiſent à lavarieté de leurs ob-
iects
, afin qu’ils puiſſent trouuer ſepa-
rément
, ce qu’ils ne peuuent rencon-
trer
en vne choſe, &
qu’ils ſe forment
quelque
idée de la perfection à laquelle
ils
aſpirent.
D’abondant les organes
des
ſens ſont compoſez des quatre ele-
mans
, &
ont leurs quatre qualitez, &
celles
qui en naiſſent qu’on appelle ſe-
condes
, de vient qu’ils ont beſoin de
routes
les ſortes d’obiects pour leur ſa-
tisfaction
, dont les vns ſont plus terre-
ſtres
, les autres ont plus d’eau, &
c. afin
qu’ils
trouuent aux vns, ce qui n’eſt pas
aux
autres.
253235& Mathematiques.
Mais il faut à mon aduis tirer la prin-
cipale
raiſon de l’eſprit, puis que c’eſt
luy
qui reçoit le plaiſir par le moien des
ſens
qui n’ont nulle connoiſſance, &

qui
ſeruent ſeulement de matiere, &

d’inſtrumĕt
à l’ame.
L’eſprit de l’hom-
me
qui eſt capable de connoiſtre tout
ce
qui eſt intelligible, deſire touſiours
d’apprĕdre
choſes nouuel@es, delà vient
que
ſi toſt qu’il a entendu la quinte ou
l’octaue
, &
qu’il a ioüy de tout le plaiſir
qui
s’y rencontre, il deſire incontinent
de
s’appliquer à d’autres connoiſſances,
&
de gouſter le plaiſir qui eſt aux autres
conſonances
, encore qu’il ſoit plus im-
parfaict
que celuy dont il ioüiſſoit au-
parauant
;
afin que ſa perfection ſoit
augmentée
, qui conſiſte dans vne con-
noiſſance
qui ſoit plus grande en ſon
eſtenduë
ou en ſa perſectiõ, qu’elle n’e-
ſtoit
auparauant.
A quoy il faut adiouſter que l’eſprit
de
l’homme luy a eſté baillè en partage
en
contre-échange de pluſieurs autres
choſes
, qui ſont tombées au lot des au-
tres
animaux, pour ſuppléer quaſi à tout
ce
qui luy pourroit manquer;
& com-
me
toute ſorte de choſes ne
254236Queſtions Phyſiques, pas eſtre employées à meſme vſage, il
taſche
à les connoiſtre toutes pour s’en
ſeruir
à l’occaſion;
que ſi vne ſeule cho-
ſe
luy ſuffiſoit, il ſeroit content de ſa
ſeule
connoiſſance, mais eſtant en la
nature
comme vn Roy dãs vn Royau-
me
, qui comme éleué plus ſplendide-
ment
, &
nourry plus delieatement a
beſoin
pour ſa perſonne de beaucoup
de
choſes, dont ſes ſujets, &
le reſte du
peuple
ſe paſſent, il a nõbre d’officiers,
de
valets, &
de pouruoieurs; auſſi l’eſ-
prit
de l’homme employe tous les ſens,
&
les enuoye à la prouiſion de tout ce
que
la nature a eſtably icy bas, pour s’en
ſeruir
, non ſeulement en ſes neceſſitez,
mais
auſſi à ſes plaiſirs &
cõtentemens.
Diſons d’abondant que les hommes
ayment
la diuerſité comme infirmes, &

periſſables
, puiſque la vie des hommes
ne
ſe conſerue qu’en periſſant.
Du pre-
mier
iour qu’il commence, il court à ſa
ſin
, &
quoy que toutes ſes actions ten-
dent
à ſon augmĕtation, cõme actions,
neantmoins
elles cõſomment vne par-
tie
de luy meſme.
Tous les ſens ſubſi-
ſtent
par les eſprits, qui ſont portez par
les
nerſs à l’organe du ſens, &
les
255237& Mathematiques. ſe conſomment en l’action, de ſorte
qu’il
eſt beſoin de repos pour les repa-
rer
.
Or les vnes des actions ſont repos
à
proportion des autres, le trop long re-
pos
eſt oiſiſ, &
le trop long trauail eſt
deſtroiſant
, il faut dõc qu’ils ſuccedent
l’vn
à l’autre, &
de cette ſucceſſion naiſt
la
diuerſité, &
de cette diuerſité le plai-
ſir
, comme en la Muſique, l’octaue ſe
peut
dire le repos entier, la quinte vn
grand
ſoulagement, la quarte vn tra-
uail
leger, la tierce vn plus court, la
ſexte
vn moindre, la ſeconde &

ſeptieſme
des trauaux inſuppor-
tables
, &
qui accablent. Or comme
celuy
qui eſt chargé d’vn lourd far-
deau
, &
qui luy fait ployer les reins, &
flechir
les genoux, s’eſtime eſtre dans
le
contentement parfait de ſon corps,
lors
qu’il en eſt déchargé tout à coup,
auſſi
celuy qui apres auoir oüy vne ſe-
conde
, ou vne ſeptieſme, vient à enten-
dre
promptement vne octaue, croit
eſtre
dans le plus grand plaiſir que l’eſ-
prit
ſe puiſſe imaginer pouuoir receuoir
par
l’oreille.
Or l’on peut conclurie pluſieurs cho-
ſes
de ce diſcours, particulieremĕt
256238Queſtions Phyſiques, tout ce qui eſt trop ſimple, & tout ce
qui
n’a point de diuerſité ne plaiſt pas
aux
ſens, ny à l’imagination.
De
vient
que ſi le ſon le plus agreable du
monde
, ſoit de la voix ou des inſtru-
mĕs
, eſt long temps continué, qu’il eſt
deſagreable
, dautant qu’il n’a point de
varieté
:
s’il eſt interrompu, comme il
eſt
quand l’on fait quelque poſe, qu’il
eſt
plus agreable, encore qu’il ſoit auſſi
bien
à l’vniſſon, que quand il eſt conti-
nué
, parce que l’interruption apporte
quelque
maniere de varieté:
Si auec
ces
poſes il eſt accompagné de differen-
tes
ſyllabes, &
parolles, qu’il eſt plus
agreable
que quand il eſt ſeulement in-
terrompu
:
Si le ſon change de quantité
ſe
faiſant plus aigu, comme il a riue au
plain
chant, qu’il eſt plus agreable que
le
ſon vniſſon qui a des ſyllabes, com-
me
eſt le chant de quelques Religieux,
&
ſinalement, ſi auec l’interruption, &
la
difference des ſyllabes, &
le change-
ment
du graue à l’aigu, il a les differens
mouuemens
de la Rythmique, ou de la
Metrique
, qu’il eſt ſouuerainement
agreable
, dautant qu’il a toutes les
beautez
que l’on luy peut donner pour
le
varier.
257239& Mathematiques.
Il ne faut pourtant pas que la diuer-
ſité
ſoit trop grande pour plaire, com-
me
nous dirons au traité des diſſonan-
ces
, ou nous monſtrerons qu’elles ne
plaiſent
pas, mais qu’elles ſont deſa-
greables
à cauſe de leur trop grande di-
uerſité
:
encore qu’il ſoit treſ-difficile
de
dire combien la diuerſité doit eſtre
grande
en toutes choſes pour commĕ-
cer
à déplaire, &
qu’il y ayt d’autres
cauſes
du deplaiſir que l’imagination
conçoit
des objects.
L’on peut encore conclurre de ce
diſcours
, que ce que l’on appelle beau,
ou
beauté, ne doit pas eſtre indiuiſible,
ou
trop ſimple, mais qu’il doit auoir de
la
diuerſité:
par exemple, ſi toutes les
parties
du viſage eſtoient ſemblables, il
ne
ſeroit pas ſi beau qu’il eſt:
& ſi l’on
ne
remarquoit l’ordre des differentes
parties
d’vn baſtiment, &
qu’il fuſt tout
vniforme
, l’õ ne le trouueroit pas beau.
Mais il eſt difficile de ſçauoir quelle
doit
eſtre la diuerſité de l’obiect:
par
exemple
, quels lineamens, quelle figu-
re
, quelle graudeur, quelle couieur, &

quel
poly doit auoir le viſage, pour eſtre
rauiſſant
:
& ce ie ne ſçay quoy qui
258240Queſtions Phyſiq. & Mathem. attire, & qui s’empare de noſtre affe-
ction
, quand nous regardons quelque
viſage
qui nous plaiſt, ne peut eſtre ex-
pliqué
, ny entendu.
La meſme diſſiculté ſe rencontre en
pluſieurs
autres choſes, cõme aux edi-
fices
, aux c@@omnes, aux figures, &
en
tous
les autres corps du monde, de ſor-
te
qu’il n’y a, ceſemble, que Dieu qui
ſçache
le vray point de la perfection, &

de
la beauté de chaque choſe, &
qui
connoiſſe
parfaitemĕt quelle doit eſtre
la
diuerſite de chaque object pour rauir
l’eſprit
, ou les ſens:
de ſorte que la plus
grande
eſtĕduë de l’eſprit humain con-
ſiſte
à remarquer les apparences de la
nature
, &
particulierement celles qui
frappent
, &
qui contentent les ſens;
quoy que l’eſprit eſtãt l’image de Dieu
ſe
doiue éleuer, tant qu’il peut par deſ-
ſus
les ſens iuſques à la Diuinité, dans
laquelle
il n’y a plus de varieté.
FIN.
259
LES
MECHANIQVES

DE
GALILE’E
MATHEMATICIEN

& Ingenieur du Duc de Florence.
AVEC PLVSIEVRS ADDITIONS
rares
, & nouuelles, vtiles aux Archite-
ctes
, Ingenieurs, Fonteniers, Phi-
loſophes
, & Artiſans.
Traduites de l’Italien par L.P.M.M.
10[Figure 10]
A PARIS,
Chez
Henry Gvenon, ruë S. Iacques,
pres
les Iacobins, à l’image S. Bernard.
M. DC. XXXIV.
AVEC PRIVILEGE ET APPROBATION.
260
[Empty page]
261 11[Figure 11]
A MONSIEVR
MONSIEVR

DE
REFFVGE,
CONSEILLER
DV
Roy
au Parlement.
MONSIEVR,
Puis qu’ily a huict ans que ie vous
preſentay
les liures de Mechaniques en
latm
, &
que ie fais voir le iour à ce
nouueau
traitté de Galilée, qui donne
de
nouuelles lumieres à cette ſcience, ile ſt
raiſonnable
que ie vous l’offre auſſi
bien
que l’autre, affin que vous ſoyez le
premier
à receuoir le contentement que
l’on
à couſtume de reſſentir en liſant
tout
ce qui vient de la part de cét excel-
lent
homme, quia l’vn des plus
262EPITRE. eſprits de ce ſiecle. Si la traduction
ſemble
quelque fois obſcure, à raiſon des
fautes
du manuſcrit Italienie ne doute
nullemĕt
que la clairté &
la viuacité de
vuſtre
eſprit n’en diſſipe ayſement tous
les
nüages, Quant aux additions que
iy
ay miſes, ellesvous ſeront auſſi agrea-
bles
que lereſte, parce qu’elles contien-
nent
de nouuelles ſpeculations, qui peu-
uent
ſeruir pour penetrer les ſecrets de
la
Phyſique &
particulicrement
tout
@ qui concerneles mouuemens tãt
naturels
que violents.
Mais i’estime
que
l’ordre, &
le reglement admirable
que
la nature obſerue dans les forces
mouuantes
, vous donnera encore plus
de
plaiſir, parce que vous y verrez re-
luire
vne équité.
& vne iustice perpe-
tuelle
qui ſe garde, &
que l’on remar-
que
ſi iuſtcment entre la force, la reſi-
ſtence
, le tĕps, la viſteſſe &
, leſpace, que
l’vnrecõpenſe
touſiours l’autre, car ſi le
mouuemĕt
est viste, il faut beaucoup
263ESPITRE. force & s’il eſt lĕt, vnepetite force ſuffit.
En effet il eſtimpoſſible de gaigner la for-
ce
, &
le téps tout ensĕble, cõme il eſt im-
poſſible
qu’vn homme iouyſſe des plai-
ſirs
folaſtres du monde &
de ceux du
Ciel
en meſme temps:
de ſorte que les
Mechaniques
peuuent enſeigner à bien
viure
, ſoit en imitant les corps peſa@s
quicherchent
touſiours leur centre dans
celuy
de la terre comme le ſprit de l’hom.

me
doit chercher le ſien dans l’eſſence
diuine
qui eſt la ſource de tous les eſprits
ou
en ſe tenantdans le perpetuel èquili-
bre
moral, &
raiſonnable qui conſiſte à
rendre
premierement à Dieu, &
puis
au
prochain tout ce que luy appartient.

L’autheurde
ce traité a obmis beaucoup
de
choſes, par exĕple il n’a point parlédu
coin
, qui eſt l’inſtrumĕt le plus fort de to9
car
ſa force en partie depend de l’incli-
nation
du plan, comme Guid V balde
demonſtre
dans le traité, qu’tl en a fait,
de
ſorte que le coin entre dautant
264ESPITRE. ayſement qu’il eſt plus eſtreit, & que
ſes
coſtez panchent dauantage ſur l’ho-
riz
on, c’eſt à dire qu’ils font de moin-
dres
angles.
Or ce me ſme principe eſt
cauſe
de ce que les cousteaux coupent ſi
ayſement
, &
de pluſieurs autres effects
que
l’ on peut @emarquer en mille choſes,
dont
on cognoiſtra les raiſons ſi on liſt
auec
attention les traitez, della Vite,
del
Cuneo, della Taglia, della
Leua
, della Bilancia, &
dell’ Aſſe
nella
Rota, que Guido Vbalde a com-
poſez
:
d’où ſe tire la nature des Ver-
rins
, des Crics, des Preſſes, &
de tcut
ce
qui ſert à augmenter, à conſeruer, ou
à
diminuer la force, ou le temps.
La force du coin depend auſſi de la per-
cuſſion
, qui eſt ſi admirable qu’il n’y a
point
de fardeau ſi lourd, que l’on ne
puiſſe
faire remüer &
cheminer auec
des
coups de marteau, pour petits qu’ils
puiſſent
eſtre, ce que l’on tient que
Galilée
a experimenté en frappant
265ESPITRE. ſouuent contre vn grand coffre auec vn
marteau
d’épinette, qu’il la fait chan-
ger
de place &
la fait auancer d’vn
pied
:
ce que pluſieurs ne croyront nulle-
ment
encore qu’ils ne prennent pas la
peine
d’ en faire l’experience laquelle eſt
tres
digne de conſideration, car elle peut
ſeruir
d’vn principe pour entrer plus
auant
dans les ſecrets de la nature.
Ie
laiſſe
pluſieurs autres choſe, qui ſem-
blent
admirables, &
que vous pouuez,
experimenter
quand il vous plaira;
ie vous en diray ſeulement vne des plus
rares
, laquelle vousverrez en iettãt vne
bale
, ou vne boule haut le plus droit
que
vous pourrez, lors que vous estes
dans
vostre carroſſe, ou a cheual, &

lors
qu’ils courent de telle viſteſſe que
vous
voudrez, car la boule vous ſui-
ura
, tellement que vous la pourrez rece-
uoir
dans la main encore que le carroſſe,
ou
le cheual ayent fait cent pas tandis
que
la boule aura eſté dans l’air.
Et
266ESPITRE. vous la laiſſez tõber, elle vous ſuiura
d’autant
plus loing que le cheual ira
plus
viste.
Galilèe a cncore laiſſé dau-
tres
choſes dans ſon traicté comme il eſt
ayſé
de voir dans les trois l@ures de
Mechaniques
que ie vous ay preſentez
&
qui peuuent ſuppléer à ce que l’on
pourroit
icy deſirer;
de ſorte qu’il n’eſt
pas
neceſſaire que ie m’eſtende plus au
long
ſur ce ſubiect, qui dépend entiere-
ment
du centre de peſanteur, que l’on
trouue
dans toutes ſortes de corps par
les
moyens, que Commandin &
Luc
Valere
ont donné, dont vous auez tou-
tes
les propoſitions.
Ie croy que ſila Iuſtice pouuoit par-
ler
qu’elle cõfeſſeroit ingenuëment qu’il
n’y
a nulle ſcience naturelle:
qui luy
ſoit
ſi ſemblable que celles des Mecha-
niques
, c’eſt pourquoyievous l’offre aſſin
de
te ſmoigner l’estat que ie fais de vos
vertus
, qui me contraignent d’auoir
la
meſme affection pour vous, que
267ESPITRE. celuy qui eſt aymè de Dieu & des
hommes
, de prier la diuine Maieſtè de
vous
donner vne’ tres bonne ſanté,
qui
ſoit auſſi longue que ie le deſire:
&
de
me dire auec toute ſorte de reſpect.
Voſtre tres-humble
ſeruiteur
F.
M. Mer-
ſenne
Minime.
268PREFACE AV LECTEVR.
IE ſeray content ſi ie ſuis cauſe
que
le ſieur Galilée nous don-
ne
toutes ſes ſpeculations des
mouuemens
, &
de tout ce qui ap-
partientaux
Mcchaniques, car ce
qui
viendra de ſa part ſera excel-
lent
:
c’eſt pourquoy ie prie ceux
qui
on@ de la correſpondance à
Florénce
, de l’exhorter par lettres
à
donner au public toutes ſes re-
marques
, comme i’cſpere qu’il
fera
puis qu’il a maintenant le
remps
, &
la commodité tres libre
dans
ſa maiſon des champs, &

qu’il
a cncor aſſez de force, quoy
qu’il
ſoit plus que ſeptuagenaire
pour
acheucr toutes ſes œuures,
comme
il aſſeure dans vne lettre
de
ſa main que l’on m’a commu-
niquée
.
Or en attendant ces trai-
tez
excellent, l’on peut voir
269PREFACE. 3 liures des Mechaniques, que ie
feis
imprimer l’année 1626;
à quoy
i’aioute
maintenant la conſidera-
tion
des deux cercles qu’ Ariſtote
a
propoſez dans la 24 qucſtion de
ſes
Mechaniques, parce que plu-
ſieurs
la trouuĕt admirable dau-
tant
qu’ils ne l’entendent pas.
Et pour ce ſujet ſoit le grand cer-
cle
ACB, &
le moindre FGH, il
12[Figure 12] eſt certain
que
quand
le
quart du
grand
cercle
BD
s’eſt meu
iuſques
au
poinct
O, de
ſorte
que le point D ſe rencontre
au
point O, que le point E du
quart
du moindre cercle FE ſe rĕ-
cõtre
au point N, &
cõſequĕment
quc
le petit cercle fait autant de
chemin
que le grand en
270PREFACE. temps, puiſque le plan FN ſur le-
quel
il ſe meut eſt égal au plan
DO
, ſur lequel roule le grand.
D’où quelques vns conclunt
qu’il
n’y a point de ſi petit cercle
que
l’on ne le puiſſe dire égal au
plus
grand qui ſe puiſſe imaginer,
puis
qu’il reſpõd à vn eſpace égal
Car
pluſieurs croyent que les par-
ties
du petit ne trainent point,
qu’elles
ne froiſſent nullement le
plan
, &
que chaque point, & cha-
que
partie de ſa circonference
touche
ſeulemĕt à chaque point,
&
à chaque partie du plan. Il faut
dire
la meſme choſe du grand
cercle
à l’égard du petit, lors que
le
grand ſe meut par le mouue-
ment
du petit, car le grand dimi-
nuë
ſon chemin ſuiuant les traces
du
petit, de ſorte que ſi le petit
ne
fait qu’vn pied de Roy dans vn
tour
, le grand qu@y qu’égal
271PREFACE. Ciel des eſtoiles, ne ſait auſſi
qu’vn
pied de Roy dans vn tour.
Ce que quelques vns expliquent
p@r
le moyen de la rarefaction, &

dela
condenſation, en comparãt
le
mouuement du grand cercle à
celle-cy
, &
le mouuement du
moindre
à celle la, quãd le moin-
dre
eſt meu par le plus grãd, &
au
contraire
, lors que le moindre
meut
le plus grand.
Or il faut
aduoüer
que la negligence des
hommes
eſt étrange, qui ſe trom-
pent
ſi ſouuent pour ne vouloir
pas
faire la moindre experience
du
monde &
qui ſe trauaillent
vain
à la recherche des raiſons
d’vne
choſe qui n’eſt point, com-
me
il arriue en celle cy, car le
petitcercle
ne meut iamais legrãd
que
pluſieurs parties du grand
ne
touchent vne meſme partie
du
plan, dont chaque partie
272PREFACE. touchée par cent parties dif-
ferentes
du grand cercle quand
il
eſt cent fois plus grand que l’au-
tre
.
Et lors que le petit eſt meu
parle
grand, vne meſine partic
du
petit, touche cent parties du
grand
, comme l’experience fera
voir
à tous ceux qui la feront en
aſſez
grand volume.
Les meſmes erreurs arriuenten
pluſieurs
autres choſes, ce qui a
donné
ſuiect à quelques vns d’eſ-
crire
derebus falſò creditis, dont ie
donneray
cncore icy vn exem-
ple
.
L’on croyt que ſi on iette vne
pierre
en haut le plus droit que
l’on
peut:
lors que l’on eſt dans
vn
nauire qui ſingle à pleins voi-
les
, ou dans vn carroſſe qui va en
poſte
, que la pierre tombera de-
riere
le licud’ ou l’on la iette, quoy
que
l’experience enſeigne qu’elle
retombe
dans la main qui la
273PREFACE. encore que le nauire, ou le carro-
ſſe
faſſe cent pas, tandis que la
pierre
eſt dans l’air.
Mais ie reſerue la raiſon de cecy
pour
vn autre lieu, affin que ie ne
ſois
pas containct de faire vne
preface
, qui égale le liure qui ſuit
c’eſt
pourquoy i’aioûte ſeulemĕt
qu’auant
que l’on entreprenne
les
ouurages les Machines
doiuent
entrer, &
que l’on ſe ſer-
ue
des ingenieurs &
artiſans, qu’il
eſt
à propos de leur faire expoſer
leurs
deſſeins, &
leurs modelles en
public
, &
particulieremĕt à laveûe
des
excellen ts Geometres qui ſça-
uent
les vrayes raiſons de toutes
ſortes
de Machines, &
qui peuuĕt
preuoir
les inconueniens, &
les
obſtacles
de l’air, de l’eau, &
des
autres
circonſtances, à faute de-
quoy
il arriue trop ſouuent que
pluſieurs
font des deſpenſes
274PREFACE. ceſſiues dans leurs maiſons ils
veulent
faire de grandes éleuatiõs
d’eau
, en ſe ſeruant de certains in-
genieurs
, qui ſe diſĕt tres-experts,
&
qui neantmoins ſont contrains
de
s’enfuir honteuſement, lors
qu’ils
n’ont peu venir à bout de
leurs
deſſeins.
Or pour éuiter ces deſpences
ínutiles
, il faudroit afficher par
les
ruës, ou aduertir publiquemĕt
de
l’ouurage que l’on veut entre-
prendre
, affin que tous les inge-
nieurs
apportaſſent leur modelle
en
ſecret à iour nommé &
qu’il
fuſt
examiné par les plus habiles
Mathematiciens
, par les inge-
nieurs
, &
par les charpentiers de
moulins
, qui choiſiroiĕt le meil-
leur
deſſein.
Car il faut ioindre la
pratique
à la theorie non ſeule-
ment
dans l’execution, mais auſſi
dans
l’élection, des modelles, affi
275PREFACE. qu’il n’y ayt rien à redire ny à re-
faire
dans les ouurages de grand
couſt
, comme ſont les pompes
du
pont neuf, &
du nouueau que
l’on
a fait au bas du Louure, &

que
nul ne ſe ruine à faire accom-
moder
les lieux de plaiſir, ou l’on
veut
auoir des fonteines des grot-
tes
, des arcs en Cicl, &
c. Mais la
conſideration
des pompes merite
vn
diſcours plus particulier, &

cette
preface eſt deſia trop lon-
gue
, c’eſt pourquoy i’ajoute ſeu-
lement
la table des Chapitres du
liure
.
276 13[Figure 13]
TABLE DV LIVRE
des Mechaniques.
Chap. I. Dans lequel l’vsilité des
Mechaniques
eſt expliquée:
Chap. II. Des definitions neceſſai-
res
pour la ſcience de la
Mechanique
.
Chap. III. Des ſuppoſitions de cette
ſcience
.
Chap. IV. D’vn principe general.
Chap. V. Aduertiſſement ſur les diſ-
cours
precedens.
Chap. VI. Du Tremeau, ou de la
Romaine
de la Balance &
du
Leuier.
Chap. VII. Du tour de la Roue, de la
Grüe
& du Cabeſian & c.
Chap. VIII. De la nature & de la force
des
Poulics.
Chap. IX. De la viz.
Chap. X. De la viz d’ Archimede qui
ſert
à éleuer l’eau.
Chap. XI. De la force de la Percuſsion.
Elpuis
pluſieurs Additions.
277Fantes de l’ Impreſſion corrigées.
Page 13. l. 13. inegaux. p. 16. l. 2. oſtez de
ligne
7.
& 8. D S à C. de page 21. ligne 14.
aulieu de P. üſez D. p. 24. l. 1. au lieu de eſt
égal liſez.
ſens chacune egales, l. 4. au lieu de on
liſez
& Atout au contraire. p.
15. l . 18 pour ſap
prochant liſez approchent. p.
26. corrigez les
lettres
de la 2 ligne &
pour A de l’antepenul.
liſez
E.
p. 28. l1. rnüe p. 30. l. 7. l’Organe. I
25
.
apres B liſez F p. 33. ligne 6 l’extremit é
A
.
l. 8. poids l. 13. au lieu de F. liſęz C. l. 25.
apres
fardeau liſ.
E. l. 26 pour C. liſez G. p.
34
.
l. 1 A G. l. 3. poiàs. I. 10. pout E. liſez. C.
p
.
37. l. 16. apres immobile liſez A. F. 41 l. 8.
pour
des liſ.
du l. 24. pour E liſez &. p. 45. l. 8
pour
B liſ.
D. p. 51. l. antep. pour parce, liſ. par.
p
.
52. l. penul. B M. p. 53 adioútez la lettre P.
au
bas de la figure.
p. 57. l. 10. C A. p. 78.
l
.
derniere effacez par.
S’ily a quelqu autre faute, le lecteur iudi-
cieux
la ſuppleera.
278PRIVILEGE DV ROT.
PAr lettes du Roy donnees à Paris
le
mois d’ Aouſt de l’année 1629.
ſignees Perrochel, & ſeelees du grand
ſceau
de cire iaune, il eft permis au
P
.
M. Merſenne Religieux Minime
de
faire imprimer par tel Libraire que
bon
luy ſemblera Pluſieurs Traittez de
Philoſophie, de Theologie, & de Mathema-
tique.
Et deffences ſont faites à toutes
perſonnes
de quelque qualité qu’ils
ſoient
de les faire imprimer, vendre &

diftribuer
pendantle temps de ſix ans à
compter
du iour que leſdits liures ſe-
ront
acheuez d’imprimer, comme il
eſt
plus amplement porté dans les let-
tres
dudit Priuilege.
Etledit P. M. Merſenne à conſenty & con-
ſent
que Henry Guenon ioüiſſe dudit Pri-
uilege
, comme il eſt plus amplement decla-
par l’ accord fait entr eux.
Et leſdits liures ont eſté acheués d’imprimer le
30
.
luin 1634.
2791 14[Figure 14]
LES MECHANIQVES DE GALILEE FLOREN-TIN, Ingenievr et
Mathematicien du Duc de Florence.
CHAPITRE PREMIER.
Dans lequel on void la Preface quimonſtre
l’vtilité des Machines.
AVant que d’entrepren-
dre
la ſpeculation des in-
ſtrumens
de la Mechani-
que
, il faut remarquer en
general
les commoditez, &
@les profits
que
l’on en peut tirer, afin que les arti-
ſans
ne croyent pas qu’ils puiſſent ſeruir
aux
operations, dontils ne ſont pas
2802Les Mechaniques pables, & que l’on puiſſe leuer de grãds
fardeaux
auec peu de force:
car la na-
ture
ne peut eſtre trompée, ni ceder à
ſes
droits:
& nulle reſiſtence ne peut
eſtre
ſurmontée que par vne plus gran-
de
force, comme ie feray voir apres:
&
conſequemment
les Machines ne peu-
uent
ſeruir à leuer de plus grands far-
deaux
que ceux qu’vne force égale
peut
leuer ſans l’ayde d’aucun inſtru-
ment
:
c’eſt pourquoy il faut expliquer
les
vrayes vtilitez des Machines, afin
que
l’on ne trauille pas en vain, &
que
l’eſtude
que l’on fera, reüſſiſſe heureu-
ſement
.
Il faut doncicy conſiderer 4. choſes,
à
ſçauoir le fardeau que l’on veut tranſ-
porter
d’vn lieu à vn autre:
la force qui
le
doit mouuoir;
la diſtance par laquel-
le
ſe fait le mouuement;
& le temps
dudit
mouuement, parce qu’il ſert pour
en
determiner la viſteſſe, puis qu’elle
eſt
d’autant plus grande que le corps
mobile
, ou le fardeau paſſe par vne plus
grande
diſtance en meſme temps:
de
ſorte
que ſi l’on ſuppoſe telle reſiſtence,
telle
force, &
telle diſtãce determinée
que
l’on voudra, il n’y a nul doute
2813de Galilée Florentin. la force requiſe conduira le fardeau à
la
diſtance donnée, quoy que ladite
force
ſoit treſ-petite, pourueu que l’on
diuiſe
le fardeau en tant de parties que
la
force en puiſſe mouuoir vne, car elle
les
trãſportera toutes les vnes apres les
autres
, d’où il ſ’enſuit que la moindre
force
du monde peut tranſporter tel
poids
que l’on voudra.
Mais l’on ne peut dire à la fin du trãſ-
port
, que l’on ayt remué vn grand far-
deau
auec peu de force, puis qu’elle a
touſiours
eſté égale à chaque partie du
fardeau
:
de maniere que l’on ne gaigne
rien
auec les inſtrumens, dautant que ſi
l’on
applique vne petite force à vn grãd
fardeau
, il faut beaucoup de temps, &

que
ſi l’on veut le tranſporter en peu de
temps
, il faut vne grande force.
D’où
l’on
peut conclurre qu’il eſt impoſſible
qu’vne
petite force tranſporte vn grãd
poids
dans moins de temps qu’vne plus
grande
force.
Neantmoins les Machines ſont vti-
les
pour mouuoir de grands fardeaux
tout
d’vn coup ſans les diuiſer, parco
que
l’on a ſouuent beaucoup de temps,
&
peu de force, c’eſt pourquoy la
2824Les Mechaniqües gueur du temps recompenſe le peu de
force
:
Mais celuy-là ſe tromperoit qui
voudroit
abreger le temps en n’vſant
que
d’vne petite force, &
monſtreroit
qu’il
n’entend pas la nature des Machi-
nes
, ny la raiſon de leurs effets.
La ſeconde vtilité des inſtrumens
conſiſte
en ce qu’on les applique à des
lieux
dõt on ne pourroit tirer, ou tranſ-
porter
les fardeaux, &
beaucoup de
choſes
ſans leurayde, comme l’on ex-
perimĕte
aux puits, dõt on tire de l’eau
auec
vne chorde attachée aux poulies,
ou
aux arbres des roües, par le moyen
deſquelles
on en tire vne quãtité, dans
vncertain
tĕps, auecvne force limitée,
ſans
qu’il ſoit poſſible d’ĕ tirer vne plus
grande
quantité auec vne force égale,
&
en meſme temps. Auſſi les pompes
qui
vuident le font des Nauires, n’ont
elles
pas eſté inuentées pour puiſer, &

tirer
vne plus grande quantité d’eau
dans
le meſme temps, &
par la meſme
force
dont on vſe en puiſant auec vn
ſeau
, mais parce qu’il eſt inutile à cet
effet
, dautant qu’il ne peut puiſer l’eau
ſans
ſ’enfoncer dedans, car il faudroit
le
coucher au fond pour puiſer
2835de Galilée Florentin. quement le peu d’eau quireſte: ce qui
ne
peut arriuer, quand on le deſcend
auec
vne chorde, qui le porte perpen-
diculairemĕt
:
mais la pompe tire l’eau
inſques
à la derniere goute.
La 3. vtilité des Machines eſt tres-
grande
, parce que l’on euite les grands
frais
&
le couſt en vsãt d’vne force ina-
nimée
, ou ſans raiſon, qui fait les meſ-
mes
choſes que la force des hommes
animée
, &
conduite par le iugement,
comme
il arriue lors que l’on fait meu-
dre
les moulins auec l’eau des eſtangs,
ou
des fleuues, ou auec vn cheual, qui
ſupplée
la force de 5.
ou 6. hommes. Et
parce
que le cheual a vne grande for-
ce
, &
qu’il manque de diſcours, l’on
ſupplée
le raiſonnement neceſſaire, par
le
moyen des roües &
des autres Ma-
chines
qui ſont ébranlées par la force
du
cheual, &
qui rempliſſent, & tranſ-
portent
le vaiſſeau d’vn lieu à l’autre &

qui
le vuident ſuiuant le deſſein de l’ In-
genieur
.
Or il faut conclurre de tout
ce
diſcours que l’on ne peut riĕ gaigner
en
force que l’on ne le perde en temps,
&
que la plus grande vtilité des Machi-
ues
cõſiſte à épargner la dépence,
2846Les Mechaniques me i’ay monſtré, & conſequemment
que
ceux qui trauaillent à ſuppléer la
force
, &
le temps tout enſemble, ne
meritent
nullement d’auoir du temps,
puis
qu’ils l’employent ſi mal, comme
l’on
verra à la ſuitte de ce traité.
Chap. II.
Des definitions, neceſſaires pour la ſcience
des Mechaniques.
NOus commençons ce traité par les
definitiõs
, &
par les ſuppoſitiõs qui
ſont
propres à cet art, afin d’en tirer les
cauſes
, &
les raiſons de tout ce qui ar-
riue
aux Machines, dont il faut expli-
quer
les effects, car chaque ſcience a ſes
de
ſinitions &
ſes principes, qui ſont cõ-
me
des ſemencęs treſ-fecondes, deſ-
quelles
naiſſent toutes les concluſions,
&
le fruict que l’on en pretend retirer,
Or
puis que les Machines ſeruent ordi-
nairement
pour tranſporter les choſes
peſantes
, nous commençons par la de-
finition
de la peſanteur, que l’on peut
auſſi
nommer grauité.
2857de Galilée Florentin.
Premiere definition.
La peſanteur d’vn’corps eſt l’inclina-
tion
naturelle qu’il a pour ſe mouuoir,
&
ſe porter en bas vers le centre de la
terre
.
Cette peſanteur ſe rencontro
dans
les corps peſans à raiſon de la quã-
tité
des parties materielles, dont ils sõt
compoſez
;
de ſorte qu’ils ſont dautant
plus
peſans qu’ils ont vne plus grande
quantité
deſdites parties ſouz vn meſ-
me
volume.
Deuxieſme definition.
Le moment eſt l’inclination du meſ-
me
corps, lors qu’elle n’eſt pas ſeule-
ment
conſiderée dans ledit corps, mais
conioinctement
auec la ſituation qu’il
a
ſur le bras d’vn leuier, ou d’vne balan-
ce
;
& cette ſituation fait qu’il contre-
peſe
ſouuent à vn plus grands poids, à
raiſon
de ſa plus grãde diſtance d’auee
le
centre de la balance.
Car cet éloi-
gnement
eſtant ioint à la propre pefan-
teur
du corps peſant, luy dõne vne plus
forte
inclination à deſcendre:
de
2868Les Mechaniques que cette inclination eſt compoſée de
la
peſanteur abſoluë du corps, &
de l’é-
loignement
du centre de la balance, ou
de
l’appuy du leuier.
Nous appellerons
donc
touſiours cette inclination com-
poſée
, moment, qui répond au ῥοωὴ des
Grecs
.
Troiſieſme definition.
Le centre de peſanteur de chaque
corps
eſt le point autour duquel toutes
les
parties dudit corps ſont également
balancées
, ou équiponderantes:
de ſor-
te
que ſi l’on ſ’imagine que le corps ſoit
ſouſtenu
, ou ſuſpendu pat ledit point,
les
parties qui ſont à main àroite, con-
trepeſeront
à celles de la gauche, celles
de
derriere à celles de deuant, &
celles
d’enhaut
à celles d’en bas, &
ſe tien-
dront
tellement en équilibre, que le
corps
ne s’inclinera d’vn coſté ni d’au-
tre
, quelque ſituation qu’on luy puiſſe
donner
, &
qu’il demeurera touſiours
en
cet eſtat.
Or le centre de peſanteur
eſt
le point du corps qui s’vniroit au cĕ-
tre
des choſes peſantes, c’eſt à dire au
centre
de la terre, s’il y pouuoit deſcen-
dre
.
2879de Galilée Florentin.
Chap. III.
Des ſuppoſitions de cet art.
I. SVPPOSITION.
TOut corps peſant ſe meut telle-
ment
en bas que le centre de ſa
peſanteur
ne ſort iamais hors de la ligne
droite
, qui eſt décrite, ou imaginée de-
puis
ledit centre de peſanteur iuſques
à
celuy de la terre.
Ce qui eſt ſuppoſé
auec
raiſon, car puis que le centre de
peſanteur
de chaque corps ſe doit aller
vnir
au centre commun des choſes pe-
ſantes
, il eſt neceſſaire qu’il y aille par
le
chemin le plus court, c’eſt à dire par
la
ligne droite, s’il n’a point d’empeſ-
chement
.
II. SVPPOSITION.
Chaque corps peſe principalement
ſur
le centre de ſa peſanteur, dans le-
quel
il ramaſſe, &
vnit toute ſon impe-
tuoſité
, &
ſa peſanteur.
28810Les Mechaniques
III. SVPPOSITION.
Le centre de la peſanteur de deux
corps
également peſans eſt au milieu
de
la ligne droite qui conioint les cen-
tres
de peſanteur deſdits corps;
c’eſt à
dire
que deux corps également peſans,
&
également éloignez de l’appuy de la
balance
ont le point de leur équilibre
au
milieu de la commune conjonction
de
leurs éloignemens égaux:
par exem
ple
, la diſtance C A, eſtant égale à la
diſtance
C B, &
les deux poids égaux
G
&
H, eſtant ſuſpendus aux points A
&
B, il n’y a nulle raiſon pour laquelle
ils
doiuent pluſtoſt s’incliner d’vn coſté
que
de l’autre.
Mais il faut remarquer que la diſtan-
ce
des poids, ou des corps peſans d’auec
15[Figure 15] l’appuy
ſe
doit
meſuret

par
les li-
gnes
perpĕdiculaires, qui tombent des
points
de la ſuſpenſiõ, ou des centres de
la
peſanteur de chaque corps iuſques
au
centre de la terre.
De vient
28911de Galée Florentin. la diſtance B C, eſtant tranſportée en
CD
, le poids D ne contrepeſera plus au
poids
A, parce que la ligne tirée du
point
de ſuſpenſion, ou du centre de
peſanteur
du poids D iuſques au cĕtre
de
la terre, ſera plus proche de l’appuy
C
, que l’autre ligne tirée du point de la
ſuſpĕſion
de B, ou du cĕtre de peſanteur
du
poids H.
Il eſt donc neceſſaire que
les
poids égaux ſoient tellement ſuſ-
pendus
de diſtances égales, que les li-
gnes
perpĕdiculaires tirées par les cen-
tres
de leurs peſanteurs au centre de la
terre
, ſe trouuent égallemĕt éloignées
de
l’appuy C, lors qu’elles paſſeront
vis
à vis d’iceluy.
PREMIERE ADDITION.
La figure qui ſuit explique mieux le
diſcours
precedent, car il eſt euident
que
le poids E qui pend au leuier A B
éleué
en E ne peſe que cõme s’il eſtoit
au
point K;
& quand il eſt en G, il ne
peſe
que comme s’il eſtoit au point I.
Or l’õ peut s’inſtruire de pluſieurs cho-
ſes
par cette figure;
dont nous parlerõs
apres
, ie diray ſeulementicy que N
29012Les Mechaniques repreſente auſſi vn leuier parallele à
16[Figure 16] BA, ou ſi l’on
veut
, vne balan-
ce
, dont le cĕtre
ou
l’appuy eſt en
D
, &
que ce le-
uier
peut ſeruir
pour
abbaiſſer
les
corps legers,
comme
il arriue-
roit
ſi l’air eſtoit retenu dans l’eau:
par
exemple
, ſi L M eſtoient des veſſies
rémplies
d’air, car de n’ageantes qu’el-
les
ſeroient ſur l’eau, la force appliquée
à
N hauſſant N vers A feroit abbaiſſer
ledit
air;
de ſorte que la Mechanique
peut
auſſi bien s’appliquer, &
ſeruir
pour
abbaiſer les corps legers, comme
pour
hauſſer les peſans.
Chap. IV.
Dans lequel l’vn des principes generaux. s
Mechaniques
eſt expliqué.
APres auoir expliqué les ſuppoſi-
tions
, il faut eſtablir vn
29113de Galilée Florentin. general, qui ſert pour demonſtrer ce
qui
arriue à toutes ſortes de Machines,
à
ſçauoir que les poids inegaux ſuſpen-
dus
à des diſtances inégales peſent éga-
lement
, &
ſont en équilibre, quand leſ-
dites
diſtances ont meſme proportion
entr’elles
que les poids.
Ce qu’il faut
demonſtrer
par la troiſieſine ſuppoſi-
tion
, dans laquelle il eſt dit, que les
poids
égaux peſent égalemĕt lors qu’ils
ſont
également éloignez de l’appuy:
car
c’eſt
vne meſme choſe que d’attacher
des
poids égaux à des diſtãces inégales.
Ce qui ſe demonſtre par cette figure,
17[Figure 17] dãs laquel-
le
D E C F
repreſente

vn
cylindre
homogene
,
ou
de meſ-
me
nature
en
toutes ſes parties, lequel eſt attaché
par
ſes deux bouts C &
D aux points
A
B, de ſorte que la ligne A B eſt égale
à
la hauteur du cylindre C F.
Il eſt certain que ſi on l’attache par le
milieu
au point G, qu’il ſera en équili-
bre
, parce que ſi l’on tiroit vne
29214Les Mechaniques droite du point G au centre de la terre,
elle
paſſeroit par le centre de la peſan-
teur
du ſolide E F, &
par conſequent
toutes
les parties qui ſont à l’entour de
ce
centre ſeroient en équilibre, par la 3.
definition, car c’eſt meſme choſe que ſi
l’on
attachoit les deux moitiez du cy-
lindre
aux deux points A &
B.
Suppoſons maintenant que le cylin-
dre
ſoit couppé en deux parties inéga-
les
par les points, ou par la ligne S I, il
eſt
certain qu’elles ne ſeront pas équi-
libres
, &
conſequemment qu’elles ne
demeureront
pas en la ſituation prece-
dente
, n’ayant point d’autre ſouſtien
qu’aux
points A &
B. Mais ſi l’on atta-
che
vne chorde au point H, pour ſou-
ſtenir
le poids pat le point I, G ſera en-
core
le centre de l’équilibre, parce que
l’on
n’a pas changé la peſanteur, ny la
ſituation
des parties du cylindre.
D’où il s’enſuit que n’y ayant point de
changement
aux parties du poids, ny
dans
leur ſituation à l’égard de la ligne
A
B, le meſme point G demeurera le
centre
de l’équilibre, comme il l’a eſté
dés
le commencement.
Car puis que
la
partie E S retiendra touſiours la
29315de Galilée Florentin. me diſpoſition que la ligne A H, à la-
quelle
elle ſera parallele, ſi l’on y ad-
iouſte
le lien N L pour ſouſtenir S D
par
ſon centre de peſanteur, &
ſi l’on
adiouſte
ſemblablement le lien M K
pour
ſouſtenir la partie du cylindre C S
diſiointe
d’auec S D, il n’y a nul doute
que
ces deux parties demeureront en-
core
en équilibre au point G.
Par
l’on
void que ces 2.
parties eſtant ainſi
ſuſpenduës
, &
attachées ont vn mo-
ment
égal, lequel eſt l’origine, &
la
ſource
de l’équilibre du point G.
en fai-
ſant
que la diſtance G N ſoit d’autant
plus
grande que la diſtance G M, que
la
partie du cylindre E S eſt plus gran-
de
que la partie S D.
Ce qu’il eſt ayſé
de
dernonſtrer:
dautant que la ligne
M
H eſtant la moitié de la ligne H A,
&
la ligne N H eſtant la moitié de la li-
gne
H B, toute la ligne M N ſera la
moitié
de toute la ligne A B, dont G B
eſt
encore la moitié, de ſorte que M N
&
B G ſont égales entr’elles: deſquel-
les
ſi l’on oſte la commune partie G H,
M
H ſera égale à G N.
Or nous auons deſia fait voir que
M
G eſt égale à H N.
D’où il
29416Les Mechaniques qu’il y a meſme raiſon de M N à H N,
que
de K I à L I, &
de la double de E I
à
la double de D I, &
finalemĕt du ſo-
lide
C S au ſolide S D, dont C I, &
D I
ſont
les hauteurs.
Il faut donc conclurre qu’il y a meſ-
me
raiſon de M G à G N, que de C I à
D
S, &
par conſequent que ces deux
corps
C I &
D S ne peſent pas ſeule-
ment
également, quand leurs diſtãces
d’auec
l’appuy, ou le point d’où ils ſont
ſuſpendus
, ſont en raiſon reciproque de
leurs
peſanteurs, mais auſſi que c’eſt vne
meſme
choſe que ſi l’on attachoit des
poids
égaux à des diſtances égales:
de
ſorte
que la peſanteur de C S s’eſtend
&
ſe communique en quelque maniere
virtuellement
par delà le ſouſtien G,
duquel
la peſanteur I D s’éloigne, &
ſe
retire
, comme l’on peut comprendre
par
ce diſcours.
Ce rriuera ſem-
blablement
ſi ces corps cylindriques
ſont
reduits, &
changez aux ſpheres X
&
Z, ou en telles ſigures que l’on vou-
dra
, car l’on aura touſiours le meſme
équilibre
, la figure n’eſtant qu’vne qua-
lité
, laquelle n’a pas la puiſsãce de la pe-
ſanteur
, qui deriue de la ſeule quãtité.
29517de Galilée Florentin.
Il faut donc conclurre que les poids inégaux
peſent
également, &
produiſent l’équilibre,
lors
qu’ils ſont ſuſpendus de diſtances iné-
gales
qui ſont en raiſon reciproque deſdits
poids
.
Chap. V.
l’on void quelques aduertiſſemens ſur
le
diſcours precedent.
APres auoir demõſtré que les mou-
uements
des poids inégaux ſont
égaux
, quand ils ſont attachez à des
points
, dont les diſtances d’auec l’ap-
puy
ont meſme proportion que les
18[Figure 18] poids,
il
faut
enco-
re
re-
marquer
vne autre proprieté qui con-
firme
la vetité precedente, car ſi l’on
conſidere
la balance B D diuiſée en
parties
inégales par le pointC, &
que les
poids
ſuſpĕdus aux points B &
D ſoient
en
raiſon reciproque des diſtances B C,
&
C D, c’eſt à dire que le poids
29618Les Mechaniques ché à B ſoit d’autant plus grand que le
poids
attaché à D, que la diſtance C D
eſt
plus grande que la diſtance CB, il
eſt
certain que l’vn contrepeſera l’au-
tre
, &
qu’ils ſeront en equilibre: & que
ſi
l’on adiouſte quelque choſe à l’vn, par
exemple
, au poids D, qu’il deſcendra
en
bas en I, &
conſequemment qu’il
éleuera
les poids B en G.
Mais ſi l’on
conſidere
le mouuement du poids D,
&
du poids B, l’õ trouuera que le mou-
uement
de D deſcendant en I ſur paſſe
autant
le mouuement de B en G, com-
me
la diſtance DC ſurpaſſe la diſtance
C
B, ou C G, car les deux angles GCB,
&
D C I ſont égaux, & conſequemmĕt
les
deux parties de cercle décrites par
D
&
par B ſont ſemblables, & ont meſ-
me
proportion entr’elles que leurs ſe-
midiametres
B C, &
C D, par ieſquels
elles
ont eſté décrites.
D’où il ſ’enſuit que la viſteſſe du poids
D
, qui deſcĕd en I ſurpaſſe autant cel-
le
du poids B qui monte en G, que la
peſanteur
de B eſt plus grande que cel-
le
de D;
& que l’on ne peut éleuer B
que
D ne ſe meuue plus viſte:
parce
que
la viſteſſe de D recompĕſe la
29719de Galilée Florentin. de reſiſtence de B, qui monte lentemĕt
en
G, tandis que D deſcend bien viſte
en
I, de ſorte que G a autant de tardi-
ueté
que de peſanteur, comme D a au-
tant
de viſteſſe que de legereté.
Or il eſt ayſé de conclurre par tout ce
diſcours
la grande force qu’apporte la
viſteſſe
du mouuement, pour accroiſtre
19[Figure 19] la puiſ-
ſance
du
mobile
,
laquelle

eſt
d’autant plus grande que le mouue-
ment
eſt plus viſte.
Mais auant que de
paſſer
outre, il faut remarquer que les
diſtances
qui ſont entre les bras de la
balance
, &
l’appuy doiuent eſtre me-
ſurées
pat la diſtance horizontale:
par
exemple
, les poids A &
B ſont égale-
ment
éloignez de l’appuy C:
c’eſt pour-
quoy
ils ſont en équilibre, qu’ils per-
dent
, lors que le poids B eſt éleué en D,
dautant
que la ligne tirée perpendicu-
lairemĕt
de D ſur l’horizon B C A vers
le
centre de la terre, s’approche plus
pres
de l’appuy C, que ne fait le point
B
:
& partant D ne peſe pas tant que B,
à
raiſon de ſa ſituation, &
par
29820Les Mechaniques quent D n’eſt plus équilibre à raiſon
que
la diſtance horizontale de D à C
eſt
moindre que celle de B à C.
Chap. VI.
De la Romaine, de la Balance, & du Louier,
LE meſme principe qui a eſté expli-
qué
dans le 4.
& le 5. chap. ſert en-
core
pour entendre la nature de ces 3.
inſtrumens, dont le premier (que les
Latins
appellent Statera, les Grecs
φάλαγξ
Phalanx; &
que nous appellons
vulgairement
la Romaine, le Crochet, le
Pezon
, ou le Poids) eſt vtile pour peſer
toutes
ſortes de fardeaux par le moyen
d’vn
contrepoids mobile, que l’on nõ-
me
le Pezon, &
que les Grecs appellent
αρτισύχωμα
, σφαίρωμα, άρτήμα, &
les Latins
aquipondium.
Soit donc la Romaine B D, dont le
ſouſtien
ſoit au point C, que les Grecs
appellent
σωάρτιου, &
ύχομέχλιου, & les La-
tins
agina, ſpartum, & anſa.
Que B ſoit
le
fardeau que l’on veut peſer, &
D le
contrepoids
.
Ie dis que s’il y a
29921de Galilée Florentin. raiſon de la diſtance D C à C B, que du
poids
B au contrepoids D, qu’ils ſeront
en
équilibre, parce que les diſtances des
bras
, ou des branches de la Romaine
ſont
en raiſon reciproque des poids qui
ſe
contreb lancent.
Or cet in ſtrument n’eſt pas different
du
leuier, qui ſert àremuer des fardeaux
treſ-lourds
, &
treſ-peſans auec peu de
force
, comme l’on void dans cette meſ-
me
ſigure, dans laquelle B repreſente
le
fardeau, qu’il faut leuer en G;
& C
repreſente
l’appuy ſur lequel le leuier
B
P preſſe, &
ſe meut & la main, ou
quelque
autre force preſſe le lcuier au
point
D, &
l abaiſſe iuſques à I pour fai-
re
monter B en G.
Cecy eſtant poſé, la force miſe
en
D leuera le poids B toutes &

quantesfois
qu’il y aura meſme raiſon
de
la diſtãce D C à la diſtance B C, que
du
poids B à la force D, de ſorte que
l’on
peut touſiours diminuer la force à
meſure
que l’on allonge la partie du le-
uier
C D:
par exemple, parce qu’ily a
5
.
fois plus loin de C à D que de C à B,
ſi
B peſe 5.
liures, la force d’vne liure le
tiendra
cn équilibre au point D,
30022Les Mechaniques que C D eſt quintuple de C B.
Mais l’auantage de ces 3. inſtru-
mens
ne conſiſte pas à ſurmonter, ou à
tromper
la nature, en faiſant qu’vne
petite
force ſurmonte vne grande reſi-
ſtence
, car on fera le meſme effet en
meſine
temps, &
auec meſme force sãs
la
diſtãce C D, laquelle eſt cauſe que la
force
D a cinq fois plus de chemin a fai-
re
de D en I, que le poids n’en fait de
B
en G, &
conſequemment elle em-
20[Figure 20] ploye
5
.
fois
pl
9 de
temps

que
ſi elle eſtoit en L, pour ſe tranſpor-
ter
en M.
Or la force D eſtant en L le-
uera
la cinquieſme partie du poids B de
B
en G, en meſme temps que D leue B,
de
ſorte qu’elle leuera tout le poids B
en
G en repetant 5.
fois le chemin L M;
ce qui eſt la meſme choſe que de faire
vne
fois le chemin D I:
& conſequem-
ment
le tranſport de Ben G ne requiert
pas
moins de force, ou moins de tĕps,
ou
vn chemin plus court, foit que l’on
mette
la force en D, ou en L.
D’où il faut conclurre que le
30123de Galilée Florentin. ſert ſeulement pour mouuoir les far-
deaux
tout d’vn coup, &
à vne ſeule
fois
, qu’il faudroit autrement mouuoir
par
parties, &
à pluſieurs fois.
II. ADDITION.
L’on pourroit icy traiter des deux
autres
ſortes de leuiers, dõt parle Guid-
Vbalde
dans ſes Mechaniques, mais il
ſuffit
de comprendre la raiſon de celuy
que
propoſe cét Autheur, car nous par-
lerons
des autres ailleurs.
I’adjouſte
ſeulement
cette figure, par laquelle
l’on
comprendra mieux ſon intention.
21[Figure 21] Soit dõc le
leuier
A F,
par
lequel
la
force ap-
pliquée
enF
leue
le far-
deau
A iuſ-
ques
à G,
encore
que
elle
ſoit 4.
fois moindre qu’A, mais l’arc de ſon
chemin
F I eſt quatre fois plus grand
que
l’arc A G, car F M, M L, L
30224Les Mechaniques& K I’eſt égal à A G, comme l’on void
par
la conſtruction, de ſorte que F ne
gaigne
rien en force qu’il ne le perde en
chemin
, ou ne gaigne rien en chemin
qu’il
ne le perde en force.
Or la plus
grande
difficulté des Mechaniques cõ-
ſiſte
, ce me ſemble, à ſçauoir pourquoy
la
plus grande diſtance de la force, ou
du
poids F d’auec l’appuy B augmente
ladite
force, &
pourquoy le poids A ou
C
eſtant tranſporté en F a quatre fois
plus
de force que deuant.
Ariſtote croit
que
la raiſon en doit eſtre priſe de ce
que
le centre B empeſche plus les poids
prochains
que les éloignez, dautant
qu’il
les contraint dauantage, &
leur
communique
tãt qu’il peut ſon immo-
bilité
, de ſorte que le poids eſtant en C
ne
peut ſe mouuoir que de C en H, au
lieu
qu’eſtant en F il ſait 4.
fois autant
de
chemin en meſme temps, &
eſtant
en
D il en fait deux fois autant pat le
quart
de cercle commençant en D.
Ce
que
l’on peut ayſémĕt appliquer à l’ap-
proche
, ou à la diſtance des creatures
d’auec
la perfection Diuine, laquelle
rend
les creatures raiſonnables dautant
plus
fixes &
immobiles dans ſa grace, &
30325de Galilée Florentin. dans la ferme reſolution du bien, qu’el-
les
s’en approchent plus prés.
Mais pour retourner à la raiſon pre-
cedente
, ie dy que le poids qui eſt en F
veut
tomber en droite ligne par F N P
vers
le centre de la terre, &
qu’eſtant
contraint
par l’appuy, ou le centre B de
tomber
par le cercle F I, qu’il a plus de
liberté
, &
qu’il s’approche 4. fois da-
uantage
de la perpendiculaire F P, que
lors
qu’il deſcend par l’arc C H, com-
me
ie demonſtre par l’angle de contin-
gence
P F N, qui eſt ſouzquadruple de
l’angle
de contingence H C O, &
con-
ſequĕment
la ligne de contrainte H O
eſt
quadruple de la ligne P N:
par
l’on
void clairement que B, &
F s’ap-
prochant
également du centre de la
terre
en meſme tĕps par les arcs C H,
&
F P, puiſque les lignes F N & B H
ſont
égales, que F eſt moins contraint
que
C.
L’on peut dire la meſme choſe de la
force
de la main miſe en F, dont l’intĕ-
tion
eſt de ſe mouuoir par la ligne droi-
te
F P.
Ie laiſſe maintenant pluſieurs
autres
conſiderations qui ſe peuuent
expliquer
par cette figure:
par
30426Les Mechaniques ple, que le poids F, ou B eſtãt en ſa plei-
ne
liberté, deſcend de Fen P ou de B
en
I en deux fois autant de temps qu’il
deſcend
de F en N, comme i’ay mon-
ſtré
ailleurs.
Chap. VII.
Du Tour, de la Rouë, de la Gruë, du Guin-
dax
, & des autres inſtrumens
ſemblables
.
LEs Latins appellentle Tour axis in
peritrochio
, parce qu’il n’eſt autre
choſe
qu’vn axe, ouvn eſſieu, dõt les ex-
tremitez
ſont appuyées ſur deux pieces
de
bois, ſur leſquelles il ſe tourne.
Or la
nature
de cet inſtrument depend im-
mediatement
du leuier, car il n’eſt au-
tre
choſe qu’vn leuier perpetuel, &

tinué
.
Car ſoit le leuier B A C, dont le
ſouſtien
eſt en A;
& que le poids G ſoit
attaché
au point B, &
que la force ſoit
au
point C, ſi l’on tranſporte le leuier
en
A D, le poids G ſe hauſſera vers D.
Mais ſi l’on veut le faire monter plus
haut
, il faut arreſter le poids en D,
30527de Galilée Florentin. de le releuer encore vne autrefois de B
à
D en remettant le leuier dans la meſ-
me
ſituation qu’il auoit deuant, &
de
leuer
peu à peu le poids G, iuſques à ce
qu’il
ſoit arriué au point B, ou à tel au-
tre
point que l’on voudra.
Mais la repetition trop frequente de
22[Figure 22] cette action eſtãt
trop
incommode,
ou
trop ennuyeu-
ſe
, l’on a inuenté
le
Tour, &
la
Rouë
, qui ioi-
gnent
enſemble
vne
infinité dele-
uiers
, afin de continuer l’operatiõ ſans
aucune
interruption.
C’eſt pour ce ſu-
iet
que la rouë ſe meut à l’entour du
centre
A, dont le rayon eſt A C, &
le
ſemidiametre
de ſon eſſieu eſt A B;
le-
quel
doit eſtre d’vne matiere bien ſo-
lide
, &
bienforte, parce qu’il ſupporte
toute
la peſanteur du fardeau.
L’eſſieu A trauerſe la rouë par le mi-
lieu
, &
doit eſtre ſouſtenu de deux
pieds
tres-forts, &
eſtre enuironné de
la
chorde D B G, à laquelle on attache
le
fardeau G.
Il faut auſſi mettre
30628Les Mechaniques autre chorde àlentour de la grãde rouë,
afin
d’y attacher l’autre fardeau I.
Or
cecy
eſtant poſé, il eſt euident que ſi
C
A eſt à B A comme le fardeau G au
fardeau
I, que le poids I ſouſtiendra &

contrebalãcera
G, &
que ſi i’on adiou-
ſte
quelque force, ou poids à I, qu’il
l’emportera
.
Et parce que les chordes qui ſouſtiĕ-
nent
le poids touchent touſiours la cir-
conferĕce
de la rouë auec laquelle l’eſ-
ſieu
tourne, &
conſequemment qu’el-
les
ſont touſiours en meſme ſituation à
l’égard
des diſtances B A, &
C A, le
mouuement
ſe continuë perpetuelle-
ment
, &
le poids I deſcendant fait mõ-
ter
le poids G.
Mais il faut remarquer
qu’il
eſt neceſſaire de mettre la chorde
à
l’entour de la rouë, afin que le poids
demeure
ſuſpendu du point de la cir-
conference
que la chorde touche:
Car
ſi
la chorde eſtoit pendante du point F,
elle
couperoit la rouë par F N, &
par
conſequĕt
elle ne pourroit ſe mouuoir,
parce
que le moment, ou la force du
poids
N ſeroit diminuée, puis qu’elle
n’eſt
pas plus grande que ſi la chorde
eſtoit
attachée au point N, dautant
30729de Galilée Florentin. ſa diſtance d’auec le centre A eſt deter-
minée
par la ligne A N, (comme l’on
demonſtre
par la perpendiculaire F N)
&
non par le ſemidiametre F A. Il faut
donc
que la force inanimée, qui n’a
point
d’autte vertu que d’aller en bas,
ſoit
pendue à vne chorde qui touche la
rouë
&
qui ne la coupe pas.
Mais ſi la force eſt animée, elle peut
faire
tourner la rouë pour leuer le poids
en
quelque endroit de la rouë qu’elle ſe
rencontre
:
par exemple en F, mais elle
tirera
par la ligne trauerſante F L qui
fera
vn angle droit auec la ligne A F, &

non
par la perpendiculaire F N.
L’on
peut
neantmoins faire ſeruir la force
inanimée
à tous les points de la circon-
ference
par le moyen de la poulie L, car
le
poids, ou la force K tirera par la ligne
droite
L K, &
leuer@ le poids Gen B,
&
conſequemmĕt elle agit par la ligne
F
L, &
par ce moyen elle ſe conſerue
touſiours
en meſme diſtance d’auec le
centre
de la rouë, &
de l’eſſieu A: de
ſorte
que le leuier B C ſe rend perpe-
tuel
par l’entremiſe de la rouë.
Il faut donc conclurre de tout ce diſ-
cours
que dans cét inſtrument la
30830Les Mechaniques Cou F doit touſiours auoir meſme pro-
portiõ
auec le poids, que le ſemidiame-
tre
de l’axe B A a auec le ſemidiametre
de
la rouë A C.
Quant à la Gruë elle eſt de meſme
nature
quele Tour, mais le Cabeſtan,
le
Guindax, ou l’orgene eſt vn peu dif-
rent
, car ſon axe ſe meut perpendicu-
laire
à l orizon, &
ſa rouë ſe meut hori-
zontalement
, au lieu que l’axe du Tour
23[Figure 23] ſe meut horizontale-
ment
, &
ſa rouë per-
pendiculairemĕt
.
Ce
qui
eſt tres-ayſé à cõ-
prendre
par le moyen
de
cette figure, dont
il
faut s’imaginer que
l’axe
D E ſoit perpĕ-
diculaire
à l’horizon, &
que la rouë F
C
G ſoit parallele au meſme horizon.
Or la chorde D H tirera, ou trainera le
fardeau
H iuſques à l’axe B, ou iuſques
l’on voudra, par la force d’vn hom-
me
, ou d’vn cheual qui conduira le le-
uier
B à l’entour de la circonference F
G
C, &
fera autant de tours comme il
eſt
neceſſaire pour attirer le fardeau par
le
moyen de la chorde D H, qui
30931de Galilée Florentin. tortille à l’entour de l’eſſieu D E A.
d’où il eſt ayſé de conclurre la fabrique
du
Guindax, ou du Cabeſtan.
Cecy eſtant poſé, il eſt euident que
le
point, ou le centre du ſouſtien eſt en
B
, &
que l’éloignement de la force F ſe
prend
du point B, &
celuy du poids de
B
à D, de ſorte que F B D forme vn le-
uier
, envertu duquel la force F acquiert
vne
force égale à la reſiſtance du poids,
lors
que la diſtance F B a meſme pro-
portion
à B D, que le fardeau H à la
force
F.
Mais la nature n’eſt point trompée ny
ſurmontée
, &
l’on ne gaigne rien, par-
ce
que ſi le fardeau a dix fois plus de re-
ſiſtence
que la force F, la diſtance F B
doit
neceſſairement eſtre decuple de
B
D, &
la circonference FC G decuple
de
la circõference E A D;
de ſorte que
le
poids ne fera que la dixieſme partie
du
chemin de la circonference G C F;
par cõſequent ſi l’on diuiſoit le fardeau
en
10.
parties, chacune répondroit à la
dixieſme
partie du mouuement &
de la
force
F, c’eſt pourquoy ſi l’on portoit
en
dix voyages chaque dixieſme partie
autour
de l’axe, l’on ne
31032Les Mechaniques pas dauãtage que ſi l’on faiſoit vne fois
le
tour G C F, &
l’on cõduiroit le meſ-
me
fardeau en meſme temps à la meſ-
me
diſtance.
Il faut donc conclurre que la com-
modité
de cette Machine conſiſte ſeu-
lement
à attirer le färdeau tout à la fois
ſans
le diuiſer;
& qu’elle ne ſert pas
pour
l’attirer plus ayſément, ou plus
viſte
, ou plus loin que la meſme force
le
cõduiroit en le diuiſant en 10.
parties.
Chap. VIII.
De la force, & de l’vſage des Poulies.
APres auoir conſideré les inſtrumĕs
qui
ſe reduiſent aux contrepoids,
&
à l’équilibre, comme à leur principe,
24[Figure 24]&
à leur
fondemĕt

il
fautpar-
ler
d’vne
autre
ſor-
te
de le-
uier
pour entendre la nature des pou-
lies
, &
de beaucoup d’autres effets
31133de Galilée Florentin. chaniques. Or le leuier, dont nous
auons
parlé, ſuppoſe que le poids ſoit
à
l vne de ſes extremitez, &
la force à
l
autre;
de ſorte que ſon ſouſtien doit
eſtie
entre ſes deux extremitez.
Mais
ſi
l’on met le ſouſtien à l’extremité du
leuier
, &
la force à l’autre extremité C,
&
que le point D ſoit attaché à quelque
point
du milieu:
par exemple, au point
B, il eſt certain que ſi le poids eſt égale-
ment
éloigné des deux extremes, com-
me
quand il eſt au point F, que la force
quile
ſouſtient en F ſera également di-
uiſée
:
& par conſequent la moitié du
poids
eſt ſouſtenuë par C, &
l’autre
moitié
par A.
S’il arriue que le fardeau ſoit attaché
ailleurs
, par exemple en B, la force C
ſouſtiendra
le fardeau en B, quand il
aura
meſme proportion auec ladite for-
ce
, que la diſtance A C à la diſtãce B A.
Mais pour comprendre cecy, il faut
s’imaginer
que la ligne B A ſoit prolon-
gee
en G, &
que les diſtances B A, A G
ſoient
égales, &
que le fardeau ſoit at-
taché
au point C, &
qu’il ſoit égal au
poids
D, il eſt certain qu’à cauſe de l’é-
galité
des poids E, D, &
des
31234Les Mechaniques A C, & B A, le mouuement du poids
D
ſuffira pour le ſouſtenir, donc la for-
ce
du moment égal à celuy du point E,
lequel
le pourra ſouſtenir, ſuffira enco-
re
pour ſouſtenir le poids D.
Mais ſi l’on
veut
ſouſtenir E au point C, la force
doit
eſtre à E, comme G A à C A, donc
la
meſme force pourra ſouſtenir le
point
D égal à E.
Or la proportion qui
eſt
de G A à E A, eſt auſſi de B A à C A,
G
A eſtant égal à B A:
Et parce que les
poids
E D ſont égaux, chacun d’eux
aura
la meſme proportiõ à la force miſe
en
C.
D’où l’on conclud que la force C
eſt
égale au momĕt D, lors qu’il a meſ-
me
proportion que la diſtance A
C
A.
Or il eſt tres-ayſé de conclurre de
tout
ce diſcours que l’on perd autant
de
viſteſſe comme l’on acquiert de for-
ce
tantauec le leuier ordinaire qu’auec
celuy-
cy:
car quand la force C hauſſe
le
leuier A C, pour le trãſporter en A I,
le
poids ſe meut par l’interualle B H,
lequel
eſt dautant moindre que l’eſpa-
ce
I C, qu’a fait la force, qu’A B eſt
moindre
qu’A C.
Ces principes ayant eſté declarez,
31335de Galilée Florentin. faut expliquer la raiſon des poulies, dõt
nous
declarerons la conſtruction &
l’v-
ſage
.
Et pour ce ſuiet ſuppoſons que
l’on
ayt la poulie A B C faite de metal,
ou
d’vn bois fort dur, &
qu’elle puiſſc
tourner
ſur ſon eſſieu, qui paſſe par le
centre
D:
& puis il faut mettre à l’en-
25[Figure 25] tour la chorde F C B A E,
à
laquelle le poids E ſoit at-
taché
.
Quant à la force, el-
le
eſt à l’autre bout de la
chorde
au point F, elle
ſouſtient
le fardeau E.
Car
ſi
l’õ ſ’imagine deux lignes
égales
tirées du centre D,
à
ſçauoir D C, &
D A, l’on
aura
l’équilibre de deux
momĕts
, ou de deux poids
égaux
, également éloignez
de
l’appuy D, qui eſt le
point
du ſouſtien, lequel eſt
également
éloigné de tous
les
coſtez de la circõference du cercle,
ou
de la poulie A B C.
Or ces deux li-
gnes
, qui ſont les bras du leuier, ou de
la
balance, determinent les diſtances
des
deux ſuſpenſions d’auec le centre
D
:
C’eſt pourquoy le poids qui eſt
31436Les Mechaniques pendu du point A ne peut eſtre ſouſte-
nu
au point C que par vne égale force,
ou
par vn poids égal, ſuiuant la nature
des
poids égaux qui pendent de diſtan-
ces
égales.
Car encore que la force F
tourne
à l’entour de la poulie A B C,
cela
ne change nullement l’habitude,
&
le rapport que le poids, & la force
ont
à la diſtance A D, &
D C: dautant
que
la poulie garde vn perpetuel équi-
libre
en ſe tournant.
D’où il faut con-
clurre
qu’Ariſtote ſe trompe lors qu’il
dit
que l’on leue plus ayſément les far-
deaux
auec les plus grandes poulies, car
encore
que la diſtance, ou le demidia-
metre
de la poulie D C ſ’augmente, ce-
la
ne ſert de rien à raiſon que la diſtan-
ce
D A ſ’augmente également.
De ſor-
te
que l’on ne reçoit nulle commodité
de
cét inſtrument en ce qui concerne
la
diminutiõ de la peine.
Mais ſa com-
modité
cõſiſte à tirer de l’eau des puits,
parce
que l’on tire de haut en bas, &
cõ-
ſequemment
le poids des bras, &
du
corps
ſeruent à cela, au lieu qu’en tirãt
à
force de bras de bas en haut ſans l’ay-
de
des poulies, le poids des bras, &
du
corps
nuiſent, c’eſt pourquoy la
31537de Galilée Florentin. apporte de la commoditéà l’applica-
tion
de la force.
Mais ſi l’on vſe d’vne autre ſorte de
poulie
, dont on voidicy la figure, l’on
pourra
leuer vn fardeau auec moins de
26[Figure 26] force, car ſi la poulie BDC,
qui
ſedoit mouuoir au tour
du
centre E, eſt miſe dans
ſa
quaiſſe, ou dans ſon ar-
meure
D, que G ſoitle far-
deau
, &
que la chorde A B
CF
paſſant à l’entourde la-
dite
poulie ſoit arreſté par
le
bout à quelque cheuille,
au
point ferme, &
immobi-
le
;
& finalemĕt ſi l’on applique la force
au
point C, ou F, qui ſe meuue en haut
vers
H, &
conſequemment qui faſſe
monter
la quaiſſe D, &
quant & quant
le
fardeau G, ie dy que la force miſe en
C
, ou en F, n’eſt que la moitió du far-
deau
qu’elle ſouſtient, &
par conſequĕt
que
le momĕt en C eſt ſouz double du
momenten
G;
parce que G eſt ſouſte-
nu
, &
porté par les deux parties de la
chorde
A B, &
C D, de ſorte qu’il eſt
diuiſé
en deux parties égales, parce que
le
diametre B C eſt ſemblable au
31638Les Mechaniques d’vne balance, & le fardeau eſt ſuſpen-
du
du point E:
& puis le ſouſtien eſt
au
point B, &
la force eſt au point C,
c’eſt
pourquoy il y a meſme raiſon de
la
force au fardeau, que de B E à B C,
donc
elle eſt la moitié du fardeau.
Car encore que la poulie ſe tourne,
tandis
que la force ſe meut vers H,
neantmoins
la ſuſdite proportion ne
change
point, comme l’on void aux
points
B,E,C, &
le leuier B C eſt rendu
perpetuel
.
Mais en recompenſe le che-
min
que fait la force eſt double du che-
min
que fait le fardeau, car quand il eſt
arriué
au point F, c’eſt à dire quãd il eſt
monté
auſſi haut qu’A, la force à mon-
deux fois autant, c’eſt à dire de C en
H
.
Mais il arriue icy vne incommodi-
à le force, à raiſon de ſa peſanteur
qui
la fait incliner en bas, c’eſt pour-
quoy
l’õ y a remedié par l’additiõ d’vne
autre
poulie que l’õ met en haut, cõme
I
on peut comprendre par cette figure,
quoy
que renuerſée, dans laquelle il
faut
conſiderer la chorde I B A E F,
qui
paſſe à l’entour des poulies B A, &

F
E, &
eſt attachée à l’armure du point
D
de la quaiſſe C D, qui eſt
31739de Galilée Florentin. en haut à la poûtre, ou à la pierre H, de
27[Figure 27] ſorte que la force tirant la
chorde
du point B au point
I
, ou du point I au point F,
fait
monter le poids at-
taché
au mouffle, ou à la
quaiſſe
FE.
Or cette force
ne
doit pas eſtre moindre
qu’au
point A, dautant
que
les momens du poids,
&
de la force ſont ſe2; gale-
ment
diſtans du centre G,
car
B G eſt égal à G A, c’eſt
pourquoy
la poulie B A
n’augmente
pas la force.
il faut remarquer que
les
Italiens appellent oét inſtrument la
Taglia
, &
les Grecs, & les Latins Tro-
chlea
:
mais nous le nommons en Fran-
ce
Mouffles;
ce qui comprend l’armeu-
re
, ou la quaiſſe, qui ſert de boëte aux
poulies
, &
les poulies, & tout ce qui
ſert
pour la perfection de cette machi-
ne
:
on l’appelle auſſi écharpes armée de
poulies
.
Or apres auoir monſtré parles deux
figures
precedentes que l’on peut dou-
bler
la force par le moyen des
31840Les Mechaniques il faut maintenant faire voir que l’on
peut
l’augmenter tant que l’on voudra,
comme
ie demonſtre aux rõbre pairs,
&
impair des poulies: c’eſt pourquoy
ie
mets le Lemme qui ſuit, afin de de-
monſtrer
la maniere de multiplier la
force
en raiſon quadruple.
LEMME.
Soient donc les deux lignes A B, &
28[Figure 28] C D, qui repre-
ſentent
deux le-
uìers
, qui ont
leurs
appuis A &

C
à leurs extre-
mitez
, &
que le
fardeau
G ſoit
ſuſpendu
au milieu E, &
F & qu’il ſoit
ſouſtenu
par les deux forces B &
D ap-
pliquées
aux autres extrem tezdes le-
uiers
, leſquelles ie ſuppoſe auoir vn
moment
égal, ie dy que le moment de
chacune
eſt égal au moment de la qua-
trieſme
partie du poids G, carles deux
forces
B &
D ſouſtiennent également,
&
conſequemmĕt la force D n’eſt con-
trariée
que par la moitié du poids G
31941de Galilée Florentin. eſt attaché à F. Mais quand la force D
ſouſtient
la moitié du fardeau par le
moyen
du leuier C D, elle a meſme
proportion
à G que C D à C F, c’eſt à
dire
ſouz double, donc le momĕt D eſt
double
du moment de la moitié du
poids
G qu’il ſouſtient, donc il eſt le
quart
du moment des poids entier.
L’on demonſtre la meſme choſe du
moment
B, de ſorte qu’il eſt raiſonna-
ble
que le poids eſtant également ſou-
ſtenu
par les 4 poulies qui ſe voyent
dans
cette autre figure, chacune porte
la
quatrieſme partie du fardeau:
ce que
io
monſtre en cette maniere.
Que le poids X ſoit attaché au point
K
par le moven du moufflc K X, ie dy
que
la force égale à la quatrieſme par-
tie
du fardeau X, le ſouſtiendra, car ſi
l’on
s’imagine que les deux diametres
B
A &
D E ſoient deux leuiers ſembla-
bles
à ceux que nous auons expliquez
dans
la figure precedente, &
que le far-
deau
ſoit ſuſpendu aux points C E F, l’õ
trouuera
que les appuis, ou les ſupports
deſdits
leuiers répondent aux points D
&
A, conſequemment que la force ap-
pliquée
en B ou en Is ſouſtiendra
32042Les Mechaniques poids X, dont il ſera ſousquadruple.
29[Figure 29] Et ſi l’õ adiouſtevne pou-
lie
en haut, &
que lachor-
de
paſſe par O M B, la
force
L, ſouſtiendra le
meſme
poids.
Mais il
faut
accommoder les 4.
chordes, cõme elles ſont
dans
ces mouffles, en ſor-
te
qu’elles ne ſe meſlent
point
lesvnes auec lcs au-
tres
.
Or il faut icy remar-
quer
ce que nous auons
deſia
dit pluſieurs fois, à
ſçauoir
que l’õ ne gaigne
rien
auec ces inſtrumens,
car
ſi l’on épargne la for-
ce
, l’on augmente le tĕps:

de
vient qu’il faut tirer
quatre
pieds de chorde
depuis
O iuſques à L pour faire monter
le
poids X d’vn pied de X en C:
& l’on
trouucrra
perpetuellement que l’on
perd
autant de temps, ou que l’on eſt
contraint
d’allonger autant le chemin,
que
l’on gaigne de force.
Si l’on veut que la force s’augmente
au
ſextuple, il faut adiouſter vne
32143de Galilée Florentin. poulie en bas, comme ie monſtre par la
30[Figure 30] figure precedente, dãs
laquelle
on void les
trois
leuiers A B, C D,
&
F E. Que le poids K
ſoit
attachéa G, H, &

I
, &
que les trois for-
ces
B, D, F, ſoient éga-
les
, &
qu’elles ſouſtien-
nent
égalemĕt le poids K, aſin que cha-
cune
en ſouſtienne le tiers, &
parce que
la
force B ſouſtenant le poids pĕdu à G
eſt
la moitié du poids, &
que nous auõs
ſuppolé
qu’il ſouſtient le tiers dudit
poids
, il s’enſuit que la force B eſt éga-
le
à la moitié du tiers de K, c’eſt à dire
à
la ſixicſme partie de K.
Car il ſaut tou-
ſiours
s imaginer que les appuys A, C, E
ſouſtiennent
autant du poids que les
forces
B, D, F.
Par il eſt ayſè de
comprendre
que le mouffle inferieur
avant
trois poulies, &
le ſupericur deux,
ou
3.
autres, que l’on peut multiplier la
force
ſelon le nombre ſenaire:
ce que
l’on
peut ayſément s’imaginer en con-
ſiderant
vn mouffle compoſé de ſix
pouiies
.
Or pour expliquer la maniere
32244Les Mechaniques multiplier la force ſelon vn nõbre im-
pair
:
il faut encore conſiderer le leuier
de
la page 40.
A B, dont l’appuy eſt en
A
, &
le poids G eſt attaché à E, & ſou-
ſtenu
par deux forces égales, dont l’vne
eſt
en D, &
l’autre en B, & l’õ trouuer-
ra
que chaque force a vn moment égal
au
tiers du poids, G, parce que la force
miſe
en E ſouſtient vn poids qui luy eſt
égal
, dautant qu’elle eſt dans la ligne
de
la ſuſpenſion dudit poids.
Mais la
force
eſtãt en B ſouſtient deux fois au-
tant
que ſon poids, parce que ſa diſtan-
ce
d’auec l’appuy A eſt double de E A,
Et
parce que l’on ſuppoſe que les 2.
for-
ces
B, &
E ſont egales, il s’enſuit que la
partie
de G ſouſtenuë par B eſt double
de
la partie que ſouſtient E:
donc ſi l’on
fait
deux parties du poids G, &
que l’v-
ne
ſoit double de l’autre, la plus grande
ſera
de{2/3}, &
la moindre de{1/3} de G, donc
le
moment de la force E ſera égal au
tiers
de G:
& parce que nous auons
ſuppoſé
B égal à E, la force B eſt égale
à
la force E, &
conſequemment chacu-
ne
eſt égale au tiers du poids G.
Cecy ayant eſté demonſtré, il faut
l’appliquer
aux mouffies qui
32345de Galilée Florentin. dont la poulie A B C ſe tourne au tour
31[Figure 31] du centre G, auquelle far-
deau
H eſt attaché.
L’au-
tre
poulie ſuperieure eſt
F
E;
outre leſquelles il
faut
encore conſiderer la
chorde
I B C A E F D, qui
eſt
atta chée au point B, &

puis
la force qui eſt en I,
laquelle
ne ſupporttera
que
le tiers du fardeau H.
Par il eſt euidĕt qu’ A B
eſt
vn leuier, &
que la for-
ce
I s’applique à ſes extre-
mitez
B, &
A. G eſt le
point
du ſouſtien, auquel
H
eſt ſuſpendu.
Vne autre force eſt en-
core
appliquée en D, de ſorte que le
poids
eſt arreſté par 3.
chordes qui con-
tribuent
également à ſouſtenir le poids
H
:
car la force D eſt appliquée au mi-
lieu
du leuier, &
B à ſon extremité, c’eſt
pourquoy
chaque force ne ſupporte
que
le tiers du poids H.
D’où il s’enſuit
que
la force I ayant ſon moment égal
audit
tiers, peut ſouſtenir, &
leuer le
poids
entier.
Mais I fera trois fois au-
tant
de chemin que le poids H,
32446Les Mechaniques qu’il ſuit la longueur de trois chordes
I
B, A E, &
F D, dont l’vne meſure le
chemin
du ſardeau.
Chap. IX.
De
la Viz.
ENtre tous les inſtrumens Mecha-
niques
que l’on a inuentez pour la
vie
humaine, la viz que les Grecs, &

les
Latins appellent Cochlea, tient le pre-
mier
rãg tant pour ſa ſubtilité que pour
ſon
vtilité, dautant qu’elle ſert pour
arreſter
, pour faire mouuoir, &
pour
preſſer
auec vne treſ-grande force, &

qu’elle
tient fort peu de place, quoy
qu’elle
aye des effets treſ-ſignales que
les
autres in ſtrumens ne peuuent auoir
s’ils
ne ſont reduits en de treſ grandes
Machines
.
C’eſt pourquoy il faut ex-
pliquer
la nature, &
l’origine de la viz,
&
pour ce ſuiet ie demõſtre icy vn theo-
reſme
, qui ſemblera, peuſt-eſtre, fort
éloigné
de ce diſcours, quoy qu’il en
ſoit
la baſe, &
le fondement.
Ie dy donc que tous les corps
32547de Galilée Florentin. ont vne inclination vers le centre de la
terre
, non ſeulement quand ils y peu-
uent
deſcendre perpendiculairement,
mais
auſſi quand ils y peuuent arriuer
par
vne ligne oblique, ou par vn plan
incliné
:
ce que l’on peut confirmer par
l’eau
qui ne tombe ſeulement pas à
plomb
de quelque lieu éminent, mais
elle
coule auſſi ſur la terre par vne li-
gne
qui a fort peu d’inclination, com-
me
l’on remarque aux cours des fleu-
ues
, dont les eaux deſcendent libre-
ment
, pourueu que leur lit ayt tant ſoit
peu
de pante.
Or ce qui arriue aux corps fluides, ſe
remarque
, ſemblablement aux corps
qui
ſont durs, pourueu que les figures,
&
les autres empeſchemens acciden-
tels
, &
extericurs ne les diuertiſſent
point
:
Car ſi l’on prend vne bale par-
faitement
tonde, &
polie, ſoit de mar-
bre
, de verre, ou d’autre matiere, qui
reçoiue
vn excellent poly, &
que l’on
la
mette ſur vn plã incliné, qui ſoit auſ-
ſi
patfaitement vni, &
poly que la gla-
ce
d’vn miroir, elle deſcendra ſur ledit
plan
, ſe mouuera perpetuellemĕt tan-
dis
qu’elle trouuera la moindre
32648Les Mechaniques tion que l’on ſe puiſſe imaginer: de ſor-
te
qu’elle ne ſarreſtera point iuſques à
ce
qu’elle rencontre vne ſurface qui
ſoit
à niueau, ou équidiſtante de l’ho-
rizon
, comme eſt celle d’vn lac, ou d’ vn
eſtang
glacé, ſur laquelle la bale ſe
tiendroit
ferme, &
immobile, mais auec
telle
condition que la moindre force
l’ébranleroit
, &
que le plan ſinclinant
de
la largeur d’vn cheueu, elle commĕ-
ceroit
incontinent à ſe mouuoir &
à
deſcendre
vers la partie inclinée, &

qu’au
contraire elle ne pourroit eſtre
meuë
ſans violĕcevers la partie du plan
qui
monte.
Or il eſt neceſſaire que la
boule
ſ’arreſte ſur vne ſurface parfaite-
ment
équilibre, &
qu’elle demeure cõ-
me
indifferente entre le mouuement &

le
repos:
de ſorte que la moindre force
du
mõde ſuffiſe pour la mouuoir, com-
me
la moindre force que l’on peut ſi-
maginer
dans l’air, ſuffit pour la rete-
nir
.
D’où l’on peut tirer cette concluſion,
que
tout corps peſant, tous les empeſ-
chemens
exterieurs eſtant oſtez, peut
eſtre
meu ſur vn plan horizontal par la
moindre
force que ce ſoit, &
qu’il
32749de Galilée Florentin. d’autant plus de force pour le mouuoir
ſur
vn plan incliné, qu’il a plus d’incli-
nation
au mouuement contraire.
Ce qui ſera plus intelligible par
32[Figure 32] certe figure, dans
laquelle
A B ſoit le
plan
parallele à l’o-
rizon
, ſur lequel la
boule
eſt indif-
ferente
au mouue-
ment
, &
au repos, de ſorte que le vent
ou
la moindre force la peut faire mou-
uoir
;
mais il faut vne plus grande force
pour
la faire mouuoit du point A au
point
C ſur le plan incliné A C, &
en-
core
vne plus grande pour la mouuoir
ſur
les plans A D, &
A E: & finalement
l’on
ne peut la leuer ſur le plan perpen-
diculaire
A F, que par vne force égale à
tout
le poids G.
Or l’on ſçaura cõbien il faut moins de
force
pour leuer le fardeau ſur les plans
A
E, A D, &
c. ſi l’õ tire les lignes perpen-
diculaircę
à l’orizon CH, DI &
KE, car
il
y aura meſme proportion des forces
neceſſ
ures pour éleuer le fardeau ſur
chaſque
plan audit fardeau, que des
lignes
perpendidulaires aux lignes
32850Les Mechaniques leurs plans. Ce que Pappus Alexãdrin
s’eſt
efforcé de monſtrer dans le 8.
liure
de
ſes Collections Mathematiques,
mais
il s’eſt trompé, à mon aduis, en ce
qu’il
a ſupposé vne force donnée pour
mouuoir
le poids ſur le plan horizõtal,
ce
qui eſt faux, parce qu’il ne faut nulle
force
ſenſible, ſi l’on oſte les empeſche-
mens
exterieurs.
C’eſt pourquoy il eſt
plus
à propos de chercher la force qui
meut
le fardeau ſur le plan vertical ou
perpendiculaire
A F, laquelle eſt tou-
ſiours
égale à la peſanteut du fardeau,
que
de cherchet la force qui le meut
ſur
le plan horizontal.
Soit donc le cercle AIC, dontle dia-
33[Figure 33] mettre
eſt
ABC,
&
le cen-
tre
B;
&
qu’il
y ait
deux
for-
ces
éga-
les
aux
points
A
&
C, qui
repreſĕtĕt

vne
balãce mobile autour du centre
32951de Galilée Florentin. il eſt certain que le poids C ſera ſouſte-
nu
par la force A.
Mais ſi l’on s’imagine
que
le bras de la balance BC tombe en
BF
, de ſorte qu’il demeure touſiours
continué
auec le bras AB, &
qu’ils ayĕt
tous
deux leur point fixe, ou leur appuy
en
B, le moment F, ne ſera pas égal au
moment
A, parce que la diſtance
du
poinct.
ou du poids F d’auec la ligne
de
direction BI n’eſt pas egale à la di-
ſ@ance
de la force, ou du poids A d’auec
la
meſme ligne de direction, comme
l’on
demonſtre par la petpendiculaire
KF
, qui determine la diſtãce du poinct
Fauec
B, ou I, de ſorte que le momĕt,
ou
le poids, de C porté en F eſt dimi-
nué
de la diſtance de KC, &
qu’il n’a
plus
que le momĕt B K:
c’eſt pourquoy
il
faut conclure que le moment d’A
ſurpaſſe
celuy de F de K C.
Il faut dire
la
meſme choſe du poids C tranſporté
au
point L, ou en tel autre point du cer-
cle
que l’on voudra, car la force en A
ſera
d’autant plus grande que la force
L
, que B A, eſt plus grand que B M.
Parce l’on void que le poids C
diminuë
ſon moment, &
ſon inclina-
tion
d’aller en bas ſelon les
33052Les Mechaniques inclinatiõs des plãs FB, LB & c. de ſorte
que
l’on peut s’imaginer la deſcente de
C
par tous les points du quart de cercle
CI
, lequel contient vn plan qui s’incli-
ne
perpetuellement de plus en plus,
&
que la peſanteur du poids en C eſt
totale
&
entiere, & conſequemment
qu’il
ſe porte de toute ſon inclination à
deſcendre
, parce qu’il n’eſt nullement
empeſché
par la circonferĕce, lors qu’il
ſe
rencontré ſur la tangente DCE.
Mais quand il eſt en F, il eſt en partie
ſouſtenu
par le plan circulaire, &
ſa
pente
, ou l’inclination qu’il a vers le
centre
de la terre eſt autant diminuée
que
BC ſurpaſſe BK:
de maniere qu’il
ſe
tient éleué ſur ce plan de meſme que
s’il
eſtoit appuyé ſur la tangente GFH,
d’autãt
que le point d’inclination F de
la
circonference CI ne differe point de
l’inclination
de la tangente GFH, que
par
l’angle inſenſible du contact.
Il faut dire la meſme choſe du point
L
, lequel eſt incliné comme s’il eſtoit
ſur
le plan de la tangeule NLO, car il
diminuë
ſa pent@, &
ſon inclinatiõ qu’il
a
en Cen meſme proportion que Bk eſt
à
BC, puis qu’il eſt conſtant par la
33153de Galilée Florentin. litude des triangles KBF & KFH, qu’il
y
a meſme raiſon de FK à FH que de
KB
à BF.
D’où nous conclüons que la
proportion
du moment total &
abſolu
du
mobile dans la perpendiculaire de
l’orizon
auec le moment qu’il a ſur le
plan
incliné HF eſt la meſme que la
proportion
de FH à FK.
Ce qui ſe void plus diſtinctement
34[Figure 34] dans le triangle A
BC
car le moment
du
mobile ſur le
plan
AC eſt d’au-
tãt
moindre que le
moment
qu’il a dãs
la
perpendiculaire CB, que CB eſt
moindre
que C A.
Et parce qu’il ſuffit
pour
mouuoir le fardeau, que la force
ſurpaſſe
inſenſiblemĕt celle quile ſou-
ſtient
en quelque lieu que cèſoit, nous
faisõs
icy cette propoſition vniuerſelle.
Que ſur le plan elcué la force a la meſ-
me proportion au poids que la perpen-
diculaire tirée de l’extremité du plan ſur
l orizon à la longueur dudit plan, c’ eſt à dire
que la tangente à la ſecante, car FK eſt la
tangente
du cercle deſcrit ſur le dia-
mettre
KH, &
FH eſt la ſecante.
33254Les Mechaniques
Cecy eſtant poſé, ie reuiens à mon
35[Figure 35] premier deſſein, qui con-
ſiſte
à trouuer, &
à expli-
querla
nature de laviz;
c’eſt
pour
ce ſubiet qu’il faut
conſiderer
le triangle AB
C
, dans lequel A B repreſente la ligne
horizontale
, BC la perpendiculaire à
l’orizon
, &
AC le plan eleué, & encliné
ſur
l’orizon, ſut lequel le mobile E eſt
tiré
&
emporté par vne force d’autant
moindre
que le poids E, que la ligne
BC
eſt moindre que C A.
Or quand on
veut
eſleuer E plus haut ſur le plan fer-
me
A C, c’eſt meſme choſe que ſi le tri-
angle
BCA eſtoit pouſſé iuſques au
36[Figure 36] point H, parce que s’il ſe
trouuoit
dans la meſme
aſſiette
que le triãgle HFG,
le
mobile auroit monté la
hauteur
AI, &
ſeroit en E.
D’où il s’enſuit que la na-
ture
de la viz n’eſt autre
choſe
que le triangle ACB,
lequel
eſtant pouſlé en auãt
ſouſtient
la peſanteur &

l’éleue
:
& que c’eſt par ſon
moyen
qu’elle a eſté
33355de Galilée Florentin. tée. Mais l’on s’eſt auisé d’enuironner
le
cylindre B D du meſme triangle,
affin
de le reduire dans vne machine
beaucoup
moindre, &
plus commode.
Et pour ce ſubiet l’on adonné la meſ-
me
hauteur du triangle au cylindre,
BE
, &
l’inclination de l’hypotenuſe
CA
à l’helice A E, &
à toutes les autres
qui
ſuiuĕt de bas en haut, &
qui fõtl’he-
lice
continuë A E F GHID, laquelle on
appelle
ordinairemĕt le traict de la viz.
C’eſt donc en cette maniere que l’in-
ſtrument
appellé par les Grecs &
par
les
Latins cochlea &
que nous appelliõs la
viz
, à eſté inuĕtóe, affin qu’en la tornãt
on
eſléue les fardeaux cõme l’on feroit
ſur
le triangle precedent, car l’on trou-
uera
touſiours dans la viz, comme ſur
tel
autre plan que ce ſoit, que la force
eſt
au poids poſé ſur vn plan incliné
comme
la hauteur dudit plan à ſa lon-
gucur
:
& conſequemment que la force
de
la viz ABCD ſera multipliée ſelon
que
toute l’helice ſera plus grande que
toute
la hauteur du cylindre.
Par il
eſt
ayſé d’entendre, &
de conclure que
la
viz eſt d’autant plus forte que ſes
helices
ſont plus couchées, &
plus
33456Les Mechaniques clinées ſur l’orizon, par ce que la lon-
gueur
des triangles ſuiuant leſquels el-
les
ſont formées eſt en plus grande pro-
portion
à leur hauteur.
Neant moin; il
n’eſt
pas neceſſaire de meſurer la lon-
gueur
de toute Phelice, ny la hauteur
totale
du cylindre pour congnoiſtre la
force
d’vne viz propoſée, car il ſuffit de
ſçauoir
combien de fois l’vn des tours
de
l’helice contiĕt ſa hauteur, par exem-
ple
, combien de fois AF eſt contenu en
A
E, &
en E F parce qu’il y à melme
proportion
de toute la hauteur CB à
toute
l’helice, que de F A à A EF, que
les
Italiens appellent verme de la vite.
Or apres auoir expliqué la nature de
la
viz, l’on peut ay ſemĕt ſçauoir toutes
ſes
proprietez, par exemple que l’on fait
monter
le poids par le moyen de ſa ma-
trice
auec les helices concaucs dans
leſquelles
entrele noyau de la viz auec
ſes
helices cõuexes cõme il eſt ayſé de
remarquer
aux viz d@s p’eſſoirs, &
de
toutes
ſortes de preſſes à écroux, dont
le
noyau eſtant tourné fait monter la-
dite
matrice, &
quant & quant le poids
qui
y eſt attaché.
33557de Galilée Florentin.
Mais il faut touſiours ſe ſouuenir que
l’õ
perd autãt de viſteſſe, &
de tĕps, que
l’on
gaigne de force, car A B eſt le plan
horizõtal
, &
A C le plan incliné, dõt la
hauteur
eſt meſurée, &
determinée par
la
perpendiculaire C B;
Or ſi l’on poſe
vn
mobile ſur le plan AC, &
que la
chorde
EDF le tienne attaché, la force
qui
eſt en F ayant meſme raiſon auccle
poids
E que BC C B, ſouſtiendra le
poids
en E, &
en luy aioutant la moin-
dre
force du monde, il tombeta en B, &

emportera
le poids E en le faiſant mon-
ter
vers D.
Mais F ne fera pas moins
de
chemin en deſcendant perpendicu-
lairement
, que le poids E en montant
obliquement
, c’eſt pourquoy il eſt ne-
ceſſaire
que F deſcende plus bas qu’il
ne
fait monter le poids E, dont l’exau-
cement
ſe meſure par la ligne per-
pendiculaire
BC:
de maniere que la
ligne
de la deſcente de F ſera é galé à
CA
, quand il aura fait monter le poids
de
B à C.
Carle poids ne reſiſte point
au
mouuement parallele à l’orizon,
parce
que ce mouuement ne l’éloigne
point
du centre de la terre.
C’eſi pour-
quoy
il importe grandement de
33658Les Mechaniques ſiderer les lignes par leſquelles ſe font
37[Figure 37] les mouuemens, &

particulierement

lors
qu’ils ſe font
par
des forces ina-
nimées
, dont les
momens
, &
les reſi-
ſtances
ſont en leur ſouuerain degró
dans
la ligne perpĕdiculaire à l’orizon;
mais elles ſe diminüĕtà proportion que
la
ligne ſe pãche ſur le plan horizontal.
III. ADDITION.
Ily a pluſieurs choſes à remarquer
ſur
ce ſubjet qui Peuuent ſeruir pour
eſtablir
quelque parrie de la Phyſique,
dont
i’en mets icy quelques vnes, affin
d’cxciter
les bons eſprits qui ayment la
verité
, à paſſer oûtre.
Premierement
38[Figure 38] c’eſt vne choſe tres-
remarquable
que la
boule
F D C E ſo
puiſſe
mouuoir auec
la
moindre force
imaginable
ſur lc
plan
horizontal AB,
dont
la raiſon eſt qu’elle ne touche
33759de Galilée Florentin. plan qu’au point C, & que ſes deux
moitiez
CFE, &
CFD ſont en vn par-
fait
équilibre, comme lon void au
leuier
ED, dont le bras EG eſt égal au
bras
GD, de ſorte que ſi l’on applique
la
moindre force du mõde à D la boule
roullera
vers A.
En ſecond lieu l’on
peut
cõparer le mouuement des deux
boules
CDF, &
CHG, qui eſt huict fois
moindre
&
mois peſante que l’autre,
car
ſon diametre CG eſt ſouz double
de
CF, &
ie ſuppoſe qu’elles ſoient de
meſme
matiere:
l’on peut doncrecher-
cher
laquelle des deux ſe meut plus ay-
ſement
ſur le plan AB;
car il y en a qui
croyent
que la petite ſera 8.
fois plus
ayſée
à mouuoir ſur ce plan, quoy que
parfaictemĕt
dur &
poli, à raiſon qu’el-
le
peſe 8.
fois moins, & que toutes les
parties
do chaque corps peſent ſur le
centre
de leurs peſanteurs, &
conſe-
quemment
que toute la peſanteur de
ces
deux globes s’vnit au point C, &

reſiſte
tant qu’elle peut au mouuemĕt.
Mais puiſque toutes ſortes de globes
tant
grands que petits ont la raiſon du
leuier
ou de la balance comme i’ay ex-
pliqué
cy-deuant, la moindre force
33860Les Mechaniques pliquée aux points D, E, ou HI eſt ca-
pable
de les oſter de leur equilibre.
En troiſieſme lieu ſi l’on ſuppoſe que
le
plan horizontal ſoit rude, ſcabreux, &

mal
poli, il sĕble que le moindre globe
routera
plus ayſement parce qu il fait
vn
plus grand angle de contingonce, &

s’éloigne
d’auantage de la ligne droite
AB
.
IV ADDITION.
Sur ce que Galilee dit que Pappus ſ’eſt
trompé
, lors qu’ila voulu determiner la
force
neceſſaire pour mouuoir vn poids
donné
ſur vn plan propoſé, ou ſur vn
plan
incliné, dont l’angle d’inclination
eſt
cõnu l’on peut remarquer pluſieurs
choſes
, mais particulierement qu’il la
ſuppoſe
beaucoup trop grãde, car il dit
qu’il
faut la force de 40.
hommes pour
mouuoir
le poids de 200.
talents, dans
la
9.
propoſition de ſon 8. liure, au lieu
que
la moindre force eſt capable de le
mouuoir
ſur ledit plan:
c’eſt pourquoy
il
a conclud qu’il failloit 260.
hommes
pour
le mouuoir ſur vn plan incliné de
120
degrez.
Mais l’on comprendra cecy
plus
ayſement par cette figure, dans
33961de Galilée Florentin. quelle RM repreſente le plan horizon-
39[Figure 39] tal, ſur lequel ie
ſuppoſe
que le plan
PM
eſt eleué de 30.
degrez, & conſe-
quemment
qu’il
fait
60.
degrez auec
le
plan perpendi-
culaire
BC.
Or il eſt certain que la
force
qui retient le poids, ou le globe
BSA
ſur le plan incliné eſt audit poids,
comme
la perpendiculaire PR eſt à
l’hypotenuſe
P M:
& parce que cette
hypothenuſe
eſt double de la perpĕdi-
culaire
, vne force vn peu plus grãde que
ſouz
double le leuera, de ſorte que ſi le
globe
peſe 2.
liures le poids P, ouO peſát
vne
liure, &
vn grain le pourra tirer.
Il
faut encore remarquer que la force
qui
doit empeſcher que le poids ne
coule
&
ne peſe point ſur le plan P M
doit
eſtre au poids, comme la baſe R M
à
l’hy potenuſe P M.
Or quand on veut
tirer
le poids ſur le plan incliné, il faut
mettre
vne poulic au haut du plan,
comme
l’on void en D.
l’on doit conſiderer la force qui-
ſouſtient
le poids dans la ligne
34062Les Mechaniques diculaire P R, pour trouuer celle qui le
ſouſtient
ſur le plan incliné, &
parce
que
le globe B S A peſe 2 liures dans
ladite
ligne, il n’en peſera qu’vne ſur ce
plan
incliné de 30 degrez.
Neantmoins
quelquesvns
croyent que l’on peut
trouuer
la force qui tire le poids ſur le
plan
incliné par la connoiſſance de la
force
qui le meut ſur le plan horizõtal;
ſurquoy l’on peut veoir Cabee au 20.
Chapitre
du 4.
liure de l’aymant.
V. ADDITION.
Cette ſpeculation des plans differens
eſt
grandement vtile pour trouuer la
force
requiſe pour mouuoir toutes ſor-
tes
de fardeaux ſur les montagnes, &

dans
les valees, &
pour pluſieurs autres
choſes
:
par exemple, ſi l’on vouloit
tirer
vn fardeau ſur le plan F B, il fau-
droit
vne force, qui euſt meſme pro-
portion
au poids, que la perp @ndiculai-
re
B E à l’hypotenuſe B F.
Mais ſi l’on
vouloit
l’empeſcher de couler ou de
peſer
ſur le plan B F, il faudroit vne
force
qui euſt meſine proportion au
poids
que F E à F B, ſuiuant ce qui
34163de Galilée Florentin. eſté dit dans l’addition precedente, &
conſequemment
il faudroit que cette
force
fuſt ſouztriple du poids, puiſque
E
F eſt ſouztriple de B F.
Quant à la proportion des mouue-
40[Figure 40] mens qui ſe
font
ſur les
plans
, nous en
parlerõs
apres:
Ie remarque-
ray
ſeule ment
icy
que la for-
ce
eſt tou-
ſiours
à la pe-
ſanteur
qu’il faut ſouſtenir ſur les plans
propoſez
, cõme le coſté qui touche la
force
eſt au coſté ſur lequel le poids eſt
appuyé
, ſoit que le coſté de la force ſoit
per
pendiculaire, ou incliné ſur l’hori-
zon
:
par exemple, la force eſtant poſée
ſur
le coſté D F eſt au poids D mis
fur
H D, comme F D eſt à D H.
Et ſi l’on ſuppoſe que B E ſoit vne
muraille
impenetrable, quiſoit polie, &

qui
ne cede nullement aux coups, la
bale
qui la frapera au point D ſelon
l’inclination
de l’angle C D I, qui eſt de
30
.
degrez, ſereflechira en H parla
34264Les Mechaniques gne D H, dautant que l’angle de refle-
xion
L D K eſt egal à celuy de l’inci-
dence
.
Mais il eſt difficile de ſçauoir
ſc
reflechira la bale.
L’on peut encore
conſiderer
de combien vn poids deſ-
cend
plus viſte ſur vn plan incliné que
ſur
l’autre:
par exemple, de combien
il
deſcĕd plus viſte ſur B F, que ſur C F,
ou
D F, &
s’il y a meſme raiſon de lavi-
ſteſſe
qui s’exerce ſur B F, à celle de
D
F, que de la ligne B F à D F:
mais il
faut
reſeruer toutes ces conſiderations
pour
la fin de ce traité.
Concluons ce-
pendant
qu’il faut d’autant moins de
force
pour leuer le poids donné, que le
chemin
de la force eſt plus long que
celuy
du poids, affin que l’vn recõpenſe
l’autre
, &
que la nature ne perde rien
d’vn
coſté qu’elle ne le gaigne de l’au-
tre
.
Finalemĕt ſivn coup de canõ eſt tiré
du
point H contre la muraille B E, il
aura
ſa force entiere dans la perpendi-
culaire
H E;
& le boulet appuyera en-
rierement
contre E.
Mais s’il frappe
obliquement
en D par la ligne H D,
il
ſera d’autant moins fort que D H eſt
plus
long que H E.
34365de Galilée Florentin.
Chap. X.
De
la Viz d’ Archimede pour
ejieuer
les eaux.
IL faut icy adioûter la conſideration
de
cette viz, parce que ſon effet eſt
41[Figure 41] d’autant plus
admirable

que
la cauſe
ſemble
plus
éloignée
de
la
raiſon, car
elle
fait mon-
ter
l’eau par-
ce
qu’elle la
fait
deſcen-
dre
.
Son vſa-
ge
paroiſt dãs
la
figure qui
ſuit
, dans la-
quelle
Z Y
X
V T S R &

Q
ſignifient
vn
canal qui
entoure
le
cylindre
NP.
Orle bout du can al N doit eſtre
34466Les Mechaniques l’eau, & le canal doit eſtre incliné; &
puis
il faut tourner le cylindre autour
des
points Q P, &
N O, iuſques à ce que
l’eau
ſorte par Q, apres auoir monté
tout
au long du canal, ou de l’helice
N
O Y X &
c. Dans la quelle l’eau mon-
te
par ce qu’elle deſcend, comme ie fais
voir
en cette maniere.
Soit le triãgle A K B, d’où la viz N P
prend
ſon origine, lors que l’helice à
meſme
inclination que K A, dont la
ſaillie
, ou l’eleuation eſt determinée par
l’angle
B A K;
& ſi cet angle eſt du
tiers
, ou du quart d’vn angle droit, l’e-
leuation
de l’helice N Z, ou Z Y ſera
ſemblablemĕt
le tiers, ou le quart d’vn
angle
droit.
Cecy eſtant poſé, il eſt
euidãt
que la ſaillie du canal A K ſera
abbaiſſée
quand le point K viendra au
point
B, &
qu’elle n’aura plus de pente
ou
d’inclination, &
conſequemment ſi
on
l’abaiſſe vn peu plus bas que B, l’eau
coulera
, &
s’engorgera naturellement
dans
le canal A K, ou XV, &
tombera
du
point A au point K, qui ſe trouuera
plus
bas que B ſouz l’orizon.
Or il faut
entourer
le cylindre C A du triangle
A
K B, affin de conſtruire 12 viz A
34567de Galilée Florentin. perpĕdiculaire ſur l’horizon E A: & puis
il
la faut mettre dans l’eau, &
la tour-
ner
, affin que l’eau monte pat le eanal
A
E, qui n’eſt pas plus incliné que K A,
c’eſt
à dire que le tiers d’vn angle droi-
te
donc ſi l’on abbaiſſe le cylindre P N
du
tiers d’vn angle droit, les helices
E
F, F G &
c. ſeront inclinées, comme
l’on
void au cylindre panchant P N, &

à
ſes helices Z Y X V &
c. par conſe-
quent
l’eau deſcendra de N à Z, &
tou-
tes
les autres helices receuront vne
meſme
diſpoſition pour faire couler
l’eau
iuſques au bout de la viz, de ſorte
que
l’eau deſcendra touſiours en mon-
tant
de N à P.
D’ou il faut conclure que
la
viz doit auoir vne inclination vn peu
plus
grande que le triangle ſur lequel
on
la baſtie.
VI ADDITION.
Il y a pluſieurs choſes à remarquer
pour
la pente, &
la deſeente, & pour
l’exaltation
des eaux, &
pour tout ce
qui
appartient aux Siphons, &
aux
Pompes
qui attirent l’eau, ou les autres
liqueurs
par aſpiration, mais l’vne
34668Les Mechaniques principales conſiſte à ſçauoir que l’eau
ne
ſe meut point naturellement ſi elle
n’a
de la pente, cõme l’on experimente
aux
ruiſſeaux, aux riuieres, aux eſtangs
&
c. ce qui fait reconnoiſtre que le
mouuemĕt
de la mer ſuppoſe de la vio-
lence
, car ſile reflus luy eſt naturel, le
flus
doit eſtre violent.
Quant au Siphon
il
peut ſeruir pour faire paſſer des fon-
taines
depuis le pied d’vne montagne
ou
d’vn rocher iuſques à l’autre coſté,
pour
changer le vin, ou lesautres li-
queurs
d’vn tonneau en vn autre, pour
vuider
les marais, &
pour pluſieurs
autres
commoditez dont nous parle-
rons
ailleurs.
Quant à l’vſage de l’eau dans les me-
chaniques
, il eſt tres grand, comme l’on
experimente
aux moulins à eau, &
aux
differentes
manieres dont on ſe ſert
pour
ſçauoir la differĕce des peſanteurs
de
toutes ſortes de corps plus peſans, ou
plus
legers que l’eau, ſoit qu’on les com-
pare
enſemble, ou auec la meſme eau:
mais tout cecy merite vn traicté entier
de
l’Hydraulique, comme les vtilitez
de
l’air &
du vent requierent vn diſ-
cours
entier de la Pneumatique.
34769de Galilée Florentin. par ce que Galilée n’en a rien dit dãs ce
liure
, ie viĕs à la derniere cõſideration
qu’il
a faite ſur la forcede la percuſſion.
Chap. XI.
Il eſt neceſſaire pour pluſieurs raiſons
derechercher
la cauſe de la force de la
percuſſion
, parce qu’elle contient plus
de
merueilles que tous les autresin ſtru-
mens
Mechaniques, car on experimen-
te
qu’en frappãt ſur vn clou, ſur vn pieu,
ou
pilotis, &
c. ils entrĕt dans des corps
fort
durs, &
qu’ils n’entrent nullement
ſi
l’on ne frappe deſſus, encore que l’on
charge
&
que l’on preſſe les marteaux
auec
des fardeaux mille fois plus peſãs
qu’eux
, car à peine feroit-on entrer vn
coin
auſſi auant en le chargeant d’vne
maiſon
entiere, comme on le fait entrer
à
coup de marteau.
Ce qui eſt d’autant
plus
digne d’eſtre conſideré que nul
n’en
a donné la raiſon iuſques à preſent:
ce qui fait voir la difficulté de cette
ſpeculation
:
carles penſées d’ Ariſtote
&
des autres qui ont voulu prendre
la
raiſon de cet effet de la longueur de
la
maniuelle ou du manche des mar-
teaux
ſont trop foibles, &
mal
34870Les Mechaniques attendu que les poids qui tombent, &
qui
font de ſi grands effets, nont point
de
manches.
Il raut diré la meſme
choſe
des poids que l’on pouſſe ou que
l’on
iette de trauers.
C’eſt pourquoy
il
faut auoir recours à vn autre principe
pour
trouuer la verité de cét effet, le-
quol
ie taſcheray à expliquer &
à le
rendre
ſenſible.
Ie di dõc que cet effect
vient
de la meſme ſource que les autres
effets
Mechaniques, à ſçauoir que la
force
, la reſiſtance, &
l’eſpace par leſ-
quels
ſe fõt les mouuemĕs ont vnetelle
correſpondance
&
proportion entr’eux
que
la force reſpõd ſeulement à vne re-
ſiſtance
qui luy eſt égale.
& qu’elle la
meut
ſeulement par vn eſpace égal, ou
d’vne
égale viſteſſe, dont elle ſe meut
elle
meſme.
Semblablement quand la
force
eſt moindre de moitié que la re-
ſiſtence
, elle la peut mouuoir, ſi elle
meſme
ſe meut d’vne double impetuo-
ſité
, &
ſi elle fait deux fois autant de
chemin
.
Ce qui ſe remarque en toutes
ſortes
d’inſtrumens, par le moyen deſ-
quels
l’on peut mouuoir &
ſurmonter
route
ſorte de reſiſtence pour grande
quelle
puiſſe eſtre aucc vne force ſi
34971de Galilée Florentin. tite que l’on voudra, pourueu que l’eſ-
pace
que fait la force ayt meſme pro-
portion
auec l’eſpace de la reſiſtance,
que
la grande reſiſtance à la petite for-
ce
;
ce qui ſuit entierement la conſtitu-
tion
&
les regles de la nature.
Ce n’eſt dõc pas merueille ſi en argu-
mentant
au contraire, la force qui meut
vne
petite reſiſtance par vn grand in-
terualle
, en pouſſe vne cent fois plus
grande
par vn interualle cent fois
mbindre
, puis qu’il ne peut arriuer au-
trement
.
Cecy eſtant poſ’e, il faut con-
ſiderer
qu’elle doit eſtre la reſiſtence
pour
eſtre meüe par le marteau, qui la
doit
frapper &
pouſſer; & pource ſub-
ject
il faut remarquer combien la force
qui
a eſté imprimee au marteau le por-
ter
a loing, ſi l’on ſuppoſe qu’il ne frap-
pe
point, cõme il arriueroit ſi le marteau
ſortoit
de la main auec la meſme impe-
tuoſité
dõt il doit frapper vne enclume,
vn
coin, ou quelqu’autre choſe, &
qu’il
ne
rencõtraſt nul empeſchemĕt en ſon
chemin
.
Et puis il faut cõſiderer quelle
reſiſtance
fait le corps qui eſt frappé, &

cõbien
il eſt pouſſé parvne telle percuſ-
ſiõ
, &
a yãt remarqué de cõbiĕ il ſe
35072Les Mechaniques à chaque coup, & que le coin entre
d’autant
moins auant que le marteau
pouſſé
de la meſme impetuoſité iroit
moins
loing l’õ trouuera que ledit coin
entrera
d’autant moins auant dans vne
bûche
, ou dans vn autre corps à cha-
que
coup, que la reſiſtance ſera plus
grande
que la force du marteau:
de ſor-
te
qu’il ne faut plus admirer les effects
de
la percuſſion, puis qu’ils ne ſortĕt pas
hors
des bornes de la nature.
A quoy i’aioûte vn exemple pourvne
plus
grande intelligence, en ſuppoſant
que
le marteau qui a 4.
degrez de reſi-
ſtance
ſoit pouſſé d’vne telle force que
ne
treunant nulle reſiſtãce qui l’arreſte,
il
aille iuſques à dix pas, &
qu’à ce
terme
on luy oppoſe vne poutre qui
ayt
4000.
degrez de reſiſtãce & qui ſoit
mille
fois plus grande que la force du
marteau
, de ſorte qu’elle ſurpaſſe ſans
proportion
ladite force, ſi elle eſt frap-
pée
, elle ira ſeulement en auant la
millieſme
partie de dix pas, par leſquels
Pon
auroit pouſſé le marteau.
D’où l’on peut conclurre que la force
de
la percuſſion ſuit les loix des autres
inſtrumens
mechaniques, &
qu’il
35173de Galilée Florentin. auſſi ayſé de la determiner que les au-
tres
forces.
ADDITION VII.
Galilée promettoit pluſieurs probleſ-
mes
à la fin de ſes mechaniques, mais
puiſque
nous ne les auõs point veus, il
faut
ſeulement icy aioûter quelques
conſiderations
touchãt les mouuemĕs;
en attendant que nous en donnions
pluſieurs
obſeruatiõs tres-exactes.
Soit
done
le plan B G incliné de 30.
degrez
ſur
le plan horizontal BF:
il eſt premie-
rement
certain que le poids peſe d’au-
tant
m@ins ſur B G que dans la ligne
perpendiculaire
G X, que B G eſt plus
grand
que G X, c’eſt à dire deux fois
42[Figure 42] moins, dautãt que GX,
eſt
ſouz double de B G,
par
la conſtruction.
Secondement il eſt cer-
tain
que la boule miſe au
point
G &
roulante ſur
G
B deſcend plus lente-
ment
que par la ligne G
X
.
Mais il eſt difficile de
ſçauoir
combien elle deſcend plus
35274Les Mechaniques par GX. Galilée croit dans vn autre
diſcours
qu’en meſme tĕps que la boule
deſcend
de G en H elle deſcendroit
de
Gen E, &
qu’au meſme temps qu’el-
le
deſcend de G en B, elle deſcen-
droit
de G en D.
Car le point de la li-
gne
perpendiculaire, auquel ſe rencon
treroit
le poids tombant, ſe determine
par
les perpendiculaires deſcrites ſur lo
plan
incliné, commel’on void icy aux
perpendiculaires
H E &
B D tirées des
deux
points H, B, auſquels on ſuppoſe
que
la boule eſt arriuée en roûlant:
ce
qu’il
faut auſſi, ce ſemble, conclutre des
autres
corps qui gliſſent ſeulement.
En troiſieſme lieu, l’on peut conſiderer
ſi
les poids qui ſe meuuent ſur le plan
incliné
gardent la meſme proportion
en
leur viſteſſe que ceux qui ſe meuuĕt
perpendiculairement
vers le centre de
la
terre, c’eſt à dire s’ils haſſĕt leur cour-
ſe
en raiſon doublée des tĕps par exem-
ples
ſi G ayant deſcĕdu iuſque, au quart
de
ſon plan dans le premier temps,
deſcend
les trois autres quarts dans le
ſecond
temps.
En quatrieſme lieu, la
ſpeculation
de Galilée eſt excellente, ſi
elle
eſt veritable, à ſçauoir qu’vne
35375de Galilée Florentin. le deſcend en meſme temps ſur tous les
plans
qui ſont dans le meſme demi cer-
cle
, ce que l’on comprendra par cette
ſigure
dans laquelle A B eſt le diametre,
qui
reprelente la cheute perpendicu-
43[Figure 43] laire.
E B, D B,
&
C B, ou F B,
G
B, &
H B mõ-
ſtrĕrles
cheutes
obliques
, qui ſe
font
toutes en
meſme
temps
depuis
le haut
iuſques
au bas
de
chaque plan, de ſorte que la boule
va
auſſi toſt de G à B que d’E à B.
Par
ou
l’on void que le mouuement de la
boule
eſt d’autant plus lent que le plan
obligue
s’approche dauãtage de l’hori-
zontal
I K, ſur lequel il n’a plus de mou-
uement
par ce qu’il ne peur plus s’ap-
procher
du centre de la terre.
Cette
figure
contient encore d’autres lignes, à
ſçauoir
A F, F G, G H, A G, &
A H, ſur
ſur
leſquelles on peut encore conſide-
rer
les mouuemens d’vne boule, affin
de
les comparer auec ceux qui ſe font
ſur
les plans F G, G H, &
c.
35476Les Mechaniques
En cinquieſme lieu, il faudr@ it conſi-
derer
quelle eſt la viteſſe des mouue-
mens
qui ſe font ſur les plans B E, C E,
44[Figure 44]&
D
E
, qui
ſont

dans

le

quart

du

cer-
cle
B
C
E, &
quelle proportion elle a auec la
viteſſe
du mouuement d’Aen E, dont la
partie
A H ſe faiſant dans vn tĕps don-
, tout le reſte depuis H iuſques à E ſe
fait
dans vn autre temps egal.
il faut
encore
remarquer que ſi l’on pend le
poids
E à la chorde A E, &
qu’on tire le
poids
iuſques à B, que B deſcĕdra quaſi
en
meſme te mps de B à E par le quart
du
cercle B C E qu’il deſcendra de C,
ou
de D au meſme E.
Or les lignes Bk,
K
L, &
L M font veoir combien les
poids
deſcendĕt ſurles plans C E &
D E,
&
conſequemment de combien il ſont
retardez
, &
empeſchez par chaque plan
ineliné
:
par exĕple, le poids B
35577de Galilée Florentin. de B à C ſur le plan BC deſcend autant
que
quand il roulle de C en E, car la li-
gne
B K eſt égale à K M;
& le poids
roullant
de C à D deſcend plus de deux
fois
dauantage que celuy qui va de D à
E
.
car L K eſt plus que double de L M.
D’où il eſt ayſé de cõclure que le poids
B
qui deſcend par le quart de cercle
B
C E iroit d’autãt plus lentement qu’il
approche
dauantage du point E, s’il n’a-
querroit
nulle impetuoſité.
En ſixieſme lieu, la chorde A B con-
duira
le poids B iuſques au diamettre
A
E dans vn temps donné, ſi elle eſt en
raiſon
doublee dudit temps, lors qu’elle
doit
ſe mouuoir dans vn plus grand
temps
;
ou en raiſon ſouzdoublée, ſi el-
le
ſe doit mouuoir dans vn moindre
temps
:
par exemple, ſi la chorde A B
porte
B dans 4.
moments iuſques à E,
la
chorde ſouzquadruple A I portera’I
iuſques
à H dans vn moment.
En ſeptieſme liou, le poids qui deſcĕd
de
B en M, ou d’A en Eva non ſeulemĕt
plus
lentement en commencant ſon
mouuement
, mai, ſſi il paſſe par tous
les
degrez poſſiblesde tardiueté, de ſor-
te
ques s’il n’augmentoit point la
35678Les Mechaniques qu’il a vers le milieu de la premiere ſep-
tieſme
minute, il ſeroit deux ans &

20
iours à deſcendre l’eſpace d’vn
pied
de Roy, comme ie demonſtreray
dans
vn traité particulier.
ADDITION VIII.
Il eſt certain que les poids qui deſ-
cendent
vers le centre augmentent
touſiours
leur impetuoſité, &
que ſi on
laiſſe
cheoir vne boule ſur le plan C A,
elle
aura autant d’impetuoſité lors
qu’elle
ſera arriuée au point A, comme
quand
elle ſera tombée en B du point
C
parce qu’elle ſera auſſi proche du
centre
en A qu’en B:
& cette impetuo-
ſité
ſera aſſez gran de pour faire remon-
45[Figure 45] ter le meſme
poids
iuſques à
C
ſoit par la li-
gne
oblique
A
C, ou par la
perpendiculai-
re
B C, pour-
ueu
qu’il n’y ayt nul empeſchement ex-
terieur
.
Mais tandis que le poids tom-
bo
de C en T, il tombe de C en B, &
35779de Galilée Florentin. conſequemment il acquier beaucoup
plus
d’impetuoſité en meſme temps
par
le plan horizontal que par l’in-
cliné
.
Semblablement tandis que le
poids
tombe par le plan A D de D en I,
il
tombe de D en B, car la ligne I B eſt
perpendiculaire
ſur la ligne A D;
& ſi le
poids
tombe iuſques en A, il ſera tombé
par
la perpendiculaire D B prolongée
iuſques
au poinct, auque lelle ſera cou-
pée
par la ligne tirée du point A paral-
lele
à I B, laquelle ſera perpendiculaire
au
plan I A.
Or il y a grande apparence
que
le temps auquel le poids tombe
de
C en B eſt au temps auquel il tombe
de
C en A, comme la ligne C B eſt à la
ligne
C A.
Ce que l’on peut exami-
ner
en cette maniere.
Suppoſons donc
que
le temps de la cheute d’A en B ſur
leplan
A B ſoit égal au temps de la
cheute
qui ſe fait d’A en D:
&
46[Figure 46] pour ce ſubiect qu’au tri-
angle
rectangle A B D le
coſté
D ſoit de 4.
parties, &
le
coſté B A de deux, ſi A
D
eſt 1000.
A B ſera 500,
&
partant l’angle B D A
ſera
de 30 degrez, car D A eſtãt, le
35880Les Mechaniques A B ſera le Sinus de 30 degrez, & l’an-
gle
B D A ſera de 60.
degrez, & conſe-
quemment
le coſté B D ſera 866, c’eſt
à
dire le Sinus de 60.
Au triangle A B C
rectangle
, en C l’angle B C A eſt connu
de
60 degrez, donc l’angle A B C eſt de
30
.
degrez, dont le ſinus A C eſt 250, à
ſçauoir
la moitié du rayon B A, &
B C
ſinus
de B A C 60.
eſt 433. de telles parties
dont
A D eſt 1000:
donc ſi A C eſt 250.
A B ſera 500. & A D 1000, de ſorte qu’A
B
eſt moyenne proportionnelle en-
tre
D A, &
C A; donc A D eſt quadru-
ple
de C A, &
conſequemment A B eſt
double
de C A.
De plus ſi l’on ſup-
poſe
qu’A C ſoit de 3.
pieds, le poids
tombe
de cet eſpace dans vne ſeconde,
&
A D eſtant quadruple d’A C, le poids
tombera
par A D en deux ſecondes, &

parce
que nous auõs ſuppoſé qu’il chet
par
la ligne A B en meſme temps que
par
la perpendiculaire A D, il fera auſſi
l’eſpace
A B en 2.
ſecondes. De ſorte
qu’il
y aura meſme raiſon du temps de
la
cheute A C à celuy de la cheute de 3
pieds
A B que de la ligne B A à la ligne
C
A, qui a ſix pieds.
Il faut encore remarquer que
35981de Galilée Florentin. A C eſt ſouz quadruple de D A, que
C
E eſt auſſi ſouzquadruple de B D, &

A
E de B A, &
que de meſme que C D
eſt
triple de C A, que B E eſt triple d’E
A
, &
que comme la racine de C A eſt à
la
racine de D A, que le temps de la
cheute
C A eſt à celuy de la cheute
D
A.
Et parce que le poids qui tombe
d’Aen
B eſt deux fois autant de temps
que
celuy qui tombe d’A en C, l’on
peut
dire qu’il va auſſi viſte par A B que
par
A C, puis qu’il faitvn chemin dou-
ble
dans vn temps double.
D’où ie conclus que le plan peut telle-
ment
eſtre incliné ſur l’horizon B C,
que
la boule miſe deſſus ſera plus
d’vn
an à rouler iuſques à B, &
qu’vn
temps
infini ne ſuffiroit pas pour ſon
roulement
ſur le plan horizontal de C
en
B, parce que ſa tardiueté deuient in-
finie
quand le plan incliné eſt reduit au
plan
horizontal, ſur lequei la boule ne
ſe
peut mouuoir que circulairement,
ſuppoſé
que la terre ſoit parfaitement
ronde
, ce qui n’arriue point ſi le mou-
uement
droit ne precede, &
n’en eſt
cauſe
:
mais le poids n’aquierra point de
plus
grande viſteſſe ſur le plan
36082Les Mechaniques tal, ſur lequel il ira touſiours vniforme-
mĕt
s’il ne trouue nulle empeſchemĕt,
d’autant
qu’il eſt touſiours également
éloigné
de ſon centre.
ADDITION. IX.
Galilée n’a point traité des inſtrumĕs
qui
ſe ſeruent de roües dentelees, com-
47[Figure 47] me ſõt celles cy B &
A, qui tournent par
le
moyen de la maniuelle E, à laquelle
la
moindre roüe A, que l’on appelle or-
dinairement
le Pignon, eſt attachée,
affin
d’accommoder ſes dents à celles
de
la grande roüe B, qui tourne ſur ſon
eſſieu
C, à @entour duquel l’on met la
chorde
qui tient le poids D.
Or
36183de Galilée Florentin. multiplie ces roües tant que l’on veut
iuſques
à l’infini:
mais plus il y en a dãs
vn
inſtrument &
plus on eſt long temps
48[Figure 48] à leuer
le
poids
attaché

à
celle
qui

tourne

le
plus
lente-
ment
,
cõme

l’õ
expe
rimĕte

aux
hor
loges
à
roües
,
&
à reſ-
ſors
.
Ie
mets

ſeule-
ment

icy
la fi-
gure
de
l’in
ſtru-
ment

que
l’on appelle Cry, qui ſert
36284Les Mechaniques releuer les caroſſes, & les charrettesqui
ſont
verſées.
La moindre figure I G H
faitvoir
ſa forme exterieure, &
les crãs,
ou
les dents H, qui ont la fourchette G
en
haut pour leuer les fardeaux.
C B
fait
veoir la maniuelle &
le Pignon B
qui
fait tourner la grande reüe A B, la-
quelle
fait hauſſer le cry F E par le
moyen
du pignon à trois dents D qui,
ſ’aiuſte
dans les dents de F E.
Si l’on
multiplie
les roües de cry on le rendraſi
fort
qu’il pourra leuer vne maiſõ toute
entiere
, mais ſon effet ſera plustardif en
49[Figure 49] recompenſe.
Mais l’on ne peut
36385de Galilée Florentin. dre la nature & les proprietcz de ces
inſtrumens
, ſi l’on ne comprend les pro-
prietez
du cercle, dont ie parle dans
vn
autre lieu.
Il y a encore d’au-
tres
roües qui ont vne grande force,
comme
ſont celles de la viz ſans fin,
do@tie
donne ſeulement icy la figure,
dan@
laquelle E F G eſt la plus grande
roüe
.
A D eſt l’arbre entouré des fi-
lets
E qui entrent dans les dents de la
dite
roüe:
mais ſi l’on adioute la roüe
C
B, elle redoublera la force, &
la mani-
neile
L fera tourner l’arbre K, dont les
filets
B entrent dans les dents de la ſe-
conde
roüe B C.
Le poids I eſt attaché
à
la chorde H, &
ſe tient en chaque
degré
de hauteur l’on veut, ſans
qu’il
ſoit beſoin d’arreſter l’inſtrument
par
aucune force:
mais les filets des at-
bres
s’vſent bien toſt.
Finalement ie veux adiouter vn
mouffle
à ſix poulies qui n’a pas eſté
mis
en ſon lieu, dans le chapitre des
poulies
, affin que ceux qui s’en vou-
dront
ſeruir, voyent comme il faut
conſtruire
cet inſtrument, que Pappus
appelle
Polyſpaſte dans la 24 propoſi-
tion
du 8.
liure de ſes Recueils
36486Les Mechaniques50[Figure 50] matiques oùil nomme
l’armeure
HF, ou A G
manganum.
L’on voit donc en ce
mouffle
ſix roües, àſça-
uoir
3 en bas F, D, B, &

3
en haut G, E, C, mais
la
derniere d’enhaut
Gne
multiplie point la
force
, dautant qu’elle
ne
ſert que comme la
ſimple
poulie d’vn
puys
.
Or cet inſtru-
menteſt
plaiſant en ce
que
ſi 4 ou 5 hommes
employent
toute leur
force
à tirer la chorde
I
K, celuy qui tire le
bout
de la chorde L
d’vne
ſeule main les
fait
venir à luy malgré
qu’ils
en ayent.
Et l’on
peut
y mettre tant de
poulies
que l’on mene-
ra
les Egliſes, les tours,
&
les autres edifices
l’on voudra, pour-
ueuqu’õ
les puiſſe
36587de Gaìlée Florentin. dre de chordes aſſezfortespour ce ſuict,
&
que les murailles ne ſe ſeparent point
les
vnes des autres.
Ceux qui veulent
ſerieuſement
eſtudicr aux Mechani-
ques
doiuent lire tout le 8 liure de
Pappus
, dãs lequel il explique pluſieurs
ſortes
d’inſtruments;
& les liure de Gui-
don
Vbalde, qui a le mieux de tous trai-
de la nature de ces inſtrumens.
ADDITION. X.
Ie mets encore icy vnc figure du plan
incliné
, affin que l’on conſidere l’utilité
du
triangle rectangle dans les mecha-
niques
.
Soit donc le triangle BAC, dõc
la
ſouſtendante ou l’hypotenuſe B C
51[Figure 51] eſt double du co-
ſté
B A, &
la baſe
A
C eſt parallele
à
l’horizonil:
eſt
conſtant
que le
poids
F doit eſtre 2.
fois auſſi peſant que
le
poids D pour eſtre équilibre, dautãt
qu’ilsdoiuent
garder entr’ eux la meſme
raiſon
que le coſté C B au coſté A B.
Mais lors que l’on veut ſçauoir la force
dont
le poids F preſſe le plan B F, il faur
prendre
la baſe du triangle A C &
36688Les Mechaniques comparer auec l’hypotenuſe B C, d’au-
tant
que la petanteur entiere du
poids
F eſt à celle par laquelle il
preſſe
le plan B C, comme C B eſt à
CA
, de ſorte que ſi B C eſt 5, &
CA 4.
la raiſon de la peſãteur totale eſt ſeſqui-
quaŕte
de la peſanteur relatiue, &
con-
ſequãment
la force F ne pourroit rom-
pre
vne reſiſtance de 5.
Par lon voit
que
la conſideration du rayon A C, de la
tangente
B A, &
de la ſecãte BC eſt en-
tierement
neccſſaire pour les mechani-
ques
, dont i’ay parlé fort amplement
dans
le dix &
l’onzieſme theorême du
ſecond
liure de l’harmonie vniuerſelle.
Or puiſque l’on demonſtre que la vi-
ſteſſe
des poids qui deſcendent ſur les
plans
inclinez s’augmentent en raiſon
doublée
des temps, il eſt ayſé de deter-
miner
vn lieu ſurvn plan incliné telque
l’on
voudra, auquel le poids ira auſſi
viſte
qu’en vn autre lieu donné de ſa
deſcente
perpendiculaire, comme l’on
peut
conclure de ce qui a eſtédit dans la
8
Addition.
367 52[Figure 52]
A MONSIEVR,
MONSIEVR
DE BOVRGES
CONSEILLER
DV ROY,
& Threſorier Payeur de Meſ-
ſieurs
les Threſoriers de Fran-
ce
à Orleans.
MONSIEVR,
Ie ne doute pas que vous ne receuiez
ce
Traité auec contentement, puis qu’il
contient
le principe des plaiſirs les
plus
purs, &
les plus innocens de ce
monde
, &
qu’il eſt capable de deſabu-
ſer
tous ceux qui s’imaginent que "on
368
[Empty page]
369
LES
PRELVDES

DE
LHARMONIE
VNIVERSELLE
,
OV

QVESTIONS
CVRIEVSES.
Vtiles aux Predicateurs, aux Theologiens,
aux
Aſtrologues, aux Medecins
& aux Philoſophes.
Compoſees par le L.P.M.M.
53[Figure 53]
A PARIS,
Chez Henry gvenon, ruë S. Iacques,
prés
les Iacobins, à l’image S. Bernard.
M. DC. XXXIV.
AVEC PRIVILEGE ET APPROBATION;
370EPISTRE.
peut predire des choſes certaines par la
connoiſſance
que l’on a de la rĕcontre,
&
des aſpects des planettes, & des
eſtoille@s
.
V ous y trouuerez ſembla-
blement
pluſieurs choſes qui appar-
tiĕnent
aux myſteres des nombres, dont
vous
faites vn eſtat particulier, car la
neufiéme
Queſtiõ vous fournira d’idées
pour
examiner les plus ſçauans Analy-
ſtes
, qui ſe vantent de pouuoir re ſoudre
toutes
ſortes de proble ſmes numeri-
ques
, &
vous donnera ſuiet de leur
demander
vn nombre, dont les parties
aliquotes
eſtant aſſemblees faſſent le
triple
, &
le quadruple ou vn autre
nombre
qui ſoit en raiſon donnée auec
le
nombre, dont elles ſont parties ali-
quotes
;
& de ſçauoir s’il y a vn autre
nombre
que 120, dont les parties ſuſ-
dites
faſſent le double, &
par quelle
regle
, ou par quelleanalyſe l’õ peut trou-
uer
tant de nombres ſemblables que
l’on
voudra.
Il eſt certain qu’il y a
371EPISTRE. rencontres dans les nombres, qui rauiſ-
ſent
les plus excellĕts eſprits, lors qu’on
les
a trouués;
& que leur eſtandüe
eſt
ſi vaſte, qu’elle arreſte &
ſurpaſ-
ſe
l’ entendement des hommes, lequel
neantmoins
en peut vſer pour eſtablir
vne
nouuelle Philoſophie.
En effet la
pureté
des nombres eſt treſ-propre pour
ce
ſuier, car elle n’eſt nullement meſlée
auec
la matiere, &
conſiſte dans vne
ſimplicité
, &
dans vne abſtraction
beaucoup
plus grande que celle de la
Geometrie
qui ſuppoſe des poinsts, des
lignes
, des ſurfaces, &
des corps, c’eſt
à
dire trois eſpeces de dimenſions.
Mais
le
nombre est ſi pur &
ſi ſimple que ſon
principe
ſe trouue meſme en Dieu, le-
quel
est vn, &
qui est accompagné
du
ſacré Ternaire des rois Perſonnes
diuines
.
Et peut-eſtre qu’il ſeroit ayſé
de
comparer chaque choſe à chaque
nombre
, ſi l’on connoiſſoit la nature
de
tous les indiuidus;
ce qui
372EPISTRE. pour vne Philoſophie que l’on ne pour-
roit
oublier, à raiſon du bel ordre que
l’on
garderoit dans les raiſonnemens,
dans
les concluſions &
dans les demon-
ſtrations
.
C’est, MONSIEVR,
ce
que vous pouuez conſiderer auec
plaiſir
, ſi vous en voulez prendre la
peine
, laquelle vous ſera d’autant
plus
agreable, que vous trouuerez vne
plus
grande multùude de ſpecula-
tions
treſ rares, &
neantmoins tres-
fecondes
dans l’infinité de l’ Algebre,
&
dans les abyſines tres profonds des
nombres
.
I vous offre cependants les
Preludes
de la ſcience, qui ſe ſert des
nombres
.
comme de tres ſolides fonde-
mens
, ſur leſquels elle eſtablit ſes prin-
cipes
, &
dont elle vſe perpetueliement
dans
ſa maniere de raiſonner, &
de
conclurre
, affin que ſon harmonie ſe
ioigne
à celle de voſtre e ſprit, &
vous
faſſe
reſſouuenir de la Vocale, dans la-
quelle
vous reuſſiſſez ſi he
373EPISTRE que les Organiſtes font gloire de ioüer,
&
de faire entendre vos compoſitions
ſur
leurs orgues quand il vous plaiſt
de
les leur donner.
Ce qui fait que i’o-
ſe
me promettre que la lecture de ce li-
ure
ne vous ſera pas deſagreable,
puis
que vous prenez tant de plaiſir
à
la ſcience, qui donne le nom aux plus
belles
choſes, &
qui a ſerui d’idee à
Pythagore
, &
à Platon, lors qu’ils
ont
voulu eſtablir leur Philoſophie.
Vous verrez quand il plaira à Dieu, la
piece
entiere, qui contiendra p@ut eſtre
quelqu’vne
de vos compoſitions, &
la
preſentera
à toute l’Europe, &
qui
me
ſeruira de caution &
d’argument
pour
demonſtrer que i’ay eu raiſon de
vous
dedar ces Preludes, &
de me
dire
,
MONSIEVR,
Voſtre tres humble & tres-
affectionné
ſeruiteur.
F. M. Merſene M.
374 54[Figure 54]
PREFACE AV LECTEVR.
I’Ay donné le nom de Preludes
à
ce Liure, parce qu’il a quaſi le
meſme
rapport aux traitez de
toutes
les autres parties de la Mu-
ſique
, que ie donneray bien toſt
auec
l’ayde de Dieu, que les Pre-
ludes
du Luth, de l’Orgue, ou des
autres
Inſtrumens ont auec les
differentes
pieces, &
compoſi-
tions
qui ſuiuent apres.
Et com-
me
ils plaiſent dauantage à plu-
ſieurs
que ce qui les ſuit, il ſe
pourra
faire que ce Liure ag-
greera
dauantage à quelques vns,
que
ceux qui parleront de ce qui
concerne
les differentes parties
de
l’harmonie.
quoy qu’il en ſoit,
l’on
trouuera dans les vns &
dans
les
autres dequoy ſe contenter,
375PREFACE. on les lit de la meſme affection,
&
pour la meſme raiſon que ie les
donne
.
Mais il n’eſt pas beſoin
d’vne
plus longue Preface, puiſ-
que
la Table des Queſtions ſup-
pleera
à ce que l’on pourroit
adiouter
.
376 55[Figure 55]
TABLE.
DES QVESTIONS
de
ce Liure.
I. Qu. QVelle doit eſtre la conſtitution
iu
ciel, on l’Horoſcope d’vn
parfait
ien.
II. Queſt. Dans laquelle les principes
de
l’ Aſtrologie iudiciaire ſont examinés dans
cinq
propoſitions.
III Queſt. Pourquoy les ſçauans reietent
l’Aſtrologie
iudiciaire comme vne fable:

il
eſt @onſtré fort amplement qu’elle ne peut
rienpredire
de probable de la naiſſance des
hommes
, &
qu’elle n’a nul fondement aſ-
ſeuré
.
IV. Queſt. A ſçauoir ſile temperament
du
parfait Muſicien doit eſtre ſanguin, phlig-
matique
, bilieux, ou m@lancholique peur pou-
uoir
chanter, ou compoſer les plus beaux
airs
qui ſoient poßibles.
V. Queſt. Quel doit eſtre la ſçience, & la
capacité
d’vn parfait Muſicien.
VI. Queſt. A ſçauoir ſile ſens de l’oüye
doit
eſtre le iuge de la douceur des ſons, &
377TABLE. des concerts, ou ſi ceſt oſſice appartient à
l’entendement
.
VII. Queſt. A ſçauoir s’il eſt neceſſaire,
ou
expedient d’vſer du geure chromatic, &
de
l’Enarmonic
, ou ſi l’ on doit ſe tenir au ſeul
Diatonic
, &
ſi l’on ſepeut reduire ces treis
genres
en Pratique.
VIII. Queſt. A ſçauoir ſi les chordes par-
faitement
égales eſt ant tirées d’vn mouue-
ment
ég il, u d’vne force égale ſe romproient,
&
en quel lieu elles ſe romproient.
IX. Queſt. A ſçauoir pourquoy les Grecs
ont
pluſt @ſt vſ é de Tetrachordes pour eſta-
blir
la Muſique, que du Pentachorde, &
c.
l’on void pluſieurs belles remarques ſur le
nombre
de 4.
& le 3. Probleſme de la
15
.
ſection d’ Ariſtote est expliqué.
X. Queſt. A ſçauoir ſi les ſons forment
les
mœurs, comme dit Ariſtote, &
pourquoy
ils
ſont plus propre à exciter les paſsions, que
les
couleur@, l@s ſaucurs &
c.
XI. Qu@ſt. A ſçauoir comme il faut
compoſer
les chanſons pour eſtre les plus excel-
lentes
de toutes les poſsibles.
Mais il fout remarquer que cette Que-
ſtion
a eſté tronquée, &
que nous la
donnerons
toute entiere dans le Liure
des
beaux chants.
S’il y a quelque
378 ſe à deſirer dans ce Liure, e’eſt particu-
lierement
que l’on donne le temps des
trois
natiuitez, qui ſont dãs la premiere
Queſtion
, &
de determiner ſi elles ſont
deſia
paſſées, ouquand elles arriueront:
& c’eſt vn excellent probleſme que ie
propoſe
à tous les Aſtronomes, &

Aſtrologues
du monde.
379
APPROEATION.
NO v s auons veu & approuué les traitez
ſuiuans
du R.
P. M. Merſenne Reli-
gieux
de noſtre Ordre, à ſçauoir les Queſtions
Theologiques
, Phyſiques, &
tradution des Mecbani-
ques
de Galilée, &
les Preludes de l Harmonie & c.
& n’y auons rien trouué qui ne ſoit conſorme
à
la vraye Theologie, &
aux bonnes mœurs.
En
foy dequoy nous auons icy mis nos ſeings
Fait
en noſtre Conuent de la place Royalle
ce
20.
Iuin 1634.
F. François de la Noüe Minime.
F. Martin Herisse Minime.
Quelques fautesde l’impreſſion des
Preludes
Page 14 liſez raiſon. p. 33 liſe z euſt & non il
fult
p.
98. l. 18 oſteza p. 70 l 9 liſez Almu-
ten
.
p. 71 l 1. @u lieu à auec liſez dans. p. 84 l.
penulcieſme on a obmis p. 86. l. 8.
liſ
.
laquelle. p. 107. l. 3. dans les. p. 197. l.
14
.
ſoigneux. l. 26. le
Le lecteur iudicieux peut coriger tout le reſte.
380
PRIVILEGE DV ROY.
PAr lettres du Rov donnees à Paris
le
mois d’Aouſt de l’année 1634.
ſignees Perrochel, & ſeel@ecs du grand
ſceau
de cire iaune, il eſt permis au
P
.
M. Merſenne Religieux Minime
de
faire imprimer par tel Libraire que
bon
luy ſemblera Fluſieurs Traittez de
Philoſophie, de Theologie, & de Mathema-
tique.
Et deffences ſont faites à toutes
perſonnes
de quelque qualité qu’ils
ſoientde
les faire imprimer, vendre &

diſtribuer
pendantle temps de ſix ans à
compter
du iour que leſdits liures ſe-
ront
acheuez d’imprimer, comme il
eſt
plus amplement porté dans les let-
tres
dudit Priuilege.
Et Iedit P. M. Merſenne à conſenty & con-
ſent
que Henry Guenon ioüiſſe dudit Pri-
uilege
, comme il eſt plas amplement decla-
parl’accord fait entr’eux.
381
[Empty page]
382
[Empty page]
3831 56[Figure 56]
PRELVDES
DE

L’HARMONIE
.
QVESTION PREMIERE.
Quelle doit eſtre la conſtit@tion du Ciel, ou
l’horoſcope d’vn parfait Muſicien.
PLvsievrs eſtiment que
l’on
peut predire ce qui doit
arriuer
aux hommes par la
connoiſſance
des Aſtres:
par-
ce
qu’ils diſent que les differentes con-
ſtitutions
de nos corps, &
de nos tem-
peramens
dependent des planettes, &

des
eſtoiles qui ſe rencontrent à nos
naiſſances
.
Or ie veux icy examiner ce
que
l’on peut dire de la naiſſance d’vn
parfaict
Muſicien, qui ſoit capable
3842Preludes de l’Harmonie. plaire par ſes harmonies à toutes ſortes
de
perſonnes ſelon les plus excellentes
regles
de l’Aſtrologie.
C’eſt pourquoy
ie
mets icy la Natiuité que les plus ſça-
uans
Aſtrologues de ce ſiecle ont iu-
gée
capable de nous donner vn parfait
Muſicien
.
Et puis i’examineray les fon-
demens
, &
lesregles de l’Aſtrologie.
57[Figure 57]Natiuité du parfaict Muſicien.
De la vie, du temperament, & de la propor-
tion du corps du plus excellent Mu-
ſicien qui puiſſe eſtre.
IL faut premieremĕt remarquer dans
cette
figure, que les malefiques
3853Preludes de l’Harmonie. ſont ny trop puiſſans, ny trop éleuez
ſur
les luminaires, ou ſur les autres pla-
nettes
, &
qu’ils ne ſe trounent point
dans
les angles.
Secondement, que
les
ſignificateurs de la vie ſont exempts
de
leurs mauuais tayons:
En troiſieſme
lieu
, que l’aſcendant rend le Muſicien
fortuné
, car il eſt ioint à la Lune, qui eſt
heureuſe
en la premiere maiſon, &
qui
reçoit
le Soleil d’vn quadrat ioint à
, &
au ſextil de , & au trin de
, qui tous donnent vne vie forte, &

vn
temperament chaud, &
humide,
qui
eſt le meilleur, &
le plus viuifiant
de
tous, dont dépend le teint excellent
du
viſage, &
des autres parties du corps
mélées
de blanc, &
de rouge: A quoy
ils
adiouſtent qu’il ne faut pas craindre
que
ſa vie ſuruiue à ſa gloire;
& qu’elle
ſera
ſuiuie d’vn honneur eternel, dau-
tant
qu’il appliquera ſaMuſique à l’hõ-
neur
de la Religion Catholique, qui
ſeule
nous acquiert vn hõneur immor-
tel
, &
vne gloire immenſe dans le Ciel.
Et ſi quelqu’vn obiecte que le Soleil
vient
au quadrat de , que la Lune luy
eſt
oppoſee vers la ſixieſme année do
ſon
âge:
Que le Soleit remõte par
3864Preludes de l’Harmonie. poſé de , & que l’aſcendant eſt bleſſé
par
l’opoſition de .
Il eſt facile de ré-
põdre
à ces incõueniĕs, qui ne ſont que
cheutes
, &
ruptures de membres, car
ils
ſont empeſchez &
ſurmontez par la
rencontre
de , &
par le trin, & le ſex-
til
de &
de : c’eſt pourquoy il faut
attendre
que le Soleil, ou l’aſcendant
viĕnent
à leur propre quadrat, qui pro-
mettent
plus de cĕt ans à ce Muſicien.
De plus , , & le fortifient d’v-
nerare
prudence, pieté, &
iuſtice pour
reſiſter
à tous ces mouuemens, &
ne
peut
y auoir aucune conſtellation ſi
heureuſe
, dans laquelle il ne ſe puiſſe
rencontrer
quelque inconueniĕt, Dieu
ayant
voulu balãcer toutes choſes pour
noſtre
biĕ, pour la beauté de l’vniuers,
&
pour ſa plus grande gloire.
Te la profeßion, des mœurs, de l’eſprit, &
de l’excellence du meſme Muſicien.
DEs l’entrée de cette natiuité on
voit
que &
Orientaux eſtant
ioints
enſemble luy promettent vne
grande
inclination à la Muſique, &
3875Preludes de l’Harmonie. tout ce qu’elle requie. ſes inclinatiõs
ſont
particulierement ſignifiées par la
conionction
de de la &
de l’épy de
la
par leur aſpect auec le Soleil, &
par
la
conionction de , &
de , qui ſont
au
trin partil de &
au ſextil de , qui
tous
le rendront courtois, gay, affable,
&
d’vn viſage ſerein, & ouuert à tout
le
monde, &
particulierement grand
amateur
de la verité, &
de la Religion
Catholique
;
car auec l’épi de la
donnent
vne particuliere inclination à
la
pieté, &
la meſme étoile le rend apte
à
coniecturer, &
à preuoir: Car cetto
aptitude
vient de , &
des eſtoiles de
ſa
nature:
Il ſera auſſi fort éloquent &
diſert
, &
aura vne merueilleuſe facilité
pour
inuenter, à cauſe du ſextil de à
, &
à venant d’vn ſigne mobile: car
les
ſignes mobiles donnent l’inuention,
qui
naiſt de la promptitude de l’eſprit.
Il aura vne grãde facilité à compren-
dre
les ſciences, dautãt que &
ſont
ioints
partilement ſur le point du mi-
lieu
du Ciel, &
ſont auec les eſtoiles
des
pieds des Gemeaux, qui donnent
de
nouuelles inuentions pour tout ce
que
l’on entreprend, comme l’on
3886Preludes de l’Harmonie. aux natiuitez d’Alciat, de Petrarque,
&
des autres.
En fin, ſa memoire ſera grandement
heureuſe
, &
aſſeurée, à cauſe du trin
partil
de , qui eſt en vn ſigne fixe, en
ſes
dignitez, &
auec l’étoile lumineuſe
d’Aquarius
.
L’étoile vendangeuſe, &
le
bouuier en l’aſcendant, dont la pre-
miere
eſt de la nature de , de , &
de
, augmenteront beaucoup ſon eſprit,
&
ſa memoire: Et le auec Hercule
le
rendront ſtudieux, parce qu’il eſt au
quadrat
reçeu de la , laquelle eſtant
maiſtreſſe
de la neufieſme, &
en la pre-
miere
maiſon, &
eſtant ſeigneur de
la
troiſieſme en vn ſigne mobile, en aſ-
pect
partil du ſeigneur de la geniture,
&
autrin de la fortune, ilfera pluſieurs
voyages
, beaucoup de dépence pour
conuerſer
auec les plus excellents Mu-
ſiciens
qu’il pourra rencontrer, &
n’ou-
bliera
rien de tout ce qui peut rendre la
Muſique
recommandable parmi les
hommes
.
luy apportera vne grande perſeue-
rance
, &
vne diligence nompareille
pour
la lecture de tous les anciens, qui
ont
écrit de la Muſique, afin
3897Preludes de l’Harmonie.& de perfectionner cette ſcience: ſa
voix
ſera ſi douce, ſi roulante, ſi accor-
dante
&
ſi agreable, qu’il rauira les eſ-
prits
auec ſes chanſons;
car il la rendra
aiguë
, quand il voudra par le ſextil de
, graue par le trin de , &
mediocre
par
, de maniere qu’il pourra chanter
la
Baſſe, la Taille, &
le Deſſus quand il
luy
piaira.
luy donnera la force d’animer des
airs
propres pour exciter à la guerre, &

pour
repreſenter le cliquetis des armes,
&
les fanfares de la trompette: le trin
de
le rendra propre pour repreſenter
les
choſes languiſſantes, &
funebres, &
pour
ſaiſir les cœurs des auditeurs d’v-
ne
grande triſteſſe, qu’il pourra telle-
ment
amolir, que leur plus violante fu-
reur
, &
leur plus ardente colere ſera
changée
dans les tendres élans d’vne
douce
pitié.
Il ſera ſçauant en toutes les parties de
Mathematique
, qui ſeruiront pour en-
richir
la Muſique, &
fera des vers fort
excellents
, qui n’auront rien de l’aſcif,
&
qui ſeront remplis de pieté: Car la
, , &
l’épi de la ſont conjoincts. Il
aura
vn grand credit parmi toutes
3908Preludes de l’Harmonie. tes de perſonnes; car la auec , &
l’épi
de la receuant le d’vn quadrat
luy
acquiereront l’amitié &
la faueut
des
Princes, à cauſe du Soleil;
des Pre-
lats
, à cauſe de , &
du peuple, à cau.
ſe de la Lune: Il ſera riche, & puiſſant
en
benefices, &
en dignitez Eccleſia-
ſtiques
, qu’il obtiĕdra par ſon induſtrie;

il
ſera connu des Rois, dautant que
le
eſt au milieu du Ciel auec vne
belle
étoile, &
au quadrat receu de la
Lune
.
Et parce qu’il eſt hors de ſes dig nitez,
&
auſſi, il ſera chery, & admiré, hors
de
ſon pais, &
ſera honoré des ſiens,
dautant
que eſt en ſa maiſon:
fera
voller
ſa gloire par tout le:
monde:
auecfomahand
, qui ſignifie l’immorta-
lité
du nom, fera durer ſa memoire, &

la
fera paſſer à la poſterité, &
ſes écrits,
&
compoſitions ſeront dignes d’eſtre
grauées
dans le marbre, ou dans le ce-
dre
, &
laiſſeront vn regret à cous les
Muſiciens
de ne pouuoir faire mieux,
&
vn deſeſpoir de le pouuoir imiter.
Par conſequent ce Muſicien aura les
trois
choſes qu’vn ancien deſiroit
pour
deuenir ſçauant, à ſçauoir oüir,
3919Preludes de l’Harmonie.voir, & auoir, & ſur montera tous ceux
qui
l’auront deuancé, &
tous ceux qui
viendront
apres luy.
Or parce qu’il n’y a perſonne pour
grand
, &
pour excellent perſonnage
qu’il
puiſſe eſtre, qui ne ſoit ſujet à l’en-
uie
des médisãs, &
des eſprits mal faits,
ſi
quelqu’vn luy reproche qu’il eſt en-
clin
aux ſales voluptez, à raiſon des aſ-
pects
partils de , &
de . Ie répons
qu’encore
que chacun ait ſes imperfe-
ctions
, &
qu’il n’y ait perſonne qui ſoit
parfaitement
heureux pendant que
nous
viuons icy:
Neantmoins il pour-
ra
facilement reſiſter à cette inclinatiõ,
à
cauſe de , de la , &
du , qui le
fortifient
, &
qui luy dõnent vne gran-
de
prudence, pieté, &
iuſtice.
Voila ce qu’on peut dire de cette na-
tiuité
ſuiuãt l’Aſtrologie, qui a eſté pra-
tiquée
, @@ qui ſe pratique maintenant:
d’où l’on peut tirer beaucoup d’autres
iugemens
, &
concluſions: Carie me
ſuis
contenté de marquer tout ce qui
s’y
voit de principal pour rendre vn
homme
parfaitement ſçauant en Mu-
ſique
.
39210Preludes de l’Harmonie.
Raiſons contre la figure, & la natiuité
precedente.
L‘On trouue premierement que ce-
luy
qui naiſtroit ſouz cette figure
celeſte
, ne ſeroit pas de longue vie, &

qu’il
mourroit de mort violante, car la
Lune
eſt en l’oppoſé de aſſez partil,
puis
qu’elle s’y peut ioindre dans l’eſpa-
ce
de 24.
heures, & que le Soleil eſt
proche
de la teſte d’Hercule, qui eſt
d’vne
nature violente:
D’abondant,
Mars
eſt logé dans la huictieſme, dans
laquelle
il ſignifie le genre de mort,
quant
l’oppoſé de , qui eſt anarete,
bleſſera
la Lune, ou l’aſcendant, dont
l’vn
vient pluſtoſt que l’autre.
Et bien
que
s’y oppoſe, neãtmoins ſon corps
ne
ſuccede pas à ce rayon malefique, &

c’eſt
ſe promettre le retour du iour paſ-
ſé
que d’attĕdre l’effect d’vne direction
paſſée
de neuf ans, pour en empeſcher
vne
qui la ſuit:
Quant au trine de Ve-
nus
, qui l’accompagne, elle ne le peut
empeſcher
:
eſt eſtrangere, & n’a
qu’vne
force accidentelle, bien
39311Preludes de l’Harmonie. ſoit dans l’angle du midy: de plus elle
n’eſt
pas ſi puiſſante que en ſa propro
maiſon
.
Orce Muſicien n’auroit pas entiere-
ment
ſon temperament chaud &
hu-
mide
;
car le ſigne qui monte eſt celuy
qui
donne la meilleure condition au
temperament
, lors qu’il eſt ſans planet-
tes
:
Quand il s’y en trouue quelqu’vn
elle
communique ſa nature, de manie-
re
que le ſigne aſcendant de cette nati-
uité
eſtant froid &
ſec, eſt icy nommé
la
baſe du temperament, qui ſemble
corriger
ſon ſignificateur eſtant ioint à
vn
planette chaud &
humide dans vn
ſigne
de ſemblable nature:
ce qui n’y
apporte
pas neantmoins grande choſe,
car
il eſt en l’aſpect ſextil de chaud
&
ſec, & au ſigne de meſme qualité, &
eſt
trin de Saturne retrograde, qui eſt
froid
&
ſec, & qui diminuë l’humide
pour
augmenter la ſeichereſſe;
ioint
que
la Lune, qui gouuerne les humeurs
eſtant
bleſſée par , affoiblit grande-
ment
ſa temperature.
Quant à la profeſſion du Muſicien,
, , &
ſont ſignificateurs (auec le
milieu
du Ciel) de la vacation,
39412Preludes de l’Harmonie. fie les Muſiciens: & les Poëtes: Or
eſt icy iointe à , mais elle n’eſt pas
ſignificatrice
du cœur du Ciel, par con-
ſequent
elle n’eſt pas la principale diſ-
poſitrice
de la vacation, &
ne la peut
eſtre
qu’en t@nt qu elle eſt en la ligne
meridionale
.
Or y a plus de force car
le
ſigne qui occupe cet eſpace, eſt ſon
domicile
:
ſçauoir s’il prend la nature
de
, ou ſi eſtant le plus fort il prend
ſeulement
la ſienne, c’eſt la difficulté.
@outefois cela ne peut reſoudre le dou-
te
:
par exemple, il y a deux perſonnes
qui
ont , &
ioints partilement, l’vn
aux
poiſſons en l’aſcĕdant, qui eſt con-
ſeiller
, &
ayme grandement la poëſie,
&
ſur tout la Latine mais il n’ay me nul-
lement
la Muſique:
l’autre a cette con-
jonction
dans le 20.
degré de , qui eſt
gentil-homme
de bon eſprit, mais ſans
lettres
, &
ne ſçait point la Muſique, par
conſequant
il faut dire, quoy que ſoit
le
plus fort, ou le plus foible, qu’il ne
fait
pas touſiours des Muſiciens, ny
auec
luy, &
qu’il eſt beſoin d’autres cõ-
ſtellations
.
Or le ſextil de Mars eſt logé
en
la huictieſme, &
le trin de retro-
grade
, qui le feroient pluſtoſt
39513Preludes de l’ Harmonie. gue, & Necromantien, que Muſicien;
En fin la teſte, & la queuë du Dragon
ne
@ont point en cette natiuité, &
par
conſequent
elle eſt imparfaite.
Reſponce à l’obiection prec@dente, & confir-
mation
du moſme Horoſcope.
LA premiere partie de l’objection
conſiſte
en ce que la Lune eſt en
l’oppoſé
de aſſez partil:
A laquelle
on
peut répondre que la Lune n’ayant
que
douze degrez &
demy d’orbe, &
huict degrez:
& eſtant éloignez l’vn
de
l’autre de 13.
degrez, & demy, il ne
ſe
peut faire qu’il y ait aſpect:
ſi l’on ne
vouloit
par vne nouuelle Aſtrologie
oſter
aux aſtres la proprieté des cauſes
ſecondes
à ſçauoir d’eſtre bornez d’vne
certaine
ſphere d’actiuité, outre laquel-
le
ils n’agiſſent plus, &
qu’on diſt que
leur
force eſt infinie, ou qu’il faille pour
leur
dõnerforce d’aſpect, qu’ils ſe puiſ-
ſe
ioindre en 24.
heures: ce qui n’ aia-
mais
eſté allegué, ny experimenté par
aucun
autheur digne de foy mais pour-
quoy
pluſtoſt en 24.
heures, qu’en
39614Preludes de l’ Harmonie. ze, & pluſtoſt en douze qu’en vn autre
nombre
:
Eſt-ce de meſme pour toutes
les
autres, comme pour .
De plus, encore qu’ils fuſſent entre-
lacez
, ou mélez en leur orbe, comme
par
exemple, la Lune au vingt vnieſme
de
, &
comme il eſt, & que fuſt
entre
deux:
par exemple, au vingt-
deuxieſme
de , il n’y auroit point
d’aſpect
entre &
la ſelon Cardan,
Peucer
, Leonitius, Schonner, Magin
&
tous les autres, quand ils parlent de
l’empeſchement
, ou prohibition de lu-
miere
, dont la maiſon eſt euidente, &

facile
à deduire.
Par cõſequãt la n’ eſt
pas
en l’oppoſé de , &
n’y a point de
mort
violĕte:
& l’oppoſitiõ du à Her-
cule
n’en peut eſtre cauſe eſtant ſeule,
mais
ſeulemĕt de quelques hazards de
voleurs
, ou autres fort legers, qui ſont
tous
adoucis, ou oſtez parl’ oppoſitiõ de
la
, &
de à leur receptif. Il faut di-
re
la meſme choſe de dãs la huitieſ-
me
;
car les malefiques doiuent eſtre
dans
les angles, ou bien les luminaires
doiuent
eſtre bleſſez par cux.
A quoy
on
peut adioufter que les morts violen-
tes
ne ſe font qu’aux ſignes de
39715Preludes de l’ Harmonie. nature, comme a remarqué Ptolomée,
&
que les planettes ne menacent point
de
mort en leur maiſon quand ils ſont
empeſchez
le moins du monde;
à quoy
l’on
ne ſçauroit contredire, puis que
l’experience
en eſt confirmée par Pto-
lomée
, &
par tous les autheurs de la Iu-
diciaire
:
Par conſequãt il ne faut point
aller
à l’encontre des lieux ſuccedents,
comme
quand ſuccede à vne dire-
ction
:
ce que l’on peut voir dans Ptolo-
mée
, au traitté des directions A pheti-
ques
:
Autrement on ne ſçauroit dire
pourquoy
l’on ne meurt pas d’vne ma-
ladie
, ou d’vn autre accident.
Secondement le ***
de peut empeſ-
cher
cet accident, puis qu’elle n’eſt pas
eſtrangere
en , elle obtient plu-
ſieurs
dignitez, &
le ***
de eſt auſſi bon
que
celuy de , parce que prend la
nature
des aſtres, auſquels il ſe ioint:
Or vne force doublée eſt plus grande
qu’vne
ſimple, comme celle de &
de
eſt plus forte eſtant dans le centre
d’vn
angle, Oriĕtale, iointe à , &
éle-
uée
par deſſus , comme dit Cardan,
au
liure 3.
texte 10. du Quadupartit.
La ſeconde partie de l’ objection
39816Preludes de l’ Harmonie. te du temperament, à laquelle on ré-
pond
qu’il ne faut pas iuger du tempe-
rament
par le ſigne qui eſt à l’ aſcendãt,
encore
qu’il n’ait qu’vn degré, dautant
que
les ſignes n õt point de force d’eux-
meſmes
:
Quant à la Lune, elle n’ eſt
point
empeſchée de , &
eſt plus for-
te
:
D’auantage, il faut remarquer que
deſtruit ce que pourroit faire eſtant
nocturne
, &
dans l’ Aquarius.
De plus, il faut conſiderer le , & la
Lune
auec ſes aſpects, &
ſes eſtoiles;
Et pour bien iuger du temperament, il
faut
ſçauoir l’aplication des cinquante
deux
combinations, toutes par degrez
des
quatre premieres qualitez, ſuiuant
l’opinion
de Ptolomée, &
de Cardan.
Quant à la profeſſion du Muſicien,
il
n’y faut pas mettre , mais ſeulemĕt
, &
, ſuiuant les regles de l’art: car
il
ne faut pas douter que ne prenne la
qualité
de , qui eſt comme la forme,
&
eſt comme la matiere, dont on
peut
voir la nature dãs Cardan, au trai-
de la nature des planettes.
De plus, ne ſignifie pas la profeſ-
ſion
, parce qu’elle eſt en la ligne meri-
dienne
;
mais ſeulement à cauſe
39917Preludes de l’ Harmonie. eſt Orientale, comme dit Ptolomée.
Or la conſequence de l’objection tirée
de
cette natiuité, dans laquelleon voit
les
deux con õctions de , &
de , eſt
nulle
:
car elle eſt tirée de deux propo-
ſitions
particulieres, differentes, &
ſe-
parées
:
A quoy l õ peut adiouſter qu’el-
les
ne ſont pas partiles, ny dans les 11,
ny
dans le milieu du Ciel, ny dans la
partie
Orientale.
Il faut reſpondre à la troiſieſme par-
tie
de l’obiection, que la teſte &
la
queuë
du Dragon ſont comme les ze-
ro
en chifre, qui ne font qu’augmen-
ter
la valeur des autres planettes, ou
la
diminuer bien peu:
Car l’on ne ſçau-
roit
montrer dans aucune Natiuité
depuis
la creation du monde inſques à
preſent
, qu’elles ayent fait quelqué
choſe
, quand elles ont eſté toutes ſeu-
les
:
Et neantmoins qui voudroit ren-
contrer
le temps de cette conſtitution
celeſte
, il ſeroit contrainct, apres auoir
trouué
tout le reſte, de chãger de deux,
ou
de trois mil ans pour la queuc &
la
teſte
du Dragon.
40018Preludes de l’ Harmonie. 58[Figure 58]Autre Horoſcope capable de nous donner vn
tres-parfaict Muſicien.
LA premiere choſe qu’il faut conſi-
derer
dãs cette figure eſt, que tou-
tes
les planettes ſont ſur terre, &
dire-
ctes
, &
les benefiquès aux angles auec
des
eſtoiles fixes, à ſçauoir , &
auec
l’épy
de la ;
& eſt ioinct à la Lune
auec
vne nouuelle eſtoile de la premie-
re
grandeur, qui eſt de la nature de ,
&
de , elle eſt au Serpentaire,
40119Preludes de l’ Harmonie. celle qui parut en l’année 1604. au pied
du
meſme Serpentaire:
Car nous la
pouuons
auſſi bien ſuppoſer que tout le
reſte
.
Or cette conſtitution celeſte
promet
vn tres - excellent Muſicien
d’inclination
, de profeſſion, &
d’inſti-
tution
, de maniere qu’il n’en nâquit
iamais
vn sĕblable en beauté de corps;
ou en excellence d’eſprit, ny qui euſt
tãt
de probité en ſes mœurs, &
de dou-
ceur
en ſa conuerſation, car il ſeroit
remply
de toutes ſortes de vertus.
Or auant que de faire le iugement de
cette
conſtitution celeſte, il faut re-
marquer
qu’elle eſt dreſſee ſuiuant l’o-
pinion
de Stadius:
Et bien que Gauric
die
que quand tous les planettes ſont
ſur
la terre, que la vie n’eſt pas longue,
neantmoins
Garceus, &
Iunctin rapor-
tent
vn grand nombre de Natiuitez,
tous
les planettes ſont ſur la terre,
pour
des perſonnes qui ont veſcu long-
temps
;
& remarquent que ceux qui les
ont
ainſi placés, ont quelque choſe de
tres-excellent
par deſſus le commun.
Le Sagitaire eſt en l’aſcendant, qui
donneroit
vn temperament chaud &

ſec
, s’il montoit tout ſeul eſtant de
40220Preludes de l’ Harmonie. triplicité ignée: Mais chaud & hu-
mide
, &
la froide & humide (qui tĕ-
pere
grandementla chaleur exceſſiue)
aydez
des ſextils de , &
de logez
dans
vn ſigne aërien, &
l’étoile nouuel-
le
aſcendante, qui eſt de la nature de
, &
de , donnent vn temperament
chaud
&
humide, & par conſequent
ſanguin
, qui eſt le plus parfait de tous
les
temperaments.
L’étoile nouuelle
eſt
au Sagitaire, prés du lieu telles
étoiles
paroiſſent, à ſçauoir dans la voie
laitée
:
car celle de la Caſſiopée, & du
Croiſet
, &
celle qui parut en 1604. ſe
voient
en cette ceinture, &
ne s’aper-
çoiuent
en nulle autre partie du Ciel
qu’en
celle cy, qui eſt comme le Zo-
diaque
des Cometes.
Elle eſt en l’aſcĕ-
dant
iointe à , &
a la Lune pour vne
plus
grande ſignification, dautant que
les
étoiles fixes ſans les planetes, &

hors
des angles ne produiſent pas de
grands
effets.
Et neantmoins s’il fuſt quelqu’vn,
quand
l’étoile nouuelle parut dans la
Caſſiopée
, il n’euſt pas eſté Muſicien,
dautant
que les autres rencontres qui
ſont
en cetheme, ſont neceſſaires,
40321Preludes de l’ Harmonie. lequel la nouuelle étoile n’a pas eſté
miſe
pour ſignifier vn Muſicien, mais
pour
le ſignifier incomparable ſuppoſé
qu’il
le fuſt, &
pour faire que ſes com-
poſitions
durent beaucoup de ſiecles:
Car les étoiles nouuelles bien placées
produiſent
d’admirables effets:
C’eſt
pour
vne ſemblable raiſon que Cardan
voulant
imaginer vne figure celeſte
pour
la naiſſance de noſtre Sauueur,
met
l’étoile aparuë aux Mages en l’aſ-
cendant
, quoy que mal à propos, puis
qu’il
fait monter la Balance.
Or en l’aſcendant fait ordinaire-
ment
le premier d’entre les freres, &

donne
la grandeur &
la beauté: à quoy
ſert
auſſi le ſextil de , qui precede le
point
orizontal:
Car l’aſpect prece-
dent
de quelque planette donne la fi-
gure
.
la donne belle, eſtant icy bien
placée
, &
la rĕd parfaite & tres-agrea-
ble
:
à laquelle adiouſte vne douce
maieſté
:
& ainſi mélez ils donnent la
bien
veillance de chacun, de ſorte qu’il
ne
reſte rien à deſirer:
cartous les pla-
nettes
ayment Venus, excepté :
Mais
il
eſt dans ſa puiſſance, eſtant logé dans
le
Taureau, ioint qu’il a ſon
40422Preludes de l’ Harmonie. au lieu de : Et puis , qui eſt aymé
des
planettes, excepté de , gouuerne
le
Ciel coniointement auec , de ma-
niere
que mélãs leurs puiſſances ils rĕ-
dent
l’enfant agre@ble à tout le monde.
Cette Natiuité promet auſſi les bon-
nes
mœurs:
car Iupiter eſt ioint à la Lu-
ne
, qui eſt mere de la faculté naturelle,
&
eſt regardé de bon œil par , qui ſi-
guifie
la faculté animale, quand il eſt
bien
placé auec la teſte du Dragon.
L’épy de la Vierge, & Venus don-
nent
vn tres - bon eſprit &
tres - ver-
tueux
, &
la debonnaireté, & probi-
, auec vne affection à la Religion, la-
quelle
eſtant ſignifiée par le Soleil en la
neufieſme
, &
par en l’ Orient, doit
eſtre
la Chreſtienne, ſuiuant les regles
des
Aſtrologues:
Et parce que le eſt
dans
la maiſon de Religion, ce Muſi-
cien
, dont nous parlons, en doit profeſ-
ſer
la pureté, &
meſme auoir des vi-
ſions
, &
des reuelations bien nettes.
Il doit encore eſtre tres-heureux, car
Iupiter
eſtant en l’aſcendant luy pro-
met
de grandes richeſſes, qui luy vien-
dront
de ſon art, &
de ſon trauail. Ce
que
confirment les aſpects de , &
40523Preludes de l’ Harmonie. ſignificateurs de l’art, neantmoins
ſes
richeſſes cõſiſteront plus en argent,
&
en beaux meubles, qu’en autres poſ-
ſeſſions
.
Quant à ſon art, , , & en ſont
les
ſignificateurs:
, eſt la plus puiſſan-
te
, &
la principale; car elle eſt dame
du
milieu du Ciel, &
gouuerne entie-
rement
la maiſon de la vacatiõ;
Et biĕ
que
iointe à elle puiſſe ſignifier vn
Peintre
, vn Poete, vn Parfumeur, vn
Confiturier
, &
vn Muſicien: Neant-
moins
elle ſignifie ſeulemĕt icy vn par-
fait
Poëte, &
vn parfait Muſicien, car
eſtant
iointe à l’ épy de la , &
ſe trou-
uant
en l’angle du Midy, elle eſt ſi no-
ble
qu’elle fait les arts Mechaniques,
cõme
ſont la peinture, la parfumerie,
&
c. C’eſt pourquoy elle ne peut faire
qu’vn
Muſicien.
A quoy contribuë la
queuë
du Dragon, &
les planettes en
l’aſcĕdant
, qui regardent Venus d’ vnœil
gracieux
, auecvne nouuelle étoile de la
nature
de Venus qui y donne auſſi ſon
ſecours
:
car elle eſt iointe au cœur du
Scorpion
.
Or Garceus remarque que
eſtãt ainſi placé fait d’excellĕts Mu-
@iciens
, qui ſont particulierement
40624Preludes de l’ Harmonie. gnifiez par Venus, dautant qu’elle eſt
bien
placée, &
que tout le Ciel coniu-
re
à leur faueur, ſoit pour chanter, ſoit
pour
compoſer, &
pour inuenter: car
Venus
eſtant logée dãs vn ſigne aerien
donne
vne douceur de voix incompa-
rable
:
Ce que confirme l’étoile nou-
uelle
en l’aſcendent, qui eſt de la natu-
re
de Venus par participation de Iupi-
ter
.
C’eſt pourquoi la pluſpart des chãts
que
fera ce Muſicien, ſeront doux, &

graues
:
Et l’on peut croire qu Orfée
deuoit
auoir vne ſemblable Natiuité,
s’il
eſt vray ce qu’on rapporte de luy,
cncore
qu’vn tel Muſicien ne doiue vi-
ure
que cinquante ſix ans, parce que
quand
l’oppoſé de viendra au cœur
du
Ciel, &
au quarré de l’aſcendant,
il
le menace de mort.
40725Preludes de l’ Harmonie. 59[Figure 59]Troiſieſme Horoſcope ou Natiuité du
Muſicien parfait.
CEtte figure a eſté expreſſément
diſpoſee
en cette maniere pour
eſtre
forte en ſa ſignification, &
pour
éuiter
les aſpects parfaits, afin de les
mettre
tous dans leurs aplications, ou
defluxions
.
Or ſi l’on deſiroit pluſtoſt le
chant
actwel de la voix, que la ſcience
de
bien chanter, Il faudro@t mettre la
Lune
au 3.
du Belier, mais elle ne
40826Preludes de l’ Harmonie. pas ſi propre à la ſpeculatiõ, que quand
elle
eſt au 3.
de la , d’où il apert qu il
y
a des manquemens par tout:
Car la
figure
qui eſt bonne pour vne choſe, eſt
mauuaiſe
pour l’autre Quelques-vns
tiennent
qu’il euſt fallu rendre Venus
plus
puiſſante que Mercure au milieu
du
Ciel, &
mettre la Lune dans vn ſi-
gne
plus Saturnien, &
fixe pour faire
l’eſprit
de Muſicien plus contempla-
tif
.
Voila, à mon aduis, tout ce quiſe
peut
apporter demeilleur de la part des
Aſtres
en faueur du parfait Muſicien:
Mais parce que ie fais profeſſion de n’ĕ-
braſſer
autre choſe que la verité, &
que
ie
me ſuis ſerui de la doctrine, &
de l’o-
pinion
des plus excellents Maiſtres en
cet
art, ſans en dire mon ſentiment, ie
veux
faire voir dans le diſcours qui ſuit
le
parti qu’il fant tenir, &
ce qu’il faut
croire
de ces Natiuitez, &
de tous les
Horoſcopes
qui ſe peuuĕt dreſſer, apres
auoir
apporté ce qu’en croit la Sorbo-
ne
, dont l’on void l’ Arreſt, &
la Cen-
ſure
qui ſuit.
40927Preludes de l’ Harmonie.
COROLLAIRE I.
L’ON DEMANDE SI LA PRO-
feßion de ceux qui s’ employent à faire àes
Horoſcopes & Natiuitez, & croient
neantmoins que les Aſtres & influences
celeſtes nous inclinent ſeulement, ſans ap-
porter aucune neceßsité, eſt bonne & licite,
ou bien meſchante ou illicite.
NOvs ſoubs-ſignez Docteurs en
Theologie
de la faculté de Paris,
Apres
auoir meurement conſideré cet-
te
queſtion.
Auons eſté d’auis que la-
dite
profeſſion eſt du tout illicite &
dã-
nable
, &
qui ne doit eſtre aucunement
toleree
en vne Republique.
Car pre-
mierement
outre la vanité, incertitu-
de
, &
faulſeté d’icelle, que l’experien-
ce
journaliere nous apprend, elle eſt
expreſſément
condamnée en l’ Eſcritu-
re
ſaincte, en Ieremie Chapitre 10.
A
ſignis
cœli nolite metuere, quæ timent gen-
tes
:
quia leges populorum vanæ ſunt. Secõ-
demĕt
pource qu’elle s’arroge vne cho-
ſe
qui ne conuient qu’à Dieu ſeul:
41028Preludes de l’ Harmonie. eſt de cognoiſtre les futurs accidens des
hommes
auant qu’ils arriuent, en Iſaie
Chap
.
41. annunciate quæ ventura ſunt in
futurum
, &
ſciemus quod eſtis vos. Cõ-
ſideré
d’ailleurs que leſdits accidĕs hu-
mains
dépendent d’ordinaire de la rai-
ſon
&
liberté des hommes, laquelle,
comme
enſeignent tous les@heologiĕs,
eſt
de ſa conditiõ naturelle releuée pat
deſſus
toutes ſortes de cauſes ſecondes,
meſme
les Cieux:
n’eſtant icelles faites
&
crées que pour le ſeruice & vſage de
l’homme
.
Creauit Deus omnia propter ho-
minem
, hominem vero propter ſe.
De ſor-
te
que leſdites, conſtellations &
influĕ-
ces
n’ont &
ne peuuent auoir aucune
force
ſur leſdits euenemens qui depen-
dent
d’icelle liberté:
& quand elles en
auroient
(ce qui toutes fois eſt tres-
faux
) il ne s’ĕſuiuroit pas que les Aſtro-
logues
les peuſſent recognoiſtre &

moins
en porter des iugemens ou en
donner
aſſeurance.
C’a eſté vn erreur
remarqué
par les Peres anciens és Pri@-
cillianiſtes
, comme dit ſainct Gregoire
en
l’Homelie 10.
ſur les Euangiles, Teſ-
quels
ayans touſiours eſté tenus pour
heretiques
, ceux qui font
41129Preludes de l’ Harmoniè. pareille profeſſion doiuent eſtre tenuz
en
meſme rang.
A quoy nous adiouſtõs
la
Cenſure de noſtre Faculté, donnée
à
l’inſtance de Meſſieurs du Parlement
de
Paris, contre vn nom Maiſtre Si-
mon
Phares, promeu à l’ordre de Dia-
cre
, gui ſe qualifioit Medecin &
Aſtro-
logue
, les liures du quel furent ſolem-
nellemĕt
condamnez par Arreſt à eſtre
bruſlez
, en laquelle cenſure, ſe retrou-
uent
notamment ces mots.
Sæpe his decem menſibus libros iſtos rele-
gimus
(il y auoit vnze Liures, ſi bien
qu’il
y fallut employer beaucoup de
temps
) Sæpe vniuerſi conuenientes de con-
tentis
diſputauimus;
poſt multam tandem
variamque
doctorum ſacrorum, &
aliorum
doctorum
, eorumdemque grauißimorum au-
ctorum
lectionem:
poſtmultos labores, in hãc
vnanimiter
ſententiam deuenimus, vt præ-
dictam
artem, nempe genethliacam, vt in his
&
ſimilibus libris continetur (ſi modò artis
nomine
digna eſt) qua qui vtuntur, ſæpe
Mathematici
, quand oque genethliaci, nouu-
quam
Chaldæi, interdum Aſtrologi à ſcripto-
ribus
dicuntur:
prorſus vanam, imo nullam
eſſe
nulla probabili ratione fulcitam, menda-
cem
, fallacißimam, ſuperſtitioſam,
41230Preludes de l’ Harmoniè. honoris vſurpatiuam, bonorum morum cor-
ruptiuam
, à Dæmone patre mendacij, humani
generis
implacabili hoſte, cui etiam vera di-
centi
aſſentire nefas ſit inuentam iudicaui-
mus
.
Quam cum Diuino Iuri, Canonico at-
que
Ciuili ſub grauißimarum pænarum in-
terminatione
prohibitam à ſummis Sacræ
Theologiæ
iuriumque humanorum doctori-
bus
&
à maximis Philoſophis, efficacißimis
teſtimonijs
improbatam, imo &
quandoque
ab
hoc collegio noſtro damnatam viderimus.
Nos etiam ipſi eorum veſtigia ſequuti, dam-
nauimus
atque damnamus, dicentes &
do-
ctrinaliter
declarantes neminem Chriſtianũ
abſque
mortalis peccati periculo ea arte vti
poſſe
.
Datum & actum in noſtra congrega-
tione
generali, apud Sanctum Mathurinum,
Pariſius
de mane, ſuper bo@ ſpecialiterper iu-
ramentum
congregata, anno Domini 1493.

die
decima nona Februarij.
Sur laquelle cenſure ledit Maiſtre
Simon
Phares fut debouté de ſon ap-
pel
&
r’enuoyé pardeuant l’Official de
Lion
, pour luy eſtre ſon procés faict &

parfaict
.
Et quand eſt de ce qu’alleguent cou-
ſtumierement
ceux qui ſe meſlent de
ladicte
profeſſion, qu’ils
41331Preludes de l’ Harmoniè. pas que leſdites influences & conſtella-
tions
ayent pouuoir de forcer &
con-
traindre
les hõmes auſdits euenemens,
mais
que ſeulemĕt elles les y enclinent
&
induiſent. Nous répondons premie-
rement
que c’eſt vn erreur de penſer
que
les Aſtres ayent en ſoy la force d’ĕ-
cliner
directement la volonté des hom-
mes
, de laquelle, comme nous auons
dit
, depĕdent leſdits euenemens:
pour-
ce
qu’il ny a que Dieu ſeul qui le puiſſe:
& de faict il n’agit point autrement ſur
la
volonté que par induction ou incli-
nation
, ſoit efficiente, ſoit objectiue, ne
la
forçant aucunement, ains la laiſſant
comme
dit le Sage, in manu conſilij ſui.

Secondement
, encore qu’on pourroit
dire
que les Aſtres nous induiſent &

enclinent
par accidĕt, &
indirectemĕt,
cauſans
par leurs influences diuerſes
diſpoſitions
en nos corps, leſquelles in-
duiſent
la volonté à certaines choſes,
neãtmoins
c’eſt vn abus du tout inſup-
portable
, de donner pour cela aſſeuran-
ce
deſdits euenemens:
comme par exĕ-
ple
, de predire aux vns qu’ils ſeront ri-
ches
, aux autres qu’ils paruiendront à
de
grands honneurs, ou qu’ils
41432Preludes de l’ Harmonie. d’vne telle ma niere, ou épouſeront vne
telle
femme, pource que ces choſes &

autres
ſemblables dependent de bien
d’autres
cauſes que deſdites conſtella-
tions
, comme il eſt aſſez notoire.
De
ſorte
, que ſi l’on peut par leſdits Horoſ-
copes
&
conſtellations, porter quelque
iugement
(lequel eſt touſiours fort mal
aſſeuré
) ce n’eſt ſinõ que des humeur,
&
complexions corporelles: que ſi l’on
veut
paſſer plus outre, &
en donner aſ-
ſeurance
, c’eſt choſe ſuperſticieuſe, dia-
bolique
, &
qui doit eſtre ſeuerement
punie
par les Magiſtrats, &
ce d’autant
plus
qu’aujourd’huy nous voyons ce
mal
en grande vogue:
teſmoin qu’il ne
ſe
publie à preſent aucun Almanach,
qu’il
n’y aye à la fin de tous les quartiers
de
Lune, de ces ſortes de prognoſtics,
qui
ſont choſes abominables, &
d’où il
peut
arriuer de grands maux en la Re-
publique
.
Pour les peines de ceux qui
exercent
ladite profeſſion, elles ſont de
deux
ſortes, canoniques, &
ciniles: les
canoniques
ſont ſpecifiees, 26.
quæst. 5.
per totam. ou l’excommunication eſt de-
cernée
contre telles perſonnes, &
de
fait
Sainct Epiphane au liure de
41533Preludes de l’ Harmoniè. ribus & menſuris, rapporte qu’en la pri-
mitiue
Egliſe, Aquila Ponticus, enco-
re
que d’ailleurs il fut bien merité des
Chreſtiens
, fut neantmoins excom-
munié
, &
mis hors l’Egliſe. Pour les
ciuiles
elles ſont inſerées 1.
2. C. de ma-
leficis
&
mathematicis, l. mathematicos, C.
de Epiſcopali audientia, il eſt dit notã-
mĕt
que telles perſonnes doiuent eſtre
bannis
, &
de plus l. 5. C. de malef. & ma-
themat
.
elles ſont puniſſables de mort.
Faict à Paris, ce 22.
de May, 1619.
Ainſi ſigné, A. Dv Val.
Ph. De Gamaches.
N. Ysambert.
COROLLAIRE. II.
Puiſque i’ay entrepris de parler de
toutes
les principales difficultez de la
Muſique
par raiſon, pluſtoſt que par
l’authorité
des hõmes, quoi que ie la re-
çoiue
, lors qu’elle eſt accompagnée de
demonſtration
il faut examiner les fon-
demens
, &
les maximes de la Iudiciai-
re
, &
monſtrer euidemment
41634Preludes de l’ Harmoniè. n’ont nulle apparĕce de verité, ny meſ-
me
de vraye ſemblance:
ce que ie fais
dans
les 8.
Propoſitions qui ſuiuent,
par
leſquelles l’on verra que l’Egliſe, &

ſes
Docteurs ont droit de la condam-
ner
, &
d’en deffendre les liures, & l’v-
ſage
.
QVESTION II.
Dans laquelle tous les principes de l’ Aſtrolo-
gie
Iudiciairt ſont examinez.
CEtte queſtion contient cinq pro-
poſitions
, dans leſquelles on ver-
ra
clairement l’incertitude de l’Aſtro-
logie
Iudiciaire, &
tout ce qui luy ap-
partient
, c’eſt pourquoy ie ne fais point
icy
de preambule, afin que l’on ne liſe
rien
qui ne ſoit vtile.
Proposition I.
Qu’il ny a point de certitude dans les Horoſ-
copes
precedents, & que l’on ne peut rien
predire
de la perfection d’vn Muſicien par
la
conſtitution des cieux.
IL y a ſi peu de choſes certaines dans
l’Aſtrologie
Iudiciaire, qu’il n’eſt
41735Preludes de l’ Harmoniè. poſſible d’aſſoir ſon iugement ſur ce
que
l’on en peut coniecturer ſuiuant les
regles
, &
les preceptes que les Arabes,
les
Grecs, &
les Latins ont donné: Car
ſi
nous oſtons les principes qu’ elle prĕd
de
l’Aſtronomie, à peine pourra t’elle
eſtablir
aucune maxime particuliere:
ce que ie feray voir clairement, apres
auoir
ſuppoſé ce qu’elle emprunte des
obſeruations
, &
des Phenomenes de
l’Aſtronomie
.
Premierement, elle ſuppoſe que le
Ciel
eſt diuiſé en 12.
parties, qu’elle ap-
pelle
maisõs, ou domiciles, &
que l’ho-
rizon
coupe le Ciel en deux Hemiſphe-
res
égaux, auſſi bien que le Meridien,
qui
le diuiſe en la partie Orientale qui
monte
, &
en l’Occidentale qui deſcét:
de maniere que ces deux cercles diui-
ſent
le Ciel en 4.
parties égales.
Secondement, qu’il y a 48. conſtella-
tions
, à ſçauoir, douze dans le Zodia-
que
, qui ſe diuiſent en ſix ſignes Septĕ-
trionaux
, à ſçauoir le Belier, le Taureau,
les
II, l’Ecreuiſſe, le Lion, &
la , qui
ſont
vers le pole Arctique:
& en ſix
Moridionaux
, à ſçauoir, , le Scor-
piõ
, le Sagittaire, le Capricorne, le
41836Preludes de l’ Harmoniè. ſeau, & les Poiſſons; qu’il y en a ſix auec
leſquels
la plus grande partie de l’é-
quateur
monte ſur noſtre horizon, &

qui
ont leur aſcenſion droite, à ſçauoir,
l’Ecreuiſſe
, le Lion, , , le Scorpiõ,
le
Sagittaire, &
ſix autres qui montent
obliquement
, à ſçauoir, le Capricorne,
le
Verſeau, les Poiſsõs, le Belier, le Tau-
reau
&
les II, auec leſquels la moindre
partie
de l’équinoctial monte ſur l’hori-
zon
.
Mais les autres diuiſions n’ont que
l’imagination
pour leur fondement, cõ-
me
celles des ſignes en mâles &
femelles,
ou
en maſculins &
feminins, qu’ils appel-
lent
diurnes, &
nocturnes: en ſignes com-
mendans
, ou Scptentrionaux, &
obeiſſans,
ou
Meridionaux:
en beaux, & laids, fecõs,
&
ſteriles, raiſonnables, parlants, & muets,
gras
, &
maigres, Philoſophes, & Muſiciens,
vicieux
, &
vertueux, & c. qu’ils font pre-
ſider
à chaque partie du corps:
Car
l’experience
fait voir qu’vn homme
ſtupide
&
lourd naiſt ſouuent ſouz vn
ſigne
de bon eſprit, &
il ny a pas plus de
raiſon
pourquoy le Belier preſide à la
teſte
, qu’aux mains, ou aux pieds:
ny
pourquoy
Capricorne preſide pluſtoſt
aux
iarets, qu’aux bras:
pourquoy
41937Preludes de l’ Harmonie. réjoüiſt pluſtoſt dans le Verſeau, en
Capricorne
, dans la queuë du Dra-
gon
, dans le Taureau, dans , &

dans l’Ecreuiſſe, qu’en quelqu’autre
ſigne
.
Il ny a point auſſi de raiſon
en
ce qu’ils diſent de la cheute, &

de
l’exaltation des maiſons, &
de
toutes
les autres choſes, qui ſont ſem-
blables
aux fables, &
qui ont eſté in-
uentées
par les Caldées, les Arabes, les
Grecs
, &
pluſieurs autres, ſans aucune
demonſtration
:
C’eſt pourquoy nous
ne
rencontrons point d’excellent Ma-
thematicien
, qui ne ſe mocque de tout
ce
que les Aſtrologues diſent des dou-
ze
maiſons du Ciel.
Ie ne veux pas nier que les alteratiõs,
&
les generations ſublunaires ne dé-
pendent
en quelque façon de l’in fluen-
ce
des Aſtres;
mais ils ne ſçauroient
demonſtrer
que telle, ou telle partie du
Ciel
donne la vie, vn autre l’accroiſſan-
ce
, la perfection, la domination, &
puis
la
mort:
Car pourquoy la partie Orien-
tale
preſide-t’elle pluſtoſt à la naiſſan-
ce
, qu’à la vigueur:
pourquoy la Meri-
dionale
preſide-t’elle aux honneurs, &

l’Occi’dentale
à la mort?
Il
42038Preludes de l Harmonie. qu’ils montraſſent que perſonne ne
meurt
, quand la meſme partie Orien-
tale
qui s’eſt trouuée à la naiſſance, mõ-
te
ſur l’horizon:
Et que chacun meurt,
quand
la partie nocturne de minuit,
qu’ils
appellent In un.
cæli, ſe trouue au
meſme
lieu, elle eſtoit lors de la na-
tiuité
;
ce qu’ils ne fero@t iama’s: Or ie
veux
faire voir que tout ce que diſent
les
plus ſçauans d’ĕtr’eux pour eſtabhr
les
12.
maiſons de l’Horoſcope, n’a nul
fondement
aſſeuré, afin que le parfaict
Muſicien
connoiſſe les erreurs de l’A-
ſtrologie
, &
les puiſſe combatre quand
il
luy plaira:
Mais afin que l’on entende
les
diſcours qui ſuiuent, ie mets icy la
figure
de ces douze maiſons, dont l’or-
dre
eſt marqué par nombres.
Proposition II.
Les trois maiſons de la premiere triplicité ne
ſont
eſtablies par aucune demonſtration,
ou
rai, on qui pu ſſe perſuader la verité de
ce
que les Aſtrologues diſent de ces treis
domiciles
.
IL faut premierement ſuppoſer quo
le
Ciel eſt diuiſé en douze
42139Preludes de l’ Harmonie. qu’ils appellent maiſons, par l’interſe-
ction
de l’horizon, &
du Meridien, qui
coupent
l’équinoctial en douze parties
égales
, dont celle qui eſt du coſté d’O-
rient
eſt appellée premiere maiſon, ou
l’Horoſcope
, par excellence:
parce que,
diſent
ils, cette partie eſt la plus puiſ-
ſante
pour agir ſur ceux qui naiſſent:
Ce qui ne peut pas eſtre; car cette
partie
bat l’horizon trop obliquement;

Et
il ſeroit plus à propos de dire que la
partie
culminante du Ciel eſt la plus
puiſſante
, puis qu’elle enuove ſes in-
fluences
, &
ſes rayons plus perpendi-
culairement
, &
qu’elle eſt plus pro-
che
de celuy qui naiſt, que n’eſt la par-
tie
Orientale:
autrement il faut nier
que
les cauſes naturelles agiſsĕt mieux,
&
plus fort par vne ligne plus courte, &
plus
perpendiculaire, que par vne plus
longue
, &
plus oblique, & démentir
toutes
les experiences du Ciel &
de la
terre
:
D’où il s’enſuit que cette premie-
re
maiſon eft la plus foible des ſix qui
ſont
ſur l’horizon, car outre ce que i’ay
dit
, elle eſt touſiours empeſchée par les
vapeurs
qui ſe leuent vers l’Orient, &

qui
ſont ſi fortes, &
ſi groſſieres,
42240Preludes de l’ Harmonie. les empeſchent la lumiere du Soleil:
Delà vient que l’on ne peut allumer du
feu
auec vn miroir concaue au matin,
lequel
neantmoins bruſle, &
allume,
ou
fond ce que l’on met deuant, non
ſeulement
à midy, mais auſſi ſur le ſoir,
encore
que le Soleil ne ſoit pas plus
hautiur
l’horizon, qu’il eſtoit au matin,
parce
que les vapeurs ne sõt pas ſi groſ-
ſieres
.
Or ſi le Soleil, qui eſt le Prince
des
Aſtres, &
la plus excellente, & plus
puiſſante
partie du Ciel, a ſi peu de for-
ce
a ſon leuer, qu’il n’agit iamais plus
foiblement
eſtãt ſur l’horizon, ne faut-
il
pas conclure la meſme choſe des au.

tres
planettes, des Aſtres, &
des parties
des
cieux qui ſont à l’Orient.
Car les
Aſtrologues
ne peuuent dire auec rai-
ſon
que telles parties agiſſent plus puiſ-
ſamment
, ou plus ſubtilement que le
Soleil
, ny ayant rien plus ſubtil, ny plus
puiſſant
que ſa lumiere dans toute l’e-
ſtenduë
de la nature corporelle.
42341Preludes de l’ Harmonie. 60[Figure 60]
Les deux autres maiſons de cette pre-
miere
triplicité ne ſont pas mieux eſta-
blies
que la premiere, puis qu’elles en
dependent
, &
qu’elles font vn triangle
équilateral
auec elle:
Mais pour mieux
entendre
cecy il faut rematquer qu’ils
mettent
quatre angles, ou principales
parties
au Ciel, &
qu’ils donnent vne
triplicité
à chacune, afin que le Ternai-
re
, qui repreſente la Trinité, multipliãt
le
quaternaire, qui repreſente les crea-
tures
, produiſe douze, pour les douze
maiſons
, qui ont cinq aſpects
42442Preludes de l’ Harmonie. à ſçauoir, la conionction, le ſextil, le
trin
, le quadrat &
l’oppoſition, qui ſont
marquez
par ces characteres ***
, ***
,
***

, , ***
, ou par 1.
2. 3. 4. 5. l’vnité
repreſentant
l’vnion, ou la cõionction:
le binaire, le ſextil, ou l’hexagone, qui
comprend
deux ſignes, on la ſixieſme
partie
du Ciel:
le ternaire, l’aſpect trin,
ou
le trigone, qui contient la quatrieſ-
me
partie du Ciel, ou trois ſignes:
le
quaternaire
, le quadrat, ou letetrago-
ne
, qui cõprent quatre ſignes, &
la troi-
ſieſme
partie du Ciel;
& le ſenaire, l’aſ-
pect
oppoſé, qui contient ſix ſignes, ou
la
moitié du Ciel.
Or ils diſtinguĕt quatre points prin-
cipaux
, qu’ils appellent angles, afin que
les
quatre points, ou parties de la vie, à
ſçauoir
l’enfance, la ieuneſſe, l’âge vi-
ril
, &
la vieilleſſe, qui répondent au
commencement
, au progrez, à la force,
&
au declin des autres corps ſuiets à
corruption
, ſoient gouuernez par les
Aſtres
, &
par les domiciles de l’Horoſ-
cope
.
C’eſt pourquoy ils donnent trois mai-
ſons
à la premicre triplicité pour les
trois
genres de vie que l’homme
42543Preludes de l’Harmonie. auoir en ce monde, dont la premiere
eſt
la vic naturelle, qui eſt gouuernée pat
l
Horoſcope, c’ eſt à dire, par la premie-
re
maiſon, qui eſtablit le premier angle
de
l’Orient:
la ſeconde vie eſt la ſpiri-
tuelle
, qui regarde Dieu, &
la Religion,
dont
ils iugent par la neufieſme maisõ:
& la troiſieſme vie eſt la repreſentatiue,
qui
fait reuiure les parens en leurs en-
fans
, &
en leurs heritiers, dans leſquels
il
ſemble que leur vie eſt conſeruée,
puis
que le fils repreſente le pere apres
ſa
mort:
Or ils iugent de cette vie par
la
cinquieſme maiſon, car ces trois mai-
ſons
, à ſçauoir, la premiere, la neufieſ-
me
, &
la cinquieſme, font vn triangle
equilateral
pour la premiere triplicité
de
l’Horoſcope Ils appellent cet aſ-
pect
trin, l’aſpect de parfaite amitié.
Ils veulent auſſi que l’on entre de la
neufieſme
maiſon en la 8.
qui repreſen-
te
la mort naturelle, dautant que la vie
ſpirituelle
, qui nous donne l’eſperance
d’vne
meilleure vie, nous doit ſeruir de
preparation
pour attendre la more cor-
porelle
:
Mais ie ne voy nulle raiſon qui
perſuade
que cette premiere triplicité
ſoit
biĕ eſtablie, car il ſeroit plus à
42644Preludes de l’Harmonie. pos de faire que les trois ſignes d’vne
meſme
triplicité peuſsĕt enuoyer leurs
rayons
, &
leurs influences ſur vn meſ-
me
corps en meſme moment:
Ce qui
ne
peut arriuer, dautant que la terre
empeſchera
touſiours les rayons de la
cinquieſme
maiſon, quand la premie-
re
, &
la neufieſme ſeront ſur l’horizon,
car
il n’y a pas moien de voir ces trois
maiſons
en meſme moment, encore
qu’on
fuſt monté ſur le Caucaſe, ſur le
Liban
, ou ſur la plus haute montagne
de
la terre.
Ils pourroient répondre qu’il ſe peut
faire
quelque reflexion premiere, ou ſe-
conde
de ces trois points, ou de ces trois
maiſons
les vnes aux autres;
mais cette
reſponce
eſt ſi foible qu’elle ſe renuerſe
aſſez
de ſoy meſme:
C’eſt pourquoy ie
paſſe
outre iuſques à ce qu’ils ayent
trouué
quelques meilleures raiſons
pour
deffendre cette triplicité.
42745Preludes de l’Harmonie.
Proposition III.
La ſeconde, latroiſieſme, & la quatrieſme tri-
plicité
ne ſont pas mieux eſtablies
que
la premiere.
IL eſt facile d’appliquer aux trois au-
tres
triplicitez, ce que nous auons
dit
de la premiere, car l’angle du milieu
du
Ciel, qu’ils attribuent au lucre, &

aux
autres eſpeces de biens, à la jeuneſ-
ſe
, &
à l’action, n’a pas plus de correſ-
pondance
auec la ſeconde, &
la ſixieſ-
me
maiſon, qui font la ſeconde tripli-
cité
, que la premiere maiſon auec la
cinquieſme
, &
la neufieſme. Or il fau-
droit
premieremĕt demonſtrer que les
honneurs
&
les dignitez appartiĕnent
à
la dixieſme maiſon, les beſtes &
les
ſeruiteurs
à la ſixieſme, &
l’or & l’ar-
gent
à la deuxieſme, qui ſont les trois
ſortes
de biens qu’ils eſtabliſſent, com-
me
ils auoient fait trois ſortes de vies,
auant
que de nous obliger à croire ce
qu’ils
diſent de cette ſeconde triplicité.
Mais ie ne me peux perſuader que
42846Preludes de l’Harmonie. ait eu ce deſſein, quand il a creé les
Aſtres
;
& croy que plus on s’efforçera
d’établir
les douze maiſons, &
leurs
proprietez
, &
plus on fera paroiſtre
qu’elles
n’ont point d’autre fondement
que
l’imagination:
Car nous deman-
derõs
touſiours pourquoy l’angle d’Oc-
cident
, qui eſt la ſeptieſme maiſon, eſt
donné
à l âge viril, à l’amour, &
au ma-
riage
:
pourquoy la troiſieſme maiſon
aux
freres, &
aux parens: Et l’onzieſ-
me
aux amis:
car il faudroit monſtrer
pourquoy
cette triple conjonction de
corps
, de ſang, &
d’eſprit, ou d’affe-
ction
, eſt pluſtoſt gouuernée par cette
troiſieſme
triplicité de la ſept 3.
& 11.
maiſon, que par vne autre triplicité.
Si cela eſtoit veritable, les enfans ge-
meaux
, &
tous ceux qui sõt naiz à meſ-
me
heure, ſouz vn meſme climat, en
meſme
longitude, &
latitude, comme
ceux
qui naiſſent à meſme heure à Pa-
ris
, à Conſtantinople, à Amſterdan, ou
en
quelqu’autreville, ou prouince, n’au-
roient-ils
pas meſme femme, meſmes
enfans
, meſmes amis, ou du moins en
meſme
nombre, &
de meſmes qua-
litez
?
42947Preludes de l’Harmonie.
Ieſçay qu’il ne ſe peut faire naturel-
lement
que deux perſonnes naiſſent en
vn
meſme inſtant, ſur vne meſme par-
tie
de la terre, qui eſt determinée par
les
cercles de longitude, ou de latitude:
Mais il arriue des naiſsãces en des lieux,
&
en des temps ſi voiſins, que la diſtan-
ce
n’eſt pas conſiderable, comme ils cõ-
feſſent
cux-meſmes:
Et neantmoins la
vic
, les actions, &
la fortune de ceux
qui
naiſſent ainſi, ſont ſi differentes
qu’elles
monſtrent que toutes les regles
des
Aſtrologues n’ont nulle verité, cõ-
me
l’on verra ſi l’on prent la peine de
l’experimenter
.
Quant à la quatrieſme, ou derniere
triplicité
, elle a l’angle tenebreux de
minuit
, qu’ils appellent la foſſe des planet-
tes
, à laquelle ils donnent la vieilleſſe,
les
afflictions, &
la mort des parents: la
ſeconde
maiſon de cette triplicité, c’eſt
à
dire, la douzieſme de l’Horoſcope, eſt
pour
les ennemis, &
pour le mal qu’ils
font
, c’eſt pourquoy ils l’appellent valée
de
miſere.
Et la troiſieſme maiſon de cet-
te
triplicité, c’eſt à dire la huictieſme
de
l’Horoſcope, termine les biens, &

les
maux de cette vie par la mort, ſi
43048Preludes de l’Harmonie. qu’ils aſſeurent eſt auſſi veritable, com-
me
ie l’eſtime tres-faux:
Car ils n’ont
ny
raiſon, ny experience qui nous con-
traigne
de ſuiure leur opinion, encore
qu’ils
ſe vantent de mille experiences
qu’ils
puiſent dans les liures, ou qu’ils
diſent
auoir faites:
mais ils ne ſçauroiĕt
en
faire paroiſtre aucune qui ſoit telle-
ment
reglée que l’on y puiſſe eſtablir
quelque
choſe de certain.
Or ſi ces maiſons ne ſont pas biĕ eſta-
blies
, il s’enſuit que tontes leurs predi-
ctions
, &
toutes les conjectures qu’ils
tirent
des douze maiſons, ſont treſ in-
cert
.
ines, & qu’ils ne ſçauroient rien
dire
d’aſſeuré de la religion de l’enfant
par
la neufieſme, non plus que par la
premiere
maiſon:
Que la ſeptieſme ne
ſçauroit
enſeigner ſi l’ĕfant ſera marié,
ny
la 5.
s’il aura des enfans, & c.
Quand ils auront prouué que les troi-
ſieſmes
parties du Ciel, qui appartien-
nent
a l’vne, ou l’autre des triplicitez,
ſont
pluſtoſt de meſme nature, que cel-
les
qui ſe trouuent en diuerſes triplici-
tez
:
Que le degré d’Orient influe plus
puiſſammĕt
ſur la terre, &
ſur l’enfant,
que
le poinct vertical du Midy, &
43149Preludes de l’Harmonie. ſieurs autres choſes, qu’ils mettent en
auant
, le Muſicien pourra ſuiure leurs
predictions
.
Ce qui n’empeſchera pourtant pas
que
nous ne tirions quelque profit ſpi-
rituel
de l’ordre qu’ils eſtabliſſent entre
leurs
douze maiſons, afin que nous imi-
tions
la ſouueraine Bonté, qui tire le
bien
du mal, &
la verité du menſonge.
le dis donc que l’ordre des maiſons,
ſuiuãt
le cours naturel du premier mo-
bile
, qui va de l’Orient à l’Occident,
peut
repreſenter les mouuemens natu-
rels
de la partie ſenſitiue, ou animale:

Mais
quand les maiſons ſont diſpoſées
ſelon
le mouuement des planettes, qui
ſe
fait d’Occident en Orient, com-
me
elles ſont ordinairement, elles
peuuent
repreſenter le mouuement de
la
raiſon, qui s’oppoſe à celuy du ſens,
comme
i’expliqueray, apres auoir con-
clu
qu’on ne ſçauroit donner le temps
auquel
doit naiſtre vn parfait Muſicien,
par
l’obſeruation des Aſtres, puis qu’il
ny
a point dc certitude dans les regles
de
l’Aſtrologie.
43250Preludes de l’Harmonie.
Proposition IV.
Determiner quelle vtilité l’on peut tirer des
douze
maiſons de l’Horoſcope pour
les
choſes ſpirituelles.
IL faudroit faire vn liure entier, ſi l’on
vouloit
rapporter tout ce qui peut
ſeruir
aux choſes ſpirituelles dans l’A-
ſtrologie
Iudiciaire;
ie me contenteray
d’en
toucher icy quelque choſe, afin
que
chacun y puiſſe adiouſter tout ce
qui
luy plaira.
Les deux manieres que
i
ay rapportées pour la diſpoſition des
douze
maiſons, monſtrent que l’enfant
a
deux voyes qu’il peut ſuiure, à ſçauoir
celle
de l’appetit animal, s’il ſuit le
mouuement
du premier mobile, qui
commence
par la douzieſme maiſon
ſuiette
à toutes ſortes de miſeres, &

d’ennemis
, car il faut combatre le mõ-
de
, la chair, &
le diable: puis il monte
vers
l’angle du milieu, ce qui repreſen-
te
l’ambition de l’hõme, qui court apres
les
honneurs.
Or cette douzieſme mai-
ſon
eſt de la meſme triplicité que celle
de
la mort des parens, des priſons, &
43351Preludes de l’Harmonie. la foſſe, qui eſt la quatrieſme maiſon:
c’eſt donc le chemin de l’appetit bru-
tal
.
L’autre chemin appartient à la rai-
ſon
, &
répond à l’ordre des maiſons, qui
ſuit
la ſucceſſion des ſignes du Zodia-
que
, ſelon le propre m@uuement que
les
planettes ont de l’Occident à l’O-
rient
:
Car il deſcĕd par la maiſon d’hu-
milité
aux richeſſes de la ſeconde mai-
ſon
, qui appartient à la meſme triplicité
de
la dixieſme maiſon.
Hieroſme Có-
lombe
a fait vn traité entier de la nati-
uité
de noſtre Seigneur, dans lequel il
monſtre
ſes vertus, &
ſes qualitez par
les
douze maiſons de l’Horoſcope, &

par
les ſignes qui ſe rencontrerent dans
chaſque
maiſon à l’heure de ſa natiuité:
dans laquelle il a mis la Balance, &
pour
l’angle d’Orient, afin de ſignifier
ſa
juſtice, &
la bonté de ſon tempera-
ment
.
le laiſſe le Scorpion de la ſecon-
de
maiſon, le Sagittaire, &
le de la
troiſieſme
, le Capricorne, &
le de la
quatrieſme
, &
les ſignes des autres mai-
ſons
, dont il parle, dautant que ces ap-
plications
ne ſont pas dignes d’vn bon
eſprit
.
43452Preludes de l’Harmonie.
Proposition V.
L’on ne ſçauroit predire aſſeurément les ma-
ladies
, ni les inclinations que quelqu’vn
aura
vices, aux vertus, & aux ſciences,
ni
quel ſera ſon temperament, par les re-
gles
ordinaires de l’Aſtrologie Iudiciaire.
CEtte propoſition eſt contre l’opi-
niõ
de pluſieurs, qui croyent qu’on
peut
predire par les aſpects des Aſtres
quand
la cõtagion arriuera, &
en quel-
le
ville elle ſera, dautant, diſent ils, que
les
Elements ſont parfaitement ſuiects
au
Ciel, &
qu’il faut chercher dans les
cieux
la raiſon de tout ce qui ſe fait ſur
la
terre.
Secondement, parce que cer-
tains
planettes, &
aſpects des Aſtres
preſident
, &
influent plus particuliere-
ment
ſur quelques villes, &
prouinces,
qui
peuuent par apres communiquer
leurs
mauuaiſes influenc àvn autre lieu,
bien
que tels aſpects ayent ceſſé, &
que
toutes
les ſaiſons ayent gardé leur tem-
perament
, comme il eſt ſouuent remar-
marqué
dans les Ephemerides.
43553Preludes de l’Harmonie.
Troiſieſmement, parce que l’expe-
rience
fait voir que la France, l’Angle-
terre
, l’Allemagne, l’Eſpagne, &
plu-
ſieurs
aurres Prouinces de l@@wropeſont
ſuiettes
au premier trigone du feu, à
ſçauoir
au Belier, au Lion, &
au
Sagittaire
, dont le Soleil, &
ſont
ſeigneurs
.
Que le ſecond Trigone
terreſtre
, le Taureau, , &
leCapricor-
ne
auec &
influent particulieremĕt
ſur
l’Inde, ſur les Parthes, &
ſut les par-
ties
plus Meridionales de l’Aſie.
Que
le
troiſieſme Trigone aërien, II, , &

le
Verſeau auec , &
dominent ſur
l’Armenie
, la Sarmatie, &
c. Finalemĕt,
que
le Trigone de l’eau, l’Ecreuiſſe, lo
Scorpion
, &
les Poiſſons, auec gou-
uernĕt
la Numidie, Chartage, les Mau-
res
, &
les autres Prouinces de l’Afri-
que
.
A quoy ils adjouſtent que en-
gendre
la peſte, quand il domine ſur les
Eclipſes
de la Lune, ou du Soleil, ou
qu’il
les regarde d’vn aſpect oppoſé, ou
quadrat
, eſtant dans les ſignes de II,
&
le Sagittaire: De maniere que la cõ-
tagion
arriue aux lieux qui ſont ſuiets
aux
ſignes, dans leſquels l’Eclipſe ſe
fait
, &
à la ville qu’on a
43654Preludes de l’Harmonie. de baſtir, lors que le Soleil eſtoit en ce
ſigne
.
Ce qu’ils eſtiment ſi veritable,
qu’ils
croiĕt pouuoir trouuer le temps
precis
, auquel la maladie doit arriuer,
pourueu
qu’ils ſçachent de combien le
Soleil
, ou la Lune eſtoient éloignez de
l’Horoſcope
ſelon la ſucceſſion des ſi-
gnes
lors de l Eclipſe, dautant qu’il
faut
conter deux mois pour chaque ſi-
gne
, &
que la maladie doit durer autãt
de
mois, ou d’années, comme l Eclipſe
de
la Lune, ou du Soleil durera d’heu-
res
:
Mais cette maladie arriuera bien-
toſt
, ſi la conjonction de , &
de
ſe
fait aux étoiles Saturniennes, &
ſi
ſe
trouue dans le Belier, dans le Lion,
ou
dans le Sagittaire.
Quant à l’inclination des hommes,
S
.
Thomas meſme aduoue dans le 3.
liure cõtre les Gentils chap. 86. & 92.
que
les Aſtres nous donnent de diffe-
rentes
inclinations, &
produiſent en
nous
de certaines diſpoſitions, comple-
xions
, &
habitudes, de maniere que
eſtant
dãs l’vne des maiſons de don-
ne
vn excellent eſprit:
& enſeigne en la
premiere
partie de ſa Somme, queſtiõ
115
.
article 4. que les Aſtrologues
43755Preludes de l’Harmonie. contrent le plus ſouuent la verité, dau-
tant
que la volonté ſe porte facilement
à
faire vne mauuaiſe élection, quand
elle
ſuit l’inclination de l’appetit ſen-
ſuel
, qui dépend de l’influence des
Aſtres
.
Il aſſeure auſſi dans ſes com-
mentaires
ſur le ſecond liure qu’a fait
Ari@ote
de la generation, que l’enfant
viura
plus, ou moins, à proportion de
la
force que les planettes auront dans
ſon
Horoſcope;
de vient que quel-
ques-vns
croyent que l’õ pourroit pre-
dire
tout ce qui arriuera à l’enfant en
toute
ſa vie, ſi l’on connoiſſoit parfaite-
ment
la force, &
la nature des Aſtres.
Or ie ne peux ſuiure cette opinion,
car
bien que les Aſtres agiſſent ſur nous
par
leur lumiere, &
, peut eſtre, par
quelque
particuliere influence, ie ne
crois
pas qu’on puiſſe predire le iour, ny
l’année
, dans laquelle la maladie arri-
uera
, dautant que nous ne ſçauons pas
iuſques
à quel point doit venir l’altera-
tion
de l’air, &
des aurres Elemens, la-
quelle
eſt neceſſaire pour engendrer la
contagion
.
D’abondant les Trigones
du
feu, de l’air, de l’eau, &
de la terre,
ne
me ſemblent pas eſtre bien eſtablis;
43856Preludes de l’Harmonie. car pourquoy le Belier, le Lion
&
le Sagittaire gouuernent ils plu-
ſtoſt
la France, l’Angleterre, l’Eſpa-
gne
, l’Allemagne, &
c. que la Numi-
die
, &
les autres prouinces de l’Afrique?
ils deuroient pluſtoſt regir celles-cy,
puis
qu’ils montent plus haut, &
dar-
dent
leurs rayons, &
leurs influences
plus
perpendiculairement ſur leur ho-
rizon
que ſur le noſtre:
Car le Belier
n’a
que quarante &
vn degré d’éleua-
tion
à Paris, quand il eſt en ſon Midy,
le
Lion en a 63.
& le Sagit-
taire
24.
Mais le Lion a 90. de-
grez
d’éleuation és Prouinces Me-
ridionales
, &
le Belier en a autant
ſouz
la ligne équinoctiale:
C’eſt pour-
quoy
ils deuroient pluſtoſt preſider à
ces
parties de la terre, qu à noſtre Eu-
rope
, puis qu’ils ont plus de force dans
les
Prouinces Meridionales, que dans
les
Septentrionales.
Tout ce qu’ils diſent de la grande
conjonction
de , &
de , à laquelle
ils
donnent 794.
ou 800. ans, afin que
chaque
Trigone ait 100.
ans, ne me
ſemble
pas plus veritable quant aux
predictions
qu’ils en tirent.
43957Preludes de l’Harmonie.
Il faut auſſi remarquer qu’ils mettent
dix
moindres conjonctions en chaque
Tiigone
, auant que la grande conjon-
ction
arriue:
& qu’ils diſent que l’vne
de
ces moindres conjonctions ſe fiſt l’an
1622
.
dans le trigone du feu, le dix-hui-
ctieſme
iour de Iuillet, &
que l’autre
arriuèra
l’an 1643.
le ſecond iour de
Mars
, dans le vingt-cinquieſme degré
des
Poiſſons, qui appartiennent au tri-
gone
de l’eau, comme le Lion au
ſixieſme
degré dans lequel ſe fit l’au-
tre
conionction.
Il eſt tres-facile de
trouuer
les autres conionctions, puis
qu’elles
ſe font de vingt en vingtans,
afin
que dix moindres cõjonctions, qui
ſe
font en chaque Trigone, eſtant mul-
tipliées
par quatre, qui eſt le nombre
deſdits
Trigones, donnent 800.
ans
pour
le temps qu’il y a d’vne grãde con-
jonction
à l’autre.
Ce que i’ay voulu remarquer, parce
que
quelques-vns veulent eſtablir la
Chronologie
par le moyen de ces Tri-
gones
, &
ſuppoſent que le monde à
commencé
ſouz la premiere grande
conjonction
, au commencement du
Trigone
du feu;
que la ſeconde
44058Preludes de l’Harmonie. faite lors qu’Enoch viuoit ſainctemĕt,
&
que les fils de Cain inuentoient les
Arts
, &
les Sciences: Que la troiſieſ-
me
eſt arriuée au deluge:
la quatrieſme
à
la ſortie des Hebreux hors de l’Egy-
pte
:
la cinquieſme, quand ils farent
menez
captifs ſouz Iſaïe, &
que les
Olvmpiades
, l’an de Nabonaſſar, &

Rome
commencerent;
& la ſixieſme,
vers
la Natiuité de noſtre Seigneur,
l’an
du monde 3970.
Cecy eſtant poſé,
il
faut que la ſeptieſme ſe ſoit faite vers
le
temps de Charlemagne:
la huictieſ-
me
, quand la nouuelle eſtoile parut
l’an
1588.
& par conſequent la neufieſ-
me
de ces grandes conjonctions arriue-
ra
l’an de grace 2382.
Mais il faudroit prouuer que le mõde
a
eſté creé au cõmencemĕt du trigone
du
feu, auãt que de pouuoir érablir cete
Chronologie
, ce qu’on ne fera iamais.
Quant à la natiuité des villes, elle n’a
pointde
fondemĕt dãs les Horoſcopes
qu’ils
en dreſſent, ſur quoy l’on peut li-
re
Gauric, &
les autres qui ont erige
les
figures, ou les natiuitez de Rome,
de
Milan, de Conſtantinople, &
de
pluſieurs
autres villes.
Ils n’euſſent
44159Preludes de l’Harmonie. employé leur temps plus mal s’ils euſ-
ſent
dreſſé les Horoſcopes de la terre,
&
des autres Flements, ou de la Lune,
de
, &
des autres planettes, car on ne
ſçauroit
rien predire d’aſſeuré ny des
vns
ny des autres.
Parlons maintenant des differentes
inclinations
des hommes, dont traite
ſainct
Thomas depuis le 82.
chap. du
troiſieſme
liure contre les Gentils iuſ-
ques
au 87.
& dãs la premiere partie de
ſa
Somme, queſtion 115.
art. 4. dont
voicy
les paroles, Il eſt plus probable que
l’on
peut predire l’inclination des hommes par
les
Aſtres, dautant que la plus grande partie
des
hommes fuit les paſsions, &
les mouue-
mens
de l’appetit ſenſitif, ſurqui les cieux
ont
quelque pouuoir, carily a peu de ſages qui
reſiſtent
à leurs paſsions, &
qui ſuiuent les
mouuemens
, &
la loy de l’eſprit. Delà vient
que
ce grand Docteur de l’école a dit
que
les corps celeſtes peuuĕt eſtre cau-
ſes
indirectes, &
accidĕtelles des actiõs
humaines
, parce qu’ils agiſſent ſur nos
corps
, dont l’entendement, &
la vo-
lonté
ont beſoin pour faire leurs fon-
ctions
;
& qu’il eſt neceſſaire que les
actions
de oes facultez ſoient
44260Preludes de l’Harmonie. chées quand les organes corporels ſont
mal
diſpoſez, comme il arriue à l œil,
qui
a la iauniſſe, ou à l’imagination qui
eſt
troublée:
Car il faut que l’entende-
ment
ſe ſerue de l’imagination, qui cõ-
munique
ſon indiſpoſition, &
ſon im-
perfection
aux operations intellectuel-
les
, comme le verre coloré communi-
que
la ſienne à la lumiere du Soleil.
Quant à la volonté, elle ne ſuit pas ſi
neceſſairement
les émotions de l’appe-
tit
concupiſcible, &
de l’iraſcible; car
elle
peut les corriget, &
s oppoſer à leur
violence
par des mouuemĕs contraires:
ce que ſainct Paul à remarqué quand il
a
dit que l’eſprit reſiſte à la chair:
d’où
il
appert que les influences celeſtes ont
moins
de force ſur la volonté que ſur
l’entendement
, qui ne peut corriger
l’imperfection
, &
la perturbation de
l’imagination
, &
des autres facultez
qui
luy ſont neceſſaires.
Nous pouuons done conclurre que
les
Horoſcopes, par leſquels nous auõs
monſtré
quelle natiuité doit auoir le
parfaict
Muſicien, ne doiuent pas eſtre
entierement
rejettez, puis que le Do-
cteur
Angelique, &
preſque tous
44361Preludes de l’Harmonie. doctes auec luy confeſſent qu’on peut
predire
les inclinations, &
la perfectiõ
du
corps, &
de l’eſprit par les regles que
Ptolomée
&
les autres ont données:
car ie ne veux pas m’oppoſer à vne opi-
nion
receuë par de ſi grãdsperſonnages,
&
qui ſemble eſtre confirmée par plu-
ſieurs
experiences.
Ie diray neãtmoins
qu’il
ſemble qu’on ne peut rien predire
d’aſſeuré
des inclinations, ou de la per-
fection
de l’enfant, à raiſon de la matie-
re
, dont ſon corps eſt formé:
du laict,
&
des autres viandes, dont il eſt nourry;
de
l’air qu’il inſpire, des diuerſes com-
pagnies
parmy leſquelles il eſt éleué,
&
de mille autres circonſtances, qui
ſont
grandement conſiderables, &
trop
ſuffiſantes
pour empeſcher toutes les
predictiõs
des Aſtrologues, encore qu’ils
euſſent
vne parfaite connoiſſance de la
nature
, &
des effects de tous les Aſtres,
laquelle
ils n’auront iamais.
A quoy
l’on
peut adjouſter qu’il faudroit voir ſi
les
planettes eſtant dans les meſmes ſi-
gnes
vers leMidy, vers la ligne Equino-
ctiale
, &
vers l’Orient, comme en la
Chine
, &
au Iapon, ont meſme force,
&
produiſent les meſmes effects
44462Preludes de l’Harmonie. dans l’Europe; Et ſi les meſmes choſes
arriuent
par tout le monde, ſouz meſ-
mes
aſpects, &
meſmes conſtellations:
car ſi cela n’eſt vniforme, il n’y a nulle
certitude
dans l’Aſtrologie Iudiciaire.
Ie veux acheuer ce diſcours par vne
raiſon
qui toute ſeule peut monſtrer
l’incertitude
de l’Aſtrologie, laquelle
n’eſtant
fondée que ſur les experiences
dont
ſe vantent les Aſtrologues, elle
ſera
entierement renuerſee, ſi iamais
l’on
n’a faire deux ſemblables expe-
riences
.
Or il eſt tres certain que les Aſtres,
ceſt
à dire les étoiles, &
les planettes,
dont
les Horoſcopes, &
toute l’Aſtro-
logie
tirent leurs vertus, leurs ſignifica-
tions
, &
leurs diſcours, n’ont eu iamais
deux
fois vne meſme diſpoſition entre-
elles
, &
n’ont iamais regardé deux fois
la
terre d’vn meſime aſpect, &
par con-
ſequĕt
ne nous ont point enuoyé deux
fois
leurs in fluences d’vne meſine façõ:
dõc les Aſtrologues n’ont faire deux
experiĕces
ſemblables de l’influĕce des
cieux
depuis la creation du monde iuſ-
ques
à preſent:
& conſequemment ils
ne
peuuent rien predire d’aſſcuré
44563Preludes de l’Harmonie. les Horoſcopes, iuſques à ce que les
Aſtres
ayent la meſme diſpoſitiõ, qu’ils
ont
remarquéevne ſeule fois, afin qu’ils
ſe
ſeruent pour le moins de deux ſem-
blables
experiences pour eſtablir la ve-
rité
de leurs predictions.
Que ſi l’on de-
mande
combien il faut de temps pour
faire
d’eux ſemblables obſeruations, ie
répõs
qu’il faut pour le moins 6336000.
années; car les ſimples periodes, ou
cours
de Mars, de lupiter, de Saturne,
&
des étoiles, c’eſt à dire les 2, les 12,
les
30, &
les 28800. années du cours de
, de , de , &
du firmamĕt ſe multi-
pliant
font ſix milious trois cent trente
ſix
mille années.
I’ay dit pour le moins;
car
le nõbre des années ſera beaucoup
plus
grand, ſi l’on multiplie le temps
des
autres planettes, &
de tous leurs
excentriques
, epicycles, &
autres mou-
uemens
particuliers, par le nombre des
années
ſuſdites.
Et à vray dire ie croy que S. Thomas
n’euſt
iamais donné de ſi grands auan-
tages
aux A ſtrologues, comme il a fait
aux
lieux que i’ay rapportez, s’il euſt
plus
eſtudié à cet art, &
s’il euſt conſi-
deré
cette raiſon:
Mais il s’eſt
44664Preludes de l’Harmonie. de conſeruer la liberté des hommes,
&
la prouidence de Dieu; Et a laiſſé la
liberté
aux Iudiciaires de predire ce
qui
dépend des paſſions, &
du tempe-
tament
, ſans examiner plus particulie-
rement
ſi cela ſe pouuoit faire par l’A-
ſtrologie
, ou s’il ſurpaſſoit l’induſtrie, &

la
connoiſſance des hommes.
Et s’il euſt interrogé les plus ſçauans
Aſtrologues
du mõde, &
ſi leur euſt de-
mandé
quelque maxime certaine, &

infaillible
de leur art, il euſſent confeſ-
ſé
ingenuëment qu’il ny en a point.
Et
s’ils
euſſent eu honte de le confeſſer, il
euſt
eſté facile de les contraindre par
l’experience
meſme d’aduoüer cette
verité
.
COROLLAIRE I.
L’on verra encere plus clairment
dans
la ptopoſition qui ſuit qu’il n’y a
nulle
raiſon qui perſuade la verité de
l’Aſtrologie
, que l’on appelle la Iudi-
ciaire
, &
conſequemment qu’il la faut
oſter
du nombre des Sciences &
des
Arts
liberaux, car elle fait voir ſi eui-
demment
la vanité des fondemens, &
44765Preludes de l’Harmonie. des regles dont vſent les Aſtrologues,
qu’il
eſt mal-aiſé de la lire attentiue-
ment
que l’on ne ſe departe incontinĕt
de
leurs maximes pretenduës.
COROLLAIRE II.
Si l’on conſidere la grande diuerſité
des
macules, ou taches du Soleil, &
les
differents
effets qui peuuent eſtre pro-
duits
par leur preſence, ou par leur ab-
ſence
, à rai ſon que le Soleil perd beau-
coup
de ſa lumiere lors qu’il en eſt cou-
uert
, &
qu’il eſt beaucoup plus clair, &
plus
reſplendiſſant, quand il n’en a
point
, &
qu’il a pluſieurs flambeaux
qui
l’accompagnent, dont les vns ſont
auſſi
grands que toute la terre, &
neãt-
moins
que l’on ne peut predire la naiſ-
ſance
, ou l’apparĕce de ces flãbeaux, ny
de
ces macules, quoy qu’elles ſoiĕt ſou
uent
plus grãdes que le corps de la Lu-
ne
, l’on ſera cõtraint d’auoüerqu’il n’eſt
pas
poſſible de predire aucune choſe
par
les regles de ceux qui n’ont pas ſeu-
lement
conneu qu’il y euſt des taches
dans
le Soleil, dont Schener a écrit vn
gros
volume qui mei ite d’eſtre leu.
44866Preludes de l’Harmonie.
COROLLAIRE III.
I’adjouſte la propoſition qui ſuit, dõt
i’ay
pris le diſcours dans l’Apologie que
Monſieur
Gaſſendi Theologal de Di-
gne
m’a fait voir en faueur des atomes
d’Epicure
, laquelle contient la Phyſi.
que beaucoup plus parfaitement que
nul
autre liure que i’aye iamais veu;
car
elle
comprend tout ce que l’on peut s’i-
maginer
de plus ſubtil, &
de plus excel-
lent
dans toutes les Hypotheſes des an-
ciens
, &
des Modernes, dont elle peut
ayſément
ſuppléer tous les liures:
i’eſ-
pere
qu’il la donnera bien-toſt au pu-
blic
, &
que l’on ne ſera pas ſi ignorant
qu’auparauant
, apres qu’on l’aura leuë,
&
entenduë.
44967Preludes de l’Harmonie.
QVESTION III.
Que les hommes ſçauans, & iudicieux re-
iettent
l’Aſtrologie Iudiciaire, parce qu’el-
le
n’a nul fondement, ou principe ſolide;
&
que
toutes les maximes des Aſtrologues
ſont
dignes de riſée:
& conſequemment
que
l’on ne peut rien predire d’aſſeuré, ni
de
probable de la naiſſance des hommes
par
le moyen des Aſtres.
ENcore que ce que i’ay dit cy deſſus
ſoit
ſuffiſant pour faire paroiſtre la
vanité
de l’Aſtrologie, neãtmoins i’ad-
jouſte
ce diſcours, afin que nul ne s’y
amuſe
, &
que ceux qui ſont ſtudieux,
emploiĕt
leur tĕps à de meilleures cho-
ſes
.
Or puiſque l’on ne peut ſçauoir le
vray
point de l’Ecliptique, qui ſe leue
ſur
l’horizon à l’inſtant que l’enfantviĕt
au
monde, il n’eſt pas poſſible de faire
ſon
Horoſcope, puis que l’on ignore le
point
qu’il faut diriger, &
dont il faut
vſer
pour determiner le tĕps de la vie,
car
ſi l’on manque de demie heure, le
prognoſtic
des années manquera de 7.
45068Preludes de l’Harmonie. ou huict ans, que l’enfant doit viure.
D’ailleurs l’enfant ſort par parties du
ventre
de la mere, &
lors que les pieds
ſortent
, la teſte eſt deſia frappée pat les
Aſtres
, &
ſuiette au deſtin, auant que
l’on
puiſſe faire l’Horoſcope des pieds.
A quoy Cardan répond au 2. Chap. du
3
.
liure du Quadripartit, qu’il faut con-
ſiderer
le temps, auquel commence la
reſpiration
;
mais il dit ſeulement cela
pour
euiter la diffi@ulté, car vn peu d’air
rcſpiré
ne peut chãger le deſtin:
& puis
l’on
remarque qu’il y en a qui reſpirent
dans
le ventre de la mere.
Mais ſans penetrer ſi auant; c’eſt cho-
ſe
aſſeurée que nul Aſtrologue ne ſçau-
roit
remarquer le peu de temps qui eſt
a
entre la naiſſance de deux enfans iu-
meaux
, &
qu’ils manquent le plus ſou-
uent
à prendre le vray temps de la naiſ-
ſance
, des iours entiers.
Quant à ceux qui ſe ſeruent des hor-
loges
ordinaires, l’experience monſtre
qu’elles
ſont ſi differentes que l’on en
prend
la comparaiſon pour ſignifier le
diſcord
, &
le deſordre. Et ſi l’on vſe de
l’Aſtrolable
, ſuiuant le conſeil de Pto-
lomée
, l’õ ſçait premierement que
45169Preludes de l’Harmonie. qui dreſſent la figure de la natiuité, n’õt
pas
l’Aſtrolabe en main tandis que la
femme
eſt en trauail:
& le Ciel eſt ſou-
uent
ſi couuert, tãt de iour que de nuit,
que
l’on ne voit point le Soleil, ny les
étoiles
, dont on n’auoit pas connu les
vrays
lieux que iuſques à preſent;
&
puis
la vraye h@uteur du Pole &
la lon-
gitude
n’eſt connuë qu en fort peu de
lieux
.
A quoy l’on peut adiouſter le
méconte
qui vient des refractions, la
mauuaiſe
fabrique, ou la petiteſſe des
inſtrumens
, &
mille autres circonſtan-
ces
des obſeruations, qui empeſchent
que
l’on puiſſe remarquer levray temps
de
la natiuité.
Car quant aux 3. manieres qui leur
ſeruent
pour iuſtifier le temps, dont la
premiere
s’appelle Trutina Hermetis, la
Balance
, ou le Trebuchet d’Hermes, qu’ils
tirent
de la 51.
ſentence du Centiloque
de
Ptolomée, il eſt dit que l’Horoſ-
cope
ſe rencontre au meſme ſigne, au-
quel
eſtoit la Lune au temps de la con-
ceptiõ
, ou au ſigne oppoſé, ils n’en peu-
uent
tirer de certitude, ny ayant nullo
apparĕce
de croite qu’ils puiſſent trou-
uer
le temps de la naiſſance par
45270Preludes de l’Harmonie. de la conception, qu’ils ne ſçauent pas.
Et Ptolomée parle ſeulement du ſigne,
&
non du degré, ou de la minute, &
conſequemment
ils peuuent s’abuſer
de
deux heures, puis qu’vn ſigne, qui à
30
.
degrez, employe deux heures à ſe
leuer
.
La 2. maniere qu’ils appellent, Ani-
modar
, ou Almute &
Almuſteli, n’eſt
pas
meilleure, quoy que Ptolomée l’ĕ-
ſeigne
au chap.
2. du 3. liure, il dit
qu’il
faut obſeruer la Lune pleine, ou
nouuelle
, qui precede immediatement
la
naiſſance, &
voir quel planette à la
principale
authotité dans le 6.
lieu du
Ciel
, dans lequel la conjonction, ou
l’oppoſition
eſt arriuée, afin de remar-
qué
le degré du ſigne, que tient le meſ-
me
planette au temps de la naiſſance,
&
conſequemment dans l’Horoſcope,
&
de comparer le nombre de ce degré
auec
celuy du degré de l’Orient, &
du
milieu
du Ciel, car ils veulent que le
nombre
de ſes degrez ſoit égal à celuy
dont
il eſt plus proche.
Mais outre que l’experience monſtre
le
contraire, &
que cette methode n’a
point
d’autre fondement que
45371Preludes de l’Harmonie. nation, elle ne peut eſtre iuſte d’auec
les
climats differents, pluſieurs peu-
uent
naiſtre à meſme heure, en apres, lo
temps
que l’on prend, peut tromper en
mille
façons, cemme ſçauent tres-bien
ceux
qui font les obſeruations du Ciel.
La troiſieſme maniere ſe prend des
accidens
de la vie de celuy, dont on
dreſſe
la figure, dautant que Cardan dit
au
158.
du 6. des Aphoriſmes, que les
Sages
ne iugent pas ſeulement de l’en-
fant
par la naiſſance, mais auſſi de la
naiſſance
par l’enfant;
car comme l’on
ſe
ſert de la naiſſance pour trouuer le
temps
des accidens, qui doiuent arriuer
à
l’enfant par le moyen des directions,
des
tranſitions, &
des profections an-
nuelles
, de meſme l’on trouue le temps
de
la naiſſance par leſdits accidens.
Mais cette methode ne peut ſeruir pour
l’enfant
, auquel il n’eſt point arriué do
notable
accident, &
tout ce qu’ils di-
ſent
dc ces accidens, n’a nulle preuue.

Et
bien qu’ils euſſent trouué le vray
point
de la natiuité, il ne s’enſuit nul-
lement
qu’ils puiſſent predire aucune
choſe
, dautant qu’ils diuiſent le Ciel en
12
.
parties par le moyen des ſix
45472Preludes de l’Harmonie. qui le couppent en deux points oppo-
ſez
, afin qu’ils diuiſent le Zodiaque en
12
.
parties, dont celle qui eſt ſouz l’ho-
rizon
, &
qui commence à ſe leuer, eſt
appellée
premiere maiſon, &
celle qui
ſuit
ſouz l’horizon, eſt la ſeconde, &

ainſi
conſequemment des autres en al-
lant
de la main droito à la gauche.
Mais
ils
ſont ſi differents dans leurs opinions
en
ce qui cõcerne la queſtiõ des points
de
l’interſection, qu’il n’eſt pas poſſible
de
les accorder:
car les vnes couppent
les
cercles du Ciel au pole du Zodia-
que
, les autres au pole du monde, &
les
autres
aux points, auſquels les Meri-
diens
couppent l’horizon.
Or ceux qui
couppent
les cercles aux poles du Zo-
diaque
, les diuiſent en 12.
parties éga-
les
, ou ſeulemĕt les arcs oppoſez, qu’ils
appellent
demidiurnes, &
deminoctur-
nes
, en 3.
parties égales. Les Chaldeans
ont
ſuiuy la premiere maniere, comme
remarque
Sexte Empirique, quoy que
Ptolomée
la reiette au chap.
11. du 3.
liure, & apres luy pluſieurs autres, com-
me
Firmic, Schonner, &
Cardan, qui
la
nomment égale.
Gauric ſuit la 2. maniere,
45573Preludes de l’Harmonie.Scalier attribuë aux Indiens, ſur le 3.
liure de Manile; mais ils diminuënt 8.
degrez
au commencement de chaque
maiſon
, &
de chaque lieu des planet-
tes
.
Ceux qui couppent les cercles an po-
le
du monde, accommodent les arcs
deminocturnes
, &
demidiurnes à l’E-
quateur
par le moyen des deux princi-
paux
cercles des declinaiſons, qui ſub-
diuiſent
les quarts de l’Equateur par
d’autres
cercles en 3.
parties égales;
d’où il arriue qu’ils. diuiſent le Zodia-
que
d’vne autre façon en 12.
parties é-
gales
.
Or Acabicius, & ſon commenta-
teur
Iean de Saxe ſuiuent cette ma-
niere
.
Finalement ceux qui ſe ſeruent des
ſections
de l’horizon, &
du Meridien,
diuiſent
l’Equateur en 12.
parties éga-
les
, &
conſequemment le Zodiaque
en
12.
partios inegales, dont les parties
diurnes
, &
nocturnes oppoſées ſont ſeu-
lement
égales.
Il arriue la meſme choſe à ceux qui ſe
ſeruent
du premier vertical au lieu de
l’Equateur
;
& Iean du Mont Royal
auec
AbenEzra ſuit cette maniere,
45674Preludes de l’Harmonie. appelle Rationelle, laquelle eſt mainte-
nant
ſuiuie d’vn grãd nombre d’Aſtro-
logues
, quoy que Campan &
Gazule
ſuiuent
l’autre.
Quant aux 12. maiſons, ils nomment
la
premiere l’ Horoſcope, la maiſon de la
vie
, du temperamment, &
des acci-
dents
.
La 2. la porte inferieure, & la mai-
ſon
desricheſſes, que l’on acquiert par
induſtrie
, la 3.
Deeſſe, & la maiſon des
freres
, &
des petits voyages. La 4. le
profond
du Ciel.
La 5. bunne fortune, &
maiſon
des enfans.
La 6. mauuaiſe for-
tune
, &
maiſon de la ſanté, des mala-
dies
, &
des ſeruiteurs. La 7. le couchant,
la
maiſon du mariage, &
des achapts,
&
c. La 8. le principe de la mort, & la mai-
ſon
desthreſors cachez.
La 9. Dieu, &
la
maiſon de la Religion, des ſonges,
&
des longs voyages. La 10. le milieu du
Cicl
, &
la maiſon des dignitez, & des
conditions
de la vie.
L’onzieſme, le
bon
demon, &
la maiſon des amis. La 12.
le mauuais demon, & la maiſon des enne-
mis
, &
des priſons.
Iìs adjouſtent que la 1, 4, 7, & 10. ſont
les
angles d’ou dependent les autres en
qualité
de ſuccedentes, &
de cheutes:
45775Preludes de l’Harmonie. que la 1, 2, & 3, qui ſuiuent, font le
quart
de l’ccidĕt, de l’Autonne, &
de
la
melancholie:
que les 3. autres ſont
pour
le Midy, pour l’Eſté, &
pour la
cholere
, &
les 3. dernieres pour l’Oriĕt,
&
pour les ſanguins.
Ie laiſſe mille autres choſes qui ſont ſi
ridicules
que ie n’oſe les rapporter:
par
exemple
, que la premiere maiſon preſi-
de
au blanc, la 2.
au verd, & c. Car
pourquoy
le Ciel eſt-il pluſtoſt diuiſé
en
12.
parties, qu’en 8, 10, 16. 20, ou 60,
parties
?
En apres cette diuiſion ne ſe-
roit-elle
pas auſſi bonne, ou meilleure,
ſi
elle ſe faiſoit par 12.
cercles paralleles
à
l’horizon?
ou en 12. qui ſe coupaſſent
au
vertical, &
au point oppoſé? Ets’ils
veulent
que le Zodiaque ſoit diuiſé en
12
.
parties égales, que ne le diuiſent-ils
tous
d’vne meſme diuiſion, afin que ce
qui
eſt la premiere maiſon à l’vn, ne ſer-
ue
pas d’vne autre maiſon à l’autre?
A quoy l’on peut adjouſter que la
maiſon
qui eſt toute ſur l’horiſon, doit
pluſtoſt
eſtre la premiere maiſon que la
12
.
ou du moins ils deuroient attendre
que
la moitié de cette maiſon fuſt le-
uée
;
& la 10. maiſon, qui eſt celle
45876Preludes de l’Harmonie. milieu du Ciel, deuroit eſtre moitié
vers
le couchant, &
moitié vers le le-
uant
, &
meriteroit mieux le nom de
premiere
que l’autre;
ou bien ils de-
uroient
donner cette prerogatiue à la
maiſon
, dans laquelle le Soleil ſe ren-
contre
, puis qu’il eſt le Roy des Aſtres.
D’ailleurs, ſi la maiſon, qui commen-
ce
à ſe leuer, eſt pour la vie, que celle
qui
ſe couche, n’eſt elle pour la mort?
pourquoy la 8. maiſon fait elle pluſtoſt
mourir
?
d’où contracte elle vne ſi grã-
de
malice?
Les maiſons ont elles cette
force
, ou cette ſignification du premier
mobile
?
Comment la meſme partie de
ce
Ciel eſt-elle heureuſe, &
puis mal-
heureuſe
ſelon les differentes maiſons?

Pourquoy
vne partie de ce Ciel eſt elle
plus
mal-heureuſe dans l’vne des mai-
ſons
que dans les autres.
Ceſt choſe eſtrange que donne de
grands
biens dans la premiere, &
de
grands
maux dans la 12.
& qu’il donne
des
fols &
des roturiers dãs la 8. au lieu
des
dignitez qu’il donne dans la 10.
&
des
dignitez Eceleſiaſtiques qu’il don-
nent
dans la cinquieſme.
Lors que quelq’vn vient au
45977Preludes de l’Harmonie. pourquoy le deſtin de ſes freres eſt-il
écrit
dans la troiſieſme maiſon, celuy
des
parens dans la 4.
celuy des fils dans
la
5.
celuy de la femme dans la 7. & ce-
luy
des amis dans l’onzieſme?
Qui à
marqué
le logis aux grands animaux
dans
la 12.
eſtans petits dans la 6. quel
Mercure
à mis les longs voyages dans
la
9.
& les courts dans la troiſieſme?
Mais cõme peut on eſperer de trou-
uer
quelque verité dans l’Aſtrologie,
puiſque
les principaux Autheurs ne
s’accordent
pas en ces maiſons, qui ſer-
uent
de fondèment à la ſcience?
Car
Ptolomée
iuge autrement que les au-
tres
:
& Manile les commence par la
Fortune
, &
non par l’Horoſcope, dont
elle
eſt touſiours auſſi éloignée, que le
Soleil
de la Lune.
Ie laiſſe pluſieurs diuiſions des ſignes
en
chauds, humides, maſculins, femi-
nins
, beaux, laids, muets, parlants, &
c.
qui ſeruent pluſtoſt pour faire rire, que
pour
inſtruire, &
qui n’ont ſeulement
pas
l’ombre de la raiſon, ni de la vraye-
ſemblance
pour leur fondement.
Et ſi
l’on
conſidere les nouueaux deſtins
qu’ils
donnent à chaque degré
46078Preludes de l’Harmonie. eſtablir leur Monomerie & Myriogeneſe,
l’on
s’eſtonnera que l’ame raiſonnable
d’vn
homme puiſſe tõber en de ſi eſtrã-
ges
manies:
Car, diſent-ils, ſi l’Ho-
roſcope
eſt au premier degré d’Aries, il
ſignifie
la naiſſance des Roys;
s’il eſt en
la
2.
il ſignifie les larrons; il ſignifie les
borgnes
dãs la 3.
& c. Et afin qu’ils trou-
uent
leur conte, ils diuiſent encore les
degrez
en minutes, &
diſent que le Be-
lier
preſide à la teſte, le Taureau au col,
&
c. que le Liõ domine à l’Italie, le Be-
lier
à la France, &
particulierement à la
ville
de Marſeille:
que la Vierge gou-
uerne
Paris, le Sagittaire Auignon, etc.
Quant aux maiſons des planettes, ils
logent
la Lune dans l’Eſcreuiſſe, &
le
Soleil
au Lion, car ils ne leur donnent
qu’vne
maiſon, quoy qu’ils en donnent
2
.
aux autres: par exĕple, les Iumeaux,
&
la Vierge à Mercure, dont l’vne eſt
pour
leiour, &
l’autre pour la nuict: &
afin
que les planettes ayent quelque re-
fuge
dans leurs banniſſements, les lieux
du
Ciel oppoſez à leurs maiſons leur
ſeruent
d’exil, comme les lieux oppo-
ſez
à leurs exaltations leurs ſeruent de
cheutes
:
Car ils exaltent le au
46179Preludes de l’Harmonie. lier, & an Scorpion. Or ils ne veu-
lent
pas que le Lion, &
l’A quarius ſer-
uent
d’exaltatiõ, ou de cheute à aucun
planette
.
Et comme s’ils eſtoient les fourriers
de
l’armée Celeſte, ils marquent les
logis
à chaque planette qu’ils exaltent,
ou
depriment comme ils veulent, ſans
oublier
la teſte &
la queuë du Dragon,
qu’ils
exaltent dans les Iumeaux, &
dãs
le
Verſeau, de ſorte que l’on croiroit à
les
ouïr parler qu’ils ſont les Roys, &
les
ſouuerains
maiſtres du Ciel.
Ils diſpoſent encore les degrez des
ſignes
pat dizaines, qu’ils appellĕt faces,
afin
que les planettes ayent leurs faces:
par exemple, que ayt les 10. premiers
degrez
d’Aries:
que le Soleil ayt les 10.
qui
ſuiuent, &
les 10. derniers: à les
10
.
premiers du Taureau, & ainſi des
autres
.
A quoy ils adiouſtĕt les Termes, qu’ils
appelient
fins, afin de les donner aux 5.
moindres planettes: car à les 6. pre-
miers
degrez d’Aries:
à les 6. ou 8.
ſuiuans
:
les 6. ou 8. qui ſuiuent, &
ainſi
des autres.
Ie laiſſe maintenant
les
Trigones, dont ils departent
46280Preludes de l’Harmonie. du feu, qu’ils appellent ignée, au , & à
, &
mille autres reſueries, qui n’ont
nul
fondement.
Or ils ont ſi peu de iugement qu’ils ne
dõnent
quaſi nulle vertu aux ſignes, &

aux
Aſteriſmes qui ſont hors du Zodia-
que
, quoy qu’ils ſoient en plus grand
nombre
que les autres, &
qu’ils ayent
des
étoiles tres-grandes, &
tres-nota-
bles
, comme l’on void dans l’horion,
auquel
ils attribuent fort peu, en com-
paraiſon
de ce qu’ils donnent au petit
Aſne
de l Eſcreuiſſe:
car encore qu’il
ſoit
preſque inuiſible, ils diſent neant-
moins
qu’il eſt tres-puiſſant pour exci-
ter
les tempeſtes.
D’ailleurs ils donuent la puiſſance
d’agir
ſur nous aux ſignes du premier
mobile
, &
non à ceux du firmament,
qui
retrogradent peu à peu, &
vont au
contraire
du mouuement des ſignes du
premier
mobile.
De vient que le Be-
lier
du fit mament eſt maintenant dans
les
poiſſons du premier mobile, &
qu’il
entrera
apres dans l’Aquarius, dans le
Capricorne
, &
c.
C’eſt dans ce premier mobile qu’ils
eſtabliſſent
leurs Dodecatemories
46381Preludes de l’Harmonie. quelqu’vns diſent eſtre la partie du Zo-
diaque
, à laquelle ſinit le nombre des
degrez
, ſe rencontre le planette,
apres
qu’il à eſté multiplié par 12:
par
exemple
, ſi le planette eſt au 5.
degré,
&
5 du Belier, le dodecatemorie finit
au
premier degré des Gemeaux, dãs le-
quel
ils mettent le dodecatemorie du
planette
, parce que 5.
5’. multipliez par
12
.
donnent 61. leſquels eſtant contez
dés
le commencement du Belier don-
nent
le premier degré des II.
Quant à la force des planettes, ils di-
ſent
que le échauffe en ſeichant, que
bruſle, que ameine le froid, que
&
ſont les bonnes fortunes, que le ,
, &
ſont maſles, la , & femel-
les
;
& que eſt androgyne; qu’ils ſont
plus
maſles, lors qu’ils ont plus de lu-
miere
, &
qu’ils ſont Orientaux, & di-
rects
:
que le , , & ſont diurnes, &
les
autres nocturnes.
Or ils leur departent pluſieurs de-
grez
de force, &
de dignitez ſuiuant les
lieux
du Zodiaque ils ſe rencõtrent:
Car ils leur donnent 5. degrez de force,
s’ils
ſont dans leur maiſon, ils leur on
donnent
4.
pour leur exaltatiõ, 3.
46482Preludes de l’Harmonie. leur triplicité, deux pour leur fin, & vn
pour
leur dizamier, qu’ils appellĕt deca-
nus
:
& lors que le planette n’a nulle di-
gnité
, ils diſent qu’il eſt fatal, car ils luy
donnent
diuers degrez de debilité, à
ſçauoir
5.
quãd il eſt hors de ſa maiſon,
5
.
dans ſon exil, & 4. dans ſa cheute.
Ils appellent l’amas de toutes, ou de
pluſieurs
de ces dignitez le Chariot, &
le
Throſne
royal;
& quand le planette eſt
auſſi
éloigné du , ou de la , comme
ſa
maiſon eſt éloignée de leur maiſon,
ils
appellent cette dignité Almugée, ou
Perſone
, laquelle n’a qu’vn degré de for-
ce
.
Chaque planette à auſſi vne vertu
particuliere
dans chaque ſigne;
car
apporte
pluſieurs maux dans le Belier,
dans
le , il priue de l’heritage pater-
nel
, &
c. dans ſa maiſon il depart la fa-
ueur
, dans celle de il fait mourir le
pere
:
de ſorte que s’il eſt direct, il accõ-
plit
ce qu’il promettoit:
s’il eſt retro-
grade
, il le reuoque, &
s’il eſt ſtation-
naire
, il le retarde.
Ils comparent encore les planettes
les
vns aux autres, afin d’eſtablir leurs
aſpects
, dontle Sextil &
le Trin ſont be-
nefiques
, le Quadral, &
L’oppoſition
46583Preludes de l’Harmonie. malefiques, & la Conionction eſt entre-
deux
:
& prennent leurs dignitez, &
leurs
debilitez accidentelles de ces aſ-
pects
, comme ils ont pris leurs dignitez
eſſent@
elles des autres conſiderations,
dont
nous auons parlé deuãt:
Carl’aſ-
pect
***
des planettes benefiques à 4.
de-
grez
de force;
auec le , & , 3. auccla
Lune
2.
& auec les malefiques, c’eſt à
dire
auec , &
, 1. & l’aſpect * en a
touſiours
vne moins que le ***
:
le , des
malefiques
a 4.
debilitez, & 3. auec le
Soleil
:
mais les aſpects malefiques des
planettes
benefiques n’ont nulle di-
gnité
.
Or les aſpects ne ſont pas touſiours
partils
, c’eſt à dire exacts, &
iuſtes, cat
ils
ſont ſouuent platiques, &
l’eſpace qui
precede
le vray aſpect, s’appelle applica-
tion
, comme celuy qui ſuit, &
qui ſe fait
par
le planette le plus viſte, ſe nomme
ſeparation
.
Ils prennent encore d’autres
dignitez
, ou debilitez des planettes,
lors
qu’ils ſont dans le camizi, ou dans lo
cœur
du Soleil, c’eſt à dire qu’ils luy
ſont
conjoints, &
qu’ils ſont bruſlez, ce
qui
arriue tandis qu’ils ne ſont pas éloi-
gnez
de plus de 6.
degrez du Soleil,
46684Preludes de l’Harmonie. qu’ils ſont bypauges, c’eſt à dire entre le
16
.
degré.
Ie laiſſe pluſieurs autres diuiſions des
planettes
en Orientaux, ou dextres, &

Occidentaux
, ou gauches, &
en dirrcts,
@trogrades
, legers, tardifs, &
c. afin d’a-
jouſter
ce qu’ils eſtiment dauantage, à
ſçauoir
que chaque planette ſe reſioüit
dans
ſa maiſon, dans laquelle il eſt le
principal
ſignificateur, comme eſt
dans
la 12;
dans l’onzieſme, dans
la
10.
le Soleil dans la 9. dans la 5.
dans
la 1.
& la dans la 3.
En apres ils ont des forces differentes
dans
les differentes maiſons, dans leſ-
quelles
ils ſe rencontrent:
Car & ,
font
la vie courte dans la 1.
& la
donnent
longue:
le donne les com-
mendements
;
la ſcience, & la Lune
les
voyages:
& donnent la pauure-
dans la 2.
dans laquelle & don-
nent
les richeſſes:
le la beauté, &
la
faueur, &
c.
A quoy ils adiouſtent la teſte, & la
queuë
du Dragõ qu’ils marquĕt de ces
caracteres
, la partie de la fortune, qu’ils
marquent
ainſi ***
, &
qui eſt la
46785Preludes de l’Harmonie. du Zo liaque, dans laquelle (en con-
tant
depuis le Belier) tombe le nombre
compoſé
du degré qui s’éleue, c’eſt à di-
re
de l’Horoſcope, &
de la diſtance du
Soleil
à la Lune:
car la teſte du Dragon
donne
l’honneur dans la 1.
la queuë y
bleſſc
l’œil, &
***
fait que l’on eſt heu-
reux
aux ieux, &
aux contracts.
Or le planette quià le plus grand nõ-
bre
de dignitez, eſt le ſeigneur de la fi-
gure
, &
de l’année, lors qu’elle eſt dreſ-
ſée
au commencement du printemps:
& lors qu’il à plus de dignitez dans le
commencement
d’vn ſigne, il eſt ſei-
gneur
de la maiſon:
& s’il eſt dans le
premier
degré, ils le nomment Almu-
ten
, c’eſt à dire diſpoſiteur de la maiſon:

&
c’cſt ſuiuant cette doctrine, qu’ils di-
ſent
le Seigneur de l’aſcendant, de l’Ho-
roſcope
, &
c. Ie laiſſe la domination &
l’empire
, qu’ils leur dõnent ſur les heu-
res
, ſur les âges, &
ſur les eſtats, & c.
comme
lors qu’ils diſent que preſide
à
l’agriculture, à la politique, à la
guerre
, le Soleil aux honneurs, à l’a-
mour
, à la marchandiſe, &
la aux
voyages
.
Parce que ie croy que les
46886Preludes de l’Harmonie. de leur doctrine, que i’ay rapportez iuſ-
ques
à preſent, ſont aſſez ridicules pour
faire
voir leur vanité, &
la fauſſeté de
toute
l’A ſtrologie Iudiciaire.
Car qu’el-
le
apparence y à il que le Belier ſoit de
la
nature du feu, puis qu’il donne tant
de
pluyes, &
que l’Ecreuiſſe ſoit de la
nature
de l’cau, ſouz lequel nous endu-
rons
de ſi grandes chaleurs?
Peut-on deſirer vn plus grãd teſmoi-
gnage
de la folie des A ſtrologues, que
quand
on conſidere les beſtes qu’il met-
tent
au Ciel pour nous rendre gras, ou
maigres
:
pourquoy le Belier eſt - il plu-
ſtoſt
maſle quele , qui eſt plus chaud?
& pourquoy le Belier preſide-il pluſtoſt
à
la teſte que le Lion, ou l’Ecreuiſſe?

pourquoy
les Poiſſons preſidĕt ils aux
pieds
, veu qu’ils n’en ont point, &
qu’ils
ſontioints
au Belier?
La preference qu’ils leur donnent ſur
la
ſuitte des années, &
ſur les villes n’eſt
pas
mieux eſtablie, car le Ciel, ou la ter-
re
eſtant mobiles, vn ſigne n’influë pas
dauãtage
ſur vne Prouince, ou ſur vne
ville
, que ſur l’autre, qui à meſme lati-
tude
, &
neantmoins ils aſſuiettiſſent
vne
Prouince entiere à vn ſigne, &
46987Preludes de l’Harmonie. villes de cette meſme Prouince à d’au-
tres
ſignes.
Certainement il n’y à nulle raiſon
pourquoy
vn planette a pluſtoſt vne
maiſon
de la figure, que toutes les mai-
ſons
, puis qu’il n’y à nul iour dans le-
quel
chaque planette ne ſe rencon-
tre
dans toutes leſdites maiſons.
En
apres
ſi le Lion eſt la maiſon du Soleil,
pourquoy
le ſigne prochain n’eſt-il cel-
le
de , puis qu’il eſt le plus chaud?
pourquoy le Soleil, & la Lune n’ont-ils
chacun
qu’vne maiſon, puis que les au-
tres
planettes en ont chacun d’eux?

pourquoy
la maiſon de la Lune humi-
de
n’eſt elle pas dans le Verſeau oppoſé
au
Lion?
& qu’elle a, peut-eſtre, eſté
crée
à l’oppoſite du ?
quoy que Firmi-
cus
croye que le Soleil a eſté crée au 15.

du
Lion, &
au 15. du Verſeau; ce qui
ne
peut eſtre, puis que ne ſe peut é-
loigner
du Soleil que de deux ſignes.
Les exaltations ſont ſemblablement
mal
eſtablies, puis que les abſides ſe chã-
gent
, &
qu’elles deuroient pluſtoſt eſtre
dãs
la maiſon des planettes qu’ailleurs:
caril n’y à nulle apparence d’exalter
dans
la maiſon de , ni dans celle
47088Preludes de l’Harmonie. ; & n’a rien de commun auec le
Taureau
, ſigne terreſtre, dans lequel
a ſa maiſon, &
ſon exaltation.
Quant aux decanat@, ils ſont tres-mal
fondez
, car ſi le Belier eſt la maiſon de
, pourquoy luy oſtent-ils les deux
tiers
pour les decanats de deux autres
planettes
;
& pourquoy banniſſent-ils
des II, c’eſt à dire de ſa maiſon, pour
en
donner la premiere partie à , la 2.
à
, &
la 3. au Soleil? ie laiſſe les fins, ou
les
termes, puis qu’ils ſont encore plus
ridicules
.
Mais il n’eſt pas neceſſaire de refuter
les
poſitions des Aſtrologues, d’autant
qu’elles
ſe deſtruiſent elles - meſmes:
Car ſi bruſle, parce qu’il eſt rouge, &
&
que refroidiſſe, parce qu’il eſt paſ-
le
, il faut dire que l écarboucle bruſle,
&
que la chau reſroidit: ſi bruſle, d’où
vient
que l on ne ſenr point ſa chaleur
à
l’Hyuer, lors qu il eſt a croniche.
& que
l’on
n’experimente point le froid de h
à
l’E ſté?
Or il faut remarquer que n’eſt pas
paſle
, comme croyent les ignorans, qui
ne
parlent que par liure, &
par preoc-
cupation
, dont ils ne ſeront plus
47189Preludes de l’Harmonie. pez, lors que le Ciel leur aura monſtré
qu’il
eſt tres-luiſant.
Certainement il
ny
à nulle raiſon pour laquelle l’õ puiſ-
ſe
dire qu’il y a des planettes maleſi-
ques
, &
d’autres beneſiques, ny meſu-
re
aucune, dont ils puiſſent meſurer la
quantité
, ou la qualité de leurs digni-
tez
, ou de leurs foib’eſſes;
& ce qu’ils
diſent
des aſpects a eſté pris ſur les dif-
ferentes
figures de la Lune, qu’elle fait
paroiſtre
ſuiuant les differents rapports
qu’elle
a auec le , &
puis il ny à pas
pluſtoſt
5 aſpects que 7.
que 9. que 13.
ou 15 & Kepler adiouſte le Biquintil, le
Tredecil
, &
c.
Voyons maintenant comme ils trou-
uent
le temps, auquel les accidens doi-
uent
arriuer à l’enfant, ils ſe ſeruent de
la
direction, de la reuolution, des profectiõs
annuelles
, &
des tranſitions. Or la dire-
ction
ſe fait entre-deux points du Zo-
diaque
de la figure, dont l’vn eſt le ſi-
gnificateur
, &
l’autre le prometteur. Ils
font
le ſignificateur mobile, afin qu’il
approche
peu à peu du prometteur im-
mobile
, &
que l’effect arriue lors qu’il
l’aura
atteint, parce qu’il eſt promis.
Or
ils
dirigent, &
content le progrez
47290Preludes de l’Harmonie. ſignificateur, & du prometteur ſur l’é-
quateur
, ſur lequel les deux points ſuſ-
dits
ſe r’encontrent par le moyen des
cercles
de declinaiſon:
car diriger n’eſt
autre
choſe que chercher l’arc de l’é-
quateur
, qui eſt entre le ſignificateur,
&
le prometteur.
Quant au progrez, il fait vn degré
dans
vne année, 5.
minutes dans vn
mois
, &
10 ſecondes dans vn iour, aſin
que
cet are enſeigne combiĕ de temps
apres
la naiſſance c’eſt à dire à qu’el an-
née
de l’enfant, l’effect doit arriuer.
Mais il faut diriger des points diffe-
rents
ſelon les differĕts effects que l’on
cerche
:
par exemple, le pour l’eſtat
de
la vie, &
pour les dignitez: la Lune
pour
les affections de l’eſprit;
l’Horoſ
cope
pour la ſanté, &
pour les voyages,
le
milieu du Ciel pour les amis, la ***

pour
les richeſſes;
& pour ſçauoir com-
bien
l’enſant doit viure, l’on prend vn
point
, que l’on appelle prorogateur, emiſ-
ſeur
, Setgneur de la vie, Hylech, Alchocoden,
Aphete
, &
c. c’eſt à dire le planette qui à
plus
grand nombre de dignitez, &
vn
moin
dre nombre de debilitez dans les
lieux
hylegiels, à ſçauoir dans la 1.
10. 11.
7. ou 9. maiſon.
47391Preludes de l’Harmonie.
Or l’on prend ordinairement le Soleil
pour
les naiſſances qui ſe font de iour,
&
la Lune pour celles de la nuict; &
lors
qu’il ne ſe rencontre nul planette
dans
leſdits lieux, l’on ſe ſert principa-
lement
de l’Horoſcope:
& pour trou-
uer
la mort, l’on dreſſe l’Aphete à l’Ana-
rete
, c’eſt àdire ledit point à l’interfecteur:
par exemple à , à , ou à leurs rayõs
malefiques
, ou au diſpoſiteur de la 8.

maiſon
.
Ceſte direction eſt appellée
directe
, lots qu’elle ſe fait ſelon la ſuitte
des
ſignes, comme il arriue quand on
vſe
de l’Horoſcope, ou du milieu du
Ciel
, &
c. & Conuerſe, l’ors qu’elle ſe fait
contre
l’ordre des ſignes, cõme il arri-
ue
à la ***
, &
aux planettes retrogrades.
La Reuolution eſt l’erection d’vne fi-
gure
que l’on fait, lors que le Soleil ſe
rencontre
au meſme point du Zodia-
que
il eſtoit à la naiſſance.
Car ſi
l’Horoſcope
de cette figure regarde
celle
de la naiſſance d’vn bon aſ-
pect
, l’enfant ſe portera bien toute
l’année
;
& ſi l’aſpect eſt mauuais, il ſe
portera
mal :
ſi les planettes ont vne
contraiſe
diſpoſitiõ à celle qu’elles ont
à
la natiuité, l’enfant court vn grand
peril
;
& ſi la Lune ſe trouue au lieu,
47492Preludes de l’Harmonie. eſtoit à la natiuité, il épouſera vne
vieille
.
La Profection annuelle eſt le progrez
que
fait la pointe, ou l’angle de chaque
maiſon
, &
chaque point de la natiuité
par
le Zodiaque:
or ces points font cha-
que
annéc 30.
degrez, afin que la pro-
fection
recommeuce de 12.
en 12. ans,
dans
leſquels ils iugent bien, ou mal de
l’enfant
ſelon les bons, ou mauuais aſ-
pects
, qui ſe rencõtrent dans ce temps,
&
qu’ils prediſent tous les ans, dont le
4
.
eſt dangereux, parce que l Horoſco-
pe
arriue à la 4.
maiſon, qu’il regarde
d’vn
afpect , &
le milieu du Ciel d’vn
aſpect
oppoſé.
En apres il paruient à la
7
.
qu’il regarde d’vn aſpectoppoſé, &
le
milieu du Ciel d’vn aſpect quadrat.
Ie laiſſe tout ce qu’ils diſent des an-
nées
Climateriques, &
des Seigneurs des
Septenaires
ou A fridaires, qu ils appel-
lent
Chronocratcurs, puis qu’il n’y a nul-
le
raiſon pourquoy la Lune preſide à la
premiere
année, à la 12.
à la 3. & c.
Or ils font recommencer la Lune au
8
.
Sptenaire, qu’ils appellent dange-
reuy
, parce que l’Affridaire chãge l’em-
pire
de chaque planette.
47593Preludes de l’Harmonie.
La Tranſition ſe faict, lors qu’vn pla-
nette
:
par exemple la Lune, paſſe par
les
lieux de la figure, eſtoit , , &
c.
ou l’Horoſcope, ou par le lieu, qui eſtoit
Trin
, ou quadrat à , , &
c. ou Trin
à
l’vn, &
quadrat à l’autre, dautãt qu’ils
croyent
qu’il arriue de notables chan-
gemens
dans ces paſſages, dõt ils vſent
pour
determiner le temps, &
particu-
lierement
le iour, &
l’heure. Car l’effect
eſt
plus grand ſelon les differens paſſa-
ges
, &
rapports, qui ſe rencontrent en-
tre
tous ces points.
Ce ſont les principaux fondemĕts
de
l’Aſtrologie Iudiciaire, dont la va-
nité
eſt ſi euidente, qu’il ſuffit de les
auoir
expliquez pour les refuter.
Car
pourquoy
la direction ſe fait-elle plu-
ſtoſt
ſur l’equateur que ſur l’écliptique,
qui
eſt le lieu principal des planettes?
pourquoy pluſtoſt contre la ſuitte, que
ſelon
la ſuitte, &
l’ordre des ſignes?
pourquoy
donnent-ils ſeulement vn
degré
à chaque.
année? ſi l’homme vi-
uoit
360.
ans, ils auroient quelque con-
jecture
, dont ils ſont entierement deſti-
tuez
:
car qu’elle apparence y à il que ce
point
de la natiuité retienne ſa
47694Preludes de l’Harmonie. iuſques à 30. & 40. ans? quelle propor-
tiõ
, ou rapport y à-il du milieu du Ciel
de
la 60.
annéc auec celuy de la natiui-
&
quelle apparence y a-il que le de-
ſtin
de cette annèc depende du rapport
de
ces aſpects?
ces points ſe conoiſſent-
ils
l’vn l’autre?
pourquoy la reuolution
ne
ſe fait-elle auſſi bien des autres pla-
nettes
, &
paiticulierement des fortu-
nes
, ou infortunes auſquelles ils attri-
buent
de ſi grandes vertus, comme elle
ſe
fait du Soleil?
pourquoy dõnent ils
30
.
degrez à chaque année, & pour-
quoy
ne reduiſent - ils le Zodiaque à
l’Equateur
dans la profection?
Les Alfridures ſont encore plus ridi-
cules
, puis qu’ils font regir chaque pla-
nette
à chaque Septenaire, ou ſepmai-
ne
d’années, &
qu’ils ne s’accor dent pas
eux-meſmes
ſur ce ſuiect.
Car Ptolo-
mée
donne 4.
ans d’empire à la Lune,
10
.
à , 8. à Venus, 19. au , 15. à ,
12
.
à , & cc qui reſte iuſques à la mort,
à
Saturne.
Quant aux queſtiõs, & aux elections,
les
Aſtrologues promettent les ſolutiõs
de
toutes choſes:
par exemple, s’il ſa-
git
du mariage, Venus &
la Lune
47795Preludes de l’Harmonie. feminins, & la 7. maiſon auec ſon ſi-
gnificateur
parlent touſiours des fem-
mes
;
& lors qu’ils ont conſideré les au-
tres
maisõs, les planettes, les decanats,
les
fins, &
c. ils diſent ſi l’enfant ſera
veuſ
, s’il épouſera vne femme riche, ou
pauure
, &
ſi elle doit viure peu, ou lõg-
temps
.
Ie laiſſe les autres maiſons, par leſ-
quelles
ils prediſent ſi l’ĕfant ſera Char-
pentier
, Maçon, Aduocat, &
c. afin de
dire
vn mot des elections, parleſquel-
les
ils tiennent qu’ils ne faut pas pren-
dre
medecine, lors que la eſt au Be-
lier
, , &
au Capricorne, de peur de la
rejetter
, à raiſon que ces ſignes rumi-
nent
:
que les Nauires ne doiuent pas
partir
, lors que eſt au milieu du Ciel,
parce
qu’il preſide aux Pyrates.
Ils veu-
lent
auſſi que l’on conſidere ſi le ſigne
qui
monte, s’il eſt fixe, ou mobile, auant
que
de planter les arbres, de peur qu’ils
ſe
déracinent;
que l’on oſte l’enfant de
la
mammelle, lors qu’vn ſigne humain
monte
, quand on le veut rendre deli-
cat
, &
ſi on veut qu’il ayme la chair,
lors
que le Lion monte:
que ſouz l’E-
creuiſſe
il aymera le poiſſon, ce qui
47896Preludes de l’Harmonie. riuera ſemblablemĕt ſouz les Poiſſons:
mais il aymeta les legumes ſouz la pre-
miere
partie du Capricorne, du Belier,
&
du Taureau.
Lors qu’on luy donne vn maiſtre, ils
veulent
que regarde benignement la
Lune
en ſon croiſſant;
que la Lune ſoit
en
aſpect ſextil auec le , ou auec le
Seigneur
de la 10.
maiſon, lors qu’on
va
ſalüer vn Prince, ou vn Roy:
que
l’on
aille à la chaſſe ſouz vn ſigne mobi-
le
, dans lequel il n’y ait point de planet-
te
retrograde:
que l’on eſſaye les habits
ſouz
vn ſigne mobile, dans lequel la
ſerencontre
, de peur que les veſtemens
durent
plus long-temps que le corps.
Ie laiſſe la natiuité des Villes, & les
preſages
qu’ils en tirent, car ils ſont ſi
ignorãts
qu’ils mettent dans le Scor-
pion
, &
le dans à la naiſſance de
Rome
, comme l’on peut voir dans So-
lin
;
& neãtmoins ne peut ſ éloigner
du
Soleil, que de 28.
degrez. Ie laiſſe
ſemblablement
les elections de l’heu-
re
pour grauer les cachets, &
les Taliſ-
mans
, &
mille autres reſueries, qui
peuuent
entrer dans vn bon eſprit.
Certainement les excellens
47997Preludes de l’Harmonie. nages n’ont iamais faict d’eſtat de l’A-
ſtrologie
, comme l’on peut voir dans
Ciceron
au 2.
liure de la diuination; &
pluſieurs
croyent que Ptolomée n’eſt
pas
l’Autheur du Quadripartit, ou qu’il
a
ſeulement fait vn abregé des reſue-
ries
des Ægyptiens, afin de ſatisfaire à
la
curioſité de quelques vns deſesamis:
Car quelle apparence y a-il qu’il n’ayt
oſé
traiter de la Phyſique, à raiſon de
ſon
incertitude, comme il témoigne
dans
la preface de ſon Almageſte, &

qu’il
ayt traicté de l’Aſtrologie qui n’a
pas
ſeulement de la probabilité pour
eſtablir
ſes fondements?
Delà vient que Cardan aſſeure dans
ſon
Epiſtre ſurle Quadripartit, que les
Autheurs
, dont Ptolomée a puiſe ſon
liure
, ont eſté des impoſteurs, qui on@
tout
corrompu;
ce que l’on peutſem-
blablement
dire de Cardan, d’Origan,
&
de tous les autres, puis qu’ils n’on@
pas
plus de raiſon qu’eux.
Or il y a gran de apparence que les
hommes
, qui ont voulu paroiſtre plus
ſçauãts
queles autres, ont inuenté tou-
tes
ces fables, aſin de gaigner de l’ar-
gent
, ou d’acquerir l’amitié, &
la
48098Preludes de l’Harmonie. ueur des grands; & parce qu’ils n’auoiĕt
nulle
raiſon, ils out eu recours aux ex-
periences
:
par exemple, que Nigidius
ayant
veu la natiuité d’Auguſte, il luy
predit
qu’il ſeroit ſeigneurde l’Vniuers?
qu’Aſcleriõ predit de ſoy-meſme qu’il
ſeroit
mangé des chiens;
que Pic de la
Mirandole
eſt mort l’an 32.
de ſon âge,
à
raiſon de la direction de l’Horoſcope
au
corps de Mars, comme remarque
Gauric
.
Ie laiſſe pluſieurs autres experiences,
dont
ils ſe vantĕt pour abuſer les igno-
rans
, puis que iamais nul Aſtrologue n’a
fait
les obſeruations neceſſaires pour
eſtablir
des regles ſur ceſujet, car il fau-
droit
pour le moins auoir 2.
experien-
ces
de 2.
enfans, qui fuſſent nez ſouz vn
meſme
aſpect du Ciel, ce qui n’eſt en-
core
iamais arriué:
par exemple, les
Chaldeans
n’õt peu voir deux fois vne
natiuité
, dans laquelle l’Horoſcope ayt
eſté
le premier degré du Belier, le So-
leil
eſtant au commencement de l’E-
creuiſſe
, la Lune au 20.
du Verſeau, &
à la fin du Taureau:
Etiamais l’on n’a
veu
2.
fois les planettes en meſme aſ-
pect
, en meſme latitude, &
aux
48199Preludes de l’Harmonie. mes lieux de leurs Epicycles. En apres,
ils
n’ont point connu les planettes, qui
ſont
à l’entour de , ni les 2.
de , ny
les
taches du Soleil, qui peuuent varier
les
effects qu’ils promettent.
D’ailleurs, encore que ceſt art euſt
eſté
veritable en Ægypte, il ne ſeroit
pas
veritable en ce climat, ny dans la
ſphere
parallele, nul degré de l’é-
clyptique
ne ſe leue, ny ne ſe couche,
&
conſequemmĕt nul ſigne ne peut
ſeruir
d’Horoſcope, de milieu du Ciel,
ou
d’autre maiſon.
En apres, il y a tou-
ſiours
quelque partie de l éclyptique
dans
la Zone froide, qui ne ſe leue ia-
mais
, &
qui eſt touſiours cachée ſouz
l’horizon
, &
quelque partie qui eſt tou-
ſiours
ſur l’horizon, &
quine ſe couche
iamais
:
de ſorte que cet art ne peut ſer-
uir
qu’entre les Tropiques, c’eſt à dire
dans
la Zone torride, &
dans les tem-
perées
.
A quoy l’on peut adiouſter que tout
ce
que l’on dit icy des Aſtres, ſe trouue
autrement
au dela de l’Equateur, le
Belier
eſt le commencement de l’Au-
tomne
, &
le Lion gele, au lieu qu’il
nous
bruſle:
Car ſ’ils répondent que
482100Preludes de l’Harmonie. Balance doit eſtre priſe en l’autre par-
tie
du monde pour le Belier, &
le Ca-
pricorne
pour 1 Ecreuiſſe, &
c. il faut
qu’ils
confeſſent que les exaltations, &

les
cheutes des planettes, &
toutes
leurs
autres fantaiſies ſ’en võt par terre.
Mais il n’eſt pas neceſſaire d’aller par
dela
la ligne pour cõuaincre leurs fon-
demens
de nullité &
d’erreur, puiſ-
que
nous experimentons que le meſme
climat
produit des choſes ſi differentes
en
meſme temps.
En apres que peuuent-ils répondre
aux
Topinamboux, qui viuĕt 200.
ans,
&
dontles femmes engendrent par de-
90.
ans; & tout ce qu’ils diſent des
richeſſes
, des ſemmes, &
c. eſt tres-faux,
puis
qu’ils ont toutes choſes en com-
mun
, &
qu’ils n’ont point d’Arts, ni de
meſtiers
ſemblables aux noſtres?
Certainement ſi l’on conſidere la di-
uerſité
des manieres de viure qui ſont
au
monde, &
la confuſion des accidĕs,
qui
arriuent durant la guerre, &
qui
n’arriucroient
pas durant la paix, l’on
confeſſera
que toute l’Aſtrologie eſt ri-
dicule
, &
qu’elle ne contient autre
choſe
que des fables.
483101Preludes de l’Harmonie.
Quant aux experiences, dont ils ſe
vantent
, Ciceron au liure 2.
de la Di-
uination
, &
Sextus ab Heminga auec
pluſieurs
autres s’en mocquent, &
ce-
luy-cy
monſtre par 30.
natiuitez d’hõ-
mes
Illuſtres, qu’elles ſont fauſſes:
Car
Henry
II.
mourut à 40. ans accomplis,
d’vne
bleſſeure qu’il reçeut dans l’œil,
cõtre
ce qui luy deuoit arriuer, ſuiuant
la
4.
figure deSextus, quoy que Gauric,
&
Cardan luy promiſſent l’Empire, à
raiſon
du Soleil, de la Lune, &
de dãs
l’Horoſcope
.
Rodolphe Camerarius s’eſt auſſi trom-
à la mort d’Henry IV.
qu’il auoit
predite
deuoir arriuer l’ã 1603.
au mois
d’Octobre
, comme l’on peut voir dans
ſa
76.
natiuité, car il le menace du dan-
ger
de ſa vie l’an 59.
4. mois, & 21. iour:
or il eſtoit l’an 1553. le 24. Decem-
bre
, deux heures apres minuit;
& la rai-
ſon
qu’il en apporte eſt que le Soleil ar-
riuoit
par la direction au corps de ,
l’Horoſcope
au du meſme &
le mi-
lieu
du Ciel au du Soleil.
Ie laiſſe pluſieurs autres choſes qui
ſont
ſi fauſſes dans leurs experiences,
qu’ils
ne ſçauroient les lire ſans
484102Preludes de l’Harmonie. de honte, & ſans aduoüer qu’il n’y a
nulle
regle dans toute l’A ſtrologie, qui
n’ayt
eſté inuentée fortuitemĕt, &
ſans
aucune
raiſon.
Et les erreurs que Car-
dan
a fait dans ſa propre natiuité, ſont
aſſez
voir leur ignorance:
car il met
au
21.
des II, qui eſtoit dans le 18. &
dans
le 23.
de la Balance, qui eſtoit dãs
le
vingt ſixieſme.
Il ſe trompe d’vn ſigne entier dans la
figure
de Iean Checi, lors qu’il place ,
&
Tycho remarque dans la 777. page
de
la nouuelle étoile, que Cardan fait
naiſtre
Lurher l’an 1483.
à 10. heures du
marin
, &
que Gauric le fait naiſtre l’an
ſuiuant
à vne heure, encore qu’il ſoit
nay
à onze heures.
& que l’vn & l’autre
ſe
ſoient trompez de 12.
iours: Car il
nâquit
le 10.
de Nouembre, & non le
22
comme ils diſent, &
neantmoins ils
trouuent
leur conte, &
accommodent
les
accidents de ſa vie à leur natiuité
feinte
, &
fauſſe: de ſorte qu’il faut eſtre
plus
ſtupide que la plus lourde beſte du
monde
pour croire, &
pour s’amuſer à
leurs
regles.
Ce qu’il ſemble que Cardan ayt recõ-
neu
, lors qu’il a dit au chap.
6. du
485103Preludes de l’Harmonie. des lugemens, qu’à peine ſe rencontre-
il
10.
choſes veritables de 40. que l’on
predit
;
il pouuoit dire qu’a peine s’en
rencontre-il
vne vraye de 4000.
Or il aduouë pour le moins que le
menſonge
eſt 4.
fois plus grand que la
verité
, &
luy meſme ſe trompe gran-
dement
dans la natiuité d’Edoard VI.
Roy d’Angleterre, qu’il met la premie-
re
des 12.
qu’il fait: car il luy predit des
maladies
à l’an 23.
34. & 55. & neant-
moins
il mourut à 16.
ans, quoy que
Cardan
euſt employé cent heures à
dreſſer
cette natiuité.
Il faut encore remarquer qu’ils de-
mandent
touſiours ſi l’enfant, dont on
leur
parle, eſt vn maſle, ou vne femelle,
ſi
les parens ſont riches, ou pauures, &

qu’ils
répondent ambiguëment, &
en
general
, afin que ſi ce qu’ils diſent n’ar-
riue
pas, ils puiſſent expliquer chaque
choſe
à leur aduãtage;
& lors que leurs
menteries
ſont ſi éuidentes qu’ils ne
peuuent
les pallier, ils diſent qu’on à
failly
à prendre la vraye heure de la na-
tiuité
, qu’il la faut corriger, &
qu’il faut
vſer
d’vne autre maniere de directiõs.
Ie laiſfe pluſieurs autres
486104Preludes de l’Harmonie. res qui ſont indignes d’vn honneſte hã-
me
, par ce que la principale faute de
cette
fable vient de la ſtupidité de ceux
qui
ſe laiſſent abuſer trop ayſément:
Ce qui arriue lors qu’ils ſont portez d’a-
mour
, de haine, de deſeſpoir, ou d’au-
tres
paſſions, qui leur font croire que
ſil
arriue quelque choſe de ce que l’A-
ſtrologue
a predit, que ſon arreſt eſt
diuin
.
Mais lors qu’ils conſidereront que le
Soleil
, &
les autres Aſtres ne luiſent
pas
dauantage pour les Roys que pour
les
bergers, &
qu’ils roulent auſſi bien
pour
tous les animaux que pour eux,
quoy
que le deſtin des beſtes ſoit bien
éloigné
du leur, ils auront honte d’a-
uoir
eſté de ſi legere croyance, &
ne ſ’a-
muſeront
pas à c@ que diſentles Hiſto-
riens
tant anciens que modernes, qui
ont
eſté curieux de ramaſſer les bruits
qui
courent, &
qui donnent ſouuent
des
contes pour des hiſtoires, parce
qu’ils
ſçauent que ces choſes ſont
biĕ
receuës du peuple, &
que ces bour-
des
ſont leuës auec plaiſir, &
attention.
L’on peut voir dans Plutarque qu’O-
ctaue
&
Marius ſ’eſtant fiezaux
487105Preludes de l’Harmonie. logues, celuy-la fut trompé: qu’ils pre-
diſent
mille choſes aux Princes pour les
flater
, cõme lors qu’ils predirent l’Em-
pire
à Auguſte, quoy que cela ne peuſt
arriuer
que par la mort de Ceſar, &
de
Pompée
, à qui ils auoient promis vne
longue
vie, au rapport de Ciceron dans
le
2.
de la diuination.
il faut remarquer, que Scaliger
maintient
dans ſa preface ſur Manile,
qu’
Auguſte n’eft pas nay ſouz le Capri-
corne
Horoſcopant, mais pluſtoſt ſouz
le
ſigne oppoſé Quoy que s’en ſoit,
combien
en voit-on qui naiſſent ſouz
l’vn
, &
l’autre ſigne, & qui neantmoins
ne
ſont ny Princes ny Roys, mais de
pauures
vignerons?
delà vient que Car-
dan
n’a pas promis vn Empire à Coſme
de
Medicis dans ſa 4.
figure, encore
qu’il
ayt vne natiuité ſemblable à celle
d’Auguſte
, mais ſeulement la pruden-
ce
;
& bien qu’il ſe ſoit luy-meſme fait
mourir
de faim, afin de n’eſtre pas con-
uaincu
de menſonge dans le iugement
de
ſa natiuitè, comme remarque Scali-
ger
dans ladite preface, il n’a pourtant
peu
predire la mort de Iean Baptiſte ſon
fils
, qui receut vn coup
488106Preludes de l’Harmonie. eſtant âgé de 24. ans pour auoir empoi-
ſonné
ſa femme, comme a remarqué
Sixtus
ab Heminga dans ſa derniere
natiuité
.
Quant à Pic de la Mirando-
le
, il eſt mort eſtant âgé de 31.
an: Et
neantmoins
Gautic confeſſe qu’il luy
auoit
ſeulement predit la mort auant
36
.
ans.
Mais ie ne croy pas que l’on puiſſe
parler
plus amplement de cetart pre-
tendu
ſans abuſer dela patience des le-
cteurs
.
C’eſt pourquoy il faut paſſer à
des
diſcours plus vtiles, &
imiter lesMe-
decins
, qui tirent les alexipharmaques
du
poiſon, &
la Theriaque de la Vi-
pere
.
COROLLAIRE I.
Ie deſire que tout le diſcours que i’ay
fait
de l’A ſtrologie ſ’entende ſeulemĕt
de
celle que l’on nous a donnée iuſques
àpreſent
, ſans des principes qui puiſſent
contenter
l’eſprit, car ie ne veux pas
nier
que l’õ ne puiſſe ſçauoir beaucoup
de
choſes par la contemplation, &
le
rapport
que les corps celeſtes ont auec
la
terre, lors que Dieu en aura donné
489107Preludes de l’Harmonie. veritable connoiſſance à ceux qu’il luy
plaira
.
Et peut-eſtre qu’il ne ſe fait riĕ
dans
les Elemĕs, ni dãs mixtes de la na-
ture
qui ne depĕde de la’differĕte con-
ſtitutiõ
des Aſtres, ou qui ne ſoit ſignifié
par
leurs rencontres, &
aſpects, ſoit de-
uant
, ſoit à l’heure que les choſes arri-
uent
;
mais parce que cela n’eſt pas cer-
tain
, &
que nous n’auons nul moyen
de
le ſçauoir, c’eſt perdre le temps que
de
faire des Horoſcopes pour trouuer
la
qualité du temperament, de l’eſprit,
ou
des autres choſes que l’on deſire ſça-
uoir
.
COROLLAIRE II.
Tous les diſcours precedĕs n’eſtoient
pas
neceſſaires pour les Geometres, qui
ne
doutent pas qu’vne centainede chã-
delles
d’vn denier diſperſées à l’entour
d’vne
grãde ſale, ou d’vne chambre de
cent
pieds en quarré, ont plus de force
ſur
celui qui eſt au milieu de ladite chã-
bre
, que n’ont toute@les eſtoiles du Fir-
mament
ſur les hommes, puis que les
chandelles
l’éclairent, &
l’échauffent
dauantage
, &
conſequemmĕt
490108Preludes de l’Harmonie. ſent de plus grandes influences ſur luy
que
leſdites étoiles, ou que Saturne,
Iupiter
, Mars, Venus, &
Mercure. Ce
qu’il
faut ſemblablement conclurre de
la
Lune, qui n’a pas plus de force ſur
nous
qu’vn flambeau de cire qui nous
éclaire
auſſi fort, &
auſſi long-temps,
Mais
parce que tout le monde ne ſe cõ-
tente
pas d’vn raiſonnement ſi ſimple
que
celuy-cy, il a fallu l’eſtendre plus
au
long.
Si les Aſtrologues conſiderent que
ſouz
l’Equateur, ils n’ont nulle raiſ@n
qui
les fauoriſe pour mettre l’exaltatiõ
du
pluſtoſt dans le Lion, que dans le
Verſeau
, ou dans laBalance, que dans le
Belier
, &
que toutes leurs hypotheſes,
&
, leurs diuiſions manquĕt ſouz l’équi-
noctial
, ou ſouz les poles, &
qu’ils n’õt
iamais
fait aucune obſeruation ſi exa-
cte
qu’ils en vouluſſent, ou qu’ils en
peuſſent
répondre auſſi aſſeurément
que
d’vn principe de Geometrie, ou de
quelqu’autre
ſcience, i’eſpere qu’ils
quitteront
cet art, lequel eſt capable
de
rendre les hommes les plus ſages du
monde
les plus infames de la terre.
491109Preludes de l’Harmonie.
COROLLAIRE III.
I’eſpere faire voir dans vn autre lieu
que
la terre enuoye plus d’influences
ſur
la Lune, &
ſur les autres planettes
qu’elle
n’en reçoit de toutes les étoiles,
&
qu’elle n’eſt tout au plus redeuable
qu’au
Soleil:
d’où l’on conclurra par de
nouuelles
raiſons, que la Iudiciaite n’a
point
encore de principes qui nous
ſoient
connus:
& que ſi ce qui arriue
ſur
la terre, depend des Aſtres, la con-
noiſſance
en eſt tellement reſeruée à
Dieu
, que les hommes ne peuuent rai-
ſonnablement
la deſirer, ny l’eſperer
iuſques
à ce qu’il luy plaiſe de la leur
reueler
.
QVESTION IV.
A ſçauoir ſi le temperament du parfait Muſi-
cien
doit eſtre ſanguin, phlegmatique, bi-
lieux
, ou melancholique, pour eſtre capable
de
chanter, ou de compvſer les plus beaux
airs
qui ſoient po{ſS}ibles.
IL eſt tres-difficile de pouuoir tolle-
ment
rencontrer ſur ce ſujet que
492110Preludes de l’Harmonie. ſatisface à tout le monde, car quelque
choſe
que l’on en puiſſe dire, l’on ne
peut
produire de demonſtrations ceo-
metriques
pour prouuer quel doit eſtre
le
temperament d’vn parfait Muſicien:
car encore que ce temperament fuſt
poſſible
, neantmoins la difficulté de-
meure
touſiours, qui conſiſte à ſçauoir
quel
il doit eſtre pour compoſer les plus
beaux
chants qui ſe puiſſent faire, ou
pour
les chanter auec toute la perfectiõ
qui
ſe peut imaginer.
Quelques-vns croyent que le melan-
cholique
eſt le plus propre de tous pour
la
Theorie de la Muſique, dautant qu’il
fait
ordinairement de ſerieuſes refle-
xions
, qui ſont neceſſaires pour acque-
rir
la connoiſſance de la parfaite Com-
poſition
, laquelle ſuppoſe de profondes
meditations
ſur toutes les parties de la
Philoſophie
, &
des Mathematiques.
A quoy ils adioûtent que la terre pre-
domine
dans le melancholique, qui ſe
porte
auec vne plus grande inclination
à
la compoſition, &
à l’ordonnance des
tons
, que le cholere, le ſanguin, ou le
phlegmatique
.
Ie laiſſe maintenant le
temperament
parfaitement
493111Preludes de l’Harmonie. qu’ils preferent à tous les autres.
Or le cholerique tenant des qualitez
du
feu, eſt plus propre pour la deſtru-
ction
, à cauſe de ſon actiuité, qu’il n’eſt
pour
la compoſition:
Le ſanguin eſt
ſemblable
à l’air, lequel ayant vn corps
fort
, rare, &
ſubtil, ne peut contribuer
que
bien peu de choſe à la compoſitiõ:
& le phlegmatique, qui eſt rapporté à
l’eau
, n’a pas le corps aſſez ſolide, &
no
peut
pas beaucoup ayder à la compoſi-
tion
, à raiſon de ſon flus ordinaire, qui
ne
permet pas que l’eſprit s’arreſte aux
hautes
penſees, &
aux ſpeculations qui
ſont
neceſſaires pour ce ſujet.
Mais la terre ayant ſon corps ferme,
&
ſolide, eſt plus propre que les autres
elemens
pour la compoſition des cho-
ſes
, c’eſt pourquoy elle eſt preferable à
la
lumiere vacillante du feu, à la tranſ-
parance
de l’air, &
à la blancheur cou-
lante
de l’eau;
car la conſtitution cor-
porelle
, qui eſt cauſe de ſa noirceur, luy
donnevne
inclination naturelle à la cõ-
poſition
, &
rĕd le melancholique pro-
pre
pour l’inuention, &
pour la compo-
ſition
de la Muſique.
Au contraire le cholerique eſt
494112Preludes de l’Harmonie. prõpt & trop actif, & n’a pas les organes
bien
diſpoſées pour arranger les ſons, &

pour
faire de beaux airs.
Le ſanguin eſt
ſemblablement
trop leger, &
trop in-
conſtant
;
& le phlegmatique n’a pas l’i-
magination
bien temperée à cauſe de
ſes
froides humeurs, &
des ſuperfluitez
qui
incommodent ſes organes, c’eſt
pourquoy
ils concluent que le tempe-
rament
melancholique eſt le plus pro-
pre
pour la Muſiqu@;
ce qu’ils confir-
ment
par les voyelles de l’alphabet,
qu’ils
appliquent aux quatre tempera-
mens
;
car, diſent-ils, la voyelle, E, eſt
la
plus propre de toutes pour la compo-
fition
des conſones;
dautant qu’elle les
fait
preſque toutes, à raiſon de la matie-
re
, qui répond à la terre, n’y ayant que
H
, &
K, qui ſont formees par la voyel-
le
A, (laquelle a fort peu de matiere à
l’égard
de l’E,) &
Q, qui eſt formé
par
V;
car I & O eſtans trop ſubtiles &
deliés
, ne compoſent aucune conſone.
Ils attribuent V, au ſanguin, parce
qu’elle
a le corps ſi rarefié, qu’elle n’a
peu
compoſer qu’vne conſone.
Ils don-
nent
l’I, au cholerique, &
l’A, au phleg-
matique
, qui ne peut paruenir à la
495113Preludes de l’Harmonie. faicte compoſition de la Muſique, n’a-
yant
pas ſa matiere aſſez ſolide pour
perſiſter
dans le trauail de la Theorie,
&
dans la ſpeculation de la Muſique,
comme
fait le melancholique, qui a vn
particulier
rapport à la voyelle E, qui
compoſe
B, C, D, G, M, N, P, R, S,
T
&
Z, c’eſt pour quoy il medite perpe-
tuellement
, &
fait des reflexions qui
ſont
propres pour paruenir à la parfai-
cte
compoſitiõ de la Muſique, à laquel-
le
les autres temperamens ne peuuent
arriuer
ſi aiſément.
Et ſi nous paſſons de la Theorie, &
de
la compoſition des beaux airs à la
Pratique
, ils diſent que le temperamĕt
cholerique
, &
le ſanguin y ſont plus
propres
que les deux autres, dautãt que
la
Muſique n’eſt qu’vn jeu diuerſement
meſuré
, qui ſert pour ſoulager, &
pour
deſennuyer
l’eſprit:
or les ſanguins &
les
choleriques ſe portent plus facile-
ment
à l’exercice des chants, &
à tou-
tes
ſortes de recreations, que les phleg-
matiques
, ou les melancholiques, qui
ont
leurs organes, &
particulierement
leurs
voix beaucoup plus groſſieres, &

plus
chargées d’impurerez, à raifon
496114Preludes de l’Harmonie. l’humidité, & de la ſechereſſe, qui em-
peſchent
le roulement desvoix harmo-
nieuſes
.
De vient que le melancholique,
&
le phlegmatique chantent rarement
en
comparaiſon des ſanguins &
des
choletes
, qui ſont plus déchargez d’im-
puretez
, à cauſe de l’humidité &
de la
chaleur
qui predominent en eux, &
qui
par
conſequent ont plus d’inclination
à
chanter pour ſe reſioüir dans les di-
uerſes
rencontres:
car chacun ſuit le
mouuement
de ſon temperament, cõ-
me
il arriue au melancholique, qui
ſuit
le mouuement des ennuis, &
de la
triſteſſe
, qui luy ſont ordinaires, &
qui
ſont
fort eſloignez des chants &
de la
joye
.
C’eſt pourquoy les Hebrieux qui
rapportent
quatre de leurs eſprits, ou
de
leurs lettres aux quatre ſuſdits tem-
pram
ens, approprientleur ע hain tres-
apre
, &
tres-rude au melancholique,
car
il ſe prononce des narines, &
du go-
ſier
, comme ſi l’on prononçoit gnhain.
Le phlegmatique a vne grande quan-
tité
d’eau corporifiée, &
par conſe-
quent
il approche de la groſſiereté
497115Preludes de l’Harmonie. melancholique, & ſuit les mouuemens
froids
&
tardifs de l’eau, ce que les He-
brieux
ont repreſenté par leur eſprit,
ou
par leur lettre ח, qui a la prolation
beaucoup
plus dure &
plus rude que la
lettre
ח, ou א.
Le ſanguin ſuit les mouuemens ſub-
tils
de l’air, qui le font chanter plus ſou-
uent
, c’eſt pourquoy les Hebrieux luy
attribuënt
la lettre ח, qui ſe prononce
plus
doucement &
plus mollement que
les
deux autres ע haïn, &
ח chet; mais
tout
ce que l’on rapporte de ces lettres,
ou
des eſprits des lettres &
des accents,
eſt
fabuleux, &
n’a point d’autre fonde-
ment
que la fantaiſie de quelques igno-
rans
, qui veulent que l’on croye qu’ils
ſont
ſçauans dans vn certain genre de
Cabale
, qui n’eſt que dans leur imagi-
nation
.
Finalement le cholerique eſt plus
propre
pour bien chanter que tous les
@utres
, à raiſon des qualitez du feu qui
ſe
trouuent dans le temperament bi-
lieux
, &
qui font que le cholere roule
plus
nettement les chanſons, dautant
qu’il
n’a point d’empeſchement du co-
ſté
de la matiere melancholique, ny
498116Preludes de l’Harmonie. l’humidité phlegmatique, trop cruë, &
propre
pour les rheumes, &
pour les ca-
therres
.
C’eſt pourquoy les Hebrieux
ont
donné leur doux א alcph au tempe-
rament
cholerique, car cettelettre ſe
prononce
ſi facilement, &
ſi doucemĕt
qu’elle
eſt preſque imperceptible.
Il eſt donc euident qu’ils donnent le
premier
rang au bilieux, le ſecond au
ſanguin
, le troiſieſmeau phleg matique,
&
le quatrieſme au melancholique,
quand
il eſt queſtion de chanter:
mais
ils
en exceptent le cinquieſme tempe-
rament
, qu’ils comparent à la quinte-
eſſence
, ou au Ciel:
auquel les He-
brieux
att@ibuent leur iod, , &
les La-
tins
la voyelle O, dautant que ce tem-
perament
contient les quatre autres en
eminence
, comme le iod, contient tou-
tes
les lettres de l’alphabet, &
cõme le
principe
contient ſes effects La voyelle
O
eſtant ronde contient toutes ſortes
de
figures, &
les ſurpaſſe, comme le
cinquieſme
temperament, (auquel le
parfait
temperamĕt peut eſtre rappor-
, que les Medecins appellent ad pon-
dus
) contient &
ſurpaſſe tous les au-
tres
.
499117Preludes de l’Harmonie.
Quelques autres croyent que le tem-
pera
ment ſanguin eſt le plus propre
pour
faire &
pour chanter les airs, dau-
tant
qu’il eſt le plus ioyeux, &
qu’il a
vne
plus grande reſſemblãce auec l’air,
qui
reçoit &
qui porte les chants iuſ-
ques
à l’oreille:
mais puis que le chant,
dont
nous parlons icy, doit eſtre agrea-
ble
à tout le monde, ſi le ſanguin eſtoit
propre
pour le faire, ou pour le chan-
ter
, pourquoy les viandes, qui ſont
agreables
, &
propres aux ſanguins, no
ſont
elle, pas auſſi propres, &
agreables
à
toutes ſortes de temperamĕs, en quel-
que
âge, ſaiſon, ou Prouince qu’ils puiſ-
ſent
ſe rencontrer;
ce qui eſt contraire
aux
loix, &
aux preceptes des Mede-
cins
:
car on donne vne autre viande
aux
vieillards, qu’aux enfans, &
vne
autre
aux pituiteux, qu’aux bilieux.
D’ailleurs, la Muſique eſtant vn ou-
urage
de l’imagination rempli de cha-
leur
, &
de ſechereſſe, il ne ſe peut faire
que
le ſanguin ſoit propre pour compo-
ſer
le chant dont nous parlons.
A quoy
l’on
peut adiouſter que le temperamĕt
ſanguin
n’eſt pas le plus porté à l’excez
du
plaiſir que la Muſique apporte,
500118Preludes de l’Harmonie. il n’y a point de temperament plus pro-
pre
à la Metriopatie, ſi l’on excepte la
paſſion
d’amour:
par conſequent enco-
re
que le temperament ſanguin ſoit le
meilleur
de tous les autres, pour ce qui
appartient
aux actions animales, il
n
eſt pas le meilleur pour les actions de
l’eſprit
.
De vient que les Naturaliſtes di-
ſent
que les hõmes ſanguins ſont doux,
benins
, gracieux, raillards, &
de longue
vie
, mais ſtupides &
d’vn eſprit peſant,
&
qu’ils ont moins de viuacité que les
bilieux
, &
ſont moins aduiſez, & indu-
ſtricux
que les melancholiques;
il ne
ſenſuit
done pas que le temperament
ſanguin
ſoit le plus propre pour com-
poſer
les airs de Muſique, bien qu’il ſoit
le
meilleur, &
le plus propre pour les
actions
de la vie.
Or cette contrarieté d’opinions fait
voir
qu’il eſt trop difficile de trouuer le
temperament
de l’excellent Muſicien,
dont
nous parlons:
neantmoins puis
qu’Apollon
a eſté tenu des Anciĕs pour
le
Dieu de la Medecine, voyons ſi elle
nous
pourra donner ce temperament,
puiſque
la complexion n’eſt autre
501119Preludes de l’Harmonie. ſe qu’vne harmonie, ou vn accord des
quatre
ſimples qualitez elementaires,
à
ſçauoir de la chaleur, de la froideut,
de
l’humidité, &
de la ſiccité; ou pour
mieux
dire, vn mélange du chaud, du
froid
, du ſec, &
de l’humide.
Il faut donc premierementremar-
quer
que tous les temperamens peu-
uent
eſtre reduits à deux chefs:
car tou-
te
ſorte de temperament eſt temperé,
ou
intĕperé, témoin Galien au liure des
temperamens
:
l’intemperé, eſt celuy qui
eſt
vicieux, car il empeſche les actions
en
trois manieres, dautant qu’elles ſont
ou
deprauées, ou diminuées, ou abo-
lies
.
Le temperé eſt à poids, & égalité,, ou
à
iuſtice;
le premier eſt appellé par les
Grecs
, εἰς {στ}άθως &
par les Latins adpon-
dus
, dautant qu’il a portions égales des
elemens
, de maniere qu’vne qualité ne
ſurmonte
point l’autre.
Le ſecond eſt
appellé
εἰς τὴν δ@χο@οσίνην ou ad iuſtitiam, qui
n’a
pas vne égalle portion des elemens;
mais c’eſt luy qui rend tous les corps
propres
, &
habiles pour exercer leurs
operations
, &
ſe trouue en toutes ſortes
de
perſonnes plus ou moins temperées,
ſelon
leur âge, leur habitude, leur
502120Preludes de l’Harmonie. ou leur maniere de viure.
Quant au premier temperament,
Auicenne
, Auerroës, &
les autres Ara-
bes
, diſent qu’il ne ſe peut rencontrer,
dautãt
qu’vn corps mixte qui doit agir,
ne
peut eſtre compoſé de qualitez qui
ſoient
égaies, &
contraires; neãtmoins
Galien
eſt de contraire aduis dans le li-
ure
de Sanitate tuenda, chap.
1. 2. & 3. Car
il
maintient que cette égalité ſe rencõ-
tre
en la peau interieure de l’extremité
des
doigts d’vn homme temperé à iu-
ſtice
, ceſte peau n’eſtant chaude &
hu-
mide
comme la chair, ny froide &
ſeche
comme
le nerf, mais comme vn nerf
charneux
;
car puis qu’elle eſt l’organe
du
toucher, elle doit eſtre exempte de
toutes
qualitez eſtrangeres, afin qu’elle
iuge
parfaitement des qualitez qui ſe
peuuĕt
toucher, ou pluſtoſt que le ſens
commun
ayant receu les images des
qualitez
par le moyen de la peau, que
les
Grecs appellent Derme, en ſoit le Iu-
ge
, car les ſens exterieurs ne iugent pas
de
leurs objets, cette action eſtant trop
ſubtile
, &
trop releuée pour eux: mais
il
eſt neceſſaire que les organes des ſens
ſoient
bien diſpoſez;
autrement le
503121Preludes de l’Harmonie. commun eſt ſouuent deçeu, comme il
arriue
à ceux quiont la jauniſſe, &
qui
voyent
les objets ſemblables à la tein-
ture
de la cornée;
c’eſt pourquoy ſi le
ſens
du toucher n’eſtoit parfaitement
temperé
, il ne pourroit faire vn fidelle
rapport
au ſens commun du froid, du
chaud
, &
des autres qualitez.
Or pour mieux entendre cecy, il faut
remarquer
qu’il y a deux ſortes de tem-
peramens
à poids, l’vn admolem, qui a
vne
égalité de portions elementaires;
c’eſt à dire, qu’vn homme temperé en
cette
façon, auroit vn pied cube de feu,
&
autant d’air, & d’eau, ſuppoſé qu’il
euſt
vn pied cube de terre en ſa compo-
ſition
, ou dans ſa maſſe ſanguinaire, qui
contient
les quatre premieres qualitez;

ou
bien chaque partie peſeroit autant
l’vne
que l’autre, encore que leurs grã-
deurs
fuſſent inegales;
c’eſt à dire que
s’il
y auoit vne liure de ſang, il y auroit
vne
liure de phlegme, de bile, &
de
melancholie
, qui feroient quatre liures
pour
toute la maſſe du ſang.
Tous les Medecins aſſeurent que ce
temperament
ne ſe peut trouuer, dau-
tãt
que le feu deſtruiroit les autres
504122Preludes de l’Harmonie. mens, ce que ie ne voudrois pas leur ac-
corder
, qu’ils ne m’en euſſent donné de
bonnes
raiſons:
car il ne ſe faut pas ima-
giner
que la qualité, qui répond au feu
dans
le ſang, ou dans le temperament
de
l’homme, ſoit vn feu diſſipant &

deſtruiſant
, ſemblable à noſtre feu arti-
ficiel
, mais il eſt pur &
celeſte, tel que
nous
l’imaginons dans l’éther, ou dans
les
Cieux.
L’autre temperament ad pondus, eſt
appellé
ad vires, &
eſt fait des vertus ou
qualitez
des elements temperez, tel
qu’il
ſe reneontre dans la peau de la
main
, comme i’ay dit, &
au changemĕt
qui
ſe fait d’vne complexion chaude &

humide
, dans vne froide &
ſeiche, eſtãt
neceſſaire
de paſſer par le milieu bien
temperé
pour arriuer à l’autre extremi-
;
ce que ie ne leur accorde pas auſſi,
car
il ſe trouue quantité de choſes qui
peuuent
paſſer d’vne extremité à l’au-
tre
, ſans paſſer par le milieu:
Par exem-
ple
, on paſſe d’vn ſon donné à l’Octaue,
à
la Quinte, à la Tierce, &
la Douzieſ-
me
, auec les fluſtes, les trompettes, les
Orgues
&
les voix, ſans paſſer par les
ſons
du milieu, comme i’ay
505123Preludes de l’Harmonie. ailleurs; ce qui arriue auſſi aux angles
qui
ſe font par le cercle, &
par ſa tan-
gente
, comparez aux angles faits par la
meſme
tangente, &
par le diametre, ou
par
le diametre auoc le cercle.
Mais ie
ne
veux pas m’étendre plus amplemĕt
ſur
ce ſujet, afin de venir à la concluſiõ,
qu’ils
tirent de ce qui a eſté dit, à ſça-
uoir
que le parfait Muſicien doit auoir
le
temperament ad vires, dautant que
Galien
enſeigne au ſecond liure des
Temperamens
, &
au premier liure de
ſanitate
tuenda, chap.
6. que celuy qui eſt
tres-temperé
, eſt tres-prudent, tel que
doit
eſtre le parfait Muſicien.
De plus, celuy qui a acquis le degré
de
perfection, eſt courtois, amiable &

affable
;
il n’eſt trop cholere, ny trop
gay
, ny trop triſte:
il eſt doux, humble,
patient
au trauail, ayant vne modera-
tion
dans ſes mœurs, &
en ſes actions,
qui
eſt proportionnée à la beauté de
ſon
corps, ou à la perfectiõ de ſon tem-
perament
.
Les autres complexions ont leurs
vices
, &
leurs imperfections: car le ſan-
guin
eſt trop gay, &
ne demande qu’à
rire
&
à ſauter, comme Galien a
506124Preludes de l’Harmonie. qué dans ſon Commentaire ſur le liute
qu’Hipocrate
a fait des humeurs:
le
bilieux
eſt trop courageux, trop faſ-
cheux
, &
trop cholere: le melancho-
lique
eſt ſoupçonneux, difficile à appai-
ſer
, &
à corriger, & trop triſte & crain-
tif
, comme dit Hipocrate en ſes Apho-
riſmes
:
le pituiteux eſt pareſſeux, aſ-
ſoupy
, &
oublieux, le phlegme n’eſtãt
pas
propre pour rendre vn hõme inge-
nieur
, à raiſon de ſa froideur, &
de ſon
humidité
;
c’eſt pourquoy toutes ces
quatre
complexions eſtans vicieuſes,
comme
témoignent les âges, les ſaisõs,
&
les pays auſquels les humeurs domi-
nent
, il faut choiſir le temperament ad
pondus
, ex pliqué comme nous auõs fait,
ſi
nous voulons trouuer vn parfait Mu-
ſicien
;
car encore que chaque humeur
ait
quelque choſe qui puiſſe ſeruir à la
perfection
du Muſicien, neantmoins
chacune
a vice, &
nulle ne peut eſtre
comparée
à la perfection du tempera-
ment
ad vires, qui contient en vertu &

en
éminence tout ce qui peut y auoir
de
perfection dans les autres.
Or apres auoir parlé du temperament
qui
eſt requis pour faire vn parfait
507125Preludes de l’Harmonie. ſicien, ilfaut dire quelque choſe de la
proportiõ
que les humeurs ont enſem-
ble
;
& partant ſuppoſer qu’il ſe rencon-
tre
trois ſortes d’humeurs dans le corps
humain
, dont les vnes ſont alimentai-
res
, comme celles qui ſont contenuës
dansles
veines, &
qui font la maſſe du
ſang
;
les autres ſont des excremens
vtiles
, pour la nourriture, mais pour
d’autres
vſages deſtinez par la nature;
car la bile eſt contenuë dans la veſicu-
le
, qui eſt attachée au foye, pour ſeruir
à
faire vuider les excrements;
& la me-
lancholie
eſt dans la rate pour y eſtre é-
labourée
, &
de portée dans l’eſto-
mach
par le conduit que l’on appelle,
vas
breue, afin d’exciter l’appetit.
Il y a vn autre humeur ſereux, qui eſt
inutile
pour la nourriture, mais il eſt
tres-neceſſaire
pour détremper le ſang
trop
épais, qui ne pourroit autrement
eſtre
porté dans les veines capillaires.
Les autres humeurs ſont contre na-
ture
, &
cauſent les maladies, dont l’vne
eſt
la melancholie, qui prouient d’vne
chaleur
pourriſſante, &
tournée en
cendre
;
l’autre eſt engendrée de la cho-
lere
vitelline, &
la 3. du phlegme pour-
ry
dans les veines.
508126Preludes de l’Harmonie.
Le phlegme contre nature eſt celuy
qui
eſt aigre, ou ſalé dans les veines, le-
quel
eſtant hors des veines, eſt ſubtil,
ou
viſqueux, ou vitreux, ou gypſeux.
La cholere qui ſ’engendre és veines
ſappelle
vitelline, &
dans le ventricule
porracée
:
l’érugineuſe eſt de couleur de
paſtel
, &
eſt appellée iſatodes: il y en a
encore
vn autre qui eſt rouge.
Cecy
eſtant
poſé, voyons la perfection des
humeurs
alimentaires qui font la maſſe
du
ſang, qui eſt compoſée de quatre
parties
, comme nous monſtre le laict
compoſé
de quatre ſubſtances, à ſça-
uoir
du beurre, qui retient deux ſub-
ftãces
qui répõdent à la bile &
au ſang;
du ſromage, & du petit laict: & l’exem-
ple
du vin rapporté par Galien, car la
fleur
repreſente la cholere, qui eſt la
plus
ſubtile des humeurs, &
qui paroiſt
touſiours
au deſſus de couleur d’or, &

luiſante
.
La lie repreſente l’humeur melãcho-
lique
, qui eſt touſiours au deſſous, à
cauſe
de ſa peſanteur, car elle eſt la lie
du
ſang.
La verdeur, ou aquoſité du vin
eſt
ſemblable au phlegme:
& la pure li-
queur
du vin repreſente le ſang:
par
509127Preludes de l’Harmonie. il eſt aiſé d’entendre la diſtinction des
humeurs
, qui conſiſte dans leur cou-
leur
, ſaueur, vſage &
autres ſemblables
proprietez
.
Or leur proportion peut
eſtre
connuë par la ſaueur, qui eſt dou-
ce
au sãg, amere à la bile, fade au phleg-
me
, &
aigre & picquãte dans l’humeur
melancholique
:
Car l’experience fait
voir
que ſi ſur vne chopine, ou ſur vne
liure
de quelque liqueur douce, l’õ ad-
iouſte
huict onces de liqueur fade, qua-
tre
de liqueur aigre, &
vne d’amere, &
qu’on
faſſe boüillir le tout auec vn feu
moderé
correſpondant ànoſtre chaleur
naturelle
, douce, &
benigné, & plu-
ſtoſt
ſemblable à l’elixation, qu’à l’aſ-
ſation
, qu’il ſe fera vne liqueur douce
de
ces liqueurs meſlées enſemble;
par
conſequent
il ſe doit trouuer vne telle
proportion
dans la maſſe du ſang com-
poſée
de doux, d’inſipide ou fade, &

d’amer
ou d’aigre.
Cecy eſtant poſé, toutes les Conſo-
nances
des Pythagoriciens, qui ſe trou-
uent
dans le nombre quaternaire, ſerĕ-
contrent
auſſi dans le temperament
d’vn
parfait Muſicien, car la double
Octaue
eſt d’vn à quatre, la
510128Preludes de l’Harmonie. d’vn à trois, & l’Octaue d’vn à deux, la
Quinte
de deux à trois, &
la Quarte de
trois
à quatre, de maniere que ce tem-
perament
eſt Harmonique.
Or ceux qui trouuent que le tempe-
rament
ſanguin eſt le plus excellent &

le
pl9 propre pour faire de beaux chãts,
ſoit
que les chanſons doiuent eſtre ſan-
guines
&
jouiales, ou bilieuſes & cho-
leriques
, ou melancholiques, triſtes &

phlegmatiques
, diſent que le tempera-
ment
ſanguin eſt fait d’vne égale tem-
perature
des quatre humeurs ſur leſ-
quelles
le ſang domine;
de maniere que
celuy
qui aura ce temperament, ſera
comme
neutre &
ſurnageant, & conſe-
quemment
capable de faire de beaux
chants
ſur toutes ſortes de ſuiets:
Mais
le
bilieux ſe plaiſt à vne Muſique bruſ-
que
, ſoudaine &
aiguë, le melancholi-
que
à la graue &
à la triſte; ce qu’on re-
marque
à la Muſique du Caurroy, qui
eſtoit
d’vn temperament melancholi-
que
.
Ie ſçay qu’il y a des Muſiciens qui
font
&
qui chantent toutes ſortes de
chanſons
, bien qu’ils ne ſoient pas ſan-
guins
:
Mais on peut dire qu’ils ont cet-
te
perfection, &
ceſte inclination
511129Preludes de l’Harmonie. leurs anceſtres qui ſe fait ſouuent voir
à
la troiſieſme &
quatrieſme generatiõ,
ou
que les influences des Cieux ont cõ-
tribué
à ceſte generation, &
qu’elles fõt
d’excellens
Muſiciens, Poëtes, Ora-
teurs
, Iuriſconſultes, &
c. de toutes ſor-
tes
de temperamens.
Nous pouuons
neantmoins
rapporter ceſte grande dif-
ference
d’eſprits au principe metaphy-
ſique
de l’indiuiduation, dont nous ne
ſçauons
point d’autre raiſon, ou d’autre
cauſe
efficiente que la volõté de Dieu.
Mais ſi nous nous tenons dans les bor-
nes
&
dans les regles des temperamĕs,
nous
pouuons dire que chaque Muſi-
que
a ſa perfection;
par exemple, que
la
bilieuſe a la ſienne, ſans faire com-
paraiſon
des vnes aux autres;
car tel eſt
rauy
par vn chant melancholique, qui
ne
ſe plaiſt point aux chants gays, &

ioyeux
.
L’on peut auſſi partler du tempera-
ment
d’vn Muſicien, ſuiuant les prin-
cipes
de l’Alchymie (encore que ie ne
veuille
pas icy diſputer de la verité de
ſes
principes) car le ſel répond à la ter-
re
, &
à la melancholie: c’eſt pourquoy
l’Aſne
eſtant melancholique au
512130Preludes de l’Harmonie. trieſme degré, a plus de ſel, de froid, &
de
ſec, qu’il n’a des autres principes;
Au cõtraire le Lion eſt bilieux au meſ-
me
degré:
car il a plus de feu & de ſoul-
phre
:
le Loir eſtant d’vn temperament
humide
, &
froid, a plus d’eau & de mer-
cure
, &
la Perdrix eſtant ſanguine, a
vn
temperament chaud &
humide,
dautant
qu’elle a plus d’air, &
de ſoul-
phre
.
Mais pour parler des hommes à pro-
portion
, il faut remarquer que comme
il
ya quatre ſortes d’humeurs &
de tĕ-
peramens
dans les hommes, que cha-
que
temperament peut eſtre encore di-
uiſé
en trois degrez:
par exemple le bi-
lieux
peut auoir vn, deux, ou trois de-
grez
de bile, dont l’vn tient plus de la
nature
du feu en ſon excez:
le ſecond
en
ſa mediocrité, &
le troiſieſme en ſa
remiſſion
, ou en ſon affoibliſſement, le-
quel
aproche du temperamĕt ſanguin,
comme
le troiſieſme degré du ſanguin
eſt
proche du premier degré du phleg-
matique
, &
le troiſieſme du phlegma-
tique
eſt quaſi le premier du melãcho-
lique
.
Cecy eſtant poſé, nous pouuons
513131Preludes de l’Harmonie. que le temperamĕt le plus propre pour
la
Muſique eſt le ſulphureux temperé
de
parties égales de Mercure, &
de Sel,
pourueu
que le ſoulphre ſoit en plus
grande
quantité, ou du moins qu’il ayt
vne
plus grande vertu, afin que le tem-
perament
de celuy qui doit auoir vne
tres-excellente
voix, ſoit analogue, &

proportionné
aux chordes des inſtru-
mĕs
qui ſonnent mieux, &
dont on vſe
ſouuĕt
, à ſçauoir aux chordes de letõ, &

d’acier
:
c’eſt pourquoy les trompettes
ſont
d’airain, afin de rendre vn ſon plus
clair
, plus éclattant, &
plus agreable.
Quant au Mercure, & au phlegme, il
rend
la voix caſſe, ſourde &
foible, cõ-
me
l’on void en ceux qui ne viuent que
de
poiſſon, lequel eſt froid, &
humide:
&
le ſel, ou la terre la rend trop ſeiche,
&
trop rude, comme il arriue aux la-
boureux
, &
aux autres ouuriers qui ſe
nourriſſent
d’aliments fort groſſiers.

Voila
vne bonne partie de ce que l’on
peut
dire du temperament du Muſi-
cien
, par les principes de la Medeci-
ne
, &
de l’Alchymie: mais l’experiĕ-
ce
nous faiſant voir d’excellents Muſi-
ciens
de toutes ſortes de
514132Preludes de l’Harmonie. ic ne croy pas que toutes ces raiſons
preuuent
autre choſe que la foibleſſe,
&
les tenebres de l’eſprit humain.
Les Aſtrologues ſe promettent de
pouuoir
trouuer ce temperament en
eſtabliſſant
le theme, ou la poſition du
Ciel
, ſouz laquelle doit naiſtre le Mu-
ſicien
pour eſtre parfait en ſon art:
mais
nous
auons monſtré cy-deuant qu’ils
ſe
trompent, auſſi bien que les Phyſio-
nomes
, &
les Chiromanciens, qui di-
ſent
que ce Muſicien auroit vne certai-
ne
configuration de viſage, &
certaines
lignes
dans les mains, qui ſignifiroient
ſa
perfection en l’art de Muſique.
Neantmoins i’ay voulu rapporter ce
que
l’on peut dire ſur ce ſuiet, afin que
l’on
voye iuſques ſe porte l’imagina-
tion
des hommes, &
que l’on recõnoiſ-
ſe
le menſonge, &
l’erreur.
COROLLAIRE I.
L’on peut adiouſter 4. auttes hu-
meurs
, dont parle Auicenne, aux pre-
cedentes
, à ſçauoir celle qui n’a point
de
nom, laquelle n’eſt autre choſe que
le
ſang, qui ſ’approche de la partie
515133Preludes de l’Harmonie. corps, qui doit eſtre nourrie. La 2. eſt
appellée
roſee, qui n’eſt autre choſe quo
la
precedent, qui ſort des veines ca-
pillaires
pour arr oſer ladite partie;
&
lors
que cette roſee commence à ſ’atta-
cher
à la partie, qui ſe nourrit, elle eſt
nommé©e
glus, ou colle;
& finalement
elle
ſ’appelle cambium, quand elle ſe
change
en la partie:
de ſorte que les
Mede@ins
appellent ces 4.
humeurs,
innominatus
, ros, gluten &
cambium, qui
ſuiuent
les 4.
premieres, dont ſe fait la
maſſe
du ſang.
Or ils tiennent que toutes les eſpeces
de
fiéure hectiques s’attachent à ces 4.
dernieres humeurs, & que la 4. eſpece,
qu’ils
appellent maraſmel, cõſomme en-
tierement
la chaleur naturelle, &
l’hu-
mide
radical, qui ſe rencontre particu-
lierement
dãs la derniere de ces 4.
ſe-
condes
humeurs.
Quant aux 4. premieres, il eſt euidĕt
que
chacune a ſa fiéure particuliere,
qui
eſt cõtinue ſans relaſche, lors qu’el-
le
eſt dans le ſang, comme elle eſt quo-
tidienne
dans le phlegme, tierce dans
la
bile, &
quarte dans la melancholie.
Ie laiſſe vne infinité de differentes
516134Preludes de l’Harmonìe. ures, qui ſont engendrées par le mélan-
de ces 4.
humeurs, & tout ce que
l’on
peut dire de l’idioſyncraſie des Mu-
ſiciens
, parce que ie ne voy pas que par
cette
voye l’on puiſſe determiner aucu-
ne
chòſe du temperament qu’ils doi-
uent
auoir pour eſtre parfaits en leur
art
, qui dépend le plus ſouuent de l’é-
ducation
, de la longue habitude, &
du
grand
trauail.
Neantmoins l’on peut
lite
ce qui eſt dit de cette idioſyncraſie,
dans
la 559.
page des Commĕtaires ſur
le
texte de la Geneſe.
COROLLAIRE. II.
Il eſt treſ-ayſé de conclurre de tout
le
diſcours precedent, que le tempera-
ment
, &
les humeurs ne dominent pas
tellement
à la raiſon, qu’elle ne demeu-
re
dans ſa liberté, &
qu’elle n’en puiſſe
ſurmonter
les vices, &
les imperfectiõs,
car
il eſt auſſi ayſé de corriger le tempe-
rament
, ou l’inclination, qui porte au
larrecin
, ou à quelqu’autre mauuaiſe
action
, comme il eſt ayſé au Muſicien
melancholique
de compoſer des chãts,
&
des airs gays; ce qu’il fait par les
517135Preludes de l’Harmonie. gles de l’art, qui arment la raiſon con-
tre
le ſens, &
l’eſprit contre le tempe-
rament
.
Or l’art de bien viure a des
regles
qui ſont du moins auſſi bien eſta-
blies
que celles des compoſitions de
Muſique
, &
qui donnent vne ſi grande
lumiere
à la raiſon, qu’èlle peut ſurmõ-
ter
toutes les mauuaiſes habitudes des
humeurs
, dautant que les regles dont
elle
vſe, viennent de Dieu, qui adjouſte
la
force de ſa grace, &
de ſon aſſiſtance
à
la clarté de fes loix;
dont on peut ex-
pliquer
ce verſet du Pſalme 4.
Signatum
eſt
ſuper nos lumen vultus tui domine, dedi-
ſti
lætitiam in corde mea.
QVESTION V.
Quelle deit eſtre la capacité, & la ſcience
d’vn
parfaict Muſicien.
LE s ſciences ont iuré entr’elles vne
inuiolable
ſocieté, il eſt quaſi im-
poilible
de les ſeparer, car elles ſouf-
frent
pluftoſt que l’on les déchire;
& ſi
quelqu’vn
s’y opiniaſtre, ſon trauail ne
luy
en arrache que des lambeaux
518136Preludes de l’Harmonie. parfaicts & confus. Elles ne viennent
pourtant
pas toutes enſemble, mais el-
les
ſe tiennent tellement par la main,
qu’elles
ſe ſuiuent d’vn ordre naturel
qu’il
eſt dangereux de changer, parce
qu’elles
refuſent d’entrer autremĕt
elles
ſont appellees.
Et l’experiĕce fait
voir
que quand on en veut retenir vne
par
force, qu’elle demeure touſiours
tournée
du coſté des autres, &
qu’elle
les
appelle au ſecours, en mépriſant tel-
lement
celuy qui luy fait violĕce, qu’el-
le
ne daigne pas ſeulement luy donner
vne
œillade agreable.
De vient que
pluſieurs
ſe ſont tourmentcz en vain,
qui
ne ſçachans à qui s’en prendre, ſe
ſont
accuſez eux meſmes, pluſtoſt que
le
deſordre qui les a reduits aux termes
de
n’auoir iamais peu obtenir les bon-
nes
graces de Minerue.
Neantmoins il
n’eſt
pas neceſſaire de les affectionner
toutes
égallement, car peu de gens y
reüſſiſſent
, d’autant que la vie des hom
mes
eſt trop courte pour vne telle en-
treptiſe
;
de vient que la pluſpatt de
ceux
qui s’y ſont engagez, ne les ont
quaſi
peu reconnoiſtre, tant s’en faut
qu’ils
ayent eu loiſir de penetrer
519137Preludes de l’Harmonie. myſteres, & les ſecrets de leur plus ſou-
ueraine
beauté.
Ce qui a fait iuger aux
plus
aduiſez, qu’il eſtoit plus à propos
d’en
choiſir vne particuliere ſelon ſon
inclination
, en faueur de laquelle l’on
peuſt
inuiter toutes les autres, comme
compagnes
inſeparables.
Et veritablement il ſeroit à deſirer
que
chacun en vſaſt de la ſorte, c’eſt à
dire
qu’apres les teintures vniuerſelles
des
ſciences, l’on s’appliquaſt à la partie
que
l’on affectionne le plus.
Il y a lõg-
temps
que la Philoſophie ſeroit en vn
degré
bien haut, ſi nos deuanciers, &

nos
peres euſſent mis cecy en pratique;
& nous ne perdrions pas le temps aux
premieres
difficultez, qui ſe preſentent
maintenãt
auſſirigoureuſes qu’auxpre-
miers
ſiecles qui les ont remarquées.

Nous
aurions l’experience des Pheno-
menes
aſſeurez, qui ſeruiroient de prin-
cipes
à vn ſolide raiſonnement:
la ve-
rité
ne ſeroit pas ſi piofondémĕt abyſ-
mée
;
la nature auroit quitté la pluſpare
de
ſes enuelopes, l’on verroit les mer-
ueilles
qu’elle cõtient dans tous ſes in-
diuidus
:
la lumiere ſeroit auſſi claire à
l’entĕdement
, qu’aux yeux:
les o
520138Preludes de l’Harmonie. odeurs, les ſaueurs, & toutes les quali-
tez
ſenſibles ſeroient auſſi familieres à
l’eſprit
, qu’aux puiſſances qui en ſont
capables
:
& nous aurions vn comman-
demĕt
ſi abſolu ſur les ſens, &
ſur l’har-
monie
, qu’ils ſeroient flexibles à toutes
nos
penſées.
Or ie ne ſuis pas le premier Autheur
de
ces plaintes, il y a long-temps qu’el-
les
ſe font oüir, &
qu’elles reſonnent
dans
la bouche de tout le monde, quoy
que
perſonne n’y remedie, car encore
que
l’on en reconnoiſſe bien la faute,
nul
ne la veut reparer:
& l’entendemĕt
de
l’homme preuenu du deſir, &
de l’ã-
bitiõ
de tout ſçauoir, ſe deſtourne d’vn
attachement
particulier pour écumer
le
general auſſi viſte que les autres, dau-
tant
que l’vnique appas de ſon eſtude
eſt
l’eclat, qu’il ne trouue pas dans la re-
cherche
des principes, qu’il iuge diffi-
cile
, &
trop vetillarde: Et bien qu’ils
ſoient
la retraitte de la verité, la deſ-
cente
en eſt trop ſcabreuſe:
la pluſpart
des
hommes ſont bien aiſes de trouuer
œuure
faite, mais peu ſ y veulent appli-
quer
, &
pluſieurs croyent que cette re-
cherche
eſt inutile, ou ridicule:
521139Preludes de l’Harmonie. toute l’antiquité en a-elle à peine trois
ou
quatre, qui n’ayent eu ces conſide-
rations
, &
qui n’ayĕt méprisé ces plain-
tes
.
Pour moy ie ne veux pas les faire
en
vain, c’eſt pourquoy ie me joints
volontiers
au moindre nombre que i’e-
ſtime
le meilleur, &
le plus vtile: ceux
qui
ne manqueront pas tout à fait de
raiſon
, iugeront ſi i’en ay eu, &
ſi mes
ſpeculatiõs
ont adiouſté quelque cho-
ſe
à la perfection de la Muſique, que
i’ay
particulierement embraſſée, enco-
re
que ie l’aye rencontrée fort impar-
faicte
.
quelqu’vn a la meſme affe-
ction
, il en pourra tirer plus de profit
que
moy:
car il la trouuera dãs vn meil-
leur
ordre, &
auec plus de grace, pour-
ueu
qu’il la conſidere dans l’idee que
i’en
trace icy groſſieremĕt, laquelle luy
apprendra
les choſes qui ſont neceſſai-
res
à cette ſcience, que nos peres ont re-
ueree
, comme diuine.
De viĕt qu’ils
ont
accuſé de ſacrilege ce ux qui la pro-
fanoient
:
il y reconnoiſtra ſes ornemĕs
&
ſa beauté, laquelle empeſchera de-
ſormais
qu’elle ſoit mépriſée:
il ſçaura
les
lieux d’où elle les emprunte, &
les
moyens
qu’elle tient pour s’en
522140Preludes de l’Harmonie. afin que la poſſedant auec toutes’ſes
circonſtances
, il la rende digne des
loüanges
de Dieu.
I’entends donc par la Muſique, la
ſcience
des ſons &
de l’harmonie, pour la-
quelle
ie deſire premierement que le
Muſicien
ait de l’inclination, car on ne
reüſſit
guere aux choſes qui ne plaiſent
pas
.
Il faut auſſi qu’il ait vn eſprit ſub-
til
, &
docile, parce que les difficultez y
ſont
abſtruſes, &
qu’il faut apprendre
de
pluſieurs.
Il doit eſtre paſſablement
verſé
aux lettres humaines, cõme ſont
la
Grammaire, la Rhetorique, l’Hi-
ſtoire
, &
la Chronologie, & particu-
lierement
en la Poëſie, car les vers ſont
principalement
faits pour chanter:
la
Grammaire
polit les paroles, la Rheto-
rique
leur preſte ſes figures &
ſes mou-
uemens
;
les fables l’enrichiſſent, &
Phiſtoire
leur donne de l’authorité:
&
puis
il eſt bien ſeant à vn homme d’ho-
norable
profeſſion, de ſçauoir quels ont
eſté
les inuenteurs de la Muſique, les
beaux
effects que l’Antiquité en a ad-
mirez
, &
la diſtinction des temps auſ-
quels
ces choſes ſont auenuës, ce qu’il
apprendra
de la Chronologie:
car
523141Preludes de l’Harmonie. tre que cela eſt abſoluëment neceſſaire
à
tout homme qui embraſſe les lettres à
quelque
deſſein que ce ſoit, elles rele-
ueront
la Muſique, &
mettront le Mu-
ſicien
d’autant plus en credit, que l’on
verra
ſa ſcience mieux appuyée de tou-
tes
les connoiſſances, dont les hommes
ont
touſiours fait vn particulier eſtat:
au lieu qu’ayant eſté, comme on la void
encore
à preſent, reduite à la routine
de
trois ou quatre miſerables accords,
accompagnez
ſouuent d’vne voix de-
ſagreable
, &
mercenaire, elle eſtoit de-
uenuë
cõme vne abiecte Meneſtriere,
n’ayant
point ſouuent d’autre retraite
que
parmy les choſes qui ſeruent aux
infames
plaiſirs.
Ie deſire encore qu’il ſoit conſommé
en
toutes les parties de la Philoſophie,
à
ſçauoir dans la Dialectique, dans la
Phyſique
, dans la Morale, &
dans la
Theologie
, car ſans l’intelligence des
principes
, des diſtinctions, &
des analy-
ſes
, le bon raiſonnement luy manque,
ſans
lequel il ne peut auoir la connoiſ-
ſance
des choſes naturelles, qui luy eſt
tellement
neceſſaire, que ſans elle il
n’entendra
iamais la nature du ſon,
524142Preludes de l’Harmonie. qu’il ſe tire auſſi differemment de tou-
tes
ſortesde corps, qu’eux meſmes ſont
differents
, comme du bois, des metaux,
des
pierres, &
des autres matieres dont
on
fait les inſtruments;
à quoy ſeruent
auſſi
les diuers temperamĕs, &
les qua-
litez
de l’air, &
des autres choſes liqui-
des
, qui ſont le vehicule du ſon &
de la
voix
.
D l’on peut aiſément conclu-
re
, qu’il eſt obligé à la ſpeculation de
toutes
les choſes naturelles, à ſçauoir
des
corps ſenſibles, &
des inſenſibles en
toutes
leurs differences, non ſeulemĕt
ſelõ
la Phyſique, mais auſſi ſelon la Me-
decine
, dont il doit apprendre quelles
ſont
les organes de la voix, quelles en
ſont
les maladies, &
commeilla faut
conſeruer
, &
la guerir.
Et parce que ſon principal deſſein
conſiſte
à adoucir les paſſions, à rame-
ner
les eſprits à la droice raiſon, &
à ex-
citer
les affections de ſes auditeurs à la
pieté
, &
au ſeruice diuin, comment en
viendra-il
à bout ſans la Morale, &
ſans
la
Theologie, dont la premiere luy ap-
prend
les diuers mouuemens de l’eſprit
ſenſitif
, &
du raiſonnable, & l’autre
525143Preludes de l’Harmonie. enſeigne les choſes qui ſeru ĕt à la louã-
ge
de Dieu, qui par commandement
expres
l’a voulu receuoir des hommes
en
ceſte maniere.
La neceſſité qu’a la Muſique des ſup-
putations
, &
des raiſons quila conſti-
tuent
, l’attachent inſeparablement aux
Mathematiques
, qui outre cela luy
fourniſſent
la nature des reflexiõs pour
le
redoublement des ſons, &
pour le re-
tentiſſement
des voix, c’eſt pourquoy
elle
a droit d’ordonner des baſtimens
propres
aux concerts:
ce qui l’oblige
encore
à l’Architecture, &
par conſe-
quent
à la Pourtraicture, tant pour ce-
la
, que pour deſſeigner les nouueaux
inſtrumĕs
que le Muſicien peut inuen-
ter
en corrigeant les vns, &
adiouſtant
aux
autres, &
pour ordõner des grot-
tes
, &
des machines hydrauliques, &
pneumatiques
, qu’il rendra capables de
toute
ſorte d’harmonie.
Il eſt donc eertain que pour acquerir
la
perfection de la Muſique, il n a rien
que
l’eſprit ne doiue mettre en beſon-
gno
de toutes les choſes qui ſe peuuent
ſçauoir
&
pratiquer: & bien qu’il ſoit
tres-difficile
que ceſte perfectiõ ſe
526144Preludes de l’Harmonie. contre dans vne meſme perſonne, il eſt
neantmoins
à propos que l’on connoiſ-
ſe
par ce deſſein, en quoy elle conſiſte,
afin
que l’on taſche d’en approcher le
plus
que l’on pourra;
& que ceſte ſcien-
ce
ne ſoit plus ſi mépriſée comme elle a
eſté
iuſques à preſent;
mais qu’eſtant
couronnée
de toutes les fleurs quiluy
appartiennent
, elle ſoit honorée ſelon
ſa
beauté, &
capable d’entrer chez les
Princes
&
les Roys, & finalemĕt qu’el-
le
ſoit digne d’eſtre preſentée au Sou-
uerain
Autheur de toutes choſes.
Qvestion VI.
A ſçauoir ſile ſens de l’ouye doit eſtre le iuge
de
la douceur des ſons, & des concerts,
ou
ſi cet office appartient à
l’entendement
.
CEtte queſtion n’a pas eſté meuë
d’aujourd’huy
, elle a donné de la
peine
aux plus grands hommes du mõ-
de
, comme à Pythagore, Platon, Ari-
ſtoxene
, Ptolomée &
à pluſieurs au-
tres
, dont les vns ont deferé le
527145Preludes de l’Harmonie. ment des ſons à la ſeule raiſon, les au-
tres
aux ſens, &
les autres ont conioint
le
ſens à la raiſon.
Ceux qui diſent que
le
ſens de l’oüie doit eſtre le iuge de la
Muſique
, ſ’appuyent ſur ce raiſonne-
ment
.
Si l’office, diſent-ils, de iuger des
ſons
appartenoit à l’ame raisõnable, ou
à
la raiſon, elle iugeroit touſiours de la
meſme
façon, d’vn meſme concert, &

tous
les hommes trouueroient les con-
certs
d’vne meſme bõté, car toutes nos
ames
ſont égales, n’y ay ant nulle autre
difference
entre les eſprits des hom-
mes
, que celle qui vient des organes, &

du
temperament vniuerſel de tout le
corps
, &
du particulier, & ſpecifique de
chaque
partie d’iceluy.
Or le iugemĕt
ne
dépend point des organes, car quel-
que
mauuais temperament qu’on aye,
la
partie de l’ame que les Grecs appel-
lent
γ{οῦ}ς, (qui eſt à l’entendement ce
qu’eſt
la ſplendeur à la lumiere, &
à la
ſyndereſe
, ce qu’eſt le Pilote au Naui-
re
) iuge touſiours équitablement, com-
me
nous experimentons aux propoſi-
tions
vniuerſelles de la Philoſophie na-
turelle
, &
de la Morale, car tous leshõ-
mes
du monde auoüent que le bien
528146Preludes de l’Harmonie. aimable; qu’il faut fuyr le mal, que l’e-
ſtre
vaut mieux que le non eſtre;
qu’il
eſt
neceſſaire que Dieu ſoit tres-par-
faict
;
que rien ne ſe peut faire ſoy-meſ-
me
;
que ce’qui eſt limité & finy, a eſté
fait
;
que l’ordre eſt plus excellent que
le
deſordre, &
mille autres ſemblables
propoſitions
, qui ſont reconuës vniuer-
ſellement
par tout le monde, ſans qu’il
ſoit
neceſſaire de les apprendre.
Il’fau-
droit
donc auſſi quand les cõcerts ſont
bons
, que tous ceux qui les entendent,
les
iugeaſſent bons;
ce qui n’arriue pas,
car
ce qui plaiſt à l’vn, déplaiſt à l’autre.
Il y en a meſmes à qui les bruits confus
plaiſent
dauantage que les conſonan-
ces
, &
qui ayment mieux entendre le
bruit
des Canons, ou le bourdonnemĕt
des
mouſches, que la plus grande-dou-
ceur
des meilleurs concerts.
De dire
que
l’on doit eſtimer ces hommes.

barbares
&
brutaux, & maintenir qu’ils
n’ont
pas l’eſprit bien faict, ce n’eſt pas
répondre
, car nous ne ſçauons pas ſi au
contraire
ils ont l’eſprit ſi excellent &

ſi
ſubtil, que le peu de perfection qu’il y
a
dans nos concerts les bleſſe, ou ſi c’eſt
quelque
particuliere perfectiõ de
529147Preludes de l’Harmonie. uet les diſſonances auſſi bonnes, ou
meilleures
que les conſonances;
ſui-
uant
le dire ou le prouerbe commun,
à
ſçauoir, que ce qui eſt rare eſt excel-
lent
;
il eſt donc incertain ſi on les doit
appeller
monſtres d’imperfection, ou
prodiges
de perfection, car on n’a point
encorc
demonſtré que l’eſprit qui eſt
tellement
proportionné aux diſſonan-
ces
, &
aux ſons aſpres, & rudes qu’il s’y
puiſſe
plaire, ne ſoit pas ſi excellent que
celui
à qui les ſons aigres, &
les diſcords
déplaiſent
:
& comme ce qui eſt aſpre
ſignifie
ſouuent vne grande chaleur, on
pourroit
dire que l’eſprit qui ſe plaiſt à
l’aſpreté
&
à la rudeſſe des ſons, a vne
grande
viuacité &
vne grande force.
Ie ponrrois confirmer l’excellence de
ces
eſprits en rapportãt pour exemple,
quelques-vns
de mes amis que ie ſçay
ne
prendre nul plaiſir à l’harmonie vo-
cale
, ou inſtrumĕtale, encore qu’ilsayĕt
bon
eſprit, qu’ils ſoient d’vn bon tem-
peramĕt
, &
plains d’vne ſi grande dou-
ceur
en leurs mœurs, &
en leur conuer-
ſation
qu’elle eſt preferable aux plus
douces
harmonies.
D’abondaut ceux qui joüent du
530148Preludes de l’Harmonie. ou de la viole, nous diſent que la quin-
te
qui eſt iuſte ſelon la raiſon, n’eſt pas
ſi
agreable que quand elle eſt affoiblie:
& l’orgue meſme ne ſuit pas la raiſon
de
la quinte du monochorde:
de ſorte
qu’il
faudroit que la quinte du ſens fut
moindre
que celle de l’entendement;

&
ceux quiſuiuent les raiſons, & qui ſe
contĕtent
de la Theorie de la Muſique,
confeſſent
que la quinte du ſens &
des
inſtrumens
eſt fort agreable, &
qu’elle
ne
cede point à celle qui eſt preſcrite
par
les nombres qui ſeruent d’idées à la
raiſon
.
En troiſieſme lieu, les ſons ne
ſeruent
pas d’object à l’eſprit, mais à
l’oreille
, car la verité &
les choſes intel-
lectueles
, &
vniuerſelles ſont le propre
object
de l’entendement, comme les
choſes
corporelles, materielles, &
par-
ticulieres
, le ſont des ſens exterieurs,
or
il appartient à chaque faculté de iu-
ger
de ſon obiect, de vient qu’on dit
que
l’entendement eſt des choſes vni-
uerſelles
, &
les ĕs des particulieres, cõ-
me
ſont les interualles des ſons.
En ef-
fect
nous experimentons en raiſonant,
que
l’entendement n’a point de pro-
pres
eſpeces des sõs, ny des autres
531149Preludes de l’Harmonie. ſes ſenſibles, ce qui fait qu’il n’en diſ-
court
qu’en general, en leur appliquant
quelques
idées &
notions vniuerſelles,
qu’il
prend d’ailleurs, ou qui luy ſont
données
dés le moment de ſa creation:
& qu’apres auoir bien trauaillé à la re-
cherche
de la nature, &
de l’eſſence des
choſes
particulieres, il eſt contraint d’a-
uoüer
qu’il ne ſçait rien, ou tout au plus
qu’en
general &
confuſément, & doit
touſiours
recourir &
deſcendre à ceq@@
luy
font connoiſtre les ſens, à qui la rai-
ſon
eſt redeuable de ce qu’elle com-
prend
, comme elle témoigne aux mala-
dies
&
indiſpoſitions qui arriuent aux
ſens
, eſtant contrainte de rendre hom-
mage
àl’oreille àl’œil, &
c. & de demeu-
rer
oyſeuſe auſſi long-temps ccmme
elle
eſt priuée de leur ſecours.
D’ailleurs nous voyons que ceux qui
ont
perdu l’eſprit, ou qui n’en ont ia-
mais
eu, comme les fols, &
les idiots, iu-
gent
de la Muſique, &
ſe plaiſent plus
aux
conſonances, qu’aux diſſonances,
&
neantmoins il ſemble qu’ils ne ſe ſer-
uent
que des ſens, puis qu’ils n’ont ia-
mais
eu l’vſage de la raiſon:
auſſi n’a on
peu
dõner de definition aux
532150Preludes de l’ Harmonie. ces & aux diſſonances, qu’en l’appre-
nant
du ſens &
non de la raiſon, car
nous
diſons que la conſonance ſe fait
de
deux ſons qui ſe font en meſme tĕps
&
qui ſont agreables à l’oüie, & que la
diſſonance
ſe fait de deux autres ſons
qui
ſont deſagreables à l’oreille:
& quãd
on
concederoit que le ſens exterieur de
l’oüie
ne peut iuger des ſons, neant-
moins
ce iugement appartiendroit à l’i-
m@gination
, qui eſt auſſi bien dans les
beſtes
que dans les hommes, car com-
me
l’ame ſenſitiue a ſes ſentimĕs exte-
rieurs
, qu’elle exerce par le moyen des
organes
viſibles, auſſi a elle ſes actions
interieures
, dont l’vne eſt le diſcerne-
ment
, l’approbation, ou le iugemĕt des
obiects
ſenſibles qui luy ſont agreables,
ou
deſagreables ſelon le rapport, ou la
diſproportion
qu’elle a auec eux.
Car
puiſque
chaque eſpece d’appetit re-
quieit
vne connoiſſance de meſme gĕ-
re
, &
que les animaux ont l’appetit
ſenſitif
, par lequel ils ſe plaiſent, ou ſe
faſchent
de ce qui leur eſt vtile, &
de-
lectable
, ou de ce qui leur nuit, &
leur
déplaiſt
, il eſt neceſſaire qu’ils ayent
vne
connoiſſance &
vne lumiere
533151Preludes de l’ Harmonie. ſoit proportionnée à leur appetit, qui
ne
peut apperceuoir ſon obiect, ny ſe
porter
vers luy par amour, ou par deſir,
ou
ſe reſioüir de ſa poſſeſſion, s’il n’eſt
conduit
&
éclairé par la lumiere de l’i-
magination
, dont elle a plus grand be-
ſoin
que les pieds n’ont beſoin des yeux
pour
marcher aſſeurément.
Nos Muſiciens, ou ceux qui compo-
ſent
les chanſons, ou les moters, nous
confirment
cette opinion, n’ayant au-
tre
raiſon à alleguer pourquoy ils vſent
d’vn
paſſage, d’vne cõſonance, ou d’vn
interualie
pluſtoſt que d’vn autre, que
de
dire qu’ils ont trouué que ces paſſa-
ges
ſont agreables à l’oüye:
iugeans ſeu-
lement
par la connoiſſance des ſens, ou
de
l’imagination:
& ſ’il ſe rencontroit
quelqu’vn
à qui la tierce mineure, ou
maieure
, ou la ſeconde, &
la ſeptieſme
fuſſent
plus agreables que la quinte, ou
l’octaue
, il faudroit dire, nonobſtant
quelque
raiſon &
Theorie qu’on euſt,
que
les premiers interualles ſeroiĕt des
conſonances
plus agreables que les ſe-
condes
en comparaiſon de celuy à qui
celles
plairoient dauantage.
Ce qui
arriue
peut-eſtre à pluſieurs
534152Preludes de l’ Harmonie.& à pluſieurs hommes, dont les eſprits
ſont
tellemĕt diſpoſez, qu’ils reçoiuent
plus
de contentement d’eſtre meus, ou
alterez
de la rĕcontre des ſons qui font
nos
diſſonances, &
d’entendre les in-
terualles
que nous iugeons incapables
d’entrer
dans l’harmonie, qu’ils n’en re-
çoiuent
du chatoüillement que font
nos
conſonances:
ce qu’on a remarqué
de
quelqu’vn qui preferoit le hanniſſe-
ment
des cheuaux à la Muſique.
Que ſ’il y en auoit pluſieurs à qui la
meſme
choſe arriuaſt, ſans doute nous
trouuerions
des raiſons pour prouuer
que
ce que nous appellons maintenant
diſſonance
, deuroit eſtre appellé con-
ſonance
, ce qui fait veoir que la raiſon
ſuit
le iugement des ſens, &
qu’elle ſe
ploye
comme on veut pour ſ’accomo-
der
à eux, comme faiſoit la regle Leſ-
bienne
à toutes ſortes de lignes, &
d’ou-
urages
, car ſi la raiſon regloit les ſens, il
faudroit
qu’elle tint ferme comme la
regle
de Polyclete, &
que nous fiſ-
ſions
touſiours le meſme iugement d’v-
ne
meſme choſe, pendant qu’elle de-
meure
en meſme eſtat, ce qui n’arriue
pas
ſouuent.
535153Preludes de l’ Harmonie.
Ceux au contraire qui tiennent que
l’entendement
eſt le ſeul iuge, diſent
qu’en
renuerſant toutes ces raiſons leur
opinion
ſ’eſtablit d’elle meſme:
Car il
eſt
bien certain qu’à celuy qui a perdu
l’vſage
de la raiſon, tous les ſens ſont
inutiles
pour iuger, &
que c’eſt ſe fein-
dre
vne ſtatuë de bronze, qu’vn hõme
ſans
entendement, qui le fait ſeul eſtre
homme
.
Car de dire que les hommes
iugeroient
tous de meſme façon d’vn
meſme
concert, ſi le iugement depan-
doit
de la raiſon, parce que nos ames
ſont
égalles, &
que le iugement ne dé-
pend
point des organes, comme l’on
experimente
aux propoſitions de la
Philoſophie
naturelle &
morale, c’cſt
argumenter
ſophiſtiquement:
Car le
iugement
pour iuger des choſesvniuer-
ſelles
n’a que faire des ſens, non plus
que
le Iuge pour eſtre bon Iuge n’a
que
faire d’Auocats, ny de Procureurs,
car
pour cela il luy ſuffit d’auoir le cha-
ractere
de Iuge, &
la conſtante & per-
petuelle
volonté de rendre à vn chacun
ce
qui luy appartient:
mais pour iuger
le
diſferent d’entre Titius, &
Meuius,
il
a beſoin d’vn Aduocat qui
536154Preludes de l’ Harmonie. de leur different, & des moiens qu’ils
ont
chacun pour obtenir leur intĕtion,
&
des Procureurs pour cõduire la cau-
ſe
, &
propoſer lesdemãdes, & les deffen-
ces
ſelon les formes vſitées:
auſſi pour
iuger
de ce concert, ou de cet autre, le
iugement
a beſoin que l’on luy rappor-
te
quel eſt ce concert, ou cet autre:
ſur
ce
rapport il fait ſon iugemĕt, &
ce rap-
port
ſe fait par le ſens parfait.
Quant à ceux que l’on dit qui ne ſe
plaiſent
point à la Muſique, ou qui ſe
plaiſeru
plus à d’autres bruits qu’aux
conſonances
, cela vient de ce qu’ils
n’ont
iamais donné d’accez à la Muſi-
que
dans leur eſprit, ny aſſez d’attĕtion
pour
la gouſter, ayant l’eſprit occupé à
d’autres
penſées, &
remply d’autres de-
ſirs
, leſquels ne laiſſent entrer dans l’a-
me
aucune choſe qui n’y contribuë, cõ-
me
ceux qui ſont échauffez à la guer-
re
, ou ceux qui ſont acharnez au gain,
&
enclins à l’auarice, ou ceux qui
voient
pãcher ſur eux quelque grande
perte
, ou ruine, ne s’émeuuent pour
aucun
ſon, ſi les vns n’entendent vn ca-
non
, vn tambour, ou hãnir vn cheual,
les
autres compter de l’argent, le s
537155Preludes de l’ Harmonie. tres s’ils n’entĕdent quelque autre con-
fuſion
:
& ce qu’ils entendront contrai-
re
ou , qui ne contribuerapoint à leur
paſſion
, ne leur touchera nullement
l’eſprit
, &
n’en feront aucun iugement:
ce qui monſtre que c’eſt ſeulement la
raiſon
qui iuge, puis qu’il faut pluſtoſt
que
la raiſon ſoit ſaine, &
non malade
pour
iuger, que le ſens, lequel quoy
que
ſain ne peut iuger, ſi la raiſon eſt
malade
:
la plus agreable Muſique du
ſoldat
ſera donc le ſon des tambours, &

des
Canonades:
de l’auare, le ſon de l’ar-
gent
, du maſſon, le bruit des marteaux:

de
l’Apothicaire ou parfumeur, le ſon
des
mortiers de ſa boutique:
du meu-
nier
, le claquet de ſon moulin:
de l’A-
uocat
, la confuſion d’vn barreau:
du
menuiſier
&
du charpentier, le coup de
maillet
, &
le bruit de la ſcie, parce qu’ils
ont
tous l’eſprit porté .
Mais ſi quel-
quefois
l’eſprit ſe met en repos, &
qu’il
quitte
, ou qu’il remette ſes paſſions à
vn
autre temps, ſi la Muſique ſe pre-
ſente
, il la laiſſe entrer doucement, &

s’en
trouue touché inſenſiblemĕt.
L’ĕ-
pire
de la raiſon eſt ſi grand ſur les ſens,
qu’elle
les rebutte quand il luy
538156Preludes de l’ Harmonie.& leur empéche d’apperceuoir ce qu’ils
ſentiroiĕt
.
Ce que cõſiderãt quelques-
vns
ils l’õt eſtimée vne diuinité racour-
cie
, &
vn ray@@ de la raiſon Archetype,
qui
fait dans le corps humain ce que
Dieu
fait dans le monde, ce qui eſt ve-
ritable
en quelque façon, car elle porte
l’image
de la Diuinité, &
commande
au
corps comme à vn petit mõde, mais
il
y a en effect des differĕces auſſi gran-
des
comme du finy à l’infiny.
Il faut done confeſſer que la raiſon
eſt
neceſſaire pour iuger de la nature, &

de
la difference des ſons, comme Pto-
lomée
a prouué dans le premier cha-
pitre
de ſonpremier liure de la Muſique
contre
les diſciples d’Ariſtoxene qui
donnoient
trop au ſens, bien qu’il leur
faill@
accorder quelque choſe en ce ſu-
iet
, afin qu’ils agiſſent coniointement
aucc
la raiſon, comme il monſtre auſſi
contre
l’aduis des diſciples de Pyta-
gore
.
Or il eſt ſi veritable que la raiſon eſt
neceſſaire
pour iuger des sõs, que nous
ne
pouuons connoiſtre ſans ſon ayde,
ſi
ce que nous oyons doit eſtre appellé
ſon
, ou concert:
car les animaux, à
539157Preludes de l’ Harmonie. nous ſerions ſemblables, & qui nous ſe-
roient
égaux, ſi nous n’auions la raiſon,
ne
font point de reflexion ſur les actiõs,
ou
les paſſions de leurs ſens exterieurs,
ou
intetieurs, &
ne ſçauent ce que c’eſt
que
couleur, odeur, ou ſon, ny s’il y a
quelque
difference entre ces obiects,
auſquels
ils ſont pluſtoſt emportez,
qu’ils
ne s’y portĕt eux-meſmes;
ce qui
ſe
fait par la force de l’impreſſion que
les
obiects differents font ſur leurs or-
ganes
, &
ſur leurs ſens, car ils ne peu-
uent
diſcerner ſ’il eſt plus à propos d’al-
ler
boire, ou manger, que d’aller faire
autre
choſe, &
ne boiuent, ne mãgent,
ny
ne font autre choſe, que quand la
preſence
des obiets, ou l’imagination
brutalle
les neceſſite, &
les tranſporte
à
leurs obiets, ſans qu’ils puiſſent reſi-
ſter
à telles impreſſions, &
ſans qu’ils
connoiſſent
@@ qu’ils font, ſoit bien, ou
mal
, ce qui nous arriueroit comme à
cux
, ſi nous eſtiõs deſtituez de la raiſon,
car
ils n’ontde lumiere que ce qu’il leur
en
faut pour prendre leur nourriture, &

pour
nous ſeruir aux vſages auſquels
Dieu
les a deſtinez.
Il faut donc conclurre nonobſtant
540158Preludes de l’ Harmonie. raiſons precedentes qui combattent en
faueur
des ſens, que la raiſon &
l’oüie
ſont
neceſſaires pour iuger de l’harmo-
nie
, &
du different des ſons; ce qui ſe
fait
neantmoins auec telle condition,
que
l’oüie reçoit toutes les affectiõs des
ſons
, le iugement deſquels eſt reſerué à
la
raiſon, de qui elle tient la iuſteſſe des
conſonances
, des interualles, &
c. mais
la
raiſon emprunte de l’oüie ce qu’elle
auoit
reçeu deuãt, &
ſe cõtente d’apro-
cher
de la verité des interualles, &
des
termes
du graue, de l’aigu &
des autres
proprietez
&
differences des ſons par
l’ĕtremiſe
de l’oreille, afin detrouuer en
ſuite
les vrais interualles, &
les ex actes
differences
des ſons par la force du rai-
ſonnement
, &
par les differentes com-
paraiſou@
qu’elle fait des vns auec les
autres
.
En effect, c’eſt la raiſon qui recher-
che
les cauſes du mouuemĕt &
du ſon:
le ſens n’en reçoit que l’impreſſion, dõt
la
raiſon doit iuger, puis qu’elle en con-
ſidere
les cauſes &
la nature, & qu’elle
eſt
ſimple, &
vniuerſelle, n’épouſant
que
laverité, quelque part qu’elle la rĕ-
contre
:
mais les ſens ſont ſuiets à
541159Preludes de l’ Harmonie. ſorte d’alterations, & de changemens,
&
ſe trompent facilement à cauſe du
mouuemĕt
&
du flus perpetuel de leur
matiere
, s’ils ne ſont conduits &
main-
tenus
dans l’ordre par la raiſon.
De
vient
que comme l’œil prend le cercle
qu’on
fait par hazard ſans compas, pour
vn
cercle parfait, quand il approche de
la
perfection, iuſques à ce que la raiſon
en
faſſe vn parfait, qui fait paroiſtre le
défaut
&
l’imperfection du premier,
que
l’oüie croit ſemblablement que les
interualles
conſonants, ou diſſonants
ſont
paifaits, quand ils approchent de la
perfection
, mais elle eſt contrainte de
confeſſer
leur imperfection, quand la
raiſon
donne les parfaits, car il eſt plus
facile
de iuger de cette perfection que
de
la trouuer, comme il eſt plus facile
de
iuger d’vn combat, que de combat-
tre
, ou de la courſe, que de courir, &
c.
Or encore que les ſons sĕblent iuger de
la
veritable difference des choſes qui
leur
ſeruent d’obiect, &
qu’ils ne ſe trõ-
pent
pas de beaucoup, quand ils conſi-
derent
de cõbien les parties ſe ſurmon-
tent
lors qu’elles ſont grandes &
en pe-
tit
nombre, neantmoins ils ſe
542160Preludes de l’ Harmonie.& la raiſon ne ſe doit iamais fier à eux,
puis
qu’elle recõnoiſt l’erreur toûjours
plus
grande, quand les parties ſont plus
petites
&
en plus grand nombre: car
plus
elles ſont petites, moins elles ſont
remar
quables:
par exemple, quand on
propoſe
vne ligne droite, le ſens iuge
ſi
vne autre eſt plus lõgue ou plus cour-
te
, en les comparant, &
les appliquant
l’vne
à l’autre, ou en les diuisãt en deux
parties
égales, ou en les doublant &
fai-
ſant
ſeulement vne comparaiſon pour
cet
effect;
que s’il la faut tripler ou di-
uiſer
en trois, il eſt plus difficile, d’au-
tãt
qu’il faut faire deux comparaiſons,
de
ſorte que les differences ſont dautãt
plus
difficiles à eſtre remarquées que
les
diuiſions, &
les partics ſont en
plus
grand nombre, particulierement
quand
il faut contĕpler les parties vne
à
vne, comme il arriue à la proportion
ſeptuple
, ou au nombre diuiſè en ſept,
qui
n’a point de moitié, à cauſe qu’il eſt
impair
, &
qu’il ne contient nulles par-
ties
qui nous en rendent la connoiſſan-
ce
plus aiſée, comme ſont les parties du
nombre
8, dont nous trouuons faci-
lement
la moitié, &
puis la moitié
543161Preludes de l’ Harmonie. la moitié, de ſorte que nous n’auons
que
faire de conſiderer la huictieſme
partie
, ou la raiſon octuple, mais ſeule-
ment
les moitiez de pluſieurs nombres
inegaux
, à ſçauoir les moitiez de 8.
de
4
.
& de 2. qui nous menent iuſques à
l’vnité
:
mais c’eſt touſiours la raiſon
qui
iuge, car ſi c’eſtoit le ſens exterieur
il
faudroit qu’il iugeaſt ou deuant que
d’auoir
ſenty, ou en ſentant, ou apres
auoir
ſenty:
de iuger auparauant, il eſt
impoſſible
, car de ijs quæ non ſunt, &
non
apparent
idem iudicium.
De iuger en ſen-
tant
, il eſt impoſſible, car tout iuge-
ment
ſe doit faire par reflexion, &
la
reflexion
preſuppoſe vn ordre de tĕps,
il
faudroit donc qu’il iugeaſt apres, or
ſurquoy
iugeroit-il apres, veu qu’il n’a
rien
de preſent, &
qu’il manque de me-
moire
&
d’imagination. Ce n’eſt donc
pas
le ſens exterieur qui iuge, ny l’inte-
rieur
, que l’on appelle ſens commun,
pource
que les meſmes inconueniens
luy
arriueroient qu’au ſens exterieur,
il
s’enſuit donc que c’eſt la raiſon ſeule
qui
iuge.
Or ſi l’on applique à l’ouie ce
qui
a eſté dit des nombres &
de la veuë,
qui
diſcerne facilem ent quand vne
544162Preludes de l’ Harmonie. gne eſt double, ou ſouz double d’vne
autre
ligne, il faut conclurre que com-
me
la veuë, ou la raiſon iugeant des
choſes
viſibles, a beſoin d’vne regle
pour
iuger ſi vne ligne eſt parfaitement
droite
, &
d’vn compas pour iuger exa-
ctement
du cercle, &
de ſes parties, que
l’oüie
a beſoin de certain@s regles pour
eſtablir
les parfaites differĕces des ſons,
leurs
interualles, &
tout ce qui leur ap-
partient
, car l’oüie n’eſt pas plus ſubtile,
ny
plus habile que la veue, qui ſur paſſe
tous
les autres ſens par la promptitude
&
l’excellence de ſon action.
Laregle, dont ſe ſert la raiſon pour
dreſſer
les ſons, &
pour trouuer exacte-
ment
les interualles &
leur difference,
ſe
doit appeller Regle, ou Canon harmo-
nique
, car ceſt l’office du Muſicien de
conſeruer
ou de trouuer les raiſons de
ladite
regle, qui s’accordĕt aucc l’oüie,
ſuiuant
le ſentiment de la plus grande
partie
des hommes;
comme celuy de
l’Aſtronome
eſt de conſeruer, ou d’e-
ſtablir
les hypotheſes des mouuemens
celeſtes
, apres auoir obſerué tous les
Phenomenes
qui paroiſſent ordinaire-
ment
.
545163Preludes de l’Harmonie.
Car il appartient aux hommes ſça-
uans
qui employent leur vie, &
leur
cſtude
à la contemplation, de monſtrer
que
les œuures de la nature ſont bi@n
ordonnées
, &
qu’il n’y a rien qui ſoit
confus
, ou qui ſe faſſe par hazard, par
ticulierement
dans ce qui concerne la
veuë
&
l’oüie, qui approchent plus de
la
raiſon, que les autres ſens &
qui nous
ſeruent
pour apprendre les ſciences, &

pour
loüer, contempler &
admirer les
œuures
de Dieu, &
l’excellence, & la
grandeur
de l’ouurier.
Quant aux autres obiections qui ſe
font
en faueur de l’oreille, ou des autres
ſens
, elles font ſeulemĕt voir que l’oüie
eſt
neceſſaire pour la Muſique, dautãt
qu’il
faut que les ſons aillent à l’eſprit
par
ſon moien:
mais ſi toſt qu’il les a cõ-
nus
, il les regle, &
rejette ceux qui
ſont
contre la raiſon, &
qui l’offenſent,
&
admet ceux qui ſont ſuiuant la rai-
ſon
harmonique, &
en fait vn art, & ne
ſe
contentant pas de cela, il cherche les
cauſes
pour leſquelles certains inter-
ualles
luy ſont conuenables, c’eſt à dire
plus
agreables que les autres;
ce qu’il
fait
ſi parfaitement, qu’il ſe
546164Preludes de l’Harmonie. luy-meſme d’auoüer que ſon diſcours
eſt
veritable:
comme lors qu’il dit, que
ce
qui eſt plus ſimple, &
mieux ordon-
eſt plus facile à comprendre que ce
qui
eſt compoſé &
confus; de vient
qu’il
eſt plus facile de diuiſer vne ligne
en
deux parties égales qu’en trois, ou
en
cinq, &
c. dautant que deux eſt plus
ſimple
que trois, &
c. & que l’on com-
prend
mieux la figure d’vn quarré, que
d’vn
heptagone, &
que, pour ne ſortir
de
noſtre ſuiet, vn chant ſimple fait ſeu-
lement
de trois ou quatre tons, ſe com-
prend
mieux, qu’vn plus diuerſifié.
Ie
ſçay
neantmoins que l’eſprit eſt quel-
quefois
plus content lors qu’il contem-
ple
quelque choſe de plus difficile, cõ-
me
l’heptagone, que quand il conſide-
re
le triangle, ou quelqu’autre figure
plus
ſimple, &
plus facile, donti’expli-
que
la raiſon dans vn autre lieu.
Il faudroit maintenant répondre à
chaque
objection que i’ay faite pour
prouuer
que les ſens doiuent eſtre les
iuges
de leurs obiects, mais chacun le
peut
faite, car il ſuffit d’auoir répondu
en
general.
547165Preludes de l’Harmonie.
Qvestion VII.
A ſçauoir s’il eſt expedient d’vſer du genre
Chromatic
, & de l’Enharmonic, ou ſi l’on
doit
ſe content@r du Diatonic; &
ſi
l’on peut reduire œs trois genres
en
Pratique.
CEux qui n’ayment pas la nouueau-
, &
qui meſurent toutes choſes
à
leur capacité, &
à l’experience, tien-
nĕt
qu’il n’eſt pas poſſible, ou du moins
qu’il
n’eſt pas expedient de chanter En-
harmoniquement
, puiſque l’vſage eſt
contraire
, &
que tous les ſiecles ont
fait
voir que le genre Diatonic eſt ſuf-
fiſant
pour chãter tout ce que l’on veut.
Et ſi Timothée, qui eſtoit le plus ſça-
uant
Muſicien de ſon temps, fut banny
de
ſon pays pour auoir adiouſté vne
nouuelle
corde aux inſtrumens, ils
peuuent
dire que ceux doiuent eſtre
bannis
plus loing, qui veulent intro-
duire
le genre Enharmonique, puis que
cela
ne ſe peut faire ſans introduire l’v-
ſage
de pluſieurs cordes, qui ne ſ
548166Preludes de l’Harmonie. point ſur les inſtrumens, & dont les
voix
n’vſent pas.
Car ſi la doctrine de Socrate eſt veri-
table
, la tranquillité des Republiques,
&
la paix, & la guerre dependent tello-
ment
des cordes, ou des ſons de la Mu-
ſique
, que les loix ſ alterent au change-
ment
des cordes, &
des tons, dont les
vns
conſeruent la temperance, &
les
bonnes
mœurs, &
les autres introdui-
ſent
le vice, le luxe, &
les déreglemĕs,
qui
font à la fin dechoir, &
perir les Re-
publiques
.
Mais la meilleure raiſon ſe prend de
la
nature, qui ne donne pas les degrez
de
la Chromatique, ou de l’Enharino-
nique
, comme ceux de la Diatonique.
Car la trompette ne fair pas le ſemiton
mineur
, nv la dieſe Enharmonique,
comme
elle fait les tons &
le ſemiton
majeur
;
& les degrez de ces 2. genres
ne
viennent pas de la difference des
Conſonances
, comme font les degrez
Diatoniques
, qui ſeruent à paſſer d’v-
ne
conſonance à l’autre;
ce qui prouue
que
ces ſeuls degrez ſuiuent l’intention
de
la nature, qui approuue les ſeuls de-
z, qui ſeruent pour paſſer aux
549167Preludes de l’Harmonie. ſonances, & particulierement à l’vniſ-
ſon
, comme à la plus grande perfection
de
la Muſique.
D’ailleurs, puis que la Muſique eſt
vn
ieu d’eſprit, &
qu’elle a eſté inuen-
tée
pour la recreation, &
pour preparer
l’ame
à de plus hautes penſées, &
à des
ſpeculations
plus ſerieuſes, elle ne doit
pas
eſtre ſi difficile qu’elle donne trop
de
peine &
de trauail aux auditeurs au-
trement
elle les rendroit ineptes aux
exercices
plus difficiles, &
plus releuez,
qui
doiuent ſuiure immediatement
apres
;
or le degré Enharmonique ne
peut
eſtre compris ſans vne grãde con-
tention
d’eſprit, dautant qu’il conſiſte
dans
la comparaiſon de 125 à 128.
qui
eſt
ſurtripartiſſante cent vingt cinq, &

conſequemment
fort difficile à conce-
uoir
.
Et ſi l’on veut trauailler vtilement, il
vaut
beaucoup mieux employer le tĕps
à
la @echerche des choſes qui peuuent
ſeruir
au bien du public, ou des parti-
culiers
, qu’aux degrés Enharmoniques,
qui
ſont inutiles, &
qui ſeroient peut-
eſtre
, cauſe que pour 7.
ou 8. heures que
les
Chantres, &
les ioüeurs
550168Preludes de l’Harmonie. employent tous les jours à chanter la
Muſique
, ils en perdroient pour le
moins
deux fois autant.
Et puis ces petits degrez Chromati-
que
, &
Enharmoniques ſont ſi char-
mans
, &
ſi laſcifs qu’ils enerueroient
le
courage des auditeurs, comme l’on
peut
iuger par les ſemitons majeur@, qui
approchent
de leur delicateſſe, &
de
leur
moleſſe, &
par le trop frequent
vſage
de la Muſique, qui rend les hom-
mes
laſches, &
effeminez; de vient
qu’il
ſuffit de dire qu’vn homme eſt
Muſicien
pour le decrediter, l’experiĕ-
ce
ayant monſtré que cette ſorte d’e-
xercice
rend quaſi l’homme inutile, &

in
epte à toute ſo@te de vertu.
Il faut neantmo@ns conclurre qu’il eſt
expedient
, &
neceſſaire d’vſer de ces 3.
genres, pour chanter inſtemĕt, & pour
tiouuer
tous les degrez Diatoniques
tant
conſonans, que diſſonans, com-
me
il ſera facile de conclurre, apres
auoir
conſideré les tables, qui contien-
nent
tous les degrez de ces 3.
genres, &
leur
vſage.
Or ceux qui reiettent le genre Chro-
matic
, &
l’Enharmo@@c, ne los
551169Preludes de l’Harmonie. dent pas, car tous les demitons qui ſe
font
hors du propre lieu, ſe rencon-
tre
le demiton majeur Diatonique de
MI
à FA, appartiennent au gĕre Chro-
matique
.
Quant aux degrez Enhar-
moniques
, l’explication deſdites tables
fait
voir qu’ils ſont neceſſaires pour
trouuer
les conſonauces iuſtes en plu-
ſieurs
endroits de la main, ou de l’éche-
le
de Muſique, &
du clauier des Or-
gues
, &
des Epinettes.
Car encore que le temperament
des
Orgues, &
des autres inſtruments
approche
ſi pres de la iuſteſſe des ac-
cords
, qu’il ne bleſſe pas l’oreille, qui
ſouffre
ayſémĕt les quintes diminuées,
&
les quartes augmentées des inſtru-
mens
, l’on n’en reçoit pourtant pas tant
de
contentemĕt que ſi tous les accords
eſtoient
parfaits.
Et quand il n’y auroit point d’autre
contentement
que celuy de l’eſprit, qui
contemple
la raiſon des conſonances,
&
des diſſonances, il eſt aſſez grãd pour
faire
embraſſer ces 3.
genres, & pour
prouuer
que la conſideration n’en eſt
pas
inutile.
Mais c’eſt vne choſe eſtrange que
552170Preludes de l’Harmonie. ne peut eſleuer les Praticiĕs à la raiſon,
dontils
fuyent la lumiere, comme les
hiboux
fuyent les rayons du Soleil, par-
ce
qu’ils ont ſi grande peur que l’on ne
découure
leur ignorance, qu’ils ayment
mieux
blaſmer larheorie, &
dire qu’el
le
eſt inutile, &
qu’elle ne ſert de rien à
la
pratique de la compoſition, que d’en
embraſſer
la verité, qui ſurpaſſe autant
la
pratique, que leCiel ſurpaſſe la terre.
Or malgré qu’ils en ayent, ils vſent
ſouuent
du demiton mineur dans leurs
chanſons
, particulierement quand ils
montent
de la premiere note du troi-
ſieſme
mode par degrez conioints, iuſ-
ques
à la Quarte, car ils hauſſent le fa
qui
fait la Tierce mineure contre le re,
d’vn
demiton mineur, par le moyen de
la
Dieſe, afin que le chant en ſoit meil-
leur
, &
que le re faſſe la Tierce maieu-
re
contre le dit fa.
Ils en vſent encore
toures
&
quantesfois qu’ils paſſent de
la
Tierce mineure à la maieure, &
de la
ſexte
maieure à la mineure.
Mais afin qu’ils comprennent plus
ayſément
la neceſſité de ces 3.
genres,
il
faut remarquer que les interualles
Chromatiques
, &
553171Preludes de l’Harmonie. ont ſeulement eſté inuentez pour ay-
der
aux Diatoniques;
& que l’õ ne peut
trouuer
toutes les conſonances iuſtes
contre
chaque note, ou corde Diato-
nique
, ſoit auec les voix, ou ſur les in-
ſtrumens
, ſans l’ayde de ces degrez
Chromatiques
, &
Enharmoniques,
comme
l’onverra ſi clairement dans les
3
.
tables qui contiennent ces 3. genres,
qu’il
n’eſt pas neceſſaire de nous arre-
ſter
plus long - temps ſur ce ſuiet.
I’adiouteray ſeulement que la Theo-
rie
de ces genres ne ſeroit pas inutile,
encore
qu’ils ne peuſſent ſeruir à la pra-
tique
, ni aux compoſitions, d’autant
que
la perfection de l’entendement ne
conſiſte
pas dans la Pratique.
Mais dans
la
contemplation;
& que ce qui rombe
dans
la Pratique, eſt beaucoup moins
excellent
, que ce qui n’y peut tomber,
car
encore que Dieu ſoit admirable dãs
la
creation des eſties corporels, &
des
intellectuels
, il eſt neantmoins plus ad-
mirable
infiniment dans la contempla-
tion
de ſoy- meſme, c’eſt à dire, de l’E-
ſtre
ſouuerain, qui ne pe ut eſtre fait ni
@oduit
en pratique;
& les biĕ heureux
receuront
vne plus grande
554172Preludes de l’Harmonie.& vn plus grand contentement en con-
templant
ce qu’ils ne peuuent faire, &

ce
qui ne peut tomber ſouz la pratique,
qu’en
conſiderant ce qui eſt dans leur
puiſſance
, ou dans celle de Dieu.
De vient que la Theorie eſt plus
excellente
que la pratique, qui n’eſt au-
tre
choſe que le plus groſſier, &
le plus
materiel
de la Theorie, &
dont la plus
grande
perfection n’arriue pas iuſques
au
degré le plus bas de la ſpeculation,
de
ſorte que la pratique eſt à l’égard de
la
Theorie, ce que la terre eſt au regard
du
Ciel, &
ce que les creatures ſont au
reſpect
du Createur.
Car celle- la dé-
pend
de celle-cy, comme le rayon dé-
pend
du Soleil, la chaleur du feu, l’ar-
tizan
, &
le maſſon de l’architecte, l’i-
mage
de ſon prototype, &
les eſtres ma-
teriels
des idées éternelles.
Il eſt impoſſible que les ſons, ou les
concerrs
apportent quelque degré de
perfection
à l’eſprit, s’il ne les épure
premierement
par la raiſon, &
ſil ne les
dépoüille
de leur matiere, pour les
trãſporter
dans le Royaume des eſtres
intelligibles
, &
dans l’eſtat de leur per-
fection
.
555173Preludes de l’Harmonie.
Mais il n’y a nulle raiſon, dont il ne
tire
quelque auantage, &
quelque nou-
ueau
degré de l’vmiere, qui luy peut
ſeruir
de degré pour monter à la Sou-
ueraine
lumiere, &
à la raiſon indepen-
dente
, dont il attend ſa derniere perfe-
ction
.
L’on peut donc conclurre de ce diſ-
cours
, que la connoiſſance de ces trois
genres
, &
de leurs raiſons eſt plus ex-
cellente
que toute la pratique de la
Muſique
, &
conſequemment qu’il en
faut
plus faire d’eſtat, puiſque les cho-
ſes
n’ont point de plus grãde excellen-
ce
, ny meſme de plus grande vtilité à
noſtre
égard, que celles dont elles per-
fectionnent
la plus noble partie de no-
ſtre
eſtre, à ſçauoir l’entendement, pa@
lequel
nous ſommes en quelques ma-
niere
égaux aux Anges, &
ſemblables
à
Dieu.
Mais ces penſées, & ces idées ſont
peut
- eſtre trop ſubtiles pour entrer
dans
l’eſprit de ceux qui preferent le
corps
à l’eſprit, la terre au Ciel, l’vtile à
l
honneſte, la pratique à la Theorie, &

les
ſons materiels à leurs raiſons:
c’eſt
pourquoy
ie laiſſe cette
556174Preludes de l’Harmonie. pour rèpondré aux raiſons contraires,
dont
la premiere eſt fondée ſur ce que
l’on
ne peut vſer du genre Enharmoni-
que
dans les chanſons;
Mais ie fais voir
ailleurs
que l’on ſ’en peut ſeruir, &
qu’il
eſt
entierement neceſſaire pour les cõ-
poſitions
ordinaires, que l’on appelle
Diatoniques
.
Quant à Timothée, il faut croire que
l’hiſtoire
en eſt fabuleuſe, ou que ceux
qui
l’ont écrite, ont entendu quelque
nouuelle
loy, qu’il vouloit introduire
contre
la couſtume receuë, &
approu-
uée
, car les Anciens vſent ſouuent
d’Enigmes
, &
de metaphores pour ex-
primer
leurs penſées.
Or comme il ne
faut
qu’vne ſeule corde diſſonãte pour
gaſter
vn concert entier, de meſme la
ſeule
propoſition, ou l’introduction d’v-
ne
nouuelle loy, qui renuerſe la couſtu-
me
des peuples, eſt capable de faire dé-
choir
les Republiques, &
de perdre les
Royaumes
, &
les Empires, qui ſont
eſtablis
ſur l’vniſſon que fait la volonté
du
peuple auec celle du Prince.
Ce
que
l’on peut confirmer par l’experien-
ce
de pluſieurs nations, qui ſe ſouſle-
uent
, lors que l’on veut leur
557175Preludes de l’Harmonie. quelque nouuelle loy, ou couſtume,
qui
leur ſemble ſi diſſonante, qu’ils ont
plus
de peine à l’endurer que n’ont les
Muſiciens
à ſouffrir des diſcords dans
l’harmonie
:
quoy que le temps, les oc-
caſions
&
la neceſſité le requierent, &
qu’il
arriue ſouuent que les nouuelles
loix
, &
les nouuelles couſtumes rĕdent
les
Eſtats, &
les Royaumes plus floriſ-
ſants
, plus ſtables, &
plus puiſſants, cõ-
me
il arriue que les diſſonances &
les
fauſſes
relations rendent la Muſique
plus
agreable, &
plus charmante, lors
que
l’õ en vſe à propos, &
aux endroits
qui
donnent autant de graces aux con-
ſonances
qui precedent ou qui ſuiuent,
que
l’ombre donne de luſtre à la lumie-
re
, ou aux couleurs.
Mais comme l’on experimente que
les
Muſiciens qui n’õr autre raiſon que
leur
fantaſie, &
quelque vieille routi-
ne
, qu’ils ont appriſe de leurs maiſtres,
ſont
tellement preuenus de l’authorité,
ou
de la couſtume, qu’il n’y a plus de
place
dans leur eſprit pour la raiſon, &

qu’ils
blaſment certains paſſages, à rai-
ſon
qu’ils n’en oſent pas vſer, ou qu’ils
ne
les ſçauent pas employer comme
558176Preludes de l’Harmonie. faut, quoy qu’ils enrichiſſent grande-
ment
la compoſition, &
qu’ils ſoient iu-
gez
tres-excellens, &
receuz pour des
raretez
de la Muſique par ceux, ſur qui
la
raiſon, &
la demõſtration ont plus de
force
que la couſtume;
de meſme l’on
experimente
que le peuple qui ne re-
garde
qu’à fes pieds, &
à ce qui eſt ap-
parent
, n’appro@@e pas pour l’ordinaire
ce
qui va contre ſon ſens, &
ce qui ſem-
ble
combatre la couſtume, quoy qu’il
ſoit
vtile, ou neceſſaire pour le bien ge-
neral
du public, &
que ceux qui gou-
uernent
l’eſtat, dont l’eſprit penetre
iuſques
au futur, &
les conſeils, & reſo-
lutions
ſ’eſtendent par toute la Repu-
blique
, comme les rayons du Soleil par
tout
le monde, pour conſeruer &
aug-
menter
la gloire, &
la ſplendeur des
Eſtats
, iugent qu’il eſt expedient de
changer
quelques couſtumes, &
de fai-
re
de nounelles loix, qui ne ſont pas
moins
v@@es, ou neceſſaues au bien pu-
blic
, que los pluyes, la neige, la glace, &

les
von@s à laterre, quoy que les orages
épouuantent
les vignerõs, &
les labou-
rours
, qui ne ſont pas aſſez experimen-
tez
, ou qui n’ont pas aſſez de
559177Preludes de l’Harmonie. pour preuoir qu’il n’arriuera autre cho-
ſe
de ce temps, qui leur ſemble ſi rude
&
ſi faſcheux, que l’abondance de tou-
tes
ſortes de fruits, dont ils auront apres
ſuiet
de leuer les mains auCiel pour be-
nir
l’Eternel, qui fait naiſtre de ſi agrea-
bles
accords, de ſi rudes diſſonances,
qui
fait reüſſir des ſaiſons ſi eſtranges à
de
ſi grands biens, &
qui tire tant de
graces
, &
de benedictions, pour les ré-
pandre
ſur nous, dece qui ſembloit atti-
rer
ſa malediction ſur nos teſtes.
En effect quand nous trouuons à re-
dire
aux differentes rencontres, qui ar-
riuent
aux bons &
aux mauuais, & aux
afflictions
, &
douleurs, dont les gens de
bien
ſont atteints, tandis que les mé-
chants
proſperent, nous ſommes ſem-
blables
à la lie du peuple, quiiuge ſini-
ſtrement
des actions de ceux, dont il
doit
ſuiure la conduite, &
dont il ne
peut
raiſonnablement attendre qu’vn
heureux
ſuccez, ſ’il a tant ſoit peu de
patience
.
Car il faut croire que Dieu eſtant vn
tres-bon
Pere ne prend iamais les ver-
ges
pour nous chaſtier, que ce ne ſoit
touſiours
pour nous rendre
560178Preludes de l’ Harmonie.& plus riches en vertus, & pour ſeparer
nos
affections des choſes mortelles, &

periſſables
, afin de les porter, &
de les
attacher
à l’ Immuable, &
à l’Eternel,
&
qu’il n’employe nulles diſſonances
dans
le grand cõcert de toutesles crea-
tures
, qui toutes chantent ſes loüan-
ges
, chacune à ſa façon, que ce ne ſoit
pour
rendre l’harmonie qui en reſulte,
plus
charmante, &
plus parfaite.
Or puis que les chordes qui ſeruent
aux
diſſonances ne rõpent pas, &
ſouf-
frent
auec auſſi peu de contrainte d’en
eſtre
le ſujet, comme font les chordes
qui
ſeruent aux conſonances;
& qu’el-
les
ſemblent témoigner ce contente-
ment
par leurs petits ſauts, &
tremble-
mens
, il eſt raiſonnable que tout hom-
me
ſe ſouſmette tres- volõtiers, &
auec
contentement
à la conduite de la pro-
uidence
Diuine, &
qu’il reçoiue égale-
ment
de ſa tres-iuſte main les diſſonan-
ces
des aduerſitez, &
des maladies, &
les
conſonances des proſperitez, &
de
la
ſanté:
ce qui eſt tres-ayſé à faire, ſi
l’on
penetre plus auant dans le deſſein
de
Dieu que ne fõt ceux qui cherchent
ſeulement
les douceurs, &
les
561179Preludes de l’Harmonie. de ce monde, dont la pratique, & l’ex-
perience
leur agrée dauantage que la
ſpeculation
.
Mais ceux qui ſont plus ſçauans, &
qui
ſ’eſtudient à la Theorie de la volon-
de Dieu, &
de ſes deſſeins, dans leſ-
quels
ils entrent ſouuent, comme dans
le
ſouuerain Sanctuaire;
& dont ils ſor-
tent
apres auec des ſatisfactions d’eſ-
prit
qui ne peuuent eſtre expliquées de
la
langue des hommes, ſont auſſi con-
tents
de ſouffrir que d’agir, &
d’eſtre le
ſuiet
, ou l’obiect des diſgraces du mon-
de
, que de ſes faueurs, parce qu’ilsre-
connoiſſent
que Dieu les gouuerne, &

qu’il
les a deſtinez pour cette partie de
l’harmonie
vniuerſelle, tandis qu’il cõ-
duit
le concert à ſa fin, c’eſt à dire à l’o-
ctaue
, &
à l’vniſſon de la gloire eternel-
le
, qu’il donnera à tous ceux qui auront
bien
tenu leur partie, &
qui ſe ſeront
contentez
du lieu qui leur a eſté donné
par
le ſouuerain Maiſtre du grãd chœur
de
l’vniuers.
Quant à la doctrine de Socrate, il la
faut
prendre au meſine ſens;
car tant
ſ’en
faut que le gĕre Chromatic, &
l’En-
harmonic
bãniſſe les vertus, puis
562180Preludes de l’Harmonie. ſont propres pour la contemplation des
choſes
celeſtes, &
pour le rauiſſement,
&
que le genre Diatonic demeure im-
parfait
ſans leur aſſiſtance, comme l’on
verra
dans des diſcours particuliers.
La quatrieſme obiection eſt, ce ſem-
ble
, plus difficile que les precedentes,
car
il eſt vray que le degré Enharmoni-
que
, c’eſt à dire la Dieſe, ne ſert pas or-
dinairement
pour paſſer d’vne conſo-
nance
à l’autre, dautant qu’elle n’en eſt
pas
la differĕce.
Quant au degré Chro-
matique
, à ſçauoir au demiton mineur,
il
eſt la difference des deux Tierces, &

des
deux Sextes, c’eſt pourquoy il le
faut
receuoir comme neccſſaite, puis
que
l’on paſſe de la moindre de ces con-
ſonances
à la plus grãde, &
que la voix
en
vſe ſouuent, tant aux ſimples recits,
qu’aux
compoſitions à pluſieurs voix.
Pour la Dieſe, encore qu’elle ne pro-
cede
pas de la difference des conſonan-
ces
, comme le degré Chromatique,
neantmoins
elle eſt la difference du de-
mitõ
maieur, &
du mineur, & ſert pour
trouuer
les conſonances iuſtes aux en-
droits
du clauier des Orgues parfaictes,
qui
ne f’y pourroient pas
563181Preludes de l’ Harmonie. ſans elles. Mais ie parleray plus ample-
ment
de cette Dieſe au diſcours des de-
grez
qui ſont neceſſaires à la Diatoni-
que
, ou dans celuy de toutes les manie-
res
, dont on peut paſſer d’vne conſo-
nance
à l’autre:
& bien que ce degré
fuſt
au dela de ce que fait la nature, il
ne
faudroit pourtant pas le reietter,
puis
qu’elle reçoit pluſieurs or nemens,
&
perfections de l’art.
Il n’eſt pas beſoin de parler icy du
Comma
, qui eſt la difference du ton
maieur
&
du mineur, puis qu’il ne ſert
que
pour trouuer les conſonances iu-
ſtes
aux endroits elles ſeroient im-
parfaites
, &
pour oſter la neceſſité du
temperament
de l’Orgue, &
des au-
tres
inſtrumens:
de viĕt que les deux
ſons
, &
les deux touches, qui neſont
éloignées
que du Comma, ne doiuent
eſtre
conté@s que pour vne meſme tou-
che
, &
pour vn meſmeſon, & conſe-
quemmĕt
qu’il n’y a que 16.
ſons, chor-
des
, ou touches differĕtes dans le ſyſte-
me
parfait, à proprement parler, puiſ-
que
dans l’Octaue qui commence par
F
, le ſecond G, eſt pris pour le premier;
& que dans celle qui commence
564182Preludes de l’Harmonie. le ſecond D, eſt pris pour le premier,
comme
ie fais voir ailleurs dans l’ex-
plication
de ces deux Octaues.
La cinquieſme obiection prouue plu-
ſtoſt
qu’il faut admettre les petits in-
terualles
du genre Enharmonique, &

meſme
ceux de tous les autres genres
que
l’on peut inuenter, puis qu’elle eſt
appuyée
ſur le ieu de l’eſprit, qui con-
ſiſte
à connoiſtre toures les raiſons poſ-
ſibles
.
Quant à l’oreille, il ſuffit qu’el-
le
ſoit ſatisfaite de la perfection des cõ-
ſonances
, qui ne peut ſe rĕcontrer ſans
le
genre Enharmonique;
& ie croy que
les
Compoſiteurs aduoürõt librement
que
la perfection de tous les accords
(qui ſont diminuez, ou augmentez, ſur
les
inſtrumens ordinaites) recompenſe
abondamment
la difficulté que l’on
prend
pour la Dieſe Enharmonique,
qui
peut grandement enrichir la Muſi-
que
, ſi l’on en vſe dextrement.
Toutesfois ſi les Praticiens cr@@gnent
que
l’vſage du genre Enharmonic les
laſſetrop
, &
les rende ineptes à la ſpe-
culation
des autres choſes plus ſerieu-
ſes
, ou que leurs occupations ne per-
mettent
pas qu’ils comprenneur la
565183Preludes de l’Harmonie. licateſſe de ce genre, ils ſont libres de
nes’en
ſeruir pas, &
peuuent quitter la
Muſique
pour vaquĕr à des ſpeculatiõs
plus
releuées:
quoy qu’il ne ſoit nulle-
ment
neceſſaire de les exhorter à cela,
puis
que tant s’en faut qu’ils vueillent
contempler
des veritez plus excellen-
tes
, puis qu’ils ne recherchent ſeule-
ment
pas les raiſons de ce qu’ils font
dans
leurs compoſition.
Mais cette obiection ne combat nul-
lement
ceux qui vſent de la Muſique,
comme
d’vn doux repos pour ſoulager
leur
eſprit, &
pour les porter à la con-
templation
de l’harmonie Celeſte, qui
ſert
d’entretien aux bien-heureux, &

qui
la ioignent au labeur, comme les
peintres
ioignent les ombres auxcou-
leurs
, pour donner de la grace à leurs
ſpeculations
plus releuées, &
pour re-
tourner
auec plus d’allegreſſe à leur
trauail
ordinaire.
En effect ſi la Muſique doit ſeruir à
quelque
vſage, &
ſi ſa pratique a quel-
que
fin, elle n’en peutauoir de plus ex-
cellente
, apres la gloire de Dieu, qui eſt
la
derniere fin de toutes les choſes poſ-
fibles
, que la recreation des
566184Preludes de l’Harmonie. qui conſomment leur temps, & leur
eſprit
à la meditation des myſteres de
la
Religion, &
à la recherche des rai-
ſons
, qui ſeruent pour combatre tous
ceux
qui ſ’oppoſent à la ve@té infailli-
ble
de noſtre Foy, &
pour perſuader cet-
te
verité, &
les vertus qui en depédent,
à
tout le mond@.
La derniere obiection ſuppoſe la
mauuaiſe
volonté de ceux qui abuſent
de
la Muſique, &
qui vſentà mauuais
deſſein
des petits inter ualles Chroma-
tiques
, &
Enharmoniques: cat le plai-
ſir
qui en reuient, eſt ſi chaſte, &
ſi pur,
qu’il
faut eſtre plus effeminé que Sar-
danapale
pour ſ’en ſeruir à des vſages
prophanes
, &
laſcifs: & l’on experi-
mente
que le bon vſage de la Muſique
n’effemine
pas les auditeurs, mais qu’il
les
rend plus polis, &
plus vertueux, &
que
de fatouches qu’ils eſtoient, ils de-
uiennent
plus courtois, plus doux, &

plus
accords, &
conſequemment plus
propres
à toutes ſortes d’affaires.
De vient que l’on dit qu’Orphée
batiſioit
les villes auec les ſons de ſon
Luth
, parce qu’il rauiſſoit tellement les
hommes
, qui viuoient ſeparez, par
567185Preludes de l’Harmonie. diſcours, qui leur perſuadoit de demeu-
rer
enſemblé, &
de faire des villes, &
des
citez pout leur retraite &
pour leur
ſeiour
:
mais i’ay parlé plus amplement
de
ce ſuiet dans vn diſcours particu-
lier
.
Quantà ce que l’on obiecte de l’inu-
tilité
des Muſiciens ordinaites, que l’on
appelle
Meneſtriers, dont pluſieurs ſe
ſeruent
pour leur paſſe-temps, il ne
ſont
pas blaſmables, puis qu’ils ſe ſer-
uent
de leur induſtrie pour entretenir
leurs
familles, car encore qu’ils ne ſoiĕt
pas
ſi vtiles que les autres artiſans, on
les
peut neantmoins tolerer dans les
Republiques
, puis qu’ils ne font tort à
perſonne
, &
que chacun peut receuoir
quelque
partie du plaiſir innocent, qui
procede
de leurs ſons, &
de leur har-
monie
.
Quant à ceux qui ſeruent à chanter
les
loüanges de Dieu, on ne ſçauroit
leur
donner trop de loüange, puis qu’ils
font
l’office des Anges, &
qu’ils repre-
ſentent
le Paradis dans ce monde, &

l’Egliſe
Triomphante dans la Mili-
tante
.
C’eſt pourquoy ils peuuent auec
568186Preludes de l’ Harmonie. te aſſeurance de leur conſcience, paſſer
les
iours &
les nuicts à trouuer de nou-
ueaux
chants, &
de nouueaux char-
mes
dans les trois genres de Muſique
pour
éleuer tous les mortels à la con-
templation
des choſes diuines, &
pour
échauffer
&
embraſſer leur volonté du
deſir
de la Ieruſalem celeſte, &
de l’a-
mour
de Dieu, afin que toutes lés crea-
tures
, &
particulierement la Muſique,
nous
ſeruent de degré pour paruenir à
la
gloire eternelle, &
pour nous vnir à
celuy
, dont nous eſperons toutes ſortes
de
biens, &
de contentemens.
I’exhorte donc tous les Muſiciens du
monde
à n’employer leurs compoſitiõs
quà
chanter les loüanges de Dieu, &

à
ſ’excit@r les vns les autres à le louer
par
ces paroles du Prophete Royal:
Ecce
nune
ben@dicite Dominum omncs ſerui Do-
mini
, &
c. dont ſe ſeruoient vne partie
des
Leuites, pour aduertir les autres,
tandis
qu’ils paſſoient les nuicts entie-
res
dans le Temple de Salomõ en prie-
res
&
oraiſons: & que l’on peut expri-
mer
par cette excellĕte Paraphraſe que
l’vn
de mes amis excellent Poëte, &

Theologien
a compoſée.
569187Preludes de l’Harmonie.
Vous qui paſſez en heur tant de peuples diuers,
Qui
ſeruez purement l’ Autheur de l’vniners,
Er
connoiſſiz la main qui lance le tonnerre,
Fauoris
du Seigncur, qui vous ouure les yeux,
Venez
chanter ſa gloire, &
ſoyez ſur la terre
Ce
que pour le benir les Anges ſont aux Cieux.
Témoignez voſtre ardeur vous en qui Dicu s’eſt
Saints
Miniſtres élcuz entre le peuple éleu, (pleu,
Qui
comme ſes ſolda@s veillez à ſes portiques,
N’en
laiſſez approcber ſilence ny ſommcil,
Et
portez juſqu’au Ciel le bruit de vos Cantiques
Tant
que le ſein des eaux nous rende le Soleil.
Quand la nuict vient noircir les objects les plus
beaux
,
C’eſt
lors qu’il faut veiller auecque ces flambeaux,
Dont
les rayons dorez illuminent ſes voiles,
Et
leuant tout enſemble, &
vos yeux & vos mains
Publier
ſa grandeur à l’enny des étoiles,
Et
vous rendre vn exemple au reſte des humains.
Que le Dieu tout puiſſant qui forma tout de rien
Qui
cognoiſt le vray prix &
du mal & du bien,
Te
prepare vn loyer digne de ſa juſtice,
Qu’
vn bon-heur eternel réponde à tes ferueurs,
Que
quand tu le benis, luy-meſine te beniſſe,
Et
donne à ton amour ſes plus chcres fancurs.
570188Preludes de l’ Harmonie.
Qvestion VIII.
A ſçauoir ſi les chordes parfaitement, égal@s
eſtant
tirées d’vn mouuoment égal, on
à
vne force égale par les deux extremi-
tez
, ou par vne ſeule extremité ſe rom-
proient
, & par quel lieu elles ſe rom-
proient
IE ſuppoſe qu’vne chorde d’or, d’ar-
gent
, de cuiure, de fer, ou de quel-
que
autre matiere que l’on voudra, ſoit
parfaitemĕt
égale en toutes ſes parties,
il
faut voir ſi elle ſe rompra, &
par quel-
le
partie elle ſe rompra.
Premierement, quelques- vns tien-
nent
que cette chorde ne peut eſtre rõ-
puë
, dautant qu’il ny a pas plus de rai-
ſon
qu’elle ſe rompe par vne partie que
par
vne autre;
& adjouſtent que ſi elle
ſe
rompoit, il faudroit qu’elle ſe diuiſaſt
en
toutes ſes parties.
Ce qui ne peut
arriuer
, autrement il ſe feroit vne diui-
ſion
d’vne infinité de parties;
ce que ie
veux
expliquer par d’autres exemples,
par
leſquels l’on comprendra
571189Preludes de l’ Harmonie. ce que i’ay dit de la chorde.
Ie commence par vne boule de fer
enferméeau
centre de la terre, qui au-
roit
ſon centre conioint audit centre,
ou
qui auroit ſes parties égalementra-
res
, ou condenſes:
Car bien que toute
la
terre fuſt vuide, &
qu’elle n’euſt que
l’écorce
de ſa ſurface, neantmoins ce
fer
ne pourroit monter en haut d’vn
coſté
ny d’autre, parce que n’y ayant
point
de raiſon pourquoy il monte plu-
ſtoſt
par vn coſté que par vne autre, il
ſeroit
indifferĕt, &
ne pourroit quitter
ce
lieu, encore qu’il y euſt eſté enfer-
auec violĕce, &
qu’il ny ait rien qui
l’empeſche
de monter.
Quelques-vns rapportent ce repos
violent
, &
ce defaut du mouuement à
la
crainte du vuide, qui ſe feroit au cen-
tre
de la terre, ſi les parties du Globe
de
feu montoient toutes enſemble, ny
ayant
pas plus de raiſon qu’vne certai-
ne
partie commence ſon mouuement,
que
quelqu’autre partie que ce ſoit.
En effect nous voyons d’eſtranges ac-
cidens
dans la nature;
qui arriuent pour
empeſcher
le vuide:
comme quand vn
pen
de poudre enfermée dans vne
572190Preludes de l’ Harmonie. ne, ou dans vn canon, fait creuer les
montagnes
, &
iette les baſtions entiers
par
terre;
ce que l’on peut rapporter à
la
fuite de la penetration, qui eſt auſſi
contraire
à la nature, ou du moins qui
ſurpaſſe
autant ſes forces, comme le
vuide
.
L’on peut rapporter pluſieurs exem-
ples
ſur ce ſuiect, car ſi l’on fait chauffer
vne
bouteille vuide, &
que l’on mette
ſon
col dans l’eau, elle mont era dans la
bouteille
contre la proprieté qu’elle a
de
deſcendre, d’autant que quand l’air
échauffé
ſent le froid de l’eau, &
d’vn
autre
air plus froid, il ſe reſſerre, &
ſe
condenſe
, c’eſt pour quoy l’eau monte
pour
remplit le vuide que fait l’air, qui
ſe
retire dans vn moindre lieu.
L’on rend la meſme raiſon des deux
coſtez
d’vn ſoufflet parfaitement bou-
ché
, &
fermé, lequel on ne ſçauroit
ouurir
;
de deux pieces de bois, de mar-
bre
, ou d’autre matiere parfaitement
planes
, leſquelles eſtant miſes l’vne ſur
l’autre
ne peuuent eſtre ſeparees, ſi on
les
tire perpendiculairement, car on les
peut
ſeparer par vn mouuement hori-
zontal
, auquel il n’y a nul peril du
573191Preludes de l’ Harmonie. de: des ventouſes, qui attirent la chair
qui
ſ’enfle, de peur que l’air échauffé ne
laiſſe
du vuide en ſe condenſant:
des
tonneaux
, ou des bouteilles, qui ne
perdent
point leurs liqueurs, encore
qu’elles
ſoient ouuertes en bas, dautant
que
s’il en tomboit quelque goutte, il
ſe
feroit du vuide au fond du vaiſſeau,
parce
que l’air ne peut ſucceder.
Quoy
que
s’il ſe fait quelque rarefaction dans
la
liqueur, il en peut ſortir quelque par-
ties
, ſans qu’il ſoit beſoin que l’air y en-
tre
.
Il y a mille autres effects que l’on peut
attribuer
au deſir que la nature a defuir
le
vuide, ou au deſir quelle a que ſes
parties
ſoient vnies, dont l’experience
ſe
void aux tuyaux courbez de verre, de
fer
, ou d’autre matiere:
Car ſi l’on me@
l’vne
de leurs extremitez dans vn étãg,
dans
vn tonneau, dans vne fontaine,
&
c. & que l’autre extremité de dehors
ſoit
plus baſſe que la liqueur de dedans,
ſi
toſt que l’on aura tité la liqueur auec
la
bouche, ou que l’on aura remply le
tuyau
d’vne ſemblable liqueur, ou de
telle
autre que l’on voudra, le ſiphon
coulera
perpetuellement inſques à
574192Preludes de l’ Harmonie. qu’il ayt épuiſé l’eſtang, la fonteine, &
meſme
toute la mer, pourueu que l’on
aye
vn lieu plus bas qu’elle, pout la faire
écouler
, &
ſortir de ſa place.
Ce qui peut ſeruir à ceux qui ſont ſe-
parez
p@r des rochers, &
des monta-
gnes
, ou par quelqu’autre empeſche-
ment
, dont les vns ont vne fontaine,
ou
vn puis, &
les autres n’en ont point,
car
ceux qui ont l’eau, la peuuent com-
muniquer
aux autres par vn canal, qui
paſſe
par deſſus, ou par deſſouz l’empeſ-
chement
.
Mais ie reuiens aux chordes
que
quelques-vns tiennent ne pouuoir
eſtre
rompuës eſtant tirées également
par
les deux bouts, quãd elles ſont par-
faitement
égales, quoy que les Anges
y
employent toute leur force.
L’on peut encore icy rapporter l’exĕ-
ple
de l’eau, &
de la terre, car ſi ces deux
élemens
eſtoient ſont les nuées, ils
ne
pourroient reuenir dans leur lieu,
ſ’ils
eſtoiĕt diſpoſez en voûr @ ſi tou-
tes
leurs pa@ ties eſtoient égales, &
éga-
lement
éloignées du centre du monde,
parce
qu’il n’y auroit point de raiſon
pour
laquelle vne partie d’eau, ou de
terre
deſcendit pluſtoſt l’vne que
575193Preludes de l’Harmonie. tre: C’eſt pourquoy quelques-vns di-
ſent
que les Anges pourroient changer
l’ordre
de l’vniuers, ſi Dieu le leur per-
mettoit
, bien qu’ils ne ſe ſeruiſſent que
de
leur force naturelle, car ils pour-
roient
mettre le feu, ou les Cieux au
centre
du monde, &
au lieu de la terre,
puis
l’air, l’eau, &
la terre au deſſus, cõ-
me
l’on peut conclure de ce que nous
auons
dit iuſques à preſent:
par conſe-
quent
il ſemble qu’il eſt plus difficile
de
rõpre la moindre chorde d’vne épi-
nette
, ou le moindre filet eſtant égal
en
toutes ſes parties, qu’il n’eſt difficile
de
renuerſer tout le mõde;
ce qui ſem-
ble
encore plus probable, quãd la chor-
de
eſt circulaire, car toutes ſes parties
reſiſtent
également, comme toutes les
parties
d’vne ſphere concaue de verre,
laquelle
ne poutroit eſtre rompuë, en-
core
qu’elle fut tres-déliée, &
tres-
mince
en toutes ſes parties, &
qu’elle
contint
toute la poudre à canon, qui a
iamais
eſté faite, car cette poudre eſtãt
enflammée
égalemĕt, &
frappant éga-
lement
toutes les paities de la boule
concaue
de verre, ne pourroit la rom-
pre
, ſi elle ne la rompoit dans vne in
576194Preludes de l’Harmonie. de parties, ce qui n’eſt pas poſſible.
Mais il faudroit neceſſairement que la
violence
fuſt également appliquée à
toutes
les parties en meſme inſtant, ou
moment
, autremĕt la chorde circulai-
re
, &
les autres corps diſpoſez en rond
ſe
romproient par le lieu le plus preſſé,
&
le plus violenté.
Le 3. exemple ſe prend d’vn globe
parfait
de telle peſanteur que l’on vou-
dra
, lequel tombant d’vne hauteur dõ-
née
ſur vn verre parfaitement plan, ne
le
pourroit rompre, ſ’il ne le rompoit
en
vne infinité de parties, &
pluſieurs
croyent
que la raiſon pour laquelle les
choſes
peſantes vont en bas, &
les lege-
res
en haut, &
que toutes les actions
naturelles
des ſimples, ou des mixtes ſe
font
par vne ligne droite, ſe prend de
ce
qu’il ny a que la ligne droite qui ſoit
determinée
, dautant qu’elle eſt la plus
courte
de toutes les poſſibles.
De vient que les facultez qui nous
ſeruent
pour cognoiſtre les objects, cõ-
me
eſt l’ĕtendemĕt desAnges, &
des hõ-
mes
, la fantaiſie, &
les ſens exterieurs,
(&
la cognoiſſance naturelle des mix-
tes
, &
des élements, ſ’ils ont
577195Preludes de l’Harmonie. veſtige, ou quelque ombre de connoiſ-
ſance
analogue à leur deſir, ou appe-
tit
naturel, comme tiennenr quelques
Philoſophes
) ne peuuent rien connoi-
ſtre
, ſi elles ne ſont determinées par les
images
des obiects acquiſes, ou infuſes,
car
ne pouuant ſe porter à la connoiſ-
ſance
de tous les obiects poſſibles, (n’y
ayant
que Dieu ſeul, dont l’entende-
ment
eſt determiné par ſoy - meſme
de
toute éternité à la connoiſſance de
toutes
les choſes poſſibles,) il n’y a
point
de raiſon pourquoy les Anges, les
hommes
, ou les beſtes connoiſſent plu-
ſtoſt
vne choſe, qu’vne autre, ſi ce n’eſt
parce
que leurs facultez ſont determi-
nées
par les eſpeces, ou images, qu’el-
les
ont receues, &
mendiées d’ailleurs.
Or cette indetermination ſert enco-
re
aux Philoſophes, qui diſent que les
indiuidus
ne peuuent eſtre ce qu’ils sõt,
ſi
Dieu ne les determine à eſtre tels, ou
tels
indiuidus:
par exemple, ils croyent
qu’il
n’y a point de raiſon pourquoy
Pierre
eſt pluſtoſt l’indiuidu, que nous
appellons
Pierre, qu’il n’eſt Paul;
pour-
quoy
ceſte mouſche, ceſte fourmy, &
c.
eſt pluſtoſt telle en nombre, ou
578196Preludes de l’Harmonie. ſon indiuidu, qu’elle n’eſt autre indiui-
duellement
, ſice n’eſt par ce que Dieu
determine
, que chaque choſe ſoit tel,
ou
tel indiuidu, ce qui nous fournit vne
nouuelle
matiere pour les actions de
grace
que chacun doit rendre à Dieu,
de
ce qu’il la determïné à eſtre tel qu’il
eſt
indiuiduellemeut, &
perſonnelle-
ment
.
Ils veulent auſſi que Dieu determi-
ne
les degrez des qualitez qui ſe cor-
rompent
, quand ils ſont d’vne meſme
nature
, parce qu’il n’y a point de raiſon
pourquoy
la corruption commĕce plu-
ſtoſt
par l’vn des degrez, que par l’au-
tre
;
que l’entendement ne puiſſe croi-
re
, ou ſuiure quelque verité, quand il
a
des raiſons auſſi fortes pour douter,
comme
pour aſſeurer;
& qu’vn animal
eſtant
au milieu de deux obiects, qu’il
apprehende
également, (comme l’on
dit
ordinairemĕt de l’aſne de Buridan
mis
entre-deux meſures d’auoine) ne
peut
aller à l’vn, n’y à l’autre.
A quoy les Theologiens adioûtent
que
le Preſtre ne peut conſacrer vne
Hoſtie
entre pluſieurs, qu’il ne veut pas
conſacrer
, s’il ne la determine, &
s’il
579197Preludes de l’Harmonie. la ſepare, du moins auec la penſée. Ce
que
l’õ peut auſſi dire de celuy qui vou-
droit
baptiſer deux ou trois enfans en-
tre
pluſieurs autres, sãs les determiner.
D’où l’on peut, ce ſemble, conclurre
qu’il
ny a rien au monde qui ſe puiſſe
determiner
, ou qui ſoit determiné de
ſoy-meſme
, que la volonté, &
l’enten-
dement
de Dieu:
Par conſequent no-
ſtre
volonté a vne puiſſance qui appro-
che
plus de la puiſſance de Dieu, que
tout
ce qui eſt dans l’vniuers;
c’eſt pour-
quoy
nous la deuons garder en ſa pure-
, &
eſtre plus ſoigneuſe de ſa perfe-
ctiõ
que de toutes les autres choſes du
monde
, &
meſme que de noſtre enten-
demĕt
, qui ne peut auoir nulle penſée,
s’il
n’eſt determiné d’ailleurs.
Or il ſem-
ble
que tous ces exemples ſont ſuffisãs
pour
perſuader que la chorde qui ſeroit
égale
en toutes ſes parties, eſtant égale-
ment
tirée par ſes deux extremitez, ne
pourroit
eſtre rompuë;
Neantmoins il
eſt
croyable qu’elle ſe romproit pour
deux
raiſons, dont i’appliqueray la pre-
miere
à la chorde égale miſe ſur la mo-
nochorde
, à laquelle vn poids donné
@eroit
ſuſpĕdu:
Ie dis dõc que la
580198Preludes de l’Harmonie. de la @horde qui eſt proche du poids, a
plus
de peine, &
ſouffre dauantage que
les
parties qui en ſont plus éloignées.
Car les parties voiſines ſont tirées
auant
les éloignées, de maniere que
(ſuppoſé qu’il faille deux attractions,
ou
deux efforts pour rompre la chorde)
le
premier effort eſt premierement cõ-
muniqué
aux parties voiſines, puis aux
autres
ſucceſſiuement, iuſques à ce que
l’effort
ſoit communiqué à la chorde
entiere
:
en apres le ſecond effort com-
mence
encore par les parties voiſines,
qui
obeïſſent les premieres à la force, &

quittent
l’vnion qu’elles auoient auec
les
autres, dautant qu’elles ne peuuent
plus
ſubſiſter, n’y reſiſter à la force.
Cette raiſon eſt fondée ſur l’ex pe-
rience
, car de cent chordes de toutes
ſortes
de metaux que i’ay fait rompre
par
la force des poids, à peine s’en ren-
contre-il
deux qui ne rompent proche
du
poids, ou de la force;
& neantmoins
il
eſt tres certain que toutes les chor-
des
tirées par le meſme trou d’vne filie-
re
, ne ſont pas touſiours plus foibles à
l’endroit
, elles ſe rompent, qu’aux
autres
lieux, qui ſont plus éloignez
581199Preludes de l’Harmonie. poids: par conſequent ſi elles ſe rom-
pent
prés du poids, encore qu’elles
ſoient
plus fortes, il faut neceſſairemĕt
conclurre
qu’elles ſe romproient au
meſme
lieu, encore qu’elles fuſſent par-
faitement
égales.
La ſeconde raiſon ſeruira pour les
chordes
parfaitement éga’es, qui ſont
tirées
également par les deux extremi-
tez
, auec des poids égaux, ou en quel-
qu’autre
maniere, car le premier effort
eſtãt
communiqué à toutes les parties,
mais
premierement aux parties voiſi-
nes
, s’il ne faut que deux efforts pour
rompre
la chorde, il ſemble qu’elle rõ-
pra
par les deux extremitez en meſme
temps
, puis que le ſecond effort affecte-
ra
premierement les parties qui ſont
proches
des poids, ou des forces.
Ce qui eſt contre l’aduis de ceux qui
tiennent
, que la partie du milieu eſt la
premiere
agitée d’vn coſté &
d’autre;
c’eſt à dire qu’elle eſt tirée en meſme
temps
:
par exemple, vers le Midy, &
retirée
vers le Septentrion;
car, diſent-
ils
, la premiere partie de la chorde eſt
premierement
tirée, puis la ſeconde
par
le moyen de la premiere, la
582200Preludes de l’Harmonie. me par le moyen de la ſeconde, & ainſi
conſequemment
, iuſques à ce que l’ef-
fort
ſoit paruenu à la derniere partie.
Secondement la premiere partie eſt
encore
retirée, mais c’eſt par le moyen
de
la ſeconde, &
la ſeconde eſt retirée
par
le moyen de la troiſieſme, &
ainſi
des
autres iuſques à ce que l’on vienne
à
la partie du milieu, qui endure l’attra-
ction
d’vn coſté, &
la retraction de l’au-
tre
en meſme temps:
ce qui la fait rom-
pre
.
Mais ſi cette raisõ ſupoſe que la chor-
de
ſoit premierement tirée d’vn coſté,
i’ay
fait voir par la premiere raiſon fon-
dée
en mille experiences qu’elle rom-
peroit
prés de la force:
& ſi cét effort
viĕt
des deux coſtez en meſme temps,
il
ſemble que la partie du milieu rece-
ura
la premiere les deux efforts en meſ-
me
temps, car les deux forces eſtant en
acte
, &
faiſant le ffort en meſme
temps
, la partie duieu ſera pluſtoſt
agitée
, &
affectée des deux efforts que
nulle
autre;
par conſequent la chorde
parfaitement
égale &
eſtant égalemĕt
tirée
des deux coſtez en meſme temps,
ſemble
ſe deuoir rompre par le
583201Preludes de l’Harmonie. nonobſtant l’autre raiſon que i’ay ap-
porte@@
, qui ne conclud que pour la
chorde
qui eſt ſeulement tirée par vn
bout
, quoy que l’õ puiſſe dire que l’au-
tre
bout, par lequel elle eſt attachée, &

arreſtée
, fait le meſme effort que le
poids
de la force qui bande la chorde
par
l’autre bout, &
par conſequent que
ces
deux efforts ſe rencontreront plu-
ſtoſt
enſemble au milieu, qu’aux autres
parties
de la chorde;
ce qui n’arriue
pourtant
pas, puis que les chordes ſe
rompent
touſiours vers les poids:
de
ſorte
qu’il faut dire qu’elle ſe rompra
par
les deux bouts en meſme tĕps, s’ils
ſont
également forts, &
égalemĕt vio-
lentez
;
mais ie veux icy donner les
experiences
tres-iuſtes que i’ay faites.
Les chordes les plus égales en toutes
leurs
parties qui ſe puiſſent rencontrer,
eſtant
tirées également par les deux
bouts
, ſoit auec doids égaux, ou par
quelqu’autre
forgale, ſe rompent
touſiours
par l’vn des bouts vers le lieu
eſt le poids, ou la force, &
iamais par
le
milieu.
C’eſt pourquoy il ſemble que l’attra-
ction
, ou l’impreſſiõ qui ſe fait aux
584202Preludes de l’Harmonie. extremitez, ne ſe communique pas au
milieu
auec tant de violence, &
que les
deux
impreſſions qui ſ’y rencontrent,
ſont
plus foibles que l’vne de celles, qui
ſe
communiquent à l’vn des bouts de
la
chorde.
Ce que l’on peut confirmer
par
pluſieurs experiences, qui font pa-
roiſtre
que la force agit plus puiſſam-
ment
ſur les parties de l’object qui ſont
proches
, que ſur les éloignées, comme
l’on
experimente au feu, qui échauffe
le
bois, ou quelqu’autre choſe, &
au
mouuement
que l’on imprime à vne
longue
chorde, &
aux chordes auec
leſquelles
l’on tite les bateaux, car les
deux
@xtremitez de ces chordes ſont ſi
fort
tenduës, qu’elles ſe rompent ſou-
uent
, encore que le milieu ſoit ſi laſche
qu’il
tombe par terre, ou dans l’eau:
quoy que la difference de cette tenſion
ne
ſoit pas ſans de grandes difficultez
qui
meritent vn autre lieu.
Mais puis que la chorde ſe rompt
touſiours
par vne ſcule de ſes extremi-
tez
, il eſt neceſſaire que celle, par el-
le
rompt, ſoit plus foible que l’autre,
car
il n’y a point de raiſon pour laquelle
elle
ſe rompe pluſtoſt par vn bout
585203Preludes de l’Harmonie. par l’autte, ſinon parce qu’elle ſ’y trou-
ue
plus foible:
ou ſi l’õ ne dit que l’Au-
theur
de la nature determine l’extre-
mité
, par laquelle elle ſe rompt.
Ce qui arriue aux chordes de cuiure,
atriue
pareillement à la ſoye, &
au fil:
c’eſt pourquoy l’on peut dire que la
chorde
égale en toutes ſes parties ne ſe
rompra
iamais par le milieu, quand elle
ſera
tirée également par les deuxbours,
ſoit
qu’õ la tende perpendiculairemĕt,
ou
horizontallement, &
que l’on ap-
plique
les forces à ſes deux extremitez,
ou
au milieu iuſques à ce qu’elle rõpe:

Car
en quelque maniere que l’on l’e-
ſtende
, elle rompt touſiours par l’vne
de
ſes extremitez, quoy que les baſtõs
parallelles
à l’orizon rompent par le
milieu
, qui eſt preſſé &
violenté par le
poids
, ou par la force que l’on y appli-
que
, dont i’explique la raiſon dans le
traité
des Mechaniques.
586204Preludes de l’Harmonie.
QVESTION IX.
A ſçauoir pourquoy les Grecs ont pluſtoſt vsé
des
Tetrachordes ou des Quartes pour
eſtablir
la Muſique, que du Pentachorde,
de
l’Exachorde, ou de quelqu’autre nom-
bre
de chordes; l’on void pluſieurs bel-
les
remarques ſur le nombre de 4. & le
3
. probleme de l@ 15. ſection d’Ariſtote eſt
expliqué
.
LEs Gr@cs ont pluſtoſt vſé du Te-
trachorde
que d’vn plus grand,
ou
d’vn moindre nombres de chordes,
à
raiſon que la Quarte, ou le Diateſſa-
ron
eſt la moindre de leurs conſonan-
ces
.
Or le moindre en chaque genre eſt
la
regle de toutes les autres choſes qui
en
dependent, &
nous ne trouuons
point
qu’ils ayent recõnu de moindres
conſonances
que la Quarte, d’autant
que
les autres interualles moindres que
la
Quarte, comme ſont les Tierces, ont
plus
de baſtemĕs d’air qui ne ſ’vniſſent
point
, qu’ils n’en ont qui s’vniſſent, cõ-
me
i’ay monſtré ailleurs.
587205Preludes de l’Harmonie.
Il faut donc conclurre qu’ils ont pris
le
Tetrachorde pour le fondement de
la
Muſique, parce que la Quarte, ou le
Diateſſaron
de chaque genre contient
4
.
chordes, dont ils nomment la plus
baſſe
, &
la principalle, hypate hypaton; la
2
.
parypate hypaton, la 3. hypate meſon, &
la
4.
parypate meſon, qui ne ſont autre
choſe
que les 4.
chordes qui fõt noſtre
mi
, fa, ſol, la;
dont la 1. & la 4. à ſça-
uoir
mi, la, font la conſonance, que les
Praticiens
appellent la Quarte.
De
vient
qu’ils ont compoſé leurs ſyſte-
mes
de 4.
ou 5. Tetrachordes, qui ne
font
autre choſe que la repetition du
Tetrachorde
, qui contient tous les
moindres
interualles de la Muſique, à
ſçauoir
le ton maieur, &
le mineur, &
le
demiton maieur dans la Diatonique,
qui
eſt la plus ayſée, &
conſequem-
ment
la plus naturelle.
A quoy l’on peut adiouſter qu’ils ont
compoſé
l’Octaue de 2.
Tetrachordes
diſioints
, &
ſeparés par le ton maieur,
de
ſorte que le Tetrachorde leur a ſer-
uy
de regle, &
de compas, ou de meſu-
re
pour regler, &
pour meſurer toute la
Muſique
:
quoy que Guy Aretin
588206Preludes de l’Harmonie. pris l’Exachordes dans lequel il a com-
pris
les trois eſpeces de Quarte, comme
i’ay
dit ailleurs.
L’on pourroit encore ſ’imaginer qu’ils
ont
fondé toute @@ Muſique ſur le Tre-
tachorde
, à raiſon que leurs premiers
inſtrumens
n’auoient que 4.
chordes,
dont
on peut tirer toutes ſortes de
chãts
, &
d’harmonies, comme l’on ex-
perimente
ſur les Violõs, auec leſquels
les
excellĕs Maiſtres repreſentent qua-
ſi
tout ce que l’on peut ſ’imaginer, com-
me
ie diray dans le liure des Inſtru-
mens
.
Il ne faut pourtant pas ſ’arreſter à ce
nombre
de chordes, ſoit qu’ils ayent
voulu
repreſenter le nombre des éle-
ments
, ou les 4.
ſaiſons de l’année, ou
quelqu’autre
quaternaire de choſes par
leurs
4.
chordes, ou qu’ils les aiĕt iugées
ſuffisãtes
pour toute ſorte d’harmonie,
dautant
que l’on ſçait que pluſieurs au-
tres
ont mis 7.
chordes ſur leurs inſtru-
mens
, comme l’õ void dans l’Amphion
des
Tableaux de Philoſtrate, &
en plu-
ſieurs
reuers de medailles;
& que les
autres
ont vsé de 8.
ou 9. chordes, &
les
autres de trois ſeulement,
589207Preludes de l’Harmonie. Olympe au rapport de Plutarque, &
Mercure
, dont parle Diodore:
mais ie
parleray
plus amplement du nombre
de
ces chordes dans vn liure particu-
lier
.
Car ie veux employer le reſte de ce
diſcours
à l’examen du quaternaire,
qu’ils
ont peut-eſtre choiſi, parce qu’il
repreſente
tous les nombres, dautant
que
ſes parties eſtant adiouſtées font
dix
, qui finit, ce ſemble, tous les nom-
bres
, puis qu’il comprend le nombre
pair
, &
l’impair, le quarré, le cube, &
le
premier compoſé, comme remarque
Ariſtote
dans le;
Probleſme de la 15.
ſection, il dit que le dix eſt la fontai-
ne
, &
le principe des nombres, parce
qu’il
eſt composé d’vn, de 2, de 3, &
de
4
, que les Thraces ne paſſoient nulle-
ment
en cõptant, ſoit qu’ils euſſent la
memoire
ſi courte, ou l’imagination ſi
foible
qu’ils ne peuſſent cõpter que iuſ-
ques
à 4.
ce qui n’eſt pas vray ſembla-
ble
, attendu que les 5.
doigts de la main
apprennent
du moins à conter iuſques
à
5.
& ceux des 2. mains iuſques à dix;
qu’ils ayent voulu ſignifier que l’on
peut
trouuer toutes les parties tant
590208Preludes de l’Harmonie. quotes, que quantieſmes, ou aliquan-
tes
du dix dans le quaternaire, car l’on
y
trouue premierement 1.
2. 3. & 4; &
puis
5.
en adiouſtant 1. à 4. ou 2. à 3; &
6
.
en adiouſtant 2. à 4; 7. en adiouſtãt
4
.
à 3; 8, en adiouſtant 1, 3, & 4; 9, en
adiouſtant
2, 3 &
4; & finalement dix,
en
adiouſtant 1, 2, 3 &
4.
Ariſtote rapporte encore vn@autre
priuilege
du nombre denaire, à ſçauoir
qu’il
a dix proportions, ou analogies,
dans
leſquelles 4.
cubes ſont accõplis,
ce
qui eſt ſi mal aiſé à expliquer, que
Pierre
de Appono y a trauaillé 4.
ans,
au
bout deſquels il dit, qu’vne lumiere
particuliere
luy feiſt conceuoir que dix
fois
dix, c’eſt à dire 100.
contiennent
les
4.
premiers cubes, à ſçauoir 1, 8, 27,
&
64, leſquels eſtant adiouſtez font
cent
:
mais outre qu’il n’explique pas,
comment
le nõbre denaire contiĕt ces
4
.
cubes, & qu’Ariſtote ne parle pas du
nombre
de cent, mais de celuy de 10.
il
ne
mõſtre pas comment ce nombre cõ-
tient
10.
analogies, que l’on pourroit
expliquer
des 10.
termes qui ſe ſuiuent
en
progreſſiõ Gernetrique multiple en
commençant
par l’vnité:
par
591209Preludes de l’Harmonie. de ceux-cy, 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128,
256
, &
512, dont le premier, le 4, le 7, &
&
le dernier ſont 4. cubes, par le 8. du
9
.
des élemens, s’il eſtoit ſeulement
queſtion
de 10.
termes analogiques, &
proportionels
:
mais puis qu’Ariſtote
parle
des 10.
analogies, il faut les trou-
uer
dans le nombre denaire, ou confeſ-
ſer
qu’il n’a pas parlé proprement, ou
qu’il
n’a pas bien entendu le mot d’a-
nalogie
, car il faut 12.
termes pour fai-
re
10.
analogies.
C’eſt pourquoy l’õne peut expliquer
le
ſens de ce Probleſme pris à la rigueut
qu’en
diſant que les 10.
Analogies cõ-
priſes
par le nombre denaire ſont cel-
les
qui ont les 10.
nombres qu’il con-
tient
, qui ſont les racines, &
la vertu
des
10.
analogies qui ſuiuent, dont la
premiere
eſt de l’vnité, qui eſt ſa raci-
ne
, ſon quarré &
ſon cube: la 2. eſt de
la
meſme vnité, qui ſert touſiours de
premier
terme à chaque proportion,
comme
l’on void icy 1;
1, 1: 1, 2, 4: 1, 3,
9
:
1, 4, 16: 1, 5, 25: 1, 6, 36: 1, 7, 49;
1, 8, 64: 1, 9, 81: 1, 10, 100.
Par l’on reconnoiſt que la dernie-
re
analogie ſe termine au quarré de 10.
592210Preludes de l’Harmonie.& que le quaternaire contient les 4. ra-
cines
des 4.
cubes, qui font auſſi le nõ-
bre
de 100.
lequel eſt contenu dans 4.
comme dans ſa ſource, & dans ſon ori-
gine
.
Or ie veux encore remarquer
quelques
autres choſes du nõbre qua-
ternaire
, &
du denaire: par exemple,
que
la premiere, ou la moindre partie
de
4.
eſtant adiouſtée à 4. fait autant
que
ſes 2.
autres parties du milieu 2. &
3
.
adiouſtées enſemble, à ſçauoir 5. &
conſequemment
que ces 2.
additions
reſtituent
le nombre denaire.
En apres,
que
4.
eſt ſequitierce de ſes parties ali-
quotes
, &
conſequemment qu’il con-
tient
la raiſon de la Quarte, ou du Te-
trachorde
, dont nous auons parlé:
3.
que
toutes ſes parties, à ſçauoir 1, 2, &

3
.
eſtant adjouſtées font 6. qui eſt ſeſ-
quialtere
de 4;
& parce que ces 2. rai-
ſons
font la raiſon de l’Octaue, l’õ peut
dire
que 4.
repreſente toute la Muſi-
que
.
Quant à 10. (qui contient tellement
tous
les autres nombres, que ceux qui
ſont
par delà ne ſont autre choſe que la
repetition
des precedens) ſes parties
cõſtitutiues
, (c’eſt à dire toutes les
593211Preludes de l’Harmonie. ties qu’il contient) eſtant adiouſtées
font
45.
qui eſt quadruple ſeſquialtere
de
10.
lequel eſtant adiouſté auſdites
parties
fait 55.
qui eſt ſeſquitiere de 45.
mais il eſt ſeſquiquarte de ſesparties ali-
quotes
qui font 8.
auſquelles eſtant ad-
iouſté
, il fait 18.
qui eſt double ſeſqui-
quarte
de 9.
à 4.
Or encore que l’on ne puiſſe trouuer
la
raiſon des choſes naturelles dans les
nombres
, parce que nous ne connoiſ-
ſons
pas les principes naturels, ils ont
neantmoins
de merueilleuſes rencon-
tres
, qui peuuent ſeruir de conduite à
l’eſprit
, pour contempler la nature des
choſes
, car chaſque nombre a quelque
proprieté
particuliere, qui ne peut con-
uenir
aux autres, c’eſt pourquoy ilpeut
ſeruir
de charactere pour repreſenter
chaque
eſpece, &
chaque indiuidu.
Par exemple, l’vnité eſt propre pour
nous
faire conceuoir la Diuiniré, le nõ-
bre
120.
dont les parties aliquotes font
le
double, c’eſt à dire 240.
& le meſme
240
.
dont les parties aliquotes font le
triple
, vn moins, &
tous les autres
nombres
abondans peuuent ſignifier
les
natures les plus fecondes, &
les
594212Preludes de l’Harmonie. bres 220, & 284 peuuent ſignifier la
parfaite
amitié de 2.
perſonnes, dautãt
que
les parties aliquotes de 220.
font
284
.
& celles de 284. reſtituent 220.
comme ſi ces deux nombres n’eſtoient
qu’vne
meſme choſe.
Or il importe fort peu ſi ie n’ay pas
rencontré
la vraye raiſon pour laquelle
ils
ont pluſtoſt choiſi ce nõbre de chor-
des
qu’vn plus grand, dautãt que quel-
que
nombre que l’on en prenne, le tout
reuient
à vne meſme choſe, pourueu
que
l’Octaue, &
les autres conſonances
ſoient
parfaites.
Qvestion X.
A ſçauoir ſi les ſons forment les mœurs, com-
me
ſuppoſe Ariſtote dans le 27. Probleſ-
me
de la 19. ſection; & s’ils ſont plus
propres
à exciter les paßions de l’homme,
que
les couleurs, les ſaueurs, & les odeurs,
& c. & pourquoy les ſons ont cette vertu,
& cette puiſſance.
ARiſtote nous donne ſuiet de diſ-
courir
de cette matiere, lors
595213Preludes de l’Harmonie. dit au 27. Probleſme de la 19. ſection
que
de tous les obiects des ſens il n’y a
que
le ſon qui ſoit propre pour former
les
mœurs, à raiſon qu’il conſiſte dans
vn
mouuement, qui ne ſe remarque pas
dans
les couleurs, dans les odeurs, ou
dans
les ſaueurs, &
que les actions ont
vn
ſemblable mouuement, de ſorte
qu’il
prend l’imitation pour fondemĕt
de
ſa ſolution, qui doit, ce me ſemble,
s’expliquer
en cette maniere.
Le mou-
uement
des ſons eſt ſemblable aux
actions
, par le moyen deſquelles on ac-
quiert
les habitudes de la vertu, &
par
leſquelles
on eſt cõduit à la Morale;
&
conſequemment
ils ſont propres pour
exprimer
, &
pour former, & conſeruer
les
mœurs, puiſque chaque choſe eſt
engendrée
, &
conſeruee par ſon ſem-
blable
.
En effet l’on experimente que nos
actions
ſe font par le mouuement, qui
produit
vne habitude, lors qu’il eſt ſou-
uent
repeté:
de vient que l’on apprĕd
à
chanter par habitude:
ce qui n’ar-
riue
pas aux autres ſens, qui ſuppoſent
leurs
obiects tous faits, mais chacun
peut
chãter, &
conſequĕment peut
596214Preludes de l’Harmonie. mer des obiects propres pour ſon oreil-
le
:
ce qui n’arriue pas aux couleurs,
oux
odeurs, &
aux ſaueurs, qui ſont
hors
de nous, &
qui ne ſont pas dans
hoſtre
pouuoir:
De vient que nous
aymons
mieux les ſons, parce qu’ils dé-
pendent
, ou qu’ils peuuent dependre
de
nous, cette dependance nous for-
çant
quaſi à ay mer noz effects, comme
l’on
experimente aux parens, qui ay-
mĕt
beaucoup plus leurs enfans, quoy
que
difformes, que ceux des autres, en-
core
qu’ils ſoient plus beaux.
Ce qui
arriue
ſemblablement à ceux qui font
des
liutes, des tableaux, ou d’auties ou-
urages
à raiſon qu’ils dépendent d’eux:
or l’on remarque cét amour, & cette
affection
que l’on a pour les ſons, lors
que
l’on chante quelquefois ſans pen-
ſer
à ce que l’on fait, quoy que l’on imi-
te
les chants que l’on a oüys.
Quant aux couleurs, on les tient qua-
ſi
in differentes, à raiſon qu’elles ne de-
pendent
pas de nous, &
qu’elles n’ont
nul
mouuemĕt ſemblable à noz actiõs,
&
à noz paſſions, comme ont les ſons,
qui
ſeruent à exprimer les douleurs, les
plaiſirs
, la cholere, &
les auttes
597215Preludes de l’Harmonie. ctions de l’homme, & des animaux. Par
l’on peut entĕdre pourquoy les An-
ciens
faiſoient chanter leurs Loix, dont
il
eſt parlé au 15.
& au 28. Probleſme
de
la ſectiõ 19 ceſt pourquoy ils appel-
loient
leurs chanſons des Loix, à raiſon
que
l’on retient plus ayſément ce qui ſe
chante
, parce que le mouuement du
chant
eſtant plus grand, &
mieux reglé
que
celuy de la parolle, dont on vſe or-
dinairement
dans les diſcours, fait vne
plus
forte impreſſion ſur l’eſprit des au-
diteurs
, &
particulierement ſur les en-
fans
, auſquels ont peut apprendre les
Loix
auant qu’ils les puiſſent compren-
dre
parraiſon, parce que leur eſprit, &

leur
memoire eſt ſemblable à vne ta-
ble
d’attente, laquelle eſt ſuſceptible
de
toutes ſortes de couleurs.
De vient qu’ils retiĕnent fort bien
ce
qu’ils ont appris en leur ieuneſſe, dõt
les
parens, &
les maiſtres doiuent vſer
à
leur aduantage, afin de leur imprimer
les
Loix, &
la crainte de Dieu, qui doit
eſtre
le fondement de toute leur vie, &

de
leurs actions, puis qu’elle eſt la fon-
taine
de la vie, dans les Prouerbes cha-
pit
.
14. & qu’elle eſt le comm
598216Preludes de l’Harmonie. de la ſageſſe. Or puiſque les mœurs ſe
forment
par les actions, &
que les actiõs
ſe
font par des mouuemens, il faut vſer
des
ſons, qui imitent leſdits mouue-
mens
:
ce qui eſt difficile à connoiſtre,
&
à executer, car il faut ſçauoir les
chordes
, qui sõt plus propres à toucher
l’eſprit
les vnes que les autres, &
com-
bien
de fois chacune doit eſtre touchée
pour
paruenir au deſſein que l’õ ſe pro-
poſe
, &
conſequemment quelles chor-
des
il faut laiſſer, &
de quels interual-
les
on doit vſer, car les vnes ſont pro-
pres
à l’amour, les autres à la triſteſſe, &

les
autres à la ioye, &
à la cholere.
Mais auant que de paſſer plus outre,
il
faut remarquer que la queſtion pro-
poſée
par Ariſtore peut eſtre reuoquée
en
doute, parce que l’on experimente
que
les couleurs, les ſaueurs, &
les
odeurs
ont vn grand pouuoir ſur nos
paſſions
, car comme vn tableau, ou vn
viſage
triſte, &
mal proportionné nous
faſche
, &
nous déplaiſt, de meſme les
excellents
tableaux, &
les beaux viſa-
ges
@@us rauiſſent de contentement, &

l’on
rencontre des rableaux du viſage
de
noſtre Sauueur, que l’on ne peut
599217Preludes de l’Harmonie. temps regarder ſans conçeuoirvne grã-
de
reuerence accompagnée de quel-
que
ſorte de crainte, &
de frayeur: ce
qui
arriue ſemblablement lors que l’on
enuiſage
de certaines perſonnes, dont
le
front, les yeux, &
les autres parties
du
viſage ſont remplies d’vne ſi grande
maieſte
, &
ont vne ſi grande puiſſance,
qu’ils
impriment tels mouuemĕs qu’ils
veulent
, ſoit de crainte, &
de reueren-
ce
, ſoit de réioüiſſance, ou de triſteſſe,
ſur
ceux qui les regardĕt attentiuemĕt.
De ſorte que l’on peut dire que l’im-
preſſion
qui ſe fait dans l’ame par les
yeux
eſt du moins auſſi puiſſante que
celle
qui ſe fait par les oreilles.
L’on ex-
perimente
ſemblablement que les ſa-
ueurs
, &
les odeurs ont vne grande
puiſſance
ſur l’eſprit, car la ſaueur ame-
re
, &
l’odeur puante nous faſchent ex-
tremément
:
& ſi l’on remarquoit auſſi
exactement
les differens degrez des ſa-
ueurs
depuis la plus amere, &
la plus
faſcheuſe
iuſques à la plus douce, &
la
plus
agreable, comme l’õ remarque les
differens
degrez des ſyſtemes de la Mu-
ſique
, l’on trouueroit, peut-eſtre, qu’el-
les
ont des effects auſſi grands ſur
600218Preludes de l’Harmonie. prit que les ſons, & les couleurs, & con-
ſequemment
on pourroit eſtablir des
raiſons
, &
des proportions harmoni-
ques
entre les ſaueurs, &
les odeurs, cõ-
me
l’on fait entre les ſons.
En effet les differentes odeurs ap-
portent
de grands changemens aux eſ-
prits
, comme l’on experimente dans
les
Egliſes, dont les ſuffumigations, &

les
encenſemĕs excitent à la deuotion:
& dans les Hoſpitaux, dans les priſons,
&
dans les autres lieux renfermez, qui
rendent
les eſprits lents, triſtes, &
he-
betez
, &
qui font mal au cœur: & lors
que
l’õ eſt au milieu d’vn parterre plein
d’œillets
, de mariolaine, de iaſmin, de
giroflées
, &
de roſes, la vapeur, & les
douces
fuméesde ces fleurs qui embau-
ment
l’air, charment l’eſprit de leur
douceur
, &
l’enchantent auſſi douce-
ment
que les concerts les plus rauiſ-
ſants
:
de ſorte que les odeurs, auſſi bien
que
les ſaueurs, &
les couleurs, peuuent
diſputer
, &
débatre de la préeminence,
&
de la puiſſance qu’elles ont ſur l’eſ-
prit
de l’homme contre les ſons;
bien
qu’ils
ſoient beaucoup plus excellents,
ſil’on
conſidere le diſcours, auſquels
601219Preludes de l’Harmonie. ſeruent de matiere, mais nous parlons
icy
des ſons, &
non de la parolle.
Il faut neantmoins conclurre que les
ſons
, &
les chants ſont plus propres que
les
obiects des autres ſens pour exciter
les
paſſions, dont Felix Accarombon
rapporte
la cauſe aux differents mou-
uemens
, c’eſt à dire aux meſures lõgues,
&
briefues des chanſons, à raiſon que
le
mélange des temps imite les actions
qui
produiſent les paſſions.
Mais la
ſeule
melodie a de la force ſur les paſ-
ſions
, encore que les differentes notes
ne
changent point de meſure, comme
l’on
experimĕte à l’interualle de la Sex-
te
, &
de la Tierce mineure, qui exci-
tent
la triſteſſe, &
à tous les chants qui
finiſſent
par les demitõs, ou par les die-
ſes
:
quoy qu’il ſoit certain que les dif-
ferentes
meſures adiouſtent vne gran-
de
force à la melodie cõme nous auons
dit
ailleurs, &
que la rythmique ayt
toure
ſeule beaucoup de puiſſance ſur
l’eſprit
ſans la melodie, comme l’on re-
marque
aux battemens du tambour, &

dans
pluſieurs autres mouuemens.
Or la raiſon de cette puiſſance que
les
ſons imprimĕt ſur l’eſprit, doit
602220Preludes de l’Harmonie. priſe des differens mouuemens, dont
ils
frappent le tympan, ou la membra-
ne
de l’oreille, &
conſequemment les
eſprits
de l’oüye:
par exemple, l@rs que
l’on
chante par l’interualle de la Sexte
mineure
en montant pour exciter la
triſteſſe
, les eſprits ſont premierement
frappez
5.
fois par le ſon graue, & puis
8
.
fois dans vn temps égal par le ſon ai-
gu
, c’eſt pourquoy il faudroit conſide-
rer
pourquoy 8.
coups, ou le battemĕt,
dont
la force eſt comme 8, a la puiſſan-
ce
d’exciter la triſteſſe, lors qu’il ſuit im-
mediatement
apres le battement, dont
la
force eſt comme 5:
ce que l’on peut
ſemblablement
conſiderer dans les au-
tres
interualles.
Quelques-vns ſimaginent que les
Anciĕs
ont ſçeu quelles chordes il fal-
loit
toucher les vnes apres les autres
pour
exciter toutes ſortes de paſſions,
&
qu’ils auoient eſtably des loix pour
ce
ſuier, parce qu’ils liſent dans Platon,
&
dans Ariſtote qu’ils auoient vne ma-
niere
de Muſique pour exciter la cho-
lere
, &
vn autre pour l’appaiſer: & que
Timothée
mettoit Alexandre le Grãd
en
cholere quand il chantoit, ou
603221Preludes de l’Harmonie. touchoit la Harpe, ou d’autres inſtru-
mens
:
mais nous ne voyons nul veſtige
dans
ces Philoſophes qui puiſſe tãt ſoit
peu
perſuader qu’ils ayent connu les
paſſions
, &
leurs mouuemens iuſques
à
vn tel point, qu’ils ayent peu eſtablir
des
ſons, ou des chants pour émouuoir,
&
pour appaiſer chaque paſſion.
En effect, ſil y euſt eu des genres,
des
eſpeces, ou des modes de Muſique
du
temps de Platon, ou d’Ariſtore, dont
les
effects euſſent eſté ſi ſignalez, &
qui
euſſent
eu vn tel aſcendant ſur les paſ-
ſions
, &
ſur l’eſprit des auditeurs, ils
euſſent
beaucoup mieux fait d’enſei-
gner
cét art aux hommes, que la Mo-
rale
, &
la Politique, dont ils ont traité,
car
il n’y a point de Rethorique aſſez
puiſſante
pour faire quitter l’enuie, la
cholere
, l’amour, &
les autres paſſions,
lors
qu’elles ſont enracinées dans l’eſ-
prit
;
& les Anciens confeſſent eux-
meſmes
qu’ils n’ont point trouué de re-
medes
pour appaiſer les grandes triſteſ-
ſes
:
& ſils euſſent eu des ſons, & des
chants
pour ce ſujet, ils n’euſſent eu nul
beſoin
de la fiction de leur Nepenthe, &

de
leurs boiſſons imaginaires, pour
604222Preludes de l’Harmonie. paiſer les douleurs, & pour calmer les
paſſions
.
Mais i’ay parié plus ample-
ment
de cecy dans vn autre lieu, i’ay
monſtré
que nul des Anciens n’a mieux
entendu
la Muſique que nous, afin que
l’on
ne ſoit pas tellement préocupé de
leurs
écrits, &
de leurs hiſtoires, que l’õ
ſuiue
pluſtoſt leur imagination, &
leurs
fautes
, que l’experience, &
la raiſon,
Carie
ne doute nullement que la Mu-
ſique
ne ſoit maintenant dans vne auſ-
ſi
grande perfectiõ que celle des Grecs,
ſoit
que l’on conſidere l’harmonie de
pluſieurs
parties, ou la melodie, &
la
conduite
d’vne ſeule voix, ou la gran-
deur
, la bonté, la beauté, &
la multitu-
de
des inſtrumens:
ſi ce n’eſt que l’on
die
qu’ils auoient des voix plus nettes,
plus
fortes, &
meilleures que nous: ce
qu’il
faudroit prouuer auant que de le
croire
.
Qvestion XI.
A ſçauoir comme il faut compoſer les chan-
ſons
, pour eſtre les plus excellentes de tou-
tes
celles qui ſe peuuent imaginer.
PVis que la perfection de chaque
choſe
conſiſte en ſon eſſence, en
605223Preludes de l’Harmonie. proprietez, & en ſes accidens, & que
ſon
excellence doit eſtre meſurée ſelon
ſes
principes, ou ſuiuant la fin, à laquel-
le
elle eſt deſtinòe, ie dis que la chanſon
qui
aura tout ce qui eſt requis à ſa per-
fectiõ
, &
qui ſera la mieux proportion-
née
à ſa fin ſera la plus excellente de
toutes
.
Or elle aura toutes ſes parties, lors
qu’elle
répondra parfaitement àla let-
tre
&
au ſu@et que l’on prĕd; & ne pour-
ra
iamais eſtre plus excellĕte que quãd
elle
aura le ſuiet le plus excellent de
tous
, qui conſiſte a décrire les grãdeurs
&
les loüanges de Dieu, & l’amour &
l’ardeur
dont nous deuõs l’adorer eter-
nellement
.
D’où il eſt ayſé de conclurre, que tou-
tes
les chãſons de Cour, qui n’ont point
d’autre
ſuiet que les profanes, &
qui ne
contiennent
autre choſe que les loüan-
ges
des hommes, qui ne ſubſiſtent le
plus
ſouuent que dans les flatteries, &

qui
n’ont point d’autre ſouſtieu que la
vanité
&
le mĕſonge, ne peuuent eſtre
parfaites
, puis que la verité leur mãque
ſans
laquelle il n’y a nulle perfection, &

quelles
ſont priuées du ſuiet qui
606224Preludes de l’Harmonie. les Anges & qui ſeruira d’vn entretien
eternel
à tous les predeſtinez, &
les
bien-heureux
.
Quant aux autres con-
ditions
neceſſaires pour faire des chãts
&
des airs rauiſſans, i’en parleray dans
vn
liure particulier, carie veux finir cet-
tuy-cy
par ces vers qui sõt propres pour
chanter
les loüanges de Dieu.
Triſte ennemy des belles choſes
Hyuer
couronné de glaçons,
Eſté
qui meurit les moiſſons,
Printemps
qui fait fleurir les roſes,
Greſles
, neiges, broüillards épais
Loüés
le Seigneur à iamais
Celebrez
ſon nom adorable,
Tout
ce qu’il produit eſt parfait
Et
cét vniuers admirable, (fait.
De ſon diuin pouuoir n’eſt qu’vn petit ef-
Theatre famcux des naufrages
61[Figure 61] Merdont les flots impetueux
Viennent
d’vn pas reſpectueux
Baiſer
le ſablon des riuages,
Creux
&
vaſte empire du ven@
Dont
le calme eſt ſi deceuant,
Molle
ceinture de laterre,
Lien
de cent peuples diuers
Champ
de la paix &
de la guerre,
Beniſſez
à iamais l’ Autheur de l’vniuers.
FIN.